LE PROJET EUROPÉEN MOTIVATION :
« PROMOTING POSITIVE IMAGES OF SET IN YOUNG PEOPLE
UNDER GENDER PERSPECTIVE »
Anne-Sophie GODFROY-GENIN, Cloé PINAULT,
UMR STEF ENS Cachan/INRP UniverSud & Université Paris 12-IUFM de Créteil
MOTS-CLÉS : GENRE – ADOLESCENTS – REPRÉSENTATIONS DES SCIENCES ET TECHNIQUES – PROFESSIONS SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES – ORIENTATION
RÉSUMÉ : Cet article présente le projet de recherche européen MOTIVATION, qui porte sur l’analyse des images de la science, de la technologie et de l’ingénierie auprès des jeunes de 15 à 17 ans, et sur leur impact au moment du choix d’une orientation professionnelle. Cette recherche, basée sur un processus d’échange entre différents partenaires européens, se situe dans le domaine des études de genre. Les équipes effectueront d’abord un état de l’art des recherches déjà menées dans ce domaine, suivi d’une analyse des supports qui proposent des images des sciences et techniques. Des enquêtes de terrain auprès des jeunes, des professeurs, des conseillers d’orientation et des parents d’élèves compléteront l’étude. Au final, des recommandations pour changer ces images seront proposées.
ABSTRACT : The paper will report about the idea, aim and concept of the European Commission project MOTIVATION starting 2008 and lasting two years. This coordination action will compile an exchange between the partner countries about different factors, which influence the image of sciences and technology. A comparative state of the art and an analysis of existing SET images will be conducted. A comparison of initiatives aiming on raising attractiveness for science and technology of young people in a practical and appealing way will give information about successful measures to change the attitudes of adolescents in relation to the image of science and technology. Best practice examples will be proved and further developed.
1. INTRODUCTION
Cette communication présente un projet de recherche en cours, le projet MOTIVATION, projet de recherche financé par l’Union Européenne pour une durée de vingt-quatre mois à partir de février 2008, au cours du 7e programme cadre. MOTIVATION s’inscrit donc dans le contexte particulier des appels à projets de la Commission Européenne et repose sur quelques hypothèses issues des préoccupations de la Commission. Pour les résumer, nous pourrions les formuler ainsi : - les métiers scientifiques et technologiques sont essentiels à la prospérité économique de
l’Europe ;
- ces métiers sont peu attractifs auprès des jeunes Européens : le nombre d’étudiants en sciences et technologie a par exemple décliné significativement entre 1998 et 2004 en Autriche (-23 %), Danemark, Italie, Allemagne, Hongrie et Finlande (OCDE 2006) ;
- l’Union Européenne doit assurer l’égalité des chances de l’ensemble des citoyens, donc en particulier, la participation des femmes aux débats citoyens et à la recherche scientifique, dans un souci de justice sociale.
Pour toutes ces raisons, la Commission Européenne a financé et finance de nombreux projets de recherche dans le dessein d’augmenter l’attractivité des sciences et technologie auprès des femmes, d’augmenter le vivier de recrutement potentiel et d’assurer une égalité des chances. Ces préoccupations ont permis de nombreuses recherches sur les études supérieures et les carrières (rapport ETAN, projets INDECS, WOMENG, PROMETEA, WOMEN-CORE, WIST, WIR, etc.). Les appels à projet s’orientent maintenant vers des sujets qui concernent l’enseignement des sciences dans l’éducation primaire et secondaire, la diffusion de la culture scientifique et l’orientation1.
MOTIVATION porte sur les choix d’orientations des adolescents et les facteurs qui les influencent. Deux séries de facteurs influenceraient leurs choix d’après Wintermantel2 : d’une part des facteurs individuels comme les centres d’intérêts, la réussite dans certains domaines, les désirs, les valeurs, d’autre part les caractéristiques du métier, sa représentation dans les médias, les offres d’emploi, l'expérience directe ou indirecte que l’on peut en avoir. Ces caractéristiques sont souvent stéréotypées et ne correspondent pas avec la réalité. Les jeunes ont notamment une représentation obsolète et stéréotypée des métiers scientifiques et techniques. Les deux stéréotypes les plus fréquents sont celui du « lonely nerd », un garçon fou de technologie, de préférence boutonneux,
1 On consultera sur ce sujet les programmes de travail du 7e PCRD.
qui en oublie toute vie sociale, ou du « conservative tinkerer »3, un bricoleur conservateur. Ces représentations des métiers scientifiques et techniques sont en outre la plupart du temps associées au genre masculin comme l’ont démontré les études de genre, notamment les travaux de Judy Wajcman (Wajcman, 1991).
Le projet MOTIVATION est organisé autour de quatre objectifs :
- identifier et analyser les différents facteurs qui influencent la représentation des sciences et techniques, notamment dans leur dimension de genre, auprès des jeunes dans les différents pays partenaires du projet ;
- comprendre comment ces représentations sont construites et influencent les choix d’orientation ;
- identifier et comparer les initiatives pour changer les représentations des sciences et techniques et augmenter leur attractivité auprès des jeunes, en particulier des jeunes filles ;
- proposer des bonnes pratiques et des actions pour élargir le vivier potentiel de futurs scientifiques, y compris dans l’enseignement technologique et professionnel, et ouvrir davantage de perspectives de carrières scientifiques aux filles.
La recherche sera conduite de février 2008 à janvier 2010 par les partenaires suivants : en Autriche, Christine Waechter et Anita Thaler (Uni. Klagenfurt), en France, Anne-Sophie Genin et Cloé Pinault (ENS Cachan), en Allemagne, Felizitas Sagebiel et Jennifer Dahmen (Uni Wuppertal), aux Pays-Bas, Els Rommes (Radboud Universiteit Nijmegen), en Slovaquie, Natasa Urbancikova (T U Kosice), en Espagne, Carme Alemany (CEDIS), en Suède, Bodil Davidsson Holmqvist (Aasbacka Ordtjaenst AB).
Le projet est structuré autour de cinq « workpackages » : la coordination (WP1) est assurée par l’université de Wuppertal, l’étude des représentations des sciences et techniques dans les medias (WP2) par l’université de Klagenfurt, l’étude des représentations des sciences et techniques dans l’enseignement secondaire (WP3) par l’École Normale Supérieure de Cachan, les conséquences de ces représentations sur l’orientation des jeunes par Radboud University, les bonnes pratiques et recommandations (WP5) par le partenaire suédois.
3 Bo Dahlbom et Lars Mathiassen, 1993. Computers in Context: The Philosophy and Practice of Systems Design. Cambridge, Mass.: NCC Blackwell.: Modern societies have engineers, illiterate societies have bricoleurs or tinkerers. As engineers. we organize our thinking in projects, choosing means and tools once the aim of the project has been decided. As tinkerers, we use what we have, letting our means and tools determine what we do. As engineers, we set our goals first, often having to invent tools to be able to reach them. (p. 173)
2. LE PROGRAMME DE TRAVAIL DE MOTIVATION
Les films, séries, clips, publicités, etc. sont le reflet de la réalité sociale mais contribuent également à la construction de représentations culturelles dominantes. Ces sources d’information non officielles deviennent de plus en plus importantes dans les choix d’orientation des adolescents. En effet, l’intérêt pour les sciences et techniques est fortement corrélé aux expériences extra-scolaires comme l’ont montré les travaux de Trumper (2006), ou l’enquête internationale ROSE « The Relevance of Science Education4 ». Les séries télévisées ou les magazines sont des conseillers d’orientation officieux qui offrent de nombreuses informations et occasions d’identification. La possibilité de s’identifier à des personnages est en effet un élément essentiel du rôle des médias dans des choix d’orientation qui reposent en partie sur des choix d’identification, comme l’ont montré Schreiner et & Sjøberg : An educational choice is an identity choice (Schreiner & Sjøberg, 2006).
Après un état de l’art dans chaque pays partenaire, il s’agira d’identifier dans chaque pays, dans la presse écrite et les émissions télévisées, quelques médias influents et représentatifs dont on analysera les contenus. Ces contenus seront analysés dans une perspective de genre en considérant à la fois les informations implicites et explicites sur les sciences et techniques qu’ils véhiculent, mais aussi leurs interactions avec le « spectateur actif » (Livingstone, 1998). La presse généraliste et la presse spécifiquement destinée aux adolescents seront étudiées. Ces études seront complétées par des entretiens et des ateliers avec des journalistes et des professionnels des médias. Le programme de travail ne comporte pas d’étude des représentations dans les jeux vidéos et les sites internet, ce travail reposerait sur des méthodologies d’analyse différentes et élargirait considérablement le champ de recherche, il semble impossible de les mener dans de bonnes conditions dans le temps imparti pour le projet MOTIVATION. Ces questions seront à étudier de manière approfondie dans d’éventuels projets à venir.
L’étude des représentations des sciences et techniques dans l’enseignement secondaire s’appuie sur l’hypothèse que l’école tend à reproduire de manière inconsciente des inégalités sociales et de genre à travers un langage, des représentations, des attitudes, etc. Comme l’ont montré Marie Duru-Bellat pour l’enseignement secondaire et Claude Zaidman pour l’école primaire, les différences de genre sont construites à l’école à travers les relations entre pairs, les attitudes des professeurs envers les élèves, enfin par les représentations véhiculées par le matériel pédagogique et les programmes (Duru-Bellat 2004, Zaidman 1992). Alors que l’école se propose explicitement de promouvoir
l’égalité, ces inégalités restent le plus souvent implicites. Elles ne deviennent apparentes qu’au moment des choix d’orientations. Néanmoins, si l’école est un lieu de reproduction des inégalités de genre, elle peut aussi être un lieu de réflexion contre les stéréotypes si les professeurs sont sensibilisés à ces questions.
La problématique du WP3 s’organisera donc autour de ces deux questions : d’une part, comment se construit à l’école une représentation genrée des sciences et techniques, d’autre part, comment cette représentation peut être modifiée par des mesures et des actions adéquates.
Après un état de l’art sur ces questions, l’influence des pairs et les relations entre élèves seront étudiés dans des ateliers de discussion avec des jeunes de 15 à 18 ans, dans différents contextes scolaires, et complétés par des observations dans les classes. L’étude de l’influence des professeurs sera conduite à travers des focus group et des entretiens avec des professeurs. Une analyse des
curricula et du matériel pédagogique ainsi que de la culture institutionnelle et de la formation des
professeurs complétera cette approche. Dans un troisième temps, le rôle de l’école dans l’orientation sera analysé d’une part à travers les brochures, publications et outils d’orientation proposés aux élèves, d’autre part à travers des entretiens avec des conseillers d’orientation. Des focus groups avec des parents, des professeurs, des conseillers et des jeunes fourniront une approche intégrée des différentes représentations étudiées.
L’étude des conséquences des représentations véhiculées par les médias et par l’école sera l’objet du WP4. On se demandera principalement comment la construction des identités de genre, sexuelles, ethniques, sociales, influent sur les choix, en reprenant les hypothèses avancées par Els Rommes dans une précédente étude menée aux Pays-Bas (Rommes et al.2007). Cette étude montrait que le choix se ferait à partir d’un prototype de la profession sur la base « self-to-prototype matching » ou l’adéquation du prototype avec l’identité personnelle. Ce prototype peut être directement connu, par exemple à travers une personne proche qui exerce la profession, soit indirectement, à travers les médias. Le prototype peut correspondre ou non à la réalité, et les jeunes peuvent en être conscients ou pas. Dans certains cas, les critères qui l’emportent sont complètement indépendants de l’activité professionnelle elle-même. Par exemple, des jeunes peuvent souhaiter s’engager dans une profession à cause de l’attractivité sexuelle d’un héros de série télévisée qui exerce la profession dont il est question.
Après un état de l’art et la consultation d’un groupe d’experts, des entretiens qualitatifs avec des adolescents seront conduits de manière à comprendre d’où ils tirent leur information sur les métiers, 4 Sur l’enquête ROSE, on consultera le site du projet : http://www.ils.uio.no/english/rose/about/rose-brief.html
comment ils construisent leur identité de genre à partir de leur histoire et des représentations publiques des sciences et techniques, et finalement comment ils font coïncider leur propre identité et celle d’une profession, c’est-à-dire comment ils choisissent leur orientation. Pour mieux évaluer l’impact d’autres facteurs dans la formation de l’identité comme l’ethnicité, l’orientation sexuelle, etc., des focus goups dans des lycées dans différents contextes seront mis en place, avec la participation d’associations, au moins dans certains pays, car ces questions peuvent être difficiles à aborder dans certaines cultures alors qu’elles sont communément débattues dans d’autres. Des comparaisons entre les représentations des adolescents et celles des médias et de l’école d’une part, d’autre part des comparaisons entre pays, permettront ensuite de dégager l’origine des stéréotypes et les éléments sur lesquels agir pour les changer.
L’étude des bonnes pratiques concernant les représentations des sciences et techniques à l’école et dans les médias sera conduite à partir d’études de cas. On s’attachera à dégager les raisons du succès ou de l’échec de ces pratiques et leur transférabilité dans d’autres contextes, comme dans le cas de projet suédois KomTek, par exemple. Ces études de cas seront complétées par des propositions de mesures pour améliorer la sensibilité des conseillers d’orientation, des professeurs et des associations de parents au genre et aux sciences et techniques. Un recueil d’informations sur les bonnes pratiques qui contribuent à l’attractivité des études scientifiques comme la coopération avec l’industrie, les rencontres, les parrainages, etc. sera établi.
3. QUESTIONS ET ATTENTES
Le projet MOTIVATION soulève d’abord les questions méthodologiques incontournables dans les projets qui reposent sur des comparaisons internationales, et particulièrement délicates à résoudre lorsqu’il s’agit de comparer des scolarités secondaires qui ont des spécificités fortes dans chaque pays. Puisque tous les pays réaliseront des enquêtes pour tous les workpackages, le coordinateur de chaque WP devra proposer une analyse comparative des résultats. Sa validité posera des problèmes d’harmonisation des traductions, des publics à interroger (en terme d’âge, et de filières). Les difficultés sont liées à la diversité des systèmes éducatifs européens qui proposent des âges et des processus d’orientation différents selon les pays. L’orientation peut se faire très progressivement ou par des bifurcations presque sans retour possible, à des moments différents de la scolarité, d’où les difficultés à comparer différents pays.
Une autre question importante est celle de la définition du périmètre de l’étude. Les sciences et techniques incluent-elles l’enseignement technologique et professionnel et jusqu’où ? Dans la
mesure où le temps imparti pour cette étude est assez court et où la demande explicite de la Commission Européenne semble porter sur le manque de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens, il est vraisemblable que les questions liées à l’enseignement professionnel seront réservées à un projet ultérieur.
La question des populations retenues pour l’enquête et de leur représentativité apparaît comme un dernier point clé, car on peut se demander quelle situation est représentative de quoi. En effet, dans un même pays, il n’existe pas une seule culture adolescente, mais plusieurs cultures adolescentes, scolaires ; et les disparités peuvent être plus ou moins importantes selon les pays.
Soulignons enfin les difficultés liées à la grande quantité de données à maîtriser et analyser et à la diversité des contextes culturels à connaître pour interpréter les résultats. Un travail collaboratif des différents partenaires permettra d’obtenir des résultats satisfaisants, malgré les limites inhérentes à ce type de recherche comparative extensive.
Les résultats attendus du projet devraient être une meilleure connaissance des représentations des sciences et techniques dans l’enseignement et dans les médias destinés aux jeunes, de manière à proposer aux jeunes de nouvelles représentations plus réalistes des sciences et techniques, et à identifier des éléments attractifs susceptibles d’encourager des orientations vers les sciences et techniques. Ce projet devrait également contribuer à une meilleure égalité des chances entre filles et des garçons dans le choix des sciences et techniques et associer les différents acteurs (enseignants, élèves, professionnels des médias) à la recherche, et les sensibiliser à la problématique du projet.
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