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L'établissement des immigrants à Québec : parcours migratoires et biographies résidentielles d'immigrants français et maghrébins

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Academic year: 2021

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L’établissement des immigrants à Québec

Parcours migratoires et biographies résidentielles d’immigrants

français et maghrébins

Mémoire

Claire VAN DEN BUSSCHE

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Les sociologues de l’École de Chicago ont ouvert la voie à l’étude de la spatialisation des immigrants en lien avec leur assimilation, et cette problématique doit être remise à jour tant les villes et les caractéristiques des immigrants ont changé. Cette étude vise à comprendre la manière dont les immigrants choisissent leur domicile, depuis leur arrivée jusqu’à aujourd’hui, en analysant leur parcours d’établissement, dans la région métropolitaine de Québec. Une série de cartes, construites à partir de l’Enquête Nationale auprès des Ménages de 2011, donne d’abord une vue d’ensemble de la dispersion des immigrants sur le territoire de cette ville. L’analyse des entretiens semi-dirigés, réalisés avec huit immigrants français et six immigrants maghrébins, révèle ensuite les facteurs déterminants dans leurs parcours d’établissement, dont les principaux sont : le sentiment d’ascension sociale, la place accordée au réseau de sociabilité, et la morphologie de la ville de Québec.

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Table des matières

Résumé ... iii 

Table des matières ... v 

Liste des tableaux ... ix 

Liste des figures ... xi 

Remerciements ... xiii 

Avant-propos ... xv 

Introduction. De l’École de Chicago à aujourd’hui ... 1 

L’étranger, la ville, le ghetto ... 1 

Villes d’hier et d’aujourd’hui. Immigration d’hier et d’aujourd’hui ... 3 

L’étude. Question de recherche et plan du mémoire ... 6 

Chapitre 1. L’immigration et la question de l’intégration au Québec, d’hier à aujourd’hui ... 9 

Histoire et politique d’immigration au Québec ... 9 

Évolution des candidats à l’immigration ... 11 

Mondialisation... 11 

Évolution de l’immigration au Québec et à Québec ... 12 

Deux cas particuliers : les immigrants nés en France et au Maghreb ... 13 

La question de l’intégration ... 20 

L’interculturalisme comme mode de gestion de la diversité ... 20 

Définitions sociologiques de l’intégration et de l’ethnicité ... 21 

Chapitre 2. Biographies résidentielles de natifs et d’immigrants ... 27 

Choix résidentiels et parcours de vie ... 27 

Les natifs en général ... 27 

Trajectoire résidentielle d’un natif-type à Québec ... 30 

Parcours résidentiel et intégration des immigrants ... 31 

Parcours résidentiel des immigrants au Québec et à Montréal ... 31 

Quartier fondateur, cosmopolitisme et processus d’intégration ... 34 

(Ré)concilier théoriquement les parcours des natifs et ceux des immigrants. ... 36 

Chapitre 3. Présence immigrante au Québec et à Québec. ... 39 

Québec, une ville non-paradigmatique ... 39 

Une ville peu dense et étalée ... 39 

Une ville de maisons où l’offre de locatif est serrée ... 40 

Note méthodologique sur le recensement et l’Enquête Nationale auprès des Ménages ... 40 

Apports et biais l’ENM ... 40 

RMR, SR, immigrants : quelques définitions ... 41 

Dispersion de la population dans la Région Métropolitaine de Recensement de Québec ... 42 

La population totale ... 42 

La population immigrante ... 43 

Les immigrants Français ... 44 

Les immigrants maghrébins ... 45 

Répartition de la population dans les différents milieux de vie ... 46 

Méthodologie du découpage zonal ... 46 

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Répartition des immigrants français et maghrébins ... 49 

Chapitre 4. Question de recherche, objectifs et méthodologie ... 51 

Question de recherche et objectifs ... 51 

Privilégier le qualitatif ... 52 

Entretiens semi-dirigés pour explorer un processus complexe ... 52 

Guide d’entretien ... 53 

Une collecte de données en vue d’une théorisation ancrée ... 54 

Population visée et échantillonnage ... 54 

Recrutement et rôle des informateurs-clés ... 56 

Description de l’échantillon et conduite des entretiens ... 57 

Portées et limites de l’étude ... 57 

Chapitre 5. Parcours migratoires, des raisons et des significations ... 59 

Quitter son pays d’origine ... 59 

Partir avec l’intention de revenir ... 59 

De manière définitive ... 62 

En plusieurs étapes ... 64 

Choisir sa destination, s’informer et partir ... 66 

Pourquoi et comment choisit-on sa destination? ... 66 

Pratique de la migration ... 67 

Rester au Québec ou migrer de nouveau ... 68 

Retourner dans son pays d’origine ... 68 

Envisager une autre migration ... 71 

Rester au Québec ... 72 

La migration et l’intégration, entre rupture et continuité ... 77 

Chapitre 6. Parcours résidentiels ... 81 

À l’arrivée ... 81 

Logement temporaire en attendant de trouver ‘’chaussure à son pied’’. ... 81 

Arrivée programmée ... 82 

Choisir son premier logement ... 83 

Être proche du campus ... 84 

Être proche de « tout » ... 84 

Hésiter entre plusieurs milieux de vie ... 88 

S’établir ... 90 

Rester locataire ... 90 

Être propriétaire ... 91 

Aspirer à la propriété ... 92 

Le parcours résidentiel, révélateur du parcours d’intégration ?... 96 

Chapitre 7. Ethnicité et territoire ... 99 

Se sentir immigrant et vivre son ethnicité ... 99 

Visites au pays ... 99 

Maintenir d’autres types de liens ... 101 

Se sentir immigrant ... 102 

Cultiver sa différence, entretenir ou perdre son ethnicité ... 103 

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Une sociabilité forte qui influence la mobilité : le cas des Maghrébins rencontrés ... 105 

Une difficulté à se constituer un réseau, une mobilité en lien avec les activités ... 107 

Attachement au territoire et implication dans son quartier ... 108 

N’éprouver aucune attache particulière pour son lieu de résidence ... 109 

Aimer son quartier ... 110 

S’impliquer dans et pour son quartier ... 111 

Se sentir attaché à son territoire, des raisons et des significations... 112 

Chapitre 8. Parcours d’établissement : s’approprier Québec. ... 115 

Typologie des parcours d’établissement ... 115 

Facteurs déterminant dans le parcours d’établissement ... 116 

Facteurs ayant peu d’influence sur les parcours d’établissement ... 117 

Cinq types de parcours d’établissement ... 117 

Les atouts de la région métropolitaine de Québec ... 124 

Sainte-Foy, un quartier fondateur connecté ... 124 

Un réseau routier au service de la mobilité ... 125 

L’accession à la propriété envisageable ... 125 

Des milieux de vie pour tous les goûts ... 125 

Conclusion ... 127 

Rappel des principaux résultats ... 127 

Apports théoriques et méthodologiques de l’étude ... 130 

Limites de l’étude et suites à lui donner ... 131 

Recommandations à Statistique Canada, à la Ville de Québec et au Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion ... 132 

Bibliographie ... 135 

Annexes ... 141 

Annexe 1. Grille des critères de sélection des travailleurs qualifiés ... 141 

Annexe 2. Carte de Québec ... 142 

Annexe 3. Affiche de recrutement ... 143 

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Liste des tableaux

Tableau 1. Période d'immigration des personnes d'origine ethnique marocaine, tunisienne et algérienne, présentes au Québec en 2011 ... 16 Tableau 2. Caractéristiques démographiques et socioéconomiques des immigrants nés en France et des

personnes d'origine maghrébine au Québec, en 2011 ... 19 Tableau 3. Caractéristiques des personnes interrogées ... 57 

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Liste des figures

Figure 1. Taux de propriété des ménages immigrants selon la période d'immigration et la région de naissance,

Québec, 2001 ... 32

Figure 2. Dispersion de la population totale de la RMR de Québec entre SR, 2011 ... 42

Figure 3. Dispersion des immigrants de la RMR de Québec entre SR, 2011 ... 43

Figure 4. Dispersion des immigrants nés en France de la RMR de Québec entre SR, 2011 ... 44

Figure 5. Dispersion des immigrants maghrébins de la RMR de Québec enter SR, 2011 ... 45

Figure 6. Découpage zonal de la RMR de Québec ... 47

Figure 7. Répartition de la population totale et de la population immigrante entre les différents milieux de vie de la RMR de Québec, 2011 ... 48

Figure 8. Répartition des immigrants nés en France et nés au Maghreb entre les différents milieux de vie de la RMR de Québec, 2011 ... 49 

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Remerciements

Je n’aurais pas pu mener à bien mon enquête sans l’aide d’amis, collègues et professeurs, qui ont cherché, parmi leur réseau, des personnes immigrantes susceptibles d’être intéressées à participer aux entretiens. Qu’ils reçoivent ici toute ma gratitude.

Un immense merci aux immigrants et aux immigrantes d’origine algérienne, marocaine, tunisienne et française qui ont accepté de se raconter, de me confier une partie de leur vécu, de me décrire les différentes étapes de leur migration, les moments difficiles et les moments plus heureux. J’espère que ce mémoire sera fidèle à leur parole.

Je remercie particulièrement ceux à qui j’ai donné le titre d’informateurs-clé : deux hommes incroyablement dévoués qui m’ont accordé de leur temps pour me donner leur point de vue sur la situation des immigrants maghrébins au Québec et à Québec. Sans eux, je serais certainement passée à côté de subtilités primordiales, je n’aurais très probablement pas été aussi attentive à certains aspects qui ont pris une place importante dans mon mémoire. Leur aide m’a également été précieuse pour contacter d’autres immigrants. Mille mercis !

Je remercie enfin Dominique Morin et lui décerne la palme d’or du meilleur directeur de recherche ! Un milliard de mercis ne suffirait pas pour lui témoigner toute ma reconnaissance. J’avais l’impression, à chaque fois que je refermais la porte de son bureau, d’avoir à mes pieds les bottes de sept lieues: ma recherche allait avancer à pas de géant ! En plus de ses coups de baguette magique qui ont, à maintes reprises, mis de l’ordre dans mes idées confuses, il m’a donné la chance de découvrir les différentes facettes du métier de sociologue, de la recherche à l’enseignement. Très sincèrement, merci.

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Avant-propos

Une des premières impressions que j’ai eue en arpentant les rues de Québec était qu’il n’y avait pas beaucoup d’immigrants1. Venant de Toulouse, où il suffit de descendre à l’arrêt de métro Bagatelle pour

s’immerger dans un autre univers, celui des immigrants maghrébins, ou tout simplement se promener au cœur de la ville, pour croiser des résidents de toute origine, j’étais frappée par l’homogénéité, au moins apparente, de la population de Québec. L’idée de réaliser un mémoire sur l’immigration dans une ville où il n’y en a presque pas commençait à émerger. J’avais passé quelques jours à Montréal avant d’arriver à Québec et j’avais été frappée, à l’inverse, par l’extrême cosmopolitisme de cette ville américaine. Ici, je passais dans le quartier chinois, là dans le quartier latin, et les univers me semblaient bien marqués. Rien de tel à Québec. Aussi vais-je creuser cette question durant ma maîtrise : les immigrants qui arrivent à Québec, comment s’établissent-ils ? Quel quartier choisissent-ils ? Se retrouvent-ils d’autant plus entre compatriotes qu’ils sont peu nombreux ou au contraire ont-ils plus de facilités à s’intégrer autrement, en raison de leur petit nombre ? A ces premières impressions s’ajoutait l’envie de me rapprocher de l’univers de la première école de Chicago. Je m’étais rapprochée physiquement, en traversant l’Atlantique, je désirais me rapprocher intellectuellement, en étudiant, à la manière de Louis Wirth, l’intégration d’un groupe dit ethnique à travers son parcours résidentiel. Les immigrants, en arrivant à Québec, s’installent-ils dans un sas d’entrée, un secteur de la ville qui leur parait familier parce que des compatriotes y vivent ? S’en éloignent-ils au fur et à mesure des années passées loin de leur pays d’origine ? Cette distance progressive d’avec le « ghetto » comme porte d’entrée est-elle synonyme d’assimilation ? Wirth étudiait dans les années 1920 une ville dense en pleine expansion où l’arrivée d’immigrants était massive, j’étudierai en 2014 une ville très étalée où les immigrants arrivent au compte-goutte. Ce serait une manière pour moi d’en apprendre davantage sur la ville de Québec que ce que mes promenades et sorties pouvaient m’enseigner. Qui sont ses habitants ? Comment la ville s’est-elle développée ?

Enfin, je souhaitais en savoir plus sur l’immigration au Québec afin d’avoir un autre regard que celui qu’on porte en France. Comment s’opère l’intégration dans un pays où l’arrivée ne peut se faire qu’en avion ou en bateau en traversant un océan (si on ne veut pas passer par les États-Unis), ce qui implique un coût très élevé mais aussi un contrôle plus facile à la frontière ? Et comment s’opère l’intégration dans un pays peuplé par les immigrants ?

1Tous les termes qui renvoient à des personnes sont pris au sens générique. Ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un

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Introduction. De l’École de Chicago à aujourd’hui

L’étranger, la ville, le ghetto

La distance à l’intérieur de la relation signifie que le proche est lointain, mais le fait même de l’altérité signifie que le lointain est proche. (Simmel, 2004 [1908], p. 54)

En sociologie, l’analyse du rapport à l’étranger est née avec la réflexion sur la modernité et la croissance des grandes villes. Pour Simmel, la modernité libère l’individu du contrôle de la communauté. En même temps que les liens sociaux se distendent, l’individu tend à pouvoir devenir maître de son réseau social. La ville, parce qu’elle est caractérisée par la densité, inclut une variété considérable de comportements et devient dès lors, le lieu même de l’individu affranchi. Cette multiplicité des modes de vie, des façons d’être, oblige et conditionne l’individu qui vit en ville à adopter une « attitude blasée », à être « indifférent aux différences des choses » ((Simmel, 2004 [1903], p. 66). Dès lors, l’étranger a, a priori, toute sa place en ville puisqu’il incarne ce jeu de proximité-distance que pratiquent les citadins. Selon ce sociologue allemand qui a influencé l’École de Chicago, trois éléments caractérisent l’étranger. Premièrement, la mobilité. La première figure que convoque Simmel pour définir l’étranger est le commerçant. Du moment qu’un groupe vit de manière auto-suffisante, consomme uniquement ce qu’il produit, alors il n’a pas besoin d’étranger, mais dès lors qu’il doit commercer avec l’extérieur, l’altérité s’introduit. Et, « si la mobilité s’introduit dans un groupe fermé, elle entraîne avec elle cette synthèse de proximité et de distance qui constitue la position formelle de l’étranger » (Simmel, 2004 [1908], p. 55). Deuxièmement, l’objectivité. L’autre figure qui illustre la position de l’étranger est le juge. Cette objectivité peut être considérée comme une forme de liberté selon Simmel, car « l’homme objectif n’est retenu par aucune espèce d’engagement susceptible de le faire préjuger de ce qu’il perçoit » (p. 56). L’étranger n’a pas de racines dans le groupe qu’il rejoint, il n’en a pas les codes. Il n’a pas la « recette », il n’a pas en main « les modes d’emploi tout prêts » dont parle Schütz, qui aident habituellement un natif à déchiffrer le monde qui l’entoure et à agir de manière conforme, sans se poser de questions (Schutz, 1987 [1944], pp. 222-223). Il a donc un regard neuf sur les situations, il est objectif. Enfin, la troisième caractéristique de l’étranger selon Simmel est la généralité. Pour le dire simplement, si je considère l’autre comme un individu, alors je ne peux le qualifier d’étranger car il est tout aussi différent, en tant qu’individu, que mon voisin, natif. Il devient étranger uniquement parce que je le rattache à un groupe que je considère différent du mien. L’étranger est étranger en raison de caractéristiques générales, en référence à un groupe, et non à l’individu. C’est cet aspect, cette tension entre l’individu et le groupe, qui, d’après moi, est au fondement de tous les débats sur la place de l’étranger dans la ville et sur la création de ghetto ou d’enclave.

Pour comprendre les tensions à l’œuvre quant à la question de l’étranger dans la ville, il me semble nécessaire de faire discuter les apports de Simmel avec ceux des sociologues de Chicago, qui en sont les

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héritiers. Selon Simmel, la ville est le lieu par excellence de l’individu. Les chercheurs de la première École de Chicago, qui ont cherché à comprendre la morphologie de leur ville et la création des « aires naturelles »2,

ajoutent que « la métropole est, en quelque sorte, un gigantesque mécanisme de tri et de filtrage qui [...] sélectionne infailliblement dans l’ensemble de la population les individus les mieux à même de vivre dans un secteur particulier » (Park, 2004 [1929], p. 175), si bien que la ville prend la forme d’une « mosaïque de petits mondes qui se touchent sans s’interpénétrer », petits mondes dans lesquels chaque individu peut trouver « le type de milieu de vie où il s’épanouit et se sent à l’aise » (Park, 2004 [1925], p. 125). D’après L. Wirth, la ville est une forme d’organisation sociale (comme l’est la parenté par exemple) dans laquelle l’individu peut se joindre à des groupes variés et se détacher du poids familial. La densité implique des relations physiquement étroites et socialement éloignées et les individus sont en compétition pour l’appropriation du territoire (Wirth, 2004 [1938]).De ce constat, les sociologues de Chicago, et en particulier Wirth, qui, en 1928, est le premier à consacrer une étude sociologique au ghetto moderne qu'il observe à Chicago, vont chercher à comprendre la manière dont les immigrants trouvent leur place au sein de cette mosaïque.

Dans sa thèse publiée sous le titre de The ghetto (1980 [1928]), Wirth analyse la façon dont s’opère l'assimilation des immigrés Juifs à Chicago, en observant leur parcours résidentiel. Son œuvre se situe au croisement de deux courants de pensée. D'une part, il s'inscrit dans l'approche écologique développée par ses professeurs et collègues. Wirth lit la mobilité des Juifs dans la ville et leur ajustement à l'espace selon les trois facteurs de sélection, distribution et adaptation combinés ainsi par l'un des fondateurs de cette école, Robert D. Mckenzie :

Les rapports sociaux des êtres humains entre eux sont déterminés par la compétition et la sélection, et évoluent constamment avec l'entrée en jeu de nouveaux facteurs perturbant les relations de compétition ou facilitant la mobilité. (MacKenzie, 2004 [1925], p. 150).

Les groupes humains sont toujours en compétition pour le territoire, mais les tensions sont exacerbées en ville car le territoire est réduit et les différentes communautés plus nombreuses. Wirth va donc chercher à comprendre d'un côté les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la cohabitation sous forme de « symbiose » des différents groupes dans le ghetto de Chicago et dans la ville entière et, d'un autre côté, la manière dont le groupe des juifs reproduit « la culture à laquelle il était habitué dans son ancien habitat » (Wirth, 1980 [1928], p. 289). D'autre part, il est profondément marqué par l'approche culturaliste. Les questions d'assimilation, d'accommodation, et d'acculturation sont au cœur des préoccupations des chercheurs de l’École de Chicago. Ils sont en effet au plus proche de ces phénomènes car Chicago accueille chaque jour de nouveaux immigrants issus de différents continents. Wirth constate que les Juifs se répartissent en plusieurs zones. D'un

2 Précisons qu'« un secteur de la ville est appelé ''aire naturelle'' parce qu'il naît sans dessein préalable et remplit une

fonction, bien que cette fonction […] puisse être contraire au désir de tout un chacun. » (Park, 2004 [1929], p. 174). Une population qui a certaines caractéristiques socio-économiques et historiques va choisir « naturellement » une aire dont les caractéristiques spatiales, économiques et sociales lui sont proches, lui donnant ainsi la possibilité de maintenir son identité.

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3 côté, dans le Near West Side, autour de Maxwell street, il observe une population juive orthodoxe, répartie en plusieurs communautés très soudées autour de leurs synagogues. D'un autre côté, il constate que d'autres quartiers sont également fréquentés par des Juifs : plus on s'éloigne du loop, moins la pratique religieuse est stricte et plus les attitudes sont proches de l' American Way of Life. Il analyse alors les processus qui mènent à la création de cette « aire naturelle » qu'est le ghetto. Afin de bien cerner la signification du ghetto, Wirth s’intéressera aux caractéristiques des communautés juives qui débarquent à Chicago, ce qui l'amènera à retracer l'histoire du ghetto juif en Europe. C'est ainsi qu'il écrit dans sa préface : « parti pour étudier une aire géographique j'ai été amené, tout à fait involontairement, à examiner l'histoire d'une institution et la psychologie d'un peuple » (p 21); et on pourrait même ajouter, « de l'Homme ». Car au fur et à mesure de l'étude, il va se rendre compte que ce qui est en jeu, ce sont les penchants naturels des individus à osciller entre l'attirance et la répulsion pour l'autre, l'étranger. C'est cette dynamique qui va amener certains Juifs à vouloir quitter le ghetto et parfois -souvent- à vouloir (ou y être contraint) y retourner. Il nommera ghetto cette zone près du loop occupée par les immigrés Juifs à leur arrivée, en référence au ghetto qui existait dans l'Ancien Monde. Dans cet ouvrage qui figure désormais parmi les ouvrages fondateurs de l’École de Chicago, L. Wirth insiste sur le fait que le ghetto ne constitue en réalité qu'une « zone de transition » (p. 140), nécessaire au Juif lorsqu'il débarque à Chicago. Le choc de l'arrivée est amorti par l'existence du ghetto où le Juif retrouve ses semblables et un univers qui ressemble à celui qu'il connaissait dans l'Ancien Monde. La synagogue sert à « jeter un pont entre l'Ancien Monde et le Nouveau » (p. 215). Mais à mesure qu'il s'intègre à la société, il quitte peu à peu sa communauté. Il déménage un peu plus loin et si trop de ses coreligionnaires finissent par le rejoindre, il déménagera encore plus loin. Bien qu'il habite dans des quartiers de plus en plus favorisés et qu'il adopte de plus en plus l'American way of life, le Juif se heurte cependant régulièrement à des discriminations de la part des habitants de Chicago qu'il fréquente. Des attaques ponctuelles envers la communauté juive lui rappellent qu'il en fait partie, et la communauté, bien que très hétéroclite désormais, se soude à nouveau. Wirth relève que, très fréquemment, les Juifs qui se sont éloignés du ghetto finissent par y revenir, à tel point que le ghetto « empêche le Juif qui n'y vit pas et qui peut-être n'y a jamais vécu de se fondre complètement dans la communauté non juive et d'y être accepté » (p. 141). C’est là le paradoxe du ghetto : c'est un univers clos pour l'immigré récent, sécurisant et intégrateur ayant des institutions qui comblent les vides laissés par la société dite d'accueil, mais il maintient, en même temps, le Juif dans son altérité lorsqu'il tente de s'intégrer.

Villes d’hier et d’aujourd’hui. Immigration d’hier et d’aujourd’hui

Chicago atteint les trois millions d'habitants en 1920. Ils n'étaient qu'un million trente ans plus tôt. L'afflux massif des immigrants et l'industrialisation galopante donnent à la ville cette allure de patchwork, de mosaïque juxtaposant différentes zones, aux fonctions et aux communautés bien spécifiques. Les grandes villes

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américaines ne semblent pas prêtes à accueillir les milliers d'immigrants, les tensions entre les natifs et les communautés nouvellement arrivées s'exacerbent. Quand Wirth décide d'entreprendre son étude, le sujet de l'immigration est brûlant car le gouvernement états-unien tente, à coup de lois des quotas toujours plus restrictives, de freiner l'immigration. L'idéologie WASP3 est dominante et la question de l'assimilation des

nouvelles populations soulève des débats houleux. L’œuvre de Wirth est à lire comme une réponse à cette problématique et on comprend, à la lecture de son étude, qu'il voit l'assimilation de ces nouveaux arrivants comme un enrichissement pour la population américaine, et le communautarisme comme un danger. Il oppose, à plusieurs reprises, le « monde étrange et fascinant des hommes » au « monde étroit et sectaire d'un petit groupe où l'[individu] est né par hasard » (Wirth, 1980 [1928], p. 296).

Aux États-Unis, dans les années 1930, les immigrants sont en grande majorité d’origine européenne, pour la plupart peu qualifiés, et qui sont attirés par les grandes villes pour l’emploi d’ouvrier spécialisé dans les grandes usines. En 2014, au Québec, les caractéristiques des immigrants sont différentes. Les origines se sont diversifiées et les politiques d’immigration successives ont rendu l’entrée au Québec plus sélective : l’immigration économique amène des individus fortement qualifiés.

Le visage des villes a changé également depuis l’étude de Wirth sur Chicago. Pour reprendre les termes de J. Remy, on est passé de villes en situation majoritairement non-urbanisée à des villes en situation majoritairement urbanisée. L’urbanisation selon Remy est « un processus à travers lequel la mobilité spatiale vient structurer la vie quotidienne » (Remy & Voyé, 1992, p. 9). De nombreuses évolutions ont modifié ce rapport à l’espace et le fonctionnement de la vie quotidienne. Chicago, à l’époque du Ghetto de Wirth, était une ville industrialisée mais non tout à fait urbanisée. L’industrialisation modifie à la fois le rapport à l’autre, le rapport à soi et le rapport à l’espace. Le système de production de masse rend l’outil commun (tous les travailleurs utilisent la même machine) mais le produit de consommation individuel : « ainsi le chemin de fer s’est-il vu progressivement supplanté par l’automobile, comme le cinéma l’a été par la télévision » (p. 57). L’individu devient le centre de toute chose, on valorise le libre choix et rejette tout ce qui peut venir entraver cette liberté. Du moins, c’est davantage la croyance en la suprématie du « projet individuel » sur les relations interpersonnelles, qui guide et organise la vie quotidienne, peu importe si l’individu est effectivement libre ou pas. L’occupation de l’espace va également se modifier, notamment avec le développement des techniques de transport et de communication :

L’évolution de l’industrie des transports a, elle aussi, changé la consommation d’espace : alors que les transports en commun favorisent la concentration spatiale des populations et des équipements et services [...], l’automobile, égalisant l’accessibilité, favorise la dispersion, et, lorsqu’il y a concentration s’avère consommatrice boulimique d’espace pour la circulation et le stationnement, ce qui se fait au détriment d’autres fonctions et d’autres activités. (Remy & Voyé, 1992, p. 57)

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5 Les équipements et services se dispersent, entraînant une spécialisation du territoire qui se fait souvent hors du centre. Il y a dès lors très peu de superposition de différentes activités, et la mobilité devient centrale pour pouvoir accéder à tous ces équipements et aux différents lieux qui composent la vie quotidienne : lieu de travail, lieu de loisir, lieu de résidence. J. Remy et L. Voyé considèrent que la mobilité est devenue « la condition d’adaptation et de participation à la vie urbaine » (p. 73). La proximité spatiale n’est plus à la base du lien social, les relations sociales et les modes de vie tendent à s’autonomiser par rapport au territoire. C’est du moins ce qui est valorisé, notamment à travers l’appréciation des parcours d’études supérieures et d’expériences de travail. Mais il existe des inégalités dans les capacités à être mobile, selon l’âge, la santé par exemple, mais surtout selon les ressources économiques, si bien que certains restent en marge de ce processus d’urbanisation (par choix ou par contrainte). Tout l’enjeu est d’être capable, d’avoir le choix de s’approprier telle ou telle portion du territoire, de se déplacer vers tel ou tel lieu en empruntant les axes de communication, ce qui permet à l’individu d’être intégré, en ce sens qu’il a le choix de se joindre à tel groupe, de développer son réseau de telle manière, de résider dans tel secteur, de faire telle activité... J. Remy et L. Voyé interpellent le lecteur sur le fait que cette urbanisation est un processus global qui oriente les modes de vie actuels, qui fixe la norme, mais certains individus choisissent malgré tout, et d’autres sont contraints, de vivre en marge de ce processus : dans certains quartiers, les modes de vie tendent à rejoindre les situations non-urbanisées, où la proximité spatiale est à la base du lien social. C’est le cas notamment des « quartiers de transition » pour les groupes de nouveaux venus, d’étrangers, qu’ils soient immigrants ou non (p. 103). Ces quartiers de première installation vont permettre à ces individus de s’intégrer, dans le sens mentionné plus haut.

Ce portrait de la ville urbanisée correspond tout à fait au visage de Québec, au moment de mon enquête. Ville de flux, où les différents espaces servent différentes fonctions, où les axes de transport permettent de relier une banlieue à une autre, un équipement à telle banlieue, où l’automobile est reine, où la mobilité spatiale est centrale dans l’intégration. Ce premier point distingue Québec de Chicago. Le nombre et les caractéristiques des immigrants opposent également ces deux villes : ici, pas de quartier à dominance ethnique, pas de centre. Mais il y a tout de même quelques immigrants, ce qui m’a poussé à vouloir mettre à jour le modèle de Wirth. À la suite de tout ce qui vient d’être dit dans les pages précédentes, je retiens que la ville est le lieu de l’individu qui s’est affranchi de ses liens sociaux traditionnels et qui choisit les groupes auxquels il veut, ou non, se rattacher. En situation urbanisée on accepte, et même valorise, la dispersion et les choix de localisation des individus. Qu’ils se regroupent selon leurs affinités, leurs intérêts, leurs statuts socio-économiques, cela est considéré comme normal. Par contre, il semble que le regroupement des étrangers, et en particulier les immigrants, dans un même secteur, dérange. Pourquoi ? J’émets l’hypothèse que c’est parce que ce regroupement se fait selon des liens sociaux vus comme traditionnels, comme la nationalité ou la religion, et non les résultats d’un « projet individuel ». En fait, Simmel observait déjà en 1903, que « les

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contenus et les formes de la vie [dans les grandes villes] [...] ont pour ennemis communs les configurations étroites et groupements restreints » (Simmel, 2004 [1903], p. 70), car c’est davantage « l’unicité qualitative et le caractère irremplaçable qui constituent à présent les supports de sa valeur », plus que « l’universalité de l’homme » (p. 76). On comprend alors que l’appartenance à un groupe, et plus encore l’affichage de son appartenance, est mal tolérée par les métropolitains.

L’étude. Question de recherche et plan du mémoire

Mon étude a pour point de départ une question toute simple qui découle d’un constat. Les immigrants qui arrivent à Québec, de même que n’importe quelle population non native de Québec, ne s’installent pas au hasard dans tel ou tel secteur. Dès lors, comment s’effectuent leurs choix ? À une autre époque, je viens de le souligner dans la section précédente, L. Wirth considérait que le parcours résidentiel des Juifs était révélateur de leur assimilation. Je souhaite savoir si, aujourd’hui, le parcours résidentiel des immigrants à Québec est révélateur de leur intégration4. Pour cela, la question qui guide mon mémoire est : de quelle manière s’établissent les immigrant-e-s français-e-s et maghrébin-e-s à Québec, ville très étalée qui compte encore relativement peu d’immigrants ? La comparaison entre deux groupes d’immigrants, différents par

leur couleur de peau mais aussi par leur distance culturelle estimée ou réelle d’avec la société d’accueil, me semblait importante pour aller plus loin dans la compréhension des différents facteurs en jeu dans le parcours résidentiel. Étudier Québec m’apparaissait également être la meilleure manière de prendre de la distance d’avec les travaux fondateurs de l’École de Chicago, en ce sens que ce n’est pas une « ville-paradigmatique » comme pourrait l’être, au Québec, Montréal, avec sa densité et son volume d’immigrants importants (Germain, 1997). Ce faisant, je suis le conseil de Becker, descendant de la première École de Chicago, pour qui une attitude particulièrement féconde en sociologie est de regarder les marges pour mieux comprendre les normes (Becker, 2002). Pour répondre à cette question, j’ai utilisé deux méthodes. De même que L. Wirth avait regardé le plan de Chicago avant de se lancer dans la compréhension du parcours résidentiel et d’intégration des Juifs de Chicago, j’ai commencé par cartographier la localisation des immigrants à l’étude et j’ai ensuite réalisé une enquête qualitative par entretiens semi-dirigés avec quatorze immigrants d’origine maghrébine et française.

Ce mémoire comporte huit chapitres. Le premier vise à camper le sujet dans son contexte. Il est question de l’immigration et de l’intégration, et de leur évolution au Québec et à Québec. J’y présente d’abord une brève histoire des politiques d’immigration du Québec ainsi que sa gestion de l’intégration, afin de comprendre la manière dont le système est structuré, et le contexte dans lequel arrivent les immigrants des groupes

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7 ethniques à l’étude. Ensuite, j’examine l’évolution du nombre et des caractéristiques des immigrants en général, puis des Maghrébins et des Français en particulier. Enfin, un exercice de définition du concept d’intégration ainsi que la présentation de quelques études portant sur l’intégration au Québec spécifiquement permettent au lecteur de s’approprier les clés pour comprendre le cheminement de ma recherche. L’objet du

second chapitre est la problématisation de la question des biographies résidentielles. Un tour d’horizon de la

littérature portant sur les choix résidentiels des natifs rend possible la définition des différents concepts qui encadrent mon étude, pour ensuite comprendre la situation spécifique des immigrants. Le troisième chapitre expose les résultats de ma pré-enquête, basée sur les données du recensement de 2011 et de l’Enquête Nationale auprès des Ménages (ENM), et qui consiste en l’analyse de la présence immigrante sur le territoire de la région métropolitaine de Québec. Je prends le temps d’exposer au lecteur les caractéristiques morphologiques de cette ville, avant de présenter une série de cartes de dispersion de la population et des immigrants au sein de la Région Métropolitaine de Recensement (RMR) de Québec. Cet exercice de cartographie vise à donner une vue d’ensemble de la présence immigrante à Québec dans le but de faire ressortir les milieux de vie où se concentrent les Maghrébins et les Français. Le quatrième chapitre est exclusivement consacré à ma question de recherche et à la méthodologie employée. Pourquoi ai-je privilégié une démarche de recherche qualitative ? De quelle manière ai-je construit mon guide d’entretien ? Comment ai-je constitué mon échantillon et recruté mes participants ? Je clôture ce chapitre par une réflexion sur les portées et les limites de mon enquête. J’en arrive enfin à l’analyse de mes résultats dans les trois chapitres suivants. Le chapitre cinq est une manière de faire connaissance avec mes participants en présentant leurs parcours migratoires. Pour quelles raisons ont-ils quitté leur pays d’origine et choisi le Québec ? Quelles significations donnent-ils à leur parcours et où envisagent-ils l’avenir ? Il ne s’agit pas simplement de répondre à ces questions, mais aussi de montrer derrière ces raisons et significations, la logique du parcours de vie de ces migrants. Je mets ensuite en dialogue, dans le chapitre six, ces parcours migratoires avec les parcours résidentiels. De manière chronologique, le lecteur suit les participants dans leurs démarches et dans les choix qui président à l’élection d’un domicile, depuis leur arrivée au Québec jusqu’à aujourd’hui, et même jusque dans leurs projets pour les annés à venir. Quel type de logement choisissent-ils ? Quel secteur ? Pour quelles raisons ? Comment ces choix évoluent-ils ? Ultimement, il s’agit d’amorcer une première réponse à la question : leur parcours résidentiel est-il révélateur de leur parcours d’intégration ? Le septième chapitre apporte des précisions et des nuances à cette première réponse, en analysant les liens entre le vécu de l’ethnicité et du statut d’immigrant avec l’attachement au territoire. J’y fais d’abord le point sur les différentes manières évoquées par les participants pour maintenir des relations avec leur pays d’origine, et la façon dont ils maintiennent ou ils perdent leur ethnicité. L’élément central qui ressort de cette analyse est la place accordée au réseau de sociabilité, ce qui m’amène ensuite à examiner le territoire habité par ces immigrants en regard de ce réseau et du rapport entretenu avec celui-ci. Je termine le chapitre par une analyse de leur

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attachement au territoire. Le chapitre huit vient englober les analyses précédentes dans la proposition d’une typologie des parcours d’établissement des immigrants dans la ville de Québec. Enfin, la conclusion me permettra de rappeler les principaux résultats de la présente étude ainsi que d’ouvrir sur les suites à donner à ce projet de recherche.

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Chapitre 1. L’immigration et la question de

l’intégration au Québec, d’hier à aujourd’hui

L’immigration représente un défi de taille pour la province de Québec, comme nous allons le voir dans ce chapitre. Autrefois vue comme une menace manigancée par les Anglo-Canadiens à laquelle il fallait répondre par le ralliement des étrangers à la cause canadienne-française (Daniel, 2006), parfois vue comme un remède pour contrer ou ralentir le vieillissement démographique, parfois encore vue comme source de main d’œuvre (White, Gratton, & Rocher, 2015), l’immigration a toujours été perçue comme nécessaire, depuis la colonisation mais surtout depuis les années 1950. La province a peu à peu acquis de l’autonomie dans la sélection de ses immigrants afin d’ajuster les caractéristiques des nouveaux arrivants selon ses nécessités. Aujourd’hui encore, le sujet de l’immigration fait débat. L’actuelle ministre de l’immigration, de l’inclusion et de la diversité du Québec souhaite écrire un nouvel énoncé en matière de politique d’immigration et d’intégration qui remplacerait celui de 1990. Ceci fait suite à la révision de sa politique d’immigration qu’a opérée le Canada. Qu’attend-on de l’immigration ? À qui doit-on accorder l’entrée au pays ? En quelle quantité ? À quoi l’État et les nouveaux arrivants doivent-ils s’engager ? Ces questions sont régulièrement remises sur la table.

Histoire et politique d’immigration au Québec

C’est en 1855 que le Canada-Uni devient seul responsable de son immigration. Avant cette date, la Couronne anglaise décidait de l’octroi du statut de sujet britannique. Dès 1867, les pouvoirs pourront être partagés si les provinces le désirent : le fédéral aura le pouvoir d’accorder la citoyenneté et le provincial aura un droit quant à la sélection des immigrants, à leur recrutement et à leur accueil. C’est également à partir des années 1870 que le poids démographique des Canadiens français diminue par rapport aux anglophones (la fécondité est haute, mais la province subit un exode massif) (Daniel, 2006). Une nouvelle période s’ouvre après la seconde guerre mondiale, celle de « l’aggiornamento de l’État-Nation » québécois (Pâquet, 2005, p. 167). C’est à cette période également que, au niveau international, les flux de migration vont s’amplifier. L’organisation des nations-unies inscrit le droit à la migration parmi les droits de l’homme en 1948. Si les migrants arrivent en masse, ils ne choisissent pas tellement le Québec comme lieu d’installation. Aussi, la province commence à s’inquiéter de voir son rapport de force démographique s’inverser à son dépend. Ceux et celles qui choisissent finalement le Québec s’établissent majoritairement à Montréal et délaissent le reste de la province. Il est donc urgent d’intervenir. Les années 1950 correspondent aussi à une période d’accélération dans le développement

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de l’État québécois5. Comment l’organiser ? Les responsables politiques choisissent de consulter la

population. La commission royale d’enquêtes, dite commission Tremblay, se lance dans une enquête à travers le Québec pour comprendre ce que les Québécois et Québécoises attendent du nouvel État, en 1953. Le thème de l’immigration ne passe pas à la trappe. Il ressort que le Québec veut avant tout privilégier l’accroissement naturel. Et si cela ne suffit pas, il est absolument nécessaire d’intervenir pour assurer la survie des Canadiens français. Mais qui doit se charger de l’immigration ? Au départ, la société civile décide de prendre en charge l’accueil des immigrants. L’Action Nationale multiplie ses mises en garde contre l’indifférence des Canadiens français envers l’immigrant, indifférence qui rebuterait le nouvel arrivant. Le « mythe de la conspiration » (Pâquet, 2005, p. 177) anime les cœurs. Selon Rosaire Morin, de l’Action Nationale, l’immigration est le « cheval de Troie » des Canadiens anglais (cité par Daniel, 2006, p. 44) : ils veulent noyer les Canadiens français ! Le critère ethnique refait surface : il faut sauvegarder la culture canadienne-française. Mais les efforts de la société civile ne suffisent pas. L’État québécois décide d’intervenir. Deux camps s’opposent. Certains soutiennent que la charge de l’immigration revient au fédéral, que le Québec a d’autres priorités. C’est le cas par exemple de Maurice Duplessis qui combat « tout projet d’immigration tant et aussi longtemps que les Canadiens d’origine n’auront pas été réhabilités à la vie civile et à des fonctions rémunératrices » (Pâquet, 2005, p. 181). Duplessis distingue les bons des mauvais immigrants, ceux qui s’intègrent, de ceux qui font fi des particularismes québécois. L’autre camp est constitué de ceux qui poussent en faveur d’une intervention de la province : certains estimant que la prospérité économique est en jeu, d’autres prétendant qu’il en va de la survie de la nation canadienne-française.

En 1965, la motion Loubier est déposée à l’Assemblée nationale pour porter le projet de création d’un ministère de l’immigration. Jusqu’à cette date, l’Ontario était la seule province dotée d’un programme d’immigration (Daniel, 2006) et au Québec c’était le ministère de l’agriculture et de la colonisation qui en avait la charge. C’est le gouvernement libéral de J. Lesage qui va créer le service de l’immigration puis ce sera le gouvernement d’Union nationale de J-J Bertrand qui créera en 1968 le Ministère de l’Immigration du Québec (MIQ), premier ministère au Canada qui ne s’occupe que d’immigration. En 1981, le ministère élargit son programme et est renommé Ministère des Communautés Culturelles et de l’Immigration (MICC). Il doit désormais, comme l’indique l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, « assurer la planification, la coordination et la mise en œuvre des politiques gouvernementales relatives à l'épanouissement des communautés culturelles et à leur participation à la vie nationale » (MICC, 1990, p. 6). Cet énoncé présente les quatre objectifs que doit remplir l’immigration au Québec : 1) le redressement démographique, 2) la prospérité économique, 3) la pérennité du fait français, et 4) l’ouverture sur le monde. Le

5Jean-Jacques Simard signale que « pour un écheveau de raisons » l’État a pris la place de l’Église dans les « fonctions

sociétales [...] : l’éducation, la santé, les services sociaux. » (Simard, 1999, p. 19). La courbe des dépenses de l’État s’incline légèrement après la seconde guerre mondiale et augmente en flèche à partir de 1960. Le sociologue qualifie la période 1940-1959 de « décollage » et de 1960 à 1979 c’est « l’explosion » (p.45).

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11 nouveau Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), créé en 2014 sous le gouvernement libéral de P. Couillard, poursuit les mêmes objectifs (MIDI, décembre 2014). Comme dans tous les pays d’immigration, le défi est de taille : accueillir suffisamment de main d’œuvre, jeune, dynamique et féconde, mais s’assurer que la cohésion et l’identité nationale soient préservées. Le système de points pour les travailleurs qualifiés6 ainsi que le « contrat moral » que doivent respecter l’État et le nouvel arrivant tentent

de filtrer l’immigration de manière à ce qu’elle rime avec intégration.

Évolution des candidats à l’immigration

Mondialisation

La mondialisation en cours depuis les années 19707 exerce une influence notable sur les migrations. Ce qui

caractérise, entre autre, cette mondialisation, c’est cette double dynamique de dispersion de la production à l’échelle globale et de « concentration extrême des activités de management, de supervision, de coordination, de financement et de services pour gérer cette dispersion » (Lecler, 2013, p. 56). Ce phénomène global a une influence à la fois sur les caractéristiques du lieu d’origine et du lieu de destination et sur les caractéristiques des migrants, notamment car l’implantation de firmes occidentales dans des pays dits en développement entraîne un « remodelage de la culture populaire d’après les modèles étrangers et l’introduction de modèles consuméristes sans rapport avec le niveau des salaires locaux » (Portes, 1999). De plus, ce qu’on peut appeler la division internationale du travail entraîne un besoin constant de main d’œuvre dans les pays du Nord, constituant un facteur pull8 (Lee, 1966), pour le pays de destination. Lee remarquait déjà que la

migration est un processus sélectif. Ne migre pas qui veut. Et, selon le sociologue Simmons, « le principal impact de la mondialisation a été de hausser le niveau d’instruction et de qualification que les pays d’accueil souhaitent trouver chez les candidats à l’immigration » (Simmons, 2002, p. 23). En mettant en compétition des individus et des entreprises sur un marché à l’échelle de la planète, la mondialisation a rendu la migration plus sélective qu’elle ne l’était à l’époque de Lee. Ceci peut créer des attentes chez les candidats qui répondent aux critères : ils penseront trouver plus facilement du travail en arrivant puisque le lieu de destination les a

6Pour information, le deuxième critère qui offre le plus de points au candidat à l’immigration dans le cadre du programme

des travailleurs qualifiés est la maîtrise de la langue, soit 22 points (dont 16 pour la maîtrise du français et 6 pour l’anglais), et le premier critère est la formation, soit 30 points. Pour le détail, voir annexe 1.

7Je considère comme Saskia Sassen que les années 1970 marquent un « point de bascule » (tipping point) (Sassen, 2006

citée Lecler, 2013) dans le processus de mondialisation. Aussi, j’emploie le mot de mondialisation comme certains parlent de nouvelle mondialisation, sachant qu’un certain type de mondialisation existe depuis la Renaissance.

8Le démographe et sociologue E.S Lee a schématisé, en 1966, le processus migratoire. L’individu décide de migrer en

fait en pesant les pours et les contres de son pays d’origine et du pays de destination (ce qui le repousse, le retient ou l’attire, soit les « facteurs push et pull »). Mais la migration comporte des « obstacles intermédiaires » plus ou moins difficile à franchir : une distance physique, des coûts, des politiques d’émigration et d’immigration, un manque d’informations etc.

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justement choisi. Les obstacles intermédiaires sont également transformés par la mondialisation. Le développement des transports diminue les distances, les nouvelles technologies permettent une diffusion des informations plus large, et facilitent les communications entre les migrants et ceux restés au pays. Mais l’obstacle de la frontière politique n’est pas plus facile à franchir aujourd’hui qu’auparavant. Effectivement, les pays d’accueil dans un contexte de mondialisation et de libéralisme politique sont aux prises avec des contradictions internes : favoriser le laisser-faire, mais conserver une identité nationale, ouvrir les frontières ou les fermer.

Évolution de l’immigration au Québec et à Québec

Au Québec, de même que dans la Région Métropolitaine de Recensement (RMR) de Québec, les immigrants sont de plus en plus nombreux, d’origines de plus en plus diverses, et sont de plus en plus qualifiés. Par ailleurs et malgré des politiques de régionalisation de l’immigration, ils résident toujours principalement dans la RMR de Montréal.

Le nombre d’immigrants9 admis au Québec en 1970 était d’environ 23 000 et il atteignait presque 54 000 en

2010. Le nombre d’immigrants temporaires augmente également, surtout depuis 2000, et atteignait en 2009 presque 60 000 entrées (MICC, 2011). La RMR de Québec, de même que la province, a vu les immigrants arriver en plus grand nombre. Ils étaient 19 690 au recensement de 2001, tandis que dix ans plus tard, ils étaient 32 880, soit 4,4% de la population totale de la RMR de Québec. En comparaison, dans la RMR de Montréal, 22,6% de la population est immigrante (ENM, 2011).

L’origine des immigrants s’est aussi diversifiée sur l’ensemble du territoire québécois. Sans compter l’immigration fondatrice en provenance de France puis d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, les nouveaux résidants provenaient principalement d’Europe jusqu’à la seconde guerre mondiale, puis sont arrivés des Caraïbes, de l’Amérique du Sud, d’Asie, du Maghreb et du Moyen-Orient. Avant 1981, les ménages dont le principal soutien est immigrant proviennent largement d’Europe (du Nord-Ouest mais aussi du Sud) et constituent environ 50% du total des ménages immigrants. La période de 1991 à 2001 est nettement plus diversifiée, les immigrants provenant davantage du Maghreb et du Moyen-Orient notamment (Leloup, 2005). Parmi les immigrants admis au Québec en 2013, les cinq pays de naissance les plus représentés étaient : la Chine (9,9%), la France (8,7%), l’Algérie (8%), Haïti (6,6%) et le Maroc (5,7%) (ISQ, 2014b). Dans la RMR de Québec, l’immigration s’est également diversifiée du point de vue des origines même si une grande part des immigrants est encore originaire d’Europe (38,9% en 2011). Les cinq pays de naissance les plus souvent

9Dans le langage de Statistique Canada ou de l’ISQ, ou encore des ministères, sont considérés comme immigrantes les

personnes qui sont ou ont été reçues comme résident permanent au Canada. La plupart sont nés à l’étranger et certains sont devenus citoyens canadiens. Les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers ne sont donc pas comptabilisés.

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13 déclarés par les immigrants vivant à Québec étaient en 2011 : la France (19,72 %), la Colombie (7,8 %), la Chine (5,2 %), le Maroc (4,4%), et l’Algérie (3,7%) (ENM, 2011).

Les immigrants sont également de plus en plus qualifiés et le MIDI compte bien soutenir cette tendance :

il convient de se doter d’un système d’immigration adapté au contexte actuel et permettant au Québec de se positionner favorablement dans la compétition internationale pour sélectionner et attirer les meilleurs talents. (MIDI, décembre 2014)(p.20).

L’objectif pour 2015 est de maintenir à 65% la part de la catégorie économique10 dans le nombre d’admission

(MIDI, 2014a). Cette catégorie est soumise au système de points et sont privilégiés, dès lors, les candidats très qualifiés (voir annexe 1). L’Institut de la Statistique du Québec (ISQ) constate ainsi que « la part relative des immigrants qui détiennent une scolarité de niveau universitaire (14 années et plus) a progressé depuis 20 ans » atteignant 57% pour la période 2009-2013, et qu’en 2013, « plus du quart (27,5%) des nouveaux immigrants possédaient 17 années et plus de scolarité à leur arrivée, cette proportion se situant à 30,3 % chez les hommes et à 24,7% chez les femmes » (ISQ, 2014a). L’augmentation du niveau de scolarité chez les immigrants est particulièrement visible dans la RMR de Québec. Les immigrants y sont plus qualifiés que le reste des résidents, mais ils sont également plus qualifiés que les immigrants installés à Montréal ou à Sherbrooke par exemple. Cependant, le taux de chômage des immigrants est plus élevé chez les immigrants de la RMR de Québec que chez les natifs, bien que l’écart soit moins important qu’à Montréal ou à Gatineau (Ville-de-Québec, 2009).

Dernière caractéristique des immigrants au Québec : ils résident davantage à Montréal que dans le reste du Québec. Même si des points sont accordés aux candidats économiques qui disent vouloir s’installer ailleurs qu’à Montréal (voir annexe 1), sur cent immigrants admis entre 2008 et 2012 et toujours présents en 2014, 76 résident dans la région métropolitaine de Montréal dont 63 sur l’île de Montréal, 5 résident dans la région de la Capitale Nationale et 3 dans la région de l’Outaouais. Le reste se répartit sur l’ensemble du Québec.

Deux cas particuliers : les immigrants nés en France et au Maghreb

Ce mémoire porte uniquement sur les immigrants maghrébins et français qui résident (au moment de l’entretien) dans la RMR de Québec. Ces deux groupes ont été choisis pour les raisons suivantes.

10Les catégories générales d’admission sont définies par le gouvernement fédéral. Pour l’immigration permanente, le

gouvernement du Québec peut choisir les volumes et les critères de sélection des candidats pour la catégorie « immigrants économiques » (travailleurs qualifiés, travailleurs autonomes, entrepreneurs, investisseurs) et la catégorie « réfugiés » (sauf les personnes qui font la demande depuis le Québec), mais pas pour la catégorie « regroupement familial ». Pour l’immigration temporaire, soit les catégories « étudiants étrangers » et « travailleurs temporaires », le gouvernement fédéral doit avoir le consentement du gouvernement du Québec avant d’admettre un candidat (MICC, 2011).

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Le Québec a, au début de sa prise en charge de l’immigration, privilégié les migrants venant de France afin de soutenir le fait français en Amérique du Nord, et en raison de son affinité identitaire avec le pays qui a fourni ses premiers colons. Des agents de recrutement ont été très tôt envoyés à Paris et des ententes entre la province et la France ont par la suite été conclues afin de faciliter l’immigration des Français au Québec. Dès 1954, le sociologue Falardeau dans son Étude sur les problèmes des immigrants avait choisi de surreprésenter les immigrants français dans son échantillon « considérant qu’il convenait d’attacher une importance particulière à ce groupe qui vient grossir l’élément français au Canada, et qui, partant, acquiert une importance particulière aux yeux des Québécois » (Falardeau, 1954, p. 6). J’ai choisi de m’intéresser aux Français vivant à Québec en raison de leur nombre, donc, mais aussi parce qu’ils forment une minorité non-visible11 et qu’ils sont moins susceptibles d’être victimes de discrimination pour l’accès à un emploi ou à un

logement. Un autre point qui a retenu mon attention est celui des motifs d’émigration. La littérature signale que les Français, en général, quittent la vieille Europe non pas pour fuir une situation catastrophique, mais plutôt pour améliorer leur situation : avoir plus d’opportunités en terme d’emploi et d’accès à l’immobilier, s’enrichir d’une nouvelle expérience culturelle, accéder à une meilleure qualité de vie (Dupuis, 2012; Papinot, Le Her, & Vilbrod, 2012). Pour eux, l’« option du retour est rarement exclue sans être nécessairement synonyme d’échec » et la part de ceux qui retournent vivre en France12 est supérieure à celle des Maghrébins par

exemple, comme c’est souvent le cas dans des migrations Nord-Nord (Papinot, Le Her, & Vilbrod, 2012). De plus, en partant, ils estiment retrouver au Québec une proximité culturelle mais « découvrent en fait une réalité nord-américaine du marché du travail dans un habillage linguistique familier » (Papinot et al, p. 339). Finalement, ils sont très peu nombreux à utiliser les services d’aide aux immigrants. Pourquoi ? Parce qu’ils considèrent que ces services sont peu adaptés au profil diplômé, parce qu’ils connaissent déjà quelqu’un ou ont déjà eu une expérience québécoise (par les études notamment), parce qu’ils préfèrent se débrouiller seul (mythe de l’immigrant self made man), parce qu’ils ne se sentent pas vraiment immigrés en raison des liens historiques entre la France et le Québec et en raison d’un retour toujours envisageable, puis enfin, parce que leur représentation de ce qu’est un immigré est basée sur l’histoire de l’immigration en France13 (Papinot et al,

p. 350). Malgré leur profil idéal du point de vue des politiques d’immigration du Québec (ils parlent français et sont qualifiés), certains connaissent des difficultés d’insertion dans la société Québécoise. J-P Dupuis qui a réalisé une enquête par questionnaire auprès de 930 immigrants français résidant au Québec constate que

11Ceci est vrai pour la majorité mais certains peuvent être nés en France et être issus de l’immigration et d’autres peuvent

être français et originaires des départements et territoires d’Outre-Mer.

1220% des Français qui se sont installés au Québec entre 1996 et 2005 n’y étaient plus présents en 2007 (Papinot et al,

2012, p. 337)

13La figure type de l’immigré aux yeux d’un Français est l’ouvrier spécialisé originaire des anciennes colonies qui vit

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15 65% des enquêtés ont ressenti un sentiment de méfiance14 (plus ou mois fort) de la part de certains

Québécois ; ce sont surtout ceux qui sont venus davantage pour le travail que la qualité de vie qui le ressentent. Dupuis conclut que même s’il est difficile de prendre la mesure de ce malaise, il est important de s’en préoccuper, étant donné qu’il joue, de même que « la capacité à développer de bonnes relations avec les Québécois francophones », dans la décision de s’établir en permanence au Québec (Dupuis, 2012).

La priorité à l’immigration française a peu à peu laissé la place à une immigration prioritairement francophone, mais surtout très qualifiée. Les immigrants originaires du Maghreb15 répondent à ces deux critères et

constituent une part non négligeable des volumes d’immigration aujourd’hui. Le fait d’être francophone les favorise, d’un côté, pour être admis par le gouvernement du Québec ainsi que pour la vie quotidienne à l’arrivée, mais d’un autre côté, cela les écarte des cours de francisation qui sont vus comme un bon tremplin pour l’intégration, dans la mesure où ils permettent, au delà de l’apprentissage de la langue, de fournir des informations sur les ressources disponibles. À Québec, les immigrants issus des pays du Maghreb sont relativement nombreux, représentant 10,3% des immigrants selon l’ENM de 2011. Malgré leur niveau de scolarité élevé, les Maghrébins (immigrants et leurs descendants) au Québec présentent un fort taux de chômage et un revenu moyen nettement inférieur à celui de l’ensemble de la population québécoise (voir tableau 2, p. 18). On peut expliquer en partie ce phénomène par le fait qu’ils sont une minorité dite visible et qu’ils peuvent être victimes de discrimination. La reconnaissance de leur diplôme leur est également plus difficile. Un autre élément caractéristique qui a retenu mon attention est la religion. Selon l’ENM, 80 Maghrébins sur 100 déclarent une appartenance à la religion musulmane, laquelle peut être à la fois objet de discrimination et à la fois source de cohésion, de regroupement identitaire en marge de la majorité catholique romaine (Gélinas & Vatz-Laaroussi, 2012; Vatz-Laaroussi, 2008).

J’ai choisi d’étudier les immigrants maghrébins, mais il convient de noter quelques unes des caractéristiques distinctives des trois pays concernés. D’abord, parmi les immigrants maghrébins présents en 2011 au Québec, ceux en provenance de la Tunisie sont nettement moins représentés : en 2011, Statistique Canada recense 7635 immigrants d’origine ethnique tunisienne au Québec, contre 30 755 d’Algérie et 37 525 du Maroc. Ensuite, les trois pays affichent une immigration très récente (depuis 2001 surtout) mais l’Algérie se démarque avec un volume d’immigrants qui a pris son envol un peu plus tôt, autour de 1996, comme le montre le tableau ci-dessous.

14Cette méfiance fait référence à des expériences telles que : des remarques sur l’accent, un ‘’maudit français’’ ressenti

comme une insulte, un « refus de discuter ou de rendre service », ou de « l’agressivité verbale » (Dupuis, 2012, p. 370).

15Le Maghreb est constitué de l’Algérie, de la Tunisie, du Maroc, de la Libye et de la Mauritanie. En 2011 dans la RMR

de Québec, l’ENM recense seulement 40 Maures et aucun Libyen, donc le terme Maghreb réfèrera, pour ce mémoire, aux trois premiers pays.

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Tableau 1. Période d'immigration des personnes d'origine ethnique marocaine, tunisienne et algérienne, présentes au Québec en 2011

Origine marocaine Origine tunisienne Origine algérienne

total 37 525 100% 7 635 100% 30 755 100% Avant 1981 1981-1985 1986-1990 1991-1995 1996-2000 2001-2005 2006-2011 3350 775 1820 2485 3670 10185 15240 8,9% 2,1% 4,9% 6,6% 9,8% 27,21% 40,6% 435 150 295 505 620 1960 3675 5,7% 2% 3,9% 6,6% 8,1% 25,7% 48,1% 520 245 720 1835 4920 9630 12885 1,7% 0,8% 2,3% 6% 16% 31,3% 41,9% Source : ENM, 2011, d’après une compilation du MIDI (2014) basée sur l’ENM.

Les volumes d’étudiants en provenance de ces trois pays sont différents. Le Maroc et la Tunisie sont, dans l’ordre, les deuxième et troisième pays16 fournissant les effectifs d’étudiants étrangers dans les universités

francophones québécoises en 2007, représentant respectivement 7,1% et 4,5% des étudiants étrangers. L’Algérie est classée onzième, représentant 1,4% des étudiants étrangers (Chatel-Derepentigny, Montmarquette, & Vaillancourt, 2011). Ceci peut s’expliquer notamment par les frais de scolarité et les bourses accordées aux étudiants de ces trois pays. Le gouvernement du Québec accorde à ces trois pays des exemptions du montant forfaitaire (mais avec des quotas, c’est-à-dire, uniquement pour les meilleurs candidats). Par contre, les étudiants algériens ne sont pas admissibles au programme de bourses de la francophonie (offerts par l’ACDI, agence canadienne de développement international) contrairement aux étudiants marocains et tunisiens. Ceci découle certainement du fait que l’enseignement au Maroc et en Tunisie est reconnu comme francophone, tandis que le système d’enseignement en Algérie est davantage vu comme arabophone (De Bouttemont, 2002). Pour finir, l’Algérie se démarque par une histoire récente plus tumultueuse, qui, sans entrer dans le détails, peut-être résumée ainsi :

L’Algérie apparait depuis deux décennies comme un lieu de violence et de lutte contre le terrorisme. [...] Au cours des années 1980, des difficultés économiques doublées d’une grave crise politique ont conduit le pays aux portes du chaos. (Camarasa-Bellaube, 2010, p. 15).

Je n’entrerai pas plus dans les détails de l’histoire de ces trois pays ni dans celle de la France, mais ces quelques traits permettent de mieux situer les immigrants à l’étude.

Pour finir, le tableau ci-après récapitule quelques unes des caractéristiques démographiques et socioéconomiques des immigrants nés en France et des individus d’origine maghrébine, comparés à l’ensemble de la population du Québec, en 2011. Pour le construire, j’ai compilé les données de l’ENM de 2011 mais aussi les portraits récapitulatifs réalisés par le MIDI en 2014. Deux mises en garde doivent ici être faites qui découlent des données disponibles. D’une part, la deuxième colonne présentant les immigrants

16La France est le premier pays : 46,8% des étudiants étrangers des universités francophones québécoises sont originaires

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17 français ne comprend que ceux issus de la première génération, et la troisième colonne présente des données pour les immigrants d’origine maghrébine issus de la première, deuxième et troisième génération. Pour la France, les données de l’ENM de 2011 ne permettent pas d’utiliser le critère origine ethnique déclarée car beaucoup de Québécois nés au Québec déclarent avoir des origines françaises. D’autre part, ces données indiquent des caractéristiques pour l’ensemble du Québec. Or, on voit, par exemple, que 90% des Maghrébins résident à Montréal ; il se peut que ceux qui résident à Québec présentent des caractéristiques distinctes. Quelques chiffres sont particulièrement marquants. On lit d’abord clairement que l’immigration des Français est beaucoup plus ancienne : 31,7 % des immigrants nés en France, recensés au Québec en 2011, sont arrivés avant 1981, contre seulement 5 % des immigrants d’origine maghrébine. Plus encore, 58,3 % des immigrants français sont arrivés avant 2000, contre 28,3 % des immigrants maghrébins. Un autre fait saillant se dégage pour l’âge des personnes. On constate chez les personnes d’origine maghrébine une part très importante de jeunes de moins de 25 ans, soit 43,8 % (cette part est de 28,9 % de la population totale et de 13,7 % des immigrants français). Ceci est dû à plusieurs faits complémentaires : les Maghrébins immigrent jeunes, beaucoup immigrent en famille (Vatz-Laaroussi, 2008), et une fois installés, ils fondent des familles plus nombreuses (Leloup, 2005). Un autre chiffre marquant est la part des 65 ans et plus : 17,9 % des immigrants nés en France ont plus de 65 ans (la part est de 14,6 % pour la population totale et de 1,8 % pour les Maghrébins), ce qui signifie que beaucoup restent au Québec même après la retraite. Par ailleurs, le tableau révèle qu’une plus grande proportion de Français s’installe en dehors de la région métropolitaine de Montréal, comparativement aux Maghrébins. Comme mentionné précédemment, parmi les personnes d’origine maghrébine, 90,1 % résident à Montréal, seulement 3,4 % à Québec, et 2,6 % en dehors des RMR17.

Parmi les immigrants nés en France, ces proportions s’élèvent respectivement à 68,8 %, 9,6 %, et 14,9 %. Nombreux sont donc les immigrants français qui préfèrent des villes de taille moyenne, ou des municipalités de région. En ce qui concerne le statut matrimonial, le tableau montre que les personnes d’origine maghrébine accordent une importance plus grande au mariage : seulement 3,8% d’entre eux se déclarent en union libre, contre 23% chez les immigrants français et 21,5 % pour la population totale. Pour ce qui est de la scolarité, un premier élément saillant est que les immigrants français et les personnes d’origine maghrébine sont nettement plus qualifiés que la population totale : 51,6 % des Maghrébins et 49,3 % des Français ont un diplôme universitaire contre 18,6 % de la population totale. Le tableau signale également qu’un quart des Maghrébins ont un niveau de secondaire ou moins, contre un cinquième des immigrants nés en France, ces derniers présentant une proportion plus élevée de 15 ans et plus ayant un diplôme d’apprenti ou équivalent au CEGEP. Pour finir, malgré un niveau de scolarité élevé, les personnes d’origine maghrébine présente un taux de chômage nettement plus élevé que les deux autres groupes : celui-ci s’élève à 17,1 %. Pour la population

17Le Québec compte six Régions Métropolitaines de Recensement (RMR) : Montréal, Québec, Gatineau, Trois-Rivières,

(36)

18

totale, le taux de chômage est de 7,2 % et, pour les immigrants nés en France, il se situe à 5,5 %. Si on ajoute à cela le revenu moyen et le revenu médian, on remarque que les immigrants venant de France sont les plus aisés financièrement, avec des revenus supérieurs à ceux de la population totale. Les personnes d’origine maghrébine, par contre, présentent un revenu moyen inférieur à celui de la population totale (20 281$ contre 36 353$) et un revenu médian sensiblement égal à celui de la population totale.

Figure

Tableau 1. Période d'immigration des personnes d'origine ethnique marocaine, tunisienne et algérienne,  présentes au Québec en 2011
Figure 1. Taux de propriété des ménages immigrants selon la période d'immigration et la région de naissance,  Québec, 2001
Figure 2. Dispersion de la population totale de la RMR de Québec entre SR, 2011
Figure 6. Découpage zonal de la RMR de Québec
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