ARTheque - STEF - ENS Cachan | Sciences et techniques: représentations des étudiants de I ère année universitaire

DES ETUDIANTS DE lERE ANNEE UNIVERSITAIRE

Richard LEFEVRE, André ESCAUT et Jean BIGNEBAT Laboratoire d'Etude des Méthodes Modernes d'Enseignement (équipe GERP) Université Paul Sabatier, Toulouse

MOTS-CLES: REPRESENTATIONS - IMAGES DE LA SCIENCE.

RESUME: Comment les étudiants en Sciences Physiques se représentent-ils les Sciences et les Techniques, en 1989? Accordent-ilsàces domaines une confiance absolue, ou bien les abordent-ils avec méfiance, en leur attribuant des aspects négatifs, même s'ils se sont volontairement engagés dans une filière de formation scientifique? Les Sciences et les Techniques sont-elles encore susceptibles de les faire rêver?

SUMMARY : What are Ù1e conceptions of scientific students on Science and Technology, in 1989 ? Even though they are involved in a scientific cursus, is Ù1eir approach very confident? Or do they attribute negative aspects to these two fields? Are Science and Technology there still able to make them dream ?

1. DEROULEMENT DE L'ENQUETE

Nous avons souhaité faire émerger les représentations des étudiants en laissant une large place à leur imagination: nous avons pour cela élaboré un questionnaire écrit comportant 5 questions ouvertes:

- une question portant sur les mots-clés évoquant les Sciences et/ou les Techniques, - deux questions demandant la rédaction d'un titre d'article, l'un pour une revue scientifique, l'autre pour une revue de vulgarisation,

- une question demandant la composition iconique de la couverture d'un ouvrage dédié aux Sciences et Techniques,

- une question demandant la rédaction d'un texte à partir d'une photographie choisie parmi un ensemble de 6 photos proposées, relatives aux Sciences et aux Techniques.

Les questionnaires ont été présentés et distribués aux étudiants; seuls, les volontaires ont répondu en remettant leurs réponses la semaine suivante. Nous avons recueilli 137 réponses d'étudiants de 1ère année universitaire, inscrits dans différentes filières (DEUG A, DEUG B, IUT), et titulaires de baccalauréats C, D, E et F.

2. COMPILATION DES MOTS-CLES

Nous avons compilé les mots-clés les plus fréquemment cités dans les 3 filières (les nombres entre parenthèses sont les fréquences d'apparition) :

SCIENCES TECHNIQUES SCIENCES ET TECHNIQUES

Recherche (60) Applications (22) Progrès (33)

Mathématiques (32) Informatique (15) Recherche (24)

Découverte (28) Electronique (14) Avenir (17)

Physique (25) Progrès (12) Découverte (14)

Théorie (24) Robotique (12)

Connaissance (23) Méthodes (12)

Les Sciences apparaissent très liées à la recherche et à la découverte, et les Techniques apparaissent principalement comme applications, confirmant ainsi une conception assez commune. On peut remarquer que les disciplines (Mathématiques, Physique, Informatique, ...), qui apparaissent dans les deux premières colonnes, ont disparu dans la troisième colonne. Nous avons noté que les étudiants du DEUG A et ceux de l'IUT parlent de progrès alors que ceux du DEUG B parlent plutôt d'évolution: peut-être peut-on voir là une conséquence de leur formation en sciences naturelles?

3. ANALYSE DES TEXTES INSPIRES PAR LES PHOTOS

Nous avons proposé une série de 6 photographies, en relation avec les Sciences ou les Techniques, et nous avons demandé aux étudiants d'écrire un texte d'une demi-page minimum, inspiré de la photo.

Les photos proposées étaient:

- une vue de Saturne et de ses anneaux. - un alternateur de centrale électrique.

- une carte d'ordinateur, comportant des circuits intégrés. - une vue de deux mobiles auto-porteurs.

- une photographie de trajectoires de particules dans une chambre à bulles. - la photo historique du premier pas de l'Homme sur la Lune.

Lechoix des photos par les étudiants s'est opéré de manière très inégale, les 2 photos traitant de l'espace mobilisant à elles seules 76%des choix.

Nous avons analysé les 137 textes à l'aide d'une grille d'analyse de contenu que nous avons mise au point. Nous avons identifié 7 catégories qui nous ont permis de traiter l'ensemble des textes, quelle que soit la photo choisie:

1 - les Sciences, les Techniques: quels sont leurs attributs? sont-elles associées? 2 - le besoin de Savoir de l'Homme: comment est-il évoqué?

3 - la Conquête et la Découverte: quels sont leurs attributs?

4 - l'Homme: comment est-il perçu? comment intervient-il dans le discours ? 5 - l'Admiration: comment est-elle suscitée par les photos?

6 - le Futur: comment est-il entrevu, envisagé? 7 - l'Imaginaire: est-il présent et sous quelle forme?

Nous présentons ci-après un résumé de l'analyse des catégories l, 3 et 7.

3.1. Les Sciences et les TeChniques

Le premier résultat qui ressort de l'étude des textes est que les Sciences et les Techniques apparaissent le plus souvent associées, liées, amalgamées et qu'un lien étroit et nécessaire doit exister entre recherche scientifique et technique moderne. 41 réponses citent cette association Sciences-Techniques.

Le second résultat est une évocation très fréquente des progrès rapides des Sciences et Techniques, qui vont encore en s'accélérant; on retrouve là l'idée déjà recueillie lors de l'étude des mots-clés; elle montrait que le mot de progrès était le plus cité.

3.1.1. Les Sciences.Si on s'attache à analyser plus particulièrement les évocations des Sciences indépendamment des Techniques, 3 idées apparaissent:

- on trouve encore le thème du progrès:les Sciences sont en évolution et progressent, le plus souvent rapidement; si, quelquefois, les progrès sont lents, du moins sont-ils sars. Ces progrès vont dans le sens deservir l'Homme, d'améliorer sa vie, une seule réponse considère que la trace laissée par la Science est négative.

- les Sciences sont le lieu privilégié de la Recherche et delaDécouverte. Elles permettent de résoudre des problèmes fondamentaux, de trouver des réponses.

Une étude similaire, menée auprès d'élèves du Second Degré, avait mis en évidence ces deux premiers thèmes(HUSSON-CHARLET,1985).

- un regard épistémologique est porté sur les Sciences: pour certains, elles peuvent tout expliquer, elles sont universelles, pour d'autres, elles sont limitées et remises en cause. Lesthéories sont réfutables, le problème de la fmalité de la Science est posé.

Il semble que le capital-confiance que l'on accordait autrefois aux Sciences soit légèrement entamé, au profit d'un regard plus objectif et certainement plus réaliste.

3.1.2. Les Techniques. Lorsque les Techniques sont évoquées indépendamment des Sciences, le maître-mot demeure encore le progrès. Les Techniques, en évolution incessante sont de plus en plus performantes et nouvelles. On parle de technicité sans cesse plus grande, detechnologiedepointe, de grandbonden avant.

Une seconde idée est le critère d'utilité:les machines sont plus pratiques, plus sûres, plus utiles. Elles sont adaptables aux utilisations et aux demandes actuelles.

On ne trouve pas, sur les Techniques, le même regard critique que celui que nous avions rencontré pour les Sciences. Un seul texte évoque une crainte d'encerclement de l'Homme par les machines et souhaite que celui-ci puisse garder un contrôle sur elles.

3.2. La conquête et la découverte

C'est le thème le plus évoqué dans l'échantillon (67/137). Nous avons repéré 3 sous-thèmes: les retombées scientifiques ou technologiques, la perspective de continuer, d'aller au-delà de ce qui est déjà découvert ou conquis, le risque et le coût attachés à la conquête spatiale et à la découverte. 3.2.1. Les retombées scientifiques ou technologiques. Elles sont en rapport avec le mieux-être de l'individu. Elles rendent la vie de l'Homme plus facile. C'est une question cruciale pour les pays développés:le pays est lié aux découvertes scientifiques, c'est sa survie qui est en jeu. Les intérêts sont aussi stratégiques, la conquête spatiale apparaissant commelefer de lance des pays industrialisés.

La

Cette position rencontre des opinions contradictoires. Sans partager pleinement une position extrémiste commela conquête spatiale n'apasservi l'humanité, n'a eu aucune retombée scientifique, d'autres étudiants expriment malgré tout que cette conquête sert surtout leprestige des pays, qu'elle est d'uneutilité douteuse, que des savants compétents ont été mobilisés, que beaucoup d'argent et de temps ont été perdus, alors qu'ilexiste d'autres priorités pour les humains, et que certains résultats ont finalement été incomplètement exploités.

Ce résultat estàcomparer aux opinions exprimées par les Français dans un sondage effectué en janvier-février 1989(SOFRES, 1989), montrant la baisse de confiance, au cours des 15 dernières années, dans la capacité des Sciences à apporter un mieux-être à l'humanité.

3.2.2. Les perspectives. Il s'agit pour l'Homme de se dépasser, d'aller au-delà des limites actuelles, d'extrapoler ses résultats. L'Homme doit tout explorer,de l'infiniment petità l'infiniment grand. En posant la question: qu'y a-t-il au-delà de l'infiniment petit? on rebondit sur l'affIrmation

qu'en maitrisant l'infiniment petit, on fera des bonds vertigineux dans l'infiniment grand.Il faut outrepasser les limites de notre bon vieux caillou.L'exploration de la galaxie passe parlacolonisation de la Lune et des planètes:il faut dominer l'astre lunaire, il faut gagner sur le ciel et sur l'espace. Demain, les 1wmmes seront sur Mars et sur Vénus. Cesterres nouvelles s'offrent aux pionniersen même temps que s'ouvre laroute des étoiles.Des millions de mondes restentàdécouvrir, c'est le début d'uneodyssée vers les autres galaxies.Toutes ces opinions émanent essentiellement d'étudiants duDEUGB.

Par contre, d'autres considèrent que la conquête spatiale est un point d'aboutissement, d'achèvement et ne la positionnent pas dans une perspective d'avenir. Il a fallu des siècles de découvertes, c'est unaccomplissement logique.Toutes les compétences humaines, toutes les énergies se sont mobilisées pouraboutiràcette victoiredel'Homme sur l'infini.

3.2.3. Le risque et le coût. Cet aspect est évoqué principalement par les étudiants de l'IUT. Ils rappellent lessommes considérables investiesmais aussi les accidents tragiques survenus. La conquête spatiale/ait des victimes, sacrifie des vies humaines et animales.Il serait bon de s'orienter vers desvols non habités, moins coûteux, moins dangereux.

Une enquête récente(FLEMMING1988) montre que des étudiants scientifiques canadiens ont une opinion comparable sur cepoint

3.3. L'imaginaire

Nous avons souhaité solliciter l'imaginaire des étudiants en leur soumettant une sélection de photos. Nous nous sommes interrogés sur le choix prépondérant de la photo de l'alunissage (57%). Elle représente, en fait, un événement scientifique et technique mondialement connu et largement diffusé par les médias, évoqué par les étudiants interrogés commeun rêve réalisé, le rêve de Jules Verne, le plus vieux rêve de l'Homme, une utopie devenue réalité.Cette opinion est très forte, et se rencontre dans 50%des textes traitant de l'alunissage.

Nous considérons qu'il s'agit là d'un imaginaire collectif d'événements non vécus par les répondants, mais objectivement évoqués car ayant eu une réalité à un moment donné. Ceci est à distinguer d'un imaginaire individuel mettant en jeu des événements ou des situations fictives possibles.

Dans cette seconde catégorie, nous rencontrons deux types de productions:

- des phrases ou des paragraphes évoquant des thèmes de science-fiction ou de fantastique, inclus dans un texte assez liéàla photo choisie.

- des récits formant des textes complets prenant des distances par rapport à la photo choisie.

3.3.1. Phrases et paragraphes. Un ensemble de citations traitent de prolongements possibles au voyage lunaire initial: la Lune est considérée comme unlieu touristique possible.On parle d'allersur la Lune en week-end; dans 20 ans, elle sera un lieu touristique, dans 40 ans, un parc d'attractions.

D'autres citations font appel au fantastique:ilest question d'extra-terrestres et des problèmes de communication qui seraient soulevés lors d'une éventuelle rencontre. Deux étudiants voient les éléments de circuits intégrés de la carte d'ordinateur comme uneréduction d'une ville futuriste, ou extra-te"estre, où chaque chose aurait sa place et où chacun aurait un rôleàjouer.

3.3.2. Textes. La plupart des textes "imaginaires" utilisent la photo choisie comme point de départ, et s'en écartent rapidement pour donner des récits très diversifiés. Nous avons relevé par exemple des textes sur:

- un voyage interplanétaire (photo de Saturne), - l'implantation d'une colonie sur Saturne (même photo), - la passion des autoradios(!) (photo de la carte d'ordinateur),

- un marché aux bébés (bébés-éprouvettes) ( photo des mobiles autoporteurs),

- les relations de l'infiniment grand et de l'infiniment petit ( photo de la chambreàbulles). Nous remarquons que les textes "imaginaires" sont tous choisis à partir des photos qui demandent une interprétation de la part du sujet; la photo de la Lune ne génère aucun de ces textes, son contenu étant bien connu et donnant lieuàpeu d'interprétation.

4. CONCLUSION

Les résultats de cette enquête sont très riches et ne sont pas encore tous exploités; les titres et les dessins restentà analyser.

La conclusion générale que nous pouvons tirer de cette première phase de l'étude tient dans le fait que les étudiants de 1989, que nous avons questionné, ont des vues très "raisonnables" sur les Sciences et les Techniques. Ils n'accordent plus aux Sciences de pouvoir explicatif absolu et considèrent que la solution des grands problèmes terrestres passera par d'autres voies: elle dépendra particulièrement de l'attitude des humains en général et pas seulement des scientifiques. Les techniques, même si elles sont en progrès et apportent un mieux-être et une facilité de vie sont génératrices de désordres, de pollutions, et doiventêtre utilisées avec beaucoup de prudence. Ces problèmes sont fréquemment soulevés et ne sont pas nouveaux: on peut, par exemple, en trouver une analyse dans un rapport de l'UNESCO(BAFZ,1977).

Le regard épistémologique porté sur les Sciences nous a paru nouveau. Son origine reste obscure car l'enseignement des Sciences demeure somme toute assez dogmatique. Peut-être faut-il rechercher les origines de cette opinionàl'extérieur de l'école.

Enfin, l'imaginaire, quandilest sollicité reste finalement assez "sage" : on trouve peu de textes prenant des distances par rapport au contenu des photos; l'humour est très rare et les fictions imaginées restent finalement confinées dans des limites sans surprise.

5, BIBLIOGRAPHIE

BAEZ (A. V.), 1977. - L'innovation dans l'enseignement des sciences. Synthèse mondiale. UNESCO, 15-35.

FLEMING (R.), 1988. - Undergraduate science students' views on the relationship between Science, Technology and Society. In Int. J. Sc. Educ., 10(4), 15-35.

HUSSON-CHARLET (J. C.), 1985. - Enquête sur l'image qu'ont les jeunes de la science, relations entre cette image et leur future profession. In Acres des 7èmes Journées Internationales sur L'Education Scientifique "Education Scientifique etformation professionnelle", Chamonix les 4,5 et 6 février 1985. Ed. A. Giordan et J.-L Martinand, U.F. de Didactique des Disciplines, Université Paris 7, 242-245.

SOFRES, 1989. - Les attitudes des Françaisàl'égard de la Science. Sondage réalisé par la SOFRES pourlecompte du Ministère de la Recherche et de la Technologie, du 30 janvier au 10 février 1989.