• Aucun résultat trouvé

Les "nouveaux" groupes terroristes islamistes : des utopistes pragmatiques : étude de cas d'al-Qaida en Iraq

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les "nouveaux" groupes terroristes islamistes : des utopistes pragmatiques : étude de cas d'al-Qaida en Iraq"

Copied!
104
0
0

Texte intégral

(1)

Luc Lapointe

Les « nouveaux » groupes terroristes islamistes : des

utopistes pragmatiques.

Étude de cas d'al-Qaida en Iraq.

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en science politique

pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

DEPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

(2)

À mon père qui est parti trop vite Et à ma mère qui m'a toujours soutenu dans la poursuite de mes rêves

(3)

Résumé

Contexte. Depuis les années 1990, des spécialistes de la question du terrorisme affirment que les groupes terroristes islamistes actuels seraient différents des « anciens » groupes terroristes laïcs des années 1970 - 1980. Alors que les « anciens » terroristes avaient des objectifs politiques réformistes précis, les croyances religieuses des « nouveaux » groupes terroristes islamistes les amèneraient à prôner des objectifs utopiques qui ne sauraient être atteints en réformant un système politique. Conséquemment, les terroristes islamistes n'utiliseraient plus la violence pour contraindre un gouvernement à accéder à des revendications politiques précises, mais pour éliminer une vaste catégorie d'individus. Question. Cette recherche vise à comprendre la nature des objectifs des « nouveaux » groupes terroristes islamistes (utopiques ou réformistes) et la logique qui sous-tend l'utilisation qu'ils font de la violence. Méthodologie. Nous proposons donc une étude de cas simple qui s'intéresse à al-Qaida en Iraq (AQI) - un groupe terroriste islamiste contemporain basé en Iraq. Cette recherche se fonde sur une analyse de contenu contextualisée de 396 communiqués émis par AQI entre 2004 et 2008. Conclusions. Les résultats de cette recherche suggèrent qu'AQI ne prône pas uniquement des objectifs utopiques et que l'utilisation qu'il fait de la violence s'inscrit dans le cadre d'une stratégie politique complexe comparable à celle des « anciens » groupes terroristes.

(4)

« There never was a good war or a bad peace. » Benjamin Franklin

« But while we all pray for peace, we do not always, as free citizens, support the policies that make for peace or reject those which do not. We want our own kind of peace, brought about in our own way. »

(5)

Table des matières

Introduction 1 Chapitre 1 : Le « nouveau » et « l'ancien » terrorisme 11

1.1 — Les motivations et les objectifs des « anciens » terroristes 12 1.2 - Les motivations et les objectifs des « nouveaux » terroristes 14

1.3 - Les « nouveaux » groupes terroristes islamistes 17 1.4 - Le débat entourant le concept de « nouveau » terrorisme 18

Chapitre 2 : L'Iraq entre 2003 et 2008 et la création d'AQI 21

2.1 - Le contexte iraquien depuis 2003 21

2.2 - La création d'AQI 26 2.3 - Les objectifs d'AQI : Une utopie réaliste? 30

Chapitre 3 : Le conflit entre AQI, le gouvernement iraquien et les forces coalisées.. 38

3.1 - Le conflit opposant AQI au gouvernement iraquien 38 3.2 - Le conflit opposant AQI aux forces coalisées 45

Chapitre 4 : AQI et les groupes intra-étatiques 52 4.1 - Les groupes insurgés islamistes nationalistes sunnites 52

4.2 - Les insurgés baasistes 59 4.3 - Les chefs tribaux iraquiens 61 Chapitre 5 : AQI et les populations iraquiennes sunnites et chiites 66

5.1 - Les sunnites 66 5.2 - Les chiites 71 Conclusion 77 Annexes 85 Lexique 88 Bibliographie 89

(6)

Acronymes

All : Armée islamique d'Iraq

APC : Autorité provisoire de la coalition AQ : Al-Qaida

AQI : Al-Qaida en Iraq

BR : Brigades de la Révolution de 1920 EU : État islamique d'Iraq

FSN : Forces de sécurité nationale iraquiennes

(7)

Carte des provinces iraquiennes

(8)

Introduction

Depuis les années 1990, de nombreux spécialistes de la question du terrorisme constatent une rapide prolifération de groupes terroristes aux motivations religieuses1.

Étudiant entre autres les cas de la secte japonaise Aum Shinri-Kyo, des milices chrétiennes d'extrême droite aux États-Unis et des groupes islamistes tels al-Qaida (AQ), ils tentent de comprendre les causes de cette recrudescence et les conséquences qu'elle engendre pour la sécurité nationale et internationale. Bien que le terrorisme religieux ne soit pas le propre d'une religion en particulier - car il existe des groupes terroristes hindouistes, musulmans, chrétiens, juifs, sikhs, etc. -, le terrorisme islamiste demeure néanmoins une des formes de terrorisme religieux qui suscitent le plus d'intérêt auprès des chercheurs2. En effet, nombreuses sont les études qui tentent de comprendre si

l'idéologie islamiste est compatible avec le système politique et les valeurs libérales des pays occidentaux, si le sous-développement favorise l'émergence de groupes terroristes islamistes, si ces groupes terroristes sont davantage portés à utiliser des armes de destruction massive, etc.3

1 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, New York, Columbia University Press, 1998, 432 pages ; Ian O.

Lesser, Bruce Hoffman, John Arquilla, David Ronfeldt et Michèle Zanini, Countering the New Terrorism, Santa Monica, RAND, 1999, 160 pages ; Matthew J. Morgan, « The Origins ofthe New Terrorism », Parameters, 34( 1 ), 2004, pp. 29-43 ; Walter Laqueur, The New Terrorism: Fanaticism and the Arms of Mass Destruction, New York, Oxford University Press, 1999, 320 pages.

2 Blake D. Ward, « Osama's Wake : The Second Generation of AI Qaeda », USAF Counterproliferation

Center, n° 32, 2005,46 pages ; Gilles Kepel (sous la direction de), Al-Qaida dans le texte, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, 474 pages ; Johnny Ryan, « The Four P-Words of Militant Islamist Radicalization and Recruitment: Persecution, Precedent, Piety, and Perseverance », Studies in Conflict & Terrorism, 30( 11 ), 2007, pp. 985 - 1011 ; Mathieu Guidère et Nicole Morgan, Le manuel de recrutement d'Al-Qaida, Paris, Édition du Seuil, 2007, 267 pages ; Petter Nesser, « Jihadism in Western Europe after the Invasion of Iraq: Tracing Motivational Influences from the Iraq War on Jihadist Terrorism in Western Europe », Studies in Conflict & Terrorism, 29(4), 2006, pp. 323 - 342 ; Petter Nesser, « Chronology of Jihadism in Western Europe 1994-2007: Planned, Prepared, and Executed Terrorist Attacks, Studies in Conflict & Terrorism, 31(10), 2008, pp. 924 - 946 ; Xavier Raufer, « Al Qaeda: a different diagnosis », Studies in Conflict & Terrorism, 26(6), 2003, pp. 391 - 398.

3 Abdelaziz Testas, « Determinants of terrorism in the Muslim world: An empirical cross-sectional

analysis », Terrorism and Political Violence, 16(2), 2004, pp. 253 - 273 ; Alan B. Krueger et Jitka Maleckova, « Education, poverty and terrorism: Is there a causal connection? », Journal of Economic Perspectives, 17(4), 2003, pp. 119 - 144 ; Alan B. Krueger et David D. Laitin, Kto Kogo?: A Cross-country Study ofthe Origins and Targets of Terrorism, Princeton University/Stanford University, 2003, 27 pages ; Christopher Hobson, « A forward strategy of freedom in the Middle East: US democracy promotion and the 'war on terror' », Australian Journal of International Affairs, 59( 1 ), 2005, pp. 39 - 53 ; Claude Berrebi, « Evidence about the Link between Education, Poverty and Terrorism among Palestinians » Peace

(9)

Une des questions qui a soulevé de nombreux débats académiques a trait à l'influence de la religion sur les agissements des groupes terroristes islamistes. Divers chercheurs tels Esposito, Juergensmeyer et Kelsey affirment que les croyances et les valeurs islamiques auraient une influence négligeable sur les actions des groupes terroristes islamistes4. Par exemple, Jurgensmeyer soutient «... [that] religion is not

innocent. But it does not ordinarily lead to violence. That happens only with the coalescence of a peculiar set of circumstances - political, social, and ideological...5 »

Selon ces auteurs, si les groupes terroristes islamistes affirment agir au nom de l'islam, c'est principalement parce qu'ils cherchent à légitimer leur lutte armée en s'appuyant sur des valeurs religieuses et non pas parce que lesdites valeurs les ont fatalement amenés à poser des actes violents . Cependant, d'autres spécialistes de la question du terrorisme comme Laqueur, Morgan et Hoffman, soutiennent que la religion a une influence directe sur les agissements des groupes terroristes islamistes. Ils vont même jusqu'à affirmer que la prolifération de l'islamisme radical depuis les années 1990 aurait fondamentalement transformé le phénomène du terrorisme7. Selon eux, les « anciens » groupes terroristes

Economics, Peace Science and Public Policy, 13(1), 2007, pp. 1 - 36 ; Edward A. Sayre, « Labor Market Conditions, Political Events, and Palestinian Suicide Bombings » Peace Economics, Peace Science and Public Policy, 15(1), 2009, pp. 1 - 26 ; Hamit Bozarslan, « Le jihad : réceptions et usages d'une injonction coranique d'hier à aujourd'hui », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 82(2), 2004, pp. 15 - 29 ; Ibrahim Elnur, Tareq Y. Ismael et Jacqueline S. Ismael, « 11 September and the widening North-South gap: Root causes of terrorism in the global order », Arab Studies Quarterly, 25( 1 -2), 2003, pp. 57 - 70 ; James A. Piazza, « Draining the Swamp: Democracy Promotion, State Failure, and Terrorism in 19 Middle Eastern Countries », Studies in Conflict & Terrorism, 30(6), 2007, pp. 521 - 539 ; Kader Abderrahim,

« L'autolégitimation de la violence islamiste », La revue internationale et stratégique, 57( 1 ), 2005, pp. 115 - 122 ; Katerina Dalacoura, « Islamist Terrorism and the Middle East Democratic Deficit: Political

Exclusion, Repression and the Causes of Extremism », Democratization, 13(3), 2006, pp. 508 - 525.

4 Mark Juergensmeyer, « Is Religion the problem? », Hedgehog Review, 6( 1 ), 2004, pp. 1 - 9. 5 Mark Juergensmeyer, Terror in the Mind of God: The Global Rise of Religious Violence, Berkley/Los

Angeles/Londres, University of California Press, 2003, p. 10.

6 Gilles Kepel, « Les stratégies islamistes de légitimation de la violence », Raisons politiques, n° 9, 2003,

pp. 81 - 95 ; John L. Esposito, Unholy War : Terror in the Name of Islam, Oxford/New York, Oxford University Press, 2002, 196 pages ; John Kelsey, Arguing the Just War in Islam,

Cambridge/Massachussetts/Londres, Harvard University Press, 2007, 263 pages ; Mark Juergensmeyer, « Is Religion the problem? », pp. 1 - 9 ; Mark Juergensmeyer, « Religious Terror and the Secular State », Harvard International Review, 2004, pp. 1 - 7.

7 II convient de mentionner que l'analyse de ces auteurs concernant le phénomène du terrorisme religieux

ne se cantonne pas au terrorisme islamiste. Cependant, ils dépeignent ce type de terrorisme comme un exemple type des groupes terroristes religieux et ils lui accordent donc une place importante dans leurs études. Bruce Hoffman, Inside Terrorism, p. 257 ; Ian O. Lesser, Bruce Hoffman, John Arquilla, David Ronfeldt et Michèle Zanini, Countering the New Terrorism, 160 pages ; Matthew J. Morgan, « The Origins ofthe New Terrorism », pp. 29 - 43 ; Walter Laqueur, The New Terrorism: Fanaticism and the Arms of Mass Destruction, 320 pages.

(10)

étaient principalement motivés par des impératifs laïcs. Désirant réformer un système politique, ces « anciens » terroristes utilisaient la violence dans le cadre d'une stratégie de propagande par l'action, d'attrition, de création du chaos ou de provocation8. L'objectif

de leur stratégie était de combiner propagande et violence afin de convaincre l'opinion publique du bienfondé de leur cause tout en contraignant un gouvernement à réformer le système politique de façon à ce qu'il réponde à leurs aspirations. Puisqu'ils désiraient recruter un grand nombre de supporters à leur cause, les « anciens » terroristes tentaient de minimiser les dommages engendrés par leurs attentats afin de préserver une image positive au sein de leur auditoire cible. Or, les « nouveaux » groupes terroristes islamistes ne répondraient plus à cette logique. Ayant des motivations religieuses, ils prôneraient désormais des objectifs utopiques9 qui ne sauraient être atteints en réformant un système

politique10. Autrement dit, les motivations religieuses de ces « nouveaux » terroristes

islamistes les amèneraient à évoluer en marge du politique. Contrairement à leurs prédécesseurs « laïcs », ils n'utiliseraient plus la violence pour contraindre un gouvernement à accéder à des revendications politiques précises. Ces groupes de fanatiques religieux désireraient ni plus ni moins qu'éliminer l'ensemble des individus qui n'adhèrent pas à leurs objectifs utopiques ou qui n'appartiennent pas à leur communauté religieuse. Ainsi, au lieu de restreindre l'ampleur des dommages engendrés par leurs attentats, les terroristes islamistes chercheraient désormais à fomenter des attentats les plus destructeurs possible11.

Toutefois, ce concept de « nouveau » terrorisme islamiste ne fait pas l'unanimité chez les spécialistes de la question du terrorisme. Différents auteurs tels Spencer et Tucker affirment que même si les groupes terroristes islamistes peuvent certes avoir des motivations religieuses, cela ne signifie pas d'emblée qu'ils ne prônent pas eux aussi divers projets de réformes politiques. Ce faisant, les terroristes islamistes n'utiliseraient pas la violence uniquement pour éliminer l'ensemble des individus qui n'appartiennent

9 La logique de ces stratégies sera davantage expliquée dans le chapitre 1. Le concept d'utopie et les objectifs des « nouveaux » terroristes seront abordés plus amplement dans le chapitre 1.

10 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., pp. 267 - 282 ; John W. Morehead, « Apocalypse Now :

Armageddon Enters the New Age of Terrorism », Watchman Fellowship, 2005; Matthew J. Morgan, op. cit., p. 30.

(11)

pas à leur groupe religieux et qui ne partagent pas leurs objectifs12. Tout comme les

« anciens » terroristes, eux aussi espéreraient convaincre l'opinion publique du bienfondé de leur cause et contraindre un gouvernement à accéder à leurs revendications politiques13.

Constatant l'ampleur du débat, il apparaissait intéressant d'explorer un certain nombre de questions qui découlent de ce débat théorique : est-ce que les objectifs des « nouveaux » groupes terroristes islamistes sont foncièrement utopiques ou si ces groupes promeuvent divers projets de réformes politiques comparables à ceux des groupes terroristes des années 1970 - 1980 ? Les attentats commis par les « nouveaux » groupes terroristes islamistes visent-ils à éliminer une vaste catégorie d'individus ou s'ils s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie politique plus large ?

L'hypothèse ici formulée est qu'en dépeignant l'ensemble des groupes terroristes islamistes formés à partir des années 1990 comme des fanatiques religieux qui évoluent en marge du politique, l'analyse proposée par les tenants du concept de « nouveau » terrorisme occulte d'importants aspects du phénomène terroriste islamiste, dont l'intime relation que ces groupes entretiennent avec le politique. En effet, bien que nous ne niions pas que ces groupes puissent avoir des objectifs utopiques, nous postulons qu'ils promeuvent néanmoins divers projets de réformes politiques et que leurs attentats s'inscrivent donc dans le cadre d'une stratégie comparable à celle des « anciens » groupes terroristes.

Afin d'approfondir la réflexion sur ce sujet, nous avons mené une étude de cas sur un groupe terroriste islamiste : al-Qaida en Iraq (AQI). Nous avons sélectionné ce groupe pour plusieurs raisons. D'emblée, AQI est qualifiable de terroriste selon la définition du terrorisme que nous avons adoptée14. Selon Alex P. Schmid :

12 Alexander Spencer, « Questioning the Concept of'New Terrorism' », Peace Conflict & Development, n°

8, 2006, pp. 14 - 18 ; David Tucker, « What is New about the New Terrorism and How Dangerous is it ? », Terrorism and Political Violence, 13(3), 2001, pp. 1-14.

13 Alexander Spencer, op. cit., pp. 14 - 18 ; David Tucker, op. cit., pp. 1-14.

14 Puisqu'il n'existe aucune définition du terrorisme qui soit internationalement acceptée, il convient

d'expliciter brièvement les raisons qui nous ont amenés à choisir celle d'Alex P. Schmid. Par souci d'objectivité scientifique, nous avons écarté les définitions des agences gouvernementales (le SCRS, le FBI, etc.) ou intergouvernementales (l'OTAN, l'ONU, etc.) puisque différents auteurs comme Jabri et Wolfendale soutiennent que ces définitions sont souvent formulées afin de répondre à des impératifs politiques. Par exemple, puisque le terme de terrorisme revêt une connotation péjorative, des

(12)

« Terrorism is an anxiety-inspiring method of repeated violent action, employed by (semi-) clandestine individual, group, or state actors, for idiosyncratic, criminal, or political reasons, whereby — in contrast to ass.assination — the direct targets of violence are not the main targets. The immediate human victims of violence are generally chosen randomly (targets of opportunity) or selectively (representative or symbolic targets) from a target population, and serve as message generators. Threat — and violence — based communication processes between terrorist (organization), (imperiled) victims, and main target (audiences(s)), turning it into a target of terror, a target of demands, or a target of attention, depending on whether intimidation, coercion, or propaganda is primarily sought15. »

Qui plus est, les motivations d'AQI sont teintées de croyances religieuses islamiques et il revêt donc les caractéristiques d'un groupe terroriste islamiste tel que décrit par les tenants du concept de « nouveau » terrorisme. D'ailleurs, AQI est une cellule constituante de la nébuleuse d'AQ qui, elle, est dépeinte par les tenants du concept comme l'archétype même des groupes terroristes islamistes. Outre ces considérations plus théoriques, nous avons choisi ce groupe pour une raison plus pragmatique. Ne maîtrisant pas suffisamment l'arabe pour traduire nous-mêmes des communiqués écrits dans cette langue, nous avons utilisé les publications de centres de recherche16 et de quotidiens17 qui répertorient et

traduisent les communiqués de groupes terroristes islamistes. Après avoir examiné les nombreux communiqués répertoriés par ces organisations, nous avons constaté qu'AQI était le groupe dont les communiqués étaient le plus systématiquement traduits et archivés. Nous avons donc choisi ce groupe afin de rendre notre analyse la plus exhaustive possible.

Ainsi, alors que le débat entourant le concept de « nouveau » terrorisme demeure hautement théorique, nous proposons une analyse empirique qui s'appuie sur des sources primaires. Afin de comprendre si AQI promouvait des objectifs foncièrement différents

gouvernements s'assureraient que leur définition officielle puisse uniquement s'appliquer à leurs adversaires et non pas à leurs alliés ou à eux-mêmes. Par souci d'objectivité scientifique, il apparaissait donc plus approprié de se référer à une définition académique. Puisque ces définitions sont nombreuses, il semblait intéressant de retenir une des définitions qui revient très souvent dans la littérature et celle de Schmid fait partie de celles-ci. Jeffrey D. Simon, The Terrorist Trap, Bloomington, Indiana University Press, 1994, p. 29 ; Jessica Wolfendale, « Terrorism, Security, and the Threat of Counterterrorism », Studies in Conflict & Terrorism, 29(7), 2006, pp. 753 - 770 ; Vivienne Jabri, « La guerre et l'État libéral démocratique », Cultures <£ conflits, n° 61, 2006, pp. 9 - 34.

15 Alex P. Schmid et Albert J. Jongman, Political Terrorism : A New Guide to Actors, Authors, Concepts,

Data Bases, Theories, A Littérature, New Brunswick/New Jersey, Transaction Books, 1988, p. 28.

16 Jihad Watch, MEMRI, NEFA Foundation et le Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11

septembre 2001.

(13)

de ceux des «anciens» groupes terroristes, nous avons analysé le contenu18 de 396

communiqués19 émis par l'organisation entre 2004 - date du premier communiqué que

nous avons répertorié - et 2008 - année à partir de laquelle nous avons commencé à analyser les communiqués. Afin de mener notre analyse de contenu à bien, nous avons constitué une grille de lecture20. Nous avons effectué une large revue de littérature afin de

répertorier les objectifs idéaux-types des « anciens » et des « nouveaux » groupes terroristes tels que dépeints par les tenants du concept de « nouveau » terrorisme21. Ces

objectifs idéaux-types étaient classés dans trois catégories générales en fonction de leur finalité : les objectifs idéaux-types des « anciens » terroristes consistaient donc à 1) réformer un système politique ou judiciaire22, 2) réformer la configuration territoriale

d'un État23 et 3) être reconnu comme un acteur influent de la scène politique24 ; alors que

18 Bien que l'analyse de contenu de communiqués ne soit pas souvent utilisée pour étudier les motivations

et les objectifs des groupes terroristes, elle est de plus en plus adoptée par les chercheurs. De récents ouvrages se basant sur une méthode d'inférence descriptive tels Le manuel de recrutement d'Al-Qaida et Al-Qaida dans le texte fondent leur analyse sur les communiqués et les publications des groupes terroristes. D'ailleurs, puisqu'il est difficile de mener des entrevues avec des terroristes pour des raisons liées à la clandestinité de ces groupes et à la sécurité du chercheur, différents auteurs tels Oison affirment que les communiqués des groupes terroristes demeurent une source primaire intéressante pour celui qui cherche à analyser leurs motivations et leurs objectifs. Dean T. Oison, « The path to terrorist violence : a threat assessment model for radical groups at risk of escalation to acts of terrorism », Naval Postgraduate School, 2005, 67 pages ; Gilles Kepel (sous la direction de), Al-Qaida dans le texte, op. cit., 474 pages ; Mathieu Guidère et Nicole Morgan, op. cit., 267 pages.

19 Ces communiqués furent diffusés à l'aide de plusieurs médiums : vidéos, lettres, enregistrements sonores

et tracts.

20 Alex Mucchielli et Pierre Paillé, L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand

Colin, 211 pages ; Robert Philip Weber, Basic Content Analysis, Newbury Park, Sage Publications, 1990, 96 pages.

21 Bruce Hoffman, Inside terrorism op. cit. ; Bruce Hoffman, « "Holy Terror" » op. cit. ; Cindy C. Combs

et Martin Slann, Encyclopedia of Terrorism, New York, Facts On File, 2007, 478 pages ; François Géré, Pourquoi le terrorisme ?, Paris, Larousse, 2006, 159 pages ; Jean-Marc Balencie et Arnaud De La Grange (sous la direction de), Les Nouveaux Mondes rebelles : conflits terrorisme et contestations, Paris, Éditions Michalon, 2005; Gérard Chaliand et Arnaud Blin, 77?!? History of Terrorism. From Antiquity to Al Qaeda, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 2007 ; Ian O. Lesser, Bruce Hoffman, John Arquilla, David Ronfeldt et Michèle Zanini, op. cit. ; Matthew J. Morgan, op. cit. ; Walter Laqueur, op. cit.

22 On pourrait citer comme exemples les Brigades rouges qui désiraient instaurer un régime communiste en

Italie ou les groupes terroristes militant pour la protection de l'environnement et des droits des animaux qui désiraient modifier des lois et politiques publiques aux États-Unis afin qu'elles respectent leurs valeurs écologiques. Cindy C. Combs et Martin Slann, op. cit.,, pp. 49 - 50, 269 - 270 ; François Géré, Pourquoi le terrorisme ?, op. cit., pp. 41 - 43 ; Gérard Chaliand et Arnaud Blin, op. cit., pp. 235 - 238.

23 On peut citer les exemples du FLQ québécois ou de l'ETA basque qui désiraient respectivement créer un

État indépendant pour les minorités québécoise et basque. Cindy C. Combs et Martin Slann, op. cit., pp. 269 - 270 ; François Géré, Pourquoi le terrorisme ?, op. cit., pp. 41 - 43 ; Gérard Chaliand et Arnaud Blin, op.cit, pp. 235 - 238, 251 - 252.

24 À titre d'exemple, on peut citer le cas de l'OLP qui affirmait parler au nom de tous les Palestiniens ou

(14)

les objectifs utopiques des « nouveaux » terroristes consisteraient à 1) libérer l'umma25

de toute influence étrangère26, 2) « purifier » la religion islamique27 et 3) accélérer

l'avènement d'une ère nouvelle28. Chacune de ces catégories contenait des indicateurs

qui nous ont permis de classifier les objectifs d'AQI à l'intérieur de chaque catégorie29.

communiste en Colombie. Jean-Marc Balencie et Arnaud De La Grange (sous la direction de), op. cit., pp. 92 et 406 - 407 ; Cindy C. Combs et Martin Slann, op. cit., pp. 271 et 246 - 247.

25 Nation du Prophète; la communauté des peuples musulmans. Dictionnaire de l'Islam : Religion et

civilisation, op. cit., p. 204.

26 Selon les tenants du concept de « nouveau » terrorisme, les groupes terroristes islamistes se sentiraient

engagés dans une guerre défensive contre une invasion des puissances occidentales dans les pays

musulmans. Ces groupes auraient donc l'objectif d'expulser ces puissances étrangères des pays musulmans et d'éliminer l'ensemble des individus qui collaborent avec eux. Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 93 ; Matthew J. Morgan, op. cit., pp. 34 - 35.

"7 Les terroristes islamistes désireraient purifier leur religion afin d'en restaurer la « gloire » qui prévalait au

temps du prophète Muhammad. Pour ce faire, ils entendraient entre autres instaurer un califat panislamique et éliminer leurs coreligionnaires qui ne souscrivent pas à la doctrine salafiste et qui ne partagent pas leurs objectifs utopiques. Alexander Spencer, op. cit., pp. 9 - 10 ; Bruce Hoffman, Inside terrorism, op. cit., pp. 88 - 89 ; Walter Laqueur, op. cit., p. 81.

28 Pensant être engagés dans une lutte opposant les forces du bien à celles du mal, les groupes terroristes

islamistes croiraient avoir la mission divine de détruire l'ordre établi et d'en instaurer un nouveau qui respecterait la parole d'Allah et les préceptes de l'islam. Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 96.

29 Cette grille de lecture fut systématiquement appliquée aux communiqués à l'aide du logiciel d'analyse de

(15)

CJ C 3 u T t ■ > x » 3 1 ) -CJ £ CJ C I < 3 - 1 J » C3 «U t * TO U. O U c p ■<u Q u 9 m U > - J CJ T j c 3 C « c 3 i— c 3 I J U T 3 C O U N T 3 Cfl -a a. CJ E CS i— U T 3 C O U N o E 3 •CJ C *£ C « i n «u 3 tu c Vi CJ O . 3 tn fc 3 «Sa c fc O ■ " ■ c ■UJ 5) 1» mm 3 x o d 3 r d D. U H> 3 c > c ■JN «U C O c > 'C «u c C i l C o ES e "S c CJ c/1 3 T 3 cO CO -w o El O ' 131 -w u cr JC •ra CO ra «75 ^ CJ £ •H _çj -a S3 l - i -w ;£"; UJ «U Vi 3 n. -t— ' 3 * 0 T 3 «U x k - C UJ ^ u «u (fl 1 CJ 3 CJ a> a- c 0 co CJ 9 c c/] CJ ■a c CJ ' « U J J c _ra CJ CJ ca - U J O > 0 - U J CJ ra u «u e 3 3 t r «U E H ea

S

,& C/î c c ra co a a .

_t

-= «-cv _ÇJ CJ — JJ • MM -w -*—< ra C Q . CJ 3 C £ CJ -*-3 3 C 0 0 1 > t—1 u G1 - 1 — • <UJ s I -CJ > CJ u ra .—« c C ) - 3 u «— C 0 0 1 > t—1 u G1 - 1 — • <UJ 3 0 M CJ £ E 0 u V i ■CJ l— a. CJ 1— !_ M ) ■CJ a. 3 0 c , 0 0 u 1 CJ CO £ £ 3 C ^ 3 E 0 c ra C CJ V ) 3 3 C O U CJ O . 3 0 CJ c ra C CJ V ) -a CJ t U r, - i I— fc u c r r a . fc Q . t u CUJ CJ ■ ♦ — > 3 !_ Gfl ra bO O <U- _CJ •CJ JJ •CJ 0 0 -a> *_; t - c 1> O E m m <u Cm c c m— tU I— > a> 3 d û O O M < T3 3 LO C l U ■ a 1 0 - 1 CJ V i n t U - 1 - a CJ T J .4—> ra CJ -*—* t U c 3 ■UJ ra Q . ■«U > O c ra Q . ■«U 0 I— S J j •ÇJ 3 Cfl Q . S J j •ÇJ ■ a M CJ ■ 3 «71 (U - 0 3 O 3 3 * M CJ •ra CO CJ X CJ 3 en 3 •w c > 0 t U c < CJ k . D . CUJ • C J -«—» 3 CO 3 _ÇJ I H CJ CJ E CJ 3 r CJ E - C J *—» JC (U fc 0 c r

-s

■«u t j 3

*--s

■«u 3

a

T J 3 "5 Q . CJ I n 1 ra CJ C V i T l CJ T 3 t U £ m i T l CJ t U £ 3 T J t u I— 3 O c E CJ £ CJ 3 3 3 O I— <S ■ t u Oi CJ T J •CJ 3 O O I— <S ■ t u Oi 3 LT, C I— <S ■ t u Oi «g CJ «s co V i t u co V i CJ 3 <u U C M - a '•«S O . KM t u O U C 1— r. 3 C 1— JC CT" , 0 CJ <+i ■n J O ■ u 3 Oi CJ O .

(16)

À partir de cette grille de lecture, nous étions à même de constater si les objectifs d'AQI étaient similaires à ceux des « anciens » terroristes ou si, au contraire, ils correspondaient à la description faite par les tenants du concept de « nouveau » terrorisme. Il est de mise de préciser que nous avons adopté une approche mixte -deductive et inductive. Toujours en conservant les deux catégories générales d'objectifs idéaux-types, nous avons précisé notre grille de lecture au gré des informations qui ressortaient de notre analyse. Cette approche semblait judicieuse puisqu'elle permet de minimiser le « risque non négligeable de plaquer des catégories [au texte analysé] et de passer à côté de la logique réellement à l'œuvre ou de la spécificité de la situation étudiée...30 » Par exemple, constatant qu'AQI publiait des communiqués dans lesquels il

menaçait d'utiliser la violence contre des individus ou des communautés iraquiennes spécifiques, nous avons répertorié quels groupes ethniques ou religieux (kurde, sunnite ou chiite) étaient ciblés par ces menaces. Ce faisant, nous pouvions plus facilement analyser la façon dont AQI entendait utiliser la violence ou la menace de violence à rencontre des principaux groupes identitaires iraquiens. Aussi, nous avons contextualisé notre analyse de contenu. Nous avons corrélé les résultats de notre analyse avec l'évolution du contexte politique iraquien. Cette contextualisation nous a permis de mieux cerner la nature des objectifs d'AQI - c'est-à-dire réformiste, utopique ou les deux - et de comprendre l'utilisation qu'il faisait de la violence et de la menace de violence. Par exemple, nous avons porté une attention particulière aux communiqués publiés à l'approche d'événements politiques importants, comme des élections ou des référendums afin de saisir si le communiqué avait été publié en réponse à cet événement. Si tel était le cas, nous avons tenté de comprendre la signification qu'AQI accordait à cet événement. Par cette approche, nous désirions observer si AQI était influencé par l'évolution de la scène politique ou si, au contraire, il demeurait extérieur à celle-ci. Nous souhaitions également comprendre si l'organisation tentait d'utiliser la violence ou la menace de violence afin d'influencer le processus politique ou si, au contraire, il s'agissait d'éliminer une vaste catégorie d'individus.

Par cette étude, nous croyons être en mesure de démontrer empiriquement qu'AQI ne prônait pas uniquement des objectifs utopiques et que ses attentats s'inscrivaient dans

(17)

le cadre d'une stratégie complexe comparable à celle des « anciens » groupes terroristes qui visait à influencer l'évolution de la scène politique iraquienne.

Les résultats de cette recherche seront présentés en 6 temps. Le premier chapitre expliquera les grandes lignes du débat théorique qui oppose les tenants du concept de « nouveau » terrorisme à ses détracteurs. Il présentera donc les principales notions qui serviront à étoffer notre réflexion sur le débat. Le deuxième chapitre exposera l'évolution du contexte politique iraquien entre 2003 et 2008, ce qui nous permettra de nous référer à ces éléments de contexte lors de la présentation de l'analyse de contenu. Puisqu'un des principaux objectifs des « anciens » groupes terroristes était d'amener un gouvernement à réformer un système politique, le troisième chapitre se penchera sur le conflit qui opposa AQI au gouvernement iraquien et aux forces coalisées. Ce faisant, nous serons mieux à même de comprendre si les attentats du groupe visaient à contraindre ces acteurs à accéder à des revendications politiques précises ou simplement à les éliminer. Étant donné que le concept de « nouveau » terrorisme stipule que les groupes terroristes islamistes ne chercheraient pas à convaincre les individus qui ne souscrivent pas d'emblée à leur idéologie de rejoindre les rangs de leurs supporters, le quatrième chapitre étudiera les relations qu'entretint AQI avec des acteurs régionaux influents qui ne prônaient pas les mêmes objectifs que lui. Ainsi, nous pourrons observer si AQI cherchait effectivement à éliminer ces acteurs ou s'il tentait au contraire de les recruter à sa cause afin d'accroître sa propre influence sur la scène politique iraquienne. Le cinquième chapitre analysera les relations qu'entretint AQI avec les populations iraquiennes sunnites et chiites afin de mieux saisir l'utilisation qu'il faisait de la violence. Ce chapitre nous permettra de comprendre si le groupe fomentait des attentats de haute intensité dans l'optique d'éliminer une vaste catégorie d'individus ou s'il minimisait l'utilisation de ce type d'attentats afin de préserver une image positive auprès des membres de la population qu'il espérait recruter. Et finalement, la conclusion de ce mémoire synthétisera les résultats de cette recherche tout en offrant des pistes de réflexion sur les différentes avenues qui permettraient de minimiser et de contrer la menace du terrorisme islamiste.

(18)

Chapitre 1

Le « nouveau » et « l'ancien » terrorisme

Depuis les années 1990, plusieurs spécialistes de la question du terrorisme tels Hoffman, Laqueur et Morgan affirment que les groupes terroristes actuels ne seraient pas de même nature que ceux des années 1970 - 198031. Nous ferions effectivement face à

« une nouvelle race de combattants32 ». Cette 4e génération de groupes terroristes

(c'est-à-dire les « nouveaux » terroristes) serait si différente des trois générations précédentes qu'il conviendrait de repenser le phénomène du terrorisme afin de mieux saisir la réalité actuelle . Au cœur des évolutions qui auraient engendré ce changement de nature, ces chercheurs identifient trois caractéristiques principales : comparativement aux « anciens » groupes terroristes, les « nouveaux» terroristes auraient donc 1) une nouvelle structure organisationnelle, 2) un nouveau type de membres et 3) des motivations religieuses34.

1) La structure organisationnelle. Concernant la nouvelle structure organisationnelle, le développement des moyens de communication et de transport aurait permis aux « nouveaux » groupes terroristes de remplacer les structures de commandement hiérarchiques et rigides typiques des groupes terroristes de 3e génération.

31 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit. ; Benoît Gagnon, « Le phénomène terroriste et ses

transformations », dans Charles-Philippe David et Benoît Gagnon (sous la direction de), Repenser le terrorisme : concept, acteurs et réponses, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2007, pp. 49 - 66 ; Ian O. Lesser, Bruce Hoffman, John Arquilla, David Ronfeldt et Michèle Zanini, op. cit. ; Matthew J. Morgan, op. cit. ; Olivier Roy, Bruce Hoffman, Reuven Paz, Steven Simon et Daniel Benjamin, « America and the New Terrorism: An Exchange », Survival, 42(2), 2000, pp. 156 - 72 ; Steven Simon et Daniel Benjamin, « America and the New Terrorism », Survival, 42(1), 2000, pp. 59 - 75 ; Walter Laqueur, op. cit.

32 Benoît Gagnon, op. cit., p. 56.

33 La lre génération est associée aux groupes anarchistes européens qui existaient entre les années 1880

-1945 ; la 2e génération a trait aux groupes nationalistes indépendantistes du temps de la décolonisation entre

1945 - 1970 ; la 3e génération fait référence aux groupes terroristes qui commencèrent à internationaliser

leurs attentats et leur cause entre les années 1970 - 1990 ; la 4e génération définirait les groupes terroristes

transnationaux aux motivations religieuses formés dans les années 1990 jusqu'à aujourd'hui. À noter que la littérature qui remet en doute le concept de « nouveau » terrorisme accepte la chronologie concernant les trois premières générations, mais affirme que les groupes terroristes actuels relèvent toujours de la 3e

génération. Leonard Weinberg, Global Terrorism : A Beginner's Guide, Oxford, Oneworld Publications, 2005, pp. 23-40.

34 Bruce Hoffman, "Holy Terror" » op. cit., ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., pp. 229 - 295 ;

Matthew J. Morgan, op. cit. ; Walter Laqueur, op. cit.

Voir l'annexe I pour un schéma exposant la relation de causalité entre la nature des motivations des « anciens » et des « nouveaux » groupes terroristes, leurs objectifs et l'utilisation qu'ils font de la violence.

(19)

Les « nouveaux » terroristes opteraient désormais pour une structure en réseaux décentralisés formés d'une multitude de cellules interreliées, mais qui pourraient agir indépendamment les unes des autres. À la différence des structures hiérarchiques rigides, l'organisation en réseaux offrirait une flexibilité accrue aux « nouveaux » groupes terroristes, ce qui faciliterait la planification et l'exécution de leurs attentats. Qui plus est, cette forme organisationnelle augmenterait la resilience de ces groupes puisque l'élimination ou l'incarcération des leaders de certaines cellules auraient un impact négligeable sur les capacités opérationnelles des autres cellules du réseau35.

2) Les membres du groupe. Comparativement aux « anciens » groupes terroristes, les « nouveaux » groupes terroristes seraient composés d'une nouvelle catégorie d'individus. Alors que les groupes de 3e génération étaient majoritairement

constitués de membres permanents et expérimentés, les organisations de 4e génération

seraient formées ad hoc et momentanément par des terroristes « amateurs » - c'est-à-dire par des individus plus ou moins expérimentés qui se rassembleraient pour mener un attentat et qui se dissocieraient par la suite. Cette caractéristique aurait comme conséquence de rendre les nouvelles organisations terroristes quasi indétectables et non « infiltrables » par les services de sécurité gouvernementaux36.

3) Les motivations du groupe. Finalement, et voici le sujet au cœur de cette recherche, alors que les motivations des groupes terroristes de 3e génération étaient

principalement laïques, celles des « nouveaux » terroristes seraient d'abord et avant tout religieuses37. Comparativement à leurs prédécesseurs laïcs, les motivations religieuses

des « nouveaux » groupes terroristes auraient fondamentalement transformé la nature de leurs objectifs et les stratégies qu'ils emploieraient pour les atteindre.

1.1 - Les motivations et les objectifs des « anciens » terroristes

La majorité des spécialistes de la question du terrorisme s'entendent pour dire que les organisations terroristes des années 1970 - 1980 promouvaient des objectifs politiques

35 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., pp. 271 - 272 ; Matthew J. Morgan, op. cit., pp. 36 - 37. 36 Ibidem.

37 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 272 ; John W. Morehead, op. cit. ; Matthew J. Morgan,

op. cit., p. 30.

(20)

réformistes précis et réalistes, au sens où ces objectifs étaient politiquement et humainement réalisables. Entre autres exemples, certains de ces groupes revendiquaient la création d'un État palestinien indépendant, l'obtention d'une autonomie politique pour la minorité kurde de Turquie ou la modification de certaines lois et politiques nationales considérées comme anti-écologiques38. Désirant réformer le système politique dans

lequel ils évoluaient, ces « anciens » groupes terroristes entretenaient donc une relation étroite avec le politique. S'ils fomentaient des attentats violents, c'était parce qu'ils désiraient influencer l'évolution du système politique dans lequel ils s'inscrivaient. En effet, le soutien populaire dont ils jouissaient n'était généralement pas suffisant pour leur permettre de mobiliser une importante masse de supporters. Ce faisant, ils pouvaient difficilement passer par les voies institutionnelles légales afin de s'imposer comme un acteur incontournable de la scène politique et ainsi amener un gouvernement qui favorisait le statu quo à réformer le système politique39.

Relativement isolés, ces groupes entendaient donc utiliser la violence afin d'augmenter leur propre appui populaire tout en diminuant celui du gouvernement. Une de ces stratégies consistait à fomenter des attentats violents afin d'attirer l'attention médiatique sur le groupe responsable. Connue sous le nom de propagande par l'action, cette stratégie visait à diffuser le message propagandiste du groupe terroriste à un vaste auditoire afin de sensibiliser la population au « bienfondé » de ses revendications et ainsi créer un soulèvement généralisé40. Une autre de ces stratégies consistait à fomenter des

attentats pour créer le chaos et provoquer le gouvernement afin de l'amener à augmenter son contrôle de la sphère publique et à abattre une répression implacable sur les populations des territoires où le groupe terroriste évoluait41. Les terroristes espéraient

ainsi alimenter le mécontentement populaire à rencontre du gouvernement. Ultimement, la perpétuation des attentats dans le temps s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie

38 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 272 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 243 ;

Matthew J. Morgan, op. cit., p. 34.

39 Martha Crenshaw, « The Logic of Terrorism », dans Walter Reich (sous la direction de), Origins of

Terrorism, Washington/Baltimore/Londres, Woodrow Wilson Center Press, 1998, pp. 7 - 24.

40 Andrea E. Feldmann et Maiju Perala, « Reassessing the Causes of Nongovernmental Terrorism in Latin

America », Latin American Politics and Society, 46(2), 2004, p. 108.

41 Andrea E. Feldmann et Maiju Perala, op. cit., p. 108 ; Ignacio Sanchez-Cuenca, « Revolutionary Dreams

and Terrorist Violence in the Developed World: Explaining Country Variation », Journal of Peace Research, 46(5), 2009, p. 689.

(21)

d'attrition qui devait saper le moral du gouvernement et miner sa crédibilité en « démontrant » son incapacité à mettre un terme aux violences42. Bref, ces stratégies

visaient à créer une situation de plus en plus insoutenable pour le gouvernement dans l'optique de le contraindre à accéder aux revendications des groupes terroristes. L'opinion publique étant une des pierres angulaires de ces stratégies complexes, les « anciens » terroristes devaient utiliser la violence avec « précaution » et « discernement »43. Puisqu'ils espéraient augmenter leur appui populaire en convainquant

la population de la légitimité de leur cause, il était essentiel pour eux de ne pas être perçus au sein de l'opinion publique comme un groupe immoral aux agissements injustifiables. Pour ce faire, ils restreignaient l'ampleur des dommages engendrés par leurs attentats. Les « anciens » terroristes ciblaient donc des endroits symboliques susceptibles d'attirer l'attention médiatique tout en tentant de minimiser le nombre de victimes qui résulterait de leurs attentats44. D'ailleurs, c'est bien en raison de la centralité

de l'aspect symbolique que Jenkins comparait la stratégie de ces groupes à un théâtre. Selon lui, les « anciens » groupes terroristes « want a lot of people watching, not a lot of people dead45. » Autrement dit, la violence servait moins à tuer qu'à catalyser l'attention

médiatique sur le groupe responsable de l'attentat.

1.2 - Les motivations et les objectifs des « nouveaux » terroristes

Or, selon les tenants du concept de « nouveau » terrorisme, les groupes terroristes de 4e génération ne sauraient être comparés aux groupes de 3e génération. D'entrée, chez

les groupes terroristes islamistes comme AQ, « the religious motive is overriding; and indeed, the religious imperative for terrorism is the most important defining characterirstic of terrorist activity today46. » La centralité de l'aspect religieux chez les

Ibidem.

43 Alex P. Schmid et Albert J. Jongman, op. cit., pp. 108 - 111 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit.,

pp. 267 - 269 ; Cindy C. Combs et Martin Slann, op. cit., pp. 320 - 323 ; François-Bernard Huyghe, « Un ou des terrorismes : constantes et variantes du message terroriste (Partie 1 ) », Huyghe, 2007; Gérard Chaliand et Arnaud Blin, op. cit., pp. 31 - 38 ; Leonard Weinberg, op. cit., pp. 1 - 6.

44 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., pp. 174 - 177, 229 - 295 233 ; Matthew J. Morgan, op. cit., p.

32.

45 Brian Jenkins, « International Terrorism: A New Mode of Conflict », dans David Carlton et Carlo Shaerf

(sous la direction de), International Terrorism and World Security, Londres, Croom Helm, 1975, p.l 5.

46 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 82.

(22)

motivations des « nouveaux » terroristes ferait en sorte que les objectifs de ces groupes relèveraient désormais de l'utopie. Si on s'en tient à la définition offerte par Capps, le propre des objectifs utopiques est qu'ils ne visent pas à amender un système existant, mais à changer les fondements mêmes d'un ordre établi47. Et l'analyse offerte par les

tenants du concept de « nouveau » terrorisme cadre parfaitement dans cette définition puisqu'elle soutient que les groupes terroristes actuels n'entendraient pas amender un système politique. Ils croiraient avoir la mission de ramener le monde à un état de pureté originel (« a golden age »)48 ou de détruire l'ordre établi afin d'accélérer l'avènement

d'une ère nouvelle49. Toujours selon le concept de « nouveau » terrorisme, la nature

utopique des objectifs des terroristes de 4e génération les amènerait à évoluer « en

marge » du politique. Ne désirant pas influencer l'évolution de la scène politique dans laquelle ils s'inscrivent, l'évolution de celle-ci aurait une influence négligeable sur les agissements de ces groupes. Partant, il serait impossible de mettre un terme à leurs violences en instaurant des réformes politiques qui répondraient à leurs aspirations50.

Plus important encore, puisqu'ils ne désireraient pas influencer la scène politique, les groupes terroristes de 4e génération n'utiliseraient pas la violence afin d'accroître leur

influence politique. Concevant le monde de façon manichéenne où il y a ceux qui embrassent « LA juste cause divine» (c'est-à-dire les individus qui partagent leurs objectifs et leurs croyances religieuses) et ceux qui la rejettent (c'est-à-dire tous ceux qui n'appartiennent pas à leur groupe religieux ou qui ne promeuvent pas leurs objectifs utopiques), ces groupes de fanatiques religieux chercheraient à éliminer l'ensemble des individus qui ne soutiennent pas et qui ne croient pas au « bienfondé » de leurs objectifs utopiques51. Selon eux, la destruction de leurs adversaires serait une condition sine qua

non à l'émergence du monde nouveau dont ils entendent accélérer l'avènement. Autrement dit, « today's terrorists don't want a seat at the table, they want to destroy the

47 Donald Capps, « Melancholia, Utopia, and the Psychoanalysis of Dreams », dans Richard K. FENN (sous

la direction de), The Blackwell Companion to the Sociology of Religion, Oxford, Blackwell Publishing, 2003, p. 92.

48 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 273 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 277 ;

Matthew J. Morgan, op. cit., pp. 30 - 31 ; Walter Laqueur, op. cit., pp. 97 - 99.

49 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 273 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 277 ;

Matthew J. Morgan, op. cil., pp. 30 - 31 ; Walter Laqueur, op. cit., pp. 97 - 99.

50 Ibidem.

51 Matthew J. Morgan, « The Origins ofthe New Terrorism », p. 36 ; Walter Laqueur, The New Terrorism:

(23)

table and everyone sitting at it52. » L'aspect communicationnel prendrait donc beaucoup

moins de place dans la stratégie des « nouveaux » terroristes. Alors que les « anciens » groupes terroristes espéraient démontrer le « bienfondé » de leurs objectifs autant à leurs supporters qu'à ceux qui n'étaient pas encore gagnés à leur cause, la propagande des « nouveaux » terroristes s'adresserait uniquement aux individus qui partagent déjà leurs objectifs53. Par exemple, lorsque les groupes terroristes islamistes se référeraient à des

fatwas54 pour justifier le « bienfondé » de leurs objectifs et de leurs actes, ils le feraient

principalement pour démontrer à ceux qui soutiennent déjà leur cause qu'ils respectent les valeurs de l'islam. La moindre importance de l'aspect communicationnel amènerait les « nouveaux » groupes terroristes à poser une menace sans précédent à la sécurité nationale et internationale . Contrairement aux « anciens » groupes terroristes qui tentaient de restreindre les dommages engendrés par leurs attentats afin de conserver une image positive auprès de leur public cible, les « nouveaux » groupes terroristes ne se soucieraient guère de leur image puisqu'ils n'entendraient pas recruter le maximum de supporters à leur cause. Ces groupes ne chercheraient donc plus à contrôler les dommages engendrés par leurs attentats. Au contraire, croyant que l'atteinte de leurs objectifs passerait par l'élimination d'une vaste catégorie d'individus, l'attentat indiscriminé56 de

haute intensité serait un des modes d'action priorisés par les « nouveaux » terroristes puisqu'ils feraient un nombre élevé de victimes57. Et puisque ces groupes de

« nouveaux » terroristes ne désireraient rien de moins qu'anéantir leur adversaire, il serait impossible de trouver une solution pacifique qui mettrait un terme à leurs violences5 .

Car, sachant que le groupe victime des attentats d'un groupe de « nouveaux » terroristes ne saurait accepter son propre anéantissement pour mettre un terme aux violences, la seule avenue possible au conflit résiderait donc dans l'élimination du groupe terroriste.

52 Matthew J. Morgan, op. cit., pp. 30 - 31.

53 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 273 ; Matthew J. Morgan, op. cit., p. 30. 54 Décret «juridique » prononcé par un spécialiste de loi et des traditions islamiques.

55 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 272 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit.. pp. 267

- 272 ; Matthew J. Morgan, op. cit., pp. 32 - 34.

56 Nous entendons par indiscriminés, des attentats dont les victimes ne sont pas précisément ciblées par le

groupe terroriste. Autrement dit, les cibles sont aléatoires et les victimes ne sont pas prédéterminées par le groupe terroriste en fonction de leur statut ou de leur rôle social. Les victimes de ces attentats se trouvent tout simplement au mauvais endroit, au mauvais moment.

57 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 273. 58 Walter Laqueur, op. cit., p. 98.

(24)

13 - Les « nouveaux » groupes terroristes islamistes

Même si les tenants du concept de « nouveau » terrorisme affirment qu'il ne s'agit pas de la seule forme « of apocalyptic, catastrophic terrorism59 », les groupes terroristes

islamistes seraient néanmoins un exemple type des « nouveaux » terroristes ; et ce serait particulièrement vrai pour la nébuleuse al-Qaida60. Religieusement motivés, ces groupes

n'auraient pas d'objectifs politiques réformistes précis. Ils croiraient avoir la mission divine de restaurer la gloire et la pureté originelles de l'umma en instaurant un califat panislamique comparable à celui qui existait au temps du prophète Muhammad61.

Autrement dit, ils désireraient changer les fondements mêmes du système d'État nation au Moyen-Orient en regroupant l'ensemble des peuples musulmans au sein d'un même califat et remplacer les systèmes politiques des pays moyen-orientaux par un système califal. Pour atteindre leurs objectifs utopiques, ces groupes penseraient qu'il leur incombe de combattre la présence des pays occidentaux en terre d'islam, telle la présence américaine en Arabie Saoudite. Affirmant qu'il s'agit d'une occupation qui a pour but d'asservir l'umma, les terroristes islamistes estimeraient que ces puissances étrangères soutiennent des régimes corrompus et qu'elles promeuvent des valeurs qui souillent la pureté des populations musulmanes. Selon eux, l'unique façon de restaurer la grandeur de l'umma passerait par l'expulsion des « Juifs et des Croisés » des pays musulmans et l'élimination des « impies » et des « apostats » - c'est-à-dire tous ceux qui collaborent avec les pays occidentaux et qui ne promeuvent pas leurs objectifs utopiques .

Ce faisant, les terroristes islamistes n'utiliseraient pas la violence dans le cadre d'une stratégie comparable à celle des « anciens » terroristes. Leurs attentats viseraient désormais à engendrer le maximum de victimes auprès de leurs adversaires. À titre d'exemple, Hoffman cite différents leaders de groupes terroristes islamistes dont Hussein Mussawi qui aurait affirmé « we are not fighting so that the enemy recognizes us and offers us something. We are fighting to wipe out the enemy63. » D'instrument utilisé dans

59 Matthew J. Morgan, op. cit., p. 32.

60 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 271 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 82 ;

Matthew J. Morgan, op. cit., p. 31.

61 Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit., p. 96.

62 Bruce Hoffman, « "Holy Terror" », op. cit., p. 271 ; Bruce Hoffman, Inside Terrorism, op. cit.. pp. 93

-97.

(25)

le cadre d'une stratégie politique, la violence serait désormais perçue par ces groupes terroristes comme un acte sacré qui servirait des fins purement eschatologiques.

1.4 - Le débat entourant le concept de « nouveau » terrorisme

Bien que l'idée d'un changement de nature chez les groupes terroristes se soit répandue, elle est de plus en plus contestée. Plusieurs auteurs tels Duyvesteyn, Spencer et Tucker soutiennent que l'évolution du phénomène terroriste s'inscrirait davantage dans la continuité que dans la rupture . Même s'ils ne nient pas qu'on puisse observer la présence de caractéristiques supposément propres aux « nouveaux » terroristes chez certains groupes actuels, ils ne croient pas pour autant que ces groupes soient fondamentalement différents de leurs prédécesseurs. Selon eux, un nouveau type de membres et une nouvelle forme organisationnelle ne seraient pas des évolutions qui à elles seules permettraient de parler d'un changement de nature chez les groupes terroristes. Ils allèguent que ce type de changements n'est que superficiel puisque les groupes terroristes ont de tout temps réformé leurs structures organisationnelles et leurs modes d'opérations au fil des circonstances et des évolutions technologiques. Qui plus est, ces auteurs affirment que même si les « nouveaux » groupes terroristes peuvent certes avoir des motivations religieuses, il n'en demeure pas moins que la majorité d'entre eux désireraient augmenter leur soutien populaire afin d'influencer la scène politique dans laquelle ils s'inscrivent65. Partant, il serait réducteur de présenter ces groupes comme

étant de purs fanatiques religieux qui utilisent la violence dans l'unique but d'éliminer leurs adversaires6 .

Nous abondons dans la direction de ces auteurs. En affirmant que les groupes terroristes actuels sont fondamentalement différents de leurs prédécesseurs puisque leurs motivations ne sont plus laïques, mais foncièrement religieuses, nous croyons que les tenants du concept de « nouveau » terrorisme offrent une analyse qui occulte divers aspects d'une réalité sociopolitique très complexe. En effet, selon Beckford « it is never

64 Isabelle Duyvesteyn, « How New Is the New Terrorism ? », Studies in Conflict & Terrorism, n° 27,

2004, pp. 439 - 454 ; Alexander Spencer, op. cit., ; David Tucker, op. cit.

65 David Tucker, op. cit., pp. 5-7. 66 Alexander Spencer, op. cit., p. 24 - 26.

(26)

easy categorically to separate the religious from nonreligious input to social movement67.

» Car, comme le souligne Fox, « religious motivations rarely exist in a vacuum68. »

Autrement dit, nous croyons que les phénomènes religieux et politiques sont souvent intimement liés et qu'ils s'influencent donc mutuellement. Il existe effectivement de nombreux cas où des groupes religieux ont tenté de réformer un système politique afin qu'il respecte davantage leurs croyances et leurs valeurs religieuses. À titre d'exemple, les quakers ont milité en faveur de l'abolition de l'esclavage au 19e siècle en affirmant

que cette pratique ne respectait pas les valeurs chrétiennes69. Inversement, des partis

politiques et des mouvements sociaux aux objectifs « laïcs » se sont déjà appuyés sur des valeurs religieuses afin de justifier la mise en place de réformes politiques. Les groupes pro-vie par exemple ont plus d'une fois cité différentes déclarations officielles de l'Église catholique afin de « démontrer » la moralité des amendements politiques et juridiques

70

qu'ils réclamaient . Ce qu'il convient de comprendre ici c'est que les motivations et les objectifs religieux sont la plupart du temps liés à des motivations et objectifs « séculiers », ce qui inclut ceux d'ordre politique. Donc, lorsqu'on étudie les facteurs qui influencent un comportement social, il conviendrait davantage de concevoir l'influence de la religion et des croyances religieuses « [as] a free-floating phenomenon71.»

D'ailleurs, cette constatation est des plus pertinentes lorsqu'on s'intéresse à l'islam sunnite et aux mouvements islamistes, et cela, pour au moins deux raisons. D'abord, puisqu'il n'y a pas d'autorité suprême dans l'islam sunnite comparable au Vatican catholique, différents leaders et imams ont constamment interprété les valeurs et doctrines religieuses islamiques en fonction des circonstances sociopolitiques et de leurs intérêts propres72. Ensuite, selon la tradition islamique, il n'existe pas de distinction entre

le politique et le religieux puisque les sources religieuses (Coran, hadithn et Shari'a74)

67 James Beckford, « Social Movements as Religious Phenomena », dans Richard K. Fenn (sous la direction

de), The Blackwell Companion to the Sociology of Religion, Oxford, Blackwell Publishing, 2003, p. 240.

68 Jonathan Fox et Shmuel Sandler, « The Question of Religion and World Politics », Terrorism and

Political Violence, 17(3), 2005, p. 302.

69 James Beckford, op. cit., p. 238. 70 Ibid, pp. 232 -235.

71 Ibid., p. 232.

72 John Kelsey, op. cit.. 263 pages.

73 Tradition rapportant les paroles ou les actes du prophète Muhammad. Dictionnaire de l'Islam : Religion

et civilisation, op. cit., p. 339.

(27)

expliquent les formes d'organisations sociales et les lois qui doivent être appliquées pour faire respecter les valeurs de l'islam. Pour toutes ces raisons, nous estimons qu'en traçant une nette distinction entre l'influence du religieux et du politique sur les actions et les objectifs des groupes terroristes islamistes, le concept de « nouveau » terrorisme occulte d'importants aspects du phénomène, dont l'intime relation que ces groupes entretiennent avec le politique et la logique stratégique qui sous-tend l'utilisation qu'ils font de la violence.

Avant de tester notre hypothèse et d'exposer les résultats de notre analyse de contenu, il est de mise d'effectuer un bref retour sur l'histoire de l'Iraq depuis l'intervention militaire des forces coalisées et la création d'AQI. Ce retour historique nous permettra d'exposer l'évolution du contexte sociopolitique de l'Iraq entre 2003 et 2008 et de présenter les différents acteurs qui ont marqué cette période.

(28)

Chapitre 2

L'Iraq entre 2003 et 2008 et la création d'AQI

Depuis l'intervention militaire des forces coalisées en 2003, l'Iraq a connu plusieurs bouleversements qui ont profondément transformé sa scène politique : la chute du régime de Saddam Hussein, l'instauration d'une administration transitoire, la tenue d'élections démocratiques, la formation d'un gouvernement iraquien et l'adoption d'une nouvelle Constitution entre autres exemples. Afin de mieux saisir la complexité de la situation iraquienne, nous effectuerons un bref survol des événements politiques qui ont marqué le pays entre 2003 et 2008 et présenterons les différents acteurs qui ont influencé la scène politique iraquienne. Nous dresserons également le portrait d'AQI en portant une attention particulière à la création du groupe, ses objectifs généraux et son mode opératoire. Cette étape s'avère essentielle puisqu'elle permettra de se référer à ces éléments de contexte lorsque nous tenterons de comprendre quel type d'événements politiques ont influencé les agissements d'AQI.

2.1 - Le contexte iraquien depuis 2003

Le 20 mars 2003, les frappes de missiles américains sur Bagdad (la capitale iraquienne) marquaient le début de l'opération militaire Iraqi Freedom menée par une coalition de 49 pays dirigée par les États-Unis 5. L'objectif déclaré76 de cette opération

militaire était de faire tomber le régime de Saddam Hussein et d'instaurer un système démocratique en Iraq77. Les forces coalisées étant rapidement venues à bout des forces de

sécurité iraquiennes, le président américain George W. Bush déclarait la fin des hostilités

75 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, U.S. Congressional Research Service,

19 novembre 2008, pp. 8 - 9 .

Plusieurs individus, dont Alan Greenspan, affirment que la démocratisation de l'Iraq était un alibi pour dissimuler l'objectif réel du gouvernement américain qui était de contrôler les réserves pétrolières de l'Iraq. Graham Paterson, « Alan Greenspan daims Iraq war was really for oil », The Sunday Times, 16 septembre 2007.

77 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, U.S. Congressional Research Service,

(29)

le 1er mai 2003 sous le slogan « mission accomplie78 ». Or, le renversement du parti Baas

ne signifiait pas la fin des hostilités, bien au contraire. La chute de Saddam Hussein avait créé un vacuum sécuritaire et le pays devint rapidement aux prises avec divers types de conflits intra-étatiques. Il se produisit des conflits interethniques et interconfessionnels qui opposaient principalement des groupes sunnites et chiites. Aussi, des luttes de pouvoir se développèrent entre des individus appartenant au même groupe ethnique ou confessionnel - sunnites laïcs contre sunnites islamistes, chiites laïcs contre chiites islamistes, etc.79 Loin de s'estomper avec le temps, ces violences intestines

s'intensifièrent au gré des développements politiques et le pays était au bord de sombrer

RO

dans une guerre civile en 2006 . Ce n'est qu'en 2007, avec l'arrivée de 20 000 soldats américains supplémentaires dans le cadre de la stratégie The Surge, que les forces coalisées furent capables de diminuer l'ampleur des violences intestines81. Cependant, le

pays resta tout de même aux prises avec une importante insurrection qui avait débuté avec

R?

la chute du régime baasiste et qui perdurait encore en 2010 . Loin d'être unifiée, cette insurrection était formée de multiples groupes armés aux objectifs éclectiques, dont des groupes baasistes, islamistes chiites, islamistes nationalistes sunnites et jihadistes salafistes.

Les baasistes. Suite à la chute de Saddam Hussein, d'anciens membres du parti toujours fidèles à l'idéologie nationaliste laïque du baasisme se soulevèrent afin de réinstaurer le parti au pouvoir. Ces groupes furent initialement considérés comme une des principales menaces à la démocratisation du pays puisqu'ils jouissaient d'un important soutien populaire auprès des Arabes sunnites iraquiens qui craignaient que cette démocratisation les écarte du pouvoir politique au profit des populations chiites et

78 Anthony H. Cordesman, Iraq 's Insurgency and the Road to Civil Conflict, Washington, Praeger Security

International, 2008, p. 42.

79 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 19 novembre 2008, p. 35 80 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 08 juillet 2009, p. 28. 81 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, U.S. Congressional Research Service,

06 septembre 2007, p. 38 ; Anthony H. Cordesman, op. cit., pp. 491 - 497 ; Kenneth Katzman, Iraq: Reconciliation and Benchmarks, U.S. Congressional Research Service, 03 septembre 2008, p. 3 ; U.S. Department of Defense, Report to Congress: Measuring Stability in Iraq, The Library of Congress, 25 mars 2009, p. 21.

(30)

kurdes83. Forts de cet appui populaire et possédant un important arsenal qu'ils avaient

accumulé avant la chute de Saddam Hussein, ces groupes lancèrent plusieurs attaques contre les forces coalisées entre 2003 et 200484. Cependant, en 2004, les forces coalisées

se rendirent rapidement compte que la réelle menace pour la stabilité de l'Iraq ne provenait pas des groupes baasistes, mais des insurgés islamistes chiites et sunnites qui

o c

devinrent très actifs à partir de cette date .

Les chiites. Bien que les groupes insurgés chiites furent nombreux, deux d'entre eux dominèrent la scène iraquienne : l'Armée du Mahdi et la Brigade Badr . L'Armée du Mahdi était la branche armée du mouvement politique dirigé par Moqtada al-Sadr. Elle affirmait lutter pour défendre les intérêts des plus démunis et elle jouissait d'un important soutien populaire auprès des populations chiites défavorisées. S'opposant à la présence des forces coalisées en Iraq et critiquant ouvertement les performances du gouvernement iraquien, l'Armée du Mahdi alterna entre les attentats et les pourparlers

R7

afin d'augmenter son influence politique au sein des institutions politiques iraquiennes . Quant à la Brigade Badr- qui est officiellement dissoute aujourd'hui -, elle ne s'opposait pas à la présence des forces coalisées en soi. Cette branche armée du Conseil Islamique Suprême, un parti politique chiite iraquien, entendait protéger les acquis politiques et religieux de la population chiite. Elle fomenta plusieurs attentats contre des membres de la population sunnite et des groupes insurgés dont les objectifs allaient à rencontre des siens tels les baasistes et les islamistes sunnites88.

Les islamistes nationalistes sunnites. Ces groupes furent également très nombreux. Parmi les plus actifs, on peut entre autres citer Al-Jaish Al-Islami fil-Iraq (l'Armée islamique d'Iraq), al-Jabha el-Islamiya al Moqawama al-Iraqiya (le Front de la résistance islamique d'Iraq), Jaish al-Mujahideen (l'Armée des mujaheedins), Jaish

83 II faut savoir que Saddam Hussein étant lui-même sunnite, la population arabe sunnite iraquienne était

favorisée comparativement aux chiites et aux Kurdes. Or, l'arrivée de la démocratie devait changer la donne pour les Arabes sunnites puisqu'ils ne formaient pas la majorité de la population. En effet, seulement 15 - 20 % de la population iraquienne est arabe sunnite, 60 - 65 % est arabe chiite et entre 15 - 20 % est kurde. Anthony H. Cordesman, op. cit., pp. 26 etl40.

84/6/V/.,pp.25-26. 85 Ibidem.

86 lbid, p. 37.

87 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 08 juillet 2009, p. 28. 88 Anthony H. Cordesman, op. cit., p. 26.

(31)

Muhammad (l'Armée de Muhammad) et Katayib Tawrate Al Ichrine 1920 (les Brigades de la Révolution de 1920)89. Malgré les nombreuses différences qui distinguaient ces

groupes et qui parfois les opposaient, tous rejetaient la présence américaine en Iraq90.

Bien que certains d'entre eux se disaient prêts à accepter l'instauration d'un système politique laïc pourvu que les partis politiques islamistes jouissent d'une certaine influence au sein des institutions politiques, l'ensemble de ces groupes privilégiait néanmoins l'instauration d'un système politique fondé sur les préceptes de l'islam91. Entre 2003 et

aujourd'hui, ces groupes insurgés ont joué un rôle prépondérant au sein de l'insurrection et ils ont été responsables de la majorité des attentats dirigés contre les forces coalisées et le gouvernement iraquien92.

Les jihadistes salafistes. Ces groupes desquels fait partie AQI étaient des éléments très actifs de l'insurrection. Ils lancèrent plusieurs attaques contre les forces coalisées et ils furent responsables de la majorité des attentats-suicides de haute intensité commis en Iraq93. Bien qu'ils comptaient plusieurs Arabes sunnites non iraquiens94

parmi leurs rangs, ces groupes jihadistes partageaient néanmoins certains objectifs avec les groupes islamistes nationalistes iraquiens. Tout comme ceux-ci, les jihadistes s'opposaient à la présence américaine en Iraq. Cependant, contrairement aux islamistes nationalistes, ils refusaient catégoriquement l'instauration d'un système politique laïc95.

Aussi, alors que les objectifs des groupes islamistes nationalistes concernaient spécifiquement l'Iraq, ceux des jihadistes transcendaient les frontières nationales. Ils considéraient le pays comme une province du territoire de l'umma et ils entendaient le réintégrer au sein d'un califat panislamique comparable à celui qui existait au temps du

89 Evan F. Kohlmann, « State ofthe Sunni Insurgency in Iraq: August 2007 », NEFA Foundation, 2007, pp.

16-22.

90 lbid, pp. 10-11.

91 Anthony H. Cordesman, op. cit., p. 27.

92 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 06 septembre 2007, p. 31 93 Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 08 juillet 2009, p. 24.

94 Bien que les estimations des spécialistes divergent concernant le pourcentage de jihadistes non iraquiens

qui formaient les rangs des groupes insurgés jihadistes, ils s'entendent néanmoins pour dire que les rangs des groupes jihadistes contenaient une proportion importante d'étrangers. La majorité de ceux-ci provenait de divers pays arabophones du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, dont la Jordanie, l'Arabie Saoudite, la Syrie, l'Algérie, l'Egypte, etc. Kenneth Katzman, Al Qaeda in Iraq: Assessment and Outside Links, Congressional Research Service, 15 août 2008,pp. 15 - 16 ; Kenneth Katzman, Iraq: Post-Saddam Governance and Security, op. cit., 06 septembre 2007, p. 31.

Références

Documents relatifs

Member States have resolved to take measures aimed at addressing the conditions conducive to the spread of terrorism, including lack of rule of law and violations of human

When S 1 is in position 2, the amplifier is connected in the unity gain connection and the voltage at the output will be equal to the sum of the input offset volt- age and the

bilingue par Jean-Claude Mühlethaler, Ballades en jargon par Eric Hicks, Paris, Champion, 2004 ; mais aussi à celle que Jacqueline Cerquiglini-Toulet a procuré dans La Pléiade,

If there is existing active infection, the situation is one where sector 4 biosecurity cannot be improved and there is significant challenge from highly pathogenic avian

Support and recruitment for suicide terrorism occur not under conditions of political repression, poverty, and unemployment or illiteracy as such but when converging

The coordinated train bombings in Madrid have altered Europe's political structure, shaken global financial markets and unsettled the American-led coalition in Iraq.. Although we

In the Middle East, perceived contexts in which suicide bombers and supporters express themselves include a collective sense of his- torical injustice, political subservience,

Choisir une onde sinusoïdale de 1.5 Volts (crête à crête) et régler la fréquence de la source à 1 kHz. Discuter de l’allure des signaux et du déphasage observé entre les