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Compte rendu de lecture -Topçu Sezin, La France nucléaire : l'art de gouverner une technologie contestée, Paris, Éd. du Seuil, 2013, 350 p. pour Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2014/2 (N° 122)

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Academic year: 2021

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Compte rendu de lecture - Topçu Sezin, La France nucléaire : l’art de gouverner une technologie contestée, Paris, Éd. du Seuil, 2013, 350 p. pour Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2014/2 (N° 122).

L’histoire de la nucléarisation de la France et celle de sa contestation sont indissociables. Du plan Messmer au chantier du réacteur pressurisé européen (EPR), les oppositions au programme électronucléaire ont été, et restent, les justifications d’un ajustement administratif et législatif permanent, empruntant tour à tour les voies de la répression et de l’intransigeance, de l’institutionnalisation et de l’incorporation des contestataires aux dispositifs de gestion experte du risque industriel et sanitaire.

Retraçant le déploiement nucléaire qui se renforce au gré des circonstances et des résistances, l’auteure se demande ce qu’est devenue la critique, quels ont été son rôle et sa fonction historique. Pour répondre à cette importante question, elle rend compte d’une enquête sociohistorique sur les formes de l’action collective engagée depuis les années 1970. Elle y étudie les dynamiques dans la mise à l’épreuve démocratique d’un domaine technoscientifique parmi les plus fermés. Très bien documenté, son livre issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2010 explore toutes les technologies matérielles, sociales et discursives qui ont cherché à contenir la critique radicale, et à faire du nucléaire un horizon inéluctable de la modernité durable, consolidant en l’adaptant une exception qui demeure assurément française à l’échelle du monde.

Son histoire est celle d’un franc succès, celui des stratégies, tactiques et techniques de gouvernement déployées pendant plusieurs décennies afin de domestiquer l’opinion, pour tenir à distance la revendication citoyenne de démocratisation des choix scientifiques et techniques, et finalement garantir l’acceptabilité politique et sociale du nucléaire. Ce sont les reconfigurations de ces rapports entre contestation et administration de la contestation que l’auteure décrit, ainsi que leurs enjeux sous-jacents, pour les discuter. Elle s’attelle à la tâche difficile de croiser les trajectoires de l’institution nucléaire avec celles des formes de l’action contestataire. Pas à pas, elle suit la critique, l’ordre des pratiques et des discours que déploient les gouvernements successifs pour la recadrer, l’absorber au besoin.

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Elle dissèque dans le temps et l’espace l’émergence, le silence puis la résurgence du mouvement antinucléaire, en relation avec la transformation permanente des justifications de poursuivre la nucléarisation, d’exclure de ce domaine technoscientifique les opposants les plus radicaux. S’appuyant sur le registre analytique et réflexif, elle renouvelle ainsi profondément l’histoire critique des controverses suscitées par la nucléarisation de la politique française, alimente le débat sur les voies alternatives de sa contestation, contribue enfin à repenser les modes de l’action collective.

Soucieuse de restituer une autre histoire de l’énergie nucléaire, elle décompose selon trois périodes les évolutions intriquées de sa contestation et de sa gestion. À la suite du lancement d’un plan massif de développement de l’industrie nucléaire, les années 1970 voient émerger un mouvement tout aussi puissant de violentes oppositions. Très tôt les organismes en charge du nucléaire se saisissent de la critique afin d’élaborer des instruments efficaces de gouvernement. La deuxième période est marquée par les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl en 1986 : domine alors la gestion par le secret de la chose nucléaire. L’exigence citoyenne de transparence et de démocratisation, notamment portée par l’irruption des laboratoires associatifs et indépendants, conduit à la création d’un tiers secteur scientifique, produisant des contre-expertises et diffusant une information non contrôlée par les pouvoirs publics. L’institution nucléaire s’adapte, élabore d’autres dispositifs d’échanges avec les populations concernées et les organisations non gouvernementales, régit véritablement ce qu’il reste de la contestation. Le dernier moment est celui de l’appropriation des enjeux climatiques et de la pénurie annoncée des ressources traditionnelles. Il est aussi celui de la banalisation du risque nucléaire avec lequel il conviendrait désormais, conformément aux dogmes néolibéraux, d’apprendre à vivre dans un monde sécurisé par les normes, les sociétés étant soumises à l’injonction de la responsabilité collective et renvoyées à la liberté individuelle de ses membres d’agir en adaptant ses comportements. L’institution nucléaire s’ouvre alors au mode de gestion participatif des risques, réhabilite enfin une modernité techno-industrielle qui s’affiche sans complexe comme verte et démocratique.

Pour le lecteur partisan d’une démocratisation des choix technoscientifiques, ce livre invite à sortir de l’état de sidération dans lequel il peut être plongé au premier abord. Parce qu’il fournit toutes les clés pour déconstruire les discours et leurs rapports de force sous-jacents, parce qu’il pointe les limites

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contenues dans l’idéal de la démocratie technique et de la participation des publics, ce travail rigoureux œuvre à l’intelligence d’un objet technoscientifique profondément politique avant d’être une affaire de gestion des risques et de l’expertise, même partagée.

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