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Édition et présentation de la conférence du psychologue soviétique Isaak N. Spielrein (traduit du russe) : « De la théorie psychotechnique » (Intervention à la VIIe Conférence internationale de psychotechnique, Moscou, Septembre 1931)

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Édition et présentation de la conférence du psychologue

soviétique Isaak N. Spielrein (traduit du russe) : “ De la

théorie psychotechnique ” (Intervention à la VIIe

Conférence internationale de psychotechnique, Moscou,

Septembre 1931)

Isabelle Gouarné

To cite this version:

Isabelle Gouarné. Édition et présentation de la conférence du psychologue soviétique Isaak N. Spielrein

(traduit du russe) : “ De la théorie psychotechnique ” (Intervention à la VIIe Conférence internationale

de psychotechnique, Moscou, Septembre 1931). Bulletin de psychologie, Groupe d’étude de

psycholo-gie, 2011, tome 65 (3) (519), pp.277-295. �10.3917/bupsy.519.0277�. �hal-01416629�

(2)

Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie » 2012/3 Numéro 519 | pages 277 à 281

ISSN 0007-4403

Article disponible en ligne à l'adresse :

---http://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2012-3-page-277.htm ---Pour citer cet article :

---Isabelle Gouarné, « Isaak N. Spielrein. VIIe Conférence internationale de psychotechnique. Moscou, 8-13 septembre 1931. Présentation », Bulletin de

psychologie 2012/3 (Numéro 519), p. 277-281.

DOI 10.3917/bupsy.519.0277

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Isaak N. Spielrein. VII

e

Conférence internationale

de psychotechnique. Moscou, 8-13 septembre 1931.

Présentation

GOUARNÉ

Isabelle

*

Le Bulletin de psychologie publie, ici, l’interven-tion prononcée par Isaak N. Spielrein, (1891-1937) à la VIIeConférence internationale de psychotech-nique1(Moscou, septembre 1931). Ce congrès, un des premiers à se tenir en Russie après la Révolu-tion de 1917, semblait témoigner du retour de la psychologie russe sur la scène scientifique interna-tionale. Il s’inscrivait, pourtant, dans le contexte soviétique de la Révolution culturelle (1928-1932), au cours de laquelle fut menée une vaste campagne contre les « spécialistes » et les « cadres » bour-geois, conduisant à la réorganisation de l’espace scientifique, désormais placé sous le contrôle du pouvoir bolchevique (Krementsov, 1997, chap. 2 notamment). Les répercussions furent particulière-ment violentes en psychologie appliquée : comme science du comportement humain, dont, de surcroît, l’objet porte sur les travailleurs dans le processus de production (orientation et sélection profession-nelles), la psychotechnique constituait un domaine de recherches, dont le gouvernement soviétique avait, certes, besoin, mais qui, en même temps, pouvait concurrencer les images diffusées par ses instances, et remettre en cause la justesse de sa politique (Siegelbaum, 1990). Ainsi, Isaak N. Spielrein, qui fut, durant les années 1920, l’un des principaux animateurs de la psychotechnique soviétique, fut, alors, l’objet de vives attaques.

Né le 27 mai 1891, à Rostov-sur-le-Don, dans une famille de la bourgeoisie intellectuelle russe2, Isaak N. Spielrein avait suivi, dans les années 1910, des études supérieures de philosophie et de psycho-logie en Allemagne, à Heidelberg, puis à Leipzig3. Dès sa jeunesse, en Russie, il s’était engagé dans le mouvement révolutionnaire. Il fut, d’ailleurs, en raison de ses activités militantes, exclu de son lycée, en 1907 et, afin de poursuivre ses études, dut, un temps, s’exiler à Paris (1907-1909). Après la première guerre mondiale, qu’il vécut à Berlin, comme prisonnier civil, il décida de rentrer en Russie. En 1920, il rejoignit le Parti communiste russe (bolchevik) et occupa diverses fonctions auprès de la Mission permanente de la Fédération de Russie, en Géorgie, puis à Moscou, auprès du Commissariat du peuple aux affaires étrangères.

Ce n’est qu’en 1922 qu’il put, à nouveau, se consacrer, en URSS, à ses recherches en psycho-logie, participant activement aux débats sur l’orga-nisation scientifique du travail et contribuant à la mise en place de plusieurs laboratoires psychotech-niques. Il travailla, d’abord, à l’Institut central du travail, dirigé par Alexeï K. Gastev, avec qui il fut, assez rapidement, en désaccord. Il fut, à partir de 1923, l’organisateur du laboratoire de psychotech-nique rattaché au Commissariat du peuple au travail, et dirigea la section psychotechnique de l’Institut de psychologie de l’Université de Moscou. Il fut également le président de l’Asso-ciation panrusse de psychotechnique et de psycho-physiologie appliquée, fondée en 1927, et assura l’édition de sa revue, Psihotehnika i psihofiziologia

truda (Psychotechnique et psychophysiologie du travail) puis Sovetskaja psihotehnika (Psychotech-nique soviétique), publiée entre 1928 et 1934.

Attaqué au moment de la Révolution culturelle, Isaak N. Spielrein, qui s’affichait jusque-là, comme un adepte du psychologue allemand William Stern, tout en se présentant comme marxiste 4, fut contraint à l’autocritique et amené à réviser ses positions scientifiques. Dans son article « La situa-tion sur le front psychotechnique », paru, en 1931, dans la revue Sovetskaja psihotehnika, il attribua ses erreurs à son attitude, sans doute non critique, vis-à-vis des idées de William Stern et, après avoir

* Équipe Cultures et sociétés urbaines (CNRS-Univer-sité Paris 8)

<isabelle_gouarne@hotmail.com>

1. Ces congrès successifs de psychotechnique étaient organisés par l’Association internationale de psychotech-nique, fondée en 1920.

2. Sa mère était dentiste, son père agronome. Sur la biographie d’Isaak N. Spielrein, nous nous appuyons, ici, sur Koltsova, Noskova, Oleinik, 1990.

3. L’émigration estudiantine russe en Allemagne, courante depuis leXIXesiècle, s’était, entre 1900 et 1914,

considérablement accrue (Weil, 1979).

4. Voir, par exemple, l’intervention d’Isaak N. Spiel-rein à la VIeConférence internationale de

psychotech-nique (avril 1930, Barcelone), dans laquelle il se réfère, à la fois, à Karl Marx et à William Stern (Spielrein, 1931).

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exposé les « déviations » des recherches psycho-techniques, présenta les voies permettant la refon-dation de la discipline, en lien avec la « construc-tion du socialisme » (Koltslova et coll., 1990). En mai 1931, il fut, de nouveau, attaqué, lors du premier Congrès de l’Association panunioniste de psychotechnique (Leningrad), introduit par M. B. Mitine, le nouveau rédacteur en chef de la revue philosophique du PC(b) d’URSS, Sous la

bannière du marxisme (Pod znameniem marxisma).

Dans les résolutions du Congrès, on pouvait lire : « Le leader de la psychotechnique soviétique Spiel-rein a emprunté certaines positions au système idéaliste du personnalisme de Stern. [...] Dans sa communication au Congrès, le camarade Spielrein n’a pas entièrement dévoilé ses erreurs et n’a pas tout à fait déposé les armes »5.

C’est, donc, dans une situation très critique, pour lui-même et la discipline, qu’il avait contribué à développer en URSS, qu’Isaak N. Spielrein dut assurer, en 1931, l’organisation, à Moscou, de la VIIeConférence de l’Association internationale de psychotechnique (AIP), dont il avait rejoint, en 1927, le comité de direction, avec son collègue soviétique Grigori I. Rossolimo. Le psychologue français J.-M. Lahy, dont les positions philosoviéti-ques étaient connues6, avait, d’ailleurs, en tant que secrétaire général de l’AIP, soutenu ces adhésions soviétiques : sa posture critique vis-à-vis du taylo-risme et son souci de promouvoir un programme alternatif en psychologie appliquée le rapprochaient de l’école psychotechnique soviétique (Gouarné, 2011). En réponse à une lettre d’Isaak N. Spielrein, du 12 août 1926, demandant des renseignements sur l’AIP, J.-M. Lahy avait ainsi écrit : « Vous devez savoir, cher Monsieur, quelles sont mes sympathies personnelles très actives pour la Russie ; je ne puis que vous conseiller d’adhérer à l’Association, car j’estime qu’il serait bon que votre pays prenne la place qui lui revient légitimement dans les relations scientifiques internationales »7. De même, lors de la IVeConférence internationale de psychotech-nique, organisée, à Paris, en octobre 1927, par les

soins de J.-M. Lahy, notamment, avait été présente, pour la première fois, une délégation soviétique importante : elle comprenait, entre autres, P. Diakonov, J. P. Frolov, Salomon G. Hellerstein, N. D. Levitov, A. M. Mandrika, G. I. Rossolimo, M. Syrkin, Isaak N. Spielrein et A. Toltchinski. C’est également grâce à l’appui de J.-M. Lahy que la proposition soviétique d’organiser le prochain congrès de l’AIP à Moscou fut acceptée en 1930, malgré les vives réticences qu’elle suscita8.

Sans doute, en accueillant, en 1931, ce Congrès international, le pouvoir soviétique entendait-il rehausser le prestige scientifique de la Russie nouvelle. De fait, Isaak N. Spielrein s’efforça, avec l’aide de J.-M. Lahy, de faire, de ce congrès, un événement scientifique important, dont le gouver-nement soviétique pouvait, politiquement et symboliquement, tirer bénéfice 9. Le séjour des congressistes fut également organisé avec soin10, par l’entremise d’Intourist, société créée en 1929 et chargée de préparer les voyages de groupe (Cœuré, 1999, p. 157-159 ; Mazuy, 2002, p. 97-98). Surtout, l’enjeu, pour le pouvoir

5. Cité par Alexandre Etkind, 1992.

6. Socialiste et franc-maçon, J.-M. Lahy avait rejoint, en 1920, les rangs du nouveau Parti communiste, avant de s’en éloigner en 1922, au moment où l’Internationale communiste interdit la double appartenance (commu-nisme et franc-maçonnerie). Ce repli sur l’engagement maçonnique ne traduit pas, toutefois, une distanciation par rapport au communisme soviétique. Bien au contraire, J.-M. Lahy cherchera à promouvoir un certain philosoviétisme, aussi bien au sein de la Franc-maçon-nerie que dans le monde académique. Sur J.-M. Lahy, voir les travaux de Marcel Turbiaux, 1983, 1996).

7. Lettre de J.-M. Lahy à Isaak N. Spielrein, 30 octobre 1926. Fonds Lahy, Archives du Musée histo-rique de Sainte Anne, Paris.

8. Dans le compte rendu de la réunion du 23 avril 1930 du Comité directeur de l’AIP (présents : Franziska Baum-garten, Édouard Claparède, J.-M. Lahy, Otto Lipmann, Emilio Mira y Lopez, Jean Wojciechowski), on peut lire : « l’idée de faire le prochain congrès en URSS fut adoptée, après discussion, à l’unanimité moins deux voix ». Compte rendu de la séance du 23 avril 1930. Fonds Lahy, Archives du Musée historique de Sainte Anne.

9. La VIIe

Conférence de psychotechnique était patronnée par un « comité d’assistance », présidé par le secrétaire du Comité exécutif central de l’URSS (A.-S. Enukidze) et comprenant un certain nombre de person-nalités politiques soviétiques éminentes, en particulier : le secrétaire du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS (P.M. Kerz˘encev), le président du comité des établissements de science et d’instruction du Comité exécutif central de l’URSS (A. V. Lunac˘arski), le chef du Département des sciences du Commissariat du peuple pour l’instruction publique de la RSFSR (I. K. Luppol), le Commissaire du peuple du travail de l’URSS et le Commissaire du peuple de la santé publique de la RSFSR.

10. Les séances de travail devaient alterner avec des visites d’institutions scientifiques, culturelles et sociales, et des soirées au cinéma et au théâtre étaient également prévues. Parmi les visites envisagées, on compte une dizaine d’instituts scientifiques, ainsi que des institutions sociales et des entreprises susceptibles d’intéresser des psychologues et des psychotechniciens. Des musées furent également proposés à la visite, généralement des musées d’art (par exemple, la galerie Tretiakov ou le Musée de peinture moderne), mais, aussi, les lieux de commémoration politique (comme le mausolée de Lénine, le Musée de la révolution et le Musée de l’armée rouge). Enfin, pour les congressistes, qui le souhaitaient, étaient, également, organisées, à l’issue de la Conférence, des excursions, d’une durée variant de 3 à 23 jours, à Nijni-Novgorod, Kharkov ou Leningrad.

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soviétique, était de montrer, aux milieux scientifi-ques occidentaux, que la Révolution, loin de réduire l’activité scientifique, avait provoqué, dans ce domaine, un essor sans précédent et dans des voies radicalement nouvelles. Le congrès se déroula, par exemple, dans un « magnifique club ouvrier »11, image d’une science accessible à tous et utile à la société. C’est, également, avec cette visée politique, que fut organisé un symposium sur les « fondements théoriques » de la discipline. L’initiative revenait, en effet, aux Soviétiques : la décision de poser, pendant ce congrès, la question de la théorie scientifique avait été prise quelques mois plus tôt, en mai 1931, lors de la Conférence de l’Association panunioniste de psychotechnique, au cours de laquelle avait été affirmée la nécessité, en sciences, de définir une ligne philosophique et de faire preuve d’« esprit de parti » (Etkind, 1992). En intervenant, lors de ce symposium, sur la théorie psychotechnique, Isaak N. Spielrein se conformait, donc, à des exigences politiques. Son exposé était, d’abord, une réponse aux critiques virulentes, dont il faisait l’objet, d’où sa teneur autocritique. Il était, aussi, une réponse à une commande politique, visant à poser, sur la scène scientifique internationale, la question de la théorie en sciences et, par là, à inciter les savants occiden-taux à s’engager politiquement, à investir, à partir de leurs propres activités intellectuelles, les ques-tions relatives à la « science soviétique » et au marxisme. Dans son intervention, Isaak N. Spiel-rein se proposait, donc, d’analyser, dans une pers-pective matérialiste dialectique, la « crise théorique de la psychotechnique » et ses liens avec la « crise générale des sciences bourgeoises ». Son exposé se divisait en deux temps.

D’abord, il commençait par un examen critique de la « psychotechnique bourgeoise », de ses notions et méthodes, de ses « faiblesses théori-ques » et de ses applications pratithéori-ques « au service de la bourgeoisie ». Définissant la science comme un « instrument au service de la classe domi-nante », dans une société de classes, Isaak N. Spiel-rein soulignait combien la bourgeoisie, devenue « classe réactionnaire », était, désormais, contrainte de freiner la recherche scientifique et technique, afin de ralentir le développement social, qui annonce sa disparition. Deux principales limites étaient opposées à la « psychotechnique bour-geoise » : d’une part, sa conception statique des phénomènes étudiés, puisque les aptitudes, mesu-rées à l’aide de tests, d’appareils et de formules mathématiques, ne sont envisagées, selon Isaak N. Spielrein, que comme des entités stables et

immuables ; d’autre part, la surestimation des facteurs biologiques, au détriment de toute consi-dération des déterminants sociaux, qui condition-nent les faits psychologiques.

Ensuite, Isaak N. Spielrein entreprenait de définir les spécificités de la psychotechnique sovié-tique, qui, d’après lui, avait connu, depuis quelques années, un profond « renouvellement méthodolo-gique » et qui était, maintenant, étroitement asso-ciée à la « construction du socialisme ». Examen critique des tests et des appareils prétendument objectifs de mesure, suppression de la rupture entre théorie et pratique, entre psychologie et psycho-technique, prise en compte de l’aspect dynamique et des déterminants sociaux des faits psychologi-ques, redéfinition de la sélection/orientation profes-sionnelles dans le cadre de l’économie planifiée soviétique, restructuration de l’école soviétique, définition de nouvelles formes de travail, telles étaient, d’après Isaak N. Spielrein, les principales tâches auxquelles les psychotechniciens s’étaient attelés en URSS.

Mettant en cause la thèse d’une science pure et désintéressée, l’exposé d’Isaak N. Spielrein provoqua d’emblée un vif débat, dont les échos furent considérables dans les milieux scientifiques occidentaux, comme l’attestent les nombreux comptes rendus qui parurent sur ce Congrès dans la presse scientifique12. Pour la première fois, en effet, était présentée et argumentée, devant un public de scientifiques occidentaux, cette idée d’une opposi-tion irréductible entre science bourgeoise et science soviétique. Les réactions furent donc vives. Face à ceux qui, comme J.-M. Lahy, rejoignaient les posi-tions soviétiques et se revendiquèrent dès lors du marxisme (voir notamment Lahy, 1932 ; 1935), la plupart des savants occidentaux défendirent, à l’instar d’Henri Piéron, l’idée d’une science néces-sairement neutre (Gouarné, 2007).

Malgré les efforts qu’Isaak N. Spielrein fit pour s’adapter aux contraintes politiques soviétiques de

11. Voir compte rendu du congrès dans L’année psychologique, 31, 1931, p. 1087-1088.

12. Dans la presse scientifique francophone : La 7e

conférence internationale de psychotechnique, Année psychologique, 31, 1931 ; Henri Piéron, Compte rendu de la VIIe

conférence internationale de psychotechnique, Journal de psychologie, 15 juillet-15 octobre 1932, p. 582-583 ; Edouard Claparède, VIIe

conférence interna-tionale de psychotechnique, Archives de psychologie, janvier 1932, p. 290-291 ; Henri Piéron, Orientation professionnelle et organisation du travail en URSS, BINOP, no

9, novembre 1931, p. 221-231. Dans la presse non-scientifique française : J. Labadié, Comment la psychotechnique contribue au meilleur rendement de l’ouvrier, Science et monde, no

33, 31 décembre 1931 ; Charles d’Avron, Les deux vérités en matière scientifique d’après l’URSS, Excelsior, 22 novembre 1931. Un compte rendu non signé fut également publié dans la revue Monde (7 novembre 1931).

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l’époque stalinienne, sa position en URSS devint de plus en plus dangereuse. La psychotechnique fut de nouveau sous le feu des critiques au milieu des années 1930. En 1934, de nombreux instituts de recherches psychotechniques fermèrent, la revue

Sovetskaja psihotehnika cessa de paraître ; en 1936,

les sections de Moscou et de Leningrad de l’Asso-ciation panunioniste de psychotechnique cessèrent leurs activités. Enfin, la psychotechnique fut, offi-ciellement, condamnée, en même temps que la paidologie (science consacrée à l’étude du déve-loppement de l’enfant), dans le décret du 4 juillet 1936 du Comité central du PC(b) d’URSS sur « les déviations paidologiques dans le système du Commissariat du peuple à l’éducation ».

Accusé de « propagande contre-révolution-naire » et de « trotskisme », Isaak N. Spielrein fut arrêté en janvier 1935 et déporté. Bien qu’après le Congrès de Prague, de septembre 1934 13, la montée des tensions internationales empêchât la tenue des Conférences de l’AIP, son arrestation ne fut pas ignorée des milieux scientifiques étrangers. J.-M. Lahy, qui était devenu en France un « compa-gnon de route » actif, tenta, par exemple, avec sa femme, Marie Lahy-Hollebecque, de s’informer, lors de son séjour en Russie, du destin de son collègue soviétique auprès de représentants auto-risés du PC(b) d’URSS. Le sujet fut, ainsi, évoqué le 8 avril 1936, lors d’une entrevue avec Ernst Kolman, qui était, alors, membre de l’Académie communiste et le responsable du secteur scienti-fique au Comité du PC(b) à Moscou. Sa réponse rendait, de fait, délicat tout soutien à Isaak N. Spiel-rein venant de l’étranger. D’après les notes prises, sans doute par Marie Lahy-Hollebecque, lors de cette rencontre, Ernst Kolman, en effet, aurait déclaré au sujet de cette affaire : « Il ne s’agit pas de fautes ni d’erreurs (comme je l’avais dit), mais de crimes envers l’État. Crimes politiques contre

le pays. (Lui, membre du PC a eu des relations coupables avec l’étranger). S’est engagé dans les questions internationales (accusé en ce qui concerne l’argent) »14.

De son côté, Isaak N. Spielrein s’efforça de faire reconnaître son innocence et son attachement au Parti bolchevique. Sa défense mettait en avant le rôle qu’il avait joué en faveur du communisme soviétique, au sein des milieux scientifiques, en particulier. Dans la lettre qu’il écrivit, le 20 juillet 1936, à la Commission de contrôle du PC(b) d’URSS, il insistait, par exemple, sur les retombées politiques qu’avait eues la VIIeConférence inter-nationale de psychotechnique : rappelant le succès de ce congrès, considéré, soulignait-il, par de nombreux scientifiques étrangers comme un événe-ment « historique », il évoquait les efforts qu’il avait déployés en vue de réaliser toutes les demandes du Parti et du gouvernement soviétique, même les plus difficiles, comme le fut, selon lui, la mise en débat de la théorie psychotechnique par rapport au marxisme.

Toutes ces démarches furent vaines. Isaak N. Spielrein sera exécuté le 26 décembre 1937, et l’école psychotechnique soviétique, qui avait connu une forte reconnaissance au cours des années 1930, disparut de la scène scientifique internationale15. Ainsi, la répression, dont fit l’objet, en URSS, la psychotechnique et son principal organisateur, empêcha la publication des actes de la VIIe Confé-rence internationale de psychotechnique, qu’Isaak N. Spielrein avait, pourtant, préparée avec soin. Son exposé sur la théorie psychotechnique est, de ce fait, longtemps resté inédit en France, alors que, dans d’autres conjonctures de politisation de la science, en particulier dans la période d’après 1968, des critiques comparables seront, de nouveau, formulées à l’encontre de la psychologie appliquée (Ohayon, 2001). Ce n’est, en effet, qu’en 1998 qu’Horst Gundlach (1998) put, pour la première fois, rassembler et éditer une partie des interven-tions prononcées à ce Congrès de Moscou, dont l’exposé en russe d’Isaak N. Spielrein, que nous publions, ici, en français.

13. I. N. Spielrein participa à ce Congrès de 1934, revenant dans son intervention sur les déclarations qu’il avait faites lors de la VIIeConférence internationale de

psychotechnique et les vives réactions qu’elles avaient provoquées. Évoquant le devenir de la psychotechnique en Allemagne, après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il concluait : « Cette transition chez nos collègues, Rupp, Moede, etc., d’une position neutre dans la lutte des classes à une participation active à cette lutte, doit, me semble-t-il, forcer tous les psychologues, travaillant dans un domaine aussi étroitement lié avec l’actualité révolu-tionnaire d’aujourd’hui que notre science, à réviser leurs fondements théoriques et à déterminer leur attitude envers la commande sociale qu’ils exécutent ». (Spiel-rein, 1934).

14. « Entretien avec Kolman, mercredi 8 avril 1936 » (notes manuscrites, 5 p.). Archives privées de Marie Lahy-Hollebecque.

15. Les Soviétiques ne furent, de nouveau, présents dans les congrès internationaux de psychologie appli-quée, qu’à partir de 1956.

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Références

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