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Imaginaire et identités de jeunes migrants : masculinité, féminité et rapport à l'origine dans des autoportraits d'adolescents réfugiés

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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d'adolescents réfugiés

Natacha Premand

Psychiatry Department, McGill University August 2006

A thesis submitted to McGill University in partial fulfilment of the requirements of the degree of Master of Science

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1+1

Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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Conformément

à

la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse. Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.

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Résumé

Cette thèse présente une étude qualitative qui a investigué grâce à la création d'autoportraits-collages la question de l'identité chez des adolescents réfugiés

d'immigration récente. Par l'analyse des collages produits par les jeunes, nous avons cherché à comprendre l'influence du processus de la migration et de l'adolescence sur leur conception d'eux-mêmes.

Quatorze adolescents requérants d'asile, récemment arrivés au Canada d'Amérique latine, du Moyen-Orient ou d'Afrique, ont chacun produit un collage qui les représente. Celui-ci est composé d'un autoportrait photographique et d'images tirées de divers illustrés que nous leur avons présentés. L'analyse des collages est étayée par les données biographiques obtenues dans des entrevues non directives menées lors d'une seconde session.

Les résultats indiquent la présence d'une nette différence dans la représentation de soi des filles et des garçons,.indépendante de leur origine géo-culturelle. Elle souligne combien la construction de l'identité à l'adolescence est avant tout celle d'une identité sexuée. Par ailleurs, malgré la prééminence d'une "culture adolescente mondialisée", chaque adolescent se ré approprie cette culture selon ses besoins d'affiliation et de différenciation avec la société hôte. Les adolescents mettent aussi en travail dans ces autoportraits leur rapport plus ou moins rassurant ou douloureux à l'origine. Enfin, les collages comprennent une dimension temporelle et mettent l'accent sur le passé, le présent ou le futur. L'orientation temporelle semble correspondre à des stratégies différentes d'élaboration des expériences du déracinement.

En conclusion de ce projet, il nous apparaît que le recours à l'autoportrait et au collage est une modalité créatrice qui fournit un riche matériel et permet d'avoir accès à l'imaginaire des adolescents réfugiés récemment arrivés, de manière non menaçante. De ce fait, ce dispositif pourrait être utilisé comme outil d'intervention pour soutenir les

adolescents requérants d'asile. Les résultats invitent aussi à approfondir la compréhension des relations entre image de soi et santé mentale.

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Abstract

This thesis presents a qualitative study that used the making of self-portraits and their incorporation in collages to investigate issues of identity among recently arrived adolescent refugees. These collages were then analyzed to shed light on the influence of both the migration process and adolescence on the subjects' sense oftheir identity.

Fourteen asylum c1aimant teenagers - recently arrived in Canada from Latin America, the Middle East, and Africa - were asked to produce a collage that represents him- or herself. The collages consisted of a photographic self-portrait and images that the subjects culled from various newspapers and magazines made available to them.

Nondirective interviews with the subjects, conducted in a subsequent session, provided biographical information that was used to support the analysis of the collages.

The study indicates that, transcending differences in geo-cultural origin, there are clear differences in the self-representation of male and female adolescents. This result underlines how much the construction of identity during adolescence is primarily that of gender identity. In addition, the study shows that despite the predominance of a

"globalized youth culture," each teenager appropriates this culture according to hislher need to identify with and differentiate from the host society. The collages also indicated an engagement by the subjects in working out the comfort they draw or pain they feel in relation to the country and culture they have left behind. Finally, the collages also included a temporal dimension and the emphasis on the past, present, or future seems to correspond to the subjects' differing strategies for working through the experience of geo-cultural dislocation.

The study concludes that creative exercises such as self-portraiture and collage provide a rich source ofpsychological material and a non-threatening way of gaining access to the imaginary ofrecently arrived refugee teenagers. Consequently, the approach used here could also be used as a tool to provide support to adolescent asylum seekers. The results also indicate a need for a greater understanding of the re1ationship between self-image and mental health.

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Remerciements

Les adolescents qui ont participé généreusement à cette étude et l'ont rendue possible ont droit à toute ma gratitude et à mon admiration pour leur courage. En espérant que ce que j'ai appris à leur contact bénéficiera à d'autres.

Je souhaite exprimer ici ma reconnaissance aux membres de mon comité de thèse: mes deux co-superviseurs, Cécile Rousseau et Catherine Montgomery, ainsi qu'Ellen Corin. Sans Cécile Rousseau, ce projet n'aurait pas existé. Elle a fait naître en moi le désir de faire de la recherche, m'a accueillie dans son équipe et m'a guidé avec equanimité d'âme dans un parcours parfois semé d'embûches. Je remercie Catherine Montgomery d'avoir été un superviseur très attentif, de m'avoir maintes fois aidée à expliciter mes idées et encouragée. Ellen Corin a été une grande source d'inspiration et m'a permis de donner à ce travail toute l'ampleur créative dont j'étais capable. Toutes les trois sont des chercheurs de pointe et j'ai grandement bénéficié de leur exemple. Qu'eUes soient encore remerciées de m'avoir soutenue et d'être des femmes de cœur.

Je suis extrêmement redevable aux personnes et aux institutions qui ont bien voulu me faire confiance pour financer la conduite de cette recherche. Il s'agit de la Fondation Eugenio Litta à Genève, de la Fondation Ernest Boninchi à l'Université de Genève et de son président le Prof. André Hurst, recteur, et enfm du Bureau des études supérieures de McGill sur la recommendation du Département de psychiatrie. Merci également au Prof. F. Waldvogel pour son soutien dans cette voie qui est la mienne.

Merci à Myriam Hamez Spy qui m'a permis de travailler avec le YMCA. Merci à l'équipe du Programme Jardin couvert, en particulier Marissa, Tania, Teddy et Veraine, pour leur gentillesse et leur aide au recrutement. Merci à Miriam Staudt de veiller avec soin sur les étudiants du département. Merci à toute l'Equipe de psychiatrie transculturelle de 1 'Hôpital de Montréal pour enfants, pour sa cohésion, pour son désir profond de venir en aide aux familles migrantes et pour les joies partagées. Merci à Ginette et à Julie pour leur aide et leur patience. Merci aux copains, amie e)s et famille pour leur manière à chaque fois unique d'être là pour moi, entre autres: Aurèle, Denis, Marion, Marie-France,

Martine, Melissa, Michel. Merci à Pierre, pour avoir été un excellent premier lecteur, pour son soutien indéfectible et pour sa présence auprès de moi.

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Table des matières

Résumé ... .ii

Abstract ... .iii

Remerciements ... .iv

Tableau et liste des images ... vii

Introduction ...•...••••...•••...•..•..•...•.••••.••. 1

Chapitre 1 : La question de l'identité chez les adolescents réfugiés et l'autoportrait •.• 4 Adolescents réfugiés: période initiale d'établissement et question de l'identité .. .4

La situation des réfugiés et des immigrants pendant leur établissement ... .4

Défis et ressources pour les adolescents réfugiés ... 8

Les tâches de l'adolescence ... 1 0 La question de l'identité ... 11

Le développement d'une identité sexuée et de relations amoureuses ... 15

Une "culture adolescente mondialisée" ... 17

Autoportrait photographique et espace transitionnel ... 18

Photographie et représentation visuelle ... 18

Autoportrait et photographie ... 20

Création, espace intermédiaire et recherche ... .23

Chapitre 2 : Méthodologie .••....•...•••...•...•.••... 26

Contexte du projet de recherche ... .26

Perspective méthodologique ... 26

Echantillonnage ... 27

Recrutement ... 30

Production des collages et des interviews ... .31

Analyse des collages et des interviews ... .35

Vérifications et validité ... 38

Considérations éthiques ... .39

Chapitre 3 : Analyse de dix collages ••..•...•.••.•...•.••••••••••...•••...•... 41

Shirin ... 42 Fereshteh ... 49 Ghazal. ... 55 Mohsen ... 59 Hamid ... 64 Matthew ... 69 Laurent ... 77 Eliane ... 82 Marie ... 86 Amandine ... 90 Chapitre 4: Discussion ...•••.•••••...•.••...•• 95

Comparaison des groupes de garçons et de filles ... 95

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Violence, menaces ... 98

Images de couples ... 99

Mise en scène de différents univers ... 100

Univers ... 100

Ailleurs ... 102

Ici ... 102

Références à une "culture mondialisée" ... 102

Représentations de la temporalité ... 103

Représentation du présent ... 104

Représentation du présent et du futur ... 104

Représentation du présent et du passé ... 105

Présence des trois sphères temporelles : passé, présent, futur ... 1 05 Réflexions sur la temporalité dans ces collages ... 106

Convergences et divergences d'avec des méthodologies similaires ... 108

Conclusion ... ... . 112

Bibliographie ... 115

Appendice A : Certificat de conformité éthique ... 126

Appendice B : Formulaire de consentement / Consent form ... 127

Appendice C: Questionnaire ... 128

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Tableau et liste des images

Tableau 1. Données socio-démographiques et nombre d'entrevues par participant. 28

Image 1. Shirin. Suite à la page 41

Image 2. Fereshteh. Image 3. Ghazal. Image 4. Mohsen 1. Image 5. Mohsen 2. Image 6. Hamid. Image 7., Matthew. Image 8. Laurent. Image 9. Eliane. Image 10. Marie. Image 11. Amandine. Image Dl. Mercedes. Image D2. Antonio. Image D3. Sebastian. Image D4. Jean. " 48 " "

"

" 54 58 58 63 68 76 81 85 89

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La psychothérapie ne consiste pas à donner des interprétations astucieuses et en finesse; à tout prendre ce dont il s'agit, c'est de donner à long terme en retour au patient ce que le patient apporte. C'est un dérivé complexe du visage qui réfléchit ce qui est là pour être vu. Donald W. Winnicott

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INTRODUCTION

L'arrivée des réfugiés dans le pays où ils demandent l'asile est un moment très sensible de leur parcours. Ils vivent le premier contact avec un nouvel environnement, ils traversent une période d'incertitude en ce qui concerne l'obtention d'un statut de réfugié, ils subissent la séparation d'avec leurs proches et la perte des repères familiers. Malgré toutes ces difficultés, c'est aussi l'occasion d'élaborer de nouveaux rêves et de faire des projets pour une vie meilleure.

Pour les réfugiés qui migrent à l'adolescence, les transformations physiques et psychologiques de ce stade de leur développement s'ajoutent aux autres changements. Ces deux transitions, la migration et l'adolescence, influencent la construction de l'image de soi. Les études portant sur l'identité ou sur l'image de soi ("self-concept") chez les populations migrantes s'intéressent surtout à l'identité ethnique (Suarez-Orozco & Qin, 2006) ou à l'estime de soi (Phinney & Chavira, 1992) et utilisent presque uniquement des modalités verbales pour saisir la représentation de soi. Notre étude cherche à comprendre l'influence des transformations que ces jeunes réfugiés vivent sur leur appréhension de soi et sa représentation dans un autoportrait photographique combiné à un collage.

L'image permet d'exprimer des expériences difficiles à mettre en mots. Ainsi beaucoup d'artistes créent des autoportraits photographiques tant pour interroger leur identité, que pour questionner la réalité qui les entoure. Certains chercheurs ont mis en évidence que l'emploi de la photographie avec des adolescents réfugiés donne accès à leur perception du monde et à leurs espoirs (Berman, Ford-Gilboe, Mouthey & Cekic, 2001) ou encore éclaire les relations inter- ou intra-ethniques d'adolescents d'origines diverses (Recio, 2001). Pour ces différentes raisons, nous avons choisi d'utiliser le médium photographique pour explorer l'identité et sa représentation dans la population étudiée.

Nous nous sommes appuyés sur l'idée que la pratique de l'art ouvre un espace transitionnel où réalités psychique et extérieure n'ont pas à être séparées, offrant un support à la construction intérieure. De ce fait, nous avons mis en place un dispositif où des adolescents demandeurs d'asile, récemment arrivés à Montréal, sont invités à produire un autoportrait-collage. Celui-ci est une composition où ils accompagnent leur propre autoportrait photographique par des images tirées de magazines pour former un collage. Celui-ci crée un environnement autour de leur autoportrait et transmet une représentation

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métaphorique de certains aspects de leur relation aux différents univers qui les entourent et les habitent. La production de l'autoportrait-collage est suivie d'une interview des jeunes gens. Celle-ci sert à étayer l'analyse de la composition plastique.

Notre recherche vise à comprendre comment les expériences conjuguées de la migration et de l'adolescence se reflètent dans la représentation de soi au travers d'autoportraits-collages d'adolescents réfugiés, d'immigration récente.

Les questions de recherche spécifiques sont :

1. Comment les adolescents se représentent-ils dans les autoportraits-collages? - quels sont les figures, objets ou symboles qu'ils associent à leur portrait ?

- quels sont les sentiments évoqués ?

2. Est-ce que des questions spécifiques à l'adolescence sont représentées? Si oui lesquelles et comment?

3. Quelle structuration du temps les autoportraits reflètent-ils? - que reflètent-ils du passé?

- que reflètent-ils des défis de la migration et de la vie actuelle? - que reflètent-ils des plans pour le futur?

4. Qu'apporte l'utilisation du médium photographique par rapport au discours obtenu dans le cadre d'une interview entre le chercheur et le jeune migrant? Quelles sont les spécificités de la représentation de soi aux niveaux non verbal (autoportraits-collages) et verbal (interviews) ?

5. Dans la perspective de l'utilisation d'une telle activité lors d'une intervention (thérapeutique ou préventive), celle-ci constitue-t-elle un espace d'élaboration constructive ou risque-t-elle d'être source d'angoisse difficile à juguler?

Notre recherche s'intéresse aux lignes de force qui traversent la représentation non-verbale de l'identité de ces adolescents réfugiés d'immigration récente. Ce point de vue sur l'identité n'a, à notre connaissance, pas fait l'objet de travaux de recherche.

Ce projet est aussi une recherche action dans la mesure où la cueillette des données est en elle-même une intervention. L'étude a été planifiée de façon à pouvoir être

bénéfique à différents niveaux pour les participants. Tout d'abord, raconter son histoire dans un lieu où l'on est écouté et non pas poussé à parler de ce que l'on ne souhaite pas aborder, peut aider à construire son expérience et à reformuler son histoire de manière

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moins fragmentaire. Deuxièmement, une activité créatrice permet aux enfants de construire et de transformer leur image de soi et de gagner une compréhension de leurs émotions et de leurs actes. Enfin, la participation à une activité créatrice est un plaisir en soi et peut être apprécié comme tel par les jeunes qui l'entreprennent.

Notre texte est divisé en quatre chapitres suivis d'une bibliographie et d'appendices. Le Chapitre 1 présente une revue de la littérature sur la période de l'établissement des réfugiés, sur les tâches de l'adolescence et en particulier la

construction de l'identité, ainsi que sur la place de l'autoportrait dans une recherche avec des adolescents réfugiés. Le Chapitre 2 décrit la méthodologie utilisée. Le Chapitre 3 présente l'analyse approfondie de dix collages. Le Chapitre 4 discute de l'ensemble des collages de manière transversale et de l'intérêt de la méthodologie utilisée. Nous terminons par une conclusion et des perspectives d'application du projet.

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LA QUESTION DE L'IDENTITE CHEZ LES ADOLESCENTS REFUGIES ET L'AUTOPORTRAIT

Adolescents réfugiés: période initiale d'établissement et question de l'identité

La situation des réfugiés et des immigrants pendant leur établissement

En 2004 le Canada a accueilli 32'685 réfugiés (CIC, 2005). Selon le ministère "Citoyenneté et Immigration Canada" (CIe, 2003),98'604 jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans ont immigré au Canada entre 2000 et 2002, dont 17'530 jeunes réfugiés (chiffres par tranche d'âge non retrouvés après 2002). Pour le pays d'accueil,

l'immigration représente à la fois des défis (intégration dans la société, accès aux droits fondamentaux de la personne) et des opportunités (force de travail, compétences). D'une intégration réussie et d'un accueil adéquat (Beiser, 1989) dépend la possibilité pour les populations immigrantes de contribuer de manière constructive à la société hôte et de développer leurs potentialités. Pour ce faire, une bonne compréhension des facteurs déterminants l'intégration et l'accueil dans la période d'établissement ("settlement") est nécessaire. Elle facilite la mise en place et l'adaptation de programmes pour accompagner les migrants pendant ce moment crucial.

La période d'établissement est difficile pour l'ensemble de la population réfugiée et immigrante, qu'elle soit faite d'adultes, d'adolescents ou d'enfants. Certains enjeux sont affrontés par tous: la recherche de sécurité personnelle et familiale, la perte du pays d'origine, l'insécurité face à l'avenir ainsi que, pour les requérants d'asile, l'attente de l'obtention d'un statut. L'insécurité et l'attente façonnent le rapport au temps de chacun. Nous allons développer d'abord les aspects qui, tout en touchant plus directement les adultes, comme l'emploi, le logement, les ressources dans la communauté ou le

regroupement familial, ont un impact sur la vie des adolescents et sur leurs perpectives futures. Nous reprendrons ensuite les problématiques plus spécifiques de l'adolescence.

Dimension temporelle

Le temps est une variable essentielle dans la compréhension que nous avons des processus à l'oeuvre durant l'établissement des réfugiés. Ainsi le manque de soutien par une communauté de même origine est défavorable au début de la période d'établissement, mais l'effet de cette absence s'estompe par la suite (Beiser, 2006). La santé mentale des

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réfugiés présente des moments de vulnérabilité accrue. Les études ne s'accordent pas sur ceux-ci et montrent que ces moments surviennent surtout entre six et dix-huit mois après l'arrivée (Beiser, 1989). A vrai dire, aucune période de l'établissement n'est exempte de difficultés émotionnelles (Ritsner & Ponizovsky, 1999; Pemice & Brook, 1996). Si on considère le rapport subjectif au temps, il peut être marqué par le surinvestissement d'un passé idéalisé ou d'un futur lointain où tout serait possible. Cela rend difficile la mise en place de stratégies pour répondre aux défis du présent (Akthar, 1999).

Objectifs d'établissement

En adoptant le point de vue des réfugiés, Valtonen (2004) a mis en évidence les objectifs que se fixent des réfugiés issus de cinq pays (Vietnam, Iran, Iraq, Somalie, Cambodge) durant leur période d'établissement en Finlande. Malgré la diversité de ce groupe, leur buts s'avèrent très similaires. Au premier rang de ceux-ci, on trouve le regroupement familial, lorsqu'il y a lieu, et l'obtention d'un emploi (Valtonen, 2004; Danso,2001).

- Regroupement familial

Dans le but de procéder à un regroupement familial (Parillo, 1991) ou pour se rapprocher d'une communauté de même origine, un grand nombre de réfugiés au Canada (environ 1/4 de ceux sélectionnés à l'étranger) "migrent" à l'intérieur du pays durant leur première année de séjour (Simich, 2003). Ils renoncent ainsi à la destination qui leur est assignée par le Canada. Simich explique ces faits par un hiatus entre les besoins et les attentes des réfugiés qui recherchent un réseau social qui puisse les soutenir et les objectifs des agents de l'immigration qui doivent organiser la répartition des personnes sur le territoire en fonction des ressources disponibles et dont la définition des limites de la "famille" peut diverger fortement de celle des réfugiés. La famille est source d'un sentiment de continuité, de stabilité émotionnelle et matérielle pour ses membres

(Rousseau, Mekki-Berrada & Moreau, 2001). C'est d'autant plus vrai pour les enfants et les adolescents. Ainsi, la vulnérabilité psychologique des enfants non accompagnés, conséquente à la séparation d'avec les figures parentales, peut être contrebalancée par le soutien d'un adulte de confiance (Ressler, Boothby & Steinbock, 1988).

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- Accès aux ressources

Plusieurs auteurs décrivent les barrières rendant difficiles l'intégration des réfugiés durant la période initiale de leur séjour: la difficulté à trouver des logements bon marché, le racisme ordinaire, l'apprentissage de la langue, un revenu insuffisant (Danso, 2001; Valtonen, 2004; George & Tsang, 2000) ou encore la méconnaissance de la situation spécifique des réfugiés par les professionnels de la santé (Murray & Skull, 2005). Les immigrants confrontés à ces difficultés recourent à diverses stratégies. L'une d'elle est de s'adresser aux services ou aux programmes mis à leur disposition par l'Etat.

Malheureusement, ils ignorent souvent ce qui existe. De plus, les requérants d'asile ont moins de chance de recevoir les informations adéquates, pour favoriser leur établissement, que les réfugiés qui ont été parrainés par le gouvernement. Le recours à des membres de la même communauté se révèle alors comme une des stratégies possibles. Ils fournissent un soutien informel souvent important (Danso, 2001; Owusu, 2000).

-Emploi

La possibilité d'accéder au marché du travail, autre défi et domaine d'inégalité, a des répercussions majeures sur la vie des nouveaux arrivants ainsi que sur leur santé

mentale (Beiser, 1989). Au Canada, le groupe des réfugiés n'est pas homogène car certains ont obtenu ce statut à l'étranger avant l'arrivée au Canada et d'autres le demandent une fois sur le territoire. L'intégration économique (Renaud, Piché & Godin, 2003), mais aussi sociale (Sales, 2002), est nettement plus mauvaise pour les seconds. Dans leur étude, Renaud et ses collègues (2003) comparent l'accès à l'emploi de ces deux populations durant leur période d'établissement au Québec. Au bout de six mois, 38% des réfugiés avec un statut d'immigrant reçu au moment de l'arrivée contre 7% de requérants d'asile ont un travaiL Un écart conséquent persiste même après deux ans et demi (51 % vs 31 %). Les auteurs montrent que ce fossé n'est pas expliqué par le capital personnel (formation, expérience de travail, connaissances linguistiques) ou par la durée de l'attente pour obtenir un statut. Ils avancent deux hypothèses pour comprendre cette situation : l'une inhérente à la situation des réfugiés, l'autre structurelle. La première serait une "crise de la migration" dont les effets persisteraient longtemps en raison des circonstances dramatiques entourant l'exil (fuite, stress physique et émotionnel). La seconde hypothèse est que demander un statut de réfugié crée une marginalisation des requérants, forçant ceux-ci à accepter des

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emplois non qualifiés pendant une longue période ce qui diminue leurs chances d'accéder à un emploi correspondant à leur formation.

La question de l'emploi ne touche qu'indirectement les adolescents. Elle constitue néanmoins un enjeu important pour leur avenir et, de là, une préoccupation pour les jeunes et leurs parents dès les premières phases d'établissement. L'avenir professionnel des jeunes est mieux saisi à travers le prisme de la scolarité. Même si la scolarisation est garantie jusqu'à dix-huit ans, donc plus accessible que le marché du travail pour les adultes, de nombreux obstacles sont à surmonter: discrimination, conflits de valeurs éducatives entre familles et écoles, retards scolaires lorsque la scolarité a été interrompue dans le pays d'origine, barrières de langue, etc ... Rumbaut (1994) montre que la réussite scolaire est liée à l'origine ethnique mais aussi au statut socio-économique ou au nombre d'heures passées à faire les travaux scolaires. Ce temps est inversément proportionnel aux années passées aux Etats-Unis. Certains chercheurs ont constaté que la scolarité des enfants et des adolescents suit trois voies parallèles : ceux qui réussissent beaucoup mieux que la

population d'accueil, ceux qui font nettement moins bien et ceux qui sont dans la moyenne (Suarez-Orozco, 2000). D'autres ont montré combien la réussite scolaire dépend des intéractions entre société majoritaire et communauté minoritaire, ainsi que des discours implicites et explicites de chacun (Ogbu, 1990). Nous ne développerons pas plus avant ce vaste domaine qui dépasse les objectifs de notre recherche.

Finalement, pour les réfugiés, d'autres objectifs d'établissement viennent s'ajouter à ceux cités plus haut : faire des études, maintenir sa propre culture, apprendre à connaître ses droits et devoirs dans la nouvelle société et diminuer les stéréotypes négatifs à leur égard (Valtonen, 2004). Par ailleurs, l'adaptation à un nouvel environnement physique (type d'habitation, densité de population, etc.) ne contient pas uniquement des aspects "pratiques", comme s'adapter à l'hiver au Canada, mais aussi des aspects émotionnels majeurs, comme l'attachement au lieu et la compréhension d'indices de communication interpersonnelle contenus dans le contexte (Ng, 1998).

Santé mentale et établissement: Aspects dynamiques

Plusieurs chercheurs appellent de leurs voeux une approche qui intégrerait ces différents aspects de la vie des réfugiés (intégration au marché du travail, continuité familiale, études, discrimination, etc ... ) pour comprendre leur expérience et les soutenir

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dans leur établissement (George & Tsang, 2000; Valtonen, 2004). Ainsi, si on pense à la santé mentale des immigrants et des réfugiés, la littérature montre souvent des résultats contradictoires, allant de taux de psychopathologies plus élevés dans la population immigrante à la trouvaille inverse. Pour tenter d'éclaircir ces contradictions, Morton Beiser (2006) propose un modèle à plusieurs entrées. Celui-ci permet de rendre compte du caractère dynamique des processus à l'oeuvre dans l'établissement et la santé mentale des réfugiés. Dans ce modèle agissent, en interaction, les caractéristiques

socio-démographiques (âge, sexe, éducation), les stress pré- et post-migratoires (traumatismes, chômage, discrimination), les capacités individuelles et sociales. Ainsi, par exemple, autant le soutien émotionnel de la famille peut avoir un effet protecteur, autant des jeunes séparés de leurs parents peuvent mettre en place des stratégies de réussite, soutenus qu'ils sont par un projet familial ou de grandes capacités personnelles (C. Montgomery, 2005).

Ces premiers paragraphes donnent un tableau général de la situation des réfugiés dans les premiers mois après leur arrivée. L'âge est un facteur déterminant dans la santé mentale des réfugiés et l'adolescence est une période particulièrement à risque (Moro, 2003; Suarez-Orozco & Qin, 2006). Il existe des travaux sur la santé mentale des enfants réfugiés pendant les premiers mois après la migration (Hjem & Angel, 2000). Par contre, l'expérience que vivent les adolescents immédiatement après leur arrivée dans le pays d'accueil est à notre connaissance peu étudiée. Nous allons discuter ci-dessous les raisons pour lesquelles il nous semble utile de nous intéresser à cette période sous l'angle de l'identité des adolescents requérants d'asile. Signalons d'ors et déjà que de nombreuses études se sont concentrées sur l'identité ethnique (Rumbaut, 1994) ou l'estime de soi. Ceci invite à investiguer des dimensions différentes de l'identité (Demo, 1992; Suarez-Orozco & Qin, 2006).

Défis et ressources pour les adolescents réfugiés

Nombre de recherches affirment que migrer durant l'adolescence présente plus de risques pour la santé mentale des réfugiés et des immigrants que migrer au cours de n'importe quelle autre période de la vie (Moilanen, Myhmman, Ebeling, Penninkilampi & Vuorenkoski, 1998; Rumbaut, 1994). Les problèmes les plus souvent décrits chez les enfants et les adolescents sont: la dépression, le syndrome de stress post-traumatique (Kinzie, Sack, Angell, Manson & Rath, 1986; Lustig et al., 2004), ainsi que les difficultés

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émotionnelles et comportementales (Fazel & Stein, 2003; Sourander,1998). Prenant le contre-pied de ces travaux, Rousseau et Drapeau (2003) ont comparé des adolescents Cambodgiens au Québec avec un groupe de pairs d'origine québécoise pendant quatre ans. Elles ont trouvé des niveaux de symptômes émotionnels et comportementaux similaires dans les deux groupes. Ces résultats suggèrent que les enfants réfugiés ne manifestent pas nécessairement plus de pathologies que leurs pairs non migrants.

Outre ces résultats, la littérature scientifique mentionne régulièrement que la relation entre l'ajustement social et les symptômes psychiatriques est ténue (Rousseau & Drapeau, 2003). Ainsi, la présence de symptômes de stress post-traumatique n'empêche pas de jeunes réfugiés, Somali et Oromo, établis aux États-Unis d'avoir relativement peu de problèmes sociaux, somatiques ou psychologiques (Halcon et al., 2004). Plusieurs chercheurs soulignent le fait que la place centrale donnée aux symptômes (troubles du comportement, tristesse, anxiété) dans plusieurs études (Tousignant et al., 1999; Fazel & Stein, 2003) ne rend pas compte de la diversité des réactions ni des stratégies de survie que les enfants réfugiés élaborent (Ferren, 1999; Lustig et al., 2004; Rousseau, 1995; Slodnjak, Kos & Yule, 2002).

Le modèle, développé par Beiser (2006) et ses collègues (Beiser, Dion, Gotowiec, Hyman & Vu, 1995), dont nous avons donné les grandes lignes plus haut permet de comprendre l'influence différentiée de plusieurs facteurs sur la santé mentale des adolescents réfugiés. On peut mettre ce modèle en parallèle avec le concept de

vulnérabilité, qui ne situe pas la source des difficultés de l'enfant uniquement en lui ou dans son environnement, mais dans un processus dynamique où les caractéristiques (compétences/déficiences) de l'un et de l'autre interagissent. Marie-Rose Moro reprend cette théorie dans son travail avec les enfants réfugiés: «Je considère maintenant que le progrès de l'enfant le long des lignes de développement vers la maturité dépend de

l'interaction de nombre d'influences extérieures favorables avec des dons innés favorables et une évolution favorable des structures internes» (Anna Freud dans Moro, 2003, p.172).

Au delà des symptômes, l'adolescence, de même que la migration, constituent des passages, des moments de transformation de l'identité (Akhtar, 1999; Erikson, 1972). Il en découle que les adolescents migrants font face aux défis d'une double transformation. L'identité apparaît donc comme le lieu où se jouent changements et continuités. Nous

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considèrerons d'abord en quoi la construction de l'identité est une tâche spécifique de l'adolescence, puis nous discuterons de la manière dont la question de l'identité se pose pour les jeunes migrants et leur famille.

Les tâches de l'adolescence

Le développement de l'enfant peut être vu comme une succession d'étapes . nécessitant l'accomplissement de différentes tâches. Pour Greenfield et ses collègues

(2003), ces tâches sont successivement la formation de relations interpersonnelles, l'acquisition de connaissances et la construction d'un équilibre entre autonomie et interdépendance. Cette dernière tâche est au premier plan à l'adolescence. Ces auteurs définissent deux paradigmes culturels selon lesquels s'articulent ces différentes tâches. Dans les cultures où le paradigme de l'indépendance domine, les pratiques et les conceptions de la personne favorisent dès l'enfance la séparation d'avec la mère,

l'orientation vers les connaissances techniques et l'acquisition de l'autonomie individuelle. Dans les cultures où l'interdépendance prime, on retrouve une plus grande insistance sur les relations entre personnes, sur une intelligence orientée vers la maîtrise des rapports sociaux et sur l'acquisition à l'adolescence d'un sens des obligations et de la primauté de l'harmonie sociale sur la réalisation individuelle. Néanmoins dans un monde où les influences entre cultures se multiplient sur nombres de niveaux (Appadurai, 2005; Rousseau & Nadeau, 2003), ces deux paradigmes sont à considérer plutôt comme des types extrêmes entre lesquels les cas réels se répartissent.

Moro (2003) met en avant trois étapes principales dans le développement de l'enfant, chacune d'entre elles constituant un moment de plus grande vulnérabilité des migrants. Selon elle, l'adolescence se caractérise plutôt par une redé:fmition de la filiation et des appartenances. L'adolescence est aussi vue comme la période où on se sépare des figures parentales intérieures (Stein, 1984) pour ouvrir la voie à d'autres attachements à l'extérieur de la famille (Mirsky & Kaushinsky, 1989). C'est un moment où alternent des tendances à la régression et à l'autonomie (Akhtar, 1999). Mirsky et Kaushinsky (1989) ont étudié les motivations et les étapes psychologiques de la migration en Israël de jeunes étudiants dont la majorité sont âgés de dix-sept et dix-huit ans. Pour ces adolescents, la séparation physique d'avec leur pays et leurs figures d'attachement s'ajoute aux processus d'individuation typiques de l'adolescence. Cet éloignement géographique peut retarder la

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séparation intérieure d'avec les figures d'attachement ou éviter temporairement la régression vers des modes de fonctionnement plus anciens. Pourtant, selon les auteurs, l'éloignement peut conduire à la réapparition de conflits antérieurs à l'adolescence. La résolution de ces conflits peut devenir l'occasion pour l'adolescent de continuer sa croissance et d'accéder à un statut d'adulte.

En considérant ces points de vue sur les tâches spécifiques de l'adolescence, nous constatons que se pose sous des angles contrastés la question de la construction de

l'identité des adolescents réfugiés. En effet, que ce soit sous l'angle de la filiation, de l'individuation ou sous celui de l'équilibre indépendance-interdépendance, les adolescents doivent redéfinir et construire leur place dans la famille et la société. Il faut ajouter que cette construction se fait dans le cadre des possibilités fournies par la société où ils vivent. Ainsi, grandir en Algérie ou en Inde n'offre pas le même éventail d'options et n'impose pas les mêmes contraintes à la définition d'une identité.

La question de ['identité

Un long débat traverse les sciences humaines à propos de la définition de l'identité. Nous allons en offrir ici quelques aspects qui nous semblent utiles à la compréhension de l'expérience vécue par les jeunes migrants.

Prenons, en guise de point de départ, une première perspective tirée de la psychologie sociale, qui a l'avantage de prendre en compte deux aspects essentiels de l'identité. Cette définition considère que l'identité est issue de «l'interaction entre des mécanismes psychologiques et sociaux» ("Identité sociale", 1991). Sur le plan

psychologique, le sujet a tendance à «établir une continuité dans son expérience

subjective»; sur le plan social, le «sentiment d'identité prend appui sur les identifications aux modèles sociaux».

Nous retiendrons deux éléments de cette définition pour entamer la discussion. D'abord, l'aspect dynamique de l'identité - ici, l'interaction - trouve une place de plus en plus importante dans le débat (Kaufmann, 2004). Le concept de plasticité proposé par Georges Devereux (1978) convient bien ici. Il rend compte de la capacité de l'individu qui dispose d'un large répertoire de comportements de les adapter à son environnement et à une situation donnée. Ewing (2004) donne un exemple frappant de cette plasticité: celui d'une jeune femme, née de parents turcs, vivant en Hollande, où elle a reçu sa formation

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professionnelle. Elle a accepté un mariage arrangé par ses parents avec un cousin turc. Elle passe ainsi du monde du travail et de la société hollandaise, où elle jouit d'un statut

fortement individualisé de professionnelle bien payée au monde familial où elle incarne le rôle d'une épouse dont on ne reconnaît pas l'indépendance économique, avec un mari en situation illégale et sans formation. Notons que les enfants d'immigrants font la preuve quotidienne de cette plasticité (Suarez-Orozco, 2000; Rousseau et al., 2005). Dans leur va-et-vient entre la maison et l'école, ils occupent des positions parfois radicalement

différentes et les attentes à leur égard le sont aussi.

Un second aspect de la défmition ci -dessus renvoie aux mécanismes

d' «identifications aux modèles sociaux». On peut considérer que lorsqu'on appartient à une société, on appartient également à plusieurs sous-groupes de cette société qui correspondent à des identités particulières. Par exemple, on peut être à la fois: médecin, mère, membre de l'église réformée. Chaque individu a donc, de fait, une multiplicité d'identités (Devereux, 1978). Lorsque l'une d'elle prend le dessus sur les autres et devient la seule référence possible, des dysfonctionnements plus ou moins graves peuvent surgir. Des similitudes existent entre ces identités de groupe et les rôles sociaux défmis par la psychologie sociale. Le rôle, dans ce cas, est une conduite sociale qui se conforme à des critères prédéfinis, socialement ou institutionnellement. Kaufmann (2004) souligne qu'actuellement les sujets ont plus de liberté pour défmir leurs rôles et qu'ils tendent à rejeter des rôles trop strictement délimités.

Cependant, la capacité de transformer un rôle ou une identité est fortement

dépendante de la position sociale des sujets. En effet les ressources sociales (réseau social, milieu de travail), économiques (salaire, pauvreté) ou même intellectuelles (scolarisation plus ou moins longue) varient selon la position sociale (Kaufmann, 2004). Elles

influencent fortement la capacité à, et les choix disponibles pour, se défmir. A cela s'ajoute pour les immigrants et les réfugiés, la perte des rôles, définis culturellement, qui leur donnaient les moyens de s'inscrire dans le monde (Sm irez-Orozco, 2000).

Les membres de l'ethnie majoritaire dans une société attribuent souvent une identité qui enferme dans une position rigide ceux qui appartiennent à un groupe ethnique (ou religieux, ou "racial") minoritaire. Il est probable, par exemple, qu'un jeune Haïtien immigrant aux Etats-Unis va être considéré comme "African American" (Colin, 2001),

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identité raciale à laquelle sont attachés un cortège de préjugés et des risques de

marginalisation. A côté de cette identité attribuée, les individus ou les groupes peuvent revendiquer une identité qui recoupe, ou non, celle qui est attribuée. Selon Rumbaut (1994), l'identité ethnique peut se construire en référence à une origine (Hmong), à une double appartenance (Jamaican-American) ou uniquement en référence au contexte actuel en s'assimilant (American) ou en se séparant (Black, Chicano). A ce niveau un choix existe mais, comme le soutient Miri Song (2003), l'attribution d'une identité réduit les choix à disposition des jeunes gens pour se définir. L'identité va alors résulter de la tension entre identité attribuée et identité revendiquée, dans un équilibre toujours à redéfinir.

Ainsi, nombre d'auteurs rejettent une vision essentialiste de l'identité, telle qu'elle a dominé les débats jusqu'à récemment (Meintel, 1993) et telle qu'elle domine encore les discours populaires, reflétés et entretenus par les médias (Malkki, 1996). Pour ces

chercheurs, l'identité n'est pas le noyau central et permanent de l'individu, mais représente plutôt des positions ou des discours, temporaires, assumés par le sujet (Hall, 1996;

Clifford, 1994). C'est le cas pour une identité ethnique, à la fois attribuée et revendiquée, qui peut devenir un outil stratégique et politique. Il en est ainsi, par exemple, de

l'utilisation des étiquettes "black" ou "indian" par certaines minorités en Grande-Bretagne (Clifford, 1994).

Pourtant, l'image de soi peut refléter une image sociale négative associée aux réfugiés ou à des groupes minoritaires. Les jeunes immigrants et les enfants d'immigrants sont très conscients des discriminations à leur égard. A mesure qu'ils grandissent le regard des autres (communauté d'origine, enseignants, pairs, employeurs ... ) prend une place croissante, en comparaison à celui de la mère. Celle-ci, au mieux, rassure, approuve leurs actes et soutient ce qu'ils sont. Le reflet social négatif peut finir par imprégner

profondément l'image que les jeunes se font d'eux-mêmes (Suarez-Orozco, 2000). Cette situation peut les mener à adopter des stratégies désespérées, qui vont du rejet de la culture majoritaire pour une sous-culture (gang) à l'identification complète avec celle-là au prix de la négation de la culture des parents (Song, 2003; Taboada Leonetti,1989). Rumbaut

(1994), quant à lui, parle de contexte consonant ou dissonant pour la construction de l'identité de l'immigrant.

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Sur le versant intra-psychique, Akhtar (1999) considère l'identité comme une structure psychique qui permet l'intégration des expériences et l'élaboration d'un sentiment de soi cohérent et stable. L'adolescence est alors une étape, impliquant une crise, qui conduit à la réorganisation et à la stabilisation de l'identité (Erikson, 1972). Il est intéressant de noter qu'il considère que la migration présente une homologie avec

l'adolescence car elle conduit elle aussi à une réorganisation de l'identité. Ce qui

prédomine dans cette vision c'est la mise en place d'une identité stable. D'autres auteurs considèrent que la fixation de l'identité est surtout l'effet de la tentative par le sujet de trouver une cohérence à sa trajectoire biographique, en produisant un récit par exemple (Ricoeur, 1990). En dehors des moments où cette représentation de soi narrative prend forme, le sujet passerait plutôt par des identités relativement fragmentaires et

contextualisées qui lui permettent d'agir dans des circonstances particulières (Kaufmann, 2004) et qui souvent sont inconscientes (Ewing, 2004).

Un dernier aspect de la construction de l'identité, pertinente pour les adolescents réfugiés, est le processus d'identification, conçue comme une opération qui permet de constituer le moi. Dans leur Dictionnaire de psychanalyse, Roudinesco et Plon (1997) en

donnent la définition suivante: «Terme employé en psychanalyse pour désigner le processus central par lequel le sujet se constitue et se transforme en assimilant ou en s'appropriant, en des moments clés de son évolution, des aspects, attributs ou traits des êtres humains qui l'entourent». Ces aspects ont d'autant plus la potentialité d'être contradictoires entre eux que les personnes qui entourent les jeunes réfugiés sont issues d'univers très différents (Ewing, 2004).

Nous retiendrons de cette série de propositions sur l'identité, trois points qui nous semblent éclairer les expériences de notre population. La perspective qui dé:fmit l'identité comme un ensemble relativement stable ne rend pas suffisamment compte de la capacité des réfugiés de se transformer au contact d'environnements humains changeants. Le concept de fluidité paraît plus fertile pour saisir la créativité dont font preuve les immigrants et les réfugiés pour faire face à un nouveau contexte. Nous n'oublions pas néanmoins l'importance des contraintes sociales dans la construction de l'identité. Enfin, nous avons parlé de la manière dont cette identité se forme au présent dans de multiples intéractions. Elle se construit nécessairement à partir du passé et de l'histoire familiale et

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collective, mais elle est aussi utilisée par le sujet pour se rêver, pour imaginer son action, elle est donc tournée vers l'avenir.

Le développement d'une identité sexuée et de relations amoureuses

La question de l'identité sexuée des immigrants et des réfugiés commence à attirer une attention plus spécifique de la part des chercheurs. En effet, plusieurs auteurs (Suarez-Orozco & Qin, 2006; Rumbaut, 1994) soulignent combien l'expérience de la migration et les conditions d'établissement sont façonnées par l'appartenance à un sexe ou l'autre.

Pour les adolescents une part de la construction de leur identité consiste en l'acquisition d'une identité féminine ou masculine, ainsi qu'en la création de relations amoureuses (Erikson, 1972). Les parents, étant les premiers à socialiser leurs enfants, sont aussi ceux qui au départ fournissent des modèles et situent l'enfant dans son appartenance à un sexe à travers le comportement qu'ils ont avec lui. Dans les familles immigrantes et réfugiées, les stratégies de socialisation des filles sont très souvent plus strictes que pour les garçons (Dion & Dion, 2001; Suarez-Orozco & Qin, 2006). Cette trouvaille est valable pour la plupart des groupes ethniques étudiés et pour différentes époques de 1 'histoire des migrations (Suarez-Orozco & Qin, 2006). Les parents exercent un plus grand contrôle sur les sorties des filles, sur les amis qu'elles fréquentent et plus particulièrement sur leurs relations avec l'autre sexe (Dion & Dion, 2001), mais aussi sur leur langage ou leurs vêtements. Il semble que les familles ont de plus grandes attentes envers les filles pour qu'elles représentent les valeurs et maintiennent certaines pratiques culturelles du pays d'origine (Dion & Dion, 2001; Suarez-Orozco & Qin, 2006). Les filles peuvent ressentir une contradiction entre, par exemple, la pression à se conformer aux modèles locaux pour réussir à l'école et celle de se comporter à la maison selon la tradition du pays d'origine. Ces contraintes peuvent conduire à des conflits, mais en même temps le contrôle aide les filles de certains groupes à bien réussir dans leur études ou encore les conduit à maintenir plus que les garçons des pratiques culturelles du pays d'origine. Par contre, il n'y a pas de différence entre les sexes dans le sentiment de fierté qu'ils retirent de l'héritage culturel parental (Dion & Dion, 2001).

Dans une étude sur l'adaptation psychosociale d'adolescents immigrants ou fils d'immigrants, Rumbaut (1994) s'est intéressé à l'identité ethnique qu'ils choisissent. Ses résultats montrent que ce choix est, entre autres, fonction du sexe. Les filles ont tendance à

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choisir des identités binationales, dites «additive or hyphenated» (comme vietnamese-american), ou une identité pan-ethnique pour les filles d'Amérique latine (hispanique). Les garçons préfèrent des identités «uniques» comme Américain ou Jamaïcain. Il montre également qu'il y a des variations entre et à l'intérieur des groupes ethniques et nationaux.

Pour ce qui est de la santé mentale, les filles semblent plus vulnérables aux stress liés à des situations familiales difficiles (Smirez-Orozco & Qin, 2006) et ont plus de

chance d'avoir une faible estime d'elles-mêmes ou de souffrir de dépression (Demo, 1992; Rumbaut, 1994). Les garçons s'engagent plus souvent dans des comportements à risques et des activités de délinquance (Suarez-Orozco & Qin, 2006). En outre, la signification

attribuée aux comportements délinquants paraît différente selon le sexe. Suarez-Orozco et Qin (2006) citent une étude à Hawaii qui montre que pour les filles le comportement délinquant est une réaction contre les abus, pour les garçons une manière de gagner popularité et respect de la part de leurs pairs.

En ce qui concerne, les premières relations amoureuses, elles permettent de

développer un sentiment de sécurité lorsqu'elles sont satisfaisantes (Montgomery & Sorell, 1998). Elles peuvent aussi être un terrain d'essai conduisant à une meilleure connaissance de soi (de ses désirs, projets, attentes) et à une capacité de plus en plus grande de

développer une intimité émotionnelle avec un partenaire (Erikson, 1972; Montgomery & Sorell, 1998). Des différences entre sexes existent. Les filles tomberaient amoureuses moins souvent, mais seraient plus en mesure de partager une intimité émotionnelle (M. J. Montgomery, 2005). Dans un échantillon ethniquement varié, des chercheurs ont montré qu'il y a des différences entre communautés: soit dans l'âge des premières relations sexuelles, soit dans l'expérience de relations amoureuses tout court (Regan, Durvasula, Howell, Ureno & Rea, 2004). Meenakshi G. Durham (2004) rappelle que la sexualité des adolescents (et des adultes aussi) des groupes minoritaires ou subalternes est souvent présentée de manière stéréotypée. Néanmoins, comme discuté plus haut, de nombreuses études montrent que les familles immigrantes considèrent les filles comme les dépositaires de valeurs importantes. Ces familles vont donc souvent tenter de contrôler les relations amoureuses et la sexualité des filles. Pourtant, comme dans le cas des adolescentes d'Asie du Sud présentées par Durham (2004), les jeunes filles négocient un espace entre les modèles parentaux et ceux de leurs congénères américaines.

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L'adolescence est donc un moment clef de la construction d'une identité sexuée et celle-ci va intéragir de façon centrale avec les transformations identitaires.

Une "culture adolescente mondialisée"

Quelques mots sur l'existence d'une "culture adolescente mondialisée" s'avèrent utiles, dans le sens où elle influe sur la vie des adolescents ici et ailleurs et sur les figures d'identifications qu'ils adoptent.

Il semble compliqué de parler d'une culture des adolescents en tant que telle étant donnée la variabilité que l'on observe à travers le monde et selon la société dans laquelle les jeunes gens ont été socialisés (Bradford Brown & Larson, 2002; Wulff, 1995). Certains auteurs affirment que si l'on veut reconnaître une capacité aux adolescents d'agir sur leur vie, il faut considérer qu'ils produisent de la culture (Amit-Talai, 1995). Celle-ci se construit dans la production d'objets comme dans l'engagement dans des activités avec différents partenaires (parents, amis, à l'école, dans la rue). Dans un volume faisant le point sur l'adolescence dans huit régions du globe, Bradford Brown et Larson (2002) soutiennent qu'en dépit des différences (adolescence nommée ou pas, durée, formes), une période de transition de l'enfance à l'âge adulte se dessine partout.

L'accès des jeunes à travers le monde à des produits venant majoritairement de l'Occident, la circulation des informations et des personnes, de même que la pression à la consommation exercée par l'économie de marché, participent sans doute à la création d'une "culture adolescente mondialisée". Selon Jean-Pierre Wamier (2004), il faut parler de la globalisation de certains marchés (audiovisuel, presse et magazines en particulier) plutôt que d'une mondialisation de la culture. Bradford Brown et Larson (2002) expliquent l'adoption très répandue de modes de vie (importance du groupe de pairs), symboles (habits) et produits de consommation (musique, téléphones cellulaires, ... ) issus de

l'Occident par la convergence des expériences des adolescents dans le monde. Selon eux, de plus en plus de jeunes grandissent dans des environnements urbains, se préparent à des emplois dans un marché du travail capitaliste et font de plus longues études. Pourtant, les ressemblances peuvent être superficielles et beaucoup de jeunes vivent dans un monde rural et/ou sont extrêmement pauvres et ne peuvent étudier. Dans le cas de la musique raï, les jeunes algériens adoptent des éléments de cette culture adolescente (présence

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valeurs fondamentales de la société algérienne (Schade-Poulsen, 1995). De même des jeunes filles d'ascendance indienne vivant aux Etats-Unis expliquent les différences avec

leurs congénères américaines par leur origine (Durham, 2004) : elles ne regardent pas les mêmes émissions de télévision et rejettent certains de leurs comportements (drogue,

sexualité). Parallèlement, tant le raï que les films indiens produits à Bollywood "rivalisent" sur le marché avec les productions occidentales. On trouve aussi de jeunes anglais blancs qui adoptent le style des noirs américains (vêtements, rap, basket) au point de se faire appeler "Wiggers" ("wanna be niggers") par leurs pairs et rivaux (Nayak, 2003).

Par ailleurs, une telle approche globale qui se centre sur les industries et les

marchandises ne dit rien de l'usage réel des produits de consommation. Elle ne dit rien non plus de la présence concommitante de biens non marchandisables comme la langue, les valeurs morales, les lieux sacrés (Warnier, 2004). Ainsi malgré l'apparence d'une uniformisation des références et la possibilité d'aliénation qu'elle comporte, les jeunes continuent à exercer un choix dans les produits qu'ils achètent, les styles de comportement qu'ils adoptent. De même le lieu où ils vivent (quartier, ville) et leur condition (sexe, classe, ethnicité) imposent leurs contraintes à ces choix (Nayak, 2003). On peut donc parler d'un équilibre entre l'influence d'un monde "globalisé" et le contexte local dans lequel les adolescents vivent quotidiennement (Amit-Talai, 1995).

Autoportrait photographique et espace transitionnel

Photographie et représentation visuelle

La photographie a une place à part parmi les autres formes d'art. L'image photographique est obtenue par des moyens mécaniques : une boîte close utilisant le phénomène de la camera obscura, un objectif avec des lentilles, permettant de mettre au point une image sur une surface sensible à la lumière. Ce procédé, en raison de son caractère mécanique, peut donner l'illusion que l'intervention du photographe est nulle (Wright, 1999). Une autre particularité de la photographie est son caractère indexical, c'est-à-dire que, comme dans l'empreinte laissée par un pied sur le sable, il y a une relation causale entre l'objet photographié et son image. Ainsi l'image photographique atteste qu'il a existé là quelque chose (Wells, 1996), mais ceci ne présage pas du sens de ce qui était devant l'objectif (Tagg, 1988). Enfin, l'image photographique ressemble à

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l'objet, c'est son caractère iconique. De ces caractéristiques découle que la photographie est facilement considérée comme un reflet fidèle de la réalité, voire comme la réalité tout court.

Cette dernière conception de l'image photographique a donné lieu à plusieurs utilisations: photographie d'identité, de médecine légale, photojournalisme. Or les possibilités techniques du médium (photomontage, trucages, photographie numérique, ... ) et les buts recherchés par le photographe (ou d'autres) font qu'on ne peut considérer l'image photographique comme garante de la vérité de l'événement ou de l'objet représenté. Cela fait dire à John Berger: «The very "truthfulness" ofthe new medium encouraged its deliberate use as a means ofpropaganda» (1980, p.48).

Le mélange des deux niveaux, iconique et indexical, fait conclure que l'objet photographié est tel que représenté (Bernhardt, 2001). Or, la photographie est le produit d'une série de conventions (passage de trois à deux dimensions, ... ) et de processus

techniques sélectifs, qui contribuent à la construction d'une nouvelle réalité (Tagg, 1988). De ce fait, la relation de l'image à la réalité préexistante ne coule pas de source. En tant que construction, la photographie est influencée par les réalités sociales et personnelles du photographe, par ses choix de même que par les contraintes du médium. Du côté de la réception, celui qui regarde l'image va la comprendre à partir d'une position singulière: selon son histoire, son statut social, son état émotionnel. Ces trois éléments : le

photographe, l'image et son médium et le destinataire sont à prendre en compte lorsqu'on analyse une photographie (Wright, 1999).

De manière provocante, John Berger (1980) critique l'usage public de la

photographie soutenant qu'une photographie ne préserve pas en elle-même du sens, mais seulement des apparences. Lorsqu'on prend une photo elle est retirée du flux temporel et devient un fragment, introduisant une discontinuité. Le réseau de significations et le contexte qui lui est attaché dans son usage privé (photo de famille, d'amis, etc ... ) se perd au fil du temps et lors de son usage public: «the public photograph ... is tom from its context, and becomes a dead object which, exactly because it is dead, lends itself to any arbitrary use» (Berger, 1980, p. 56). Le critique propose alors de (re ) donner à la

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De sorte que l'image ne serait plus coupée de son contexte, ni du sens qu'elle a dans ce contexte.

Poussons cet argument plus loin. Le spectateur actuel d'une image va

nécessairement développer un nouveau réseau de significations pour elle, réseau qui lui est propre. Ceci signifie qu'il investit cette photographie d'associations toutes personnelles, qui sont infléchies par le contexte (personnel, historique, de présentation de l'image) et le texte (Priee, 1994). En outre, hors du cadre découpé par la photographie, l'inconnu règne. Le spectateur ne peut éviter d'imaginer ce domaine hors-champs et de le peupler de rêves, d'images, d'émotions (Metz, 1985).

Le caractère sensoriel des images en général, et des photographies en particulier, les conduit à faire écho à ou à provoquer la mobilisation d'images intérieures (Belting, 2004) et de forces inconscientes (Corin, 2004a). Ainsi les images pourraient répondre au moins partiellement à la question suivante: "Comment faire place à ce qui est hors langage, à ce qui déborde l'expérience humaine ordinaire?" (Corin, 2004a, pA). Elles permettent la condensation de plusieurs niveaux de sens et peut-être, comme les souvenirs-écrans, la superposition d'impressions issues d'époques différentes (Corin, 2004a).

Autoportrait et photographie

La pratique de l'autoportrait, tradition riche et ancienne dans l'art occidental, ne s'est pas démentie avec l'invention de la photographie. Selon Richard Brilliant, les artistes poursuivent deux objectifs divergents dans leurs autoportraits. Ceux-ci constituent soit un fragment typique de l'oeuvre, soit l'outil d'une connaissance de soi:

One [path] marks the course of a personal inquiry after the self, wherever it is to be found, culminating in the attempt to realize fully that self in sorne outwardly

expressive image, not previously known; the other follows a more worldly path, guardedly revealing the artist's identity in those highly personal art works that are recognizably "his" or "hers". (1991, p. 169)

Pour cet auteur, en réalité, ces deux voies ne sont jamais totalement exclusives. Dans le cas de notre projet la première alternative s'avère la plus utile à notre réflexion: la manière dont des artistes font face à la question de leur identité et de sa représentation.

Nous allons passer en revue un certain nombre de thèmes qui surgissent dans des autoportraits d'artistes, pour la plupart photographes. Cette discussion ne cherche pas à

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être exhaustive, mais plutôt à montrer comment l'art éclaire la complexité de la question de l'image de soi et de sa représentation, qui est au coeur de notre recherche.

Prenons un premier exemple en peinture, chez Frida Kahlo. Pour elle, l'autoportrait se présente comme une stratégie pour faire face à l'adversité, pour retrouver ou

reconstruire une image d'elle-même. Elle a peint un grand nombre d'autoportraits: «[they] served as the mirroring object she lacked in childhood» et «[they] he1ped soothe her in times of crises, enabling her to temporarily regain her self integrity and emotional stability» (Dosamantes-Beaudry, 2001, p. 17).

Les possibilités du médium photographique ont été exploitées de multiples façons dans l'exercice de l'autoportrait. Ce genre apparaît comme un moyen d'expression de soi, de quête et de réflexion sur sa propre identité (historique, sociale, sexuelle, ... ), mais aussi de remise en question des normes sociales. Ces aspects, comme d'autres, se font jour dans les travaux d'artistes aussi divers que Robert Mapplethorpe (Clarke, 1997), Francesca Woodman, Claude Cahun (Posner, 1998), Jacques-Henri Lartigue (Bonafoux, 2004) ou Nan Goldin (Orvell, 2003).

Une question se pose d'emblée pour les autoportraits: celle de la ressemblance entre le sujet et son image. Si l'identité de l'artiste est dans son art, il n'est pas certain que la ressemblance doive être au coeur de l'autoportrait. Ainsi des attributs de l'artiste

(appareil photographique, pinceau), son style, la présence d'un modèle à ses côtés

(Brilliant, 1991) peuvent tous très bien servir à dire quelque chose de ce qu'est l'individu, sans que l'image ne satisfasse à des critères de ressemblance ou même en l'absence de toute représentation directe de son visage ou de son corps. Les artistes du vingtième siècle se sont maintes fois distanciés d'une ressemblance "littérale".

Le dédoublement, que le miroir associé à la photographie permet particulièrement bien, ouvre des possibilités virtuellement infinies pour l'exploration de l'identité. Ainsi, devant une triple apparition de Lartigue dans un des ses autoportraits (Bonafoux, 2004), on peut se demander qui est le "vrai"? L'artiste qui peint, l'autoportrait qu'il est en train de peindre ou son image dans le miroir? Mais cette première réaction à l'image est suivie d'une autre réflexion. Ce dont il pourrait s'agir c'est que Lartigue (ou tout autre) est un peu dans chacune de ces images ou, mieux, dans le jeu entre ces trois voire quatre reflets (si l'on inclut celui - invisible - qui a mis en scène et pris la photo). La problématique de la

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multiplicité de l'identité s'impose ici à nouveau, comme lors de notre discussion de l'identité des immigrants dans la section intitulée "La question de l'identité".

Le rôle du corps en photographie et dans l'autoportrait demanderait un volume entier à lui seul. Esquissons néanmoins quelques points. La photographe Diana

Thomeycroft (2000) explore avec force attributs et mises en scène les possibilités et, peut-être, les sensations, les émotions associées à sa personnification de figures d'identification : son père, sa mère, son frère. Elle se meut d'un personnage à l'autre et entre les sexes. L'artiste souligne combien parfois ce qui apparaît sur l'image la surprend. Comme si quelque chose d'elle se jouait qui ne peut se laisser voir qu'une fois la photo réalisée. Ou alors une part d'elle-même s'exprime et, en même temps, vient à l'existence grâce à l'image.

Chez Francesca Woodman, l'utilisation de son propre corps dans la photo amène à s'interroger sur les limites entre ce corps et son environnement immédiat (Posner, 1998). Dans plusieurs images (Heenan, 2006), Woodman se présente devant un mur et le grain de sa peau semble vouloir se fondre avec le crépis ou le papier peint du mur. Nous sommes également frappés par la récurrence du flou, en particulier sur certains autoportraits au miroir. L'artiste suggère ainsi que la possibilité d'arriver à une image précise et saisissable de soi, ce que le miroir et le médium semblent promettre, n'est qu'un leurre.

Le caractère partiel, parfois artificiel, de ces oeuvres où l'on se représente comme un autre (Brilliant, 1991) indique la complexité de l'entreprise. Malgré les attentes du spectateur à propos d'un autoportrait - il va révéler quelque chose d'intime sur le sujet - les oeuvres de ce genre apparaissent moins simples que prévu. Faisant ce constat, Helaine Posner interprète comme suit le travail de trois artistes du vingtième siècle (Yayoi Kusama, Ana Mendieta, Francesca Woodman) :

Situated somewhere between exposure and dis guise, their multiple

self-representations simultaneously reveal and conceal both their bodies and identities. As opposed to any initial expectation of a simple assertion of the self, we are struck by the tension that exists between an assertion and a corresponding denial of self. (1998, p. 157-158)

Cette réflexion dépasse ces seules oeuvres. D'autres auteurs (Bernhardt, 2001) considèrent qu'en raison de son caractère d'image publique le portrait représente l'individu dans un

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rôle social. Pour faire place à l'intime et à l'individualité, il doit laisser de l'indéterminé, garder une insuffisance. Cette analyse s'applique parfaitement à l'autoportrait.

L'autoportrait photographique offre, peut-être justement en raison de ses caractéristiques techniques (acte mécanique, iconicité, indexicalité), la possibilité d'approcher ce qui, en lui-même, destabilise le sujet. Ainsi, à propos d'une série d'autoportraits de photographes canadiens:

[ils] s'inscrivent ... de plain-pied dans l'ébranlement de la croyance et dans la déconstruction de la transparence illusoire de la réalité qui caractérisent la

modernité et que vient radicaliser la postmodemité : "Faire voir qu'il y a quelque chose que l'on peut concevoir et que l'on ne peut pas voir ni faire voir ... faire allusion à l'imprésentable, par des présentations visibles". (Corin, 2004b, p. 64) Plusieurs de ces réflexions s'appliquent aux processus à l'oeuvre durant

l'adolescence. La malléabilité du corps et les expérimentations auxquelles procède

Thorneycroft trouvent un écho dans l'exploration d'identités possibles par les adolescents (Erikson, 1972). Ainsi des représentations multiples du sujet ouvrent sur des facettes

également multiples qu'il porte en lui. Ensuite, l'oeuvre produite conduit à des découvertes sur soi. Devant la surprise, les sujets peuvent tenter de maîtriser cette image inattendue d'eux-mêmes. Enfin, l'autoportrait laisse persister une incertitude et un flou sur ce qu'on est, il ne produit pas une appréhension complète de soi. Dans le contexte de mutations psychiques et corporelles majeures, l'autoportrait permet d'exprimer l'expérience, profonde à l'adolescence, de ne pas savoir ce que l'on est.

Notre étude sur l'identité de jeunes réfugiés et sa représentation plastique trouve son assise dans ces perpectives sur les possibilités de la photographie et de l'autoportrait. Une autre conceptualisation fonde ce travail: celle de l'espace transitionnel par Winnicott.

Création, espace intermédiaire et recherche

Depuis une vingtaine d'années, les activités créatrices sont progressivement

considérées comme un bon moyen pour permettre aux enfants réfugiés de donner du sens à ce qu'ils vivent ou d'exprimer leurs espoirs (Miles, 2000). Par exemple, l'élaboration d'histoires et de dessins à partir de mythes aident à représenter les écarts entre les différents mondes que ces enfants habitent (école/maison, passé/présent) et à faire des

Figure

Tableau et liste des images
Tableau  1.  Données socio-démographiques et nombre d'entrevues par participant.

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