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Contribution empirique à l'appréciation du capital social dans un territoire

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Academic year: 2021

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Contribution empirique à l’appréciation du capital social

dans un territoire

Mémoire

Laurence Martin-Caron

Maîtrise en service social

Maître en service social (M. Serv. Soc.)

Québec, Canada

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iii Résumé

La pertinence de l'appréciation du capital social des territoires est déjà reconnue par plusieurs théoriciens/praticiens québécois de l'organisation communautaire et de l'analyse de communauté. Toutefois, aucun outil d'appréciation à la fois efficace, utile à l'intervention, économique et permettant l'objectivation des données ne semble exister au Québec. La présente étude est une contribution empirique à 1'appréciation du capital social dans un territoire.

Cette contribution consiste en premier lieu à présenter une synthèse des connaissances théoriques et empiriques actuelles sur le capital social. On y présente les évolutions multiples du terme, la polysémie qui en découle ainsi que les constantes qui, à notre avis, transcendent la plupart des définitions. Pour l'essentiel, la notion de capital social retenue pour l'étude se rapporte aux réseaux sociaux à travers lesquels transigent des normes sociales qui régissent les interactions entre acteurs et la circulation des ressources permettant l'atteinte de buts individuels et collectifs.

En second lieu, notre contribution consiste en la création d'un outil de mesure du capital social territorial. Une première version de l'outil fut créée en s'appuyant sur la littérature méthodologique produite depuis trois décennies. Les critères d'efficacité, d'utilité, d'économie des ressources et d'objectivation des résultats ont guidé les choix d'activités de mesure pour l'outil d'appréciation du capital social. L'outil ainsi construit fut expérimenté dans le quartier Saint-Roch de la Ville de Québec. Une version finale de l'outil, enrichie de constats sur les défis à relever dans la pratique, est présentée dans l'étude afin d'outiller les intervenants/chercheurs désirant reconduire 1'expérience dans leur localité.

Le troisième volet de notre contribution est l'analyse du capital social du quartier Saint-Roch de la Ville de Québec. En cohérence avec le choix de cadre conceptuel et de méthodologie, un portrait du capital social du quartier a été dressé en quatre sections : (1) la composition sociale de la communauté et le degré d'organisation des groupes sociaux (2) les normes de réciprocité, le contrôle social informel et la confiance chez les groupes sociaux et dans la communauté en général (3) la structure associative de la communauté (4) l'information et la communication chez les groupes sociaux et dans la communauté. La démarche a permis de dresser un portrait des dynamiques sociales influençant les interactions entre différents acteurs du quartier Saint-Roch.

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v Remerciements

J'aimerais d'abord exprimer ma gratitude pour cette magnifique aventure qu'est ma vie, qui est aujourd'hui enrichie par le sentiment de fierté associé à la réalisation de ce mémoire. J'aimerais ensuite souligner 1'importance qu'ont eue pour moi les participants à cette étude, personnes et organisations. J'espère sincèrement que vous en avez retiré autant d'apprentissages que moi.

Merci d'abord à mon directeur de recherche Yvan Comeau pour m'avoir guidé et soutenu de multiples façons dans la réalisation de ce mémoire. Notre collaboration fut très appréciée et pertinente tant au plan méthodologique, professionnel qu'humain. Je n'aurais pas accompli ce défi et atteint ce niveau de satisfaction de mon travail sans votre contribution. Merci. Merci aux gens de ma cohorte de propédeutique et de maîtrise. Vous côtoyer m'a appris énormément au plan de l'intervention, du savoir-faire et du savoir-être. Merci également à Jimmy K. et la famille, je vous dédie aussi cet accomplissement. Merci à mes parents Lyne et Jacques pour m'avoir donné tout ce que vous aviez, je vais donner ce que je peux au suivant. Pour les mêmes raisons merci à Pierre, Sarah, Guy et Fatima. À ma famille d'amour à défaut d'être de sang, merci Maxime, Émilie, Julie, Antoine, Charlie, Colin, Wipet ainsi que vos familles. Un gros merci à Steeve, Dalin et Louie pour la commandite de qualité ainsi qu'à Jean-Pierre, JP et Billy pour avoir été là. Merci également aux familles Martin-Serres et Caron-Brillant, notamment ma chère tante Anne, Rostand et Lysandre mais aussi mon oncle Guy, Lucien et Aurore, Philomène ainsi que tante Ginette qui rassemble les Caron.

Pour votre amitié qui améliore ma vie de tellement de façons, merci beaucoup Vincent, Frank O., Desneiges, Pierre, Cath, Flo, Simon, Peuch, Kelly, Louis, Ge, Cut, Julien, Tanja, Didier, Maude, Nadia, Richard, Émilie, Francis, Steve, Mud, Guy, Stefanie, Marie-Madeleine, Clément, Sébastien, Valérie, Laurence, Michael, Émilie, W, Certs, Sen, Rain, Justine, Larry, Jeff, Alex ainsi que la gang 2011 de La Pocatière. Merci Myriam, notre bout de chemin ensemble est un véritable don de la vie. Merci Marie-Andrée pour toutes ces années à voguer ensemble, merci pour l'amour, les souvenirs heureux et ta bonne influence. Je ne serais vraiment pas moi-même sans toi et ta famille. Merci aussi à Véronique, j’aime ce que tu es et ce que je suis avec toi. Merci à Benny, Louis et ses équipes 2010-2012, Nathalie Gagnon ainsi que l'AGA de l'Étale pour m'avoir engagé et appris que bien travailler et être de service est un plaisir.

Un grand merci général aux artistes en tous genres ainsi qu'aux penseurs qui s'expriment. Vous m'accompagnez et m'inspirez. Finalement, merci aux gens qui ont habité le monde avant moi, à ceux avec qui je le partage aujourd'hui, et bienvenue à ceux qui l'occuperont prochainement. Merci d'en faire vous aussi un endroit qui en vaut la chandelle…

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vii Sigles et abréviations

ACC Association des Coopératives du Canada ADRC Agence des douanes et du revenu du Canada ASCAT Adapted Social Capital Assessment Tool ASSS Agences de santé et services sociaux

B.A.I.L. Bureau d'Aide et d'Information sur le Logement CA conseil d'administration

CAE Centre d'aide aux entreprises

CCCM Conseil Canadien de la Coopération et de la Mutualité CDEC Corporation de développement économique communautaire CDR Coopérative de Développement Régional

CERUL Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval CLD Centre Local de Développement

CNNTQ Centre National des Nouvelles Technologies de Québec

CTROC Coalition des tables régionales d'organismes communautaires autonomes CQCM Conseil québécois coopération et mutualité

CSSS Centre de santé et de services sociaux

CSSSQN Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord DSP Direction de la Santé Publique

FMI Fonds monétaire international ISQ Institut de la Statistique du Québec

MAMROT ministère des Affaires Municipales, des régions et de l'Occupation du Territoire MDEIE ministère du Développement Économique, de l'Innovation et de l'Exportation MESS ministère de l'emploi et de la solidarité sociale

MFA ministère de la Famille et des Aînés MRC municipalités régionales de comté

MSSS ministère de la Santé et des Services Sociaux OBNL Organismes à but non lucratif

OCDE Organisation de coopération et de développement économique ONU Organisation des Nations-Unies

OSBL Organismes sans but lucratif PNB Produit national brut

ROC-03 Regroupement des organismes communautaires de Québec PPA Participatory Poverty Assessment

RRA Rapid Rural Appraisal RTA région de tri d'acheminement

SACAlS Secrétariat à l'action communautaire autonome et aux initiatives sociales SADC Société d'Aide au Développement des Collectivités

SC Statistique Canada

SDC Société de développement commercial

Service 211 Répertoire des ressources communautaires de la Capitale-Nationale et Chaudière- Appalaches

SOCAT Social Capital Assessment Tool

TROC Table Régionale des Organismes Communautaires

YMCA Young men's christian association- Activités culturelles et sportives YWCA Young women's christian association - Activités culturelles et sportives

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ix Table des matières

Résumé ... iii

Remerciements ... v

Sigles et abréviations ... vii

Liste des tableaux, cartes, graphiques et schémas ...xi

1. Introduction... 1

2. Problématique de la recherche ... 5

2.1. Recension des écrits sur les différentes approches théoriques du capital social ... 5

2.1.1. Les fondateurs ... 6

2.1.2. L'approche par réseaux sociaux ...12

2.1.3. L'approche communautarienne ...16

2.1.4. L'approche institutionnelle-synergique ...20

2.2. Cadre conceptuel et question spécifique de recherche ...31

3. Méthodologie ...35

3.1. Recensions des écrits méthodologiques ...35

3.1.1. Les mesures quantitatives du capital social ...35

3.1.2. Les mesures qualitatives du capital social...41

3.2. Choix de la méthode et thèmes d'analyse...44

3.2.1. La composition sociale de la communauté...46

3.2.2. Les degrés d'organisation des groupes sociaux...46

3.2.3. La structure associative de la communauté ...47

3.2.4. L'information et les communications...48

3.2.5. Les normes de réciprocité : contrôle social informel et confiance ...49

3.3. Synthèse du choix méthodologique ...50

4. Guide de collecte des données revu après l'expérimentation ...53

4.1. La recherche statistique...53

4.1.1. La recension statistique des groupes sociaux ...54

4.1.2. La recension statistique des associations ...57

4.1.3. Le taux de participation aux élections ...65

4.2. La recherche documentaire...68

4.2.1. La recension des médias accessibles sur le territoire...68

4.2.2. L'analyse de contenu des médias...68

4.3. Les observations...70

4.4. Les groupes de discussion ...72

4.4.1. Le recrutement ...72

4.4.2. Le guide d'animation ...75

4.4.3. L'animation ...75

4.5. Les entrevues individuelles ...79

4.6. Les considérations éthiques ...81

5. La présentation des résultats: le capital social dans le quartier Saint-Roch...83 5.1. La composition sociale de la communauté et le degré d'organisation des groupes sociaux .83

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5.1.1. La consignation et l'utilisation des données... 84

5.1.2. Le portrait des groupes sociaux... 84

5.1.3. La répartition géographique des groupes sociaux sur le territoire... 93

5.2. Normes de réciprocité, contrôle social informel et confiance ... 99

5.2.1. La culture associative de la communauté ...100

5.2.2. La perception du potentiel collaboratif des groupes sociaux ...102

5.2.3. Les normes communautaires et sociétales perçues par les groupes sociaux ...106

5.2.4. Les normes particulières aux groupes sociaux et leurs modalités de contrôle social ....108

5.2.5. Les événements locaux ayant créé de la confiance et de la méfiance...114

5.2.6. Les lois et instances conférant de la confiance en absence de lien fort ou face à face ..119

5.3. La structure associative de la communauté ...121

5.3.1. Les liens horizontaux entre les groupes sociaux ...121

5.3.2. Les liens verticaux entre les groupes sociaux ...123

5.3.3. La confiance à l'égard des institutions locales ...126

5.3.4. Les échanges de biens et de services entre personnes défavorisées et organisations ....128

5.4 Les lieux et occasions pour échanger sur l'actualité locale ...130

6. Conclusion ...131

6.1. Retour sur la démarche...131

6.2. Retour sur l'outil d'appréciation et son utilisation ...134

6.3. Retour sur les résultats : utilité et qualité des données...135

Bibliographie...137

Annexe 1 : Message aux responsables d'associations pour la tenue d'un groupe de discussion ...149

Annexe 2 : Affiche de recrutement (premier groupe de discussion) ...151

Annexe 3 : Feuillet d’invitation (premier groupe de discussion) ...153

Annexe 4 : Feuillet d'information pour les participants potentiels (1er groupe de discussion) ...155

Annexe 5 : Message d'invitation par courriel (deuxième groupe de discussion) ...157

Annexe 6 : Guide d'animation des groupes de discussion ...159

Annexe 7 : Plan d'animation de l'activité brise-glace (premier groupe de discussion) ...163

Annexe 8 : Guide d'entrevues individuelles...165

Annexe 9 : Formulaire consentement à l'intention des participants aux entrevues individuelles ...167

Annexe 10 : Formulaire de consentement pour les participants aux groupes de discussion ...169

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xi Liste des tableaux, cartes, graphiques et schémas

Tableaux

Tableau 1 : Dimensions du capital social selon les théoriciens... 27

Tableau 2 : La dimension structurelle du capital social ... 32

Tableau 3 : Les dimensions cognitive et relationnelle du capital social ... 33

Tableau 4 : Dimensions pour la création d'outils quantitatifs par les grandes enquêtes... 37

Tableau 5 : Prescriptions d'Harpham (2008) pour l'élaboration de questionnaires ... 38

Tableau 6 : Dimension et indicateurs quantitatifs de Groutaert et al. (2004) ... 39

Tableau 7 : Indicateurs du capital social communautaire selon Putnam... 40

Tableau 8 : Dimension et outils de mesures qualitatifs de Dudwick et al. (2006) ... 43

Tableau 9 : Moyens pour rendre compte de la composition sociale de la communauté ... 46

Tableau 10 : Moyens pour rendre compte des degrés d'organisation des groupes sociaux... 47

Tableau 11 : Moyens pour rendre compte des structures associatives de la communauté ... 48

Tableau 12 : Information et communication ... 49

Tableau 13 : Normes de réciprocité et contrôle social ... 50

Tableau 14 : Moyens pour rendre compte des normes de réciprocité ... 50

Tableau 15 : Sources de données statistiques pour recenser les groupes sociaux ... 55

Tableau 16 : Indicateurs de défavorisation de l'Atlas du MSSS ... 57

Tableau 17 : Sources de données sur la participation aux diverses élections au Québec ... 66

Tableau18 : Coût en temps et en matériel des groupes de discussion ... 77

Tableau 19 : Durée des entrevues individuelles ... 81

Tableau 20 : Répartition géographique des groupes sociaux d'âge dans Saint-Roch ... 96

Tableau 21 : Nombre d'associations pour 1000 habitants dans quelques territoires... 100

Tableau 22 : Normes partagées par les groupes sociaux de la communauté ... 106

Tableau 23 : Normes chez les utilisateurs de services en pauvreté ... 109

Tableau 24 : Normes chez les gens d'affaires ... 110

Tableau 25 : Normes chez les nouveaux résidents ... 111

Tableau 26 : Normes chez les natifs du quartier (la tranche plus défavorisée) ... 112

Tableau 27 : Normes chez les gens vivant d'activités illégales ... 113

Tableau 28 : Événements locaux racontés encourageant la confiance et la méfiance entre les groupes sociaux... 115

Tableau 29 : Les lois, règlements et instances mentionnés par les répondants et utiles à la création de confiance entre les groupes sociaux locaux... 120

Tableaux 30 : Les détenteurs du pouvoir selon les utilisateurs de services en pauvreté ... 124

Tableau 31 : Les détenteurs du pouvoir selon les intervenants du réseau communautaire ... 125

Tableau 32 : Les détenteurs du pouvoir selon les gens d'affaires ... 125

Tableau 33 : La détention du pouvoir selon les nouveaux résidents interrogés ... 126

Tableau 34 : Taux de participation en pourcentage aux élections par territoire ... 127

Tableau 35 : Échanges de biens et services entre personnes défavorisées et organisations... 129

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Figures

Figure 1 : Deux conceptions du capital social - bien stratégique ou bien commun ... 22 Figure 2 : L'articulation des dimensions du capital social selon Ruuskanen ... 24

Cartes

Carte 1 : La région de tri d'acheminement (RTA) du quartier Saint-Roch ... 65 Carte 2 : Représentation de 1'occupation du territoire par les groupes sociaux à

grande visibilité du quartier Saint-Roch ... 95 Carte 3 : Identification de lieux socialement significatifs du quartier Saint-Roch ... 97

Graphique

Graphique 1 : Perception par le chercheur du potentiel coopératif de la

communauté ... 103

Schéma

Schéma 1 : Liens entre les gens d'affaires, les individus moins nantis et les

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1 1. Introduction

Si les mots servent à brouiller les choses, c'est parce que la bataille sur les mots est indissociable de la bataille sur les choses." - J. Rancière

Ce mémoire porte sur le capital social. Plus précisément, il développe et expérimente un outil d'appréciation du capital social dans les communautés territoriales.

Cet intérêt pour le capital social, pour la qualité du lien social dans les communautés géographiques, pour les sous-cultures et pour les dynamiques de relations intra et inter groupes est d'abord personnel. Il prend racine dans mon parcours individuel caractérisé, depuis mon tout jeune âge, par 1'expérience de nombreux déracinements géographiques et sociaux. À chaque changement, j'ai eu à me faire une nouvelle place dans un milieu social particulier, à intégrer une autre communauté et à m'adapter à un contexte différent. Au bout du compte, j'en ressors avec le net souvenir d'avoir évolué dans des dynamiques sociales très différentes d'un endroit à l'autre, d'avoir connu plusieurs sous-cultures et d'avoir occupé différentes «places » dans les groupes locaux selon mon degré d'adaptation à leurs normes.

À travers mes expériences, il m'a semblé que la dynamique intergroupe sur un territoire est façonnée par une histoire relationnelle d'identification (nous) et d'opposition (eux) entre groupes. L'inévitable stigmatisation venait à faire partie de l'histoire communautaire des jeunes qui grandissaient dans un milieu. Elle influençait leur trajectoire en les amenant à s'identifier à des valeurs et à modes de vie, à adopter une perception de leur place et de celle des autres acteurs dans le monde et à faire des choix quotidiens renforçant 1'appartenance à une sous-culture. Cette co-construction historique des identités individuelles et du tissu social communautaire m'a semblé avoir un effet (1) sur la capacité d'empathie (ou la sympathie) et de compréhension entre membres de sous-cultures différentes (2) sur l'ouverture à l'influence des autres sous-cultures (3) sur la possibilité pour un individu de passer d'un groupe à l'autre ou la facilité d'intégrer un groupe sur le territoire (4) sur les préjugés et la médisance (5) sur les possibilités de communication (6) sur la solidarité et l'entraide (sauf dans certains cas extrêmes comme le Grand verglas ou la

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menace provenant de l'extérieur de la grande communauté) (7) sur le type de leadership dans la communauté (et qui sera perçu comme leader) (8) sur la confiance généralisé (soit d'intention ou de compétence) (9) sur l'existence ou non d'une sphère communautaire entre la sphère privée et la sphère professionnelle (10) sur le climat de compétitivité et (11) sur les comportements violents. En fait, je voyais dans ces dynamiques sociales et intergroupes une explication des sources de l'oppression et des conflits entre groupes d'humains et, à l'opposé, ce qui produit de la solidarité et une cohabitation agréable. Il m'a toujours été difficile de nommer clairement ces dynamiques sociales dont je parle et de faire la part des influences que sont les actions des individus, les cultures familiales, les idées provenant de l'extérieur de la communauté, etc. Ces impressions sont à la base de mon intérêt pour le capital social. Cet intérêt n'est pas qu'intellectuel; souvent, j'aurais aimé avoir prise sur les milieux dans lesquels j'étais, afin d'en améliorer le climat (selon mes critères) et de changer l'inertie que je croyais déceler.

Bien que mes observations et constats soient largement issus des périodes de mon enfance et de mon adolescence, elles ne s'y limitent pas. J'ai également réalisé plus tard que je n'étais pas forcément obligé de fréquenter régulièrement un groupe de personnes pour être de la dynamique sociale. Les personnes que j'ai rencontrées en travaillant dans le domaine de santé et services sociaux, même si elles étaient isolées, s'identifiaient à une sous-culture et manifestaient davantage d'empathie pour les uns (nous) et davantage de colère et d'incompréhension pour les autres (eux).

Dans un désir d'améliorer le monde dans lequel je vivais, je me suis souvent demandé ce qui fait que certains individus et groupes sont plus ouverts aux différentes sous-cultures, plus enclins à tenter de développer des relations agréables avec des personnes différentes, alors que d'autres sont davantage fermés aux « différents » ou ont tendance à entrer en conflits irréconciliables avec eux. Est-ce l'éducation familiale? Le fait d'avoir occupé différents statuts sociaux étant jeune? D'avoir été en relation avec une grande diversité de gens ? La qualité de ces relations ? Une particularité intrinsèque des personnes ? Le mode de vie et les valeurs au quotidien ? Le modèle culturel dominant ? Au bout du compte, y aurait-il des interventions favorables au mieux vivre ensemble? Aujourd'hui, ayant la chance de réfléchir à ces questions dans le cadre d'un mémoire, je souhaite contribuer à

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3 1'organisation communautaire en réalisant une recherche sur une notion qui semble très liée à mes observations et intérêts : le capital social.

Définissons d'abord brièvement ce qu'est le capital social. Selon Forgues (2004) qui réalisa un travail rigoureux de synthèse du concept, le capital social se réfère aux « réseaux et [aux] liens sociaux plus ou moins actifs grâce auxquels un individu ou une communauté peut accéder à des ressources (économiques, politiques, culturelles ou humaines) nécessaires à l'atteinte de ses objectifs» (p. 13). Au-delà du simple nombre de relations dont les acteurs peuvent profiter, le capital social réfère aussi à ce qui influence les interactions à l'origine des réseaux sociaux, notamment les valeurs et normes ainsi que ce qui y est donné et échangé (Forgues, 2004). Ainsi l'étude du capital social est centrée d'abord sur les interactions entre acteurs, sur les liens sociaux, puis de manière incontournable sur ce qui transige (ou pourrait transiger) par ces relations et sur ce qui influence leur dynamique. Il s'agit d'une notion à laquelle s'intéresse autant le paradigme du structuralisme sociologique que celui du choix rationnel (Ponthieux, 2006). Le capital social est à la fois le produit d'acteurs qui agissent avec une compétence sociale tout en étant« encastrés» dans un environnement qui les influence (Ponthieux, 2006: 23).

La définition de Forgues (2004) qui vient d'être proposée représente, à mes yeux, une réconciliation des différents courants de pensée sur le capital social. En effet, un nombre impressionnant d'auteurs ont traité du capital social dans plusieurs disciplines académiques et selon différents paradigmes (Bélanger, Sullivan et Sévigny, 2000). Ces nombreuses conceptions du capital social introduisent forcément de la complexité. À cela s'ajoutent les imprécisions des premières définitions et les divergences entre les théoriciens (Ponthieux, 2006). Ainsi, la conceptualisation la plus répandue du capital social, soit celle de Robert Putnam (2000) dans son ouvrage Bowling Alone : The collapse and revival of American community (2000), est également une des plus contestées par les académiciens. Pour ces raisons, nous ferons le point dans une recension des écrits sur les différentes conceptions du terme.

Le but de la présente recherche est de faciliter le travail des organisateurs et intervenants communautaires, en leur permettant d'apprécier le capital social d'un territoire. Il s'agit de

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développer un outil efficace, utile à l'intervention, économique et permettant l'objectivation des résultats. La question générale de recherche se présente ainsi : Comment peut-on apprécier le capital social d'une communauté géographique de façon efficiente?

Le mémoire est organisé en six parties faisant suite à l'introduction. Le prochain chapitre, la problématique de la recherche, présente une recension des écrits portant sur les différentes conceptions du capital social, les choix théoriques utiles à la présente étude ainsi que la question spécifique de recherche. Le troisième chapitre porte sur la méthodologie. Puisque le mémoire vise à développer un outil méthodologique, ce volet fait l'objet d'un développement particulier et d'une certaine ampleur. Le chapitre qui lui est consacré recense les écrits méthodologiques pertinents sur le capital social et précise les méthodes de collecte de données et d'analyse choisies. Le quatrième chapitre présente le guide de collecte des données et il fait également partie, d'une certaine manière, du volet méthodologique. Il s'agit donc de l'outil expérimenté et conçu pour les chercheurs et intervenants désirant éventuellement reconduire une démarche semblable; on y présente un retour sur les méthodes employées. Le cinquième chapitre rend compte de l'expérimentation de l'outil avec la présentation des résultats, c'est-à-dire les informations recueillies dans le quartier Saint-Roch de la Ville de Québec. Le sixième chapitre conclut la démarche par une synthèse et une critique.

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5 2. Problématique de la recherche

Il n'existe pas de consensus en ce qui a trait à la définition du concept de capital social. Cette situation est en partie attribuable au fait que ce concept est utilisé par plusieurs disciplines et interprété selon différentes écoles idéologiques. Il en résulte une grande diversité de propositions quant à ses dimensions, niveaux, déterminants, bénéfices et possibles retombées. L'opérationnalisation du concept de capital social nécessite d'abord d'explorer les différents points de vue théoriques qui s'y intéressent. Par la suite, afin de répondre ultimement à la question de recherche, il est nécessaire de cerner les dimensions qui se rapportent spécifiquement au capital social et de sélectionner celles qui sont considérées valides d'après les chercheurs. Grâce à cette démarche, il sera ensuite possible de choisir, parmi ces dimensions, celles pouvant à la fois être utiles à l'intervention et être mesurables de manière relativement conviviale.

2.1. Recension des écrits sur les différentes approches théoriques du capital social

Le capital social est un métaconcept abstrait, ce qui signifie (1) qu'il est un assemblage particulier de plusieurs autres concepts (2) qu'il n'est pas possible de saisir ce qu'il signifie à l'aide des sens. Cette nature complexe et abstraite du concept né au XXe siècle fait en sorte que sa définition et ses composantes ont changé à maintes reprises, selon les auteurs et courants de pensée. La présente section est une recension des écrits structurée de façon à présenter les évolutions multiples du concept : (1) les fondateurs qui ont jetés des bases différentes au concept (2) les auteurs axés sur les réseaux sociaux (approche économique) (3) les auteurs qui insistent sur la communauté (approche politique) (4) les auteurs misant sur les travaux empirique, la mesure et l'intervention (approche institutionnelle-synergique). L'évolution du concept et 1'orientation des articles scientifiques récents exige de développer encore davantage la recension des écrits dans la section « méthodologie » qui occupe une place centrale dans la présente étude.

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2.1.1. Les fondateurs

La première mention du terme «capital social» est attribuable, selon Woolcock et Narayan (2000), à Hanifan dès 1916. Les travaux de ce dernier portaient sur l'importance des communautés pour la réussite scolaire. Hanifan propose alors une définition du capital social qui rejoint plus spécifiquement les intérêts des organisateurs communautaires et intervenants sociaux d'aujourd'hui:

[...] those tangible substances [that] count for most in the daily lives of people: namely good will, fellowship, sympathy and social intercourse among the individuals and families who make up a social unit. If [an individual comes] into contact with his neighbor, and they with other neighbors, there will be an accumulation of social capital, which may immediately satisfy his social needs and which may bear a social potentiality sufficient to the substantial improvement of living conditions in the whole community (Woolcock & Narayan, 2000: 227).

Hanifan propose alors que son terme soit associé à 1'accumulation de relations de bon voisinage, amicales et de collaboration qui, par les ressources (matérielles ou non) qui y transigent, contribuent à améliorer les conditions de vie des individus et de la collectivité en général. En parallèle de cette première définition du terme, Watson et Papamarcos (2002) ainsi qu'Adam et Roncevic (2003) lient le concept aux travaux de sociologues et philosophes classiques tels que Mill, Durkheim, Locke, Simmel, Marx, Rousseau, Tocqueville, Toennies et Weber. Pour ce qui est de la paternité officielle du concept, la plupart des spécialistes du sujet, dont Kazemipur (2009) et Ponthieux (2006), s'entendent pour accorder le plus grand crédit à Pierre Bourdieu, James Coleman, puis à Robert Putnam. Il est à noter que Putnam n'est pas un fondateur du concept, mais il est celui qui a réussi à l'adapter de manière à ce qu'il s'insère dans l'actualité des débats politiques, philosophiques, économiques et académiques aux États-Unis et dans les instances économiques internationales telles que le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Marquées par des divergences importantes, les conceptualisations proposées par Hanifan, Bourdieu, Coleman et Putnam se rejoignent sur 1'idée que le capital social réfère en partie aux normes et au niveau de confiance existant dans les réseaux sociaux qui facilitent l'atteinte de certains objectifs autant individuels que communs.

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7 2.1.1.1. Pierre Bourdieu : capital social, habitus et classes sociales

Éminent théoricien français de la sociologie, Pierre Bourdieu (1930-2002) est le fondateur du structuralisme constructiviste qu'il présentait comme une tentative de dépassement de la dualité psychologie/sociologie pour l'explication de l'action humaine en société (Ponthieux, 2006). Le contexte théorique dans lequel est alors introduit le concept de capital social est celui du paradigme conflictuel où, selon Bourdieu, la société peut être représentée comme une entité à la fois divisée en classes sociales historiquement construites, et unie par la légitimité ainsi établie de la place qui revient à chacune (Siisiinen, 2000).

Le capital social bourdieusien serait l'élément central responsable du maintien de la division de la société en classes sociales. Chaque individu incorporerait la culture de son groupe de proximité à force d'interagir quotidiennement avec les personnes qui, elles, sont porteuses d'idées, de goûts, d'objets, de ressources matérielles, d'opportunités et de signes distinctifs particuliers. Ces éléments partagés par les personnes proches seraient en fait particuliers à leur réseau social étendu et à leur classe sociale. L'individu aurait tendance à s'identifier, consciemment ou non, à cette classe sociale, autant par affection et affinité avec ses semblables que par différentiation avec les personnes ayant d'autres appartenances sociales, culturelles et signes distinctifs. L'entourage humain immédiat d'un individu aurait donc une grande importance dans la détermination de sa place sociale. On peut ainsi mieux situer la définition que Bourdieu donne au capital social:

Le capital social est la somme des ressources, actuelles ou virtuelles, qui reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu'il possède un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c'est-à-dire la somme des capitaux et des pouvoirs qu'un tel réseau permet de mobiliser (Bourdieu, 1980 : 2).

Ainsi, alors que chacun possède des capitaux de différents types (social, matériel, culturel, politique, symbolique), le capital social aurait un effet « multiplicateur sur le capital possédé en propre» et stimulant par le fait même la solidarité de groupe (Bourdieu, 1980 : 2). De manière générale, l'auteur considère alors la notion de capital comme étant synonyme de ressource et de pouvoir, autant en acte qu'en puissance et qui permet, d'après Bertrand Russel, à certaines personnes de produire des effets voulus et prévus sur d'autres

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(Domhoff, 1983 : 3). Pour ce qui est de la solidarité des réseaux sociaux, Bourdieu considère qu'elle n'est pas qu'instrumentale ; elle serait aussi enracinée dans l'affect d'appartenance, parfois inconscient, à un groupement humain transcendant la personne et ses proches.

Bien que la définition retenue soit publiée en 1980, Bourdieu utilisait le concept de capital social dans son ouvrage La Distinction publié en 1979. Le capital social y est représenté comme étant à la fois la source et le résultat du développement du potentiel des individus et des groupements. Le capital social d'une personne réfère donc, à une extrémité du spectre, à ce qui a contribué à son développement en tant qu'individu pourvu de capacités, soit la famille, la communauté, les pairs et les réseaux sociaux qui sont incidemment porteurs d'autres capitaux (Bourdieu, 1979). Les groupes useraient de stratégies et investiraient temps, argent, savoirs, relations, prestige et violence symbolique dans le but de maintenir les acquis et d'améliorer leurs conditions de vie, tout en tentant de se faire accepter comme légitimes (Bourdieu, 1994 : 5). Ceux détenant le plus de capitaux seraient alors avantagés et tireraient avantage à maintenir le statu quo et la reproduction sociale. Dans ses articles publiés en 1977 et 1981, l'économiste Glenn Loury appuie la thèse bourdieusienne de la reproduction sociale par le capital social en centrant son analyse sur les plus démunis plutôt que sur l'élite, comme le fait Bourdieu. Il le fait en se référant à la situation des Afro-américains qui, bien qu'ils aient acquis des droits, héritent de leur famille et de leur communauté une carence relative de biens matériels, un manque de culture commune avec le système en place et une quasi absence de liens sociaux avec les groupes pouvant leur donner accès à des opportunités professionnelles et sociales (Portes, 1998 : 4).

Bourdieu va plus loin dans son analyse. Il affirme que le capital social, culturel et matériel dans lequel croît une personne contribuerait non seulement à la constitution de son pouvoir mais aussi, élément important de sa théorie, à la formation de sa personnalité, c'est-à-dire à la définition des goûts, dégoûts, penchants, de même qu'à une grille de lecture de la réalité, à un système de classification des gens et des objets, à des modes comportementaux, à des signes distinctifs et à un style de vie. Ainsi est définie une personnalité de classe nommée « habitus » (Bourdieu, 1979 : 62-64). Par un travail d'instauration et d'entretien des relations entre les personnes partageant un même habitus, les personnes semblables auraient

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9 tendance à s'assembler « naturellement » par le repérage de signes distinctifs qu'ils estiment (Bonnewitz, 1997). Non immuable, cet habitus se reconstruit constamment dans le temps. Bourdieu souligne que les interrelations et interactions entre les différents habitus risquent statistiquement de renforcer les dispositions acquises (Bourdieu, 1979). C'est à travers ces interactions entre ressemblances et différences subjectivement perçues et exprimées qu'une personne sélectionnera et sera sélectionnée par des réseaux sociaux qui seront son capital social :

Chaque agent a une connaissance pratique, corporelle, de sa position dans 1'espace social, un « sense of one' s place », comme dit Goffman, un sens de sa place (actuelle et potentielle), [...] définie absolument et surtout rationnellement, comme rang, et les conduites à tenir pour la tenir (« tenir son rang ») et s'y tenir («rester à sa place», etc.). La connaissance de pratique que procure ce sens de la position prend la forme de l'émotion (malaise de celui qui se sent déplacé, ou aisance associée au sentiment d'être à sa place) et elle s'exprime par des conduites comme l'évitement ou des ajustements inconscients [...] (Bourdieu, 1997: 220).

Le capital social se construirait par la recherche de sa place dans le monde social, par la distinction et par la recherche du confort de la prédictibilité des relations habituelles. Certes, il existe plusieurs espaces sociaux pour chacun dans une société où une dynamique sociale spécifique peut être construite (à l'école, au travail, à la maison, au cours de peinture ou d'escalade, etc.). Or, pour Bourdieu, les personnes auraient plutôt tendance à créer de la cohérence entre elles par les liens qu'elles entretiennent, tentant de maintenir leur habitus d'un espace social à l'autre, créant ainsi des phénomènes sociaux tels que les classes sociales qui transcendent les divers espaces sociaux (Bourdieu, 1979: 47-48).

Le nombre et l'étendue des recherches empiriques s'inscrivant dans la perspective de Bourdieu est énorme puisque ses écrits sont à la fois au goût du jour en modernisant les propos de Marx sur les classes sociales, et complexes en faisant le pont entre différentes disciplines et concepts des sciences sociales. Les propos de Bourdieu sont pourtant pratiquement absents de la littérature scientifique anglophone portant sur le capital social (Ponthieux, 2006). Aux fins de notre projet, il n'y a pas d'outil de mesure du capital social territorial qui découle directement de ses écrits.

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2.1.1.2. James S. Coleman: liens forts et confiance

James S. Coleman (1926-1995), sociologue américain, est le chercheur ayant introduit la notion de capital social chez les Anglophones dans les années 1980-1990. Plus pragmatique que Bourdieu, Coleman détache le concept du paradigme conflictuel pour l'associer au paradigme plus atomiste de l'individualisme méthodologique. En fait, plutôt que de s'attarder au capital social de l'élite comme son prédécesseur, Coleman aborde le concept dans toutes les catégories sociales.

Son projet théorique réside dans la tentative lier les théories économiques et la sociologie classique (Ponthieux, 2006). Ici, on amalgame les théories du choix rationnel individuel et celles du déterminisme sociologique (règles et obligations sociales). Selon ce paradigme et Coleman, la société et les comportements individuels s'interinfluenceraient par l'entremise du capital social.

L'auteur décrit ce processus d'interinfluence entre la société et les individus en trois étapes (Coleman, 1990). La première étape est le passage de la doctrine idéologique dominante jusqu'à l'individu. Gary Becker, collègue de Coleman, décrit ainsi le processus de socialisation fondé sur le capital social :

Le capital social dépend donc plus des choix faits par les autres que des choix individuels – en particulier, l'influence des parents lors du processus de socialisation, ou encore l'influence de la culture. Mais les individus conservent le choix de se soumettre ou non à certaines influences en choisissant leurs relations, en fonction de l'utilité future qu'ils en attendent [...] (Becker, 1996, dans Ponthieux, 2006 : 9).

On y retrouve ici le capital social comme une source d'influence moins déterminante que chez Bourdieu, l'individu peut utiliser sa raison et ainsi filtrer plusieurs éléments externes formateurs de sa personnalité. La seconde étape est celle où l'individu impose ou modifie sa façon d'être et de faire préférée afin d'entrer en relation économique avec un autre. Les personnes s'ajustent entre elles et créent ainsi des toiles d'échanges normées dont les mécanismes peuvent se rigidifier et se ritualiser à force de répétition. Les normes interindividuelles ainsi formées se diffuseraient alors à d'autres personnes et réseaux afin d'élargir les cercles d'échanges. Le capital social de Coleman fait donc référence aux

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11 réseaux de relations durables ainsi qu'aux normes qui régissent les échanges et donnent accès à toutes sortes de ressources. Ce phénomène mène à la troisième étape de la théorie de Coleman: les comportements normés d'échanges créent graduellement l'organisation économique de la société (Coleman, 1990). La diffusion de ces normes passe alors par les réseaux selon la force relative de ceux-ci dans la société. Il s'agit dès lors d'un système basé sur la réciprocité, les normes et les sanctions adoptées par les individus et donnant un cadre prévisible de possibilités pour les acteurs en interactions. L'efficacité des réseaux au plan économique, selon Coleman, dépend donc des normes facilitant ou non les échanges, mais aussi de la fermeture relative du réseau assurant des liens plus étroits et intenses entre ses membres (Ponthieux, 2006 : 12). Lorsque les académiciens font référence à Coleman, ils le font principalement pour se positionner en rapport à cette hypothèse sur les bénéfices potentiels des liens étroits qu'ils nomment the strenght of stong ties.

Un autre apport majeur de Coleman au capital social est de détourner le concept de la définition traditionnelle de capital (Kazemipur, 2009 ; Ponthieux, 2006). Contrairement aux différents capitaux (matériel, symbolique, culturels et politique) qui peuvent être accumulés puis dépensés stratégiquement en échange d'autres formes de capitaux, le capital social « n'est la propriété d'aucun de ceux qui en bénéficient » et peut profiter à tous, en même temps, comme un bien public (Coleman, 1988 : 98).

Pour ce qui est de l'apport de Coleman à la définition du capital social, Portes (1998 : 5) affirme qu'il jette un flou d'où résultera le grand nombre d'approches différentes et parfois contradictoires qui s'en inspirent. La définition visée par Portes est celle-ci:

Le capital social est défini par sa fonction. [...] La fonction qu'identifie le concept de capital social est la valeur des aspects de la structure sociale que les acteurs peuvent utiliser comme des ressources pour atteindre leurs objectifs (Coleman, 1988 : 98-99). L'organisation sociale, en ce qu'elle facilite la réalisation qui ne seraient pas réalisables en son absence, ou seulement à un coût très élevé, constitue le capital social (Coleman, 1990 : 304).

Coleman (1988) réfère à quatre exemples pour illustrer les avantages des liens forts et montrer que le capital social est ce qui existe entre les gens sans appartenir à personne en particulier. Il présente en premier lieu le cas des diamantaires de New York constitués en

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un réseau fermé et à haut degré de confiance. Le réseau permettant l'échange sans formalité de diamants de haute valeur aux fins d'évaluation, sans coût d'assurance ou de sécurité. En deuxième lieu, il réfère aux étudiants activistes coréens dont l'efficacité de l'organisation dépend des liens de confiance qui se sont tissés depuis la petite école. En troisième lieu, il présente le cas d'une mère de six enfants qui acquiert de la liberté et une qualité de vie en déménageant de Détroit à Jérusalem, un endroit où les gens ont l'habitude de s'occuper des enfants du voisinage. Elle se libère ainsi d'inquiétudes et de tâches nécessitant temps et énergie (surveillance, accompagnement, etc.). En quatrième lieu, il évoque 1'exemple des marchands du Caire qui se réfèrent mutuellement des clients dans un esprit de réciprocité. À la négative, Ponthieux (2006: 14) souligne un exemple de Coleman où 1'absence de confiance des Américains envers leurs médecins aurait fait grimper le coût des soins médicaux, à cause des assurances pris à 1'égard des poursuites judiciaires des patients. Quoi qu'il en soit, on peut souligner pour notre propos l'ambigüité des définitions proposées par Coleman qui ne permet pas d'élaborer un instrument de mesure pertinent à sa théorie. L'importance de cette affirmation est, à l'instar de la déclaration de Portes (1998), que les fondateurs du concept n'ont pas réussi à articuler de définition ou de conceptualisation claire et concise à laquelle les académiciens actuels peuvent se rattacher et s'unir.

D'après Woolcock et Narayan (2000), de ces écrits fondateurs émanent quatre approches du capital social : (1) l'approche des réseaux sociaux (2) l'approche communautarienne (3) l'approche institutionnelle (4) l'approche synergique. Les deux premières approches seraient véritablement distinctes. Toujours d'après les deux auteurs, la troisième représenterait une forme d'application spécifique des théories, alors que la dernière permettrait d'aborder empiriquement le capital social. Pour sa part, Ponthieux (2003) ne fait pas cette distinction entre l'approche institutionnelle et synergique. Aux fins de notre présentation des écrits théoriques sur le capital social, nous retenons les approches des réseaux, communautarienne et institutionnelle-synergique.

2.1.2. L'approche par réseaux sociaux

L'approche par réseaux sociaux est généralement associée aux échanges et à l'économie (Wookcock et Narayan, 2000). Se centrant sur les valeurs libérales comme la liberté et le

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13 profit personnel, cette perspective tend à distinguer le bon capital social du mauvais en fonction des opportunités et des contraintes que fournit 1'entourage social.

2.1.2.1. Mark Granovetter : liens faibles et opportunités

Le sociologue américain Mark Granovetter fait avancer la conceptualisation du capital social dans les années 1980 en approfondissant la théorie des réseaux sociaux. C'est en 1954 que John Barnes nomme officiellement l'objet d'étude qui est défini par Siegfried Nadel trois ans plus tard:

Par le terme réseaux sociaux je ne veux pas seulement indiquer les liens entre les personnes; le terme relation suffit à cela. Je veux plutôt indiquer qu'il y a liaison entre les liens eux-mêmes, ce qui a pour conséquence que ce qui arrive, pour ainsi dire, entre une paire de nœuds ne peut manquer d'affecter ce qui arrive entre une paire adjacente (Nadel, 1957, dans Mercklé, 2004 : 8).

Cette théorie s'inscrit dans le courant de la sociologie économique (Granovetter, 1985). On s'intéresse ici à l'étude «des actions d'homo oeconomicus en tant qu'elles sont encastrées dans les relations sociales » (Ponthieux, 2006 : 23). Plutôt que de statuer sur les types de liens qui facilitent les échanges comme le fait Coleman, Granovetter met 1'emphase sur les liens qui donnent accès aux ressources ayant le plus de valeur. Il appuie cependant l'hypothèse de Coleman selon laquelle les liens forts facilitent la confiance. Par contre, il affirme que les ressources qui circulent dans ces groupes fermés sont à l'évidence plutôt limitées (1973 : 46-47). En fait, il affirme que plus les liens entre deux personnes sont forts, plus il y a statistiquement de chances que ces personnes gravitent dans des cercles sociaux similaires ou qu'ils partagent une grille de lecture semblable. Les liens forts réduisent ainsi la possibilité d'avoir accès à de nouvelles informations et ressources. En revanche, les liens faibles supposent une relation plus distante avec des gens différents et donnent accès à une plus grande diversité d'opportunités et de ressources (Granovetter, 1973). Ses travaux portant sur la corrélation entre l'obtention d'un emploi et l'utilisation de liens faibles confirment son hypothèse (1973 : 72).

Cette valorisation des liens faibles va à 1'encontre de 1'opinion de Durkheim selon qui une société composée de liens faibles est à éviter, car il en résulterait une hausse de l'anomie

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responsable de plusieurs maux sociaux (Ponthieux, 2006). Dans leur article The Strenght of

Weak Ties You Can Trust, Daniel Levin, Rob Cross et Liza Abrams (2002) répertorient

plusieurs études appuyant la théorie de liens faibles comme facteur favorisant 1'accès aux ressources. Ils retiennent également de Granovetter et Coleman 1'importance du phénomène médiateur de la confiance qui agirait comme facilitateur de transactions et de cohésion sociale. Cette confiance dans les liens faibles serait influencée par la perception, à distance, basée sur la réputation ou d'autres indices, de la présence de trois éléments, soit (1) la bienveillance, préjugé favorable d'intention (2) la compétence, préjugé favorable de capacité, et (3) l'intégrité, préjugé favorable de la prédictibilité de l'autre (Mayer, Schrooman et Davis; 2007).

Sur le plan empirique, les chercheurs en réseaux sociaux utilisent généralement des méthodes quantitatives sophistiquées. Ce sont principalement les écrits de Jacob L. Moreno (1889-1974) qui servent de référence. Il est le fondateur de la sociométrie, un « instrument qui étudie les structures sociales à la lumière des attractions et des répulsions qui se sont manifestées au sein d'un groupe» (Moreno, 1954 : 53). Aujourd'hui, on pratique la sociométrie avec des logiciels d'analyse des réseaux sociaux (Social Network Analysis, par exemple) qui fonctionnent le mieux lorsqu'on connait déjà les limites d'un réseau (par exemple, l'étude d'une classe d'école).

2.1.2.2. Nan Lin et Ronald Burt : stratégie et gains de capital social

Nan Lin appartient au courant sociologique de la théorie des ressources. Comme pour ses prédécesseurs, chaque personne aurait accès à deux types de ressources, personnelles et sociales, lui permettant d'accéder aux autres ressources qui lui manquent et qui ont pour elle un intérêt (Lin, 1982). Inspiré par la théorie des liens faibles et le paradigme conflictuel, Lin part du principe que ce qui est vraiment recherché par tout acteur est une position avantageuse dans la structure sociale. Ainsi, il s'intéresse à la qualité des acteurs avec lesquels une personne ou un groupe est en lien, selon leur place dans la structure sociale et les ressources qu'ils permettent de mobiliser. Lin introduit donc l'importance des liens verticaux (le Linking de Woolcock, 2001), soit entre acteurs occupant différentes places dans une hiérarchie. Lin scinde en deux parties le capital social : les réseaux sociaux qui

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15 seraient des lieux de ressources et les contacts dans ces réseaux qui permettraient d'avoir accès à ces ressources (Lin, 1982 et 1995). Pour reprendre le vocabulaire des auteurs précédents, il s'agirait d'établir des liens faibles et de les renforcer à l'aide de stratégies.

Dans la même veine que Lin, Ronald Burt s'intéresse à ce qui fait qu'une stratégie d'échange est avantageuse pour un acteur (Mercklé, 2004). Il en conclut que l'importance n'est pas vraiment le lien hiérarchique, mais la structure des relations. S'appuyant sur la théorie du tertius gaudens de Theodore Caplow, Burt (1982) croit que l'avantage dans les relations sociales, ce qu'il nomme le capital social, apparait lorsque l'on connait des acteurs qui n'ont pas de liens entre eux (dans Mercklé, 2004). Devenir agent médiateur entre ces inconnus donne accès à des informations et des ressources de l'un qui pourraient intéresser l'autre. Une telle position procure des avantages pour soi-même en s'appropriant la réciprocité, en exploitant les conflits, etc. Cette perspective porte davantage sur les stratégies déployées pour des avantages personnels que sur 1'appréciation du capital social dans une communauté, ce qui n'exempte pas de repérer ce type de stratégie dans des communautés.

2.1.2.3. Alejandro Portes : mauvais capital social et risques

L'idée d'un mauvais capital social suppose une référence normative à ce que procurent les réseaux, comme le montre cette définition du capital social : « [...] the ability of actors to

secure benefits through membership in networks and other social structures » (Portes 1998

: 6). Il existerait une fermeture stratégique des groupes aux autres groupes, permettant de maximiser certains bénéfices. Selon Portes et Landolt (1996), il existe un risque que par ces fermetures stratégiques le capital social génère des effets indésirables pour les individus, les groupes et les collectivités. Il est possible d'imaginer que la multiplication de groupes stratégiquement fermés puisse ralentir le développement des communautés en augmentant les coûts d'échanges, en réduisant la mobilité sociale, en freinant l'inclusion sociale, en divisant les communautés, en encourageant par certaines sous-cultures le crime ou les comportements antisociaux, en renforçant de mauvaises habitudes de vie par la pression du groupe, et même en réduisant l'importance de la réussite scolaire par l'appartenance à tel ou tel groupe (Aldridge, Halpern et Fitzpatrick, 2002). Bourdieu l'a expliqué: le capital social

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n'aurait pas que des avantages, car il peut jouer en défaveur de certains individus, groupes, communautés ou sociétés. Pour Portes, le capital social représente une ressource qui doit être utilisée de manière responsable, afin d'éviter la production de problèmes sociaux. Déceler le mauvais capital social se fait à la lumière d'idéaux à atteindre ou à éviter.

2.1.3. L'approche communautarienne

L'approche communautarienne considère volontiers que le capital social contribue à la démocratie et au bien commun (Woolcock et Narayan, 2000). Ses principaux auteurs, Putnam et Fukuyama, centrent leur attention sur les groupes locaux (associations, clubs, organismes communautaires, coopératives, entreprises privées, etc.), plutôt que sur les individus eux-mêmes. Pour ces auteurs, davantage d'associations sur un territoire indique de meilleurs liens entre les individus, et donc davantage de capital social, et devient synonyme de vitalité communautaire prometteuse de développement économique et social.

2.1.3.1. La popularité de Putnam et controverses

Politicologue américain, Robert Putnam, est considéré comme 1'auteur ayant diffusé largement le concept de capital social autant chez les élites américaines (Bush père, Bill Clinton), dans la population en général, dans les milieux académiques que dans les organisations internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Mondiale et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) (Ponthieux, 2006). Il a contribué à cette popularisation grâce à la publication de son ouvrage Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community (2000). Putnam y affirme que le capital social américain, base de la société, selon lui, serait en déclin. Le discours alarmiste de 1'auteur soulève 1'intérêt des lecteurs, d'autant plus qu'il présente du même coup le capital social comme étant un one cure fits all où la solution aux maux sociétaux contemporains que sont l'individualisme, l'exclusion sociale, les inégalités économiques, le désengagement social, le déficit démocratique, la déresponsabilisation, etc. Sa définition n'a alors rien d'exceptionnel, mise à part sa simplicité : « social capital refer

to features of social organization such as networks, norms, and social trust that facilitate coordination and cooperation for mutual benefit » (Putnam, 1995: 67). La nouveauté de

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17 du capital social, mais surtout dans son approche communautarienne conférant une vertu presque eschatologique au capital social. Il est à noter que sa définition exclut l'idée de mauvais capital social qui ne serait en fait que l'absence du capital social idéal. Putnam propose, grosso modo, que la reconstruction des communautés passe par la mise en place des conditions favorables à 1'engagement des citoyens dans les différentes sphères de leur vie, et que cet engagement serait la clé du rétablissement du marché, de l'État et du lien social américain. Ces conditions favorables sont (1) la confiance et (2) les normes de réciprocité. Elles seraient la base et le déterminant des relations d'engagement (1) civique (2) politique (3) religieux (4) au travail (5) en volontariat (6) en don et (7) dans les réseaux informels de loisirs et de supports. Ces lieux d'engagement, quant à eux, seraient les instances intermédiaires incontournables entre les individus et la société dans son ensemble. Ainsi, sans liens de confiance partagée entre les gens, groupes et réseaux, l'engagement pour le mieux-être de la collectivité ne pourrait avoir lieu et se limiterait à des actions pour un mieux-être individuel ou du groupe d'appartenance, potentiellement sans égard à la qualité de vie des autres acteurs de la collectivité. Le manque d'engagement dans ces milieux témoigne d'une faible confiance communautaire et sociétale. En lien avec cette thèse, Putnam popularise également chez les académiciens un cadre d'analyse des réseaux sociaux en unissant les thèses de Coleman (force des liens forts) et de Granovetter (force des liens faibles). Il distingue le bonding, un capital social qui unit les gens semblables en relations fortes intragroupes, du bridging, un capital social qui relie les gens dissemblables en relations faibles intergroupes. Putnam privilégierait les liens forts de groupes combinés aux liens harmonieux unissant ces groupes. Ainsi, une particularité de son approche du capital social est qu'il s'en sert pour appuyer sa vision de ce qu'est «la bonne société démocratique »en décrivant l'articulation idéale des relations entre le citoyen et celle-ci. Ainsi, selon Putnam (2007), le défi central pour les communautés d'aujourd'hui, aux prises avec davantage d'individualisme et de diversité, est d'arriver à créer du capital social permettant le développement d'un nouveau « nous » inclusif (Kazemipur, 2009). Cette idée appuyée par une approche quantitative et une autorité académique est incontestablement attrayante pour plusieurs acteurs et est vite récupérée par maints gouvernements et institutions internationales.

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Putnam s'appuie sur plusieurs auteurs importants. Il s'inspire de Coleman, des théoriciens des réseaux sociaux, ainsi que de la philosophie politique de De Tocqueville pour qui, au 19e siècle, la pierre angulaire de la démocratie américaine repose sur la tendance à s'associer pour arriver à ses fins, une disposition qui, selon Putnam, est stimulée par le capital social (Putnam, 1993 : 167). Son approche se distingue toutefois de celle Tocqueville (et Fukuyama) du fait qu'il sépare les associations égalitaires des associations hiérarchiques (entreprises libérales et publiques), accusant les secondes d'attiser les comportements opportunistes au mépris du bien mutuel. Putnam s'inspire aussi de la théorie du familiarisme amoral de Banfield, basé sur l'hypothèse que ce sont les valeurs véhiculées dans la culture et incorporées par les individus qui déterminent les actions sociales et économiques au quotidien (Ponthieux, 2006). Ainsi, certaines cultures rendraient des individus incapables de relations conviviales hors de leur famille ou de leur cercle restreint. Cette attitude basée sur un manque de confiance intergroupe minerait la capacité de développement de la communauté (Putnam, 1993). Putnam fait donc l'hypothèse que la confiance d'abord développée par les citoyens dans les coopératives et milieux associatifs serait l'élément premier de tout développement économique et social local.

La méthodologie qu'emploie Putnam (1993) pour appuyer ses hypothèses n'arrive pourtant pas à convaincre l'ensemble du milieu académique (Ponthieux, 2006). Déjà plusieurs recherches infirment ou nuancent plusieurs de ses hypothèses. Woolcock et Narayan (2000 : 230), experts du capital social engagés par la Banque Mondiale, affirment que plusieurs recherches et observations confirment qu'il existe des communautés où la présence de plusieurs associations démocratiques et d'une forte solidarité communautaire ne sont pas associées à un développement économique significatif. Theiss-Morse et Hibbings (2005) quant à eux présentent des résultats empiriques selon lesquels la participation aux associations démocratiques ne crée pas nécessairement de la confiance entre pairs (interpersonnal trust), car les conflits et la vie démocratique n'y sont pas toujours bien gérés et finissent par restreindre l'engagement social. Toujours selon la même étude, même lorsqu'une telle confiance est générée, il est rare qu'elle soit transférée dans les relations hors du groupe (generalised trust), parce que les associations ont tendance à vivre une homogénéisation de leur membership qui en vient à se différencier d'une partie ou du reste de la communauté. Ohmer et Beek (2006) remarquent le même phénomène : les personnes

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19 engagées dans une association et qui développent un sentiment de capacité collective (collective efficacy) ont tendance à ne pas transférer cette confiance au reste du quartier et tentent plutôt de déplacer la gouvernance des actions locales vers leur propre association. Ainsi, ces arguments peuvent indiquer qu'il y a de nouvelles nuances à ajouter à la thèse associationiste de Putnam pour qui il n'y avait qu'un seul modèle général d'organisation démocratique et une seule conclusion à tirer de la présence d'un grand nombre d'associations sur un territoire.

D'autres détracteurs de Putnam lui reprochent de construire des liens fictifs de causalité, d'avoir fait des choix incomplets d'indicateurs de mesure (ne prenant pas suffisamment en compte tous les lieux d'engagements comme internet ou les groupes anonymes) et d'user d'arguments circulaires (Sztompka 1999 : 196; Edwards et Foley, 1997 ; Misztal, 2000: 121). Une autre critique de la thèse de Putnam vient du fait que la confiance et la réciprocité seraient à la fois les bases de l'engagement et son résultat en plus d'être des indicateurs du capital social et de ses influences (Misztal, 2000; Woolcock, 1998; Field, 2003). Par ailleurs, la plupart des auteurs remettent en question les hypothèses de Putnam quant aux causes du déclin du capital social américain que seraient les effets pervers de la télévision et des nouvelles technologies, de l'entrée des femmes sur le marché du travail, de la nouvelle mobilité géographique ainsi que des changements démographiques (Edwards et Foley, 1997). On lui reproche d'écarter l'hypothèse voulant que la baisse de l'engagement des Américains puisse être un résultat du démantèlement de l'État-providence. D'ailleurs, l'hypothèse du rôle de la télévision dans le rôle du déclin du capital social a été en partie infirmée par Moy, Scheufele et Holbert en 1999.

La popularité de Putnam le place au centre de maints débats, dont celui sur le rôle de l'État dans la société américaine. Il s'agit d'un sujet qu'il tentera d'éviter en insistant sur le fait que la santé de la société dépend des groupes communautaires tout en se défendant de soutenir le désengagement total de l'État (Ponthieux, 2006). Les références à Putnam deviendront des occasions de se prononcer en faveur ou non de l'interventionnisme de l'État dans une diversité de secteurs. Il est à noter que les propos de Putnam associés au communautarisme sont généralement critiqués par les tenants de la philosophie politique dominante aux États-Unis, le libéralisme, car cette idée d'une communauté entière partageant des normes de

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réciprocité fait craindre pour la liberté des individus, même si on inclut cette vision dans un contexte démocratique (Etzioni, Volmert et Rothschild, 2004).

Les nombreuses controverses étant présentées, il demeure que sa thèse est simple, séduisante et culturellement résonnante : « la réciprocité généralisée vaut mieux que la méfiance » (Ponthieux, 2006 : 56). En dépit des nombreuses critiques à son égard, l'approche de Putnam fut récupérée par maintes institutions gouvernementales et internationales, peut-être à cause de la force de son message, du momentum de sa diffusion avec le contexte sociétal d'individualisation et de son utilité dans les plans de certaines organisations.

2.1.4. L'approche institutionnelle-synergique

Avant de présenter cette approche, il convient de revenir sur des éléments de contexte expliquant l'intérêt croissant pour le capital social à partir des années 1990. L'engouement des institutions internationales néolibérales pour le capital social, ses outils de mesures et l'intervention en sa faveur débute officiellement avec le projet Social Capital Initiative lancé par la Banque Mondiale en 1996 (Ponthieux, 2006). Malgré des résultats de recherche encore ambigus depuis les années 1990, le FMI, l'OCDE et la Banque Mondiale poursuivent leurs investissements en recherche et sur le plan des interventions. Plusieurs auteurs dont l'économiste Joseph Stiglitz associent cet engouement à une tentative des néolibéraux de nier la nécessité de changer le modèle stratégique de développement, soit la privatisation et la dérégulation, qui a des conséquences sociales « parfois dévastatrices » et des effets économiques « souvent discutables » (Ponthieux, 2006 : 77). Selon certains académiciens comme Ben Fine ou Bowker et Star, l'approche institutionnelle ne serait pas vraiment une perspective de recherche, mais un filtre de sélection des résultats visant à justifier un nouveau type d'intervention (Ponthieux, 2006).

L'approche synergique émerge parallèlement à l'approche institutionnelle et s'y associe, profitant du financement croissant des projets. Elle est caractérisée par une démarche plus scientifique qu'idéologique et davantage empirique que théorique (Woolcock et Narayan, 2000). Les penseurs de l'approche synergique sont des académiciens, des professionnels et des universitaires qui développent de nouvelles conceptualisations du capital social en

Figure

Figure  1 : Deux conceptions du  capital  social : bien stratégique  (à gauche)    ou bien commun  (à droite)
Figure  2 : L'articulation  des dimensions  du capital  social selon Ruuskanen
Tableau  2 -La dimension  structurelle  du  capital  social
Tableau  5 : Prescriptions  d’Harpham  (2008) pour  l’élaboration  de questionnaiers  Dimensions du
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