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Le thème de la guerre dans les romans d'Armand Lanoux.

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LE THÈME DE LA GUERRE DANS LES ROMANS D'ARMAND L~NOUX

" Le th~e de la guerre dans les romans d'Armand Lanoux

(2)

---·---~---·'-r-··-{I----.,\ ... '

LE THÈME DE LA. GUERRE DANS LES ROMANS D'ARMAND LANOUX

by

CALDWELL, Cynthea, B.A.

A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research MCGill Unive~sity,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language April 1967.

and Literature.

~ Cynthea Caldwell 1967

J

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TAlUrE DES MATIÈRES

Page INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 1

CHAPITRE l - La guerre concr~te et non-conc.r~te chez Armand

Lanoux . • • • • Q • • 16

CHAPITRE II - Les effets moraux de la guerre dans la trilogie 36

CHAPITRE III - Les effets des effets • • • • • • • • • • • •• 67

CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 86

APPENDICE A - Rencontres avec Armand Lanoux 107

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!!!~~~~f!!~! ~f~~~~!~l~~!

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-Il faut se résigner ~ ces trous dans les biographies individuelles, qui rendront difficiles les travaux ultérieurs des his-toriens sur ces temps troubles.

Armand Lanoux,

Le Rendez-vous de Bruges, p.SO.

Armand Lanoux est né le 24 octobre 1913 ~ Paris, ~ deux pas de la place de la Nation. La famill~ est de souche champenoise; elle n'a compté, jusqu'au lSe si~cle, que des ouvriers et des vignerons. Lanoux lui-même le proclame:

Aucune mésalliance. Les vignerons quent notre entrain, les ouvriers expli-quent notre courage. Pour peu que i'on ne l'écrase pas trop, le peuple fait des merveilles. Voyez le pape Urbain III,

fils du peuple et de la Champagne!lVoyez Jean Roncalli! Ce sont mes papes!

Les quatre grands-parents sont nés en Champagne: deux ~ Troyes, deux ~ Chateau-Thierry. Les deux grand'm~res, encore jeunes-filles, tentent l'aventure en allant travailler ~ New-York vers la fin du siècle.

1. "A~and Lanoux, prix Populiste, Interallié, Goncourt", La Libre Belgique, 16 avril 1965.

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-L'une se place dans un h8tel; l'autre, (l'Emilie, ~ qui Lanoux dédie son histoire, Amours 1900), sortant d'une famille d'ouvriers bonnetiers, fait fortune en fabriquant des corsets à la parisienne. Toutes les deux reviennent à Paris, se marient) et mettent au monde les parents de notre auteur.

A douze ans, le p~re d'Armand Lanoux vend des journaux à Château-Thierry. Lorsqu'il est mobilisé en aont 1914, sa femme et une grand' m~re s'installent à Chelles, au bord de la Marne. C'est là qu'Arnland Lanoux passera sa jeunesse. Il fera ses études au Cours Complémentaire

de la Place Henri IV. Dès l'~ge de treize ans, pendant des vacances à Saint Michel-Chef-Chef, station balnéaire de la Loire Atlantique, il commencera à peindre.

Lorsque son p't=re meurt en 1930, Armand Lanoux nia que 17 ans; il doit abandonner ses études pour se mettre au travail. D't=s lors, il est lIéconomiquement indépendant";2 il fait déjà preuve de cette ténacité qui

marque son caract't=re d'une mani't=re si frappante. Des métiers, dans lesquels il se trouve fort malheureux, se succ't=dent: alployé de banque, dessinateur de livres de luxe, instituteur, journaliste - jusqu'à ce que la guerre le prenne en 1939.

Jeune employé de banque, il se sent "exclu" de la culture dont il a tellement soif parce qu'il ne peut plus suivre des cours réguliers. Il est donc naturel qu'il devienne autodidacte.

2. Bio-bibliographie (voir Bibliographie)

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-Aujourdthui, un journaliste de La, Libre Belgique, dans un interview

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dont Annand Lanoux lui-m&te nous a fait tenir la coupure, écrit: J'ai senti chez lui la m&te fureur de

combler ses lacunes, de se'.l convaincre que malgré ses trous, une culture h la force

du poignet vaut celles que! distribuent les écoles, qu'il arrive même qu'elle les dépasse. 3

Il Y a chez Lanoux, malgré la fierté d'avoir "créé" sa propre cu1-ture, une petite honte de sa jeunesse. Il dit lui-même:

••• souvent encore, apr~s trente années, une rougeur d'amertume et de honte indé-finissable me monte au visage ~ ce

4 souve-nir. Le sentiment d'~tre exclu •••

S'il se consid~re un él~ve indirect d'Alain, c'est parce que son meilleur ami, inscrit au lycée Henri IV o~ Alain enseignait, lui parle

de ses cours, lui fait lire ses notes et lui fait connattre la pensée du "mattre". Il apprend ~ aimer 1 'honn~teté intellectuelle. Ainsi se fonne "la société secr~te des él~ves d'Alainlt

5

Ses études supérieures, il les poursuit dans les compartiments de troisi~e classe des trains de banlieue, les trains de l'aube, o~ en faisant le même trajet deux fois par jour, on peut étudier les voyageurs. Déj~ fils du peuple, il s'intéresse de plus en plus au peuple:

••• depuis le maçon qui sera sur le chantier au jour levé jusqu'~ la jolie vendeuse des

3. La Libre Belgique, ~. ~.

4. Annand Lanoux, ilLe Commandant Watrin", Les Annales, avril 1960. 5. Ibid.

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-Champs-Elysées, dont le magasin ouvre ~ dix heures et qui n'en a pas moins 6 son demi-tour du monde dans l'estomac.

Les protagonistes de ses romans appartiendront presque tous h ce milieu populaire.

Il accomplit son service militaire en 1933-34 et le termine comme sous-lieutenant de réserve. Il a da fai.re preuve d'excellentes qualités ulilitaires pour atteindre ce grade, parce qu'il était extr~ement

diffi-cile ~ l'époque pour un jeune homme sans baccalauréat de devenir officier. En effet, il avait été choisi parmi un grand nombre de candidats él~ves-officiers apr~s un peloton préparatoire de six mois. Apr~s six mois à

l'Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr, il fut p'romu sous-lieutenant. Rendu à la vie civile en 1935, il devient instituteur, suppléant et puis titulaire. Il essaie d'enseigner aux enfants les leçons de son ancien mattre, Jules Masson, "qui m'apprit à lire, à aimer le mot juste, à le mettre à sa place ... "7

Apr~s son incursion dans l'enseignement, il se fait journaliste, le métier "le plus farfelu et le plus impécunieux".8 En 1939 il est mobilisé comme sous-lieutenant. Jusqu'au mois d'avril 1940, son

batail-lon se trouve en avant de la ligne Maginot; vobatail-lontaire pour les Corps Francs, la conduite de Lanoux au feu lui vaut la Croix de Guerre avec

6. Armand Lanoux, "Naturalisme pas mort, lettre suit", Arts, 27 novembre 1963. 7. La Libre Belgique, ~. cit.

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deux citations. Le 11 juin 1940, les Allemands le font prisonnier

pr~s de Vouziers. Il passe les années 1940-42 au camp de Grossborn

(Poméranie), o~ il rédige des notes sur sa vie militaire vécue. Il médite, en somme, le roman d~ guerre qui va nattre de ses expériences. Le professeur Jean Ratinaud et quelques camarades reconstituent une véritable université, et le groupe d'officiers-prisonniers, obligé de

se fabriquer une vie artificielle, fait du thé~tre. Ainsi s'élabore Le Commandant Watrin, en grande partie (60%) autobiographique.

En 1942, Lanoux est rapatrié et se retrouve ~ Vichy comme réda.c-teur en chef au Bureau national de Presse. "Je m~ efforce de dégager ce qu'il y a de positif dans le redressement français",9 dit-il de cette époque. . En 1944, h la Libération, il est arr~té comme suspect parce que le Bureau national de Presse dépendait du gouvernement de Vichy. Accusé d'intelligence avec l'ennemi, interné pendant huit mois,

il sera acquitté l'année suivante ~ une époque o~ la répression anti-vichyssoise était encore très vive. (Evidemment, nous aimerions pou-voir comprendre la motivation de ces années. Il est difficile .de nous "résigner ~ ces trous dans les biographies individuelles".)

En 1943 avait paru son premier roman, un "policier" un peu diffé-rent de la norme, La "Canadienne" assassinée. (Il y a un petit détail emusant: cette canadienne n'était pas une dame mais un cano~ canadien

que l'on appelait alors en France, Lanoux dixit, une canadienne ••• )

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-En 1948 il est "lancé" par La Nef des fous qui remporte le "Prix du Roman Populiste". (Bien qu'il soit un prix de second plan, il est très

apprécié puisqu'il a couronné des écrivains de valeur comme Eugène Dabit, Henri Troyat, André Malraux, Emmanuel Roblès, Serge Groussard, etc •• ) A partir de cette date Lanoux ne cessera plus de publier régulièrement.

En 1949, il entre ~ la R.T.F.; depuis,il a donné plus de cent émissions de plus d'une heure - des évocations et des drames. Malgré son travail actuel ~ l'O.R.T.F., il continue ~ préférer la radio à la télévision à cause de la liberté que la radio laisse à l'auditeur de créer ses propres images au lieu de subir celles du petit écran.

Après une fo'rmation de hasard composée d'observations et de lec-tures dans les trains matinaux, de guerre et de captivité~ Armand Lanoux commence à connattre le succès. Comme conférencier, il voyage beaucoup - en France, en Angleterre, en Irlande, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc, en Tunisie, en Suisse aussi bien qu'en Russie; il se rend plusieurs fois ~ Moscou.

Les sujets de ses conférences sont très variés: "Panorama de l'humour français de 1900 à nos jours", "Télévision et Civilisation", "Un monstre sacré: Salvador Da li" , "La mort des hérosll (sur la notion

traditionnelle des héros), le "nouveau romanI!, et ses auteurs de prédi-lection, Zola et Maupassant.

Avant La Nef des fous, Lanoux avait publié en 1946 Les Feux du Biliton et Le Pont de la folie, et, en 1947, L'Affaire de l'Impasse Ronsin, tou-jours dans le genre policier. Après La Nef des fous) où paratt le thème

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\, J de l'effet moral de la guerre, vient La Classe du matin oh il évoque

ses expériences comme instituteur. Itinéraire Paris - Val de Loire, essai de tourisme, para~t en 1950 et reparattra, complété, en 1965, sous le titre Le Voyageur du Val de Loire. Cet ~ge trop tendre (1951) pose les probl~es de l'adolescent. En 1952 paratt Les Lézards dans l'horloge, situé dans l'ambiance du cinéma parisien, qui remporte le "Grand Prix du Roman" de la Société des Gens de Lettres. En 1954 Lanoux s'attaque ~ la biographie, avec toutes ses difficultés, dans Bonjour MOnsieur Zola; cet ouvrag~ traduit en une douzaine de langues, conna~t un grand succ~s de critique. La m~e année voit la parution de sa Physiologie de Paris, collection d'essais sur les quartiers com-posant sa ville natale. (Ce livre reparatt en 1966 sous le titre ~ en forme de coeur.) En 1956, c'est le premier roman de sa trilogie,

Le Commandant Watrin, qui remporte le "Prix Interallié". Ce grand livre est suivi, en 1957, de Yododo, recueil de nouvelles, et d'un essai, Paris - 1925. VünneŒen 1958 Le Rendez-vous de Bruges, le deuxi~e

1'0-man de sa trilogie, Margot l'Enragée, et, en 1959, A quoi jouent les enfants du bourreau 'l, retour au genre policier mais sur;: le ~ton' sar-castique. Amours 1900, essai d'histoire, paratt en 1961 et Quand la Mer se retire en 1963. Ce dernier roman, le troisi~e de la trilogie, remporte le "Prix Goncourt". En 1963, Lanoux reçoit le "Grand Prix Littéraire du Conseil Général de la Seine" pour l'ensemble de son oeuvre.

Armand Lanoux a aussi préfacé plusieurs ouvrages d'Emile Zola, ainsi qu'une vie de Salvador Dali, un ouvrage sur Julien Blanc et des

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-po~es de Genevi~ve Laporte. Un essai, Castellaras ou les Maisons du

bonheur, a paru en mai 1965.

Armand Lanoux est également po~te e.t a publié La Fille de mai en 1943, Colporteur. en 1953 ("Prix Apollinaire"), La Licorne joue de l'orgue dans le jardin en 1954, Le Photographe délirant en 1956, et en 1958 La Tulipe orageuse, recueil de tous ses po~es.

Pendant qu'il cherchait sa voie, Lanoux s'est partagé entre la littérature et la peinture. Jusqu'à l'~ge de trente ans, il a peint sérieus~lent, exposant au Salon d'Automne et h la Galerie Garmine; l'Etat lui a m~e acheté quelques toiles. Apr~s cette période, o~ il se trouvait trop dispersé entre deux formes ~'expression artistique, il s'est consacré enti~rement h la création littéraire; il ne cesse pas, cependant, de se passionner pour la peinture.

Son travail pour l'O.R.T.F. est un sous-produit de sa production littéraire. Pour la radio, Lanoux a composé L'Oiseleur et le fleuriste, comédie-ballet, Lucr~ce ou la Mandragore, comédie fantastique (1952), une adaptation de son roman La Nef des fous (1953), La Fille de Londres

(en collaboration avec Pierre MacOrlan en 1953), et L'AUberge de la Belle Etoile, pastorale moderne, aussi en 1953. En décembre 1964, il a présenté h la télévision une adaptation de son roman Le Commandant Watrin. Il vient de terminer une adaptation du Lys dans la vallée de Balzac pour la télévision française, et, pour la radio, avec Edith Lansac, une série d'entretiens sur son oeuvre.

Chevalier de la Légion d'honneur, Lanoux est actuellement officier

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dans le nouvel Ordre des Arts et Lettres, président des Ecrivains de Champagne, vice-président de la Société des Auteurs dramatiques et secrétaire général de l'Union radiophonique et télévisuelle interna-tionale dont le Canada fait. partie. Après avoir ét.é direc.teur des Oeuvres libres, i l anime aujourd'hui la revue ~ la Page.

Cette grande activité littéraire et radio-télévisuelle se pour-suit sans interruption; son rêve de bonheur est de "continuer".lO Aimant travailler le matin de 9 heures à 13 heures à plusieurs ouvrages à la fois, Lanoux prépare (selon n.os derniers renseignements au mois de juillet 1966) une biographie de Maupassant et une série de romans consacrée à la Commune de Paris. Ce projet lui est cher, parce qu'il est né au faubourg Saint-Antoine, "qui travaille le bois et la con~re et s' y en.tend mieux que personne h dépaver les rues ."11 Son oeil de peintre lui propose un essai sur les pays de l'Ile de France, qU'il

connatt à fond, et qui ont servi de cadres à la plupart de ses ouvrages. Le succès n'a pas changé Armand Lanoux dont la vie reste toujours simple. Il déteste la publicité "mondaine" et ne se livre qu'~ travers les protagonistes de ses romans. S'il doit parler de lui-même, il le fait sous le gentil titre qu'a employé André Maurois: "portrait d'u.n ami qui s'appelai t moi.. "12

10. "Questionnaire Marcel Proust", I"ivres .de France, mars 1957. 11. La Libre Belgique, ~. ili,.

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-Marié avec une arri~re petite-ni~ce de Tolstoi,Katia, il habite une jolie villa de Champs-sur-Marne, pr~s de Chelles où il a passé sa

jeunesse. La Marne n'a jrunais été loin de sa d~neure. P~re de deux fils, il réalise son idéal de bonheur terrestre lorsqu'il fait le métier qu'il aime (le sien) au bord de la Héditerranée - c'est au moins ce que nous apprend sa réponse au questionnaire Marcel Proust

et ce que nous avons vu nous-même au mois de juillet 1966 à St. Jean-Cap-Ferrat. (cf. Appendice A)

Pour le lecteur qui veut savoir quelque chose de la position idéologique d'Armand Lanoux, nous pouvons dire que du point de vue religieux, il

a

été catholique mais il a perdu la foi; du point de vue politique, il est farouch~ent anti-stalinien, mais il garde beaucoup de sympathie pour le communisme dans la mesure où celui-ci consent à

être un hwnanisme. Cela explique ses amitiés soviétiques, réservés aux écrivains les plus indépendants comme Ehrenbourg et '.I;~rdovski. Cela explique aussi qu'il soit un des présidents de l'Association France-U.R.S.S.

Nous nous trouvons donc en présence de beaucoup de qualités hu-maines qui vont influencer sa production littéraire. C'est un homme

de t~pérament sanguin, qui aime vivre, et qui ne veut que continuer;

un homme simple et modeste, qui aime la tolérance et qui déteste la haine et les tyrans; antimilitariste. bouleversé par la guerre; un homme dont la devise est Il faire face". 13

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-Voici comment un des journalistes de La Libre Belgique réagit devant la force de sa personnalité:

J'écouterais pendant des heures ce romancier qui fit son éducation sans livres et fabrique des livres, qui

vé-n~re la Révolution et prend feu devant

les ch~teaux, qui penche pour MOscou et ne jure que par la liberté, qui s'arrange de ses contrastes au lieu de les réduire. Un auteur 1 Non' pas. Un homme !14

Et Gabriel d' Aubar~d~ dit:

Ce gars massif et si calme, si visiblement mattre de lui •.• n'est-ce pas l'image de

l'équilibre que rien n'alt~re, ni les épreuves, ni les coups heureux du sort 115

Il est donc impossible de séparer l'écrivain de l'homme. Armand Lanoux, dont l'école a été la vie, se trouve h contre-courant de la

littérature intellectuelle de son époque - de la littérature des "gens qui ne pensent qu'avec leur t~te".16 Ceci explique sa position parti-culi~re et personnelle hl' égard du "nouveau roman". Il s'attache avant tout au contenu de ce nouveau roman. Il le refuse s'il lui paratt gratuit, (comme dans le cas de Robbe-Grillet). Il l'accepte et l'en-courage s'il lui paratt en prise directe sur les hommes d'aujourd'hui

(comme dans le cas de Michel Butor et de Claude Simon). En somme, il ne peut supporter que le nouveau roman soit un alibi au désengagement.

14. La Libre Belgique, ~. cit.

15. Gabriel d'Aubar~de, Les Nouvelles Littéraires, 23 avril 1959. 16. Bio-bibliographie, ~. cit.

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-Evidemment, si on l'appelle "naturaliste", il se défend vigou-reusement: on n'est pas peintre impressionniste au vingti~e si~cle; il. ne croit ni au roman expérimental ni ~ l'importance de l'hérédité. Il emploie les outils littéraires de son époque, le monologue inté-rieur et la psychanalyse. Mais il croit également à l'importance

des probl~es du monde extérieur; il fait des gens du peuple les

"héros" de ses romans. Il dit lui-m~me:

J'ai la faiblesse de penser que les soucis d'une femme en proie aux bu-reaux des allocations familiales, ou que l'angoisse que peut provoquer la vie dans une H.L.M. chez un garçon de quinze ans, sont des sujets plus inté-ressants que la plus parfaite coupe de conscience du cerveau le plus exquis. 17

Extrovert dans ses romans, Lanoux se montre introvert quand il écrit de la poésie. Selon lui, et c'est une vérité bien simple, la littérature ne dresse point Zola contre Proust; elle embrasse tous les deux. Lui, qui se trouve dans la tradition de Balzac et de Zola, déclare:

••• je me tiens ~ l'écart de la vie littéraire ••• mais puisque vous me de-mandez mon sentiment, il me semble que

si je mets l'honnne par-dessus tout, mes préférences iront ~ ceux que l'honnne in-téresse malgré tout, Butor ou Simon. Quant ~ Robbe-Grillet !18

17. Armand Lanoux, "Naturalisme pas mort, lettre suit", ~. cit. 18. La Libre Belgique, ~. cit.

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-Si l'oeuvre d'Armand Lanoux a une signification spéciale pour nous (il hait le mot "message" et se défend d'en avoir un), c'est en partie parce que toute son oeuvre est née de ses expériences person-nelles. "Je niai dlimagination que sur un support de réalité vécue. Je ne sais ml~me pas décrire un paysage sans y avoir longuement bai-gné" 19 , dit-il. Mais cette réalité doit être Il transposée" 20 ,"tirée

vers le mythe" 2l pour trouver sa place dans la littérature. "Cette fiction grossissante ~ la mani~re de Bosch a pour but dlatteindre une réalité seconde, plus vraie que le vraL,,22

Tous ses romans (sauf Quand la mer se retire) ont pour décors des paysages qu'il a bien connus et aimés: l'Ile de France où il demeure depuis quarante-cinq ans; le paysage catalan qu'il connait depuis vingt-cinq ans; les terres du Nord, dans la guerre et dans la paix; enfin, Paris où il est né.

Si les paysages changent, le probl~me cependant est le m~e:

celui de li adolescent, seul, qui doit milrir dans sa solitude (La Nef des fous~ La Classe du matin, Cet Age trop tendre), et celui de l'homme mGr de la trilogie, Margot l'Enragée. Le probl~e se pose toujours de la m~e façon. Llhomme souffre, il est perdu dans sa tra-gique condition, et seul, il doit consbnire le mieux possible sa vie.

19. Armand Lanoux, ilLe Commandant Watrin", ,9,E. •

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20. Armand Lanoux, La Nef des fous, Préface, p.IX 21. Ibid. 22. Ibid., ppIX-X ,/

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-Quant ~ l'homme qui a subi la guerre, son monde est toujours pareil

~ celui de Breughel.

Lanoux trouve que souvent les romans d'aujourd'hui détournent l'homme de l'essentiel, la réalité, de sa condition; il ne faut pas prendre de l!opitnn pour y échapper; il faut lIiaire face".

De notre auteur, Alexandre Arnoux écrit: ••• un de ces arbres honn~tes et

sains, pleins de s~ve, aux racines gourmandes de bon terroir, et qui gonflent et mod~lent bravement leurs fruits, ne les ménagent pas avarement. 23

*

';e Né en 1884, donc une trentaine d'années plus 1:l:gé que Lanoux,

Alexandre-Paul Arnoux est devenu l'un des "protecteurs!! de notre au-teur (avec Jules Romains, Roland Dorge1~s, André Maurois, Pierre Mac Orlan, André Billy, etc •• ). Les ressemblances entre Alexandre Arnoux et Lanoux sont frappantes. Tous deux sont des écrivains qui

s'intéressent ~ tout, qui ont tenté tous les genres. Particuli~rement, ils sont tous les deUJ~ marqués soit par la guerre 1914-18, soit par la guerre 1939-40. Alexandre Arnoux a trouvé la renommée avec un recueil de nouvelles de guerre, Le Cabaret, en 1919. Il a été élu membre de l'Académie Goncourt en 1947; il est donc probable qu'Armand Lanoux le sera.

23. Alexandre Arnoux, "Armand Lanoux", Livres de France, mars 1957.

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-Nous avons choisi d'étudier la trilogie d'Armand Lanoux, Margot l'Enragée, ~arce qu'elle est, sans doute, la partie la plus importante et la plus représentative d'une vaste production littéraire, digne d'~tre étudiée à part et dans son ensemble. Si nous nous limitons à une partie de l'oeuvre de Lanoux, c'est à cause de l'importance qu'il faut attacher au vingti~e siècle à l'expérience de la guerre et à ses effets.

Armand Lanoux a romancé ses propres expériences sur la guerre et rapporte ce qu'il a vécu, ce qu'il a vu, ce dont il a entendu parler. Ainsi il nous donne un témoignage direct - intéressant pour ceux qui ont passé par la guerre, important pour ceux qui n'ont pas subi direc-tement la guerre et ses effets.

Le titre de la trilogie, Margot l'Enragée.> SI inspire d'un tableau

de Breughel, la "Dulle Griet" (en flamand "Margot la folle"). Lanoux donc prend comme th~e de sa trilogie la force destructrice et le chaos qui entourent cette paysanne dans le tableau de Breughel.

Nous allons étudier dans le premier chapitre la guerre concrète vue par Armand Lanoux et sa représentation à la Breughel. Puis, dans le second, nous analyserons les effets moraux immédiats de cet enfer sur les personnages de Lanoux. Notre troisi~e chapitre étudiera les effets des effets; c'est-à-dire, les conséquences lointaines, celles qui se dégagent une quinzaine d'années après la fin de la gue"rre. En conclusion, nous essayerons de "placer" la trilogie d'Armand Lanoux dans "la littérature de guerre", née de la première Guerre mondiale et de la Guerre 1939-40.

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Nous avons déj~ cité dans l'Introduction l'affirmation d'Armand Lanoux: "Je n'ai d'imagination que sur un support de réalité vécue".l Pour tl~anslôrmer en romans cette "réalité vécue", Lanoux a utilisé un procédé personnel, la "breughélisation" du monde réel. "Cette fic-tion grossissante ~ la mani~re de Bosch a pour but d'atteindre une réalité seconde, plus vraie que le vrai"~ dit-il. Il nous reste ~ voir si cette mani~re de recréer la réalité de la guerre concr~te

est valable. Si elle réussit, quels sont les éléments du monde réel sur lequel est cons boit cet autre lnonde déformé ~ la Breughel ?

Pour Lanoux, la réalité de la guerre est bien simple: c'est un conflit essentiellement humain oh l'homme apparaît tel qu'il est au fond, sympathique ou antipathique, courageux ou l~che. Ce n'est pas un affrontement de techniques ou de masses mais une confrontation d'in-dividus aux prises avec le danger, la peur et la folie. Les soldats et les civils que le romancier a rencontrés pendant la guerre de 1939-40 sont recréés pour détruire le mythe de la "guerre glorieuse", pour en montrer son caract~re énigmatique.

1. Armand Lanoux, "Le Commandant Watrin", Les Annales, avril 1960. 2. Armand Lanoux, La Nef des fous, Préface, pp. IX-X

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-Le Commandant Watrin, le premier roman de la trilogie Margot l'Enragée, nous offre une belle fresque de la vie militaire en in-sistant sur les petits d~tails humains des personnages. Divisé en trois parties, "La Nuit de Volmerange", "La Nuit du Bois Joyeux" et fiLa Nuit de Tempelhof", ce livre semi-autobiographique recrée d'abord

la vie quotidienne des "derniers jours d'existence cohérente,,3 de l'attente avant une bataille, ensuite l'action qui am~ne ~ la défaite, enfin la vie dans un camp de prisonniers.

"La Nuit de Volmerange") description du bataillon qui s' installe paisiblement dans le village de Volmerange au mois de mai 1940, est

i' étude d'une vie inconnue ~ notre génération, d'une camaraderie vj.-rile qui est l'unique facteur positif d'une existence bouleversée. Les hommes de François Soubeyrac, sous-lieutenant de la Troisi~e Compagnie et protagoniste du roman, sont esquissés h grands traits.

Un lien étroit existe entre Soubeyrac et ses nz~bres". Nous le voyons, par exemple, dans le cas de Poivre, ordonnance dévoué de 80u-beyrac. Une anecdote, racontée par le sous-lieutenant, montre bien sa capacité de comprendre les autres. Quand des Chtimis rencon-trent des Méridionaux, Poivre, mineur du Nord, interroge un Catalan. Il faut l'intervention de Soubeyrac pour les faire s'entendre, c'est-h-dire pour traduire leurs accents.

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Un de mes gars aimable, Poivre, dit gentiment i1 un Catalan: "DIO~ t1ch'est qu't'es, ti 7" "Hé, qu'est-ceu que tu me raconn' teu 7" "Mi, j 1 to dis, d' o~

d'ch'est qu't~ 7" chante l'autre. "Oh! putaing, je neu comprin rien de rieng !,,4

Il Y a aussi le Poivre imperturbable qui fume tranquillemen.t sous le bombardement·: "Mi, j'attendos que ça passe, min lieut'nan.t.,,5 Et le Poivre qui poursuit un Allemand en hurlant conune un enfant : IIAttinds un peu, sale Chleu ! ... ,,6 et d'autres invectives de son erG. Il revient tout fier, apr~s avoir tué Ille Chleu". Quand nous apprenons la mort de l'ordonnance, nous sentons avec Soubeyrac le vide que va créer l'absence de ce "copaid'.

Les soldats n'ont pas toujours les m~es qualités que Poivre, mais leurs faiblesses font partie de la réalité de la guerre. Si Verlonune, le gars de la Sonune, feint de vouloir "dl1er", Soubeyrac, malgré son dégoGt, joue la comédie en faisant semblant de l'engueuler. c'est Soubeyrac qui doit faire passer le canal i1 ses "z~bres" quand le sous-officier, Boucheux, en devient incapable i1 cause de sa peur.

Le contrebandier, Mathias, se trouve aux c6tés du gabelou, Baudouin, tous deux liés dans une nouvelle solidarité humaine qui dépasse les limites de leur vie d'avant-guerre. Mathias, en dépit de son métier, où il a dU s'habituer au danger, subit les effets de la peur; il

gre-4. Armand Lanoux, Le Conunandant Watrin, p.41. 5. Ibid., p.U9.

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20

-lotte) le visage hagard, les yeux exorbités, mais il se reprend pour avancer et lancer de tout pr~s quelques grenades aux Allemands; il revient "suant, soufflant, rayonnant"7 d'orgueil. "J'avais peur de n'plus ~tre un homme, min lieutenant."S

Il Y a aussi les officiers qui nous sont présentés ~ la popote, le soir de l'arrivée ~ Volmerange: Vanhoenacker, le sous-lieutenant de

la Deuxi~ne Compagnie, auquel Soubeyrac dit ironiquement en entrant au

village: "Tu vois, Van', on est arrivé! On est en Allemagne! Folmerangue!" ~ le capitaine Bertuold "qui dénouait si souvent les situations difficiles par un geste

~

la fois élégant et fraternelll;lO l'adjudant - médecin Durroux avec son humour brutal et ironique; Pauphilet, cultivateur de blé et de betteraves, qui, malgré des idées simples, est d'une finesse personnelle extr~rdinaire. Ce dernier est lié à Soubeyrac par une estime mutuelle cachée souvent par un jeu de mots tr~s facile: "On aura ta peau •.• filet" 11 lui lance Soubeyrac; Pauphilet répond toujours: "la graisse. ]~as la peau". 12 Un détail émouvant nous a frappé: l'accent du Nord de l'officier paysan qui revient sous l'émotion, d~s qu'il parle de son foyer.

"Mi,

j'me demando 0\\ d'ch'est qu'elle est, euml

femme ,,,13

7. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, p.124. 8. Ibid. 9. Ibid., p.12. 10. Ibid., p.30. 11. Ibid., p.36. 12. Ibid. 13. Ibid., p.l03.

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L'ambiance de la popote, avec ses histoires rabelaisiennes, ses

IIp l a isanteries épaisses" 14 , ses jugements ironiques, traduit la

cha-leur htnnaine des soldats. Après la fatigue de la route, il y a un bien-(kre chez les officiers et chez les soldats, le sentiment que tout est en ordre. Les soldats cherchent ~ dOL~ir en d6nandant l'au-torisation de coucher dans un lit, ils préparent des bift~ques et des frites; les officiers prennent leur apéritif. La vie semble pai-sible et bien réglée.

Cependant, ce n'est qu'une illusion que Lanoux crée habilement en faisant ressortir les petits détails de la vie quotidienne.

Derri~re l'amitié virile se cache un autre monde ~ la Breughel, basé sur cette vie 'réelle. Le monde "breughélisé" est encore plus frap-pant ~ cause de son contraste avec l'univers "réel" du soldat.

Dans Le Rendez-vous de Bruges, nous trouvons t.r~s peu de conunen-taires sur la guerre concr~te; ce roman, le deuxi~me de la trilogie, se consacre p1ut8t ~ l'étude du souvenir lointain de l'expérience de 1939-40, de la déformation de la réalité qu'apportent la mémoire faus-sée par le temps et les idées préconçues. Il y a, pourtant, un inci-dent de la guerre du protagon:i.ste, Robert Drouin, qui nous est raconté directement. C'est celui d'une nuit aux avant-postes dans le nord de la France en décembre 1939, transposé avec le m~me mélange de

(25)

22

-ristiques concr~tes et de caractéristiques "breughéliennes".

Dans une cinquantaine de pages, Lanoux raconte un. moment dans l'expérience militaire de Robert Drouin. Donc, il continue ~ pré-senter ce que nous avons déjà remarqué dans Le Commandant Watrin, c'est-à-dire la réalité de la vie militaire sur laquelle se basent d'autres expériences "breughéliennes".

Deux officiers, Robert Drouin, un sous-lieutenant réserviste (analogue à François Soubeyrac) et Charlie, un instituteur du Nord, sont sortis de leur point d'appui dans le village de Haguelin le -Haut. La reconnaissance montre tr~s bien l'aspect irréel de cette "drale de guerrell qui ressemble plutat à un exer.cice d'école militaire;

ce sont deux jeunes hommes jouant à la guerre.

Ils prenaient certes leurs précautions, mais distraitement, dans une moyenne

entre la sév~re gymnastique des hommes sous le feu et la nonchalance des exer-cices de combat du temps de paix. Cette attitude, mi-prudente mi-désinvolte, ca-ractérisait le style indécis de cette guerre - Ul.. 15

A la popote, nous trouvons une ambiance semblable ~ celle du Commandant Watrin. (Nous commençons, donc, à nous rendre compte du talent de Lanoux qui transpose si bien cette réalité virile;,) Du

groupe sympathique des officiers ressort le personnage de Blaud de Rénie, dont "l' ennui é1égantll16 , l'élégance et la préciosité font un type inou-bliable. Rase-Mottes aussi, derri?!re lequel se cache le myst~re de la

15. Armand Lanoux, Le Rendez-vous de Bruges, p.253. 16. Ibid., p.266.

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guerre de Robert Drouin, est personnifié de quelques traits de carac-t~re, bien choisis qui donnent l'illusion de la réalité.

La chaleur humaine de leur réveillon de No~l un peu insolite est composée de bonhomie et du bien-~tre, relatif des officiers, satis-faits de se trouver ensemble ~ ce moment. La préparation des détails de l'opération Melchior prend une forme théorique parce qu'ils doi-vent se tenir "en état d'alerte pieuse,,;17 pourtant ils ne sont pas

g~nés de cette qualité indécise de leur vie. "Une heure plus tard, l'opération Melchior était préparée et les officiers p'renaient pour la troisi~e fois l'apéritif ~ la santé des marraines.,,18 Le repas, toujours dans la m~e ambiance, ,: , succ~de aux apéritifs.

Le beaujolais coulait dru. Les plai-santeries montaient, sur les th~es

particuliers ~ ce petit groupe d'hommes, l'anticléricalisme de Calais, le z~le catholique néophyte de Charlie, sans compter les travers des supérieurs. Au poulet, on enchatna sur le P~re No\H)9

Une chanson, Les Roses de Picar.die, qui évoque le passé et. tout ce qui manque au présent, est analogue ~ la chanson Au pays des fandangos et des mantilles dans Le Commandant Watrin, qui fait ressor-tir la nostalgie du Midi de François Soubeyrac.

Ce sentiment de bien-~tre - llhonune ~ l'abri des forces de des-truction - est rompu ~ la nouvelle que l'opération Melchior conunence.

17. Armand Lanoux, Le Rendez-vous de Bruges, p.26l. 18. Ibid.

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24

-Nous passons, alors, dans un monde ~ la Breughel; l'i.ncident de la Nuit de la Sombre Vache sera un des exemples les plus frappants de la "breughé1isation" de la réalité.

Dans le troisi~e roman de la trilogie, Quaud la mer se retire, nous trouvons que le monde réel se réduit simplement. ~ une chose -à l'amitié entre les deux Canadiens français, Abel et son lIcopain", Jacques. Nous voyons agir les jeunes soldats dans une suite d'évé-nements de plus en plus breughéliens ju.squ'au moment où l'a.uteur croit atteindre un de ses buts, la "déglorification" de Jacques. Autrement dit, llhumanisation progressive de Jacques sert ~ détruire le mythe de l'héros cré~ par son aneienne fiancée, Valérie. Naturellement, cette légende ne correspond pas ~ la réalité.

Nous apercevons, donc, un rétrécissement du monde réel dans

Quand la mer se retire, un roman plus stylisé que Le Commandant Watrin, et où les effets sont plus voulus. Armand Lanoux a passé, donc, d'une vision équilibrée de la guerre, divisée entre la transposition de la réalité de la vie militaire et la stylisation de certains incidents, ~ la création d'un monde tout ~ fait breughélien.

A l'image conventionnelle et banale de la guerre où tous les

801-dats sont des hérqs, où tous sont forts et courageux, où des surhommes se battent pour l'idéal de la liberté, Armand Lanoux en oppose \lne autre où llguerre" et "foliell sont synonymes. La paysanne de Breughel le Vieux, la Il folie guerri~re", (Ilcette grande carcasse déchiquetée

(28)

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qUI. semal.t a mort est ,a personnl. l.catl.on e a url.e atroce de la destruction; elle symho1ise pour Lanoux l'aspect effrayant de son enfer, qui le hante depuis vingt-cinq ans.

Sur une toile de fond, la réalité des rapports humains, se dé-tachent des éléments breughéliens qui caractérisent cette trilogie. Le monde extérieur est déformé, la nature devient complice des forces

de destruction; l'action des soldats prend un aspect bouffon ou ab-surde. Donc, un nouveau monde br.eughélien est créé ~ côté de la réalité humaine.

Des situations humaines, ~ mesure qu'elles sont IIbreughéliséeslf~ deviennent progressivement bouffonnes, absurdes et grotesques.

"Il Y eut quelques claquements du métal frappé en plein fouet. Les deux hommes nus escaladèrent la berge et se jet~rent dans le fossé."

li Merde , y a des orties, Il dit Poivre. 2.1

Guerre cent. fois fol1e~ Sans c.ompter le comique de l'homme qui cherche les bois le jour pour ses besoins naturels, et les fuit: la nuit!22

Un des épisodes les plus bouffons> mais en ntàne temps un des plus grotesques, est celui de la Sombre-Vache dans Le Rendez-vous de ,Bruges. La vache meugle chaque nuit et sa plainte qu.i vient des

té-20. Armand Lanoux, Quand la mer se retire, p.265. 21. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, p.114. 22. Ibid., p.161.

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c.

26

-quelque chose de mystérieux, d'in-diciblement détestable, jouant sur les nerfs fatigués des guetteurs connue un concentré des maléfices de la nuit en guerre. 23

Les Français ne sont pas sQrs de la réalité concr~te de l'animal parce que les patrouilles des deux eStés emploient souvent des cris d'animaùxpour transmettre des messages. Ainsi le mugissement prend un aspect encore plus mystérieux. Un des officiers attire "la vache" vers le groupe d' hommes en meuglant lui-m~e.

C'était un ahurissant duo, où l'on ne reconnaissait l'officier de l'ani-mal probable que par la proximité de

la voix, un duo d'une bouffonnerie unique ••• Le rire sécha dans la gorge de Robert, laissant place ~ une certaine forme de peur superstitieuse. 24

De l'ombre sur.git une forme "cornue et quadrupédique,,;25 le myst~re

SI éclaircit.

C'était une énorme blague en marge de la guerre, une p'antomime improvisée,

ane clownerie~ante, une de ces farces

démesurées, de ces improvisations shakespeariennes dU. hasard, d'autant plûs' cond.quesqu' elles sont étroitement

contenu(7$ par un danger réel, qui devien-nent plus tard dans le souvenir de ceux qui y ont participé, un homérique épisode du carnaval de la guerre. 26 . .

23. Armand Lanoux, Le .Rendez-vous de. Bruges, p.270. 24,' Ibid., pp.272-273. i

25.

IbId'.,

p.273. 26. Ibid.

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Nous avons ici, alors, un exemple d'une situation grotesque à la Breughel, composée du mélange d'éléments insolites, dont les

carac-téristiques exceptionnelles s'accentuent dans la nuit pour donner nais-sance au ridicule.

Dans Quand la mer se retire, il y a une scène en plein jour, à la fois bouffonne et grotesque; des jeunes soldats canadiens font pri-sonnier un groupe d'Allemands. I.e bouffon ressort de l'analogie con-tinuel1e de l'homme et d'un oiseau; l'absurde vient du fait que la situation est tout à fait insolite.

DI autres Allemands en vareuse, mains nues, débraillés, émergent du trou d'homme, pro-cessionnaires, levant les bras au ciel.

Jacques danse comme un Sioux en chantant sauvagement ••• Le Blessé, di-gne, tient sur une seule jambe, co~ne

une cigogne. 27

Après cette comparaison, l'absurde entre au moment où les prisonniers cherchent la sécurité de rester avec les vainqueurs. La liberté ne leur est plus importante.

Abel, consterné, recollnatt ses ouailles ! ...

On dirait qu'ils [les prisonniers] retrou-vent leur mère ••• Ils parlent tous à la fois. Visiblement, ils essaient de convaincre les

deux Canadiens de ne plus les abandonner. Alors, les lois de la guerre? Aucun usage, ces vainqueurs !28

Les Canadiens veulent chasser les prison.niers, mais il est presque

27. Armand Lanoux, Quand la mer se retire, p.103. 28. Ibid., p.116.

(31)

- 28 •.

impossible de s'en débarrasser.

Les Allemands ne bougent pas. Ils ne comprennent rien ~ la rogne sou-daine du vainqueur. Abel braque vers eux sa carabine, retombe, le nez sur le sol, recommence. On dirait un fer-mier qui chasse la volaille de sa

cuisi-ne!29

Chez un fennier où les deux Canadiens se sont refugiés, un Allemand paraît, ses lunettes de fer brillant dans l'obscurité de

l'autre côté de la fen~tre. La fenni"ère reste étonnée devant le spectacle des Canadiens IIqui chassent les Allemands en leur lanç.ant

des morceaux de plâtre!1I30

A. côté de la bouffonnerie des situations, il y a une nature hallucinante. Les peupliers qui longent le canal sont "des que-nouilles gigantesques",31 le sol de la rive est "spongieux",32 et

dal1s un silence irréel, "le léger glouglou" 33 du barrage de Sau1t-les-Rethel se fait entendre. LI eau, autrefois symbôle de llinnocence et de toutes les fontaines murmurantes du Midi, est "glauque, limo-neuse, végétalell34 • Le soleil est "une esp"èce de fromage lumineux". 35

Les brlmes qui cachent tout comblent l'horreur de la nature

anta-29. Armand Lanoux, Quand la mer se retire, p.lll. 30. Ibid., p.119.

31. Ârmand Lanoux~ Le Commandant Watrin, p.104. 32. Ibid., p.112.

33. Ibid., p.11l. 34. Ibid., p.114. 35. Ibid., p.129.

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goniste parce qu'elles empikhent un jeune soldat de voir à deux pas devant lui. Il a le sentiment que le monde se resserre.

Tout le terrain Si emplit d'une brume qui

épaississait de minute en minute, d'un bleu indécis, une brume qui se

resser-rait sur François Soubeyrac. Il deve-nait sourd. Il se demanda aussi s'il devenait aveugle. Il essaya de voir autour de lui, à ras de sol: l'univers s'était rétréci à un étroit espace her-beux, plein de fausse avoine, de tr~fle

et de boutons d'or. 36

L'effet psychologique de cette brume, qui dissimule le hideux pour le. dévoiler à l'improviste, est évident.

Par endroits, il [Soubeyrac] voyait à

quatre ou cinq mètres devant lui, dans cet univers liquéfié, mais à d'autres moments, il plongeait dans un lait si épais qu'il ne distinguait plus son pied et une angoisse le saisissait à

la gorge, comme si chaque pas allait le précipiter dans un abtme. 37

L'effet était comparable à celui des mines allti-personnelles, bien camouflées qui attaquent "lâchement" 38 le soldat juste au moment où il ne s' y attend pas. Le brouillard faj.t ressortir aussi le mystérieux et le diabolique. Des choses connues, normales même en plein jour, de-viennent menaçantes dans l'obscurité.

Il [Soubeyrac] écarquillait les paupi~res

pour. percer les ténèbres. Ils [les guetteurs]

36. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, p.116. 37. Ibid., pp.l26-127.

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-arriv~rent jusqu'~ l'orée du Bois joyeux. Tout dansait devant eux, len-tement. Les bosquets avançaient et reculaient sur le fond indistinct de la plaine. On entendit des voix gut-turales. Il y eut deux ululements de chouette et ce fut un silence menaçant. De droite ~ gauche une ombre fila, ?l

dix pas peut-~tre.39

" .•. il fallait les retenir de tirer sur ce qui ils voyaient bouger, car tout bougeait." 40

Une forme, ~ premi~re vue un char, n'est qu'une pauvre vache qui meugle plaintivement:

Dans la brume, une forme fonçait sur eux, monstrueuse, mal découpée, archa~que, aux mouvements cassés ••• Le char se dé-plaçait latéralement. En crabe. A de-venir fou. Puis il y eut un meuglement déchirant ••• 41

L' hor.reur des choses mécaniques se joint à la nature monstrueuse pour créer un ensemble breughélien; la confusion matérielle de la vie quotidienne bouleversée suit le renversement de l'ordre naturel.

Sur la route, il y avait une charrette à cul, des édredons, un tracteur avec ses énormes pneus et par-dessus, une machine

~ coudre Singer, insolite dans sa forme archa~que, et un mannequin de couturi~re dressé sur le tout, par dérision.l~2

Cet enfer breughé1ien saute, se déchire, tombe en mille morceaux

39. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, p.161. 40. Ibid., p.176.

41. Ibid., p.128. 42. Ibid., p.129.

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31

-pour se reconstruire dans un monde plus horrible encore que le dernier.

Et encore:

• •• il [Soubeyrac] s'aplatissait sur le sol, rebondissait et roulait dans le fossé. L'horizon venait de se dé-chirer. Les éclats d'obus sifflaient en tous sens. Un typhon de feraille éclatait sans que rien l'ait laissé prévoir. Des bruits délirants tom-baient du ciel, des ouragans de mena-ces géantes, interminables vrombisse-ments de sir~nes monstr.es doublés de bruits de moteur.s. 43

La terre tremblait, à chaque coup rap-proché, tremblait à s'éventrer, et le ciel tremblait inversement, par ondes contrariées •• ~4

Les chars, les obus, les fusils-mitrailleurs, les avions qui crachent la mort, tout se confond comme dans le dernier mouvement d'une sym-phonie.

Certes, le rideau d'obus venait de se lever et de le reporter à l'arri~re, mais le vacarme avait repris sous une autre forme, plus rageuse, plus humaine. Les mitrailleuses lourdes et lég~res alle-mandes crachaient sans interruption et

une douzaine de fusils mitrailleurs leur' répondaient. 45

Il est intéressant de noter que l'auteur ne décrit pas uniquement l'ho~~eur de la bataille dans les tén~bres, brumes, fumée ou

crépus-43. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, pp.llS-ll6. 44. Ibid., p.1l7.

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-cule quI ils soient. Pendant la derni~re bataille du Connnandant Watrin et dans Quand la mer se retire, les horreurs de la guerre se déroulent en plein jour, Otl la lumière vive ne cache rien de la scène macabre.

Sur mer ou sur te.:re, c'est un monde tout en flammes. Voici la scène

au moml~nt du débarquement des alliés en Nonnandie en juin 1944:

••• derrière, s'étend une mer cravachée de blanc, couverte des mi.Lliers d'écailles des embarcations hétéroclites, dragon innnense crachant du feu, des chars et des hommes. 46

Cette fois-ci., un char ressemble 'à une bête énonne, à une ba-1eine:

Un char à jupes pondu par un transport, bête fabuleuse, montée sur une ridicule robe de caoutchouc, glisse maladroite-ment sur l'eau glaireuse

4

un homme dans

la tourelle, à mi-corps. 7

On rencontre la mort, plus horrible que jamais, dans cette eau pourrie, oh nagent des crevettes.

Nez au sol, menton dans le sable, Abel saisit rageusement un petit crustacé translucide, crevette de terre, qui saute de ses doigts serrés. C'est plus horrible que les balles, cette pourriture avide! ... Au pied du

ma-drier, dans une cuvette, des crevettes nagent ••• Au-dessus, les nappes de balles. Devant les mines, les chevaux de prise, les barbelés! Derrière, les rouleaux s'écrasant en tonnerre, la mer qui n'a pas rendu Jacques • ••• Un paquet

46. Annand Lanoux, Quand la mer se retire, p.85.

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gluant colle à sa jambe. Il l'écarte du talon ••• Les vagues. Leur écrase-ment. Le paquet mou. Il le repousse, se retourne et voit un noyé sans casque, d'un roux flambant, une poche gonflée, luisante entre les épaules. 48

Le bombardement d'un village inconnu, village devant lequel Jacques est mort, après une agonie atroce, suit le débarquement:

C'était l'enfer. Il venait de décrire l'enfer ••• ce marécage entre eux et le village, ce marais putride, provoqué par les inondations allemandes, et le reflet du clocher dans l'eau mercurielle, et les corbeaux que les moteurs ne réus-sissaient plus à effrayer. 49

Le copain d'Abel, Jacques, meurt ici, écrasé par un camion, ensuite poussé au fond de la boue par le char qui vient aider le camion.

Les convois écrasaient les cadavres. Un brouillard épais. Partout, des flammes

jaunes, vertes, bleues, une fumée noire, les chevaux pourris dont les omoplates d'un jaune savonneux jaillissaient les du pelage crevé. Partout, les mouches saoules. 50

Il n'est pas surprenant que ce monde breughélien crée une am-biance où les soldats subissent trop facilement un sentiment d'hor-reur extrême, une hord'hor-reur psychologique encore plus terrifiante parce qu'elle est née lentement. Dans ce monde ténébreux où tout bouge, où

48. Armand Lanoux, Quand la mer se retire, p.76. 49. Ibic!., p.56.

50. Ibid., p.263

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-rien n'est familier, où la nature même devient ennemie, la raison vacille. Ce qu'on peut bien supporter dans un monde plus équilibré devient écoeurant, épouvantable.

Abel, qui aide un blessé, perd tout ~ coup sa lucidité. Il se sentait devenir livide. Ma~lier

était mort, mort sur lui Il faillit crier et rejeter Magnier loin, en hur-lant comme un chien. 51

Il en résulte que la peur démesurée peut produire une sc~ne

semblable, bouffonne mais en même temps caractéristique de l'état d1esprit des soldats •

••• une de ses sentinelles qui dormait debout, le deuxième jour, avait mi-traillé la lune qui se levait. Une patrouille allemande en maraude avait répondu ~ ce corniaud. La peur allu-mant la peur, un sous-officier énervé

s'était cru ~ son tour attaqué et avait déc1anché le tir d'arrêt. Les Allemands avaient risposté et tout le front de la division s'était embrasé :52

Sous l'influence de la nature maléfique, ce qui est ordinaire devient exceptionnel; les hommes ne voient plus clair.

Nous sentons toute l'horreur du combat, du monde déraisonnable, dans le passage suivant:

••• i1 se souviendxait toujours de ce qui suivit comme de la traversée mau-dite d'un univers où le temps et

l'es-51. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, pp.127-128. 52. Armand Lanoux, Le Rendez-vous de Bruges, p.269.

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pace ne répondaient plus ~ ses 53 habitudes, l'univers du cauchemar •••

Bref, nous voyons cet "univers du cauchemar", composé d'éléments breughéliens, c8toyant la vie réelle des soldats. La transposition de ce monde concret correspond ~ l'intérêt que porte Lanoux au monde actuel où vivent les hommes; la création d'un univers ~ la Breughel suit la méthode de Lanoux qui crée dans ses romans "une réalité se-conde, plus vraie que le vrai·.-" Cette combinaison du réel et du fantastique, parmi les points intéressants de l'oeuvre, caractérise la lnani~re d'écrire de Lanoux.

Apr~s avoir étudié les aspects concrets de la guerre d'Armand Lanoux, nous pouvons considérer les effets moraux de cette expérience: d'abord ceux qui touchent les soldats au moment même du combat, ensuite ceux qui font qu'un homme comme Armand Lanoux est encore hanté par la guerre vingt ans apr~s sa conclusi.on. Comment se fait-il qu'il puisse écrire) en février 1965: "Alliés et ennemis du même age, nous sommes réduits au dénominateur connnun: nous avons la guerre." 54 Nous allons essayer de comprendre ce phénom~ne.

53. Armand Lanoux, Le Commandant Watrin, p.l26.

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Comment réagissent les hommes devant cette lIdrôlc de guerre" '?

Quels effets ont la désorganisation, la mis~re et: la folie de la peur. ? - et ensuite la captivité? Ce 'n'est quI un court moment de 1.1 e::dstence. mais il 'la influencer les a.nciens combattants pendant toute leur vie.

Pour la plupart des soldats, c' est le moment d.e leu'!' j canesse perdue, de leurs études perdues, de leurs amours pl~rdus. Ils entrent en guerre encore adolescents Olt jeunes hommes peu formés; ils en sortent

mUrs, mais aussi cyniques et dur.cis; ils 'ne pourront jamais oublier ce qu'ils Oll,t vécu. l,a cause de cette métamorphose si r.apide devient

le grand mys t'ère de leur vie, l' e:tpérienc e qui. l:es te incol1mlunicab le. Si la guerre forme des hommes, elle 1.e, fait au détriment de la. jeunesse. IIA11iés et ennemis du même âge, nous sommes réduits au dénominateur commun: nous avons la guerre. lIl Ces " s inistrés dJt.m Hiroshima moralu2 ne guét'iront plus.

Armand Lanoux met l'ace,ent sur le mythe qui cache la réalité pendant et sHrtout après la guerre. Cl est un mythe qui t'cansforme en

1. Armand Lanoux, La Nef des fous, Préface, p.XX. 2. Ibid.) p. XIX.

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-héros des hommes or.dinaires (ou m~me faibles: comme Van Helde dans Ll'~ Rendez-vous de Bruges) et qui c.ha11.ge une mort affreuse en mort: glo-rieuse. (comme celle de Jacques dans gy'und la mel: sc Jetire) • Nous

étudic~'rot1s dans le t:roisi6ilc chapitre ce mythe créé par le: temps ~

mais déjà nous pouvons 17cJ.e'v-er les premiers éléments de deux épisod.es

dont. le passage du temps fausse le sens.

I.e lecteur découvre peu à peu que les protagonistes de ces drames n'ont point été des "héros" comme le voudrait 1.1 h.isto:i.re.

Ils ont été de simples soldats, pas du toul: plus cou:r.ageux que les autl:~S; cependant, leH c:i.rconstanc('=s d'un moment de leur m-dstence les ont rendus IIhéros" dans le monde. Par conséquent, il devient de plus en plus difficile de découvr:i.r la vérité de leurs actions.

Les Ithé r(.) Sil ne sont que les soldat.s qui réussissent à dominer la

peur ~ un moment donné; les autres sont vaincus par la peur. Van Welde) dans Le Rendez-vous de Bruges., nous est donné comme exempl(~ de la dé-fouuation de l'homme en héros. Van. ~velde est pl:ésenté a.insi:

••• un type court, trapu, rouquin, aux jambes éCU1:tées et incurvées, un gaillart fUté, au visage. mobile, flairant le vent et les

prunelles perpétuellement agitées. 3

lin, y avait (:!n lui. quelque ehose de grotesque, mais qui :i.nvitait. au

t~

malatse pIntât qui au rl.l:.'c." Van Helde part avec le bataillon la nutt

3. Armand Lanotm:, I.e Rende~ -vous de Bruges, p. 257. Lh Ibid., p.260.

(42)

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de la Sombre Vache, il rencontre par hasard un Allemand seul que l'on

pourrait facilement faire prisonnier, i.l le tue Ulchernent en vidant

tout son chargeur parce que sa peur le rend i.ncapable de slarr~ter. Cet homme est décoré comme le premier du bataillon à tuer un soldat

fmnemL Il devien.t ai.nsi "héros". Voici. sa citation: Il Y était question de "br.ave soldat",

de IIsang froidI!, de "volontaire pour

toutes les missions périlleuse~' et de

"courage exemplaire à l'ennemill •5

Un héros? un l.nche, plutôt. C1est: le comble de J.'absurd:i.té) mais c1est. aussi la réalité de la guerre. Elle arrache à Lanoux ee er:i. de révolte:

Jusqu'il quand les assassins joyeux pOUl.' de

toujours justes guerres finissant eu larves dans les asiles d'aliénés, des Van Welde.

étern<:>llement cocus par les IIIllglais" - Ol1

les internes:" éternellement assassi.ns, éternellement héros, jusqu' ~ ce que la moisissure huma~ne ai.t disparu de la

sur-face du globe !

Le mythe de la mort, aussi, est détruit par Lanoux. J.1~me sI les

soldats 118 sont pas l@:ches, même s'ils ne sont pas vaincus

compl~te-ment par la peur, ils ne meUl'eut pas comme l'imagi.ne une "}Ira .. Miniver" avec du: "beau sang rougell

ï ou d'une"balle en plein front". 8 C' E1St une mort affreuse, comme c€:lle de l'Allemand que voici:

5. Armand Lanoux) Le Rendez -vous de Bruges) p. 281. 6. Ibid., p.284.

7. Annand l,anaux, Quand la mer se retire, p.243.

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- lj,Q

-Le type court. -Le jet de flammes le suit comme le projecteur les burlesques du music-hall, pui.s l'abandonne au bout d'une dizaine de m~tres, se reportant vers la casemat.e silencieuse.· L'homme court latéralement par rapport aux Canadiens qui ne pensent même pas à

tirer.. Les jambes tricotent, les bras

SI agitent. Une flamme de punch qui

monterait d'un homme qui court, qui eourt:, qui court, court encore, se

ré-duit, court, devient petit, goudronneux, court vingt-cinq mètres, trente mètres, et court en.core et se défonne, se mor.-c~le, se divise, grésille et s'écroule cnfin, surmontée d'une écoeurante flam-mèche jaune ••. Où s'est abattu l'Alle-mand, il n'y a plus qu'un buisson fumant.9

La mort de Jacques est aussi horrible. Adolescent qui devient homme ~ cause des circonstances, Jacques sera toujom:s un héros à eause de sa fin. Nais en vérité, sa mort n'est qu'un des faits insignifiants mais grotesques de l'enfer créé par la. guerre. Jacques n'est m~me pas

blessé par. un fusil ennemi.; c'est: un bu.lldozer de sa propre armée qui

\'

l'écrase

.•• "Sophiell

, plus enfoncé dans la gadoue

à 3.' arri~re ••. Le tronc émerge de la boue. Jacques est livide .•. Le ronflement des moteurs devient :l.nsupportable. Une se-conde fusée fleurit au-dessus des pommiers. Le bull-dozer grince, pousse, défonce, broie. Le camion résiste de tout SOl1 poids, vacU.le

étrangement) se rel~ve lentement, se dresse, gigantesque comme les éléphants des cirques lorsqu'ils agitent vers les cintres leurs pattes de devant. Les convoyeurs, armés de barr.es à mines, ahanent fiévreusement, appu-yant la prise du bull-dozer. Ils sont vingt: h rejeter dans la mort le private Jacques Lafl eU1:. • • En marche a.rrière, le bull-dozer

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repart vers le bourg. Les moteurs ronflent avec allégresse et le suivent, mufle à mufle, comme s'ils le

repous-saient, impatients.lO

Vo:i.ci la réalité de la guer.re, non point le mythe qui en c.ache en partie l'horreur.. C'est une réalité absurde, du commenc.ement -où on nI est pas trop sÛr de ce qu'on fait ou de pourquoi on :a.git

ainsi - jusqu'~ la fin - la mor.t grotesque. Rien n'est précis, rien n1est distinct dans ce brouillard lacté qui eache 113 pourquoi des choses et fausse le bon sens; le héros n'est point un héros et la mort vient d'une mani.~re sournoise et epouvantable. C'est le r.ègne

de Hargot la Folle.

Pour étudier le premier effet moral de la guerre. sur les per-sonnages de Lanoux (et non point le deuxi~me temps de son effet, une quinzaine d' annees apr~s), nous pouvons considél"er. surtout Le Commandant Watrin. (Le.s deux. autres romans de la trilogie, Le Rendez-vous de

Bruges et Qu~.nd la mer se 'retire) fournissent plutôt des exemples des

lIe ffets des effets".) Le Commandant Watrin raconte trois épisodes

ca-pitaux dans la guerre du lieutenant François Soubeyrac) épisodes qui le rendent mûr, refléchi et responsable. Nais quoiqu1il mette l'accent sur l'histoire. individuelle d'un. officier ~ le roman etudie aussi les

effets de la guerre sur la troupe: les effets de la. peur, de l'action insolite et de la mort"

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-Dans "1a folie de la peurll

sous les premiers bombardements, les honunes réagissent chacun d'une manière différente. Fr.ançois Soubeyrac., instituteur et pacifiste, garde son sang-froid; il est toujours capa-ble de raisonner et d'agir. Mais Mathias, autrefois contrebandier, perd le sien:

Mathias le contrebandier grattait le sol, avec les pattes de devant. Il avait déjà creusé un trou d'une ving-taine de centimètres. Soubeyrac le toucha à l'épaule. Le visage du frau-deur était hagar.d, les yeux exorbités .11 Sa peur gagne les autres:

Mathias le contrebandier était rouge, tout à l'heure, les yeux incendiés. Boucheux était vert et il grelottait. Alors François comprit ceci: la peur est contagieuse. Elle venait de Mathias et de Boucheux et elle entrait en lui. Ses lèvres séchaient, ses genoux trem-blaient.. Il avait froid dans son dos, entièrement mouil1é. 12

Mathias enfin domine sa faiblesse: IIJ 'avais peur de ne plus êtr.e Utl honune, min lieutenant. ,,13

peur.

Les "commotionnés" sont des exemples frappants des effets de la

Il fallut allonger les cinq hommes, l'un après l'autre, conune des gisants de cathédrale. Ça, jamais Soubeyrac

Il. Armand Lanoux, Le Conunandant Watrin, p.119. 12. Ibid., p.120.

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ne l'oublierait, jamais. A vous dresser les cheveux sur la tête, ces morts vivants ~14

La guerre crée aussi des situations bizarres, contraires ~ ce qu'on fait dans la vie normale. Par exemple, il y a la Il fouille

légale" des maisons d'autrui.

Il n'arrive pas souvent que les nécessités de la vie vous autori-sent ~ prendre deux hommes avec vous pour aller voir dans des mai-sons inconnues s'il n'y a rien ~ manger. IS

Cette suspension de la légalité aboutit ~ la destruction inutile d'une bibliothèque par des troupes françaises, un pillage de sauvages.

C'était ça, la guerre: ces trois hommes et les centaines qui s'étaient succé-déspour briser cette maison de paix, et piétiner les livres. Le3 hommes n'étai-ent plus des hommes mais des agités dan-gereux ou des morts vivants. Des mots militaires lui passèrent par la t~te ..•

abandon de poste, pillage, fusillé sur place, conseil de guerre. 16

Enfin il Y a la mort toujours présente, compagne du soldat, ennemi ou allié; la mort des amis aussi bien que celle des :i.nconnus; la mort pour une cause mal définie. "Mort pour la France) le

SOllS-lieutenant Pauphilet. L'homme de Volmerange aussi était mort pour la France. La boucle était bouclée." 17

14. Armand Lanoux, Le Co~nandant Watrin, p.13l. 15. Ibid., p.142.

16. Ibid., p.147. 17. Ibid., p.177.

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