RÔLE DE LA SIMULATION EN TRAVAUX PRATIQUES :
EXEMPLE D'UNE ÉTUDE EN LICENCE DE PHYSIQUE
Christophe VIUDEZ
L.I.D.S.E.T., Université Joseph Fourier, Grenoble
MOTS-CLÉS : SIMULATION - MODÈLE - TRAVAUX PRATIQUES
RÉSUMÉ : Nous présentons des propos d'étudiants utilisant des simulations, en parallèle avec des manipulations sur un dispositif optique. Ces propos montrent l'assimilation que les étudiants peuvent faire entre la simulation et l'expérience, au point d'envisager la substitution de l'une par l'autre. La confrontation, entre simulation et expérience, a alors un rôle crucial pour délimiter deux entités que le cadre scolaire amène, trop souvent, à confondre.
SUMMARY : We present words from students using simulations and manipulating an optical device at the same time. These words show the assimilation made by students, between a simulation and an experiment, to such a point that students think of the substitution of the manipulations by simulations. The confrontation between a simulation and an experiment plays a major role for the distinction of these two entities that the academic framework induces to confuse too frequently.
1. INTRODUCTION
On présente souvent la simulation comme l'une des spécificités informatiques qui présente le plus d'intérêt pour l'appropriation des connaissances scientifiques. Cet intérêt repose, en grande partie, sur les opportunités de calcul et de représentation qu'offrent les machines (voir notamment Durey et Beaufils, 98). Comment ces facultés sont-elles exploitées par des étudiants, dans le cadre de travaux pratiques ? Nous tenterons d'apporter des éléments de réponse basés sur l'étude de l'utilisation de simulations, lors de TP d'optique, par des étudiants en licence de physique.
2. QUELQUES REPÈRES…
2.1 Les simulations informatiques
On peut définir une simulation informatique comme un logiciel permettant de reproduire un phénomène par l’intermédiaire d’une représentation de celui-ci. La simulation prend un sens plus précis lorsqu’on exclut les animations, c’est-à-dire lorsqu’on permet à l’utilisateur de modifier lui-même les paramètres de la simulation (et du modèle qui la sous-tend).
2.2 Une typologie basée sur le savoir simulé
Nous n'allons pas détailler la simulation informatique en général mais dans le cadre particulier de la simulation en physique. Pour mieux définir le statut de la simulation en physique, il nous faut dans un premier temps essayer de définir ce que peut être la physique, ou du moins, de trouver un minimum de caractéristiques importantes pour la description des simulations. Pour cela, nous reprenons une structure utilisée par Tiberghien (1994) et décrivant le savoir en physique sur trois niveaux au sein des champs empirique et théorique (Figure 1).
Figure 1 : trois niveaux du savoir en physique
Le niveau de la théorie comprend les paradigmes, la causalité, les principes et les lois. Le modèle a un rôle relationnel entre la théorie et le champ expérimental, constitué d'un ensemble de relations fonctionnelles, qualitatives ou quantitatives, entre des quantités physiques représentant certains aspects
Théorie
Modèle
Champ expérimental
Champ théorique
de la réalité. Le champ expérimental comprend l'ensemble des situations appartenant au domaine de validité de la théorie. À partir de ce schéma, nous distinguons deux types de simulations :
- simulation à partir du modèle : il s'agit généralement de partir de l'expression mathématique d'un modèle physique pour l'implémenter dans un logiciel. La simulation constitue alors une sorte de modèle matérialisé (Buty et al., 1996) au sens où l'utilisateur peut agir sur les différents paramètres et visualiser leur évolution. La fonction de représentation peut également permettre un rapprochement avec la situation matérielle et ainsi favoriser la validation du modèle. Comme le modèle sur lequel elle s'appuie, la simulation ne vise qu'à rendre compte de relation entre un nombre restreint de quantités physiques.
- simulation à partir de données expérimentales : contrairement au cas précédent, le modèle informatique sur lequel s'appuie la simulation est construit à partir de données. Un exemple de ce type de simulation est la capture de mouvement. Pour réaliser une simulation sportive, par exemple, on n'a pas de modèle théorique du mouvement du sportif, mais on peut enregistrer celui-ci pour le restituer par la suite. Ce type de simulation est très utilisé en réalité virtuelle où le but est de restituer le plus fidèlement possible les phénomènes observés.
2.3 Le cadre de l'étude
Le TP sélectionné porte sur l'interféromètre de Michelson. L'interféromètre est constitué schématiquement d'une lame semi-réfléchissante et de deux miroirs. Le faisceau incident est d'abord séparé par la séparatrice puis recombiné. Avant la recombinaison, la lumière ne parcourra pas le même trajet suivant la position et l'orientation des miroirs. L'intensité en sortie de l'instrument sera fonction de la différence entre les deux trajets. Si on maîtrise la géométrie du Michelson, on peut étudier, à partir de la répartition d'intensité, les propriétés spectrales des sources. Cet instrument est réputé pour la délicatesse de ses réglages. L'étude sur laquelle nous nous appuyons a été amorcée par une analyse des travaux pratiques existants : analyse qui a montré la faiblesse du recours au modèle physique dans la gestion de la manipulation et dans l'interprétation des phénomènes observés. À la suite de ces conclusions, nous avons mis au point un environnement informatique utilisant les simulations comme remédiation. Nous avons procédé à une observation de l'utilisation de cet environnement par des étudiants (une vingtaine de binômes), observation dont nous tirons les exemples que nous allons commenter. Enfin, précisons qu'au cours des travaux pratiques, le binôme a à sa disposition: d'une part le matériel de manipulation classique, d'autre part un ordinateur où il peut consulter librement l'environnement informatique.
3. IMPACT DES SIMULATIONS SUR LES ÉTUDIANTS
3.1 Simulation à partir du modèle
La simulation à partir du modèle permet à l'étudiant de visualiser l'évolution du système en fonction de ses actions et lui permet d'opérer directement sur la représentation graphique (Fig. 2). Cette manipulation directe des paramètres renforce l'institutionnalisation du paramètre et l'utilisation de
celui-ci pour rendre compte des actions sur le matériel et des phénomènes observés. Mais ce renforcement peut aboutir à des formes d'assimilation réalité-modèle trop marquée comme nous allons le voir.
Figure 2 : une simulation à partir d'un modèle
Une première forme d'assimilation est le remplacement de la mesure expérimentale par un résultat de simulation.
Étudiants :
- Trois, ouais c'est à peu près ça, hein ! - 1,5 micromètre !
- Grâce à l'ordinateur, on a simulé, et trois bandes impliquent e=1,5 micromètre !
Ici l'étudiant détermine, à partir de la simulation, un résultat qu'il a du mal à mesurer. Plus qu'un moyen détourné d'obtenir un résultat, il s'agit là d'une assimilation de statut entre le résultat d'une mesure et un résultat théorique dans ce que l'on pourrait qualifier de résultat scolaire.
Dans l'exemple suivant, l'étudiant se rend compte de la différence entre la simulation du modèle et l'observation qu'il peut faire du phénomène physique :
Étudiant : La partie sur les cannelures n'est pas assez complète et c'est dommage que l'on ne puisse pas y faire varier différents paramètres afin d'avoir une modélisation à l'écran de ce que l'on observe.
Mais ce qu'il espère tend finalement vers une deuxième forme d'assimilation simulation-réalité, puisqu'il souhaite une simulation qui rende compte complètement des observations.
3.2 Simulation à partir de données
L'environnement ne propose pas de simulation utilisant uniquement des données mais une simulation (Fig. 3) qui permette de tester les différentes configurations du matériel représentées à l'écran et d'avoir une image du phénomène obtenu (issue du phénomène réel).
Étudiants :
- En fait on pourrait le faire sans le … - Quoi ?
Figure 3 : une simulation hybride données empiriques – modèle matérialisé
On pourrait se demander à l'issue de ce commentaire si les paillasses sont en voie d'extinction. Cette interrogation pose de manière aiguë le problème de la possibilité de substituer, à la chose empirique, une représentation qui, par définition, serait plutôt de l'ordre du théorique (notamment si on considère la restriction du nombre de cas envisagés). Mais, si dans le cadre scolaire la spécificité de la chose empirique n'est pas perçue, alors pourquoi celle-ci ne serait-elle pas substituable ? Tout le temps passé à la quête d'un fonctionnement idéal est effacé par la simulation. Quel avantage certain, de pouvoir décrire le fonctionnement idéal d'un appareil sur lequel on va nous interroger, au lieu de perdre du temps à se situer dans les conditions du fonctionnement idéal, travail sur lequel l'évaluation ne portera pas. Ainsi avec la simulation, les étudiants se permettent plus facilement d'explorer des configurations du matériel, indépendamment du protocole. Cette prise d'initiative tend à impliquer les étudiants dans une démarche personnelle pour le TP. C'est essentiellement la réversibilité de toutes les actions sur la simulation, qui permet ce type d'utilisation exploratoire. Le discours institutionnel concernant la simulation est lui partagé entre des perspectives attirantes et une crainte vis à vis de l'intégrité de l'identité de la discipline. Les perspectives attirantes sont souvent issues d'une surestimation des capacités de la simulation, et de la prise en compte de la différence de coût par rapport au matériel. Mais la crainte formulée de manière parfois très forte : "on ne va pas former des eunuques", montre l'attachement de certains physiciens à la manipulation sur le réel et le manque (gestuelle, perception et caractère ouvert de la manipulation du réel) auquel pourrait conduire son remplacement par une simulation.
4. CONCLUSION
L'utilisation conjointe de la simulation et de l'expérience devrait permettre de mieux définir les spécificités des champs théoriques et expérimentaux. Ainsi, on pourrait envisager, par la confrontation simulation-expérience, une meilleure appréhension du statut du modèle (valide peut-être, mais dans quel domaine de validité ? Avec quelle approximation ? ).
Nous avons vu, cependant, que cette confrontation n'est pas évidente pour des étudiants, peinant à s'affranchir d'une parfaite correspondance entre modèles théoriques et expériences, correspondance sur laquelle s'est appuyé l'enseignement (trop peut-être). L'introduction de simulations n'est donc pas un acte anodin, car elle va interroger élèves et enseignants sur leurs pratiques des modèles.
L'évolution actuelle des sciences expérimentales tend vers un accroissement de l'instrumentation tant du point de vue théorique qu'expérimental. Qu’est-ce qui démarquera concrètement, du point de vue de l’utilisateur, une simulation d’une manipulation dirigée par une interface informatique ? Comment va-t-on éduquer à ce nouveau réel ?
BIBLIOGRAPHIE
BUTY C., LABORDE C., TIBERGHIEN A., Modélisation en optique géométrique en classe quatrième à l'aide d'un micro-ordinateur, Actes des 7es Journées Nationales Informatique et
Pédagogie des Sciences Physiques, UdP-INRP 1996, 93-98.
DUREY A., BEAUFILS D., L'ordinateur dans l'enseignement des sciences physiques : questions didactiques, Actes des 8es Journées Informatique et Pédagogie des Sciences Physiques, UdP-INRP 1998, 63-74.
TIBERGHIEN A., Modeling as a basis for analyzing teaching-learning situations, Learning and