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Les enjeux socio-environnementaux de la gestion intégrée de l'eau par bassin versant au Québec : le cas de la rivière Boyer

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Academic year: 2021

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Les enjeux soci

o-environnementaux de la gestion

intégrée de l'eau par bassin versant au Québec. Le cas

de la rivière Boyer

Mémoire

Josée Lemieux

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire

Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

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Les enjeux socio-environnementaux de la gestion

intégrée de l’eau par bassin versant au Québec

Le cas de la rivière Boyer

Mémoire de maitrise

Josée Lemieux

Sous la direction de :

Mme Nathalie Gravel, directrice de recherche

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Résumé

La gestion de la ressource en eau au Québec a beaucoup évolué depuis le début des années 2000. L’implantation progressive de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV) a permis de passer d’un mode de gestion sectoriel à un mode de gestion intégré basé sur le travail de concertation des acteurs de l’eau mené par les organismes de bassin versant (OBV).

Le bassin versant de la rivière Boyer est un petit bassin versant agricole de 217 km² situé dans la MRC de Bellechasse au Québec. Cette rivière est un cas d’école pour les chercheurs qui s’intéressent aux impacts de l’agriculture sur les eaux de surface. En effet, la détérioration dramatique de la qualité de l’eau de la rivière Boyer suite au développement de l’agriculture intensive et les répercussions sur la faune aquatique ont déjà suscité beaucoup d’études scientifiques. Plusieurs mesures de type réglementaire ou liés à une mobilisation des acteurs ont été mises en place à différentes échelles d’intervention afin de restaurer la qualité de l’eau de la rivière Boyer, étant une des rivières les plus polluantes du fleuve Saint-Laurent.

Cependant, la qualité de l’eau dans le bassin versant de la rivière Boyer demeure mauvaise à l’heure actuelle. Cela nous amène à nous demander si la GIEBV au Québec prévoit l’application des principes du développement durable et un suivi adéquat des effets de la décentralisation des pouvoirs sur l’évolution de la situation des bassins versants. Nous nous attardons plus spécifiquement à identifier les freins à l’application d’une GIEBV efficace dans le bassin versant de la rivière Boyer. Nous avons mené 44 entrevues avec divers acteurs du monde de la gestion de l’eau aux échelles provinciale et locale et nous avons réalisé une analyse qualitative de leurs réponses. Nos résultats de recherche tendent à montrer que les effets de la décentralisation des pouvoirs et que la plupart des principes du développement durable que nous avons choisis d’examiner demeurent insuffisamment suivis ou appliqués par le biais de la GIEBV au Québec à l’heure actuelle. Les principaux enjeux socio-environnementaux de la gestion de la qualité de l’eau que nous avons découverts lors de notre recherche font état d’un équilibre difficile à atteindre entre économie et protection de l’environnement en milieu rural. Les appuis institutionnels à la GIEBV et, par le fait même, aux OBV, manquent à plusieurs égards afin de procurer une protection adéquate de la qualité de l’eau, ce qui affecte la perception de la valeur de la rivière Boyer. Par conséquent, l’application de plusieurs principes du développement durable présente des lacunes importantes dans le bassin versant étudié.

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Abstract

Water management changed significantly in the province of Quebec since the early 2000s. The progressive implementation of integrated watershed management (IWM) in Quebec allowed for the transition from a sectoral management to an integrated management of the resource, which is based on the coordination of stakeholders carried out by watershed organizations.

The Boyer River watershed is a 217 km² agricultural watershed located in the RCM of Bellechasse, Quebec. The Boyer River is an interesting case for researchers interested in the effects of agriculture on the quality of surface waters. There are many governmental reports on the dramatic deterioration of water quality and the disappearance of certain species from the river following the development of intensive agriculture in the Boyer watershed. Several measures have been put in place at different scales of intervention to restore the Boyer River water quality, like the enforcement of legislative tools to ensure a sustainable development of the agriculture and the decentralisation of water quality management, for instance. However, in spite of the application of the previously mentioned measures, the Boyer River water quality remains bad at this time. That led us to wonder whether the IWM in Quebec provides for the application of the sustainable development principles and adequate monitoring of the situation of the watershed organizations. More specifically, we aimed to identify what stops the application of an effective IWM in the Boyer River watershed. We conducted 44 interviews with various water stakeholders at the provincial and local scales and we analysed the content of the interviews using qualitative analysis.

Our results tend to show that the effects of power decentralization related to water quality management are currently not sufficiently monitored and that most of the sustainable development principles we studied are not adequately applied at the moment through the IWM in Quebec. The social and environmental challenges that we have discovered show that reaching a balance between the economy and the protection of the environment is a difficult task in rural areas. There is a lack of institutional support to the IWM as well as the watershed organizations to ensure a proper protection of water quality, which results in a low perception of the value of the river by the residents of the watershed. As a consequence, the implementation of several sustainable development principles is deficient in the Boyer river watershed.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures... vi

Liste des tableaux ... vii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Questions de recherche... 3

Hypothèse ... 3

Objectifs de recherche ... 4

Territoire et période d’analyse ... 4

Intérêt et limites de la recherche ... 10

Chapitre 1 Cadre conceptuel et revue de littérature... 12

1.1 Gouvernance : la redéfinition des mécanismes du pouvoir ... 12

1. 2 Gouvernance environnementale et développement durable: entre interactions spatiales et temporelles ... 15

1.2.1 Moments et documents fondateurs du développement durable ... 18

1.3 La gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE) : l’application de la gouvernance à la gestion de la ressource en eau ... 22

1.3.1 La gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV) comme outil d’application concrète de la GIRE ... 24

1.3.2 Rôle, statut légal et outils des organismes de bassin versant au Québec ... 27

1.4 Freins et enjeux sociaux-environnementaux de la gestion intégrée de l’eau au Québec dans la littérature ... 28

1.4.1 Une GIEBV efficace : des priorités des institutions aux critères d’évaluation ... 29

1.4.2 Enjeux socio-environnementaux de la GIEBV dans la littérature ... 31

1.5 Cadre théorique : approche de l’écologie politique ... 38

Chapitre 2 Le bassin versant de la rivière Boyer: dynamiques internes, conséquences sur l’écosystème et mobilisation ... 42

2.1 Mobilisation locale face à la pollution d’origine agricole de la rivière Boyer ... 50

2.2 Législation provinciale face à la pollution agricole ... 51

2.3 État actuel de la qualité de l’eau de la rivière Boyer ... 55

Chapitre 3 Méthodologie d’enquête ... 60

(6)

3.2 Traitement des données ... 63

3.3 Schéma des variables et indicateurs ... 65

Chapitre 4 Bonnes pratiques et réglementation agroenvironnementales : les liens entre le secteur agricole et la rivière Boyer ... 68

4.1 L’application des bonnes pratiques agricoles et la réglementation agroenvironnementale telles que vues par les répondants ... 68

4.1.1 Popularité et satisfaction à l’égard du programme Prime-Vert ... 78

4.2 Entre soutien et sanctions : l’intervention des autorités locale et provinciale dans la sphère agricole ... 84

4.3 Transferts de connaissances agroenvironnementales et conscientisation des producteurs agricoles à la pollution de la rivière Boyer ... 92

4.3.1 Connaissances et sensibilisation des producteurs agricoles en lien avec la question de la pollution de la rivière Boyer ... 95

4.4 Mutations du paysage agricole : entre opportunités et conséquences ... 99

Chapitre 5 Dynamiques entre la rivière Boyer, ses usagers et l’OBV de la Côte-du-Sud ...110

5.1 Attractivité de la rivière Boyer ...110

5.2 Implication citoyenne et gouvernance environnementale ...116

5.2.1 Incidence du sentiment d’appartenance ...121

5.3 L’organisme de bassin versant sur les échiquiers local et provincial : contraintes et adaptation ...126

5.3.1 Obstacles et limites structurels auxquels l’OBV se confronte dans la mise en œuvre de la GIEBV ...126

5.3.2 Rôle de l’OBV dans son milieu et dans la mise en œuvre de la GIEBV ...131

Chapitre 6 Enjeux socio-environnementaux et freins à la GIEBV dans le bassin versant de la rivière Boyer...137

6.1 Dichotomie environnement/économie et impacts environnementaux de l’agriculture ...137

6.2 Décentralisation des pouvoirs : la réalité des milieux agricoles ...140

6.3 Perception de la valeur de la rivière Boyer par les résidents du bassin versant ...142

6.4 Limites structurelles de l’OBV au Québec : capacité de l’OBV de la Côte-du-Sud de gérer la qualité de l’eau du bassin versant de la Boyer et mettre en œuvre la GIEBV ...146

6.5 Écologie politique et GIRE dans le bassin versant de la rivière Boyer : liens entre les acteurs de l’eau et la rivière Boyer ...155

Conclusion ...158

Bibliographie ...161

Sources électroniques ...176

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Liste des figures

Figure 1 Le bassin versant de la rivière Boyer ... 5 Figure 2 Municipalités incluses dans le bassin versant de la rivière Boyer ... 6 Figure 3 Superficies agricoles (ha) dans le bassin versant de la rivière Boyer, 2014 ... 42 Figure 4 Superficies (ha) consacrées à la culture des céréales et oléagineux - Bassin versant de la rivière Boyer, 2014 ... 43 Figure 5 Unités animales et nombre d'animaux d'élevage - Bassin versant de la rivière Boyer, 2014 ... 44 Figure 6 Détermination de la largeur de la rive selon la pente du talus ... 53 Figure 7 Valeurs de l'IQBP de la station d'échantillonnage de la rivière Boyer (n° 02300001) - Périodes estivales 2014-2016 ... 56 Figure 8 Photo de la rivière Boyer prise le 25 avril 2018 à Saint-Michel-de-Bellechasse ... 86 Figure 9 Photo de la rivière Boyer prise le 25 avril 2018 au parc riverain de la Boyer à

Saint-Charles-de-Bellechasse ... 86 Figure 10 Photo de la rivière Boyer prise le 25 avril 2018 à Saint-Charles-de-Bellechasse ... 87 Figure 11 Variation de la composition végétale de la bande riveraine, rivière Boyer Sud ...134 Figure 12 Liens entre les secteurs économique, social et environnemental appliqué à l'étude de cas de la rivière Boyer...155

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Liste des tableaux

Tableau 1 Municipalités composant le bassin versant de la rivière Boyer ... 7

Tableau 2 Évolution de la population des principales municipalités du bassin versant de la rivière Boyer, 1996-2016 ... 8

Tableau 3 Pourcentage de dépassements et amplitude des dépassements des critères de qualité de l'eau, station d'échantillonnage de la rivière Boyer (n° 02300001) - 2014-2016 ... 57

Tableau 4 Valeurs de l'Indice de santé du benthos (substrat grossier) à la station d’échantillonnage de la rivière Boyer (n° 02300001) - 2010-2015 ... 58

Tableau 5 Catégories de répondants interrogés et méthodes d'enquête ... 60

Tableau 6 Municipalités de résidence des producteurs agricoles interrogés ... 61

Tableau 7 Domaines d'activités des producteurs agricoles interrogés ... 62

Tableau 8 Synthèse de l’application des pratiques/règlementations agroenvironnementales par les répondants agriculteurs ... 76

Tableau 9 Synthèse sur la popularité et le taux de satisfaction à l'égard du Programme Prime-Vert 82 Tableau 10 Perception de l'encouragement à l'adoption de bonnes pratiques agroenvironnementales, par acteur local/régional ... 85

Tableau 11 Perception de la responsabilité personnelle vis-à-vis la gestion de la qualité de l'eau de la rivière Boyer ... 96

Tableau 12 Évolution du nombre d'exploitations agricoles, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer (1961-2016) ...100

Tableau 13 Évolution de la superficie des exploitations agricoles, MRC de Bellechasse (1961-2016) ...100

Tableau 14 Évolution du nombre de fermes d'élevage porcin, municipalités du bassin versant - 1961-2016 ...101

Tableau 15 Évolution du nombre de porcs, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...102

Tableau 16 Évolution du nombre de fermes d'élevage laitier, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...102

Tableau 17 Nombre de vaches laitières, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...103

Tableau 18 Superficies (acres) dédiées à la culture du maïs-grain et ensilage, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...104

Tableau 19 Superficies (acres) dédiées aux cultures fourragères (foin), municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...104

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Tableau 20 Superficies (acres) dédiées à la culture du soja, municipalités du bassin versant de la rivière Boyer - 1961-2016 ...105 Tableau 21 Conséquences perçues des changements de pratiques agricoles afin de s'adapter aux contraintes environnementales ...107 Tableau 22 Événements notables tels que perçus par les agriculteurs interrogés de l'évolution de l'environnement près de la rivière ...108 Tableau 23 Que représente la rivière Boyer pour les résidents du bassin versant? ...111 Tableau 24 Pourquoi les résidents interrogés n'utilisent-ils pas la rivière Boyer à des fins

récréotouristiques? ...112 Tableau 25 Perception des avantages et désavantages de vivre près d'une rivière selon les

producteurs agricoles interrogés ...114 Tableau 26 Perception des avantages et désavantages de vivre près d'une rivière selon les résidents interrogés ...115 Tableau 27 Justifications du faible renouvellement de la participation citoyenne selon des résidents engagés ...117 Tableau 28 Raisons motivant l'absence d'implication citoyenne - résidents non-engagés ...118 Tableau 29 Perception des maires de la capacité de leurs résidents à participer à la gestion de la qualité de l'eau et créer des initiatives ...120 Tableau 30 Que représente le parc riverain de la Boyer pour les résidents qui en sont usagers? ....122 Tableau 31 Les résidents du bassin versant se sentent-ils personnellement responsables de la gestion de la qualité de l'eau de la rivière Boyer et pourquoi? ...124 Tableau 32 Raisons évoquées par les producteurs agricoles afin de motiver le manque d'intérêt à s'impliquer dans la gestion intégrée de l'eau...132

(10)

Liste des abréviations

BAPE Bureau d’audiences publiques sur l’environnement CEPJE Commission d’étude sur les problèmes juridiques de l’eau CMED Commission mondiale sur l’environnement et le développement CNUED Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement GIE Gestion intégrée de l’environnement

GIEBV Gestion intégrée de l’eau par bassin versant

GIRB Groupe d’intervention pour la restauration de la Boyer GIRE Gestion intégrée des ressources en eau

LAU Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

LDD Loi sur le développement durable

LQE Loi sur la qualité de l’environnement

MAPAQ Ministère de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec

MDDEFP Ministère du développement durable, de l’environnement, de la faune et des parcs MDDELCC Ministère du développement durable, de l’environnement et la lutte aux

changements climatiques

MEF Ministère de l’environnement et de la faune

MES Matières en suspension

MELCC Ministère de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques MRC Municipalité régionale de comté

OBNL Organisme à but non lucratif OBV Organisme de bassins versants ODD Objectifs de développement durable

OMD Objectifs du millénaire pour le développement durable ONU Organisation des Nations unies

PAA Plan d’accompagnement agroenvironnemental

PAEF Plan agroenvironnemental de fertilisation

PDE Plan directeur de l’eau

PDZA Plan de développement de la zone agricole PNE Politique nationale de l’eau

PNUE Programme des Nations unies pour l’environnement

PPRLPI Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables REA Règlement sur les exploitations agricoles

ROBVQ Regroupement des organismes de bassins versants du Québec

SAD Schéma d’aménagement et de développement

UPA Union des producteurs agricoles

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Remerciements

Un travail de l’ampleur d’un mémoire de maitrise ne saurait être réalisé sans l’aide et le soutien d’une myriade d’individus. En tout premier lieu, j’aimerais remercier ma directrice de recherche, madame Nathalie Gravel, pour sa disponibilité sans faille afin de répondre à mes questionnements, petits et grands. Un grand merci aussi à mes évaluateurs, messieurs Frédéric Lasserre et Marcel Darveau, pour m’avoir guidée lorsqu’il le fallait lors de cette aventure.

Je ne peux oublier toutes les personnes qui ont croisé ma route lors de ma recherche et m’ont aidée d’une façon ou d’une autre à compléter ma recherche. Je pense en particulier aux Amis du parc riverain de la Boyer et à l’OBV de la Côte-du-Sud, en particulier à Mme Huguette Ruel et M. François Lajoie, qui connaissent la Boyer sur le bout de leurs doigts. J’ai aussi beaucoup de gratitude pour tous les producteurs et productrices agricoles qui ont pris le temps de répondre à mes questions malgré leur emploi du temps extrêmement chargé.

Je tiens à remercier tout spécialement mes parents et mon frère qui m’ont soutenue, motivée et, à l’occasion, distraite lorsque mon cerveau n’en pouvait plus. Ce projet n’aurait probablement jamais vu le jour sans votre aide et je vous suis éternellement redevable. Enfin, merci à mes brillants amis Roger, Cédric et Benoit qui m’ont guidée, encouragée et parfois même corrigée sans ménagement lorsque j’étais égarée.

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Introduction

La gestion intégrée de la ressource en eau est un concept qui occupe les chercheurs et les gouvernements depuis de nombreuses années. De la Conférence des Nations unies sur l’eau de Mar del Plata (1977) qui recommandait que les usagers de l’eau prennent part au processus décisionnel et de gestion de la ressource (Cano, 1981 : 389) au Sommet de la Terre de Rio qui s’opposait à sa gestion sectorielle dans son Programme Action 21 (Organisation des Nations unies, 1992), la nécessité de gérer l’eau de façon intégrée et selon les principes du développement durable se fait entendre dans les grandes institutions internationales. Plusieurs pays et provinces se sont dotés de politiques de l’eau afin de garantir une eau de bonne qualité pour leurs citoyens et d’inclure les acteurs de l’eau dans les processus décisionnels afin de gérer leur ressource et ainsi décentraliser la gestion de l’eau.

La prise en compte des interrelations entre tous les utilisateurs et toutes les utilisations de l’eau à l’échelle des bassins versants a pour sa part motivé l’émergence de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV), un mode de gestion holistique qui permet par ailleurs de suivre de près les changements dans la qualité de l’eau des bassins versants (Gangbazo, 2004). Le Québec s’est doté en 2002 d’une Politique nationale de l’eau (PNE) afin d’opérer une réforme de la gouvernance de l’eau sur son territoire, puis appliquer et mettre en œuvre la GIEBV sur 33 cours d’eau alors jugés prioritaires. Cette réforme de la gouvernance de l’eau était orientée vers certains objectifs précis tels que la protection de la qualité de l’eau et des écosystèmes aquatiques et l’encouragement de l’usage récréatifs des plans d’eau. Les organismes de bassins versants (OBV) sont les organismes à but non lucratif ayant pour mandat la mise en œuvre concrète de la GIEBV à l’échelle des bassins versants dans une perspective de développement durable (Gouvernement du Québec, 2002b : 19). Avec la création de la PNE, le Gouvernement du Québec avait pour objectifs « de régler les problèmes de qualité et de quantité de la ressource, d’apporter des solutions à la gestion sectorielle et morcelée de l'eau et de répondre à une volonté des citoyens de s'impliquer dans la gestion de l'eau » (Gouvernement du Québec, n.d.).

Notre recherche s’insère dans le champ d’étude de la géographie humaine et plus précisément dans le domaine de la géographie rurale puisqu’elle s’intéresse aux enjeux socio-environnementaux de la GIEBV dans un bassin versant à vocation largement agricole. La rivière Boyer est située dans la MRC de Bellechasse et prend sa source dans les municipalités de Saint-Anselme et de Honfleur (MEF, 1998). La qualité de l’eau de cette rivière est depuis longtemps affectée par l’occupation de son territoire (Patoine, 2005), ce qui a mené à la disparition de plus d’une dizaine d’espèces aquatiques du cours d’eau depuis la fin des années 1960. En effet, un peu plus de 66 pour cent de la superficie du bassin versant de la rivière Boyer est dédié à l’activité agricole (GIRB/OBV de la

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Côte-du-Sud, 2011 : 7). L’élevage porcin et les cultures de céréales à grands interlignes sont les types de production prédominants dans le paysage du bassin versant à l’étude (idem).

Les problèmes de pollution d’origine agricole de la rivière Boyer sont connus du gouvernement québécois depuis plusieurs années. La publication du Plan Saint-Laurent Vision 2000 nous apprenait que ce petit bassin versant d’un peu plus de 200 km² était désigné comme une priorité en raison de la sévère dégradation de ses eaux sous l’action de l’agriculture intensive (MEF, 1998), aux côtés de trois autres bassins versants d’une superficie nettement supérieure, soit ceux des rivières L’Assomption (4203 km²), Chaudière (6865 km²) et Yamaska (4784 km²). La participation significative de la rivière Boyer à la pollution du fleuve Saint-Laurent est la raison pour laquelle nous avons choisi ce bassin versant pour territoire d’étude.

La rivière Boyer a fait l’objet de nombreuses interventions d’assainissement au fil des années (Patoine, 2009 : 1) afin de contrer les impacts négatifs de l’activité agricole sur la qualité de ses eaux. Dans le courant des années 1960, l’éperlan arc-en-ciel, une espèce particulièrement sensible aux variations de la qualité de l’eau (Wharfe et al., 1984), a complètement déserté la rivière Boyer. Cette perte a été l’élément déclencheur d’une action concertée afin de restaurer la qualité de l’eau de la rivière Boyer (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 132). En 1990, le regroupement de plusieurs partenaires à différentes échelles (MAPAQ, MRC de Bellechasse, Canards Illimités, UPA, représentants du monde agricole, etc.) donne lieu à la création d’un comité multipartite (idem) qui a mis sur pied un Plan de restauration de la Boyer deux ans plus tard (Proulx, 1992 : 1). Ce comité s’est incorporé en 1995 et est devenu le Groupe d’intervention pour la restauration de la Boyer (GIRB) et prônait une approche de gestion intégrée de la ressource en eau à l’échelle du bassin versant de la rivière Boyer, quelques années avant l’avènement de la PNE (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : i). Au fil des années, plusieurs aménagements ont été réalisés afin de restaurer la qualité de l’eau de la rivière : revégétalisation des bandes riveraines, installation de haies brise-vent, travaux de stabilisation des berges, abris pour la faune, etc. (Picard, 2010 : 15).

À l’échelle provinciale, nous avons assisté à la création de lois, politiques et règlements axés sur la protection de l’environnement. Afin de protéger les écosystèmes contre la pollution agricole, le gouvernement du Québec a adopté en 2002 le Règlement sur les exploitations agricoles (REA) (Q-2, r. 26) qui encadre les activités des producteurs. Pour sa part, la Politique de protection des rives,

du littoral et des plaines inondables (PPRLPI) est adoptée en 1987 afin de préserver ces

zones-tampons qui remplissent de nombreux rôles : barrière naturelle contre le ruissellement de sédiments des sols et des nutriments vers les cours d’eau, habitat pour la faune, rempart contre l’érosion des sols, etc. (MDDELCC, 2015a). Enfin, de façon plus large, l’adoption au Québec en 2006 de la Loi

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sur le développement durable (RLRQ c. D-8. 1. 1) défend la prise en compte de 16 principes dans les

actions prises par le gouvernement québécois, dont les principes de prévention, la préservation de la biodiversité et le principe de participation et d’engagement afin de promouvoir la participation citoyenne.

La pollution agricole est un fait avéré et constant dans le bassin versant de la rivière Boyer et plusieurs mécanismes, de natures diverses et appliqués par différents organismes et institutions, se sont donc enclenchés au fil des années afin de contrer la pollution à la source ou d’atténuer ses effets au maximum. La Boyer demeure toutefois une rivière dont la qualité de l’eau est précaire à ce jour (MDDELCC/Réseau-rivières, 2018), en dépit de l’application de la GIEBV et des diverses contraintes réglementaires. En conséquences, certains usages de la rivière, tels que la pêche et la baignade, ont été perdus (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 133), ce qui fait en sorte que la rivière soit moins accessible pour les résidents du bassin versant qui veulent pratiquer des loisirs.

Questions de recherche

Les questions générale et spécifique de notre recherche sont les suivantes :

Est-ce que la GIEBV au Québec prévoit l’application des principes du développement durable et un suivi adéquat des effets de la décentralisation des pouvoirs sur l’évolution de la situation des bassins versants? Plus spécifiquement, nous nous interrogeons à savoir quels sont les freins à l’application d’une GIEBV efficace dans le bassin versant de la rivière Boyer?

Hypothèse

L’hypothèse que nous formulons est que la décentralisation de la gestion de l’eau par bassin versant au Québec n’a pas prévu d’appuis institutionnels ni de mesures de suivi suffisants afin de garantir l’application des principes du développement durable.

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Objectifs de recherche

Afin de guider notre recherche, nous avons sélectionné les objectifs suivants :

Objectif principal

 Comprendre dans quelle mesure la décentralisation des pouvoirs en matière de gestion de la ressource en eau, inhérente à la GIEBV, s’inscrit dans une perspective de développement durable au Québec.

Objectifs spécifiques

 Étudier l’évolution de la participation citoyenne dans la gestion des eaux du bassin versant visé et ses impacts sur la conscientisation environnementale dans les communautés riveraines et la perception de celles-ci à l’égard de la rivière Boyer;

 Analyser l’application de principes du développement durable dans la gestion du bassin versant de la rivière Boyer;

 Identifier les principaux enjeux sociaux-environnementaux liés à la GIEBV dans le bassin versant étudié;

 Dresser un bilan partiel de l’applicabilité du modèle québécois de gouvernance de l’eau dans une perspective de développement durable.

Territoire et période d’analyse

Le territoire de recherche correspond au bassin versant de la rivière Boyer, qui s’étend sur une superficie de 217 km². La longueur totale du cours d’eau, incluant ses affluents, s’élève à 345 km (Ministère de l’Environnement et de la Faune, 1998). Le bassin versant de la rivière Boyer se situe dans la Municipalité Régionale de Comté (MRC) de Bellechasse, sur la rive sud du Fleuve Saint-Laurent (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 5). La MRC de Bellechasse est l’une des dix MRC composant la région administrative de Chaudière-Appalaches et est à vocation très fortement agricole. En effet, 83 pour cent de sa superficie est situé en zone agricole (MRC de Bellechasse, 2019). Le bassin versant de la rivière Boyer fait partie du territoire de l’Organisme de bassins versants de la Côte-du-Sud, qui couvre un territoire de 3000 km² s’étendant de Lévis au sud-ouest jusqu’à Saint-Roch-des-Aulnaies au nord-est.

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Figure 1 Le bassin versant de la rivière Boyer

Source: MEF, 1998

Le bassin versant à l’étude se décompose en quatre sous-bassins, soit le tronçon principal de la rivière Boyer, la rivière Boyer Sud et la rivière Boyer Nord, tous trois occupés majoritairement par l’activité agricole, ainsi que le sous bassin du ruisseau du Portage, à tendance nettement plus forestière qu’agricole (idem : 9). L’exutoire de la rivière Boyer se trouve à la hauteur de Saint-Vallier, municipalité située à environ 40 km à l’est de la ville de Québec, et le tronçon de la Boyer Sud prend sa source au sud-est de la municipalité de Honfleur, tandis que celui de la Boyer Nord provient du nord de Saint-Anselme (MEF, 1998). Douze municipalités sont traversées par le bassin versant de la rivière Boyer mais notre recherche ne tiendra compte que des huit municipalités suivantes : Saint-Charles-de-Bellechasse, Saint-Henri, Saint-Anselme, Honfleur, Saint-Michel, Saint-Gervais, La Durantaye et Saint-Vallier (voir le Tableau 1). Les quatre municipalités restantes ont été exclues puisqu’elles ne représentent qu’un très faible pourcentage de la superficie totale du bassin versant : Beaumont, Saint-Lazare-de-Bellechasse, Saint-Raphaël et Lévis (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 13).

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La municipalité de Saint-Vallier ne représente également qu’un très faible pourcentage de la superficie totale du bassin versant (0,63 pour cent), mais son importance dans notre recherche demeure considérable pour deux raisons : d’abord parce que c’est là que se situe l’exutoire de la rivière Boyer, puis parce qu’on y retrouve une zone importante pour la conservation des oiseaux (ZICO) longeant le fleuve Saint-Laurent.

Source : GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 12

La municipalité qui occupe la plus grande superficie dans le bassin versant est Charles-de-Bellechasse, avec 32,53 pour cent de la superficie totale du bassin versant (idem). Le Lac Saint-Charles, situé dans la partie est du bassin versant, est le seul plan d’eau d’importance à l’échelle du bassin versant de la Boyer.

Figure 2 Municipalités incluses dans le bassin versant de la rivière Boyer

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Tableau 1 Municipalités composant le bassin versant de la rivière Boyer

Source : GIRB, 2008, dans GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 13

La population du bassin versant était estimée à 4100 habitants à la fin des années 1990 (MEF, 1998). Il n’existe pas de chiffre à jour pour cette donnée à l’heure actuelle, mais un coup d’œil à l’évolution en vingt ans de la population dans les principales municipalités comprises dans le bassin versant nous permet de croire qu’il n’y a probablement pas eu de variation majeure, à l’exception de la municipalité de Saint-Henri qui a vu sa population presque doubler entre 1996 et 2016 (voir le Tableau 2). Le milieu anthropique1 ne représente d’ailleurs qu’une infime partie de l’occupation du territoire du bassin versant de la rivière Boyer, avec à peine trois pour cent de sa superficie totale (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011: 6-7). On compte deux stations d’épuration sur le territoire du bassin versant de la rivière Boyer (MDDEFP, 2013).

1 Les milieux anthropiques correspondent « aux milieux urbains et aux milieux transformés et utilisés par l’homme » (GIRB/OBV de la

Côte-du-Sud, 2011 : 7). Municipalités Superficie des municipalités dans le bassin versant (km²) Pourcentage des municipalités dans le bassin versant Pourcentage de la superficie des municipalités à l'intérieur

du bassin versant Saint-Charles-de-Bellechasse 70,23 32,53 74 Saint-Henri 38,11 17,65 31 Saint-Anselme 28,94 13,41 39 Honfleur 26,32 12,19 52 Saint-Michel 22,03 10,2 50 Saint-Gervais 15,89 7,36 18 La Durantaye 11,59 5,37 34 Saint-Vallier 1,36 0,63 3 Beaumont 0,7 0,32 2 Saint-Lazare-de-Bellechasse 0,26 0,12 0,3 Saint-Raphael 0,34 0,16 0,3 Lévis 0,11 0,05 0,2 TOTAL 216 100

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-Tableau 2 Évolution de la population des principales municipalités du bassin versant de la rivière Boyer, 1996-2016

Municipalité Population 1996 Population 2016

Variation (%) Saint-Charles-de-Bellechasse 2197 2396 9,06 Honfleur 836 849 1,56 La Durantaye 721 755 4,72 Saint-Anselme 3317 3938 18,72 Saint-Henri 3886 5611 44,39 Saint-Gervais 1875 2153 14,83 Saint-Michel-de-Bellechasse 1676 1813 8,17 Saint-Vallier 1042 1061 1,82 Total 15 550 18 576 19,46

Sources : Statistique Canada, 2017 a, b, c, d, e, f, g, h et I; Statistique Canada, 2001

De même, la pression industrielle et commerciale est faible dans le bassin versant (idem : 178-181) et représente donc une faible menace pour la qualité de l’eau de la rivière Boyer. On ne recensait que 14 industries en 1998 dans le bassin versant (MEF, 1998). Seul l’ancien abattoir de Saint-Charles-de-Bellechasse, qui avait fermé ses portes en 1995 pour être reconverti en centre de préparation de mets cuisinés, était considéré comme une industrie polluante (Patoine, 2005 : 2). Le MAPAQ et l’OBV de la Côte-du-Sud dénombraient en 2014 cinq industries sur le territoire de l’unité de bassin versant (UBV) de la rivière Boyer et seulement deux dans l’UBV de la Boyer Nord2

(OBV-CA, 2014a et 2014b). Seule l’UBV de la Boyer Sud manque afin de compléter le portrait industriel, mais nous pouvons raisonnablement croire qu’ici encore, peu de changements majeurs ont eu lieu dans le bassin versant. Pour ce qui est de l’aspect commercial, seules quelques catégories de commerces sont susceptibles de représenter une menace pour la qualité de l’eau de la rivière Boyer, notamment les ateliers de mécanique, stations-services et salons de coiffure, puisque ces commerces tendent à utiliser et à rejeter des produits toxiques (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 179-180).

2 Les territoires des UBV de la rivière Boyer et de la rivière Boyer Nord correspondent respectivement aux tronçons Principal et du Portage

(Saint-Charles-de-Bellechasse, Saint-Michel-de-Bellechasse, La Durantaye, Saint-Vallier, Beaumont et Saint-Raphaël), puis au tronçon de la rivière Boyer Nord (Saint-Henri, Saint-Anselme, Saint-Charles-de-Bellechasse et Honfleur).

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Au final, le MEF considérait en 1998 que les pressions industrielles dans le bassin versant de la rivière Boyer étaient faibles (MEF, 1998).

Enfin, les Basses Terres du Saint-Laurent au nord occupent la très forte majorité du territoire du bassin versant de la rivière Boyer (85 pour cent) alors qu’au sud, le territoire restant se situe dans la région physiographique des Appalaches (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011: 43). L’occupation du territoire du bassin versant correspond bien à cette réalité physiographique, puisque l’activité agricole et les milieux boisés occupent respectivement 66,21 pour cent et 24,34 pour cent de sa superficie. La pente des trois tronçons principaux varie de 2,3 m/km pour le tronçon principal à 10,6 m/km pour la Boyer Sud, en passant par 5,1 m/km pour la Boyer Nord. Le débit moyen à l’embouchure est de 4,24 m³/s (MEF, 1998), mais il peut atteindre 17,2 m³/s lors des crues printanières (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 61). Quant aux milieux humides (marécages, tourbière, etc.), ils représentent 5,49 pour cent de la superficie totale du bassin versant (GIRB/OBV de la Côte-du-Sud, 2011 : 7). L’UBV de la rivière Boyer contient la plus forte proportion de milieux humides, notamment avec la présence de tourbières en son territoire. Cet UBV comprend 14,96 km² de milieux humides dont plus de la moitié correspond à différents types de tourbières : 8,41 km² de tourbière boisée3, 2,95 km² de tourbière bog4 et 0,01 km² de tourbière fen5 (MAPAQ, 2014a : 9). Les autres

milieux humides comprennent les marécages (3,42 km²), les eaux peu profondes (0,11 km²), les prairies (0,03 km²) et les marais (0,02 km²) (idem). Les milieux humides rendent de nombreux services écosystémiques à la population, comme la régulation de l’écoulement des eaux, la rétention des sédiments, la production de matériaux, un habitat pour la biodiversité, le divertissement et l’éducation (He et al., 2015 : 708).

La collecte de données a porté sur des données primaires et secondaires et sur l’observation sur le terrain entre août 2017 et janvier 2019. Les premières données recueillies remontent à la décennie 1960, qui précède l’interdiction de la pêche à l’éperlan arc-en-ciel (1977). Notre choix se porte sur cette décennie pour l’analyse des premières données car les années 1960 ont marqué le début d’un rapide développement des activités agricoles dans le bassin versant, de même qu’une rapide

3 « Au Canada, le terme marécage sert à nommer les terres humides et les tourbières boisées. […] Un marécage peut se définir comme étant

une terre humide dominée par les arbres ou les grands arbustes (aussi appelés taillis) et influencée par l’eau souterraine minérotrophe, sur des sols minéraux ou organiques. » (Groupe de travail national sur les terres humides, 1997 :37)

4 « Un bog est un terrain tourbeux caractérisé par une diversité de formes et de tailles. La surface d’un bog, qui sera élevée ou au niveau du

terrain avoisinant, n’est pratiquement pas touchée par les eaux d’écoulement ou les eaux souterraines en provenance des sols minéraux environnants. » (idem :19)

5 « Un fen est une tourbière à nappe phréatique fluctuante. Les eaux des fens sont riches en minéraux dissous, ce qui fait d’eu x des

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dégradation de la qualité de l’eau de la rivière Boyer (MEF, 1998). Nous avons terminé nos entrevues au tout début de l’année 2019.

Intérêt et limites de la recherche

L’intérêt de notre recherche réside dans le fait que peu d’études soient disponibles actuellement sur l’application concrète de la GIEBV au Québec, même s’il y a bien des auteurs qui étudient notre modèle de GIEBV tels que Frédéric Lasserre, Alexandre Brun, Nicolas Milot, Jean-François Bibeault, Catherine Choquette, Alain Létourneau, etc. Le peu d’études disponible est en partie attribuable au fait que la Politique nationale de l’eau et la mise en œuvre de la GIEBV sont encore relativement récentes au Québec (l’avènement de la PNE ne date que de 2002 alors qu’en France la première Loi sur l’eau a été adoptée en 1964 (Hébert Tardif et Lafrenière, 2015 : 90)). À cet égard, notre recherche contribuera à comprendre ce qui fait en sorte que la qualité de l’eau en milieu agricole demeure largement problématique au Québec, en dépit de l’existence de la PNE, de la GIEBV et de certains outils réglementaires, dont certains furent mentionnés dans les sections précédentes. Pour ce qui est du volet plus spécifiquement lié aux enjeux socio-environnementaux de la GIEBV, nous tenions à mettre en lumière cette classe particulière d’enjeux qui est peu étudiée dans la littérature scientifique à l’heure actuelle.

Lorsqu’il est question de la gestion de la qualité de l’eau en milieu agricole, les études ont tendance à mettre l’accent sur l’évolution de l’indice de la qualité bactériologique et physicochimique (IQBP6) et les différentes données qui le composent (phosphore, azote, etc.), relevant ainsi du domaine de la géographie physique. Notre recherche faisant partie du domaine de la géographie humaine, nous tenterons plutôt de dégager les enjeux qui lient les acteurs de l’eau à leur territoire et, plus globalement, leur environnement. Nous étudierons ainsi les enjeux socio-environnementaux de la gestion de la qualité de l’eau dans un milieu agricole, par exemple, la perception qu’ont les citoyens du bassin versant de la rivière Boyer et l’impact de la pollution agricole sur cette perception, l’application des outils réglementaires, etc. S’agissant d’une étude de cas, les résultats devraient être utiles en premier lieu aux gestionnaires de l’Organisme des bassins versants de la Côte-du-Sud ainsi qu’aux décideurs locaux (principalement les municipalités du bassin versant et la MRC de Bellechasse). Nous espérons que notre conclusion permettra de dégager certaines pistes de réflexion et un bilan, bien que partiel, de la GIEBV plus d’une quinzaine d’années après sa mise en œuvre au Québec.

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Comme toute recherche, la nôtre comporte certaines limites et difficultés. Les échantillons de répondants que nous avons interrogés lors des entrevues sont de natures et d’horizons très diversifiés et ont été établis dans le souci d’atteindre une bonne représentativité des acteurs du bassin versant et de leurs enjeux. Toutefois, ils demeurent des échantillons de petite taille qui ne peuvent prétendre représenter fidèlement tous les acteurs du bassin versant dans leur catégorie. Le recrutement de répondants n’a pas posé de difficulté majeure sauf pour la catégorie des producteurs et productrices agricoles. Nous avons en effet essuyé quelques refus de potentiels répondants de cette catégorie, souvent par manque de temps de leur part. Nous avons dû nous adapter et recruter nos répondants en hiver, lorsque les producteurs agricoles disposent de plus de temps libre. Ceux qui ont accepté de se prêter à l’exercice l’ont fait avec enthousiasme et plusieurs nous ont mentionné qu’ils étaient habitués à participer à des études, ce qui nous porte à croire que les producteurs agricoles du bassin versant de la rivière Boyer sont déjà très sollicités par les chercheurs. Il n’y avait donc pas de méfiance à notre égard.

Enfin, l’étude de cas comporte en elle-même des restrictions puisqu’elle se limite à une situation, une échelle géographique et un contexte bien délimités. En effet, la nature de l’étude de cas « ne permet pas de généraliser facilement, mais favorise en revanche une analyse plus approfondie d’un phénomène donné » (Mace, 1988 : 69). Nous espérons cependant que le fruit de notre recherche puisse servir d’outil de référence à d’autres bassins versants au Québec qui présentent une situation similaire à la rivière Boyer, soit les cours d’eau situés en milieu rural caractérisés par une détérioration de la qualité de leur eau causée majoritairement par la pollution diffuse d’origine agricole.

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Chapitre 1 Cadre conceptuel et revue de littérature

Cette section a pour objectif de présenter les concepts qui seront au centre de notre recherche : la gouvernance et la gouvernance environnementale d’abord, puis le développement durable, la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et enfin, la gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV) au Québec.

1.1 Gouvernance : la redéfinition des mécanismes du pouvoir

Le concept de « gouvernance » est utilisé dans plusieurs contextes et domaines d’étude (Kooiman, 1999, Biswas & Torjada, 2011). Le fait que la gouvernance soit applicable autant en politique internationale qu’en gestion de l’entreprise, en passant par l’aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles a pour conséquence d’en faire un terme généralement vague, sujet à de multiples interprétations (Theys, 2002, Létourneau, 2009, Rhodes, 1996). Kooiman (1999) en dénombre une dizaine de définitions différentes dans la littérature scientifique.

La gouvernance peut être entendue comme le résultat de changements « de modes d’organisation et de fonctionnement », et serait le fruit d’une nouvelle méthode de gestion des rapports sociaux tant à l’échelle des entreprises que dans les affaires publiques (Hamel, 2001 : 97). Cette notion est née dans le courant des années 1970-1980, dans un contexte de remise en question de la légitimité de l’État-nation (Theys, 2002) et de néolibéralisme qui mènera à la prise de mesures « de déréglementation et de privatisation » (Lacroix et St-Arnaud, 2012 : 20). La gouvernance découlerait ainsi en partie d’une reconnaissance des limites du gouvernement dans sa forme traditionnelle (Stoker, 1998; Hamel, 2001; Myint, 2003; Debourdeau, 2008). Dans le même contexte d’économie politique, à partir de 1989, la Banque Mondiale commencera à employer le terme « bonne gouvernance » dans un rapport intitulé « Sub-saharan Africa: From crisis to sustainable growth, a long term perspective study ». La bonne gouvernance, ou gouvernabilité, ne renvoie toutefois pas à la gouvernance telle qu’entendue dans ce mémoire. Dans le premier cas, il s’agit plutôt de « la capacité d’un État à gouverner son territoire » comme le soulignent Gravel et Lavoie (2009 : 2) ou, comme le mentionne la Banque Mondiale (1989 : 60), « l’exercice du pouvoir politique afin de gérer les affaires

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publiques d’une nation 6». Un État faisant preuve d’une bonne gouvernance répond alors

favorablement à une liste de critères tels que la transparence ou la lutte à la corruption, par exemple. Pour sa part, l’adoption de la gouvernance telle qu’on l’entend dans ce mémoire aurait été motivée par la multiplication des acteurs et des enjeux à plusieurs échelles, la complexité de plus en plus grande de ces derniers enjeux ainsi qu’une demande sans cesse croissante de la part de la population de prendre part aux processus décisionnels (Torre, 2011). Celle-ci aurait donc permis, entre autres, de créer des liens entre des acteurs qui proviennent potentiellement d’horizons très divers ou des paliers décisionnels qui agissaient jusqu’alors de façon essentiellement autonome (Beaurain, 2003 : 3) et qui se trouvaient parfois même aux antipodes (Paquet, 2001 : 9).

En affaires publiques, la gouvernance traduit le sentiment que le gouvernement ne peut être le seul acteur compétent et /ou légitime afin de résoudre des problèmes d’ordre sociétal (Milot, 2008; Rhodes, 1996) ou même environnemental (Beaurain, 2003), ce qui stimule dans un premier temps un développement du secteur de la société civile via notamment l’apparition d’ONG qui récupèrent des causes laissées de côté par le secteur public (Kooiman, 1999; Rosenau, 1995). Dans un monde de plus en plus complexe où les différents acteurs sociaux revendiquent leur implication dans des enjeux qui les concernent de près ou de loin, la gouvernance apparait donc comme une façon de redistribuer à la fois pouvoir et responsabilité.

On assiste non seulement à une redéfinition des limites entre le public et le privé (Hamel, 2001; Stoker, 1998, Kooiman, 1999 : 73), mais également à une redéfinition des relations entre les acteurs qui composent la société dans la gestion des affaires publiques. L’atteinte de la gouvernance passerait nécessairement par la décentralisation du pouvoir et intègre généralement la prise en compte des intérêts de trois grands groupes d’acteurs dans le processus décisionnel, soit les suivants dans le cas de l’administration publique: le secteur politique (le public, le gouvernement), le secteur économique (le privé, l’entreprise) et le secteur civil (le social) (Rosenau, 1995; Lacroix et St-Arnaud, 2012; Paquet, 2001; Kooiman, 1999). De par sa « fonction mobilisatrice » (Létourneau, 2009), la gouvernance stimule les interactions entre ces acteurs (Laganier, et al., 2002) ainsi que la coopération (Mostert et al., 2008) afin d’arriver à un consensus en renforçant les « processus de concertation et de négociation entre acteurs » (Beaurain, 2003 : 3).

Cela amène ainsi Beaurain (2003 : 1) à considérer la gouvernance comme « le creuset de nouvelles procédures de participation des citoyens à la vie de la société ». La question est : comment

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se manifeste cette participation citoyenne, concrètement? Pour plusieurs auteurs, l’importance de la participation des citoyens aux prises de décisions est un élément-clé (Létourneau, 2009; Beaurain, 2003; Margerum, 1999; Torre, 2011). Rosenau (1995 : 18-19) parle ainsi d’une « relocalisation de l’autorité » motivée, en partie, par une « révolution des habiletés » qui donne aux citoyens des outils afin d’identifier leurs besoins et les réclamer, bref, les moyens d’assurer leur « empowerment » via l’action collective. La gouvernance donne donc aux citoyens l’opportunité de mettre de l’avant leurs préoccupations et leurs objectifs, de défendre leurs points de vue et leurs valeurs et d’avoir leur mot à dire dans les décisions qui auront un impact sur eux. Pour acquérir la légitimité et le support dont ils ont besoin, les mécanismes de la gouvernance sont plus susceptibles d’évoluer selon un mode « bottom-up » plutôt que « top-down » (Rosenau, 1995 : 17)7. À l’inverse

de cette dernière approche (top-down ou descendante), l’approche « bottom-up » tire ses forces motrices de la base de la pyramide décisionnelle. Elle offre la possibilité au gouvernement d’énoncer le cadre, les grandes lignes d’une politique tout en laissant aux acteurs locaux une certaine liberté dans la mise en œuvre des actions appropriées à leur contexte (Carpentier, 2012 : 18) et s’oppose ainsi aux formes traditionnelles d’action publique de type « command and control » (Beaurain, 2003 : 2; Paquet, 2011 : 4). En ce sens, la participation publique ne se traduit pas simplement en la participation citoyenne ou du secteur privé aux prises de décisions, mais il est également question d’un transfert des responsabilités « vers les secteurs privé et volontaire et, plus globalement, vers le citoyen8» (Stoker, 1998 : 21) et, idéalement, d’un suivi des actions entreprises.

Les acteurs sont donc amenés à se questionner sur la place et le rôle du gouvernement dans l’exercice du pouvoir. Pour Rosenau (1995 : 23), dans le cas de la gouvernance globale, les gouvernements nationaux, poussés dans un monde de plus en plus interdépendant, ont du mal à répondre au besoin grandissant de mécanismes de contrôle. L’auteur soutient cependant que les États demeurent centraux dans les processus de gouvernance globale, bien qu’ils aient perdu une part de leur dominance antérieure (Rosenau, 1995 : 38-39) au profit notamment d’organismes non-gouvernementaux ou d’organisations transnationales. Cela n’est pas nécessairement négatif pour les États et peut mener à un partage bénéfique des tâches en fonction des compétences de chacun des trois secteurs principaux. Le pouvoir qu’un gouvernement délaisse dans un secteur, il peut toutefois le regagner dans un autre sous forme de partenariats privés-publics, par exemple. Il peut notamment se placer en partenaire de développement afin d’orienter et d’encourager l’innovation sociale comme c’est le cas au Québec (Gravel et Martinez Arboleya, 2015 : 193). Cela expliquerait selon Kooiman

7 Notre traduction 8 Notre traduction

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(1999: 84), qu’il convienne de parler de « shifting roles of government » plutôt que de « shrinking roles of government »9. Cette perspective permet de ne pas opposer les acteurs privés et civils à l’État

en les mettant en compétition pour le pouvoir. Au contraire, cette vision de la gouvernance place les trois grands groupes d’acteurs comme des collaborateurs qui travaillent de concert en vue de la protection du bien commun. Cette perspective s’aligne avec la définition de la gouvernance de Rhodes (1996 : 652) qui stipule que ce terme réfère à des réseaux autogouvernés qui viennent compléter les structures d’autorité et les marchés. Stoker (1998 : 23) est également d’accord avec l’idée de la formation de « réseaux autogouvernés » dans les processus de gouvernance, soulignant qu’ils représentent « l’activité de partenariat ultime ». Autrement dit, bien que la gouvernance exige une décentralisation du pouvoir, l’État semble généralement garder sa place au centre des processus de gouvernance afin de répondre aux besoins des collectivités.

1. 2 Gouvernance environnementale et développement durable: entre

interactions spatiales et temporelles

La gouvernance environnementale « vise la gestion des ressources naturelles d’un milieu donné » (Gravel et Lavoie, 2009 : 13). Pour Theys (2002 : 2), la gouvernance s’applique très bien au secteur de l’environnement pour trois raisons principales. Premièrement, l’auteur souligne la nature éminemment complexe des problèmes environnementaux, qui nécessitent l’implication et l’interaction de plusieurs acteurs. Deuxièmement, « l’environnement est lui-même porteur de valeurs favorables à la démocratie, à la décentralisation, à la transparence et donc à des formes d’action publique qui accordent une large part à la société civile ». Enfin, la gouvernance apporte davantage de légitimité aux politiques environnementales et les renforce de par sa nature davantage démocratique que les modes d’action traditionnels. La gouvernance environnementale « must address equity issues (or the issue of democratic deficit) among regime actors in multiple layers » (Myint, 2003: 291).

De plus, la gouvernance permet de trouver des solutions collectives à des problèmes communs (Theys, 2002 : 9), ce qui est plus difficile à accomplir dans un réseau où l’on applique la gestion centralisée ou sectorielle des ressources. Qu’il s’agisse de partage des ressources naturelles entre États voisins ou de contamination résultant d’activités industrielles menées dans une province, les enjeux environnementaux transcendent les frontières politiques. Cela peut mener à « un décalage entre "l’espace des problèmes" et "l’espace des réponses" (Laganier, et al., 2002 : 7). L’échelle

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d’analyse s’élargit donc en conséquence. Pour Debourdeau (2008 : 4), « la constitution de l’environnement comme problématique globale » a été en partie responsable de l’essor de la gouvernance environnementale et a témoigné d’une prise de conscience des interdépendances à l’échelle planétaire. Tout comme Theys (2002), Debourdeau (2008 : 7) considère la gestion environnementale comme une notion à laquelle s’applique particulièrement bien la gouvernance via « la politisation de l’environnement et son institutionnalisation à l’échelle planétaire » et parce que la gouvernance ne peut se fonder uniquement sur l’un ou l’autre des trois grands groupes d’acteurs. La nature même des enjeux environnementaux appelle donc à la coopération entre de multiples acteurs et tient compte des interdépendances entre les différents territoires et échelles d’analyse afin de gérer les enjeux et les ressources d’une façon responsable.

La dimension spatiale est l’un des trois éléments que la gouvernance environnementale tente d’intégrer selon Gagnon et Fortin (1999 : 95), auquel s’ajoutent les ressources et les temporalités. Ces mêmes auteures décrivent la gouvernance environnementale en ces termes : « gouverner le territoire avec prévoyance, gérer les ressources selon les principes de prudence écologique, de respect des besoins humains vitaux, de cycles temporels longs et d’interdépendance territoriale » (ibid.). Tous les aspects de cette définition, soit les dimensions spatiale et temporelle, la prévoyance dans la gestion des ressources afin de répondre aux besoins des collectivités ainsi que le principe de prudence, font un lien avec le développement durable, dont nous reparlerons. La dimension temporelle de la gouvernance environnementale et du développement durable semble se résumer au fait qu’il faille se projeter dans l’avenir afin de planifier la gestion des ressources naturelles alors que les modes de prise de décision ne se prêtent pas toujours au jeu des prévisions à long terme. Beaurain (2003 : 4 décrit les liens entre ces deux aspects en avançant que les questions relatives à l’environnement posent « des problèmes à résoudre à court terme tout en engageant le temps long de l’intergénérationnel ». Alors que la politique évolue selon des cycles plutôt courts et que la gestion des ressources naturelles devrait plutôt être pensée sur le long terme, « comment rendre compatible le cycle court des politiques publiques avec la prise en compte des générations futures? » (Theys, 2002 : 19). La gouvernance environnementale et le développement durable indiquent que les enjeux d’aujourd’hui et notre façon d’y répondre doivent s’inscrire dans un modèle de planification pour assurer l’accès des générations présentes et futures aux ressources vitales. À l’échelle régionale, la création d’un schéma d’aménagement et de développement est un exemple de planification stratégique du territoire qui se base sur un développement durable. En effet, son élaboration demande de « discerner les perspectives et d'identifier les grands enjeux du futur » (Gouvernement du Québec, 2010 : n.d.).

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Le terme développement durable (traduction de sustainable development) apparaît dès le début des années 1980 dans des documents officiels des Nations unies (Brodhag et Sébastien, 2004 : 2), mais c’est la définition incluse dans le document « Notre avenir à tous », aussi appelé Rapport Brundtland, rédigé par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), qui sera retenue : « [U]n mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs » (CMED, 1987 : 14). Le développement durable, de par sa dimension sociale, tout comme la gouvernance environnementale, s’intéresse donc au besoin d’« équité temporelle » ou « intergénérationnelle » (Laganier et al., 2002 : 5; Stevens, 2006 ; Brodhag et Sébastien, 2004). La définition du développement durable comporte cependant une contradiction concernant ce besoin d’équité. En effet, « l’expression "satisfaire les besoins de tous" est extrêmement ambiguë, car riches et pauvres ne revendiquent pas la satisfaction des mêmes besoins » (Lipietz, 2003 : 20). C’est un concept qui découle aussi d’une prise de conscience des interdépendances temporelles, mais également les interdépendances entre les domaines ainsi que les interdépendances spatiales, que nous avons déjà abordées également (Laganier et al., 2002 : 3).

En ce qui a trait aux interdépendances entre les domaines, il s’agit des liens entre les trois piliers du développement durable, soit les dimensions environnementale, économique et sociale, qui ont des liens étroits et s’influencent mutuellement (Stevens, 2006 : 2). Ces trois dimensions devraient être développées « simultanément », ce que certains intellectuels critiquent puisque cet idéal ne tient pas compte de la capacité de support réelle de la Terre et du consensus scientifique autour de la question de la dégradation de l’environnement à l’heure actuelle (Clémençon, 2012b : 312). La reconnaissance explicite de la dimension sociale du développement durable apparait pour la première fois dans le Rapport du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg, publié en 2002 : « Les efforts déployés auront également pour effet de promouvoir l’intégration des trois composantes du développement durable – développement économique, développement social et protection de l’environnement – en tant que piliers interdépendants qui se renforcent mutuellement » (Nations unies, 2002 : 8).

Pour Brodhag et Sébastien (2004 : 2), la sphère sociale du développement durable se divise entre deux visions, soit une approche écocentrée et une approche anthropocentrée. La première approche vise la protection de tous les êtres vivants, prend en compte la valeur des services fondamentaux fournis par l’environnement (services écosystémiques10) et rejette le modèle de

10 Les services écosystémiques correspondent aux « services rendus par la biodiversité (ou par les écosystèmes), c’est -à-dire aux bénéfices

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développement uniquement basé sur la croissance économique (Brodhag et Sébastien, 2004 : 5). Selon cette approche, l’environnement englobe les deux autres dimensions et l’objectif devrait être de protéger la nature pour elle-même, de façon désintéressée. En revanche, l’approche anthropocentrée suggère que l’économie englobe les sphères sociale et économique et se distingue par sa foi infaillible en « le progrès technique pour réparer tout dommage » et le fait qu’elle n’accorde à la nature qu’une « valeur instrumentale » (idem : 7) afin de servir les intérêts humains. Dans une tentative de réconcilier les deux visions opposées, ces auteurs proposent l’approche socio-centrée, qui replace l’humain au centre des réflexions en accordant une place privilégiée à deux types d’acteurs : les acteurs dits faibles, soit ceux ayant peu de poids dans les processus de règlements de conflit et de négociation, et les acteurs absents, représentés essentiellement par les générations futures (idem : 7-9).

1.2.1 Moments et documents fondateurs du développement durable

Le début des années 1970 a été une époque importante pour la prise de conscience à l’échelle mondiale des problèmes environnementaux. Telle une puissante « lame de fond née dans la population des pays industrialisés », le désir de conservation de l’environnement semble aller « à l’encontre d’intérêts économiques considérables » (Kiss et Sicault, 1972 : 605). Dans un monde alors scindé en deux pôles opposés par la guerre froide, la crise environnementale était perçue essentiellement comme un problème des pays industrialisés et causée par le capitalisme (November et al., 1992). Kiss et Sicault (1972 : 604-605) mentionnent d’ailleurs le risque de visions divergentes de la protection de l’environnement entre pays industrialisés et pays en voie de développement (appelés « Tiers-Monde » à l’époque de la guerre froide). En effet, le défi est double : il faut à la fois « pouvoir concilier la protection de l’environnement et le développement mais […] aussi convaincre les responsables des pays du Tiers-Monde et leur prouver que cette bataille ne leur est pas préjudiciable […] », car le fait de protéger l’environnement peut être envisagé comme un frein à la croissance économique. C’est dans ce climat que s’est tenue, en 1972, la Conférence des Nations unies sur l’Environnement Humain (aussi appelée Conférence de Stockholm) qui a réuni 113 pays ainsi que des représentants d’ONG. Il s’agissait de la première réunion d’envergure internationale destinée à discuter des questions environnementales. Pour Marhane et al. (2012 : 138), la politisation de l’environnement à l’échelle internationale n’est pas seulement le résultat d’une prise de conscience, mais aussi le fruit de la convergence de quatre éléments historiques :

(30)

[…] montée de revendications sur la scène internationale des pays du Sud créant une tension entre environnement et développement, affirmation d’une nouvelle expertise écologique promettant de résoudre cette tension, contexte de détente [de la guerre froide] et poussée d’un mouvement environnementaliste […].

Outre la mise sur pied du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Conférence de Stockholm aura permis la rédaction d’une Déclaration sur l’environnement composée d’un préambule et de 26 principes. Le préambule du document place l’humain au centre de l’environnement tout en soulignant l’impact que ses activités peuvent avoir sur celui-ci en mentionnant que « l’homme est à la fois créature et créateur de son environnement » et fait de la « protection et l’amélioration de l’environnement […] une question d’importance majeure » (CNUE, 1972 :1). Le premier principe de la déclaration contient les germes de ce qui allait plus tard devenir la définition explicite du développement durable utilisée dans le rapport Brundtland lorsqu’il affirme que « [L’Homme] a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures » (idem : 2). Selon Kiss et Sicault (1972 : 613), on retrouve au principe 17 l’idée que les États doivent confier à des institutions nationales la gestion et la réglementation de l’utilisation des ressources environnementales, mentionnant ainsi « les instruments de la politique d’environnement ». Le principe 11 enjoint les États et les organisations internationales à élaborer des mesures visant à restreindre les impacts des politiques environnementales sur le secteur économique. La Conférence de Stockholm aura permis de cristalliser à l’échelle mondiale l’idée que les ressources naturelles existent en quantité limitée, s’opposant ainsi à l’idéal de croissance illimitée largement promu par le capitalisme libéral (Kiss et Sicault, 1972 : 627). Cette perspective plaidant pour une halte à la croissance a également été diffusée et défendue dans un ouvrage du Club de Rome paru quelques mois avant la Conférence de Stockholm et intitulé « The Limits to Growth » (1972). À partir de 1972, un Sommet de la Terre semblable à la Conférence de Stockholm a eu lieu à tous les dix ans.

En plus d’avoir fourni la première définition officielle du développement durable, le rapport Brundtland (1987), qualifié par certains d’« alarmiste » et d’« ambitieux », marque un tournant dans l’établissement de la relation entre crise écologique et développement économique (November et al., 1992 : 161). Il mentionne entre autres que les activités humaines, telles qu’elles sont pratiquées, modifient drastiquement les « systèmes planétaires » (CMED, 1987 : 7), ce qui les rend insoutenables à long terme. Pour remédier à ce problème, les rédacteurs du rapport mettent de l’avant une « nouvelle ère de croissance économique » alliée à des politiques de protection des ressources (idem). L’idée n’est pas de freiner ou même d’arrêter la croissance économique, perçue comme incontournable pour le développement humain, mais bien de tenter de l’harmoniser avec les besoins des générations présentes et futures. Le document insiste sur le fait que cela soit possible et demeure une question de

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