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L'artiste en Berger d'Arcadie le paysage « d'après nature» de Dürer à Poussin

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Academic year: 2021

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Abbreviazioni

AASL Archivio Storico dell’Accademia Nazionale di San Luca ASF Archivio di Stato di Firenze

ASR Archivio di Stato di Roma BnF Bibliothèque nationale de France

INO-CNR Istituto nazionale di ottica del Consiglio Nazionale di Ricerca MdP Mediceo del Principato

(3)

a cura di

Sybille Ebert-Schifferer, Annick Lemoine, Magali Théron, Mickaël Szanto

ARTE DAL NATURALE

(4)

Nessuna parte di questo libro può essere riprodotta o trasmessa in qualsiasi forma o con qualsiasi mezzo elettronico, meccanico o altro senza l’autorizzazione scritta dei proprietari dei diritti e dell’editore.

L’Editore è a disposizione degli aventi diritto per quanto riguarda le fonti iconografiche e letterarie non individuate.

Progetto grafico di Gianni Trozzi

© copyright 2018 by Campisano Editore Srl

00155 Roma, viale Battista Bardanzellu, 53 Tel +39 06 4066614

campisanoeditore@tiscali.it www.campisanoeditore.it ISBN 978-88-85795-13-6

Responsabile della redazione

Marieke von Bernstorff

Cura redazionale del volume

Caterina Scholl

Marie Caillat Michela Corso

QUADERNI DELLA BIBLIOTHECA HERTZIANA

2

a cura di

Tanja Michalsky Tristan Weddigen

in copertina

Pieter Paul Rubens, Paesaggio al chiaro di luna,

1635-1640, olio su tela, 117,7 × 90,8 cm. Londra, The Courtauld Gallery (foto The Samuel Courtauld Trust, The Courtauld Gallery, London)

(5)

pag. 7

INTRODUZIONE

Sybille Ebert-Schifferer, Annick Lemoine, Magali Théron, Mickaël Szanto

9

L’HÉLÈNE DE ZEUXIS : UN PORTRAIT D’APRÈS NATURE ?

Emmanuelle Hénin

35

MODELS AND NATURES IN THE CARRACCI ACADEMY

Gail Feigenbaum

53

“DAL VIVO TRAHENDO”: ACADEMIES AND LIFE DRAWING

IN EARLY MODERN ITALIAN ART

Donatella Livia Sparti

71

NATURE ET DÉVOTION : LA

MADONE À LA GUIRLANDE

DE JAN BRUEGHEL POUR FEDERICO BORROMEO

Elinor Myara Kelif

93

DIPINGERE DAL MODELLO NELLA NATURA MORTA ROMANA

DI PRIMO SEICENTO. DA CARAVAGGIO AGLI INIZI DI MARIO DEI FIORI

Patrizia Cavazzini

115

L’IMITAZIONE SCIENTIFICA DELLA NATURA

E LA TECNICA DI CARAVAGGIO

Filippo Camerota

129

THEORY AND PRACTICE REVISITED: FRANCESCO SCANNELLI

BETWEEN GIOVANNI BATTISTA AGUCCHI AND CARLO CESARE MALVASIA

Elizabeth Cropper

(6)

151

LA NATURE LAIDE : DU PLAISIR PARADOXAL

DE L’IMITATION À LA BARBARIE DU « D’APRÈS NATURE »

Magali Théron

177

L’ARTISTE EN BERGER D’ARCADIE :

LE PAYSAGE « D’APRÈS NATURE » DE DÜRER À POUSSIN

Denis Ribouillault

209

POUSSIN D’APRÈS NATURE : LE FRAGMENT

COMME RÉFÉRENCE ET RÉMINISCENCE

Alain Mérot

223

DU RÉALISME SOCIAL À LA REALPOLITIK. CLAUDE GELLÉE

LE LORRAIN, SCÈNE DE PORT DE 1639

Frédéric Cousinié

245

NATURA SVELATA. LA «SVOLTA COMUNICATIVA»

NEI RITRATTI A BUSTO DI GIOVANNI LORENZO BERNINI

E LA RIVOLUZIONE SCIENTIFICA DEL SEICENTO

Damian Dombrowski

271

« GOÛT NATURE ». L’ÉLOGE DE L’ART DE PEINTURE

DE PHILIPS ANGEL (LEYDE, 1642)

Léonard Pouy

291

LE NATUREL, OUI, MAIS QUELLE NATURE ? PITTORESQUE,

PEINTURE ET JARDIN DANS L’ANGLETERRE DU XVIII

E

SIÈCLE

Jan Blanc 313

INDICE DEI NOMI

(7)

Le dessin de Nicolas Berchem du Rijksmuseum d’Amsterdam, daté des an-nées 1670, figurant deux dessinateurs, un berger et des lavandières dans le Colisée romain, est depuis longtemps considéré comme un « véritable chef-d’œuvre du maître »1(ill. 1). Il illustre en outre avec éloquence la nature

com-plexe de l’art « d’après nature » au XVIIesiècle. Dans cet essai, nous nous

in-téresserons à la figure du dessinateur mise en scène dans ce dessin et dans un certain nombre d’œuvres dans lesquelles elle apparaît à partir de la fin du XVesiècle2. En analysant ce motif et en dressant brièvement sa généalogie, il

s’agira d’interroger la manière dont les artistes rendent compte de la réalité d’une pratique, celle du dessin « d’après nature », mais surtout la problémati-sent et la situent dans un champ culturel et poétique plus vaste, celui de l’imagination, de l’histoire et du mythe3.

Un « scenario poïétique »

D’un point de vue plastique, la figure du dessinateur dans le paysage révèle un « scénario de production » ou « scénario poïétique » qui fait se confondre l’artiste représenté et l’auteur du dessin, l’action de dessiner et le produit de cette action, l’œuvre elle-même4. Relais pour notre propre regard, redoublant

en quelque sorte la fonction du cadre, la figure du dessinateur construit la fic-tion d’un lieu de point de vue. En tant que figure autoréférentielle, elle ren-voie à la pratique du dessin « d’après nature », mais elle est aussi une figure rhétorique qui postule la « vérité » de l’image, assure l’authenticité de ce qui est figuré. Surtout, elle réclame une nouvelle manière de regarder « sur le motif ». Comme l’affirme Peter Schatborn, « [it] tells us, first, that what we see is reality and, second, that the way we can see reality is through drawing from nature »5. Contrairement à un système qui présuppose une distance,

une séparation, entre le spectateur et le lieu de la fiction, les œuvres des paysa-gistes dans lesquelles apparaît le dessinateur postulent une indissociabilité du paysage d’avec le regard qui le construit. Svetlana Alpers a appelé ce type de représentation le « mode descriptif », associé aux artistes du Nord de l’Europe,

L’ARTISTE EN BERGER D’ARCADIE : LE PAYSAGE

« D’APRÈS NATURE » DE DÜRER À POUSSIN

(8)

1. Nicolaes Berchem,

Dessinateurs, bergers et lavandières dans les ruines du Colisée, vers 1670, dessin,

51,7 × 62,2 cm. Amsterdam, Rijksmuseum (photo Rijksmuseum Amsterdam)

qu’elle oppose au mode Albertien, propre à l’art italien : « While in the Al-bertian picture the artist presumes himself to stand with the viewer before the

pictured world in both a physical and epistemological sense, in the descripti-ve mode he is accounted for, if at all, within that world. A pictorial device

si-gnalling this is the artist mirrored in the work (as in Van Eyck’s Arnolfini) or

a figure situated as a looker within, rather like a surveyor situated within the very world he maps. »6Pour Jean-Marc Besse, la figure du dessinateur dans le

paysage occuperait une place plus fondamentale encore : elle serait l’indice d’une nouvelle manière de « voir la Terre », le résultat d’une véritable révolu-tion épistémologique et géographique, la mise en scène non pas seulement du monde, mais « la relation visuelle d’un monde et d’un regard »7. En effet,

(9)

connaissance du monde et sa visualisation passent désormais non seulement par la mesure des distances et l’usage des mathématiques, utiles aux géo-graphes, mais aussi par la représentation du paysage dal naturale, ce que

Pto-lémée désigne sous le terme de chorographie8. Tommaso Garzoni exprime

cette différence à la fin du XVIesiècle : « I geografi sono quelli, che vanno imitando [...] il dissegno di tutta la terra da noi conosciuto notando in piano; overo in valle, i paesi, e le città, non con la propria forma loro, come si fa nel dissegno, ma solamente con alcuni segnetti, o punti tondi, o quadretti piccioli [...]. Et son differenti assai da corografi perche questi propriamente dipingo-no, et dissegnino dal naturale la forma et la figura d’alcuni paesi, et città

parti-colari [...]. I corografi hanno bisogno del dissegno et della pittura, ma i geo-grafi no [...] che han bisogno della scienza delle matematiche. »9

Néanmoins, que l’on se situe au sein de la tradition géographique ou artis-tique, le « scénario poïétique » que suggère ce type de représentation est plus complexe qu’il n’y paraît, il semble même « aporétique », le paysage qui s’y donne à voir étant en réalité presque toujours le fruit de multiples opéra-tions, réélaborations et copies. Surtout, il s’agit souvent, à bien y regarder, de paysages de l’imagination, de la poésie et de l’histoire, autant de scénarios étrangers à la situation de l’artiste dans le paysage, qui présupposerait en

théorie l’objectivité de l’ici et du maintenant. Le dessinateur apparaît alors

comme une figure qui naturalise, pour ainsi dire, l’artificialité du travail en atelier, qui réduit la complexité du processus de création – de l’étude sur le motif à l’œuvre finale en passant par tant d’autres élaborations graphiques et mentales – à l’illusion d’une saisie instantanée du réel. Enfin, la figure du des-sinateur possède une dimension sociale. Elle affirme l’autorité intellectuelle de l’artiste sur son œuvre. L’artiste est dans l’image parce qu’il pense l’image10,

une assertion qui est, nous le verrons, particulièrement importante pour les artistes du Nord de l’Europe qui voyagent et travaillent en Italie. Pour toutes ces raisons, le motif du dessinateur dans le paysage problématise admirable-ment la tension entre objectivité et subjectivité, entre pratique et théorie de l’imitation, oscillation complexe qui se trouve au cœur des réflexions posées par cet ouvrage.

Le paysage dal naturale avant le XVIIesiècle

La première mention d’un dessin d’après nature date du Moyen Âge. L’ins-cription « Et sacies bien qu’il fu contrefais al vif » figure à côté du dessin d’un lion dans le carnet de Villard de Honnecourt daté vers 123511.

Cepen-dant, il faut attendre 1495 pour qu’apparaisse pour la première fois, dans une aquarelle d’Albrecht Dürer, la figure du dessinateur dans un paysage. Penché sur sa feuille devant un simple moulin, ce dessinateur rappelle non seulement ces figures de jeunes apprentis en train de dessiner dans leurs botteghe

ita-liennes12

(10)

ma-nuscrits enluminés de la fin du Moyen Âge, signes d’une nouvelle autorité (auctor/auctoritas) pour celui qui détient et transmet un savoir13(ill. 2). Vers

1555-1556, on retrouve le motif discret du dessinateur, presque confondu dans la masse des rochers, dans la gravure de Pieter Bruegel de la cascade de Tivoli,

Prospectus Tyburtinus (ill. 3). Les vues de Dürer et de Bruegel s’inscrivent

pleinement dans la production chorographique de la Renaissance. Bruegel, on le sait, était proche du grand humaniste et géographe Abraham Ortelius et les études les plus récentes de Jörg Robert sur les Landschaftsaquarelle de

Dürer ont montré qu’elles étaient sans doute liées à l’entreprise chorogra-phique menée dans le cadre de la publication par Conrad Celtis de sa grande chorographie, Germania illustrata14. Le dessinateur, dans ces chorographies

longtemps célébrées comme les « premiers paysages modernes de l’histoire de l’art »15, renvoie à la vision comme témoignage in situ et à la capacité de

l’artiste d’imiter et de restituer la nature naer het leven. Néanmoins, ces

pay-sages révèlent simultanément la fantasia de l’artiste, sa puissante capacité

d’imagination, comme l’attestent les nombreux visages et créatures anthropo-morphes et teratoanthropo-morphes qui apparaissent dans les rochers fantastiques de la cascade de Bruegel et dans les vues alpines de Dürer, notamment la célèbre

Vue du val d’Arco conservée au musée du Louvre16. L’artiste-créateur n’imite

pas seulement la nature, mais la puissance créatrice de la nature elle-même (natura naturans). Ce n’est pas tant une réalité objective qui est ici visée que

la traduction de la vision de l’artiste, une réalité conditionnée par les proprié-tés de l’imagination et de la mémoire. Ainsi, à l’image de ces formes inchoa-tives qui émergent des rochers, le dessinateur fait, pour ainsi dire, corps avec la nature. Dans la gravure de Bruegel, il est presque indissociable du sol et des rochers qui l’environnent. Au siècle suivant, Claude Lorrain, dans un dessin de la même cascade de Tivoli conservé au Teylers Museum de Haarlem, mais aussi Rembrandt, dans une merveilleuse eau-forte figurant un dessinateur de-vant une ferme hollandaise, exprimeront admirablement cette fusion à la fois plastique et théorique de l’artiste dans son œuvre17.

Pour Dürer et Bruegel, il s’agissait aussi de documenter un voyage, de mar-quer de sa présence physique, comme un graffito inscrit à la hâte sur une pierre

ou un mur, les lieux qui mènent à l’Italie et au berceau de l’art18. Marteen

Van Heemskerck, qui laissa son nom sur les monuments de Rome et les voûtes de la Domus Aurea, donnera d’ailleurs au motif qui nous intéresse ses véritables lettres de noblesse. Dans son Autoportrait au Colisée de 1553, il

su-perpose, en un autre montage significatif, sa propre image, celle de l’artiste anversois accompli et respecté, à la mémoire de ses jeunes années, lorsque vingt ans plus tôt, il dessinait au sein des ruines et des jardins de Rome19.

Quant à Léonard de Vinci, s’il ne figure pas le dessinateur au travail, il est, en revanche, le premier à insister sur l’importance du dessindal naturale dans

(11)

2. Albrecht Dürer, Moulin dans la

montagne avec un dessinateur,

vers 1495, aquarelle et gouache, 13,4 × 13,1 cm. Berlin,

Kupferstichkabinett, inv. KdZ 3369 (photo  bpk/Kupferstichkabinett, SMB/Jörg P. Anders)

Paysage des Offices signé et daté avec précision du 5 août 147320. Citons

quelques passages : « Sempre il pittore deve cercar prontitudine negl’atti na-turali da gl’huomini all’improviso e di quele far brevi ricordi ne’ suoi libret-ti » (chap. LVIII) ; « e quelle [cose] notare con brevi segni in un tuo picciol

li-bretto, il quale tu debbi sempre portar teco » (chap. XC) ; ou encore « si che

per questo sii vago di portar teco un libretto di carte ingessate, e con lo stile d’argento nota con brevità tali movimenti » (chap. XCV). Avant lui, Cennino

(12)

appresso le carte pronte per i disegni »21. Cennini mentionne aussi des

ta-blettes de cire effaçables, qui auraient fort bien pu avoir été utilisées par les artistes dessinant en plein air ; pratique qui perdure de manière pratiquement ininterrompue jusqu’au XIXesiècle, comme l’a montré Ernst

Van de Wete-ring dans une importante contribution22

. Une telle méthode expliquerait le nombre fort réduit de dessins d’après nature qui nous sont parvenus.

La leçon des maîtres de la Renaissance

Si, comme on le voit, la pratique du dessin de paysage d’après nature existe et, pourrait-on dire, se conscientise progressivement avant le XVIIesiècle, c’est à cette période cependant que sa nature à la fois théorique et polémique va pleinement s’affirmer. Zygmunt Wazbinski a justement noté que la publica-tion en 1651, à Paris, du Trattato sulla pittura de Léonard de Vinci, rempli de

références au paysage et au dessin dal naturale, contribua certainement à la

quasi institutionnalisation de cette pratique au cours du XVIIesiècle, au

Nord comme au Sud. À la fin du XVIesiècle, Dürer fait également l’objet d’un engouement renouvelé, notamment à la cour de Prague, où certains imi-tateurs comme Hans Hoffman ou Hans Bol n’hésitent pas à signer leurs œuvres ou leurs copies du nom du maître lui-même. Ainsi, la réinterprétation par Hans Bol, un siècle plus tard, de son aquarelle au dessinateur (ill. 2) est symptomatique de l’intérêt marqué de la culture artistique pragoise pour le paysage naer het leven de la génération précédente. Une comparaison

attenti-ve entre l’aquarelle de Berlin et la copie de Bol conservée à Weimar révèle ce-pendant que ce dernier a totalement supprimé – ou n’a pas su comprendre – les irrégularités et les indéterminations qui caractérisent l’aquarelle originale (avec ses curieux rochers et ses objets aux formes ambiguës et animées, diffi-ciles à interpréter malgré la qualité de miniature de l’œuvre)23.

Pieter Bruegel constitue aussi une autre référence essentielle pour ces ar-tistes de la génération successive. Une gravure de Joris Hoefnagel d’après un dessin aujourd’hui perdu attribué à Pieter Bruegel illustre le processus de ré-évaluation théorique du dessin de paysage dal naturale (une copie du dessin

est conservée au musée des Beaux-Arts de Besançon ; ill. 4). Datée vers 1590-1595, quand Hoefnagel travaillait pour Rodolphe II à la cour de Prague, cette gravure témoigne d’un engouement renouvelé pour les paysages de Bruegel et, plus généralement, la représentation « d’après nature » telle que l’enten-daient les peintres du Nord. De nombreux paysagistes travaillant à Prague, comme Hoefnagel, Roland et Hans Savery, Peter Stevens ou Paulus Van Via-nen, réalisaient alors des dessins naer het leven dans lesquels la figure du

dessi-nateur apparaît de manière récurrente, mais aussi des paysages directement copiés ou inspirés des œuvres de Bruegel24. Rappelons notamment qu’un

grand nombre de dessins naer het leven auparavant donnés à Bruegel, dont

(13)

Sa-3. Joannes et Lucas Van Doetecum,

Prospectus Tyburtinus (d’après Pieter

Bruegel), vers 1555–1556, gravure, 30,9 × 42,6 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art (photo The Metropolitan Museum of Art, New York) 4. Joris Hoefnagel, S. Novellanus (graveur),

Paysage avec Mercure et Psyché et deux dessinateurs (d’après Pieter Bruegel),

vers 1590–1595, gravure, 27 × 34,2 cm. Londres, British Museum (photo The

(14)

very25. La gravure de Hoefnagel articule un moment intéressant de la

récep-tion de Bruegel, au tournant du siècle, qui met en parallèle l’imitarécep-tion de l’art et l’imitation de la nature. Pour le géographe humaniste Abraham Ortelius, Bruegel n’était pas seulement le meilleur peintre, mais encore la « nature des peintres » (natura pictorum) elle-même – il serait « digne d’être imité de

tous ». Ortelius, en comparant Bruegel avec la nature, considère que le peintre ne se contente pas d’imiter la « nature extérieure » (natura naturata),

mais le processus de création, la « force créatrice de la nature » elle-même

(natura naturans) et c’est pour cette raison que ses œuvres méritent d’être

imitées26. Dans la gravure, le vers latin inspiré de Properce (Élégies III, 2 ; Arti

et ingenio stat sine morte decus [« La gloire du génie ne saurait mourir : elle

est inébranlable »]) et les figures de Mercure et Psyché dans le ciel, ajoutées par Hoefnagel, insistent sur l’idée que la « peinture » de paysage (ars)

convoque l’« imagination » ou le « génie » du peintre (ingenium) et

conduit à l’immortalité. Associées aux petits dessinateurs, ces figures servent à dignifier un genre encore considéré comme inférieur dans la théorie de l’art, où continuait de prédominer la peinture d’histoire27. Quelques années plus

tard, cette gravure servit de modèle pour un tableau aux dimensions non né-gligeables aujourd’hui conservé à la National Gallery de Londres (NG1298)28.

Ici, le passage du dessin à la gravure, puis de la gravure à la peinture, atteste le prestige grandissant de ce type de composition et surtout les questions qu’il soulève. Au sein d’un marché de l’art européen où les dessins acquièrent tou-jours plus de valeur, les réflexions métapicturales sur les rapports entre l’ima-ge et son modèle devaient être particulièrement appréciées des cognoscenti et

autres liefhebbers.

Une autre œuvre de Hoefnagel articule cette dialectique imiter Bruegel / imiter la nature. Dans la vue de la cascade de Tivoli, réalisée pour le gigan-tesque atlas de vues de villes Civitates orbis terrarum, l’artiste se représente

avec son ami Abraham Ortelius en témoin présent sur les lieux tandis que, punaisée sur la surface même de la feuille – un jeu de mot sur le nom de l’ar-tiste –, une seconde feuille, pourtant signée de sa main, reprend presque litté-ralement le Prospectus Tyburtinus de Bruegel29. Non content d’attester

l’au-thenticité de sa vue de Tivoli, il affirme, par un montage particulièrement virtuose démontrant une véritable réflexion théorique sur son art, que l’imi-tation naer het leven de la nature est ici médiatisée par sa connaissance (et son

imitation) de la vue de Bruegel, qu’elle s’en nourrit, mais qu’elle s’en distingue néanmoins30. Car Bruegel est considéré si proche de la nature que l’imiter,

c’est imiter la nature elle-même.

Dans le cadre de la théorie de l’art, Karel Van Mander sera le premier à pré-ciser la fonction du dessin naer het leven dans son Livre des peintres, publié en

1604. D’après la biographie anonyme de Van Mander (1618), il aurait même formé à Haarlem, vers 1584, avec Hendrick Goltzius et Cornelis

(15)

Van Haar-lem, « un atelier pour l’étude du modèle vivant »31. Dans son traité,

Van Mander insiste sur le fait que la notion de naer het leven, « d’après

natu-re », est indissociable de celle de uit den gheest, « de l’esprit », le dessin sur le

motif n’étant qu’un préalable – aussi fondamental fût-il – au travail de com-position et de recomcom-position (ingenium) de l’artiste, puisant dans sa mémoire

les motifs qu’il y a engrangés. Les deux termes désignent donc des processus complémentaires et ne doivent pas être compris comme étant mutuellement exclusifs32

. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la célèbre mais curieuse anecdote de Van Mander sur Pieter Bruegel, selon laquelle : « au cours de ses voyages, [il] fit un nombre considérable de vues d’après nature, au point que l’on a pu dire de lui qu’en traversant les Alpes il avait avalé les monts et les rocs pour les vomir, à son retour, sur des toiles et des panneaux, tant il parve-nait à rendre la nature avec fidélité »33. J’ai montré ailleurs que Van Mander

réutilisait ici la célèbre métaphore digestive et apicole de l’imitation littérai-re : Bruegel est comme l’artiste-abeille qui butine les fleurs pour en produire – en le vomissant – un véritable nectar. Van Mander décrit ici une opération de digestion dans le sens d’une transformation positive, d’une assimilation de la chose vue et dessinée qui ne doit pas être confondue avec une imitation mécanique du paysage34. Cette triple opération de collecte, d’assimilation et,

enfin, d’extraction ou de régurgitation sera clairement reprise par plusieurs théoriciens septentrionaux après lui, notamment Joachim von Sandrart ou encore Samuel Van Hoogstraten qui écrit dans sonIntroduction à la haute école de l’art de peinture (1677) : « Entrez donc, ô jeune peintre ! dans les bois

entourés de rivières. Ou marchez le long des collines, afin de peindre de loin-tains horizons et des perspectives boisées, ou d’engranger, par la plume et la craie, la riche nature dans votre livre de dessin. Précipitez-vous et recherchez avec une continuelle attention à vous habituer à ne jamais lever les yeux vai-nement mais, tant que le temps ou que les outils vous le permettent, à tout dessiner, comme si vous écriviez et graviez en vos pensées la nature des choses. Ainsi, s’il vous manque par la suite quelque exemple de la nature, vous saurez vous aider de cette provision amassée en votre mémoire et l’extirper de votre esprit. »35

Sandrart est sans doute le théoricien le plus cité concernant le thème qui nous intéresse. Son récit des excursions de Claude Lorrain, Nicolas Poussin et Pieter Van Laer pour aller dessiner « d’après nature » à Tivoli est riche d’enseignement et révélateur de la relation très étroite qu’entretinrent, dans les premières décennies du XVIIesiècle, ces « inventeurs du paysage

clas-sique » que sont Claude et Poussin avec les irrévérencieux Bamboccianti36.

Rappelons aussi que si l’épisode est sans doute avéré, le passage de Sandrart est, tout comme celui de Van Mander sur Bruegel, une variation sur un thème littéraire, comme l’a suggéré Axel Janeck37. Les historiens ont aussi beaucoup

(16)

à réaliser des croquis à l’huile « sur le motif ». L’idée est tout à fait plausible. Van Mander signale que Jan Van Scorel, bien avant Claude, « L’après-midi des dimanches et fêtes, [...] sortait des portes de Harlem, vers un beau bois, et peignait d’après nature la végétation, adoptant pour cela une manière absolu-ment différente des autres artistes ». De même, Michiel Gast peignait les

ruines « d’après nature » à Rome au milieu du XVIesiècle. Quant à Arnold

Houbraken, il mentionne Abraham Genoels, un membre des Bentveughels qui, dans les années 1670, « chaque automne quittait Rome pour deux ou trois mois [...] pour peindre ou dessiner de belles vues de paysages d’après na-ture »38. Des dessins de Jan Lievens et Jan Asselijn montrent des peintres en

plein air, tout comme une gravure du Campo Vaccino à Rome dans la

Teutsche academie de Sandrart, sur la page même où il mentionne l’excursion

de Claude et de ses comparses à Tivoli39. On n’oubliera évidemment pas de

mentionner, à ce chapitre du « Pre-romantic plein air painting », les vues de la villa Médicis de Velázquez, raisonnablement datées en 1629, qui consti-tuent un épisode notable de cette pratique, peut-être plus courante qu’on a bien voulu le dire40. Le peintre anglais amateur Richards Symonds, à Rome

en 1650-1652, possédait, par exemple, « una scatola per portare in Campagna per dipingere »41.

Les artistes transalpins sous le soleil de l’Italie

Ce rapide tour d’horizon de la présence et de la signification possible du des-sinateur dans le paysage montre clairement que c’est sur l’axe Nord-Sud que se construit le discours sur le paysage d’après nature. Si le motif témoigne d’une forme de revendication, celle-ci s’adresse à une théorie de l’art italienne qui, pour de multiples raisons (le chauvinisme n’étant pas exclu), refusait de croire à la noblesse de la peinture transalpine. Selon Francisco de Hollanda, Michel-Ange méprisait cette peinture faite « sans art ni raison, sans symétrie ni proportion, sans choix ni discernement, ni dessin, en un mot sans substan-ce et sans nerfs »42. Cette fameuse diatribe contre les paysagistes du Nord ne

s’était pas apaisée au siècle suivant. Pietro Testa n’hésite pas à qualifier ces ar-tistes de « scimmie sporche e ridicole della natura », allusion fort peu sym-pathique à l’arte del naturale pratiqué par les Bamboccianti, comme l’a

dé-montré Elizabeth Cropper. L’artiste ira même jusqu’à figurer ces dessinateurs simiesques dans sa gravure de L’Hiver et les dessins préparatoires pour son Triomphe de la peinture. Cropper écrit : « The monkeys provide more than a

moral contrast, however, of souls become literally bestial in their pursuit of worldly rewards with the purified soul who is supported by Virtue. The pa-lette and brushes which lie on the ground before the trophy pole, and the monkey sketching in the distance, identify them as painters. The print, and consequently the pendant Summer, has therefore to do not only with the

(17)

those painters whose vision is limited to apparent truth, and on the other the painter who aspires to perceive and to reveal a higher truth. »43Ici, la figure

du dessinateur est comparée au singe en tant qu’imitateur mécanique de la nature44, une lecture en réalité précisément opposée, on l’a vu, à celle que

dé-fendaient Dürer, Bruegel et leurs émules de l’école de Prague qui prônaient une imitation « créatrice » de la nature. Le motif dérogatoire du singe-imitateur utilisé par Testa est d’ailleurs paradoxalement très présent dans la tradition flamande et ce, dès le XVIesiècle. Bien attesté chez Dürer, on le trouve aussi chez Bruegel, notamment dans les Deux singes du musée de

Ber-lin et dans un détail de son Dulle Griet, tous les deux datés vers 1562. Liée à la

vision (il est significatif que les singes se détachent sur l’ouverture d’une fe-nêtre circulaire qui, au moins depuis Alberti, est assimilée à la vision humai-ne), la figure du singe renvoie ici à l’expression, courante depuis l’antiquité,

ars simia naturae (« l’art est le singe de la nature »). Comme l’a récemment

clarifié Matthijs Ilsink, le tableau de Bruegel est largement autoréférentiel et invite le spectateur à réfléchir sur la nature de l’imitation et les rapports entre

ars et natura45.

Si le dessinateur comme auctor est une figure d’autorité, en mal de

plébisci-te sur la plébisci-terre italienne, il est aussi une figure essentielle d’authenticité. La pré-sence de l’artiste atteste la vérité de ce qui est représenté, un aspect qui de-vient d’autant plus important que le dessin « d’après nature » est, depuis le Moyen Âge, intimement lié au processus de diffusion de la connaissance scientifique, indissociable notamment de disciplines comme la géographie ou les sciences naturelles, comme l’ont bien souligné respectivement Lucia Nuti et Claudia Swan46

. Dans le contexte des chorographies que nous avons évo-qué plus haut, le fait que les dessins aient été réalisés ad vivum était essentiel

et constituait un véritable argument de vente. Dans d’innombrables recueils de dessins et surtout de gravures, la figure du dessinateur redouble ainsi les titres où la mention ad vivum apparaît presque irrévocablement. C’est le cas,

au XVIesiècle par exemple, dans les séries de ruines romaines de Hieronymus

Cock où les vues, nous dit-on, ont été exécutées « d’après nature » de maniè-re « aussi vraie que splendide » (non minus vere quam pulcherrime deforma-tas)47. Cette insistance sur l’« imitation de la réalité » (ad veri imitationem)

que l’on retrouve notamment dans les atlas de vues aux XVIeet au XVIIe

siècles – l’obsession du dal vero étant renforcée par nos chers petits

dessina-teurs – était en fait largement rhétorique et fonctionnait comme un argu-ment de vente auprès des acheteurs potentiels. Dans le cas de Cock, Boude-wijn Bakker a bien montré qu’il s’agissait d’abord des artistes flamands restés au pays qui disposaient ainsi d’un répertoire varié de motifs classicisants pour leurs tableaux et leurs compositions48.

Déterminer si les vues ont vraiment été réalisées d’après nature est ainsi beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Un grand nombre de dessins

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apparem-ment d’après nature ou apparem-mentionnés comme tels furent en fait réalisés dans l’atelier ou directement copiés d’après d’autres dessins. Qui plus est, les ar-tistes réalisaient souvent plusieurs versions d’un même dessin49. D’autre part,

un grand nombre de dessins purement imaginaires ont été considérés comme faits d’après nature à cause de leur caractère en apparence spontané ce qui, en substance, démontre l’efficacité rhétorique du processus naer het leven – uit den gheest préconisé par la théorie de l’art flamande et hollandaise50. Dans

son célèbre Römische Veduten, Hermann Egger établit jusqu’à huit catégories

différentes de dessins pour mesurer leur degré d’utilité pour la recherche topographique51. Ainsi, les spécialistes s’accordent aujourd’hui presque tous

sur le fait que Cock n’a probablement jamais mis les pieds en Italie, mais a dû étudier attentivement les dessins que Marteen Van Heemskerck rapporta de son séjour52. Cette constatation problématique est également valable pour

Nicolas Berchem. Son voyage, longtemps daté vers 1651-1652 pour des raisons stylistiques, n’a tout simplement jamais eu lieu53. Seul ses excursions en

Hol-lande en compagnie de Ruisdael sont documentées. Il y dessine notamment les ruines du château de Brederode, vers 1650, prenant soin d’inclure dans sa composition, comme une signature, comme une signature, un petit dessina-teur54. Le dessin du Colisée avec lequel nous avons ouvert notre propos

prend donc une toute autre dimension (ill. 1). C’est évidemment à partir de dessins et de gravures, dont on sait qu’il était un avide collectionneur55, que

Berchem réalisa cette splendide vue romaine. Le second dessinateur, par exemple, semble directement repris du dessin du château de Brederode. Quant au Colisée, le choix ne manquait pas parmi le large répertoire de vues de Rome gravées alors diffusées dans toute l’Europe. Cependant, le groupe de dessins du Colisée réalisés par son élève Willem Romeijn, qui s’était rendu à Rome entre 1650 et 1655, est sans doute une source d’inspiration plus direc-te56

. Cette dérivation probable, quoique fort difficile à prouver tant le dessin de Berchem possède une ampleur, un souffle, difficilement compatible avec le contexte d’un dessin d’après nature, nous amène à souligner un aspect impor-tant de la notion de dal naturale : on considérait alors suffisant, pour

quali-fier une peinture de topographiquement « vraie », qu’elle soit dérivée d’un dessin ou d’une gravure, pourvu que ce ou cette dernière ait été réalisée dal naturale. C’est ainsi qu’un critique comme Jean-Baptiste Descamps peut

dé-clarer, au XVIIIesiècle, que presque tous les tableaux de paysage de Paul Bril

étaient « topographiques »57. Plusieurs tableaux de Paul Bril réutilisent en

effet des dessins faits dal vero par son frère Matthieu. De même, les dessins de

Maarten Van Heemskerck serviront non seulement à Hieronymus Cock, mais continuèrent d’être copiés jusqu’au XVIIesiècle, comme l’attestent par exemple plusieurs tableaux de Pieter Saenredam58. Van Mander lui-même

souligne bien ce point : lorsqu’il décrit les vues de Hendrick Van Cleve faites « d’après nature », il précise que le peintre n’a pas visité tous les lieux qu’il a

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représentés dans ses œuvres et que, pour certains, comme Constantinople, il a utilisé les dessins de Melchior Lorch59.

Si le lieu que nous montre Berchem résulte d’un montage, il en va de même pour les figures qui l’habitent (ill. 1). Outre les dessinateurs, bergers et lavan-dières constituent, avec les chasseurs, les figures majeures du répertoire de l’artiste. Le dessin condense ainsi, comme la page de titre d’un recueil de gra-vures, les thèmes principaux de son œuvre. Ces figures, loin d’être anodines, sont précisément organisées, disposées en frise dans la partie inférieure de l’image, en correspondance avec la tripartition de l’espace architectural au se-cond plan. Les deux dessinateurs, l’un penché en avant, l’autre en arrière, évo-quent les excursions entre amis et collègues bien documentées chez les jeunes artistes étrangers. Cet agencement signale aussi une idée de mouvement, comme s’il ne s’agissait en fait que d’un seul dessinateur effectuant un aller et retour du regard du motif à la feuille. Dans le coin opposé droit, les deux la-vandières sont arrangées selon le même principe spéculaire. Les deux bi-nômes se font ainsi écho autour du motif central du berger, qui pointe son bâton vers l’élégante signature de l’artiste. La grande qualité de ces figures est attestée par plusieurs copies. Un dessin de l’une des lavandières se trouve au Teyler Museum de Haarlem, tandis qu’au XVIIIesiècle Anthonie Van den Bos allait reprendre le motif central du berger dans une belle aquatinte au-jourd’hui au Rijksmuseum60.

Le dessinateur en berger

Dans le dessin de Berchem, la présence simultanée des dessinateurs, des bergers et des lavandières transmue le lieu géographique en un lieu poé-tique, pour ne pas dire en un lieu commun. La figure du berger est, dans l’imaginaire européen du XVIIesiècle, indissociable de la poésie pastorale grecque et romaine, de Théocrite ou Virgile et de leur vision idéale de la campagne peuplée de bergers chantant l’amour, vivant en harmonie avec la nature, vision réactivée par les poètes de la Renaissance. Dans ces poèmes, explique Luba Freedman, « the shepherd-poet stood for the author who animates his natural surroundings by song [...]. Similarly, in pictorial pasto-ral, the shepherd evoked an image of the artist who adorns the natural envi-ronment with his own works »61. Berchem juxtapose aussi, dans la même

image, différentes temporalités : le temps du mythe et celui du monde contemporain. Van Mander lui-même, dont on a souligné l’importance pour le paysage naer het leven, avait fourni une traduction de Virgile ayant

pour titre Bucolica en Georgica, dat is, Ossen-stal en Landt-werck publiée à

Amsterdam en 1597 et illustrée par Hendrick Goltzius. Or, dans le long poème didactique qui sert d’introduction à la Vie des peintres, Den Grondt,

il exhorte les jeunes artistes à sortir tôt le matin pour dessiner la campagne romaine en utilisant un vocabulaire explicitement bucolique, avec des

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réfé-rences parfois littérales aux poèmes pastoraux de Virgile qu’il s’était em-ployé à traduire62.

L’accotement du berger et du dessinateur est courant chez les paysagistes actifs dans la Rome du Seicento. On l’observe non seulement chez Berchem, que l’on surnomma justement le « Théocrite de la peinture », mais aussi chez Stefano della Bella et chez Claude Lorrain, chez qui la figure du dessina-teur dans le paysage, omniprésente dans les années 1630-1640, est peu à peu remplacée par celle du berger. Dans de nombreuses œuvres, Claude joue de manière ambiguë avec ces figures qui sont pour ainsi dire interchangeables. L’image de Claude que nous a livrée Sandrart, « couché dans les champs, du matin au soir », occupé à « pénétrer les secrets de la nature » correspond poétiquement à cette image bucolique du berger-poète des campagnes virgi-liennes63.

Chez Berchem, la figure du berger peut également être comprise comme un double de celle de l’artiste, un véritable alter-ego. Sur le frontispice de la

sé-rie Animalia, par exemple, le berger, qui servira de modèle pour le célèbre

Goethe dans la campagne romaine de Johann Tischbein (v. 1786), conservé à

Francfort, surmonte le titre du recueil comme s’il s’agissait d’une stèle gravée (ill. 5). Outre le nom de l’artiste, l’inscription rappelle que tout a été « dessi-né d’après nature », ad vivum delineata. La main gauche posée sur sa

houlet-te, le berger pointe du doigt une étonnante et énigmatique ligne abstraihoulet-te, déjà parfaitement visible dans les premières épreuves64. Le détail est pour le

moins énigmatique, mais possède sans nulle doute une signification méta -picturale ; il pourrait souligner l'importance accordée au disegno de la part de Berchem, évoquer la célèbre compétition de dessin entre Protogène et Apelle, ou encore rappeler le propos de ce dernier sur la nécessité d’une pra-tique assidue : Nulla dies sine linea (« Pas un jour sans une ligne »).

Dans son étude, The Imaginary Everyday, Sheila McTighe a souligné

l’im-portance des rapprochements formels entre dessinateurs, bergers et chas-seurs : « there is some evidence that the grouping together of the draftsman, the hunter, and the herder – or alternatively the draftsman with either one of those two types – carried very specific meaning in the context of the graphic arts. And that meaning was highly relevant to a defense of painting dal natu-rale in Italy during the 1630s ». Elle cite d’ailleurs un dessin préparatoire de

Berchem conservé à la Fondation Custodia à Paris pour une page de titre d’un recueil de gravures : trois dessinateurs sont juchés sur un fragment archi-tectural avec des chasseurs et des bergers65. McTighe propose une explication

étymologique fort intéressante pour ce regroupement. Chasser, traire et des-siner dérivent, dans plusieurs langages européens, de la même racine, trahere,

qui va donner tractus et en italien trattato. En vieux français on utilisait ainsi

le verbe traire pour dessiner ou tracier pour chasser. Quant à l’omniprésence

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recomposi-5. Nicolas Berchem, Page de

titre de la série ‹Animalia›,

1648‒1652, 10 × 11,3 cm. Amsterdam, Rijksmuseum, dernière épreuve avec le titre (photo Rijksmuseum Amsterdam)

tion des paysages dessinés sur le motif : soit à l’idée de capriccio, terme dérivé

du mot capra66.

L’accotement du berger et du dessinateur constitue un topos fondamental

de la théorie de l’imitation dans l’histoire occidentale. Il est clairement arti-culé, par exemple, dans la biographie de Giotto par Giorgio Vasari. Selon la légende, Cimabue aurait découvert Giotto, le fils d’un berger toscan, alors qu’il dessinait l’un de ses moutons sur une pierre, épisode qui aura une fortu-ne importante dans la peinture du XIXesiècle. Ce trope fondamental de la

natura sola magister sera repris à propos des peintres de paysages d’après

na-ture chez Lampsonius, Ortelius, Hoefnagel mais aussi dans les biographies de Patinir, Bruegel et Bles par Van Mander. Ce lieu commun était déjà

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pré-6. Laurentius Haechtanus,

Inventor Picturae, dans Mikrokosmos. Parvus Mundus, Anvers 1579, pl. 72

(23)

sent dans la littérature antique. À cet égard, on mentionnera l’épisode célèbre où Pline l’Ancien met en scène les peintres Lysippe et Eupompos : un passage sur lequel Sandrart construira assez explicitement sa biographie de Claude Lorrain67.

Cette fusion entre le berger poète et musicien et l’artiste offrait à ce dernier une dignité nouvelle. Déjà au XVIesiècle, des peintres comme Sebastiano

del Piombo, Giovanni Cariani, ou encore Titien avaient utilisé cette figure du berger musicien pour définir un nouvel idéal esthétique, mais aussi social et aristocratique pour la peinture68. À cet égard, la manière dont un

artiste-théoricien comme Giovanni Paolo Lomazzo construit sa propre personnalité artistique à partir de l’image du berger dans le célèbre autoportrait de Milan en abbé de l’Accademia della Val di Blenio (1568), œuvre d’ailleurs basée sur un Berger à la flûte attribué à Sebastiano del Piombo (Earl of Pembroke,

Wil-ton), est également intéressante. Sans surprise, on trouve un certain nombre d’exemples d’artistes en bergers dans la peinture hollandaise, qui s’inspirent d’ailleurs de ces précédents vénitiens, notamment les autoportraits de Jacob Backer et Barend Fabritius. Le peintre Anthonie Croos, actif à La Haye entre les années 1630 et 1660, avait, quant à lui, pris soin de figurer un berger sur le couvercle de sa boîte à peinture69. Si les exemples sont nombreux dans la

peinture, le rôle d’anoblissement que joue la figure du berger est aussi bien documenté dans le domaine du théâtre et du ballet. Il culmine, par exemple, dans la peinture anglaise du XVIIIesiècle, où abondent les portraits d’aristo-crates « bucolisés » qui partagent avec les bergers d’Arcadie un mode d’exis-tence fondé sur l’otium70.

L’origine du dessin, de Van Haecht à Poussin

Dès la fin du XVIesiècle, le topos de l’artiste élevé par la nature est renforcé

par la réactivation du mythe du berger comme inventeur du dessin et de la peinture à partir du récit donné par Quintilien, soit la peinture comme trace du contour de l’ombre projetée par les corps exposés au soleil, passage fonda-mental pour toute la théorie de l’art occidental71. C’est Laurent Van Haecht

qui, dans son livre d’emblèmes Mikrokosmos publié à Anvers en 1579, livra la

première interprétation pastorale de cet épisode72(ill. 6). Beaucoup plus

connue est la gravure de Sandrart dans la Teutsche academie de 1675, dans

la-quelle ce premier artiste apparaît sous les traits d’un berger traçant, du bout de son bâton, sa propre ombre sur le sol ; autoportrait de l’artiste tracé « dans » la nature elle-même (ill. 7). Simple scène pastorale dans le dessin

préparatoire conservé à Münich73, l’épisode connaît une seconde version « de

groupe » en 1683, modifiée par Johann Jacob von Sandrart, le neveu de Joa-chim (ill. 8). Au sujet de cette interprétation, extrêmement rare, du mythe de l’invention du dessin, on a surtout commenté la place essentielle qu’y occupe le couple ombre / lumière. Elle illustrerait la mise en concurrence des

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pein-7. Joachim von Sandrart,

L’invention de la peinture,

dans Teutsche Academie, Nuremberg 1675, II, préface, pl. B. (photo Sandrart.net)

(25)

8. Johann Jacob von Sandrart,

L’invention de la peinture,

dans Joachim von Sandrart,

Academia nobilissimae artis pictoriae, Nuremberg 1683,

(26)

tures « nocturne » et « diurne » ou encore affirmerait la prééminence du trait et du dessin sur la couleur. Surtout, elle symboliserait la peinture en tant qu’« ombre de la véritable essence des choses » et « apparence de l’être », se-lon les propres mots de Sandrart74. Mais l’invention de l’art par le berger revêt

une importance cruciale pour la peinture de paysage. Elle fonde la légitimité du paysage, de la nature, comme véritable lieu de naissance de l’art. Elle affir-me, pour reprendre une expression de Christopher Wood, l’intégration du mythe de l’art dans la grande fable pastorale de la Renaissance75

. En d’autres termes, elle se donne, en tant qu’elle figure un « scénario de production exté-rieur », comme une alternative au « scénario intérieur » de la seconde ver-sion du mythe, la plus connue, celle de la fille du potier Dibutade ; mais en-core, elle transforme un « scénario historique » en un « scénario natu-rel »76. Chez Sandrart, cette réactivation du mythe est, en effet, loin d’être

anodine dans un ouvrage ou la peinture de paysage dal naturale reçoit une

at-tention toute particulière. Pour l’artiste et théoricien allemand, mais aussi pour Claude ou Berchem, il s’agissait, d’une certaine manière, de conférer à la pratique du dessin de paysage « d’après nature » l’auctoritas, la dignité

clas-sique qui semblait lui faire défaut.

On peut noter une certaine ressemblance entre les figures du berger dans le grand dessin de Berchem et dans la gravure de Sandrart (ill. 1 et 7). Le pre-mier est certes plus âgé, mais leur pose est presque identique77. Seule la

posi-tion des mains, la barbe et les vêtements varient. Les animaux présents autour de lui, l’importance de l’ombre et surtout le fait que le bâton du berger pointe vers la signature de l’artiste, un peu comme le jeune berger sur la page de titre de son Animalia, sont autant d’aspects supplémentaires qui invitent à

s’inter-roger sur cette ressemblance. Le dessin de Berchem serait-il plus théorique qu’il n’y paraît ? La datation du dessin vers 1670 n’interdit pas de penser que Berchem se serait inspiré de la gravure de Sandrart pour son dessin, ce qui permettrait de préciser la datation du dessin vers 1675. On sait par ailleurs que Berchem possédait de nombreux ouvrages dans sa bibliothèque et qu’il s’inspirait de gravures pour réaliser ses tableaux78

. Pour lui, le fait d’insérer discrètement le mythe de l’origine du dessin dans ce qui demeure sans doute l’une de ses feuilles les plus ambitieuses aurait eu l’avantage de rehausser le prestige de son art, soulignant le fait que l’inventeur du dessin et de la peintu-re avait été, comme lui, un peintpeintu-re animalier. Pour peintu-renforcer cette hypothèse, on peut attirer l’attention sur le berger figuré sur un autre frontispice gravé par Jan de Visscher, d’après des dessins de Berchem, portant le titre diversa animalia : penché en avant, le regard tourné vers le sol, il semble

distincte-ment tracer sur le sol du bout de son bâton, allusion beaucoup plus évidente ici à l’invention du dessin (ill. 9). En cela, le berger constitue un écho élo-quent à l’inscription visible sur l’étoffe qu’il tient lui-même de la main droite :

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9. Jan de Visscher, Page de titre

de la série ‹Diversa animalia›

(d’après Nicolaes Berchem), vers 1660, 22 × 16 cm. Amsterdam, Rijksmuseum (photo Rijksmuseum Amsterdam)

(28)

Quoiqu’il en soit du rapport de causalité entre la gravure de Sandrart et les bergers du Hollandais, on perçoit dans ces œuvres l’articulation d’un discours métapictural qui lie intimement le paysage historique ou idéalisé et le paysage

dal naturale. Sandrart, Claude et Berchem représentent une génération

re-marquable d’artistes qui vont négocier le passage progressif de la peinture de paysage en tant que genre mineur, non intellectuel et résolument étranger à la grande logocratie de la peinture, à un genre accepté, élevé et noble. Ce fai-sant, ils ne sacrifient pas les principes fondamentaux du paysage dal naturale,

énoncés une génération plus tôt par Van Mander, principes qui font que, d’un point de vue esthétique, le naturalisme demeure à la base de leur nou-veau classicisme.

Il est surprenant, en conclusion, que la version pastorale et paysagère du mythe de l’invention du dessin n’ait pas eu plus de succès. À part chez Haech-tanus et Sandrart, on la rencontre, dans une version somme toute intermé-diaire, dans un tableau de Murillo, daté vers 1660-1665, dont la signification théorique est directement adressée aux jeunes élèves de l’académie de Peintu-re de Séville79. Il est aussi possible que ce mythe soit la clef de lecture d’un

dé-tail qui laisse encore aujourd’hui les historiens de l’art perplexes : soit le grou-pe de bergers all’antica penché sur le sol dans la Vue présumée du jardin du Luxembourg de Louis Gauffier (1789), longtemps attribuée à Jacques-Louis

David (ill. 10). Sous le regard de ses compagnons, l’un d’eux est occupé à tra-cer du bout de son bâton des lignes sur le sol, comme les dessinateurs de Van Haecht et de Sandrart. L’énigmatique silhouette féminine portant un va-se sur la tête, sur la gauche du tableau, tout aussi anachronique dans un jardin français du XVIIIesiècle, pourrait alors être identifiée comme étant la fille du potier Dibutade. Si cette lecture est correcte, le tableau constituerait une réflexion intéressante sur le paysage d’après nature qui était justement la spé-cialité de Gauffier80

.

Un autre tableau célèbre pourrait aussi évoquer subtilement ce même mythe : les Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin, conservé au Louvre

(v. 1638-1640 ; ill. 11). La « neglected shadow » au centre du tableau81

a été interpré-tée de manière convaincante, d’abord par Louis Marin, puis par Oskar Bät-schmann, comme une allusion au mythe de l’invention du dessin82:

« L’im-portance de l’ombre est soulignée dans la seconde version par le berger de droite dont l’index désigne précisément la lisière de l’ombre. Soulignant ces bordures, il insiste sur le contour et rappelle très logiquement le geste même de celui qui, à l’origine du dessin, traça la forme d’une ombre. C’est dire qu’une perspective vertigineuse s’esquisse ici dont le point de fuite rassemble la lumière et l’ombre, la lecture et le dessin, la mort et la peinture. »83

Pour-suivant la lecture de Marin, Bätschmann suggère que la figure féminine repré-senterait l’allégorie de la peinture.

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10. Louis Gauffier (auparavant attribué à Jacques-Louis David), Vue présumée du

jardin du Luxembourg, 1789,

55 × 65 cm. Paris, Musée du Louvre (photo auteur)

Sans revenir sur la « perspective vertigineuse » qu’ouvre une telle interpré-tation, j’aimerais glisser au dossier une pièce iconographique à ma connais-sance inédite. Dans les passages des traités de Van Mander et de Sandrart qui considèrent les origines de l’art, Gygès le Lydien est clairement désigné com-me le premier dessinateur ayant apporté la connaissance de l’art de la peinture en Égypte et les Lydiens comme ayant, à leur tour, transmis cette connaissan-ce à l’Italie84. Van Mander et Sandrart s’appuient clairement sur l’autorité de

Vasari qui, au siècle précédent, sur le témoignage assez flou de Pline, avait identifié (de manière erronée) le premier dessinateur avec Gygès et l’avait peint sur les murs de sa maison d’Arezzo, mais en choisissant uniquement de figurer le « scénario intérieur » de l’épisode85. Or, selon certaines versions du

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11. Nicolas Poussin, Et in Arcadia Ego

II ou Les bergers d’Arcadie, vers

1640, huile sur toile, 87 × 120 cm. Paris, Musée du Louvre (photo The Yorck Project [2002])

un berger. Le dessinateur-berger figuré dans la gravure de Sandrart est donc ce mythique Gygès de Lydie (ill. 7). La version de groupe, très africaine, avec son palmier et ses chameaux, publiée dans l’édition latine de la Teutsche aca-demie de 1683 (Academia nobilissimae artis pictoriae) figure plus précisément

l’enseignement de cette découverte aux Égyptiens (ill. 8). Or, dans le passage concernant ce dessinateur-berger primitif, Van Mander et Sandrart mention-nent la présence sur les bords du Nil de la nymphe égyptienne Pictura vêtue

d’une toge multicolore, faisant surgir dans l’espace du récit mythique rien moins que l’allégorie de la peinture, soit exactement ce que l’on observe dans le tableau de Poussin : « Maintenant, pour revenir à notre Gygès de Lydie, on lui donne l’honneur d’avoir inventé l’art de la peinture et d’avoir été le pre-mier dessinateur alors qu’il séjournait en Égypte. [...] On doit donc supposer que la nymphe Pictura revêtit pour la première fois dans la zone du Nil sa-blonneux son vêtement multicolore, que de là, elle étendit ensuite largement sur d’autres peuples à la grande admiration [de tous]. »86Il est donc fort

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pos-12. Jan de Visscher, Paysage

pastoral avec des bergers examinant des inscriptions sur une stèle (d’après Nicolas

Berchem), vers 1660, gravure, 28,5 × 22 cm. Londres, British Museum, inv. F,2.35 (photo The Trustees of the British Museum)

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sible que Poussin, proche de Sandrart et des Hollandais de Rome et passion-né par l’antiquité égyptienne, ait voulu évoquer dans son tableau du Louvre une telle rencontre entre Gygès, ses nouveaux émules égyptiens et cette nymphe de la peinture à l’habit multicolore. Rappelons d’ailleurs que Bellori définira l’élégante figure féminine de leggiadra Ninfa87. En situant cet épisode

de l’histoire de l’art dans l’antique campagne arcadienne plutôt que sur les rives du Nil, Poussin non seulement liait l’histoire de la peinture à celle de la poésie et de la philosophie, les ombres et les couleurs à l’écriture, mais il opé-rait une fusion géographique largement diffusée chez les peintres depuis la Renaissance. On peut l’observer dans nombre de ses tableaux datés de la même période, notamment ceux illustrant l’histoire de Moïse enfant sur les rives du Nil, que le peintre situe au sein de paysages d’inspiration clairement gréco-romaine88.

L’allusion à l’art de la peinture et à son origine, le motif du tombeau an-tique et celui de l’allégorie de la peinture, seront à nouveau combinés quelques années plus tard dans ses deux Autoportraits de 1649 et de 165089.

Il ne s’agit pas là de motifs uniquement réservés à Poussin. On les retrouve ainsi dans des œuvres de Nicolas Berchem, comme dans cette gravure figu-rant un groupe de bergers et de paysans en train d’étudier une inscription sur un tombeau ruiné (ill. 12). Une comparaison attentive révèle que la gravure reprend tous les ingrédients du tableau majestueux et énigmatique du Louvre. Mais une telle version du Et in arcadia ego, quasi comique, voire

pa-rodique, typique de l’art hollandais, nous éloigne fort de la méditation pictu-rale subtile de Poussin qui continue de fasciner et d’interroger les plus philo-sophes d’entre nous90.

Notes

1« Cette page, véritable chef-d’Œuvre du maïtre, et qui peut être considéré comme un de ses

meilleurs ouvrages, est sublime d’exécution et d’effet : aussi la manière large dont elle est traitée à la plume et au bistre, mérite les plus grandes éloges. » Extrait d’une vente en 1847. Voir Annemarie

Stefes, Nicolaes Pietersz Berchem (1620-1683). Die Zeichnungen, thèse de doctorat, 3 vols, Universität

Bern 1997, vol. 3, cat. IV, 4.

2Sur la figure du dessinateur dans le paysage, voir la contribution pionnière de Bruno Weber, « Die

Figur des Zeichners in der Landschaft », Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstges-chichte, n° 34 (1977), p. 44-82, ainsi que l’ouvrage stimulant sur le plan théorique de Federico

L. Sil-vestre, Los pájaros y el fantasma. Una historia del artista en el paisaje, Salamanca 2013.

3En ce sens, cette figure apparemment anodine constitue bien un « objet théorique » au sens où

l’entend Hubert Damisch, à savoir, « un ensemble formé par les œuvres et par les questions qui les tiennent ensemble en mobilisant différents paradigmes interprétatifs ». Hubert Damisch, Giovanni Careri et Bernard Vouilloux, « Hors cadre : entretien avec Hubert Damisch », Perspective, n° 1

(2013), p. 11-23, 12 et suiv. Pour paraphraser Damisch, écrire l’histoire du dessinateur dans le paysage, c’est donc avant tout « travailler sur une fiction ».

4Jacques Derrida, Mémoires d’aveugle, L’autoportrait et autres ruines, Paris 1990, p. 61 ; Victor

Stoi-chita, L’instauration du tableau. Métapeinture à l’aube des temps modernes, 1ereédition 1993, Genève 1999, p. 327.

(33)

5Peter Schatborn, « The Importance of Drawing from Life – Some Preliminary Notes », dans

Se-venteenth-century Dutch Drawings. A Selection from the Maida and George Abrams Collection,

William W. Robinson (éd. par), Lynn (Mass.) 1991, p. 7-12, p. 10.

6Svetlana Alpers, « Interpretation without Representation, or, the Viewing of Las Meninas »,

Re-presentations, n° 1 (1983), p. 30-42, p. 37. Alpers a développé cette distinction, peut-être plus

embar-rassante que féconde car trop manichéenne à mon avis, dans son ouvrage L’art de dépeindre. La pein-ture hollandaise au XVIIesiècle, Paris 1995.

7Jean-Marc Besse, « La Terre comme paysage : Bruegel et la géographie », dans Voir la Terre. Six

es-sais sur le paysage et la géographie, Arles 2000, p. 35-68, p. 58.

8

Ptolémée, Géographie, 1, A, 1, 1-5. Sur les liens entre géographie et art du paysage à la Renaissance,

voir également Nils Büttner, Die Erfindung der Landschaft. Kosmographie und Landschaftskunst im Zeitalter Bruegels, Göttingen 2000 et Tanja Michalsky, Projection und Imagination: die Niederlän-dische Landschaft der Frühen Neuzeit im Diskurs von Geographie und Malerei, Munich 2011.

9Tommaso Garzoni, La piazza universale di tutte le professioni del mondo, e nobili et ignobili, Venise

1587, p. 311 et suiv.

10J’emprunte l’expression à Ernst Van de Wetering dans son analyse de l’Artiste dans son studio de

Rembrandt, conservé à Boston (Rembrandt: the Painter at Work, Amsterdam 1997, p. 87-89).

11

Claudia Swan, « Ad vivum, naer het leven, from the Life: Defining a Mode of Representation », Word & Image, n° 11, 4 (1995), p. 353-372, p. 355. Sur la définition du terme, voir aussi Boudewijn

Bakker, « Au vif – naar’t leven – ad vivum. The Medieval Origin of a Humanist Term », dans Ae-mulatio. Imitation, Emulation and Invention in Netherlandish Art from 1500 to 1800. Essays in Honor of Eric Jan Sluijter, Anton Boschloo et Nicolette Sluijter-Seyffert (éd. par), Zwolle 2011, p. 37-52.

12Voir notamment Weber 1977 (note 2), p. 44 ; Disegno. Der Zneichner im Bild der frühen Neuzeit

(cat. exp. Florence/Munich), M. Thimann et al. (éd. par), Berlin 2007, p. 86-93.

13

Brigitte Roux, Mondes en miniatures. L’iconographie du Livre du trésor de Brunetto Latini, Genève

2009, chap. VI, « Le portrait d’auteur », p. 169-191.

14Sur Bruegel et Ortelius, voir Besse 2000 (note 7). Sur la participation de Dürer à l’entreprise choro

-graphique de Conrad Celtis, voir Jörg Robert, « Dürer, Celtis and the Birth of Landscape Painting from the Spirit of the Germania illustrata », dans The Early Dürer (cat. exp.  Nuremberg), Daniel

Hess et Thomas Eser (éd. par), Nüremberg 2012, p. 65-77.

15Matthias Eberle, Individuum und Landschaft. Zur Entstehung und Entwicklung der

Landschafts-malerei, Giessen 1980, p. 152.

16

Sur cet aspect de la gravure de Bruegel, voir Reindert Falkenburg et Michel Weemans, Bruegel,

Pa-ris 2018, p. 114-123. Sur la présence de visages cachés dans les paysages de Dürer, voir Felix Thürle-mann, « L’aquarelle de Dürer ‹fenedier klawsen›. La double mimesis dans l’analyse picturale d’un lieu géographique », Revue de l’art, n° 137 (2002-2003), p. 9-18. Sur la théorisation des images

natu-relles à la Renaissance, voir l’article classique de Horst W. Janson, « The ‹Image Made by Chance› in Renaissance Thought », dans De artibus opuscula XL. Essays in honor of Erwin Panofsky, Millard

Meiss (éd. par), 2 vols, New York 1961, vol. 1, p. 254-266 et Giacomo Berra, « Immagini casuali, fi-gure nascoste e natura antropomorfa nell’immaginario artistico rinascimentale », Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, n° 43, 2-3 (1999), p. 358-419.

17Claude Lorrain, Artiste dessinant dans la grotte de Neptune à Tivoli, v. 1640, dessin à la plume et

la-vis brun. Haarlem, Teylers Museum, S.22 ; Rembrandt Harmensz. Van Rijn, Artiste dessinant devant une ferme, eau-forte, v. 1645, URL : http://www.ngv.vic.gov.au/explore/collection/work/23311/.

18Jérémie Koering et Isolde Pludermacher, « Les grafittis d’artistes. Signes de dévotion artistique.

Rome, Latium, XVe-XIXesiècles », Revue de l’art, n° 184, 2 (2014), p. 25-34.

19Arthur J. DiFuria, « Remembering the Eternal in 1553: Maerten Van Heemskerck’s Self-Portrait

be-fore the Colosseum », dans Envisioning the Artist in the Early Modern Netherlands, H. Perry

Chap-man et Joanna Woodall (éd. par), Zwolle 2010 (Nederlands kunsthistorisch jaarboek, 59), p. 90-109.

20

Je me permets de renvoyer à ma notice dans Michael Jakob et Claire-Lise Schwok (éd. par),

100 paysages : exposition d’un genre, Gollion 2011, n. 15.

21Zygmunt Wazbinski, « ‹E quelli notare con brevi segni... su un tuo piccolo libretto il quale tu

debbi sempre portrare teco...› Leonardo da Vinci e il suo ruolo nella storia della pittura paesaggisti-ca », dans Tadeusz J. Zuchowsk et Sebastian Dudzik (éd. par), Pejzaj, Narodziny Gatunku 1400-1600, Torun 2004, p. 65-91, p. 79, n. 42, qui cite le Trattato della pittura di Lionardo da Vinci,

(34)

noua-mente dato in luce con la vita dell’istesso autore, scritta da Raffaelle Du Fresne..., Paris 1651 ; Cennino

Cennini, Libro dell’arte, F. Brunello et L. Magagnato (éd. par), Vicence 1971, chap. XXIX.

22

Van de Wetering 1997 (note 10), p. 47-74.

23Récemment, Hein-Thomas Schulze-Altcappenberg a remis en question l’autographie de l’œuvre

(Disegno 2007 [note 12], p. 178, cat. 52 et idem, « Akt und Landschaft in der italienischen

Zeichen-kunst des Quattrocento », dans Aspekte deutscher Zeichenkunst [actes de colloque, Munich 2004],

Iris Lauterbach et Margaret Stuffman (éd. par), Münich 2006, p. 28-38) sur la base de certains de ces détails apparemment irréalistes. Mais c’est précisément cette tension entre mimesis et fantasia qui

ca-ractérise, selon moi, les aquarelles de Dürer de cette période comme la vue d’Arco du musée du Louvre citée plus haut (cf. infra note 16), son étude de rochers au British Museum (inv. 5218-166) ou

encore celle conservée à la Pinacoteca Ambrosiana de Milan (inv. Cod.F.264 inf.19). La prise de dis-tance de Hans Bol avec la mystérieuse – et virtuose – indétermination des formes düreriennes est l’indice que l’œuvre est bien un original et que Bol n’est qu’un copiste. Je remercie le personnel du Kupferstichkabinnet de Berlin de m’avoir autorisé à examiner le dessin de Dürer.

24Disegno 2007 (note 12), p. 164-183.

25Joaneath Ann Spicer, « The ‹Naer Het leven› Drawings: By Pieter Bruegel or Roelandt

Save-ry ? », Master Drawings, n° 8, 1 (1970), p 3-30 et p. 63-82.

26Todd Richardson, Pieter Bruegel the Elder: Art Discourse in the Sixteenth-century Netherlands,

Farnham 2011, p. 38-41.

27Bertram Kaschek, « Bruegel in Prag : Anmerkungen zur Rezeption Pieter Bruegels d. Ä. um

1600 », Studia Rudolphina, n° 7 (2007), p. 44-58, p. 51-55.

28Denis Ribouillault, dans Fables du paysage flamand (cat. exp., Lille), A. Tapié et M. Weemans (éd.

par), Paris 2012, cat. 25, p. 174 et suiv. ; Lorne Campbell, The Sixteenth century Netherlandish Pain-tings, with French Paintings before 1600, 2 vols, Londres 2014, vol. 1, p. 198-203.

29

Sur le voyage italien de Hoefnagel et Ortelius, voir désormais Jean-Marc Besse, « Le voyage, le té-moignage, l’amitié : Abraham Ortelius et Georg Hoefnagel en Italie (hiver 1577-1578) », dans Re-gardeurs, flâneurs et voyageurs dans la peinture (actes de colloque, Paris 2009), Anne-Laure Imbert

(éd. par), Paris 2015, p. 129-145.

30Voir notamment Nina Eugenia Serebrennikov, « Imitating Nature/Imitating Bruegel », dans Jan

de Jong et al. (éd. par), Pieter Bruegel, Zwolle 1997, p. 223-246, p. 228-232.

31Karel Van Mander, Le livre des peintres de Carel Van Mander..., Henri Hymans (trad., éd. et notes

par), 2 vols, Paris 1884-1885, vol. 1, p. 4-17, p. 10.

32

Walter Melion, Shaping the Netherlandish Canon: Karel Van Mander’s Schilder-Boek, Chicago

1993, p. 63-67.

33Van Mander 1884 (note 31), vol. 1, p. 299.

34Denis Ribouillault, « Regurgitating Nature: On a Celebrated Anecdote by Karel Van Mander

about Pieter Bruegel the Elder », Journal of Historians of Netherlandish Art, n° 8, 1 (Hiver 2016),

DOI : 10.5092/jhna.2016.8.1.4 (consulté le 16 octobre 2017).

35Samuel Van Hoogstraten, Introduction à la haute école de l’art de peinture (1677), Jan Blanc (trad.

par, commentaires et index), Genève 2006, Livre IV, chap. V, « Des paysages », p. 252.

36Joachim von Sandrart, Teutsche Academie, Nuremberg 1675, II, 3, p. 311, URL :

http://ta.san-drart.net/-facs-537 (consulté le 21 août 2016).

37Janeck note la ressemblance du passage avec une anecdote similaire rapportée dans une lettre de

Constantin Huyghens du 7 décembre 1649. Huyghens se serait à son tour inspiré d’un recueil d’anecdotes espagnol, la Floresta española compilé par Melchor de Santa Cruz et publié en 1574.

Voir Axel Janeck, Untersuchugen über den hölländischen Maler Pieter van Laer, genannt Bamboccio,

Würzburg 1968, p. 24 et p. 52, note 4. Sur le rôle des anecdotes dans la théorie de l’art, voir É. Hé-nin, F. Lecercle et L. Wajeman (éd. par), La théorie subreptice. Les anecdotes dans la théorie de l’art (XVIe-XVIIIesiècles), Turnhout 2012.

38Van Mander 1884 (note 31), vol. 1, p. 308 (Scorel) et 67 (Gast). Pour la mention de Houbraken et

la question de la peinture en plein air, voir Bert W. Meijer, « La perfetta imitazione de’ veri paesi », dans R. Dubbini et al. (éd. par), Paesaggio e veduta da Poussin a Canaletto. Dipinti da Palazzo Bar-berini (cat. exp., Turin), Turin 2006, p. 33-45 et Sarah Van Ooteghem, The Origin and Function of Sixteenth Century Netherlandish artists’ Roman vedute, mémoire de maîtrise, Utrecht University

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