ÉDUCATION
À
L'ENVIRONNEMENT DES ZONES ARIDES
ENJEUX, PRATIQUES, ACTEURS
Farida KHAMMAR*, Thérèse GERNIGON*, Pierre CLÉMENT** * Cellule Didactique, I.S.N.- U.S.T.H.B., Alger
**
L.I.R.D.H.I.S.T., Université Claude Bernard - Lyon 1MOTS-CLÉS: ÉDUCATION A L'ENVIRONNEMENT - ZONES ARIDES - .,
CLUB DE BIOLOGIE CLASSES VERTES MUSÉE SCIENTIFIQUE -
SALLEPÉDAGOGIQUE-CARAVANESVERTES-RÉSUMÉ; Une expérience d'Éducationàl'Environnement en zone aride (Sahara algérien, oasis de Béni-Abbès) est décrite: les enfants en sont les principaux acteurs, et ont l'occasion de travailler avec des chercheurs, puis de meneràterme un Projet qui les amèneàpartager leurs messages avec les autres enfants de l'oasis, avec les enfants des autres oasis, avec les associations et même avec les autorités locales. Des enseignants jouent le rôle d'animateurs et de médiateurs.
SUMMARY: An Environmental Education experience in desert (Algerian Sahara, oasis of Béni-Abbès) is described : the pupils were the main actors. They had to work with searchers, and then to realize a Project. Consequently, they had to present their messagestoother children of the oasis, to children of other oasis, to different associations, and even to local authorities. The teachers diplaid the role of organizers and mediators.
1. INTRODUCTION
Dans le Sud-Ouest du Sahara algérien, la station de recherche sur les zones arides de Béni-Abbès (300
7N, 2°IOW) attire des scientifiques algériens et de nombreux autres pays, tout en étant aussi un lieu d'éducation culturelle et environnementale pour les wilayates du Sud-Ouest, et au delà. La station abrite un Musée pluridisciplinaire (Sciences de la Nature et de l'Homme), mis en place par les premiers chercheurs dès 1942. Pour répondre à la curiosité grandissante des enfants et de leurs enseignants, une salle pédagogique a été créée à l'intérieur du Musée, avec l'ambition de transmettre aux jeunes générations aussi bien le sa voir ancestral des anciens que les connaissances scientifiques des chercheurs sur les zones arides. Animée par des enseignants de Biologie de Béni-Abbès, elle est la charnière, le lieu de rencontre entre chercheurs, enseignants et enfants. De nombreuses écoles viennent de toutes les régions algériennes pour visiter le Musée et participer à l'animation pédagogique proposée aux enfants. En s'appuyant sur les acquis de la recherche scientifique menée depuis des années à Béni-Abbès sur les zones arides, cette initiative pédagogique permet d'atteindre les objectifs suivants:
*
initier les enfants à l'écologie dès leur jeune âge;*
éveiller leur curiosi té envers leur environnement aride, et donc leur apprendre à mieux le protéger;*
favoriser les liens entre enseignements du Moyen et du Secondaire avec ceux du Supérieur;*
promouvoir une meilleure Didactique de la Biologie et de l'environnement;*
poursuivre des travaux de recherche sur la faune et la flore des zones arides;*
valoriser les créations des enfants;*
fournir des outils de documentation sur l'environnement saharien aux enseignants du Moyen et du Secondaire ;*
réaliser des "classes vertes" au Sahara;*
initier des sentiers de découverte;*
promouvoir par la publication la diffusion des documents réalisés: livres et fiches documentaires pédagogiques, diaporamas, films vidéo, illustrations et fiches techniques;*
enfin, sensibiliser les touristes et le grand public à la protection de l'environnement qu'ils traversent par des brochures d'information.L'ensemble de ces initiatives permet de responsabiliser à des thèmes environnementaux de grande importance : problème de l'eau, problème du sol, espèces florales ou animales protégées et/ou menacées, etc.
2. PRÉSENTATION DES PRATIQUES 2.1 Le contexte institutionnel
En juillet 1997,leMinistère algérien d'Enseignement Supérieur a agréé un projet intitulé Protection du Patrimoine Saharien, proposé par les chercheurs, les enseignants et les autres travailleurs de la Station de Béni-Abbès.Deplus, un agrément du Ministère de J'Intérieur de des Collectivités locales est attendu, pour une Association Algérienne d'Éducateurs à l'Environnement, dont les
membres fonda teurs sont des chercheurs, des enseignants et des représentants du Secrétariat d'Étatà l'Environnement. Ces programmes concrétisent une volonté partagée sur les points suivants:
*
La Protection de l'Environnement, et plus particulièrement de l'écosystème saharien, doit être prise en charge par tous: chercheurs, enseignants, élèves, grand public (figure 1) ;*
Les connaissances scientifiques acquises par les chercheurs au cours d'études écologiques et physiologiques sur les espèces sahariennes (animales et végétales) doivent être transmises aux équipes d'animateurs (souvent animées par des enseignants de Lycées, de Collèges et même du Primaire) qui prennent en charge "l'éducation environnementale" afin qu'elle fasse partie de la culture des algériens.2.2 Le Club de Biologie
Le point de départ des pratiques qui sont brièvement présentées ci-dessous est l'existence,à Béni-Abbès, d'un Club de Biologie qui a permis, et permet encore, aux enseignants, bénévoles et élèves du Collège de se retrouver chaque semaine. Le nombre d'adhérents de ce Club est en constante augmentation depuis sa création en 1990. Des séances débats avec les chercheurs lors de leur mission dans la région, ont pennis de répondre à la curiosité des enfants.
EvolutIOn au cours des années 1992 : 12enfants 1996 :17enfanlS (8 garçons, 9 filles) 1997 : 22 enfants
Eventail des âges
1996 1997 17 ans: 1 3 16 ans: 1 3 15 ans:1 3 14ans:4 9 13 ans: 9 3 12 ans: 1 2
Meller des parents
1996 1997 Fonctionnaires 5 8 Emplois tech--niques: 3 2 Médecins: 0 2 Retraités: 1 3 Sans profes--sion: 1 4 Décédés: 2 2 Fldehté dans le club sur 22 enfants en 1997 : sont au club depuis:
*
<1 an : 6*
2 ans: 5*
5 ans: 5*
6 ans:3*
7 ans:3 2.3 Ateliers thématiques Ces ateliers ont été initiés par :*
des concours (expression écrite, oral, dessins) en avril 1992 ;*
des enquêtes auprès de la population; avec notamment des questionnaires thématiques.Ils ont permis aux enfants de réaliser eux-mêmes des maquettes et un petit musée à "intérieur du collège de Béni-Abbès. Une documentation a été peu à peu accumulée sur la flore et la faune de la région, d'abord sous forme de fiches, puis de diaporamas. Deux films vidéo ont été réalisés dans ce contexte:Deux Rongeurs de Béni-Abbès et Le Lézard des palmiers, Uromastix acanthinirus (Gernigon et al., 1997). Ces deux films, qui ont été produits en arabe, en
français et en anglais, présentent la vie de ces espèces pour sensibiliserà la protection de leur environnement. Un livre est en préparation surLavie animale dans le désert expliquée aux enfants.
Plusieurs thèmes ont été abordés dans ces ateliers thématiques: adaptations de la flore locale, eau, recyclage des déchets en jouets d'enfants, protection des sites préhistoriques, artisanat local. Un exemple: le thème de l'eau. Il a été proposé à partir des observations des enfants sur le terrain, et à partir de questions qu'ils ont posées, telles que: "Comment des plantes comme l'Acacia dans l'oued, le Chou fleur de Bouhamama dans le reg, et le Retam dans l'erg, survivent-ils dans le Sahara et restent-ils toujours verts ?" ; ou encore: "Mise à part la grande source (de Béni-Abbès), d'où vient l'eau 1" et "Comment est utilisée l'eau de l'oued qui ne se remplit qu'au moment des grandes crues?"Une exposition de photos et un diaporama sur ce thème (grande source de Béni-Abbès, foggara, puits, oued et ses crues) ont été réalisés et présentés par les enfants eux-mêmes aux autorités locales lors de l'inauguration de la classe verte. Des tables-rondes "Eau et Santé", "Eau et désertification" ont été l'occasion de fructueux débats lors de cette classe verte. Deux maquettes, réalisées par les enfants, représentaient tous les modes d'irrigation dans la palmeraie, ainsi que le lagunage biologique des eaux usées (Figure 2). Elles ont permis une sensibilisation de la population de l'oasis visitant le musée du Collège. En zone saharienne, les problèmes liés à l'eau sont effectivement prioritaires:
*
gestion et économie de l'eau (politique générale, mode d'alimentation, recouvrement des coûts);*
problèmes de désertification liésà la sècheresse et au manque d'eau;*
connaissance des mécanismes d'adaptation des plantes et animaux au manque d'eau;*
problèmes de santé liésà l'eau.Depuis cette date, le Club de Biologie organise, pendant les vacances d'hiver, des caravanes vertes vers les autres enfants des oasis. C'est l'occasion pour les enfants de partager ce qu'ils ont découvert, et ils utilisent pour celà une exposition photos, des films, des diaporamas. Ils effectuent des enquêtesà partir de questionnaires (sur l'utilisation de l'eau, et les connaissances sur l'eau qu'ont les habitants de l'oasis). Ils organisent des débats rassemblant la population locale le soirà la veillée. En mai 1997, les ont pu exposer leur poster au Congrès des jeunes chercheurs de Beauvais: "L'Eau et l'Homme". Actuellement, une enquête plus précise est réalisée auprès de la population de Béni-Abbès pour connaître l'origine de l'eau utilisée (source, foggara, puits), pour évaluer les besoins quotidiens en eau (pour la maison, le jardin, ...), et pour connaître enfin le mode d'évacuation des eaux usées.
3. DISCUSSION
3.1 Rendre l'enfant acteur
Dans toutes les activités rapportées ci-dessus, les enfants ont joué un rôle moteur impressionnant. Ils ont été acteurs et actifs, responsables dans le déroulement des enquêtes dont ils se sont chargés, dans leur volonté d'en savoir plus, puis dans leur volonté de partager leurs messages avec les autres enfants de l'oasis, avec les enfants des autres oasis, avec les associations et même avec les autorités locales. Cette responsabilisation est sans doute largement responsable des changements d'attitude qui ont été clairement observés chez ces enfants: non seulement par leurs acquisitions de connaissances,
mais aussi par la clarification des valeurs qui sous-tendent leurs nouvelles pratiques. L'acquisition de nouvelles connaissances a été facilitée par le contact personnel qu'ils ont établi avec les chercheurs, mais aussi lors des interviews qu'ils ont effectués, ou encore à l'occasion de visites d'élevage ou de sorties sur le terrain.
Le travail des enfants était encadré par un enseignant, mais il s'effectuait de façon assez autonome en équipes, dans une salle organisée et contenant de la documentation. Il y a eu de la part des enfants une réelle dévolution du problème proposé par l'enseignant: dévolution qui est devenue source de motivation et de responsabilisation. Celle démarche, qui est assez proche de celle d'un chercheur qui se confronteàune question de recherche, puis veut transmettre les résultats qu'il a obtenus, est typiquement celle de la Pédagogie active (Freinet, ...), souvent reprise dans la Pédagogie de Projet (par exemple par le RéseauÉcole el Nature). Elle permet des apprentissages multiples, qui ont ici clairement été constatés par l'évolution des enfants au fur etàmesure qu'ils s'investissaient dans ces activités.
3.2 Mobiliser les chercheurs
L'ensemble de ces activités, largement nourries par la curiosité et l'investissement des enfants, a aussi favorisé une plus grande ouverture de Centre de Recherche de Béni-Abbès sur les Zones Arides, en créant des liens directs entre la population de l'oasis et les chercheurs de passage. Ces liens ont souvent été sources de motivations pour les chercheurs, et ont même parfois provoqué une nouvelle orientation de leurs recherches.
Cependant, les relations avec les chercheurs n'ont pas toujours été sans problèmes:
*
difficultéàcomprendre les actions, les situations, ou les activités des élèves;*
difficulté pour les apprenants et l'équipe de médiation àcomprendre leur langage et leurs interventions.3.3 Formation de formateurs
Les animateurs de Club de Biologie sont la véritable interface entre les enfants et les chercheurs. Ces "médiateurs" sont, pour la grande majorité d'entre eux, des enseignants de Collège qui ont choisi celle voie bénévolement, et qui fonctionnent de manière empirique, sans formation spécialisée pour ces tâches d'animation ou de médiation.
Celle formation nécessiterait de véritables stages de recyclage des enseignantsà l'Éducation à l'Environnement. De tels stages permettraient aussi de former de nouveaux spécialistes qui pourraient être ensuite recrutés pour assumes ces fonctions au niveau associatif, ou dans les administrations locales. Un premier stage, regroupant des responsables d'auberges de jeunesse et des jeunes scientifiques, est en cours d'organisation et devrait donner un coup d'envoi à ce type de formation. Au niveau officiel, une prise en charge d'un lei programme de formation est actuellement envisagé, avec des objectifs clairs: ce qui devrait officialiser l'insertion de l'Éducationà l'Environnement dans les programmes scolaires.
4. CONCLUSION UNE ÉDUCATION À L'ENVIRONNEMENT EN ACTES Les activités que nous venons de rapporter illustrent des actions d'Éducation à l'Environnement, qui s'inscrivent dans une logique de Pédagogie de Projet et la prolongent jusqu'à la création d'un petit musée de Collège et à l'intervention des enfants auprès des autorités locales sur des problèmes d'Environnement. Nous sommes en train actuellement de mener en parallèle la poursuite et le développement de ces activités. tout en y intégrant une évaluation plus précise de leurs effets sur les enfants, et en les analysant de façon à identifier ce qui peut être mis en œuvre dans des contextes autres que les zones arides sahariennes: bref en contribuant à la Didactique de l'Environnement.
BIBLIOGRAPHIE
CONGRÈS DES JEUNES CHERCHEURS, L'eau et l'homme, Actes du Colloque Science et
conscience, 6 mai 1997, Beauvais: C.DD.P. de l'Oise Il.U.F.M. Amiens.
GERNIGONT., KHAMMAR F., CLÉMENT P., Le patrimoine biologique en films: "Deux Rongeurs de Béni-Abbès", "Le Lézard des Palmiers", Actes des XIXes Journées internationales sur l'éducation scientifique, 1997, A. Giordan, J.-L.Martinand, D. Raichvarg ed., Univ.Paris Sud), 19, pp 357-262.
GIORDANA, SOUCHON
c.,
Une éducation pour l'Environnement, Nice: Z'éditions, 1991. RÉSEAU ÉCOLE NATURE,La Pédagogie de Projet, outil d'Éducation à l'Environnement, Éd.Réseau École & Nature (Maison de l'Environnement, Montpellier), 1994.
Fig.l - L'écosystème saharien: le plateau ou hamada, en arrière-plan; l'oued, au centre et l'erg au premier plan (photo Gemigon).
Fig.2 - Les enfants du club de Biologie présentant leur maquette du lagunage biologique des eaux usées (photo Gemigon).
