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Danser la métamorphose, danser les Métamorphoses

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Danser la métamorphose, danser les Métamorphoses

Hélène Vial

To cite this version:

Hélène Vial. Danser la métamorphose, danser les Métamorphoses. Présence de la danse dans l’Antiquité, Présence de l’Antiquité dans la danse, 2013. �hal-01817070�

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Danser la métamorphose, danser les Métamorphoses

Hélène Vial, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II)

Si, comme l’écrit Lucien, Protée était en réalité un danseuri, autrement dit si la figure mythique de ce dieu par excellence des métamorphoses peut, par l’absolu pouvoir de transformation mais aussi d’imitation qui la caractérise, être interprétée comme désignant la fascinante plasticité d’un corps exécutant une chorégraphie dans laquelle il se transforme et, par là même, se démultiplie virtuellement à l’infini, alors les Métamorphoses d’Ovide, qui sont le grand poème des mutations physiques, sont par nature un texte investi de l’intérieur par la présence de la danse, c’est-à-dire intégrant dans sa matière poétique quelque chose de fondamentalement chorégraphique et susceptible, à son tour, d’être dansé, même si, comme le suggère Ovide lui-même dans l’élégie V, 7 des Tristes, il n’a sans doute pas été écrit dans cette perspectiveii. La réflexion que nous proposons ici se veut une

exploration de cette double hypothèse : que la danse est présente dans les Métamorphoses et que les Métamorphoses peuvent être dansées. Nous nous attacherons en premier lieu, par des analyses de détail, à souligner la dimension chorégraphique présente dans le texte d’Ovide, et en particulier la très grande proximité de la poétique ovidienne de la métamorphose avec l’esthétique de la danse, avant d’évoquer une réalisation effective de cette potentialité, deux mille ans après ces pantomimes qu’Ovide, dans les Tristes, évoquait avec un apparent étonnement et une indifférence affichée — certes aussitôt démentie.

Si l’angle choisi pour ce parcours est celui de la métamorphose elle-même, c’est parce que c’est en elle que vient, à nos yeux, se concentrer l’essence du problème esthétique qui nous intéresse. L’association faite par Lucien entre Protée et la figure du danseur constitue par elle-même, dans sa force suggestive et provocatrice, une incitation à explorer la relation entre métamorphose et danse, et elle l’est tout particulièrement pour une œuvre comme les Métamorphoses, tout à la fois fondée sur le motif de la transformation et organiquement chorégraphique. Les premiers vers du poème nous semblent, à eux seuls, le montreriii. Les Métamorphoses s’y définissent comme le poème des

transformations des formes. Formes physiques, d’une part : dans ce prologue plein d’audace où les dieux n’apparaissent que comme de dociles adjuvants puisque c’est l’esprit du « poète-narrateur »iv qui

portera, avec une souveraine liberté d’inspiration, tout l’édifice, les « formes métamorphosées en corps nouveaux » sont d’emblée dotées d’une très forte empreinte spatiale, puisque Ovide nous les montre déjà, dans la distribution même du vers, en proie à la disjonction, à distorsion et à la métamorphose, les mots noua, mutatas, formas et corpora formant à eux seuls un schéma visuel très fort combinant chiasme, rimes intérieures et rejet du mot fondamental corpora. Formes poétiques, d’autre part : ce que ce prologue met en scène est aussi une mutation d’ordre littéraire puisque, pour la première fois dans son œuvre, Ovide délaisse le distique élégiaque et, en prolongeant le deuxième vers par la malicieuse parenthèse nam uos mutastis et illas, au centre de laquelle se trouve le verbe-clé mutastis,

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transforme le pentamètre attendu en hexamètre, modifiant ainsi radicalement la physionomie matérielle et générique de son œuvre. On comprend d’emblée, en lisant ce prologue soutenu par une puissante dynamique visuelle, que l’œuvre qui s’ouvre ainsi est un poème en mouvement et de nature foncièrement spectaculaire, reposant entièrement sur ce que G. Rosati appelle « illusione e spettacolo »v ; dès les premiers vers, le lecteur se sait sur le point de lire un poème qui, pour dire les métamorphoses des corps sous la poussée paroxystique des passions, nous les montrera, par un constant prodige d’enargeia, avec autant de précision et de clarté que le danseur de pantomime qui, sur scène, anime les personnages qu’il représente et donne corps à leurs émotions.

Protée est donc bien le sujet de cette œuvre qui, inlassablement, rejouera sous nos yeux les métamorphoses des formes corporelles et littéraires. Le poème ovidien met en scène plusieurs personnages capables de se métamorphoser à l’infini — Achéloüs, Mnestra, Thétis ou Vertumnevi —, mais aussi, à trois reprises, Protée lui-même ; or, les trois fois, le dieu apparaît, d’ailleurs au sein d’épisodes au caractère visuel très marqué, comme un analogon du poème tout entier. Il est d’abord, au livre II, au centre de l’ekphrasis des portes du palais du Soleil ciselées par Vulcainvii. Le passage

offre une véritable miniature du monde symbolique et poétique des Métamorphoses, car c’est tout à la fois un abrégé de l’univers, tel qu’Ovide le réinvente dans le poème — un univers vivant, animé d’un mouvement perpétuel par la métamorphose et les passions qui la suscitent —, et le concentré d’une poétique fondée sur la uariatio, c’est-à-dire sur la combinaison sans cesse renouvelée du même et de l’autre. Cette poétique est symbolisée, aux v. 13-14, par l’image des Néréides, avec leur facies non omnibus una, / non diuersa tamen ; mais elle l’est aussi, un peu plus haut, par Protée, que l’adjectif ambiguum définit comme l’irreprésentable par excellence et qui, nous dit Ovide, est pourtant représenté, non dans l’une de ses formes mais dans toutes successivement. L’image définit à elle seule le défi esthétique représenté par une œuvre — les portes du palais du Soleil, mais aussi, bien sûr, les Métamorphoses — capable d’intégrer à la fois en elle, comme seule peut-être peut le faire la danse, la plus grande force de suggestion visuelle des corps dans l’espace, la densité ontologique des passions humaines et l’épaisseur vivante du temps ; une œuvre qui, ici, nous fait comprendre qu’elle est à lire non comme un tableau figé, mais comme la projection mouvante et sans cesse renouvelée d’un spectacle total. Plus loin, au livre VIII, Ovide nous montre cette fois Protée dans ses incarnations successivesviii, et c’est ici le danseur de pantomime décrit par Lucien qui nous apparaît, « capable de

prendre toutes les formes » : jeune homme, lion, sanglier, serpent, taureau, pierre, arbre, eau, feu, et résumant ainsi à lui seul à la fois le décor et le sujet du poème tout entier, la connivence entre le « poète-narrateur » et son insaisissable personnage étant signalée par l’emploi, rare, de la deuxième personne du singulier, comme si le « je » lui-même ondoyant des Métamorphoses s’adressait directement à Protée, espérant obtenir qu’il lui révèle les secrets de son don de mimesis universelle. C’est d’ailleurs ce que fera Pélée quand, au livre XI, il demandera au dieu de l’aider à posséder Thétis malgré ses métamorphoses. Protée conseillera alors au jeune homme d’emprisonner la déesse dans un réseau de liens à la fois suffisamment solides pour qu’elle ne s’échappe pas et assez souples pour la

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laisser libre de se transformerix. C’est grâce à ce stratagème tout à la fois simple et subtil que Pélée

s’unira à Thétis. Pour la première fois ici, le corps de Protée n’est pas directement figuré ; il n’apparaît donc plus dans son activité première de danseur absolu capable de mimer tous les éléments du monde et, par là même, le poème ovidien tout entier, mais dans celle, seconde, d’un chorégraphe réglant, grâce à son expérience intime de la danse des métamorphoses, une autre danse : celle de la capture amoureuse, mais aussi, très probablement, celle de l’écriture, voire de la lecture, du texte ovidien, étreinte périlleuse et précieuse d’un objet du désir par essence fuyant.

Ce détour apparent par la figure de Protée nous place en fait au cœur du sujet qui nous intéresse ici, car il nous montre que les Métamorphoses sont le produit d’une esthétique de type chorégraphique, esthétique dans laquelle la scène de la métamorphose, répétée potentiellement à l’infini, occupe une position nodale, le poème apparaissant comme un théâtre panoptique fait d’une multiplicité de plateaux, organiquement liés les uns aux autres par un dispositif architectural complexe, où sont représentées des scènes mythologiques que le regard surplombant du « poète-narrateur » vient éclairer tour à tour. Que la danse ait influencé profondément l’écriture des Métamorphoses ne fait donc pour nous aucun doute. Nous pensons en effet que, pour Ovide, bien avant Lucien, Protée est un danseur, en ce sens que la seule manière de représenter vraiment la métamorphose — c’est-à-dire, pour la première fois dans l’histoire littéraire, de la montrer dans toute sa densité existentielle, altération du corps et bouleversement de l’âme, de sorte à donner à travers elle cette vision du monde radicalement nouvelle et provocatrice qui caractérise les Métamorphoses — est de chorégraphier la métamorphose, autrement dit de faire apparaître les formas transformées en noua […] corpora comme des corps de danseurs qui, sur ce théâtre des passions qu’est le monde, se meuvent, se rencontrent, se débattent, s’étreignent et parfois fusionnent, ou au contraire se déchirent et se disloquent, et finalement, toujours, deviennent autres, mais sans jamais cesser de garder en eux quelque chose de leur ancienne identité. Ce n’est donc pas seulement le sujet de l’œuvre — la métamorphose — qui se prête à une écriture de type chorégraphique ; c’est surtout la conception qu’a Ovide de la manière dont il veut traiter ce sujet, et, au-delà, de sa propre vocation poétique. Car pour lui, poésie et danse sont unies par une profonde fraternité. En premier lieu, elles reposent toutes deux sur un même matériau concret, qui est le rythme : l’élégie IV, 2 des Pontiques les définit, à quelques vers de distancex, en deux formules très proches, l’écriture poétique consistant à numeris nectere

uerba, « entrelacer des mots au moyen de rythmes » ou « à des rythmes », et la danse à numerosos ponere gestus, « effectuer des mouvements en rythme ». Mais ce qui les rapproche le plus et leur confère une capacité d’évocation et d’émotion également exceptionnelle est qu’elles s’inscrivent toutes deux dans le temps et donnent ainsi à voir avec toute leur épaisseur humaine les affres des corps et des âmes. Cette épaisseur est particulièrement nécessaire à Ovide pour dire dans sa dimension ontologique l’aventure de la métamorphose ; mais il va encore plus loin, car il fait entrer aussi dans son écriture l’aspect visuel propre à la danse, inventant ainsi une poétique nouvelle, totale, qui conjugue la magie évocatoire du verbe et la nature scénique et charnelle d’un ballet. Il le fait

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notamment par le biais de l’ekphrasis, qui constitue, elle aussi, une passerelle entre le visuel et le verbal ; ainsi évoque-t-il la silhouette de Niobé transformée en pierre comme une imago dans laquelle la vie et de la mort se combinent miraculeusement, donnant finalement naissance à l’image oxymorique du bloc de marbre inondé de larmes, tombeau entrouvert d’un corps féminin mort à lui-même et qui, pourtant, continue à vivre, animé par sa souffrance et réduit tout entier à ellexi.

Sur cette invention d’une poétique chorégraphique de la métamorphose, Ovide donne parfois ce que l’on pourrait qualifier de commentaires internes ; ainsi dissémine-t-il dans son texte plusieurs scènes de danse, qui, de manière significative, ont toujours un lien étroit avec le motif de la métamorphose. Ainsi les pirates tyrrhéniens qui, au livre III, ont enlevé le dieu Bacchus sont-ils transformés en dauphins en une scènexii qui est l’une des plus somptueusement et joyeusement

visuelles de tout le poème, et qui, dans la coda descriptive formée par ses quatre derniers vers, comporte une comparaison dont le terme-clé, chori, est emprunté au monde de la danse. Dans la grâce joueuse de leurs saltus, les dauphins se livrent à un manège à la fois capricieux et harmonieux qui prend l’apparence, faite tout à la fois d’une irrépressible fantaisie créatrice et d’un ordre précisément réglé, d’une danse collective. Cette comparaison cristallise, dans sa brièveté, tous les principes qui régissent l’écriture du passage et, à travers lui, du poème entier : la part bachique de l’inspiration, la nature profondément ludique de l’ingenium poétique ovidien, la puissance d’évocation d’une écriture tout entière fondée sur le surgissement visuel de la forme et, surplombant l’ensemble, la grande loi physique et poétique de la métamorphose, qui conduit ces dauphins, issus de la transformation de corps humains, à redevenir, par le miracle du regard neuf posé sur eux, des hommes, non plus brutaux et impies, mais unis en une gracieuse chorégraphie offerte à celui — le dieu, ou le poète — qui les a modelés. Cette scène où le saut devient danse trouvera d’ailleurs au livre VI son contrepoint grotesque dans le saltus malignus des paysans lyciens qui, faisant des bonds dans l’eau d’un étang pour la rendre boueuse et empêcher Latone de s’y désaltérer, seront transformés en grenouilles en un récitxiii aussi

subtilement et euphoriquement écrit qu’est grossière et dérisoire la hargne des égoïstes paysans. Les deux danses — celle des dauphins et celle des grenouilles — seront en quelque sorte réunies en une seule quand, au livre XIV, Ovide mettra en scène un berger d’Apulie métamorphosé en olivier sauvage pour avoir transformé en un saltus agrestis accompagné d’obscénités les gracieuses choreae dansées en mesure par les nymphesxiv. Entre-temps, une autre image empruntée à l’univers

chorégraphique aura brièvement traversé l’espace poétique : l’étrange, lente et belle danse formée par Orphée et Eurydice lorsqu’ils se retrouvent enfin pour toujours aux Enfers après la mort d’Orphéexv. L’étreinte passionnée des deux époux semble, l’espace d’un instant, pouvoir reconstituer, de leurs deux corps devenus ombres, un corps unique qui soit à nouveau fait de chair, et, quand ils se séparent à nouveau, c’est cette fois libres de toute crainte, pour s’engager dans une chorégraphie où J. Dangel voit un « pas de deux » conjugué à un « pas chassé » et une configuration associant « progression en ligne droite », « anticipation » et « retournement »xvi. Or, à ce moment précis, Ovide met en scène,

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regard d’Orphée, ce fameux regard qui se retourne, désormais sans danger (iam tutus respicit), vers l’être aimé resté en arrière. J. Dangel voit dans l’architecture de ce dernier vers la marque d’une conquête de nature poétique : celle d’une écriture totale qui, seule, permet aux époux de se retrouverxvii. Soutenu par une telle interprétation, le long cycle d’Orphée s’offre comme la figuration

d’un cheminement poétique et symbolique au terme duquel le chanteur, alter ego à la fois ressemblant et différent du « poète-narrateur » des Métamorphoses, aura conquis, grâce à toutes les légendes de passions et de transformations qu’il aura racontées, sa propre voix et acquis ainsi le droit de renouer, sous la forme d’une danse mimant la séparation et l’union, l’étreinte amoureuse initialement abolie par la mort.

Telles sont les apparitions les plus explicites de l’image de la danse dans les Métamorphoses, et nous voyons qu’elles sont toutes étroitement liées et au motif central de la métamorphose, et à la définition d’une poétique de nature fondamentalement spectaculaire, où la musicalité du verbe parvient à intégrer dans sa matière sonore la puissance de l’évocation visuelle. Mais c’est le plus souvent de manière implicite que la danse nourrit l’écriture ovidienne, dans des scènes qui, comme l’écrit M.-H. Garelli à propos des épisodes de Daphné et de Niobé, « pourraient être lues comme des leçons de gestuelle dansée », et qui, écrit-elle aussi au sujet de l’épisode de Myrrha, « comporte<nt> beaucoup d’indications concrètes d’attitudes ou de mouvements », au point que « le lecteur a parfois l’impression d’assister à un spectacle »xviii. La course folle de Daphné, que viennent brusquement arrêter les racines de l’arbre, emprisonnant les pieds agiles de la nymphe dans une étreinte paralysante, les baisers donnés en vain au laurier par Apollon et l’acquiescement final de l’arbre à son nouveau destinxix ; l’immobilité à la fois morbide et vivante de Niobé, dont le corps glacé par le chagrin sait

encore pleurerxx ; le geste désespéré de Myrrha plongeant son visage sous l’écorce qui monte le long de son corps et accélérant ainsi d’elle-même la métamorphose qu’elle a appelée de ses vœuxxxi ; toutes

ces scènes chorégraphiées avec une infinie précision où le numerus, clé de voûte et de la danse et de l’écriture ovidienne de la métamorphose, installe simultanément dans le temps et dans l’espace, avec une prodigieuse force de suggestion, un corps qui se débat entre identité et altérité, le lecteur se dit avec certitude qu’elles pourraient se danser, telles quelles, sans en rien changer, à la seule condition de trouver pour cela ce danseur total que définit Lucien, ce Protée apte à représenter dans l’espace exigu de son corps le passage du même à l’autre vécu par un personnage et, pourquoi pas, par plusieurs à la fois. Car c’est peut-être dans les scènes de métamorphoses collectives que l’on ressent le plus fortement la charge chorégraphique propre à l’esthétique ovidienne de la transformation, l’extrême plasticité d’une poétique attachée à montrer, en temps réel, la projection des passions de l’âme sur ce matériau premier a priori si limité, si inapte à sortir de lui-même qu’est le corps humain. Nous l’avons vu dans l’épisode des pirates transformés en dauphins, où la présence de l’univers chorégraphique nous est explicitement indiquée par la comparaison in chori ludunt speciemxxii ; mais on peut aussi penser, par exemple, à la métamorphose des Héliades en peupliersxxiii. Brisées par la mort brutale de

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dans la transformation de leurs corps. La scène est traitée par Ovide selon le principe de l’« arrêt sur image » et le regard du narrateur vient se poser successivement sur des fragments de ces corps entraînés tous ensemble dans la métamorphose, pendant que la mère des Héliades, Clymène, va de l’une à l’autre pour tenter d’interrompre l’inexorable processus, ne parvenant qu’à arracher des cris de douleur à ses filles dont elle fait saigner les corps en s’efforçant de les libérer de leur prison d’écorce. Cet éclatement stroboscopique des points de vue se retrouve dans de nombreux récits de métamorphoses de groupes, en particulier en pierresxxiv. Parfois au contraire, la technique narrative fait

du groupe des personnages métamorphosés un seul corps anonyme ; c’est le cas dans le récit de la pétrification des femmes de Thrace meurtrières d’Orphéexxv, violente scène de capture à laquelle l’emploi surprenant du singulier donne une très forte intimité dramatique et dont on pourrait très bien imaginer l’interprétation par un seul danseur, des jeux de lumière venant au besoin attirer le regard sur telle ou telle partie de son corps pour en suggérer la fragmentation et l’altération.

La poétique à l’œuvre dans les Métamorphoses, en particulier dans le traitement de la métamorphose elle-même, se trouve donc selon nous au cœur d’une chaîne qui va de la danse à la poésie, puis de la poésie à la danse et qui rend la poésie ovidienne de la métamorphose, parce qu’elle est influencée par l’esthétique chorégraphique, apte à être dansée à son tour. Elle le fut probablement du vivant même d’Ovide, comme en témoignent deux passages des Tristes, celui que nous avons cité au début de cet articlexxvi et cet autre, extrait de la longue élégie II : Et mea sunt populo saltata

poemata saepe, / saepe oculos etiam detinuere tuos.xxvii Le destin de la pantomime fut, historiquement, très bref ; mais on sait qu’elle a influencé de manière directe ou indirecte, et par des processus de réappropriation conscients ou inconscients, certaines formes actuelles des arts de la scène ; et surtout, la chaîne danse-poésie-danse instaurée par le poème d’Ovide, elle, est restée ouverte et peut à tout instant être réactivée sous l’impulsion d’un tempérament artistique sensible à la spécificité et à la nouveauté radicale de son esthétique. Or, elle l’a été tout récemment d’une manière extrêmement stimulante ; cela n’a, d’une certaine manière, rien d’étonnant, en ces temps où, comme au tournant des Iers siècles avant et après Jésus-Christ — bien que pour des raisons historiques profondément

différentes —, nous passons d’un monde à un autre, où nos repères géopolitiques, mais aussi esthétiques et existentiels vacillent, où le motif de la métamorphose s’impose comme l’un des grands archétypes structurant l’imaginaire collectif et où, pour le meilleur et pour le pire, on redécouvre inlassablement les Métamorphoses d’Ovide pour en faire la grande bible païenne du nouveau millénaire, sorte de livre absolu où tout aurait été dit sur la mutabilité de toutes choses, la puissance transformatrice des passions humaines, l’ivresse et les dangers du pouvoir, l’infinie plasticité des corps, la force ambivalente du regard, la grandeur et la difficulté d’être artiste et tant d’autres sujets encore. Cette exploitation tous azimuts du texte ovidien peut conduire à une perte de sens quand les angles adoptés sont vraiment trop absurdes ou, surtout, quand on en vient à dépouiller les Métamorphoses de leur identité première, c’est-à-dire de la romanité qui s’y affirme de manière

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constante et éclatante. Mais, outre qu’elle est le fruit d’une époque et peut à ce titre constituer en soi un intéressant objet d’étude, elle contribue à souligner par contraste l’intelligence de la démarche accomplie par les rares créateurs qui savent retrouver dans sa vérité nue le texte d’Ovide, non pas en se débarrassant de tous les oripeaux des temps actuels, mais au contraire en les exploitant pour mieux dire à la fois la spécificité viscérale de l’œuvre ovidienne et la résonance qu’elle peut trouver en nous vingt siècles plus tard.

Cette démarche est très exactement celle du chorégraphe Frédéric Flamand, qui dirige le Ballet National de Marseille, dans son tout récent spectacle Métamorphoses, librement inspiré du poème d’Ovide et conçu en collaboration, pour la scénographie et les costumes, avec deux designers brésiliens, Humberto et Fernando Campana, dont la spécificité est qu’ils travaillent sur des formes hybrides et surtout sur la réhabilitation, et même la magnification, de matériaux pauvres et recyclésxxviii. Un tel dispositif peut a priori passer pour une concession un peu facile à l’air du temps et

laisser craindre un catapultage artificiel et périlleux entre deux univers — celui des Métamorphoses d’Ovide et celui du recyclage ennobli par le design — qui semblent étrangers l’un à l’autre. Il n’en est rien : loin de conduire à des amalgames porteurs de contresens, la rencontre se révèle opérante et féconde entre le texte latin et les créations des frères Campana, faites de structures tubulaires, de rubans de caoutchouc ou d’inextricables enchevêtrements de plastique et surtout de grands cercles suspendus qui, les uns vides, les autres tendus de matières variées, servent tantôt de lieux de passage symboliques, tantôt de cloisons infranchissables entre les êtres, tantôt de support pour la réalisation de figures acrobatiques, tantôt encore d’écrans où se projettent des images comme autant de commentaires de ce qui se passe sur la scène. Au fil du spectacle, on croise bien, fugacement, quelques associations discutables, par exemple entre l’esthétique ovidienne et l’idée moderne, selon nous étrangère à Ovide, de métissage, ou entre la toile d’Arachné et le « web », cette trame électronique dans laquelle le monde entier se trouve aujourd’hui enserré. Mais ces détails n’empêchent pas une cristallisation artistique de se faire entre les deux mondes ; or, si cette cristallisation a lieu, c’est parce qu’au cœur du processus suscité par Frédéric Flamand se trouve la danse, autrement dit parce que des corps viennent faire le lien entre le texte d’Ovide et le décor inattendu dans lequel il est mis en scène, corps d’une extrême plasticité qui, tout en réalisant dans toute leur épaisseur charnelle et avec une grande sensualité les virtualités chorégraphiques contenues dans le poème, habitent intensément le décor hybride élaboré par les frères Campana et, ce faisant, lui donnent sens. F. Flamand fait représenter à ces corps des épisodes qui, à ses yeux, illustrent de manière emblématique le combat entre l’ordre et le chaos, la nature brute et les forces qui tentent de la domestiquer ; ainsi les légendes de Phaéthon, des Héliades, de Persée et de Méduse, d’Actéon, de Cygnus, de Narcisse, d’Arachné ou encore de Médéexxix sont-elles pour lui l’occasion d’une réflexion « sur les forces

constitutives de la nature humaine », « sur les manifestations du désir » ou encore « sur les ambiguïtés liées aux stratégies du regard »xxx. Cette réflexion se déploie effectivement avec une grande richesse,

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œuvre littéraire, pouvaient se danser et que réaliser cette potentialité contenue dans le texte revenait à se donner une chance d’affirmer, mieux que par bien des discours critiques, la radicale et provocatrice nouveauté de ce texte et, par là même, son actualité et son universalité.

Il a pensé, en particulier, que l’on pouvait danser les récits ovidiens de métamorphoses. Ainsi la scène liminaire du spectacle s’inspire-t-elle du passage du livre I où, après le déluge, Deucalion et Pyrrha sont chargés par les dieux de régénérer l’humanité disparue en lançant derrière leurs dos des pierres qui, au contact de la terre, prennent peu à peu la forme humainexxxi C’est au travail du

sculpteur, et non du chorégraphe, qu’Ovide compare l’émergence de la forme humaine dans la pierre brute ; mais la danse sculpte ici les corps et, en les faisant passer de l’inertie au mouvement, illustre à merveille la fonction dynamique dont le monde minéral est investi dans l’imagination ovidienne ; car, dans les Métamorphoses, la pierre est, pour reprendre des expressions bachelardiennes, une « image première », un « être de la littérature active »xxxii, autrement dit une aspérité vivante du monde,

toujours susceptible de receler une histoire humaine enfouie et peut-être de redevenir cette chair qui, un jour, s’est figée dans la minéralité. Ce que raconte Ovide dans ce texte est aussi l’avènement à la fois miraculeux et naturel de la forme poétique, et il est intéressant de constater que Frédéric Flamand, en conservant à l’épisode, dans son spectacle, la position inaugurale qu’il avait dans le poème, en a fait une réflexion implicite sur la naissance de la danse, définie comme passage de l’immobilité au mouvement et libération totale des potentialités physiques de l’homme. Toute l’œuvre du chorégraphe est, comme l’écrit B. Degroote, « soutenue […] par l’interrogation obsessionnelle du statut du corps humain »xxxiii et, pour mener cette interrogation, il a souvent croisé les disciplines artistiques, s’associant en particulier avec des architectes ou intégrant dans ses spectacles des éléments audiovisuels pour mieux disloquer les représentations traditionnelles du corps et, ce faisant, démanteler les cadres classiques de la danse. Il n’est pas étonnant que son parcours l’ait conduit à rencontrer les Métamorphoses d’Ovide, qui s’affirment dès leurs tout premiers versxxxiv comme une

enquête passionnée sur les corps, menée au moyen d’une permanente hybridation générique comme d’un prisme posé sur le monde connu pour le déconstruire et le révéler.

Mais explorer les corps, c’est aussi, pour Ovide, sonder les âmes, et si le poème se penche inlassablement sur l’instant de la métamorphose, s’il le dit des centaines de fois au moyen de montages poétiques toujours différents, c’est que cet instant constitue pour son auteur un point de nouage existentiel où, par le basculement physique de l’identité dans l’altérité, un être rejoint en réalité ce qu’il était déjà métaphoriquement par son apparence extérieure, par son caractère, par son désir, voire par les sentiments d’autrui, parfois même par son seul nom. Dans une telle perspective, choisir, pour dire la métamorphose, de numeris nectere uerbaxxxv, autrement dit choisir le langage poétique, revient à fonder une grammaire des passions — et l’expression pourrait être une bonne définition des Métamorphoses — ; mais choisir de danser la métamorphose (numerosos ponere gestus) plutôt que de l’exprimer en mots revient aussi à fonder un alphabet, une morphologie et une syntaxe des passions. C’est ainsi que se définit implicitement l’entreprise de Frédéric Flamand : en témoigne par exemple la

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violence quasi elliptique de son traitement de la métamorphose d’Actéon en cerf, racontée par Ovide au livre III des Métamorphosesxxxvi. Dans le texte d’Ovide, le corps d’Actéon est à la fois,

tragiquement, augmenté et fragmenté ; en basculant dans l’animalité, il se sépare de l’âme, restée humaine, et, à travers cette dislocation, c’est l’être tout entier qui s’effondre ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Ovide, relégué sur les bords de la mer Noire, se comparera à Actéon, coupable, comme lui, d’avoir vu quelque chose d’interdit et puni, comme lui, dans l’intégrité même de son êtrexxxvii. Le

chorégraphe a concentré à l’extrême l’itinéraire intérieur d’Actéon, gommant le long passage qui, chez Ovide, sépare la métamorphose de la mortxxxviii et faisant apparaître celle-ci comme la conséquence

immédiate d’une brutale aliénation physique, un corps étranger venant, telle une monstrueuse prothèse, abolir les traits du jeune homme, dès lors emporté dans les soubresauts de l’agonie. La liberté créatrice que le chorégraphe manifeste ici à l’égard du texte ovidien montre que sa fidélité ne s’embarrasse pas d’être littérale et que les voies qu’elle emprunte sont celles, symboliques, dictées par la singularité d’un tempérament artistique.

L’une des expressions les plus fortes de cette fidélité d’un autre ordre nous semble être la version donnée par F. Flamand de l’épisode d’Arachné, autre personnage qu’une étroite fraternité unit au « poète-narrateur » des Métamorphoses : punie par Minerve pour avoir tissé, avec un talent supérieur à celui de la déesse, une toile provocatrice représentant les métamorphoses des dieux, Arachné se pend et la déesse, prise de pitié, fait d’elle une araignéexxxix. La scène est, dans sa brièveté, d’une extrême cruauté ; or, la chorégraphie élaborée par F. Flamand développe avec une précision presque douloureuse la violence qui caractérisait déjà la scène chez Ovide. Dans le texte, la métamorphose fait entrer dans l’éternité le don merveilleux d’Arachné ; elle lui donne aussi une autonomie absolue, puisque l’araignée détient dans son propre corps la source du fil évanescent avec lequel elle élabore son ouvrage. Il y a là une image du poète lui-même, seul au centre de son œuvre, suspendu en équilibre sur cette fine trame qui tout à la fois révèle et dissimule la vérité du monde, telle la danseuse dans son cercle tendu de fils de plastique entrelacés. Les évolutions quasi surnaturelles de la femme-araignée mise en scène par Frédéric Flamand, avec leur impact visuel angoissant, voire repoussant — que vient nourrir une musique elle-même anxiogène —, nous semblent représenter une incarnation extrême de la nature profondément chorégraphique de la métamorphose ovidienne et, au-delà, dénoter une compréhension très aiguë de ce qu’est l’écriture pour Ovide : le geste, inlassablement recommencé, d’éprouver les limites connues, acceptées, voire imposées des formes physiques et poétiques.

Est-ce l’audace radicale de ce geste qui contraignit Ovide à s’embarquer pour les bords inhospitaliers de la mer Noire, d’où il devait un jour apprendre qu’à Rome on dansait effectivement ces poèmes si bien faits, malgré ses dénégations, pour être dansés ? On pourrait être tenté de le croire quand on le voit, dans les Tristes et les Pontiques, s’identifier non pas à tel ou tel personnage des Métamorphoses, mais à tousxl, et se représenter tantôt comme un nouvel Actéon exilé de lui-même

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pour avoir vu ce qu’il ne fallait pas voirxli, tantôt comme une Niobé figée dans le paroxysme de sa

douleurxlii, tantôt comme une autre Myrrha morte et vivante à la fois dans sa prison d’écorcexliii. Pour

dire le désespoir de la relégation, le « poète-narrateur » s’intègre lui-même au règne de la fiction et se confond avec tous les personnages dont il a dit les transformations. Ainsi devient-il, au fil de ces incarnations démultipliées jusqu’au vertige, un Protée aux mille figures ; mais c’est un Protée malheureux qui, à la différence de celui de Lucien, est devenu lui-même ce qu’il imitait, et qui surtout refuse désormais de danser — autrement dit d’écrire : c’est la même chose — puisqu’il n’a plus personne à qui offrir cette danse précieuse qu’est la naissance de l’écriture poétique. Peu importe, alors, qu’on danse à Rome des passages des Métamorphoses : la consolation semble dérisoire à côté du constat désespéré du tarissement de la veine poétique, constat qui donne naissance à une nouvelle et bouleversante figuration du poète en danseur : nec numeris nectere uerba iuuat, « je n’ai plus envie d’entrelacer des mots au moyen de rythmes (ou : à des rythmes) », écrit Ovide dans l’élégie IV, 2 des Pontiques, parce que in tenebris numerosos ponere gestus / quodque legas nulli scribere carmen idem est, « danser dans les ténèbres et écrire de la poésie sans avoir personne à qui la lire, c’est la même chose »xliv. Comment mieux dire qu’être poète, pour Ovide, c’est danser, que le bannissement a fait de

cette danse à l’origine heureuse une pantomime macabre — ou, pour reprendre un beau titre de Céline, un ballet « sans musique, sans personne, sans rien » —, mais aussi que c’est précisément quand les ténèbres sont tombées que cette danse est, plus que jamais, vitale ?

i De la danse, 19 : « La légende dit que l’Égyptien Protée n’était lui-même rien d’autre qu’un danseur, capable de prendre toutes les formes, de mimer à son gré, par la vivacité de ses mouvements, la fluidité de l’eau ou l’ardeur de la flamme, la férocité du lion, l’agressivité de la panthère ou les mouvements d’un arbre — et bien d’autres choses encore. Mais avec sa propension au merveilleux, la légende a fini par raconter que Protée devenait ce qu’il imitait. » La traduction est celle de C. TERREAUX (Lucien de Samosate, Éloge de la danse suivi d’Éloge du parasite et d’Éloge de la mouche, Paris, Arléa, 2007, p. 14).

ii Nous citons ici les v. 25-30 : Carmina quod pleno saltari nostra theatro / uersibus et plaudi scribis, amice, meis : / nil equidem feci — tu scis hoc ipse — theatris, / Musa nec in plausus ambitiosa mea est. / Non tamen ingratum est quodcumque obliuia nostri / impedit et profugi nomen in ora refert. « Quant à ce que tu m’écris, mon ami, à savoir qu’on danse mes poèmes dans un théâtre comble et qu’on applaudit mes vers, je n’ai, moi, rien écrit — tu le sais toi-même — pour les théâtres, et ce n’est pas dans les applaudissements que ma Muse place son ambition. C’est pourtant sans déplaisir que je considère tout ce qui m’empêche d’être oublié et ramène sur les lèvres le nom de l’exilé. » Les passages d’Ovide cités dans cet article sont accompagnés d’une traduction personnelle.

iii Nous citons ici les v. 1-4 : In noua fert animus mutatas dicere formas / corpora ; di, coeptis, nam uos mutastis et illas, / adspirate meis primaque ab origine mundi / ad mea perpetuum deducite tempora carmen. « Mon esprit me porte à dire les métamorphoses des formes en corps nouveaux ; dieux, inspirez mon entreprise — car vous les avez métamorphosées aussi — et, depuis la première origine du monde jusqu’à mon époque, dévidez le fil sans fin de ce poème. » Pour une étude plus détaillée du prooemium des Métamorphoses, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « Frontières en métamorphose : le prologue et l’épilogue des Métamorphoses d’Ovide », dans B. BUREAU et C. NICOLAS (éd.), Commencer et finir. Débuts et fins dans les littératures grecque, latine et néolatine, actes du colloque des 29-30 septembre 2006 (Lyon, Université Jean Moulin et ENS-LSH), Lyon, CERGR, « CEROR », 31, 2, 2008, p. 393-410.

iv Nous empruntons l’expression à G. TRONCHET (La Métamorphose à l’œuvre. Recherches sur la poétique d’Ovide dans les Métamorphoses, Louvain-Paris, Peeters, « Bibliothèque d’Études Classiques ».1998, p. 36) : elle nous semble bien refléter la complexité du statut du « je » des Métamorphoses.

v Narciso et Pigmalione, Illusione e spettacolo nelle Metamorfosi di Ovidio, Firenze, Sansoni, 1983.

vi Cf. Mét., respectivement IX, 62-65 et 80-81, VIII, 738-739 et 871-874, XI, 241-245 et XIV, 643-656 et 685-686.

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vii Nous citons ici les v. 5-18 : Materiam superabat opus ; nam Mulciber illic / aequora caelarat medias cingentia terras / terrarumque orbem caelumque, quod imminet orbi. / Caeruleos habet unda deos, Tritona canorum / Proteaque ambiguum ballenarumque prementem / Aegaeona suis immania terga lacertis / Doridaque et natas, quarum pars nare uidetur, / pars in mole sedens uiridis siccare capillos, / pisce uehi quaedam ; facies non omnibus una, / non diuersa tamen, qualem decet esse sororum. / Terra uiros urbesque gerit siluasque ferasque / fluminaque et nymphas et cetera numina ruris. / Haec super inposita est caeli fulgentis imago / signaque sex foribus dextris totidemque sinistris. « L’ouvrage était plus admirable encore que son matériau. En effet, Mulciber y avait ciselé les flots qui forment autour des terres une ceinture, le globe terrestre et le ciel qui s’étend au-dessus de ce globe. L’eau est représentée avec ses dieux bleu sombre, Triton à l’harmonieuse musique, Protée aux formes variées, Égéon pressant entre ses bras les dos énormes des baleines, et Doris accompagnée de ses filles : on voit les unes nager, les autres, assises sur un rocher, faire sécher leurs verts cheveux, d’autres encore chevaucher un poisson ; leur apparence, sans être pour toutes unique, n’est pas dissemblable pour autant : elle convient bien à des sœurs. La terre porte des hommes, des villes, des forêts, des bêtes sauvages, des fleuves, des nymphes et toutes les autres divinités champêtres. Au-dessus sont représentés le ciel brillant et, sur les battants, les signes du zodiaque, six à droite, autant à gauche. »

viii Il s’agit des v. 732-737 : Nam modo te iuuenem, modo te uidere leonem ; / nunc uiolentus aper, nunc, quem tetigisse timerent, / anguis eras ; modo te faciebant cornua taurum ; / saepe lapis poteras, arbor quoque saepe uideri ; / interdum, faciem liquidarum imitatus aquarum, / flumen eras, interdum undis contrarius ignis. « Car on t’a vu tantôt jeune homme, tantôt lion ; tel jour tu étais un sanglier furieux, tel autre un serpent qu’on redoutait de toucher ; parfois, des cornes te muaient en taureau ; souvent on pouvait te voir pierre, arbre souvent aussi ; de temps en temps, imitant l’apparence d’eaux limpides, tu étais fleuve et, de temps en temps, feu ennemi des eaux. »

ix Nous citons ici les v. 251-254 : Tu modo, cum rigido sopita quiescit in antro, / ignaram laqueis uincloque innecte tenaci. / Nec te decipiat centum mentita figuras, / sed preme, quicquid erit, dum quod fuit ante reformet. « Tout ce que tu as à faire, c’est, quand elle repose endormie dans son antre aux rudes parois, de l’enchaîner à son insu dans des liens solidement attachés. Et qu’elle ne t’abuse pas quand elle prendra cent formes mensongères ; non, tiens-la serrée, quelle qu’elle soit, jusqu’à ce qu’elle retrouve son apparence première. » x Il s’agit des v. 30 et 33.

xi Mét., VI, 301-312 : Orba resedit / exanimes inter natos natasque uirumque / deriguitque malis ; nullos mouet aura capillos, / in uultu color est sine sanguine, lumina maestis / stant inmota genis, nihil est in imagine uiuum. / Ipsa quoque interius cum duro lingua palato / congelat et uenae desistunt posse moueri ; / nec flecti ceruix nec bracchia reddere motus / nec pes ire potest; intra quoque uiscera saxum est. / Flet tamen et ualidi circumdata turbine uenti / in patriam rapta est, ibi fixa cacumine montis / liquitur et lacrimis etiam nunc marmora manant. « Privée de tous les siens, elle demeura assise au milieu de ses fils, de ses filles et de son mari inanimés et se figea dans son malheur : la brise ne fait pas bouger un seul de ses cheveux, le sang ne vient plus colorer son visage, ses yeux restent fixes sous ses paupières alourdies de chagrin, elle n’est plus qu’une image sans vie. À l’intérieur, même sa langue se glace dans son palais durci et tout mouvement cesse dans ses veines ; elle ne peut ni tourner la tête, ni bouger les bras, ni marcher : jusque dans ses entrailles, elle est pierre. Elle pleure pourtant. Enveloppée par le tourbillon d’un vent violent, elle fut emportée jusque dans sa patrie ; là, immobilisée au sommet d’une montagne, elle se fond en eau et, aujourd’hui encore, le marbre ruisselle de larmes. »

xii Mét., III, 670-686 (nous soulignons dans le passage les mots ou expressions désignant le saut et, dans l’avant-dernier vers, la comparaison de nature chorégraphique que nous commentons) : Exsiluere uiri, siue hoc insania fecit / siue timor primusque Medon nigrescere coepit / corpore et expresso spinae curuamine flecti. / Incipit huic Lycabas : « In quae miracula, dixit, / uerteris ? » et lati rictus et panda loquenti / naris erat squamamque cutis durata trahebat. / At Libys, obstantis dum uult obuertere remos, / in spatium resilire manus breue uidit et illas / iam non esse manus, iam pinnas posse uocari. / Alter, ad intortos cupiens dare bracchia funes, / bracchia non habuit truncoque repandus in undas / corpore desiluit ; falcata nouissima cauda est, / qualia dimidiae sinuantur cornua lunae. / Vndique dant saltus multaque aspergine rorant / emerguntque iterum redeuntque sub aequora rursus / inque chori ludunt speciem lasciuaque iactant / corpora et acceptum patulis mare naribus efflant. « Les hommes sautèrent par-dessus bord, sous l’effet de la folie ou de la terreur ; ce fut d’abord le corps de Médon qui commença à noircir et son dos à se plier pour prendre une forme courbe. Lycabas commence à lui dire : « En quel être prodigieux es-tu métamorphosé ? » Et, tandis qu’il parlait, sa bouche s’élargissait, son nez se recourbait et sa peau durcie se couvrait d’écailles. Libys, lui, alors qu’il voulait retourner les rames, qui lui résistaient, vit ses mains se rétrécir au point de ne plus occuper qu’un petit espace ; ce n’étaient plus des mains : on pouvait désormais les appeler des nageoires. Un autre, cherchant à tendre les bras vers les cordages entortillés, se retrouva sans bras et, son corps tronqué se cambrant, sauta à l’eau ; sa queue toute neuve a la forme d’une faux, comme les cornes courbes de la demi-lune. Ils bondissent de tous côtés avec de grands éclaboussements, émergent à nouveau, puis plongent encore sous les ondes ; dans leurs jeux, ils ressemblent à une troupe de

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danseurs ; leurs corps s’ébattent joyeusement et, de leurs narines bien ouvertes, ils aspirent puis soufflent l’eau de la mer. »

xiii Il s’agit des v. 363-365 et 370-381 (où nous soulignons à nouveau les termes désignant le saut) : Nec satis est, ipsos etiam pedibusque manuque / turbauere lacus imoque e gurgite mollem / Huc illuc limum saltu mouere maligno. […] Eueniunt optata deae ; iuuat esse sub undis / et modo tota caua submergere membra palude, / nunc proferre caput, summo modo gurgite nare, / saepe super ripam stagni considere, saepe / in gelidos resilire lacus. Sed nunc quoque turpes / litibus exercent linguas pulsoque pudore, / quamuis sint sub aqua, sub aqua maledicere temptant. / Vox quoque iam rauca est inflataque colla tumescunt / ipsaque dilatant patulos conuicia rictus. / Terga caput tangunt, colla intercepta uidentur ; / spina uiret, uenter, pars maxima corporis, albet / limosoque nouae saliunt in gurgite ranae. « Et cela ne leur suffit pas : ils vont jusqu’à troubler, de leurs pieds et de leurs mains, les eaux du lac et à soulever du fond la vase molle en sautant méchamment de tous côtés. […] Le souhait de la déesse se réalise : ils aiment être dans l’eau et tantôt plonger tout leur corps au fond du marécage, tantôt montrer leur tête, parfois nager à la surface de l’eau, souvent se poser sur la rive de l’étang, souvent retourner d’un bond dans le lac glacial. Mais encore maintenant ils occupent sans relâche à des querelles leurs mauvaises langues et, bien qu’ils vivent dans l’eau, ils essaient encore, dans l’eau, de proférer des insultes. Quant à leur voix, elle est désormais rauque, leur gorge enfle et se dilate et leurs injures mêmes distendent leur bouche largement ouverte. Leurs épaules touchent leur tête, leur cou semble effacé ; leur dos verdit et leur ventre, la plus grosse partie de leur corps, blanchit ; ces êtres nouveaux qui sautent dans les eaux boueuses, ce sont des grenouilles. »

xiv Il s’agit des v. 520-526 : Ad numerum motis pedibus duxere choreas ; / improbat has pastor saltuque imitatus agresti / addidit obscenis conuicia rustica dictis ; / nec prius os tacuit, quam guttura condidit arbor ; / arbor enim est sucoque licet cognoscere mores ; / quippe notam linguae bacis oleaster amaris / exhibet ; asperitas uerborum cessit in illa. « Elles se mirent à former, en agitant leurs pieds en rythme, des danses en chœur ; il manifeste sa désapprobation et, les imitant par des sauts de rustre, ajoute à des propos obscènes de grossières injures ; sa bouche ne se tut que quand un arbre vint recouvrir sa gorge ; il est un arbre, en effet, et un arbre tel qu’à son suc on peut reconnaître son caractère : c’est un olivier sauvage, dont les baies amères figurent son honteux langage ; la brutalité de ses paroles s’y est concentrée. »

xv Mét., XI, 61-66 : Vmbra subit terras et, quae loca uiderat ante, / cuncta recognoscit ; quaerensque per arua piorum / inuenit Eurydicen cupidisque amplectitur ulnis. / Hic modo coniunctis spatiantur passibus ambo, / nunc praecedentem sequitur, nunc praeuius anteit / Eurydicenque suam iam tutus respicit Orpheus. « L’ombre d’Orphée descend sous terre et tous les lieux qu’il avait vus auparavant, il les reconnaît ; cherchant Eurydice à travers les champs des âmes pieuses, il la trouve et la serre passionnément entre ses bras. Là, en mesure, ils se promènent ensemble d’un même pas, tantôt elle marche devant et il la suit, tantôt c’est lui qui, devant elle, lui ouvre la voie, et Orphée se retourne désormais sans crainte pour regarder son Eurydice bien-aimée. »

xvi « Orphée sous le regard de Virgile, Ovide et Sénèque : trois arts poétiques », REL, 77, 1999, p. 87-117, p. 105.

xvii Ibid., p. 111.

xviii Danser le mythe. La Pantomime et sa réception dans la culture antique, Louvain-Paris-Dudley, Peeters, « Bibliothèque d’Études Classiques », 2007, respectivement p. 354 et 65.

xix Mét., I, 548-567 : Vix prece finita, torpor grauis occupat artus, / mollia cinguntur tenui praecordia libro, / in frondem crines, in ramos bracchia crescunt ; / pes modo tam uelox pigris radicibus haeret, / ora cacumen habent ; remanet nitor unus in illa. / Hanc quoque Phoebus amat positaque in stipite dextra / sentit adhuc trepidare nouo sub cortice pectus / complexusque suis ramos, ut membra, lacertis / oscula dat ligno ; refugit tamen oscula lignum. / Cui deus : « At quoniam coniunx mea non potes esse, / arbor eris certe, dixit, mea ; semper habebunt / te coma, te citharae, te nostrae, laure, pharetrae ; / tu ducibus Latiis aderis, cum laeta triumphum / uox canet et uisent longas Capitolia pompas. / Postibus Augustis eadem fidissima custos / ante fores stabis mediamque tuebere quercum ; / utque meum intonsis caput est iuuenale capillis, / tu quoque perpetuos semper gere frondis honores. » / Finierat Paean ; factis modo laurea ramis / annuit utque caput uisa est agitasse cacumen. « Sa prière à peine achevée, un lourd engourdissement s’empare de ses membres, sa tendre poitrine est entourée d’une mince écorce, ses cheveux s’allongent en feuilles, ses bras en branches ; son pied qui, à l’instant, était si rapide reste fixé au sol par de paresseuses racines ; une cime prend place sur sa tête ; seul subsiste en elle son éclat. Même ainsi, Phébus l’aime : posant la main sur le tronc, il sent encore palpiter son cœur sous l’écorce nouvelle, et, étreignant de ses bras les branches comme s’il étreignait son corps, il donne au bois des baisers ; mais le bois repousse ses baisers. Alors le dieu lui dit : « Eh bien, puisque tu ne peux être mon épouse, du moins tu seras mon arbre : c’est toi, laurier, que porteront pour toujours ma chevelure, mes cithares, mes carquois ; c’est toi qui accompagneras les généraux du Latium, quand une voix pleine d’allégresse chantera le triomphe et que le Capitole verra venir à lui de longs cortèges. C’est encore toi qui, fidèle gardien, te tiendras devant la porte d’Auguste, sur ses jambages, et protègeras la couronne de chêne suspendue au milieu ; et de même que ma tête, dont la chevelure n’a jamais été coupée, conserve sa jeunesse, porte toi aussi l’ornement d’un

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feuillage inaltérable. » Péan avait cessé de parler ; le laurier fit de ses branches toutes neuves un signe d’assentiment et sembla avoir agité sa cime comme une tête. »

xx Cf. supra, n. 11.

xxi Mét., X, 489-502 : crura loquentis / terra superuenit ruptosque obliqua per ungues / porrigitur radix, longi firmamina trunci ; / ossaque robur agunt mediaque manente medulla, / sanguis it in sucos, in magnos bracchia ramos, / in paruos digiti, duratur cortice pellis. / Iamque grauem crescens uterum perstrinxerat arbor / pectoraque obruerat collumque operire parabat ; / non tulit illa moram uenientique obuia ligno / subsedit mersitque suos in cortice uultus. / Quae quamquam amisit ueteres cum corpore sensus, / flet tamen et tepidae manant ex arbore guttae. / Est honor et lacrimis, stillataque robore myrrha / nomen erile tenet nulloque tacebitur aeuo. « En effet, avant même qu’elle eût fini de parler, la terre vint recouvrir ses jambes, et voici que, sortant de ses ongles qui se fendent, s’allonge une racine oblique, sur laquelle prend appui un tronc élancé ; ses os donnent naissance à un bois dur où subsiste, au milieu, la moelle ; le sang devient sève ; ses bras deviennent de grandes branches, les doigts des petites, et la peau durcit, changée en écorce. Déjà l’arbre avait, dans sa croissance, resserré son emprise sur le ventre alourdi et recouvert la poitrine, et il était sur le point d’envahir le cou ; mais elle ne supporta pas d’attendre et, allant au-devant du bois, elle s’affaissa et plongea son visage dans l’écorce. Bien qu’elle ait perdu, avec son corps, ses anciennes sensations, elle pleure pourtant et des gouttes tièdes coulent de l’arbre. Ces larmes sont honorées, et la myrrhe distillée par le bois conserve le nom de celle dont elle provient ; jamais on ne cessera de parler d’elle. »

xxii Mét., III, 685 (cf. supra, n. 12).

xxiii Mét., II, II, 346-366 : E quis Phaethusa, sororum / maxima, cum uellet terra procumbere, questa est / deriguisse pedes ; ad quam conata uenire / candida Lampetie subita radice retenta est ; / tertia, cum crinem manibus laniare pararet, / auellit frondes ; haec stipite crura teneri, / illa dolet fieri longos sua bracchia ramos. / Dumque ea mirantur, complectitur inguina cortex / perque gradus uterum pectusque umerosque manusque / ambit et exstabant tantum ora uocantia matrem. / Quid faciat mater, nisi, quo trahit impetus illam, / huc eat atque illuc et, dum licet, oscula iungat ? / Non satis est ; truncis auellere corpora temptat / et teneros manibus ramos abrumpit ; at inde / sanguineae manant, tamquam de uulnere, guttae. / « Parce, precor, mater », quaecumque est saucia, clamat, / « parce, precor ; nostrum laceratur in arbore corpus. / Iamque uale. » Cortex in uerba nouissima uenit. / Inde fluunt lacrimae stillataque sole rigescunt / de ramis electra nouis, quae lucidus amnis / excipit et nuribus mittit gestanda Latinis. « Phaéthuse, l’aînée des sœurs, qui voulait se prosterner à terre, se plaignit que ses pieds s’étaient raidis ; la blanche Lampétie, qui essayait de venir auprès d’elle, fut soudain retenue par une racine ; une troisième voulait s’arracher les cheveux : ce sont des feuilles que ses mains détachent de sa tête ; l’une s’afflige à la vue de ses jambes emprisonnées par un tronc d’arbre, une autre devant ses bras transformés en longues branches. Tandis qu’elles s’étonnent de ces prodiges, l’écorce enveloppe leurs aines puis, par degrés, s’empare de leur ventre, de leur poitrine, de leurs épaules et de leurs mains ; seules restaient libres leurs bouches, qui appelaient leur mère. Que peut-elle faire, cette mère, sinon aller là où son cœur l’entraîne, de l’une à l’autre, et échanger, tant qu’elle le peut, des baisers avec elles ? Cela ne lui suffit pas, et elle tente d’arracher leurs corps aux troncs et rompt de ses mains les tendres branches ; mais il en coule, comme d’une plaie, des gouttes de sang. « Arrête, je t’en supplie, ma mère, » crient celles qu’elle a ainsi blessées, « arrête, je t’en supplie : c’est notre corps que tu déchires à l’intérieur de l’arbre. À présent, adieu ! » L’écorce est venue recouvrir leurs derniers mots. Mais il en coule des larmes, et ces gouttes qui, tombant une à une des branches nouvellement apparues, durcissent au soleil, c’est de l’ambre, que le fleuve limpide recueille pour l’apporter comme parure aux jeunes femmes du Latium. »

xxiv Nous pensons par exemple à la scène du livre V (v. 181-209) où le héros Persée braque successivement sur plus de deux cents ennemis le regard pétrifiant de la Gorgone, les réduisant un à un à l’immobilité et au silence et faisant d’eux une forêt de statues à la fois inoffensive et inquiétante.

xxv Métamorphoses, XI, 69-84 : Protinus in siluis matres Edonidas omnes, / quae uidere nefas, torta radice ligauit ; / quippe pedum digitos, in quantum est quaeque secuta, / traxit et in solidam detrusit acumina terram. / Vtque suum laqueis, quos callidus abdidit auceps, / crus ubi commisit uolucris sensitque teneri, / plangitur ac trepidans astringit uincula motu, / sic, ut quaeque solo defixa cohaeserat harum, / exsternata fugam frustra temptabat ; at illam / lenta tenet radix exsultantemque coercet ; / dumque ubi sint digiti, dum pes ubi, quaerit, et unguis, / aspicit in teretes lignum succedere suras / et conata femur maerenti plangere dextra, / robora percussit. Pectus quoque robora fiunt, / robora sunt umeri ; porrectaque bracchia ueros / esse putes ramos et non fallare putando. « Aussitôt, il [= Bacchus] enchaîna dans les forêts, par une racine tortueuse, toutes les femmes édoniennes qui avaient vu le meurtre : à la place même jusqu’où chacune avait poussé sa poursuite, il allongea les doigts de leurs pieds et en enfonça l’extrémité dans la terre compacte. De même que, quand un oiseau a engagé sa patte dans les lacets adroitement dissimulés par l’oiseleur et qu’il sent qu’il est pris, il bat des ailes et, tout tremblant, resserre ses liens par ses mouvements, ainsi chacune de ces femmes, faisant corps avec le sol où elle avait été fixée, tentait en vain, hors d’elle, de s’enfuir ; mais une souple racine la retient prisonnière malgré ses soubresauts ; et, tandis qu’elle cherche où sont ses doigts, son pied, ses ongles, elle voit sur ses

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mollets ronds monter le bois et, quand elle essaie, dans sa douleur, de frapper sa cuisse de sa main, c’est sur du bois que tombent les coups. Leur poitrine aussi devient bois, c’est de bois que sont leurs épaules ; on croirait que leurs bras tendus ce sont de vraies branches et on n’aurait pas tort de le croire. »

xxvi Cf. supra, n. 2.

xxvii « Mes poèmes aussi ont souvent été dansés en public, souvent même ils ont captivé tes regards. » (v. 519-520).

xxviii Nous avons pu voir ce spectacle au Théâtre National de Chaillot où il était représenté du 16 au 19 janvier 2008. Nous remercions F. Flamand et P. Thys, directeur de la communication et de la diffusion du Ballet National de Marseille, pour l’amabilité avec laquelle ils nous ont permis de projeter des passages du spectacle lors de notre communication.

xxix Mét., respectivement I, 747-II, 332, II, 333-366, IV, 604-801, III, 13252, II, 367-380, III, 339-510, VI, 1-145, VII, 1-452 et VII, 1-452 (l’ordre dans lequel nous les citons est celui de leur apparition dans le spectacle). xxx Nous citons ici F. Flamand lui-même dans le texte de présentation du story-board de son spectacle (dans Frédéric Flamand &, éd. par R. MAGROU, Arles, Actes Sud, 2008, p. 140-171, p. 141).

xxxi Mét., I, 400-415 : Saxa (quis hoc credat, nisi sit pro teste uetustas ?) / ponere duritiem coepere suumque rigorem / mollirique mora mollitaque ducere formam./ Mox, ubi creuerunt naturaque mitior illis / contigit, ut quaedam, sic non manifesta, uideri / forma potest hominis, sed uti de marmore coepta / non exacta satis rudibusque simillima signis. / Quae tamen ex illis aliquo pars umida suco / et terrena fuit, uersa est in corporis usum ; / quod solidum est flectique nequit mutatur in ossa ; / quae modo uena fuit sub eodem nomine mansit ; / inque breui spatio, superorum numine, saxa / missa uiri manibus faciem traxere uirorum / et de femineo reparata est femina iactu. / Inde genus durum sumus experiensque laborum / et documenta damus qua simus origine nati. « Les pierres (qui le croirait, si l’Antiquité ne l’attestait ?) commencèrent à perdent leur dureté et leur rigidité, à s’amollir peu à peu et, en s’amollissant, à prendre forme. Bientôt, quand elles se sont développées et que leur matière s’est attendrie, on peut y reconnaître avec certitude, bien que floue, la figure humaine, mais comme une ébauche dans le marbre, encore inachevée et tout à fait semblable à celle de sculptures à l’état brut. Mais voici que la partie de ces pierres qui était imbibée de quelque suc et faite de terre est devenue chair, que ce qui est solide et ne peut être attendri se change en os ; ce qui était veine subsista sous le même nom et, dans un bref espace de temps, par l’effet de la puissance divine, les pierres lancées par l’homme prirent la forme d’hommes et la femme fut recréée à partir de celles qu’avait jetées une femme. C’est pourquoi nous sommes une race dure, endurante à la peine, démonstration vivante de nos origines. »

xxxii La Terre et les rêveries de la volonté. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1947, p. 191. xxxiii « La barre oblique », dans Frédéric Flamand &, op. cit. (cf. supra, n. 30), p. 20-123, p. 22.

xxxiv Cités supra, n. 3.

xxxv Nous reprenons ici les deux passages des Pontiques cités supra (cf. n. 10).

xxxvi Mét., III, 194-203 : Dat sparso capiti uiuacis cornua cerui, / dat spatium collo summasque cacuminat aures / cum pedibusque manus, cum longis bracchia mutat / cruribus et uelat maculoso uellere corpus. / Additus et pauor est ; fugit Autonoeius heros / et se tam celerem cursu miratur in ipso. / Vt uero uultus et cornua uidit in undis : / « Me miserum ! » dicturus erat ; uox nulla secuta est ; / ingemuit ; uox illa fuit ; lacrimaeque per ora / non sua fluxerunt ; mens tantum pristina mansit. « Sur sa tête qu’elle a éclaboussée, elle [Diane] place les cornes du cerf fougueux, elle allonge son cou et rend pointu le bout de ses oreilles, change ses mains en pieds, ses bras en longues jambes et recouvre son corps d’une peau tachetée. Elle y ajouta la crainte ; il fuit, le héros fils d’Autonoé, et s’étonne, en courant, d’être si rapide. Mais quand il vit dans les eaux sa figure et ses cornes : “Malheureux que je suis !” allait-il dire ; ce qui sortit de sa bouche n’était pas une voix : il poussa, en fait de voix, un gémissement ; ses larmes coulèrent sur une face qui n’était plus la sienne ; seul son esprit d’autrefois demeura ».

xxxvii Cf. en particulier Tristes, II, 103-108. xxxviii Mét., III, 204-252.

xxxix Mét., VI, 139-145 : Postea discedens sucis Hecateidos herbae / sparsit et extemplo tristi medicamine tactae / defluxere comae, cum quis et naris et aures, / fitque caput minimum, toto quoque corpore parua est ; / in latere exiles digiti pro cruribus haerent, / cetera uenter habet ; de quo tamen illa remittit / stamen et antiquas exercet aranea telas. « Puis, en s’éloignant, elle répandit sur elle les sucs d’une herbe choisie par Hécate, et aussitôt, touchés par ce poison funeste, ses cheveux tombèrent, et avec eux son nez et ses oreilles ; sa tête devient minuscule, tout son corps se réduit ; à ses flancs s’attachent de maigres doigts qui lui tiennent lieu de jambes ; tout le reste n’est plus que ventre ; mais de ce ventre, elle produit du fil et, araignée, elle travaille comme autrefois à ses toiles ».

xl Tristes, I, 1, 119-120 : His mando dicas inter mutata referri / fortunae uultum corpora posse meae, « je te charge de leur dire qu’on peut ajouter au nombre de ces corps métamorphosés le visage de ma fortune ».

xli Cf. supra, n. 37.

(16)

xliii Plusieurs passages, sans citer explicitement l’épisode de Myrrha, y font penser ; cf. notamment Tristes, I, 1, 19 et 3, 89 et Contre Ibis, 16.

xliv Citons ici le passage dans son intégralité (v. 25-38) : Inpetus ille sacer qui uatum pectora nutrit, / qui prius in nobis esse solebat, abest. / Vix uenit ad partes, uix sumptae Musa tabellae / inponit pigras paene coacta manus, / paruaque, ne dicam scribendi nulla uoluptas / est mihi nec numeris nectere uerba iuuat, / siue quod hinc fructus adeo non cepimus ullos, / principium nostri res sit ut ista mali, / siue quod in tenebris numerosos ponere gestus / quodque legas nulli scribere carmen idem est : / excitat auditor studium laudataque uirtus / crescit et inmensum gloria calcar habet. / Hic mea cui recitem nisi flauis scripta Corallis / quasque alias gentes barbarus Hister habet ? « Cet élan sacré qui nourrit le cœur des poètes, qui vivait autrefois en moi, je ne l’ai plus. Ma Muse peine à venir jouer son rôle et à poser, presque en se forçant, des mains paresseuses sur la tablette que j’ai prise ; le plaisir que je prends à écrire est faible, pour ne pas dire nul, et je n’ai plus envie d’entrelacer des mots au moyen de rythmes (ou : à des rythmes), que ce soit parce que je n’en ai retiré aucun avantage — c’est même l’origine de mon malheur —, ou parce que danser dans les ténèbres et écrire de la poésie sans avoir personne à qui la lire, c’est la même chose : c’est l’auditeur qui excite le zèle, le talent s’accroît grâce aux éloges et la gloire constitue un puissant éperon. Ici, à qui lirais-je ce que j’écris, sinon aux blonds Coralles et aux autres peuples qui vivent près de l’Hister barbare ? »

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