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L'insertion sociale par le travail chez les individus atteints de troubles mentaux : analyse critique

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Université de Montréal

L’insertion sociale par le travail chez les individus atteints de troubles mentaux t analyse critique

par

Julie Natacha Dufresne

Département de sociologie Faculté des arts et des sciences

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maître ès sciences

(M.Sc.)

Décembre 2003

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(3)

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de Montré al

Direction des bibliothèques

AVIS

L’auteur a autorisé l’Université de Montréal à reproduire et diffuser, en totalité ou en partie, par quelque moyen que ce soit et sur quelque support que ce soit, et exclusivement à des fins non lucratives d’enseignement et de recherche, des copies de ce mémoire ou de cette thèse.

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Université de Montréal Faculté des études supérieures

Ce mémoire intitulé

L’insertion sociale par le travail chez les individus atteints de troubles mentaux analyse critique

présenté par Julie Natacha Dufresne

a été évalué par un jury composé des persrnrnes suivantes Christopher McA11 président-rapporteur Deena White directrice de la recherche Paul Bemard membre du jury

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C

l’exclusion sociale des personnes atteintes de troubles mentaux étant celle de l’insertion socioprofessionnelle, nous savons peu de choses sur la relation qu’entretient cette population avec l’univers du travail. Afin d’élargir les connaissances sur le sujet, ce mémoire a pour objectif d’analyser les perceptions qu’ont les personnes atteintes de troubles mentaux sévères (schizophrénie, troubles bi-polaires et dépression majeure) et bénéficiaires d’assistance sociale de leur rapport avec la sphère du travail (l’emploi, le travail au noir, le bénévolat, le travail domestique et les programmes d’employabilité).

Pour ce faire, nous utilisons un corpus de vingt-neuf entrevues semi-dirigées transcrites verbatim, issues d’une étude menée en 1995. Les entrevues sont codifiées à l’aide d’une grille qui permet de repérer leurs idées propres sur leur rapport au travail au sens économique, politique, social et clinique. Les discours des répondants sont ensuite analysés afin de dégager des «théories implicites » ou «théories profanes» (Rhéaume et Sévigny, 1988).

Nos résultats de recherche nous permettent de conclure que l’impact de la maladie mentale est moindre que celui lié au fait de vivre d’assistance-emploi. L’une des théories implicites centrales des répondants fait de l’emploi l’activité de production la plus privilégiée par la société mais aussi par eux-mêmes. Les autres fonnes de travail leur offrent peu d’avantages en comparaison avec l’emploi. De l’avis des répondants, l’emploi remporte tous les honneurs tant au niveau économique (amélioration de la situation économique), social (favorise le maintien et le développement des relations sociales) que politique (pen-net l’expression de la citoyenneté). Pourtant, au plan clinique, l’insertion socioprofessionnelle les «rend malades» tout comme l’assistance sociale. Cela a pour effet de situer les individus au centre d’un rapport paradoxal fort complexe.

Mots clés maladie mentale, insertion sociale, assistance-sociale, programmes

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o

11

Abstract

Ever since the time of deinstitutionahzation, the dominant perspective in the fight against social exclusion of individuals affected by psychiatric problems has been that of their retum to work. However, we know littie about the relationship that exists between this population and the sphere of work. To develop our understanding of the matter, the objective of this thesis is to analyze the perceptions 0fpeople affected by severe psychiatric problems (schizophrenia, bipolar disorders and severe depression) and who are beneficiaries of social welfare, with respect to the sphere of work (employment, work under-the-table or informai work, volunteering, domestic work and employrnent programs).

We use a corpus of twenty-nine, semi-directed, interviews, transcribed verbatim, obtained in a study of this population carried out in 1995. The interviews are coded using a analytic grid which focuses on the respondants’ own ideas about their relation to work in economic, political, social and clinical terms. The respondants’ responses are then manually analyzed to decode the “lay” or “implicit” theories (Rhéaume and Sévigny, 1988) that underlie their discours.

The resuits of the research suggest that the impact of the respondants’ mental illness on their perception of their relation to the work world is less important than the impact of being supported by social welfare. One ofthe central implicit theories held by respondants characterizes employment as the most privileged production activity flot only by the society as a whole but also by themselves. Other forms of work forms offer few advantages in comparison with employment. From the respondants’viewpoint, employment is of greater economic value (it improves one’s economic condition), social value (it promotes the development and preservation of social relationships) and political value (it aflows expression of citizenship). Yet from the clinicai standpoint, they are aware that integration into the world of regular employment poses a threat to their mental health. This paradoxical theorization of their relation to the world of work places these individuals within a complex arena of tension amongst economic, social, political and clirncal expectations.

Keywords mental illness, social insertion, welfare, employability, citizenship, lay knowledge, work.

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Table des matières

Sommaire

Abstract ii

Liste des tableaux et des figures y

Liste des principaux acronymes vi

Remerciements vii

Dédicace viii

Introduction 1

Chapitre 1

L’individu ayant des troubles mentaux et l’univers du travail : dimensions et enjeux 6 1.1 Santé mentale et maladie mentale: définition des concepts 6 1.2 Les dimensions et les éléments enjeu dans le rapport entre l’individu et le marché

de l’emploi 10

1.2.1 La dimension clinique 11

1.2.2 La dimension économique 12

1.2.3 La dimension sociale 12

1.2.4 La dimension politique 14

1.3 Désinstitutioimalisation et politiques actives : vers l’insertion en emploi 15

1.3.1 Les programmes d’employabilité : un échec 19

1.4 De l’insertion à l’emploi au rapport au travail 24

1.5 La parole aux principaux concernés 28

Chapitre 2

La relation entre l’individu ayant des troubles mentaux et l’univers du travail : cadre

d’analyse heuristique 31

2.1 L’univers du travail : des formes et lieux d’expression multiples 31

2.1.1 L’emploi 32

2.1.2 Le travail au noir 33

2.1.3 Lebénévolat 33

2.1.4 Le travail domestique 34

2.1.5 Le travail effectué dans le cadre de programmes d’employabilité 36 2.2 La relation entre l’individu atteint de troubles mentaux et prestataire d’aide

sociale et l’univers du travail 39

Chapitre 3

Cadre et démarche méthodologiques 45

3.1 Provenance des données 45

3.2 Collecte des données 46

3.2.1 Contexte 46

3.2.2 Recrutement des répondants 47

3.2.3 La description des répondants 48

3.2.4 Les entrevues 49

3.2.5 Questions d’éthique 49

3.3 Ladérnarche d’analyse 50

(8)

iv

3.4 Limites méthodologiques. 57

Chapitre 4

Le sens économique du rapport à l’univers du travail 59

4.1 Le sens économique du rapport à l’univers du travail : les activités de

production 59

4.1.1 L’emploi 59

4.1.2 Le travail domestique 68

4.1.3 Lebénévolat 70

4.1.4 Les programmes d’ernployabilité 72

4.1.5 Le travail au noir 77

4.2 Le sens économique du rapport à l’univers du travail : les activités de

consommation 79

Chapitre 5

Le sens social du rapport à l’univers du travail 87

5.1 Contribution des répondants aux réseaux sociaux dans leur rapport à l’univers du

travail : une participation limitée 87

5.2 Composition des réseaux sociaux t des relations sociales réduites 92

5.3 Le soutien social : une contribution aux réseaux sous le signe de la dépendance 94

5.4 La régulation sociale : être ou ne pas être en emploi 98

Chapitre 6

La citoyenneté sous un rapport d’exclusion 103

6.1 La citoyenneté identitaire : le stigmate «d’assisté» 103 6.1.1 Valeurs sociales : un idéal de vie et de citoyenneté 110 6.2 La citoyenneté statutaire: l’aide sociale un droit fondamental ‘ 116

6.3 La citoyenneté effective: assistance sociale et altération des droits sociaux 118

6.4 Une relation complexe où l’emploi rend malade et le non-emploi rend aussi

malade 123

6.4.1 L’emploi : conséquences sur la santé mentale des individus 124

6.4.2 L’assistance emploi t conséquences sur la santé mentale des individus..126

Conclusion

Quelques théories implicites 130

Bibliographie 139

Annexe 1: Lettre de sollicitation (Français et anglais) 148

Annexe 2 Lettre de consentement 151

Annexe 3: Profil sociodémographique de l’échantillon (Tableau II) 153

Annexe 4: Caractéristiques sociodémographiques des répondants (Tableau III) 155

Annexe 5 :Guide d’entrevue 158

Annexe 6: Codification Nvivo (f igure 4) 162

(9)

Liste des tableaux et des figures

Chapitre 1

Figure 1 Les représentations de l’État de santé mentale 9

Chapitre 2

Figure 2 Modèle heuristique des dimensions du rapport à l’univers du travail 41

Chapitre 3

Figure 3 Dimensions, indicateurs et sous-indicateurs d’analyse 53

Chapitre 4

Tableau I: Participation aux programmes d’employabilité de l’assistance sociale

(PAIE, EXTRA, formations) et des organismes en santé mentale 73

Annexes 3

Tableau II Profil sociodémographique de l’échantillon 153

Annexes 4

Tableau III : Caractéristiques sociodémographiques des répondants 155

Annexes 6

Figure 4 Codification Nvivo 162

Annexes 7

(10)

Q

vi

Liste des principaux acronymes

AQRP: Association québécoise pour la réadaptation psychosociale

CAMO Comité d’adaptation de la main-d’oeuvre pour personnes handicapées CSMQ t Comité de la santé mentale au Québec

ILO : international Labour Organisation

MSSS : Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec OMS Organisation mondiale de la santé

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Remerciements

Bien que j’ai parfois eu tendance à l’oublier, la réalisation d’un mémoire ne se fait pas en solitaire, rivée à son écran, accrochée à une tasse de café tenant lieu de bouée de secours. Plusieurs personnes m’ont accompagnée tout au long de ce processus en montagnes russes, riche en émotions de toutes sortes. Je tiens à les remercier de leur patience et de leur support indéfectible.

Merci, d’abord, à Deena White, ma directrice, celle sans qui j’errerais probablement encore dans les méandres de la conceptualisation et de la rédaction. Deena est une directrice formidable, qui possède des qualités de chercheure extraordinaires et qui a su me guider d’une main de maître à travers toutes les étapes du mémoire. Elle est d’une grande disponibilité et j’ai pu compter à maintes reprises sur ses conseils, ses multiples connaissances et son intelligence. Plus qu’une directrice,

j

‘ai découvert au cours des ans une femme que

j

‘admire beaucoup pour ses qualités professionnelles, mais aussi humaines.

Mes remerciements vont aussi au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP), ses chercheurs et ses étudiants qui m’ont donné la chance de travailler dans un environnement stimulant. Je leur dois aussi d’avoir pu me prévaloir de deux bourses fCAR-Centre sans lesquelles il m’aurait été difficile de travailler dans une relative tranquillité d’esprit.

Je dois beaucoup à André et Diane, mes parents, qui m’ont supportée, au propre comme au figuré. Souvent j’ai été me réfugier auprès d’eux où j’ai toujours trouvé amour, soutien et écoute. Ils m’ont encouragée dans la poursuite de mes projets et m’ont transmis la persévérance et la fierté du travail bien fait. André et Diane, vous ai-je déjà dit que je vous adorais?

Merci, finalement, à mes amies.

À

Tania pour toutes ces heures passées au téléphone à se plaindre de nos sorts respectifs. Tu vois ma belle, on l’a enfin notre diplôme !

À

Christine, grande érudite, pour toutes ces heures à corriger mes fautes et à semer des virgules par-ci par-là dans mes phrases de huit lignes. Sans oublier les deux Mirni, Virna et So. Merci aussi à Juju, pour son soutien alimentaire et moral qui fut essentiel.

(12)

viii

À

mes grands-parents, assis bien confortablementsur leur nuage MarceÏ et Bernadette, de mémeqtte Andrécts et Irène.

(13)

Aujourd’hui, le 15, remplir sa fiche. Un moment excitant dans le mois, quelque chose à faire. Enfin, aller porter sa fiche, la déposer avec une conscience cosmique dans la boîte A-1 à cet effet. Remplir les petits carrés, saliver sur son enveloppe et la mettre. C’est vraiment fantastique, là, pour le 15, c’est vraiment effervescent, ça fait une

journée vraiment occupée où tu trouves un sens à ta vie. Le deuxième jour le plus important, c’est lorsque tu reçois ton chèque dans la boîte à

malle. Va-t-il y avoir un «veuillez vous présenter à nos bureaux pour qu’on vous check» ou un ci ou un ça? Votre chèque va-t-il être baissé, votre chèque va-t-il être monté ? Vous ouvrez l’enveloppe et votre chèque est intact. Vous avez le montant régulier auquel vous avez droit! Deuxièmement, vous allez faire la file pour le changer, car ce

jour-là à la banque il y a de l’action. Mais si vous êtes brillant, vous

attendez le lendemain. Mais des fois c’est dur d’attendre le lendemain quand le frigidaire est vide. Mais un assisté social intelligent se munit tout le temps d’une bonne ration de Kraft Dinner pour passer ce deuxième jour, ainsi vous économiserez du temps à la banque. Mais pourquoi économiser du temps à la banque, dans le fond, quand on a tant de temps à perdre? C’est pour çaje suggère aux assistés sociaux de tout le temps aller changer leur chèque le 1er et de faire la file, ça vous donne le feeling. Ensuite de ça, ben, il reste 28 jours. Vingt-huit jours. (répondant no 7 de cette étude)

(14)

Introduction

Ce mémoire porte sur les perceptions des individus atteints de troubles mentaux et bénéficiaires d’assistance sociale vis-à-vis du monde du travail. Si, à première vue, le thème semble avoir été exploré de fond en comble, nous verrons au cours des chapitres qui suivent que notre approche s’avère bien différente de celles qui ont été empruntées jusqu’à maintenant pour étudier le sujet.

Alors qu’à l’âge classique, on tenta de réduire la folie au silence dans ce que Foucault nomme le grct;zd rerferi;zement (Foucault, 1972), les pratiques d’institutionnalisation des malades de l’esprit persistèrent encore pendant des siècles. Au Québec, il aura fallu attendre jusqu’en 1962 pour que débute la première vague de désinstitutionalisation. Une seconde phase s’amorça avec la réfonrie Castonguay-Nepveu au début des aimées soixante-dix, puis une troisième, avec l’adoption par le gouvernement du Québec de la politique de santé mentale en 1989 (Mercier, 1997). C’est aussi à cette époque qu’a émergé l’intérêt pour l’insertion socioprofessionnelle des personnes ayant des troubles mentaux.

Pourtant, les personnes atteintes de maladie mentale sont depuis longtemps exclues du marché de l’emploi, mais aussi des autres sphères sociales et politiques. Malgré les efforts de la communauté scientifique pour élargir le débat sur l’exclusion sociale des personnes ayant une maladie mentale et pour promouvoir l’insertion sociale des personnes ayant des troubles mentaux dans divers secteurs de la société tels que le logement, les études et l’emploi (Mercier, 2000), la perspective dominante sur le sujet demeure néanmoins l’insertion socioprofessionnelle. Même si l’exclusion recouvre une réalité plus large, ses théorisations accordent une grande importance à la relation qu’entretient l’individu avec le marché de l’emploi et à cette sphère plus vaste qu’est le travail. C’est ce qui explique en partie la présence des questions liées à l’insertion socioprofessionnelle dans l’insertion sociale des populations exclues (Morris, 2001; Muffels et Fouarge, 2000).

(15)

L’intérêt du monde de la recherche et des organismes oeuvrant en santé mentale potir l’insertion socioprofessionnelle des personnes ayant des troubles mentaux est vif.

Leur exclusion de cette sphère d’activité est importante. Des études récentes révèlent en

effet que la majorité des gens atteints de maladie mentale demeurent exclus du marché de l’emploi. Au Québec, l’AQRP est d’avis que 80% des individus qui vivent des problèmes graves de santé mentale demeurent exclus du marché de l’emploi malgré leur aptitude et leur désir d’y être intégrés (Boivin et aÏ., 2001). L’accès au marché de l’emploi étant ardu pour cette population, l’assistance sociale devient, dans les conditions actuelles, une structure importante de subsistance (White, 2000).

Les personnes ayant des troubles mentaux sévères sont considérées par le système d’assistance sociale du Québec connne étant inhabilitées à intégrer le marché de l’emploi. Contrairement à la plupart des bénéficiaires d’assistance sociale, ceux-ci n’ont pas l’obligation de participer aux mesures d’ernployabilité telles que PAIE ou EXTRA. Des programmes d’employabilité spécifiquement dédiés à cette clientèle ont été établis, mais peu d’individus arrivent à se tailler une place sur le marché. Selon diverses études, les obstacles, parfois majeurs, sont d’ordre structurel et individuel (Anthony et Blanch, 1987; Becker, 1998; Crowther, 2001; Mercier, 1999;White, 2001).

Pourquoi s’intéresser à l’insertion au marché de l’emploi des personnes ayant des troubles mentaux ? Parce que les enjeux sont importants, tant au niveau économique, social, politique que clinique, comme nous le verrons au cours de ce mémoire. L’importance d’avoir un emploi dans le combat contre l’exclusion sociale des personnes atteintes de troubles mentaux semble faire l’unanimité (Boivin et aï., 2001; Crowther et al. 2001; Doi-vil et aÏ., 1997: Lauzon et ctÏ., 2000). D’ailleurs, c’est à partir des dimensions économique, sociale, clinique et politique qu’est en partie conceptualisé le rapport des individus au travail. Mais nous ne savons que très peu de choses sur les perceptions des individus ayant des troubles mentaux et bénéficiaires d’assistance-emploi quant à la relation qu’ils entretiennent avec l’univers du travail. Qu’en pensent les principaux concernés ? C’est ce que nous souhaitons découvrir.

(16)

3 L’un de nos intérêts face à notre question de recherche est justement de savoir quelles sont les théories à l’égard de leur rapport au travail que soutiennent implicitement les personnes ayant des troubles mentaux. Nous reconnaissons aux acteurs un savoir profane, issu de leur expérience de vie quotidienne au sein d’une société donnée, où ceux-ci se posent comme experts face à leur propre situation. Connaître leurs perceptions vis-à-vis de leur relation avec le travail revient à mieux connaître, à partir de leur point de vue, le contexte social, les symboles et les valeurs, dans lesquels leurs actions s’inscrivent (Popay et Williams, 1996; Réhaume, 1988). Un second intérêt réside dans la conceptualisation de cet univers du travail. N’existe-il pas d’autres formes d’activité de production que l’emploi ? Que savons-nous du rapport des individus à l’égard du travail au noir, du bénévolat, du travail domestique et du travail effectué dans le cadre d’une participation aux programmes d’employabilité?

Notre recherche se propose donc d’examiner, à partir de la perspective des principaux concernés, ce rapport au travail pris dans son entière complexité et ses multiples foi-mes d’activités de production. Une question fondamentale nous guide tout au long de nos travaux selon les perceptions des personnes atteintes de troubles mentaux et bénéficiaires d’assistance sociale, de quelles manières sont exprimés et interagissent les divers éléments en jeu dans la relation qu’ils entretiennent avec le travail ? Pour ce faire, nous utilisons un cadre heuristique inspiré de la revue de littérature sur la question, ainsi que du concept d’inclusion sociale proposé dans les travaux récents de P. Bemard (2001).

L’originalité de notre recherche par rapport à celles déjà effectuées sur cette question repose en partie sur notre définition extensive du travail qui nous permet d’élargir nos connaissances quant aux perceptions de notre population à l’étude vis-à-vis de l’emploi, mais aussi des autres fonnes de travail. L’utilisation du concept des « théories implicites » s’avère aussi fort pertinente puisque nous en savons très peu sur les conceptions et les théories des principaux concernés sur le sujet. Bien que des recherches aient été effectuées auprès des personnes bénéficiaires d’assistance sociale, rares sont celles qui ont porté sur les perceptions des personnes considérées inaptes dû à

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leur maladie mentale. Nous espérons qu’une meilleure connaissance des théories et de l’expérience des cette population puisse générer des politiques et des interventions mieux adaptées à la réalité des individus. Finalement, nous avons conçu un cadre heuristique qui cherche à refléter de manière dynamique les dimensions et les éléments en jeux dans cette relation. Ce n’est donc pas une analyse statique qui est proposée ici, mais bien l’étude des différentes interactions entre les multiples composantes de cette relation très complexe avec le travail.

Le chapitre 1 présente notre manière de conceptualiser la maladie mentale, ainsi qu’une revue de littérature sur l’insertion socioprofessionnelle des personnes ayant des troubles mentaux, puisque c’est sous cet angle qu’est habituellement conceptualisée la relation de l’individu au travail. Nous verrons, dans ce chapitre, les principaux enjeux liés à l’insertion au marché de l’emploi de cette population et les questions soulevées dans la recension des écrits.

Le chapitre 2 explique les multiples activités de production qui composent le travail et le cadre heuristique utilisé dans notre compréhension de la relation de l’individu à cet univers. Nous y venons de quelle manière les dimensions économique, sociale, politique et clinique sont liées les unes aux autres et nous aident à mieux cerner une relation qui est à la fois complexe et dynamique.

Le chapitre 3 est quant à lui consacré à la démarche méthodologique. Nous venons en détail la provenance des données utilisées dans le cadre de cette recherche qualitative effectuée auprès de 29 répondants pour qui un diagnostic de schizophrénie, de troubles bi-polaires ou de dépression majeure a été posé. De plus, la seconde section présente la méthode d’analyse utilisée pour cette étude.

Nos résultats seront présentés aux chapitres 4, 5 et 6 qui font état respectivement de la dimension économique, sociale et politique du lien au travail selon les perceptions des répondants. Le chapitre 6 traite également de leur rapport paradoxal entre l’emploi et l’assistance sociale.

(18)

5

En conclusion, nous examinons les inter-relations entre les dimensions et les composantes économiques, sociales et politiques présentées dans les trois derniers chapitres. Nous y effectuerons les liens entre nos résultats de recherche et la littérature en plus de présenter les théories implicites des répondants. Nous y discuterons également de la citoyenneté statutaire chez les personnes ayant des troubles mentaux l’emploi, droit ou devoir?

(19)

L’individu ayant des troubles mentaux et l’univers du

travail

dimensions et enjeux

Ce mémoire a pour objectif d’analyser les perceptions qu’ont les personnes atteintes de troubles mentaux sévères et persistants qui sont bénéficiaires d’assistance sociale dans leur rapport avec la sphère du travail compris dans toute sa complexité. Ce rapport est analysé à partir des représentations des principaux intéressés quant à l’emploi,

le travail au noir, le travail domestique et le travail dans le cadre des programmes

d’employabilité qui constituent l’ensemble de l’univers du travail tel que nous l’entendons. Une question fondamentale nous guide tout au long de nos travaux: selon

les perceptions des persormes atteintes de troubles mentaux et bénéficiaires d’assistance

sociale, de quelles manières sont exprimés et interagissent les divers éléments enjeu dans la relation qu’ils entretiennent avec le travail?

Dans ce chapitre, nous définirons dans un premier temps ce qu’est la maladie

mentale ou les troubles mentaux. Par la suite, nous ferons une recension des écrits portant sur l’insertion socioprofessionnelle qui demeure l’angle sous lequel est majoritairement traitée la relation avec la sphère du travail. Nous venons ensuite que les programmes d’ employabilité ont suscité beaucoup d’engouement et examinerons les principaux obstacles relevés à même la littérature quant à l’insertion au marché de l’emploi des personnes ayant une maladie mentale. Cette recension approfondie de la littérature nous permettra de cerner les acquis dans ce domaine, mais aussi les limites dans notre compréhension d’un phénomène qui se veut plus large que l’insertion socioprofessionnelle. Nous conclurons sur les questionnements qu’a soulevés cette recension des écrits et nous présenterons nos propres orientations de recherche.

1.1 Santé mentale et maladie mentale: définition des concepts

Afin de bien comprendre ce à quoi nous faisons référence tout au long de cet exposé, cette section se propose de clarifier les tenues «santé mentale », «maladie mentale » ou « troubles mentaux ». La santé mentale et la maladie mentale sont-elles distinctes ou

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7 analogues? L’une est-elle simplement l’inverse de l’autre ? En fait, il existe une différence entre ces termes, bien qu’ils demeurent inter-reliés.

Considérant les pièges multiples que peut entraîner une définition de la santé mentale en terme de normalisation, le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ) privilégie une interprétation nettement dynamique qtn permet d’apprécier la complexité de la problématique:

La santé mentale, définie comme l’état d’équilibre psychique d’une personne à un moment donné, s’apprécie entre autres à l’aide des éléments suivants : le niveau de bien-être subjectif, l’exercice des capacités mentales et la qualité des relations avec le milieu. Elle résulte d’interactions entre les facteurs biologiques, psychologiques et contextuels. Ces facteurs sont en évolution constante et s’intègrent de façon dynamique chez la personne.1

Ainsi, la santé mentale dépend d’une multitude de conditions interdépendantes qui interviennent dans la relation qu’entretient l’individu avec son environnement économique, social, culturel et politique. Cette référence aux déterminants sociaux de la santé mentale tente en partie de faire la lumière sur la multitude de facteurs pouvant intervenir au niveau de la santé mentale des individus et dans l’émergence des problèmes mentaux. Toutefois, en aucun cas, ce type d’approche ne désavoue l’influence de la personne, son histoire, ses perceptions et ses choix. L’utilisation du modèle écologique par le C$MQ permet de rendre compte avec justesse des différents niveaux (microsocial, méso-social et macrosocial) et des inter-relations entre les facteurs dits sociaux ou contextuels à l’oeuvre. Il est important de spécifier que les facteurs contextuels se situent à deux niveaux : les pressions contextuelles exercées sur la personne et les stratégies que prendra l’individu pour faire face à ces pressions. De plus, l’impact des facteurs contextuels est subjectif et réfère tant aux perceptions et significations que leur attribue l’individu qu’à ces caractéristiques objectives

Dais cette perspective, la santé mentale peut également être considérée comme une ressource collective, à laquelle contribuent tout autant les

Comité de la santé mentale du Québec (1994). Recommandations pour développer et enrichir la politique de santé mentale, Québec, Les publications du Québec, p7.

(21)

institutions sociales et la communauté entière que les personnes prises individuellement2

La santé mentale est donc un phénomène d’ordre individuel, mais aussi social. Les problèmes de santé mentale, quant à eux, émergent à un point d’interaction entre les facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels

Ces problèmes ont des formes d’expression multiples et découlent notamment des conditions de vie difficiles tels la pauvreté et l’isolement, d’événements perturbateurs (violence conjugale ou abus sexuels). Ils s’expriment au sein d’un milieu et en lien avec la dynamique de celui-ci.3

Toutefois, lorsqu’il est question de maladie mentale ou de trouble mental, qui sont des synonymes, nous référons aux troubles pour lesquels un diagnostic est possible. L’outil de référence majeur en Amérique du Nord afin de poser un diagnostic de maladie mentale est le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM W). S. Vézina (2002) précise

La notion de «trouble mental grave et persistant » fait référence généralement à une symptornatologie désorganisante et instable pour la

4

personne.

Ainsi, une personne peut être en mauvaise «santé mentale» (exp. souffrir d’épuisement ou d’anxiété) sans nécessairement être atteinte d’une maladie mentale qui est généralement accompagnée de symptômes spécifiques (exp. délire, perturbations cognitives, hallucinations, etc.). Ces symptômes ont habituellement des impacts très importants sur le fonctionnement de l’individu (Dorvil et aÏ., 1997). De même, une personne ayant reçu un diagnostic de maladie mentale ou de troubles mentaux peut jouir d’une santé mentale relativement bonne lorsque les différents symptômes sont sous contrôle par le biais d’une médication appropriée et/ou d’une psychothérapie. Ces deux réalités, santé et maladie mentale, se recoupent et ne sont donc pas exclusives l’une de l’autre, comme l’illustre la figure qui suit.

2

Comité de la santé mentale du Québec (1994). Recommandations pour développer et enrïchir Ïapolitiqtte de santé mentale, Québec, Les publications du Québec, p8.

Idem, p9.

Vézina, S. (2002). « Perspective critique en intégration au travail des individus vivantdes troubles mentaux graves et persistants », Santé mentale au Québec, vol. 27, No. 1, p. 287.

(22)

9

Figure Ï

Les représentations de l’état de santé mentale

Santé mentale optimale

Trouble mental —

________

Absence de

maximal trouble mental

Santé mentale minimale

(Comité de la santé mentale au Québec, 1994)

L’état de santé mentale se définit comme étant le positionnement de l’individu au sein d’un des quadrants formés par les axes cartésiens et délimités par les deux continuums que sont la santé mentale et les troubles mentaux (figure 1). Nous observons que si certaines personnes pour qui aticun diagnostic n’a été posé peuvent présenter des symptômes habituellement révélateurs de maladie mentale, d’autres peuvent se sentir en très bonne santé mentale même si un diagnostic de troubles mentaux a été posé. Les gens atteints de maladie mentale ou de troubles mentaux n’ont pas tous les mêmes symptômes

et ceux-ci ne s’expriment pas avec la même intensité au cours de leur vie. Santé mentale

et maladie mentale sont donc deux réalités non exclusives, qui dépendent d’tine multitude

de conditions sociales, culturelles, économiques, politiques, etc. Celles-ci ne sont pas que purement psychologiques ou biologiques puisqu’elles s’inscrivent dans la relation qu’entretient l’individu avec son environnement au sens large du terme.

Les recherches en épidémiologie psychiatrique, qui remontent aussi loin que le 19e siècle, ont tenté de cerner la relation entre le statut socio-économique et la maladie mentale. (Jayakody et aï., 1992). Il est admis que plus de gens souffrent de troubles

(23)

mentaux dans les classes sociales économiquement défavorisées (CSMQ, 1994). La conceptualisation la plus commune tend à démontrer l’influence du statut socio économique sur la maladie mentale. Ainsi, un faible statut socio-économique engendre de graves répercussions sur le fonctionnement psychologique des individus, ce qui a pour effet de jouer un rôle déterminant dans l’émergence de la maladie mentale (Dohrenwend et aÏ., 1992 cité par Jayakody et aÏ., 1998; Power et al., 1991 cité par Timms, 1998).

À

l’inverse, d’autres études ont préféré mettre l’accent sur la maladie mentale comme facteur d’influence sur le statut socio-économique de la personne. Ces recherches ont cherché à vérifier l’impact des troubles mentaux sur l’emploi. Ainsi, les conséquences liées à la maladie telles que la présence de stigmates, l’absentéisme et le licenciement, pour n’en nommer que quelques-unes, réduiraient les possibilités d’accession à un statut socio-économique favorable (Jayakody et aï. ,1998; White; à paraître). Indépendannnent du lien qui existe entre le statut socio-économique et la maladie mentale, force est de constater que la majorité des individus ayant des troubles mentaux sévères et persistants vivent d’aide sociale toute leur vie ou, du moins, à certaines périodes de celle-ci (White, 2000). C’est le cas pour l’ensemble de la population à l’étude qui est bénéficiaire de l’assistance-emploi et qui est considérée inapte, par le système d’assistance publique, à intégrer le marché de l’emploi. Celles-ci ont également toutes reçu un diagnostic de troubles mentaux, que ce soit de schizophrénie, de troubles bi-polaires ou de dépression mai eure.

1.2 Les dïmensions et les éléments en jeu dans le rapport entre l’individu et le marché de l’emploi

Bien qu’elle ne soit pas exclusive à cette perspective, la littérature présentée porte principalement sur l’insertion socioprofessionnelle puisque telle est majoritairement conceptualisée la relation des personnes ayant une maladie mentale avec la sphère du travail. Pour notre part, nous considérons que le travail ne se limite pas qu’à l’emploi, mais qu’il englobe aussi d’autres sphères d’activités de production, tels le travail au noir, le bénévolat, le travail domestique et les programmes d’employabilité. Nous aurons l’occasion au cours du prochain chapitre d’approfondir cette notion de l’univers du travail qui s’avère centrale dans notre étude. Cependant, voyons dans un premier temps quels

(24)

11 sont les dimensions et les éléments en jeu selon la littérature portant sur l’insertion socioprofessionnelle et résumons quelques-unes des interrogations qu’ont suscitées ces écrits.

1.2.1 La dimension clinique

L’une des dimensions enjeu dans cette relation, lorsqu’il est précisément question des personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants, est de nature clinique. La majorité des auteurs et des études consultés sont d’avis que le travail —une activité de

production pour laquelle il n’y a pas nécessairement de rémunération — constitue un

facteur déterminant dans le rétablissement des individus aux prises avec des troubles mentaux (Rogers, 1995). Il appert que le travail favorise le maintien du bien-être psychologique, l’estime de soi (Cook et Razzano, 2000; Dorvil et aÏ., 1997; $cheid, 1993) et la diminution des symptômes psychiatriques (Cunningharn etal., 2000; Lehrnan, 1995). Quant au travail rémunéré, il permet de réduire les symptômes associés à la maladie, de même que le taux de ré-hospitalisation (Noble, 199$), et ce de manière plus significative que le travail non rémunéré (Beli et Lysaker, 1997). Notons toutefois que ces résultats de recherche portent sur le travail dans le cadre de milieux protégés (plateaux de travail, ateliers supervisés, etc.), et non sur un emploi au sein du marché.

Depuis les aimées quatre-vingt, il existe aux États-Unis un mouvement visant l’insertion socioprofessionnelle au marché de l’emploi nommé «Supported Employment ». Les emplois offerts ont parfois fait l’objet de quelques modifications

(exp. temps partiel ou partagé), mais ce n’est pas systématique puisqu’il s’agit d’emplois issus du marché traditionnel. Un support constant est offert à l’employé souffrant de maladie mentale et l’adaptation des postes de travail est possible dans certains cas. Les recherches effectuées sur ce type de programmes révèlent des résultats cliniques intéressants. Une étude menée par Mueser et aÏ. (1997) auprès d’individus ayant des troubles mentaux participant à un «Individual Placement and Support Program» qui utilise ce type d’approche, conclut à une diminution des symptômes liés à la maladie, à un meilleur fonctionnement général et à une hausse de l’estime de soi. En fait, la plupart des études sont d’avis que les programmes de type « Supported Employment » semblent

(25)

prometteurs, tant en ce qui concerne le succès lié à l’insertion socioprofessionnelle que les résultats cliniques positifs (Becker et aÏ., 2001; Cook et Razzano, 2000; Crowther et

aï., 2001; Howton Ford, 1995; Lehrnan, 1995). Nous verrons dans la section 1.4 que si l’insertion professionnelle peut être bénéfique pour les individus ayant des troubles mentaux, celle-ci peut également engendrer des effets négatifs sur la santé mentale des populations intégrées au marché de l’emploi.

1.2.2 La dimension économique

Le second élément au sein de ce rapport, lié plus spécifiquement au marché de l’emploi, est d’ordre économique. Puisque l’insertion à l’emploi permet de diminuer les hospitalisations, elle permet indirectement de réduire les coûts associés aux services hospitaliers (Dorvil et al., 1997). Des auteurs vont plus loin en spécifiant que de meilleurs services d’insertion à l’emploi poulTaient aussi entraîner une diminution des coûts sociaux en réduisant le recours inapproprié au système carcéral qui est parfois mis à profit pour contrôler les symptômes de certains individus (Nobles, 1998). En outre, selon d’autres auteurs, la détention d’un emploi peut permettre une diminution significative de la dépendance aux subsistes de l’État (Lauzon et al., 2000), en plus d’offrir certains avantages économiques aux individus (Cook et Razzano, 2000).

1.2.3 La dimension sociale

Au-delà des dimensions clinique et économique, il en existe une troisième qui est de nature sociale. D’un point de vue général, la détention d’un emploi rémunéré sur le marché conventionnel confère de la dignité (Châtel, 1999) et donne accès à un statut social valorisé et reconnu (Lauzon et aï., 2000). Mais de manière plus spécifique, le lien à l’emploi permet l’identification sociale, la participation sociale en plus de confirmer l’adhésion de l’individu aux valeurs de la société.

Dans notre société, à la question « qui sommes-nous ? » se profile comme attente une réponse en termes d’identité socioprofessionnelle. Il est admis par plusieurs auteurs

(26)

13 que l’emploi demeure le principal élément structurant l’identité sociale et qu’il agit comme un principe identificatoire reconnu. S. Vézina etaÏ. (1992) reconnaissent que

(...)

le travail est devenu aujourd’hui, au-delà des critiques et des désenchantements, une des sources principales de l’identité d’une personne.5 L’emploi influence notre conception de soi et a un impact dans nos relations avec autrui (Scheid, 1993). La participation sociale semble aussi être un élément d’importance. Une étude menée par Mon-is (2001) auprès de jeunes gens lourdement handicapés conclut que l’absence de participation au marché de l’emploi provoque un état de dépendance qui tend à exclure l’individu dépossédé de toutes fonnes de contribution économique:

(...)

being without paid work inevitably meant being «dependent », shut out

from society and with no contribution to make.6

La participation sociale est un élément souvent mentiormé dans la littérature portant sur l’insertion socioprofessionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux (Dorvil et aÏ., 1997; Lauzon et aÏ., 2000; Lehrnan, 1995), qui a une portée très grande sur d’autres aspects de la vie de l’individu, tels que l’autonomie, le sens à la vie, ainsi que le sentiment d’être utile et productif à la société. Selon Chandler et aÏ. (1999)

No one needs or deserves the empowering advantages of meaningful job more than adults with severe psychiatric disabilities. For ail workers, employment is more than a source of money; it is a locus for friendships; a way to be active and productive; a source of self-sufficiency; and a way to freely participate in society.7

On ne peut parler de la participation sans faire mention de l’appartenance sociale. Selon certains auteurs, la participation étant actuellement assujettie en quasi-totalité à la sphère économique (Lévitas, 1996; Walters, 1997), l’individu voit sa contribution en tant qu’acteur producteur de richesse, mais aussi en tant que consommateur des biens produits. Ainsi, Bauman (1998) constate:

Vézina, M., Cousineau, M., Mergier, D., Vinet, A. et Laurendeau, M.-C. (1992). Pour donner un sens au travail. Bilan et orientation du Québec en santé mentale et travail, Comité de la santé mentale au Québec (CSMQ), Gatan Morin éditeur, p. 1.

6

Moms, J. (2001). «Social Exchtsion and Young Disabled People With High Levels of Support Needs s>, Critical Social Policy, Vol. 21, No. 2, p.177.

Chandier, D., Shelley, L. et P. Barry (1999). «The menu approach to employrnent services: Philosophy and five-year outcomes o, Psychiatric Rehabilitation Journal, Vol. 23, No., 1, p.24.

(27)

To rneet the social norm, to be a fully-fledge member of society, one needs to respond promptly and efficiently to the temptations of the consumer market

(

)8

Notre appartenance à la société capitaliste s’exprime via la consommation de biens qui ont une valeur symbolique et dont l’impact sur la reconnaissance sociale est grand.

À

preuve, l’engouement pour la contrebande de produits de marque contre-faits. L’importance n’est pas dans le produit même, mais dans l’apport au niveau social qu’entraîne l’acquisition (et la mise en valeur) d’unemarquede commerce reconnue.

Nous retiendrons que les principaux éléments sociaux du travail, et plus particulièrement de l’emploi, sont leur contribution à l’identité sociale, à la participation et au sentiment d’appartenance aux valeurs et aux normes de la société. En fait, ces trois éléments, pourtant considérés à l’origine comme étant de nature sociale, font partie des composantes multiples relatives à la citoyenneté telle que conceptualisée par P. Hassenteufel (1997).

1.2.4 La dimension politique

Le principal élément relatif à la dimension politique dans la relation entre l’individu et le travail se traduit par la citoyenneté. Selon P. Hassenteufel (1997), la citoyenneté revêt trois volets qui sont inter-dépendants les uns des autres t statutaire, identitaire et

effectf Une telle définition de la citoyenne a l’avantage de mieux en saisir les nuances.

C’est la dimension statutaire de la citoyenneté qui est évoquée par les auteurs en santé mentale lorsqu’ils en appellent au droit à l’insertion socioprofessionnelle au marché traditionnel des personnes atteintes de troubles mentaux (Boivin et aï., 2001; Lauzon et

aÏ., 2000). La dimension statutaire permet la définition juridique des droits et des devoirs des citoyens, où, selon P. Rosenvallon (1995), «

(...)

les obligations de la collectivité envers chacun de ses membres sont la contrepartie de l’implication de ceux-ci ». C. Mercier (2000) va plus loin en intégrant la dimension des rôles sociaux à cette définition statutaire

Baurnan, Z. (1998). ÏVork, Consumerism and the New Poor,. Buckingham. Open University Press, p90. Rosanvallon, p. 1995). La nouvellequestionsociale: repenser lEtat-providence, Seuil, Paris, p49.

(28)

15 L’objectif n’est plus d’insérer dans son milieu une personne avec des troubles mentaux graves, mais bien de la maintenir dans ses droits et de lui donner les moyens d’assumer ses responsabilités et ses rôles en tant que citoyenne ou citoyen.

t...).

Il en est de même pour le travail ou toute activité productive. 10 Cette opportunité pour le citoyen d’exercer un rôle social, qu’a relevée C. Mercier, s’apparente en partie à la deuxième dimension de la citoyenneté définie par P. Hassenteufel. Il s’agit de l’identité citoyenne qui implique à la fois la reconnaissance par autrui de cette identité, ainsi que le sentiment d’appartenance à la collectivité ressentie par l’individu même. L’identité citoyenne se construit en fonction des rôles détenus par les individus, mais aussi, comme nous l’avons vu précédemment, en fonction de l’identité sociale et de l’appartenance aux valeurs de la société.

La troisième et dernière dimension relative à la citoyenneté est dite effective. Elle réfère à l’existence concrète et à l’application réelle des droits et devoirs définis juridiquement. En effet, ce n’est pas parce que les droits sont juridiquement reconnus que les individus ont les moyens de les exercer ou, même, qu’ils y ont accès. Même si le droit à l’insertion socioprofessionnelle des individus ayant des troubles mentaux n’est pas remis en question, il n’en demeure pas moins que le marché de l’emploi ne leur offre que peu d’ouvertures.

À

preuve, l’OMS estime que 90% des persormes «handicapées du psychisme» (selon son appellation), aptes et disponibles à intégrer le marché du travail, sont sans emploi (Boivin et aÏ., 2001). Mais si le lien entre l’individu et le marché de l’emploi revêt tant d’importance, pour quelles raisons l’intérêt pour l’insertion socioprofessionnelle des individus atteints de troubles mentaux est-il si récent ?

1.3 Désinstitutionnalïsation et politiques actives : vers l’insertion en emploi

En fait, il semble que la désinstitutionnalisation, d’une part, et l’émergence des politiques actives quant au marché de l’emploi, d’autre part, fournissent quelques éléments de réponses. Afin de bien comprendre l’essor d’un intérêt visant la réinsertion sociale des malades mentaux, nous devons, selon C. Mercier (1997), mieux comprendre le mouvement de la désinstitutionnalisation. Au Québec, le système asilaire a régné

10

Mercier, C. (2000). « Espoir et défis santé mentale communautaire et troubles mentaux graves », Revue canadienne de santé mentale, Vol. 19, No. 2, p. 149.

(29)

jusqu’en 1960 (Boudreau, 1984). Ce n’est qu’avec la publication du rapport de la commission Bédard en 1962, que l’ont vit naître les premiers services dits psychiatriques.

C’est à ce moment que l’on situe, au Québec, la première vague de

désinstitutionnalisation.

À

cette époque, l’insertion sociale était privilégiée, mais l’intégration en emploi ne faisait pas partie des priorités de la réforme. La deuxième vague s’est amorcée avec la commission Castonguay-Nepveu, au début des années soixante-dix. Même si le modèle privilégié en est alors un de santé globale et de prévention, un mouvement de protestation contre la psychiatrie institutionnelle voit le jour à la fin des années soixante-dix. C’est dans ce contexte que s’inscrit la troisième phase de désinstitutionnalisation qui s’amorce avec l’adoption de la politique de santé mentale du Québec en 1989. L’un de ses objectifs clairement formulés est la réinsertion sociale des malades mentaux par le biais de services dans les milieux de vie des individus. Malgré des problèmes importants au niveau de l’opératioimalisation (Dorvil et

aÏ., 1997; Mercier, 1997), c’est dans le cadre de cette politique que l’intégration sociale vise désormais l’intégration au marché de l’emploi pour les personnes atteintes de troubles mentaux, La politique préconise

(...)

la recherche d’emploi compatible avec la capacité et les compétences d’une personne ainsi qu’une formation qui puisse mener à un emploi du temps jugé intéressant et des ressources financières suffisantes.”

Au cours des ans, l’importance, pour les malades mentaux, d’être intégrés au marché de l’emploi a aussi été soulevée par les divers groupes oeuvrant en santé mentale, tant au Québec, (Boivin et aÏ., 2001; Dorvil et aÏ., 1997; Lauzon et aÏ., 2000; Mercier, 1999) qu’au niveau international (Harnois et Gabriel, 2000).

Parallèlement, c’est aussi au début des aimées quatre-vingt dix qu’émergent les premières politiques dites actives. Autrefois, les politiques de l’Etat Providence visaient essentiellement à protéger les citoyens face aux risques inhérents au marché et à l’insécurité salariale (Levasseur, 1995). Toutefois, la prémisse selon laquelle les inégalités sociales et la pauvreté ont continué à croître malgré les sommes investies dans les programmes de sécurité sociale sert aujourd’hui de pilier aux orientations actuelles

(30)

17

soucieuses de combattre la «dépendance» passive et de réaliser des économies sur le plan fiscal (Stepney, Lynch et Jordan, 1999; Walters, 1997). Ainsi, l’intégration sociale via le marché de l’emploi de tous les individus aptes et en âge de travailler s’avère être l’objectif ultime afin de combattre la pauvreté, les inégalités sociales et l’exclusion en général (Drake, 2000; Stepney, Lynch, Jordan, 1999; Lister, 1998; Lévitas, 1996). Cet objectif en sous-tend un second, celui de la formation (Lister, 1998). Afin de favoriser l’insertion des populations marginalisées sont mis sur pied des programmes d’employabilité qui visent le développement des compétences et des habiletés. Selon Walter (1997), l’importance que revêt la formation des populations exclues du marché de l’emploi n’est pas que philanthropique, mais aussi largement motivée par des intérêts liés à la rentabilité des dépenses publiques

The argument for the importance of training goes as follows: public expenditure is more productive if it is spent on training people-to improve their employability and their ability to compete effectively for jobs-than on simply maintaining them outside the labour market 12

Toutefois, seuls les individus considérés comme étant totalement inaptes (encore faut-il définir le terme) à intégrer le marché de l’emploi ont accès aux subsides provenant du système de sécurité sociale. C’est d’ailleurs le cas de notre population à l’étude. Elle n’est pas expressément visée par ce type de politiques «actives » puisque les gens souffrant de troubles mentaux sévères et persistants sont habituellement considérés comme étant inhabilités à intégrer le marché de l’emploi traditionnel.

À

preuve, 32 000 Québécois avaient reçu un diagnostic de troubles mentaux en 1995. Sur le plan médical, on considère que ceux-ci présentent des contraintes sévères à l’emploi (Lauzon et al., 2000). Malgré tout, nous avons vu que le secteur de la santé mentale a contribué à la promotion de l’insertion au marché de l’emploi des individus atteints de troubles mentaux en soulevant l’importance des différentes dimensions et éléments en jeux dans la relation entre l’individu et le marché, ainsi qu’en participant au déploiement de programmes d’employabilité spécifiques à leur clientèle.

2

Walters, W. (1997). « The “active” society: new designs for social policyo, PoÏicyand Politics, Vol. 25, No. 3. p 228.

(31)

Ainsi, tandis que pendant les aimées d’après-guerre, le marché de l’emploi était relativement accessible, même pour des individus ayant peu de qualifications et

d’éducation, l’accession des malades mentaux au marché de l’emploi ne faisait nullement partie des préoccupations sociales du temps. Paradoxalement, le marché de l’emploi a connu, au cours des ans, de multiples transformations qui ne sont pas sans complexifier

cette insertion. C’est dans ce contexte en mutation qu’a commencé à être privilégiée l’insertion socioprofessionnelle des populations marginales dont font partie les personnes ayant des troubles mentaux.

En effet, te développement récent de l’économie capitaliste réfère moins aux

aptitudes manuelles des travailleurs qu’au développement des communications, de l’imagination, de la transmission des informations, de la compréhension mutuelle et du développement des habiletés sociales et émotionnelles (Gorz, 1999). Flexibilité et autonomie sont aussi des qualités que doit posséder l’individu désirant s’insérer au marché de l’emploi (Tremblay et Villeneuve, 2002; Jetté, 2001). Ces demandes se répercutent sur les statuts reliés à l’emploi qui sont de plus en plus précaires. La précarité se définit comme étant un rapport social changeant entre l’employé et l’employeur où le travailleur possède un contrôle variable sur sa trajectoire professionnelle (Potvin et al., 2001). Cette précarité est caractérisée par une polarisation au niveau de la rémunération, une sécurité moindre et une perte de pouvoir de l’individu. D’un modèle type, nous sommes maintenant à parler d’emplois atypiques (Townson, 2003; Potvin et aÏ, 2001; Gouvernement du Québec-Ministère du Travail 1998).

À

preuve, de 1976 à 1995, 34,4 % des emplois créés sont des emplois autonomes, 38,9 ¾ représentent des emplois à temps partiel et seulement 26,7 ¾ constituent des emplois salariés réguliers à temps plein. En somme, 73,3 ¾ des emplois créés de 1976 à 1995 sont des emplois atypiques (Matte et aÏ., 1998). Et c’est paradoxalement dans un tel contexte socioéconornique que s’inscrit la promotion de l’insertion socioprofessionnelle des personnes ayant des troubles mentaux. D’autant plus que la maladie perturbe justement les capacités les plus en demande par le marché de l’emploi.

(32)

19 Les impératifs de performance, de productivité et de rapidité d’exécution sont autant d’exigences difficiles à rencontrer pour les individus atteints d’une limitation physique, mentale ou sensorielle (Bames, 2000). En outre, les individus doivent composer avec les symptômes liés aux périodes de résurgence de la maladie qui ne sont pas sans impacts sur la performance au sein de l’entreprise ou sur les relations sociales

dans le milieu de travail (Banks et aI, 2001). Ainsi, l’entière autonomie, qualité recherchée par le marché de l’emploi, est difficile à atteindre pour les individus vivant avec les aléas de la maladie mentale. Dans le cadre de ses travaux sur l’intersectorialité et l’intégration au travail des personnes vivant avec des problèmes graves de santé mentale, le Comité de la santé mentale au Québec explique:

L’exclusion du marché du travail vécue par les personnes ayant des problèmes graves de santé mentale montre leur incapacité d’intégrer les lieux, les nonnes et les règles du marchédutravail (•)13

Ce constat soulève une interrogation : comment faciliter l’insertion de ces personnes au marché de l’emploi ?

1.3.1 Les programmes d’employabilité : un échec?

Divers types de programmes d’employabilité ont été mis sur pied afin de faciliter la réadaptation et l’insertion professioirnelle des personnes ayant une maladie mentale. Dans la littérature anglophone, une de ces mesures est désignée sous le vocable de «prevocational training ». Selon Crowther et aÏ. (2001), ces programmes prennent pour

acquis que les personnes souffrant de maladie mentale nécessitent une période de préparation avant d’être intégrées au marché de l’emploi traditionnel. Ces derniers peuvent prendre des formes diverses : ateliers protégés, équipes de travail, développement des habiletés sociales et professionnelles ou d’autres activités préparatoires à l’emploi. Au Québec, il existe 114 organismes offrant de tels programmes d’ernployabilité et d’insertion à l’emploi. Dans la majorité des programmes

offerts (57%), les individus atteints de maladie mentale n’ont pas de contact avec le

marché de l’emploi traditionnel (Mercier et at. 1999). Il ne s’agit donc pas d’emploi sur le marché. mais de mesures visant à évaluer et à développer les aptitudes des individus en

Comité de la santé mentale duQuébec (1994). Recommandations pour développer et enrichir la politique de santé mentale, Québec, Les publications du Québec, p7.

(33)

prévision d’une éventuelle insertion au marché de l’emploi. Plus de 60 ¾ des programmes visent principalement l’évaluation et le développement des habiletés de travail, ainsi que le suivi individuel (Mercier et aÏ. 1999). Comme nous l’avons vu précédemment, il existe aussi un nouveau type de programme nommé «Supported Employment », qui privilégie une insertion directe au marché de l’emploi traditionnel. Les personnes souffrant de déficiences mentales ont été les premières visées par cette nouvelle philosophie d’insertion à l’emploi qui s’est par la suite adaptée aux spécificités d’une clientèle ayant des troubles mentaux (Anthony et Blanch, 1987; Howton Ford, 1995). Ce type de programme n’exige pas systématiquement des participants une préparation intensive, contrairement à beaucoup de programmes d’ernployabilité. En fait, le « $upported Employment > favorise l’insertion directe en emploi tout en offrant un support constant à la personne. Ces initiatives sont toutefois plus courantes aux États-Unis qu’au Québec, qui semble accuser un léger retard dans le développement de ce type de mesures.

Malgré les efforts des diverses instances, il appert que les programmes d’employabilité destinés aux personnes ayant des troubles mentaux ne donnent pas des résultats probants quant à l’insertion au marché traditionnel. Une recherche effectuée par Cook et Razzano (2000) sur la littérature relative aux mesures d’insertion en emploi chez les personnes atteintes de schizophrénie conclu que le succès obtenu par les programmes d’ernployabilité auprès de cette population s’avère modeste. En fait, si la participation à ce type de programme entraîne des bénéfices positifs pour l’individu à divers niveaux (santé, social, etc.), la plupart n’arrivent pas à des résultats significatifs quant au maintien d’un emploi sur le marché (Lehman, 1995). Une étude allemande fait aussi état de piètres résultats d’une variété de programmes d’ernployabilité (Reker et al., 2000). Trois ans après avoir suivi les programmes, 11% des participants détenaient unemploi, 67% étaient demeurés en emploi en atelier protégé, 7% dans des programmes de type <(in out-patient work therapy» et 15% étaient sans travail.

Quelles sont les difficultés liées à l’insertion socioprofessionnelle de cette population ? Le document produit par Dorvil et aÏ. (1997) sur les défis de la

(34)

21 reconfiguration des services de santé mentale au Québec mentionne quelques-uns des enjeux systémiques liés à l’insertion socioprofessionnelle des individus atteints de troubles mentaux. Le manque de reconnaissance des employeurs quant au potentiel des individus, les préjugés dont sont victimes les personnes ayant des troubles mentaux, l’absence de suivi communautaire, de sotitien adéquat et, indirectement, de financement, sont quelques-uns des facteurs qui contribuent aux difficultés d’insertion socioprofessionnelle. Ces contraintes ont été confinnées par C. Mercieret aÏ. (1999) lors d’une recherche-action menée auprès d’organismes communautaires offrant des programmes d’employabilité et de vingt-deux groupes thématiques. Ces groupes étaient constitués d’usagers participant à une mesure d’ employabilité, d’usagers non-participants et d’employeurs issus de différents milieux. Lors de cette recherche, les trois types de groupes thématiques ont mentionné les préjugés comme étant le premier obstacle en importance dans les difficultés d’insertion à l’emploi. La stigmatisation de l’individu ayant des troubles mentaux est un phénomène qui a été largement étudié (Link, 1982; Goffman, 1961; Crisp et aÏ. 2000). Le concept de stigmate fait référence à un individu marqué socialement par les autres comme étant différent ce qui l’empêche d’être pleinement accepté par la société (Goffinan, 1975). La stigmatisation a des conséquences sur la participation sociale (perte d’un statut, rejet par la communauté et la famille, marginalisation, etc.), sur l’image de soi (honte, mépris de soi-même) et sur l’identité sociale. Il a aussi été démontré que la construction sociale d’une population cible, les malades mentaux, par le biais de programmes spécifiques tend à accentuer le phénomène en modifiant la perception qu’ont les autres individus et influence la participation sociale du groupe visé (Schneider et Ingram, 1993). La prise en charge institutionnalisée des malades mentaux par des organismes spécifiques selon une logique classificatrice aurait pour effet de marginaliser les populations ciblées (Castel, 1994).

La recherche menée par Mercier et aÏ. (1999) a aussi permis de constater que les modalités et les structures des programmes en place afin de favoriser l’insertion socioprofessionnelle sont peu adaptées aux besoins des individus. Huit des neuf groupes thématiques composés de participants aux mesures étaient en effet de cet avis, ce que confirmaient aussi les organismes communautaires dispensant de tels services, pour qui

(35)

cette difficulté se trouve au 4erang. Les problèmes d’adéquation dans les services offerts

semblent être de deux ordres. Premièrement, l’une des difficultés réside dans le manque de coordination entre les diverses instances, qu’elles soient communautaires ou gouvernementales, qui oeuvrent de près ou de loin avec les individus souffrant de troubles mentaux. Deuxièmement, les programmes ne semblent pas toujours répondre aux besoins des individus souffrant de troubles mentaux. C’est du moins ce qu’affirment les récents travaux de Boivin et aÏ. (2001) sur l’action intersectorielle et l’intégration des personnes vivant des problèmes graves de santé mentale au Québec. Selon eux, les offres d’emploi, mais aussi les services offerts par les diverses instances gouvernementales afin d’aider les individus aux prises avec des problèmes de santé mentale, ne répondent pas aux besoins particuliers des individus, ni même à leurs demandes

Au Québec, le grand nombre d’acteurs et l’isolement des uns par rapport aux autres créent des obstacles d’ordre systémique à l’accessibilité, dont les plus importants tiennent au manque d’articulation entre le réseau immédiat des ressources d’intégration socioprofessionnelle relevant du secteur de la santé et des services sociaux et le réseau de l’économie et de l’emploi.14

Ainsi, les difficultés systémiques de l’insertion socioprofessionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux sont liées au manque de reconnaissance des employeurs quant au potentiel des individus, aux préjugés et stigmatisation dont ces derniers sont victimes, à l’absence ou à l’inadéquation des divers services communautaires et gouvernementaux liés à l’insertion socioprofessionnelle, de même qu’à la structure et aux modalités des divers programmes en place.

Mais les obstacles ne sont pas strictement structurels puisque la littérature mentionne àmaintes reprises que les caractéristiques individuelles des personnes doivent également être prises en considération. Mercier et cii. (1999) distinguent trois sortes de caractéristiques individuelles celles liées aux comportements (conduites étranges, ponctualité et assiduité déficiente, manque d’ autonomie), aux caractéristiques

4

Boivin, L., Bourassa, A., Gilbert, G., Merciei-, C. et D. White (2001). L‘intersectorialité et/‘intégration

au travail des personnes vivant avec des problèmes graves de santé mentale. Etat de la situation, Québec, Comité de la santé mentale au Québec(CSMQ), p. y.

(36)

23

personnelles (image de soi négative, instabilité émotionnelle, angoisse, etc.) et aux rapports avec le milieu de travail (relations avec les collègues, difficultés d’adaptation, etc.). Les $0 organismes oeuvrant dans le développement de l’employabilité des personnes ayant des problèmes de santé mentale au Québec interrogés dans le cadre de cette recherche stipulent que les attitudes de la personne, telles que la dévalorisation, la faible estime de soi et la faible motivation, étaient au premier rang des enjeux liés à l’insertion socioprofessionnelle. L’instabilité émotionnelle a été désignée comme étant le deuxième enjeu en importance par les organismes oeuvrant dans le domaine. De même, la confiance en soi, la crainte de l’échec et le manque d’expériences positives en emploi font partie des caractéristiques de la personne pouvant expliquer les difficultés d’insertion au marché de l’emploi recensées dans la littérature (Dorvil et aÏ., 1997). Les effets secondaires dus à la médication pour contrer les symptômes liés à la maladie mentale doivent aussi être pris en considération, comme le mentionnent les groupes thématiques composés d’usagers non-participants aux programmes d’employabilité lors de l’étude menée par C. Mercier (1999). Ceux-ci peuvent en effet nuire à la concentration, à la motivation, provoquer de la somnolence, etc. (Dorvil et aÏ. 1997)

D’autres études ont plutôt porté sur le maintien en emploi des individus aux prises avec des troubles mentaux. La revue de littérature effectuée par Becker et al. (199$) met de l’avant le manque d’expérience en emploi, le «Work readiness» inadéquat (les attitudes préparatoires au travail), les psychopathologies sévères et la faiblesse des habiletés sociales comme facteurs intervenant dans la cessation d’emploi. Quant aux résultats de leur propre recherche menée auprès de soixante-trois personnes souffrant de troubles mentaux sévères détenant un emploi sur le marché traditionnel via un programme de «Supported Employment », ils montrent que les difficultés

interpersonnelles, la maladie mentale même, l’insatisfaction des individus quant à l’emploi, la faible perfonnance dont ils ont fait preuve et la dépendance à certaines substances psychotropes ou leur abus sont des facteurs qui interfèrent dans le maintien d’un tel programme. Toujours selon cette même étude, les programmes d’employabilité suivis au préalable ne réduisent pas les risques de cessation d’emploi. En fait, ce qui semble intervenir en faveur des individus dans le maintien en emploi, c’est l’expérience

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professionnelle antérieure. Toutefois, certaines maladies sévères telle la schizophrénie, émergent à la fin de l’adolescence, ce qui tend à limiter l’insertion «normale » aumarché de l’emploi (White, à paraître).

Ce que nous constatons, c’est que les obstacles à l’insertion socioprofessionnelle des personnes ayant des troubles mentaux sont systémiques et/ou individuels. Ces difficultés liées à l’insertion à l’emploi sont celles mises de l’avant par les chercheurs dans le domaine, tout comme les principaux éléments relatifs aux dimensions enjeu dans la relation de l’individu avec le marché de l’emploi ont été identifiés par les professionnels oeuvrant dans le champ de la maladie mentale. Mais le travail se limite-t-il à l’insertion professionnelle au marché de l’emploi ?

1.4 De l’insertion à l’emploi au rapport au travail

La littérature portant principalement sur l’insertion au marché de l’emploi des personnes ayant des troubles mentaux n’est pas sans soulever quelques interrogations. En effet, nous avons observé quelques contradictions entre les différents auteurs consultés.

Premièrement, tandis que certaines études avancent que l’intégration au marché traditionnel favorise le rétablissement des individus ayant des troubles mentaux, d’autres démontrent que le marché de l’emploi peut nuire à la santé mentale. Il est probable que le marché de l’emploi ait toujours, du moins nous pouvons le présumer, eu un impact plus ou moins négatif sur la santé mentale des travailleurs, mais la structure et la nature des emplois étaient, en d’autres temps, bien différents. Le marché ne présentait pas les mêmes exigences à l’égard des employés (aptitudes diverses, flexibilité, autonomie, perfonriance, etc.) et les fonries d’emplois différaient également.15 Cette demande croissante pour une flexibilité à toute épreuve et la montée en flèche des emplois précaires ont été associées à une fréquence plus élevée d’intimidation au travail. Les impératifs de performance et de productivité se sont matérialisés à travers un contrôle plus serré des employés et la réduction maximale des effectifs (Direction de la santé

De 1975 à 1995, augmentation des emplois atypiques et faiblement rémunérés comparativement aux emplois typiques (Matte et aÏ. 1998).

Figure

Figure Ï Les représentations de l’état de santé mentale
Figure 2: Modèle heuristique des dimensions du rapport à l’univers du travail
Figure 3 Dimensions, indicateurs et sous-indicateurs d’analyse
Tableau I: Participation aux programmes d’employabilité de l’assistance sociale (PAIE, EXTRA, formations) et des organismes en santé mentale
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