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La présomption de conformité de la Charte canadienne des droits et libertés au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : vers une meilleure reconnaissance du droit à la subsistance en droit canadien?

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Texte intégral

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La présomption de conformité de la Charte canadienne

des droits et libertés au Pacte international relatif aux

droits économiques, sociaux et culturels : vers une

meilleure reconnaissance du droit à la subsistance en

droit canadien?

Mémoire

Stéphanie Pepin

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL. M.)

Québec, Canada

© Stéphanie Pepin, 2017

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La présomption de conformité de la Charte canadienne

des droits et libertés au Pacte international relatif aux

droits économiques, sociaux et culturels : vers une

meilleure reconnaissance du droit à la subsistance en

droit canadien?

Mémoire

Stéphanie Pepin

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Les obligations qui découlent des traités internationaux ratifiés par le Canada le liant sur la scène internationale dès leur ratification, les tribunaux canadiens ont eu recours à plusieurs procédés interprétatifs pour assurer une certaine cohérence entre ces traités et les lois canadiennes sur les droits fondamentaux; dans le cas contraire, le pays pourrait se trouver en violation de ses obligations internationales, ce dernier ne procédant traditionnellement pas à leur mise en œuvre législative comme le requiert la théorie dualiste qui prévaut en matière de droit international. La jurisprudence récente de la Cour suprême nous informe que la présomption de conformité constitue le procédé interprétatif qu’elle privilégie pour matérialiser cette interaction, procédé en vertu duquel il est présumé que la législation canadienne offre un niveau de protection au moins équivalent à celui qui découle de ces traités internationaux.

Dans le présent mémoire, il sera démontré que ces développements jurisprudentiels pourraient permettre une révision de la conception qui prévaut actuellement quant à la portée des articles 7 et 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés – qui énoncent respectivement le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ainsi que le droit à l’égalité – de manière à ce qu’ils soient envisagés comme garantissant plusieurs composantes du droit à la subsistance tel que protégé aux articles 9 et 11 du Pacte

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce droit ne

bénéficie en effet d’aucune protection constitutionnelle explicite en droit canadien, et la vision restrictive des tribunaux quant à la nature des obligations juridiques qui découlent des articles 7 et 15(1) a jusqu’à maintenant fait obstacle à la majorité des recours visant à faire reconnaitre ses composantes en droit canadien.

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SUMMARY

As obligations ensuing from international treaties ratified by Canada bind the country at the international level from the moment of their ratification, courts have used numerous interpretative processes to ensure coherence between these treaties and legislation on human rights; in the opposite case, the country could be in violation of its international obligations since it habitually does not proceed to implement them in domestic law, as required by the dualist theory prevailing in international law. Recent jurisprudence of the Supreme Court of Canada appears to indicate that the presumption of conformity constitutes the privileged interpretative process to materialize this interaction, process under which it is presumed that the Canadian legislation offers a level of protection at least equal to the one ensuing from these treaties.

In the present thesis, it will be demonstrated that these recent jurisprudential developments could allow a revision of the conception currently prevailing regarding sections 7 and 15(1) of the Canadian Charter – which respectively guarantee the right to life, to security and to liberty as well as the right to equality – so that they be interpreted as guaranteeing numerous components of the right to subsistence as protected by sections 9 and 11 of the International Covenant on Economic, Social

and Cultural Rights. This right, in the current state of the law, beneficiates from little

protection given the restrictive judicial interpretation of the nature of the obligations ensuing from sections 7 and 15(1).

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La présomption de conformité de la Charte canadienne des droits et libertés au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux

et culturels : vers une meilleure reconnaissance du droit à la subsistance en droit canadien?

RÉSUMÉ ... iii

SUMMARY ... iv

TABLE DES ABBRÉVIATIONS ... vii

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

1) Le rôle interprétatif des traités internationaux ratifiés sur les lois sur les droits fondamentaux ... 15

1.1) Du choix de la présomption de conformité : revue exhaustive de la jurisprudence de la Cour suprême ... 17

1.2) La présomption de conformité: conditions d’application et conséquences juridiques ... 33

1.2.1) Conditions d’application et caractéristiques principales ... 34

1.2.2) Illustration de l’impact d’une interprétation de la législation à travers la présomption de conformité : la protection des droits syndicaux sous l’article 2d) de la Charte canadienne : ... 38

2) La protection implicite du droit à la subsistance à travers les articles 7 et 15(1) de la Charte canadienne ... 45

2.1) Révision des arguments invoqués pour faire obstacle à la protection des composantes du droit à la subsistance à travers la Charte canadienne ... 50

2.1.1) L’exclusion des intérêts économiques de la protection de la Charte canadienne ... 51

2.1.2) La nature « négative » de la Charte canadienne ... 55

2.1.2.1) Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ... 60

2.1.2.2) Le droit à l’égalité ... 64

2.1.3) La déférence judiciaire dans les litiges en matières socio-économiques ... 67

2.2) L’inclusion des composantes du droit à la subsistance à la portée matérielle des articles 7 et 15(1) ... 80

2.2.1) Article 7 - Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ... 82

2.2.1.1) Le « noyau essentiel » du droit à la subsistance ... 85

2.2.1.2) La protection des composantes du « noyau essentiel » du droit à la subsistance sous l’article 7 ... 89

a) Le droit à un niveau minimal de sécurité sociale pour assurer ses besoins fondamentaux ... 89

(6)

b) L’obligation d’élaborer une stratégie nationale en matière de logement ... 92

2.2.2) Article 15(1) – Droit à l’égalité ... 98

CONCLUSION ... 112

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TABLE DES ABBRÉVIATIONS

CDESC Comité des droits économiques, sociaux et culturels

CDH Comité des droits de l’Homme

CDPDJ Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Charte canadienne Charte canadienne des droits et libertés

Charte québécoise Charte des droits et libertés de la personne

Déclaration universelle Déclaration universelle des droits de l’Homme

PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels

OIT Organisation Internationale du Travail

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REMERCIEMENTS

Ce mémoire n’aurait pas été possible sans la collaboration et le support de nombreuses personnes. Il est l’aboutissement de trois années de réflexion, d’efforts et de remises en question, au cours desquelles leur soutien a joué un rôle fondamental.

À mon directeur de mémoire Louis-Philippe Lampron, d’abord, merci pour les bons conseils et les interventions toujours pertinentes. Je me considère privilégiée d’avoir pu bénéficier d’un tel encadrement tout au long de mon mémoire. Merci, notamment, de m’avoir laissé la liberté nécessaire pour faire les bons coups et les erreurs qui m’ont permis de développer le bagage nécessaire à la poursuite de mon cheminement académique.

À mes parents et ma famille, merci pour vos encouragements continus et votre confiance inconditionnelle en ma capacité d’accomplir avec succès tous mes projets, académiques ou autres.

À mon copain Tommy, merci de m’avoir accompagné à travers ce cheminement, dans les bons et les moins bons moments, toujours avec patience et compréhension.

À tous mes collègues et amis, merci pour toutes ces conversations intéressantes qui ont alimenté ma réflexion, pour votre support et votre amitié.

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But we must see that the problem of defending individual rights is inseparable from the problem of defining them.

- Jennifer Nedelsky

INTRODUCTION

Le « droit » des individus à l'assistance de l'État afin de subvenir à leurs besoins fondamentaux lorsqu’ils sont confrontés à des circonstances qui les empêchent d’y pourvoir de leurs propres moyens serait apparu des suites de la crise économique de 1929 et de la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque, où se développe le modèle d’État-providence, il est généralement accepté par les États que des causes structurelles et économiques peuvent être à la source d’un état de pauvreté et, sur le fondement de leur citoyenneté, les individus en situation de désavantage économique doivent pouvoir bénéficier des ressources essentielles à leur vie et leur survie1.

Le Canada n’échappe pas à cette tendance et, en période d'après-guerre, le programme politique du gouvernement canadien se teinte des grands principes relatifs aux droits fondamentaux universels et à la satisfaction des besoins humains globaux2. Dès les années 60 et 70, les Canadiens profitent déjà de nombreux services et avantages sociaux, notamment la sécurité sociale, certains services de santé par l’entremise du Régime d’assistance publique, l’assurance-hospitalisation,

1 Amber Elliott, « Social Assistance and the Charter: Is there a Right to Welfare in Canada? » (2001) 7 Appeal 74 à la p 1; Martha Jackman, « The Protection of Welfare Rights under the Charter » (1988) 20 Ottawa Law Review 257 à la p 267 et 271.

2 Anne-Sophie Bordeleau-Roy, Les valeurs dans la politique étrangère du gouvernement

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l’assurance-maladie et les allocations familiales3, qui forment un « filet social » au bénéfice des Canadiens dont la sécurité personnelle était en jeu4.

Sur la scène internationale, l’engagement des États envers la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale des individus en situation de désavantage économique se matérialise principalement par l'adoption du Pacte international relatif

aux droits économiques, sociaux et culturels5 (« PIDESC ») le 16 décembre 1966, qui

garantit une gamme variée de droits économiques et sociaux. Ses articles 9 et 11, qui protègent respectivement le droit à la sécurité sociale et le droit à un niveau de vie suffisant, forment ensemble ce que nous désignerons comme le « droit à la subsistance », en ce qu’il vise à assurer aux individus l’accès aux ressources financières et matérielles essentielles à leur survie.

Le droit à la sécurité sociale, prévu à l’article 96 du PIDESC, est défini par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (« CDESC ») comme englobant :

le droit d’avoir accès à des prestations, en espèces ou en nature, et de continuer à en bénéficier, sans discrimination, afin de garantir une protection, entre autres, contre: a) la perte du revenu lié à l’emploi, pour cause de maladie, de maternité, d’accident du travail, de chômage, de vieillesse ou de décès d’un membre de la famille; b) le coût démesuré de l’accès aux soins de santé; c) l’insuffisance des prestations familiales, en particulier au titre des enfants et des adultes à charge7.

3 Parlement du Canada, Normes nationales et programmes sociaux : Que peut faire le gouvernement

fédéral?, Publication BP-379F, Parlement du Canada, 1997 à la p 4 à 7; Bruce Porter et Martha

Jackman, « Introduction » dans Advancing Social Rights in Canada, Toronto, Irwin Law, 2014, 1 à la p 6 et 10.

4 Jackman, supra note 1 à la p 267; Karen Rideout et Graham Riches, « Bringing Home the Right to Food in Canada: Challenges and Possibilities for Achieving Food Security » 10 Public Health Nutrition 566 à la p 569.

5 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, GA res 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp (No16) at 49; UN Doc A/6316 (1966); 993 UNTS3, 1966 [PIDESC].

6 PIDESC, article 9 : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales. ».

7 Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 19 : Le droit à la

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L’article 118 dispose quant à lui du droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence; cela inclut le droit à « une nourriture, un vêtement et un logement suffisants » en plus d’exiger l’adoption de programmes concrets permettant à toute personne d’être à l’abri de la faim.

Le PIDESC fut adopté conjointement avec le Pacte international relatif aux

droits civils et politiques9 (« PIDCP ») le 16 décembre 1966 dans le but de renforcer

la protection des droits reconnus à la Déclaration universelle des droits de l’Homme10 (« Déclaration universelle »), entrée en vigueur le 10 décembre 1948, qui sont symboliques et n’ont donc pas force obligatoire en droit11.

C’est après une dizaine d’années de négociation que le Canada ratifia les deux Pactes internationaux le 19 mai 1976, avec l’accord écrit de toutes les provinces12. Le pays franchissait ainsi un pas supplémentaire vers la meilleure réalisation des droits fondamentaux des Canadiens et, dans le cas qui nous occupe, de leurs droits économiques et sociaux tels que le droit à la subsistance13. En effet, en adhérant ainsi au PIDESC, le pays s’engageait à agir « au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des

8 PIDESC, article 11 : « (1) Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les États parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie […]. ».

9 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, GA res 2200A (XXI), 21 UN GAOR Supp (No16) at 49, UN Doc A/6316 (1966); 993 UNTS3, 1966 [PIDCP].

10 Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, GA red 217A (III), IN Doc A/810, 1948.

11 William A Schabas, « Canada and the Adoption of the Universal Declaration of Human Rights » (1998) 43 Revue de Droit de McGill 403 à la p 425.

12 Le mot « provinces » est employé pour désigner tant les provinces que les territoires canadiens. 13 Noel A Kinsella, « Can Canada afford a Charter of Social and Economic Rights? Toward a Canadian Social Charter » (2008) 71 Saskatchewan Law Review 7 à la p 1; Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, Rapport soumis conformément à la résolution 1988 (LX) du Conseil par les États

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droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés »14, une obligation qui le lie immédiatement sur la scène internationale15.

Cet instrument n’est toutefois pas devenu exécutoire en droit canadien du simple fait de sa ratification16. Au Canada, le droit international conventionnel et le droit interne constituent deux ordres juridiques distincts du fait de la théorie dualiste en matière de droit international qui prévaut au pays. Cette théorie vise à éviter que le gouvernement fédéral – seul responsable de la conclusion des traités internationaux au pays17 – ne puisse, du simple fait de sa ratification d’un instrument international, modifier le droit interne sans la participation des législatures compétentes, représentantes élues de la volonté du peuple; il en va du respect des principes fondamentaux que sont la séparation des pouvoirs entre le fédéral et les provinces ainsi que de la suprématie parlementaire en droit canadien18. Ainsi, pour que les ententes, traités et actes internationaux bilatéraux ou multilatéraux puissent s’imposer aux tribunaux canadiens, dont le mandat constitutionnel en matière d’interprétation et d’application du droit se limite au droit interne19, ils doivent avoir été explicitement mis en œuvre par l’adoption d’une loi d’incorporation qui émane

14 PIDESC, article 2(1).

15 Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, Vol 1155, coll Treaty Series, Nations Unies. article 12.

16 Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6th éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014 à la p 650; Stephen J Toope, « Inside and out: The Stories of International Law and Domestic Law » (2001) 50 University of New Brunswick Law Journal 11 à la p 12.

17 Laura Barnett, Le processus de conclusion des traités au Canada, 2008‑45‑F, Bibliothèque du Parlement, 2008 à la p 7, en ligne : <https://bdp.parl.ca/content/lop/researchpublications/2008-45-f.pdf>; Johanna Harrington, « Redressing the Democratic in Treaty Law Making: (RE)Establishing a Role for Parliament » (2005) 50 Revue de Droit de McGill 465 au para 12; Brun, Tremblay et Brouillet,

supra note 16 à la p 563.

18 France Houle et Noura Karazivan, « Les rapports de relevance juridique entre les ordres législatifs canadien et international » (2008) 1 Revue québécoise de droit constitutionnel 1 à la p 20; Brun, Tremblay et Brouillet, supra note 16 à la p 650; Toope, supra note 16 à la p 12.

19 Olivier Delas et Myriam Robichaud, « Les difficultés liées à la prise en compte du droit international des droits de la personne en droit canadien: préoccupations légitimes ou alibis? » (2008) 21:1 Revue

québécoise de droit international 1 à la p 3; Hugh M Kindred et Oonagah E Fitzgerald, « L’usage et

le mésusage des sources juridiques internationales par les tribunaux canadiens : à la recherche d’une perspective raisonnée » dans Règle de droit et mondialisation : Rapports entre le droit international

et le droit interne, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, 11 à la p 14; Brun, Tremblay et Brouillet, supra note 16 à la p 650 et 651; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, Markham,

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de la ou des chambres législatives compétentes, en respect des principes énoncés à l’arrêt Affaire des Conventions sur le travail20 du Comité judiciaire du Conseil privé. Pour donner suite à ses obligations découlant des traités internationaux sur les droits fondamentaux tels que le PIDESC, le Canada privilégie toutefois un procédé de mise en œuvre distinct de l’incorporation législative explicite : au terme d’un examen secret de la législation interne, le gouvernement fédéral déclare que les droits et obligations énoncés au traité international concerné sont déjà adéquatement protégés par le droit national – notamment par la Charte canadienne, les autres lois fédérales et provinciales sur les droits fondamentaux, ainsi que par les politiques et les pratiques en matière de droits fondamentaux au pays – et que la ratification pourra aller de l’avant sans l’adoption de mesures de mises en œuvre particulières21. Au terme de ce procédé, ces traités, comme le déclare le gouvernement fédéral, « ne font pas ipso facto partie du droit canadien et, par conséquent, ils ne peuvent être appliqués directement par les tribunaux canadiens. »22.

Il s’agit de la position que soutiennent également les tribunaux canadiens, qui se fondent sur une vision stricte du dualisme dans leur traitement du droit international conventionnel : ils exigent en effet que tous les traités internationaux

20 Dans cette décision, le Comité judiciaire du Conseil privé énonce que la mise en œuvre des traités internationaux doit être effectuée par la ou les chambres législatives disposant de la compétence législative relative au sujet visé par les obligations internationales concernées : « Le Canada, en ce qui a trait aux pouvoirs législatifs, possède tous ceux qui sont nécessaires à l'exécution des traités, en mettant ensemble ceux du Dominion et des provinces. Mais les pouvoirs législatifs restent séparés et si, dans l'exercice des attributions découlant de son nouveau statut international, le Dominion contracte des obligations, ces dernières doivent, quand il s'agit de lois concernant les catégories de sujets relevant des provinces, être remplies par l'ensemble des pouvoirs, c'est-à-dire au moyen d'une coopération entre le Dominion et les provinces. ».

21 Barnett, supra note 17 à la p 4; Kindred et Fitzgerald, supra note 19 à la p 22; Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Des promesses à tenir: le respect des obligations du Canada

en matière de droits de la personne, Sénat du Canada, 2001 à la p 6, en ligne :

<https://sencanada.ca/content/sen/committee/371/huma/rep/rep02dec01-f.htm>; Elisabeth Eid et Hoori Hamboyan, « La mise en œuvre par le Canada des obligations découlant de traités internationaux de droits de la personne: créer du sens au-delà de l’absurde » dans par Oonagah E Fitzgerald, Règle de droit et mondialisation : Rapports entre le droit international et le

droit interne, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006 à la p 556; Delas et Robichaud, supra note 19

à la p 13.

22 Patrimoine canadien, Document de base formant partie intégrante des rapports des états parties, Gouvernement du Canada, 1997 au para 143, en ligne :

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ratifiés soient mis en œuvre par l’entremise d’une loi d’incorporation explicite, peu importe leur champ matériel ou le procédé de mise en œuvre privilégié par le Canada à leur égard23; cela vaut ainsi tout autant dans le cas des traités sur les droits fondamentaux24. Face à une violation alléguée à l’un des droits qu’ils garantissent, à défaut de pouvoir invoquer avec succès ces instruments en tant que source de droit à caractère obligatoire, les Canadiens doivent plutôt s’en remettre aux voies de recours internes existantes25.

Sur le fondement de ce procédé de mise en œuvre implicite des traités internationaux sur les droits fondamentaux, le Canada laisse néanmoins sous-entendre avoir convenablement donné suite aux obligations internationales qui en émanent26. Ce discours n’est certainement pas conforme à la réalité des Canadiens quant à la protection de leurs droits énoncés au PIDESC : non seulement cet instrument international ne peut-il être invoqué directement en droit interne en tant que source de droit contraignante27, mais la législation interne sur les droits fondamentaux au pays, dans son état actuel, s’avère inadéquate pour rendre compte des obligations qui en découlent.

En effet, aucun des droits économiques et sociaux qu’il énonce ne se retrouve au dispositif de la Charte canadienne28. Pareillement, aucune province n’a énoncé de droits économiques et sociaux au sein de sa législation provinciale sur les droits fondamentaux, à l’exception du Québec qui a consacré le Chapitre IV de sa Charte

23 Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 100 au para 82;

Francis v The Queen, [1956] 3 DLR (2d) 641 à la p 621; Arrow River & Tributaries Slide & Boom Co Ltd v Pigeon Timber Co Ltd, [1932] RCS 495.

24 Henry c ColombieBritannique (Procureur général), [2015] 2 RCS 214 au para 136; Saskatchewan

Federation of Labour c Saskatchewan, [2015] 1 RCS 245 au para 85 [Saskatchewan Federation of Labour]; Hinse c Canada (Procureur général), [2015] 2 RCS 621 au para 85; Divito c Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), [2013] 3 RCS 157 au para 25; Baker c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 69 [Baker]; Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn c Colombie-Britannique, [2007] 2 RCS 391 au

para 175 [Health Services].

25 Patrimoine canadien, supra note 22 au para 143. 26 Ibid au para 136 ss.

27 Health Services, supra note 24, au para 69; Confédération des syndicats nationaux c Québec

(Procureur général), 2008 QCCS 5076 au para 311; Greene c Province of New Brunswick et autres,

2014 NBBR 168 au para 172 et 173 [Greene].

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des droits et libertés de la personne29 (« Charte québécoise ») à la protection de certains de ces droits. Son article 45, notamment, dispose du droit de toute personne dans le besoin à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent30. La violation des droits du Chapitre IV, toutefois, ne peut actuellement être sanctionnée que d’un jugement déclaratoire, qui n’a aucune force exécutoire en droit31.

Ainsi, bien que le gouvernement fédéral ait déclaré dans son premier rapport périodique remis au CDESC en 1981 que chaque gouvernement, au lieu de l’incorporer directement au droit interne, s’était « engagé à modifier son droit interne de façon à le rendre conforme au Pacte, si après examen ceci s'avère nécessaire »32, ce discours ne s’est pas matérialisé dans les faits. En effet, les gouvernements fédéral et provinciaux tardent à mettre en place un cadre juridique constitutionnel qui permette aux Canadiens d’opposer leurs droits économiques et sociaux devant les tribunaux33, malgré leur engagement, par la ratification du PIDESC, à agir au maximum de leurs ressources disponibles et par tous les moyens appropriés pour assurer progressivement le plein exercice des droits économiques et sociaux qu’il garantit34.

29 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

30 L’article 45 se lit : « Toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent. ». Bien que nous ayons limité notre analyse aux articles 7 et 15(1) de la

Charte canadienne, l’article 45 constitue une autre avenue intéressante pour améliorer la protection

du droit à la subsistance en droit canadien. À cet égard, voir notamment Robert Tétrault, « Le droit à un niveau de vie décent » dans Droit de cité pour les droits économiques, sociaux et culturels :

La Charte québécoise en chantier, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, 207.

31 Gosselin c Québec (Procureur général), [2002] 4 RCS 429 au para 96 [Gosselin]; David Robitaille, « Les droits économiques et sociaux dans les relations État-particuliers après trente ans d’interprétation : normes juridiques ou énoncés juridiques symboliques? » [2006] Revue du Barreau 455 à la p 458. Les tribunaux ont toutefois énoncé que certains de ces droits constituent des droits substantiels dont la violation par les personnes privées peut entrainer l’octroi de dommages-intérêts; c’est le cas, principalement, de la protection des personnes âgées prévues à l’article 48 (Vallée c.

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2005 QCCA 316).

32 Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, supra note 13 à la p 3.

33 Dans ce mémoire, nous envisageons une conception de réalisation des droits économiques et sociaux en vertu de laquelle l’État doit s’abstenir d’interférer avec l’exercice de ces droits par les individus et, lorsque nécessaire, adopter des mesures concrètes dans cette optique, comme le requiert ces droits tel qu’ils sont protégés au PIDESC.

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Cette position restrictive du Canada quant à la nature juridique des obligations découlant du PIDESC lui fut d’ailleurs reprochée par le CDESC dans son dernier rapport adressé aux autorités canadiennes en 2016 :

Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures législatives nécessaires pour faire appliquer intégralement les droits consacrés dans le Pacte dans son ordre juridique et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours utiles. Il recommande à l’État partie de mettre en œuvre son engagement de revoir les positions qu’il adopte dans le cadre de procédures judiciaires afin de renforcer la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels35.

Vu l’absence de droits économiques et sociaux explicites et contraignants en droit canadien, plusieurs tentatives ont été faites pour que soient reconnues certaines composantes des droits garantis au PIDESC par l’entremise des dispositions de la législation existantes sur les droits fondamentaux. Cela vaut notamment en ce qui concerne le droit à la subsistance36, le droit à la santé37 et les droits syndicaux38. Toutefois, hormis quelques cas d’exception, très peu de ces réclamations furent couronnées de succès39.

En ce qui concerne le droit à la subsistance, objet central de notre analyse, il fut plaidé devant les tribunaux qu’il serait inclus – du moins implicitement – à certains

35 Conseil économique et social, Examen des rapports présentés par les états parties conformément

aux articles 16 et 17 du pacte, Observations finales du comité des droits économiques, sociaux et culturels, E/C12/CAN/CO/4, Nations Unies, 2006 au para 5 et 6.

36 Voir notamment Gosselin, supra note 31; Masse v Ontario (Minister of Community and Social

Services), [1996] CanLii 12491 (ON SCDC) [Masse]; Tanudjaja v Canada (Attorney General), 2014

ONCA 852 [Tanudjaja].

37 Auton (Tutrice à l’instance de) c Colombie-Britannique (Procureur général), [2004] 3 RCS 657;

Cameron v Nova Scotia (Attorney General), [1999] CanLii 7243; Eldridge c Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624.

38 Dunmore c Ontario (Procureur général), [2001] 3 RCS 1016 [Dunmore]; Health Services, supra note 24; Saskatchewan Federation of Labour, supra note 24.

39 En matière de reconnaissance des composantes du droit à la subsistance, les décisions Victoria

(City) v Adams, 2009 BCCA 563 [Victoria(City)] et Abbotsford (City) v Shantz, 2015 BCSC 1909

[Abbotsford(City)] constituent les seules réclamations couronnées de succès. Les arrêts Eldridge

c. Colombie-Britannique (Procureur général), supra note 38, et Canada (Attorney General) c PHS Community Services Society, [2011] 3 SCR 134 [Insite] en sont les principaux exemples quant au

droit à la santé. La reconnaissance des droits syndicaux à travers la liberté d’association constitue le domaine qui présente le plus haut taux de succès : Voir notamment Saskatchewan Federation

of Labour c Saskatchewan, supra note 24; Health Services, supra note 24; Ontario (Procureur général) c Fraser, [2011] 2 RCS 3 [Fraser].

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droits civils et politiques garantis par la Charte canadienne, nommément à ses articles 740 et 15(1)41 qui protègent respectivement le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ainsi que le droit à l’égalité. Diverses objections qui limitent la portée normative42 de ces dispositions ont néanmoins fait obstacle à la réussite de la majorité de ces recours, généralement sans même qu’une analyse sur l’inclusion du droit à la subsistance à leur portée matérielle43 ne soit entreprise.

Il existe donc un besoin bien réel, en droit canadien, de réfléchir aux avenues pouvant permettre une meilleure reconnaissance des composantes du droit à la subsistance à travers la législation existante sur les droits fondamentaux, et ce, afin d’améliorer la réalisation de ce droit auprès des Canadiens dans le besoin, en respect des engagements internationaux souscrits par le Canada lors de sa ratification du PIDESC. Nous croyons à cet égard que les arrêts récents de la Cour suprême quant au rôle interprétatif des traités internationaux sur les droits fondamentaux ratifiés par le pays sur la portée de la législation interne sur les droits fondamentaux offrent une assise juridique solide pour permettre une révision de l’approche traditionnelle des tribunaux quant à la protection du droit à la subsistance à travers la Charte canadienne.

En effet, l’absence d’incorporation du PIDESC au droit interne ne signifie pas que ce traité ne bénéficie d’aucune valeur contraignante en droit interne : puisque les traités internationaux lient le Canada sur la scène internationale dès leur

40 Charte canadienne, article 7: « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. ».

41 Charte canadienne, article 15(1): « (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. ».

42 La portée normative réfère à la force obligatoire du droit, qui est susceptible d’une sanction par le biais d’un recours judiciaire : CODAP, Notions de base en matière de droits fondamentaux (Centre de conseils et d’appui pour les jeunes en matière de droits de l’homme, 2015, en ligne : CODAP, http://www.codap.org/documentation/CODAP/Manuel%20Droit%202015_low.pdf. 43 La portée matérielle, également dénommée portée « substantielle », réfère à l’ensemble des règles de fonds qui régissent un droit et sa substance : Ministère de la Justice du Canada, « droit substantiel », dans Termes juridiques, en ligne : Gouvernement du Québec,

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ratification, il a aussitôt le devoir de les exécuter de bonne foi, en conformité avec le principe du droit international coutumier pacta sunt servanda (« Les accords doivent être respectés »), codifié à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des

traités44. Dans le cas contraire, sa responsabilité internationale pourrait être

engagée45.

Afin de pallier à l’absence de mise en œuvre législative qui affecte certains traités internationaux et d’ainsi éviter de placer le Canada en violation de ses obligations internationales, la Cour suprême a eu recours à des présomptions d'interprétation lui permettant d’assurer une certaine cohérence entre ces normes et la législation canadienne46. Elle donne ainsi aux obligations contenues aux traités ratifiés par le Canada un effet indirect en droit interne47, par opposition à l'effet direct qui découlerait de leur incorporation.

Ce rôle interprétatif des traités internationaux ratifiés – qu’ils aient été incorporés ou non au droit interne – est maintenant clairement établi dans la jurisprudence de la Cour suprême48, en plus d’être reconnu par le gouvernement fédéral49 et encouragé par la communauté internationale:

Il est généralement reconnu que le droit interne doit être interprété autant que faire se peut d'une manière conforme aux obligations juridiques internationales de l'État. Ainsi, lorsqu'un organe de décision interne doit choisir entre une interprétation du droit interne qui mettrait l'État en conflit avec les dispositions du Pacte et une autre qui lui permettrait de se conformer à ces dispositions, le droit international requiert que l'on choisisse la deuxième50.

44 Houle et Karazivan, supra note 18 à la p 17; Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in

Canada, 4ème, Toronto, Carswell, 2011 à la p 466 et 467.

45 Laurence André et Julie Durtry, « La responsabilité internationale des États pour les situations d’extrême pauvreté » [1999] Revue Belge de Droit International 59 à la p 81.

46 David Robitaille, « “Texture ouverte”, droit international et interprétation de la Charte canadienne » (2013) 61 Supreme Court Law Review 191 à la p 203.

47 France Houle, « L’arrêt Baker : Le rôle des règles administratives dans la réception du droit international des droits de la personne en droit interne » (2011) 27 Queen’s Law Journal 511 à la p 514; Sullivan, supra note 19 à la p 330; Côté, supra note 44 à la p 466 à 468.

48 Voir notamment Baker, supra note 24 au para 69; Divito, supra note 24 au para 23; Saskatchewan

Federation of Labour, supra note 24; Henry, supra note 24 au para 136; Health Services, supra note

24 au para 71.

49 Patrimoine canadien, supra note 22 au para 144. : « Les traités internationaux sur les droits de la personne que le Canada a ratifiés ont une incidence sur l’interprétation du droit interne. ».

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Il est également conforme aux règles interprétatives habituelles des lois canadiennes sur les droits fondamentaux, qui dictent que ces lois doivent être interprétées de manière large et libérale, selon leur contexte et leurs objectifs51.

Deux procédés interprétatifs appliqués par les tribunaux quant à l'interaction entre les ordres juridiques canadien et international peuvent être qualifiés de durables: la présomption de conformité et l’interprétation contextuelle. Alors que la première amène le tribunal à présumer que les législatures n’entendent pas légiférer en contravention avec les obligations énoncées aux instruments internationaux auxquels il adhère52, la seconde envisage plutôt le droit international comme un simple élément contextuel à prendre en considération dans l’analyse judiciaire de la portée et du sens de la législation interne53.

L’usage de l’un ou l’autre de ces procédés interprétatifs est susceptible d’avoir un impact significatif sur l’interprétation et l'application des règles internes concernées par le tribunal : comme le soulignent les professeures France Houle et Noura Karazivan, les conclusions que pourront tirer les tribunaux varieront grandement selon qu’ils présument qu’une loi respecte les normes de droit international (présomption de conformité), leur accordant dans ce cas une valeur déterminante dans leur analyse, ou qu’ils se contentent d’harmoniser les valeurs et principes de ces deux ordres (interprétation contextuelle)54.

L'influence normative des traités internationaux sur les droits fondamentaux sur la législation interne en la matière a été variable au fil des années. Jusqu’en

51 Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536

[Simpsons-Sears]; Robichaud c Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 RCS 84 [Robichaud]; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3; Béliveau Jacques c Fédération des employées et employés, [1996] 2 RCS 345 au para 116 [Béliveau St-Jacques].

52 Voir notamment Daniels v White, [1968] RCS 517 à la p 541 [Daniels v. White]; Zingre c La Reine

et autres, [1981] 2 RCS 392 [Zingre]; Schreiber c Canada (Procureur général), [2002] 3 RCS 269

[Schreiber]; Divito, supra note 24 au para 25; Saskatchewan Federation of Labour, supra note 24 à la p 157; Côté, supra note 44 à la p 395; Sullivan, supra note 19 à la p 567 et 568.

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2007, la jurisprudence de la Cour suprême ne permettait pas de dégager de lignes directrices claires quant à la valeur de ces traités en droit interne, laissant plutôt transparaitre une utilisation presqu’indistincte des deux procédés interprétatifs d’une décision à l’autre55. Ces ambigüités, qui trouvaient vraisemblablement leur source dans la nouveauté de la réflexion sur l’interaction entre ces deux ordres juridiques, ont ultimement entrainé le besoin de construire des rapports entre eux qui soient plus cohérents56.

Les besoins de prévisibilité et d’efficacité du droit réclamaient de la Cour suprême qu’elle clarifie son approche quant à la valeur interprétative de ces instruments internationaux en droit interne, notamment en ce qui concerne leur influence sur l’interprétation des lois sur les droits fondamentaux. L’historique jurisprudentiel récent de la Cour suprême à cet égard tend à indiquer qu’elle a arrêté son choix sur la présomption de conformité comme procédé interprétatif adéquat, qui constitue également le procédé qu’elle privilégiait depuis de nombreuses années pour assurer la concordance entre la législation interne et les instruments internationaux ratifiés et incorporés57.

Nous croyons que cette avancée a le potentiel d'avoir un impact significatif sur la protection de ces droits au Canada, ce qui est d’autant plus vrai en ce qui concerne les droits économiques et sociaux garantis par le PIDESC, qui ne bénéficient actuellement que d’une bien mince protection par l’entremise des dispositions de droit interne sur les droits fondamentaux58.

L’objectif du présent mémoire est de démontrer que ces développements jurisprudentiels récents de la plus haute cour canadienne milite en faveur d’une plus large reconnaissance du droit à la subsistance à travers les articles 7 et 15(1) de la

Charte canadienne.

55 Ibid à la p 3 et 4.

56 Ibid à la p 3.

57 Voir notamment Canada (Attorney General) c Ward, [1993] 2 SCR 689 [Ward]; Pushpanathan c

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982; Ordon Estate v Grail,

[1998] 3 RCS 437.

58 Voir notamment Eldridge, supra note 37; Insite, supra note 39; Victoria (City) v Adams, 2009 BCCA 563 [Victoria (City)].

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Dans le cadre de notre démonstration, nous expliquerons d’abord en quoi la présomption de conformité constitue, selon la Cour suprême procédé interprétatif approprié pour traiter de l’interaction entre le PIDESC et la Charte canadienne au regard de ces développements jurisprudentiels. Cela nous permettra ensuite d’illustrer en quoi présumer de la conformité de ces dispositions constitutionnelles aux obligations découlant des articles 9 et 11 du PIDESC signifie certainement reconnaitre que certaines composantes du droit à la subsistance bénéficient de leur protection constitutionnelle.

Nous nous pencherons donc, à la section 1, sur la présomption de conformité comme procédé adéquat pour aborder le rôle interprétatif du PIDESC sur la portée des articles 7 et 15(1) de la Charte canadienne. Dans cette optique, nous présenterons d’abord (1.1) les arrêts de la Cour suprême en cette matière afin d’illustrer sa progression d'une utilisation variable des deux procédés interprétatifs que sont la présomption de conformité et l'interprétation contextuelle vers une stabilisation de sa pratique en faveur de ce premier procédé pour aborder l’interaction entre les traités internationaux ratifiés et la législation en matière de droits fondamentaux. Nous expliciterons ensuite (1.2) quels sont les fondements et les conséquences juridiques de ce procédé, de manière à bien circonscrire l’impact qu’une interprétation des articles 7 et 15(1) à travers ce procédé pourrait avoir sur la reconnaissance du droit à la subsistance par leur entremise.

La deuxième section du présent mémoire vise à démontrer qu’une fois ces dispositions constitutionnelles présumées conformes aux obligations internationales découlant du PIDESC, en respect avec les développements jurisprudentiels analysés à la section 1, certaines composantes du droit à la subsistance tel que garanti par les articles 9 et 11 du PIDESC. Pour ce faire (2.1), les objections soulevées pour faire obstacle à la protection de ces composantes par l’entremise de ces droits civils et politiques, – c’est-à-dire l’exclusion des intérêts économiques du champ de protection de la Charte canadienne, la qualification de ces dispositions constitutionnelles comme « droits négatifs » et la déférence dont font preuve les tribunaux face au contrôle de constitutionnalité des mesures étatiques de nature

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socio-économique et budgétaire – seront revues à la lumière d’une interprétation des articles 7 et 15(1) reflétant le niveau de protection minimal offert par le PIDESC.

À l’issue de cette réinterprétation, nous entamerons le cœur de notre analyse (2.2) sur l’étendue de la portée matérielle dont pourraient bénéficier les articles 7 et 15(1) de la Charte canadienne eu égard aux intérêts concernés par la réalisation du droit à la subsistance. Nous nous pencherons d’abord (2.2.1) sur l’article 7 en tant que médium approprié pour permettre la reconnaissance de nombreuses composantes incluses au « noyau essentiel »59 du droit à la subsistance tel qu’interprété par le CDESC, avant (2.2.2) d’aborder la pertinence d’une interprétation de la notion de « motif de discrimination analogue » prévue à l’article 15(1) conformément à l’article 2(2) du PIDESC pour bonifier la protection des individus en situation de désavantage économique en matière d’égalité.

59 La notion de « noyau essentiel » des droits, comme il en sera question à la section 2.2.1.1, réfère aux aspects fondamentaux du droit sans le bénéfice desquels celui-ci deviendrait illusoire, sans lesquels la sécurité individuelle serait mise en péril : David Robitaille, « Pour une théorie de la justiciabilité substantielle et processuelle des droits économiques et sociaux » dans par Pierre Bosset et Lucie Lamarche, Droit de cité pour les droits économiques, sociaux et culturels : La Charte

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1) Le rôle interprétatif des traités internationaux ratifiés sur les lois sur les droits fondamentaux

Le droit international conventionnel étant devenu une réalité qui s’impose aux tribunaux de par l’omniprésence de son contenu, qui entrecroise tous les champs matériels du droit et une grande variété d’activités humaines, il est devenu de moins en moins possible pour eux de penser le droit interne sans le droit international60. Cela vaut tout particulièrement en matière de droits fondamentaux, vu l’adhésion du Canada à huit des principaux traités sur les droits fondamentaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies (« O.N.U »)61, qui couvrent une gamme diversifiée et étendue de droits fondamentaux.

Les traités internationaux sur les droits fondamentaux n’étant pas susceptibles d’exécution en droit interne du fait de leur non-incorporation, ce qui place le Canada à risque d’engager sa responsabilité internationale62, les tribunaux ont eu recours à divers procédés interprétatifs pour les assister à assurer une certaine cohésion entre ces instruments internationaux et le droit canadien63. Ces traités ont ainsi assisté dans l’interprétation du sens et de la portée de nombreuses sources de droit canadien, notamment les lois ordinaires64, les droits énoncés à la

60 Delas & Robichaud, supra note 19 at 29. Voir également L’Honorable Gerard La Forest, “The Expanding Role of the Supreme Court of Canada in International Law Issues” (1996) 34 Canadian

Yearbook of International Law 89 at 89 à 92.

61 En plus des Pactes internationaux et de leurs Protocoles facultatifs, le Canada a ratifié la

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son Protocole facultatif, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant et ses Protocoles facultatifs ainsi que la Convention relative aux droits des personnes handicapées : Patrimoine canadien, supra note 22 au para 85.

62 André et Durtry, supra note 45 à la p 81. Il importe de noter qu’à l’exception des droits énoncés au PIDESC, dans l’état actuel du droit canadien, la Charte canadienne et les lois provinciales sur les droits fondamentaux permettent que soit donné suite à la plupart des droits fondamentaux garantis par ces traités, ce qui limite grandement la possibilité que la responsabilité internationale du Canada soit engagée du fait qu’ils n’aient pas été mis en œuvre par l’adoption d’une loi d’incorporation.

63 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 à la p 235; Robitaille, supra note 46 à la p 203.

64 Plusieurs dispositions du Code criminel, LRC 1985, c C-46, firent notamment l’objet d’une analyse à la lumière des obligations internationales du pays : R c Sharpe, [2001] 1 RCS 45 [Sharpe]; Canadian

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Charte canadienne65 et aux lois provinciales sur les droits fondamentaux66 ainsi que les limitations prévues à ces lois67.

Jusqu’à tout récemment, un manque d'uniformité se dégageait de la jurisprudence de la Cour suprême à cet égard68 : alors que les traités sur les droits fondamentaux ont dans certains cas visiblement influencé l’interprétation des dispositions constitutionnelles – principalement dans les litiges où il était tenté de faire reconnaitre certaines composantes des droits syndicaux à la liberté d’association69 –, ils ne semblent parfois qu’appuyer la légitimité d’un raisonnement judiciaire préétabli, ne jouant dans ce cas qu’un rôle rhétorique70. Les arrêts rendus dans les dernières années laissent toutefois entrevoir une certaine sophistication du rapport entre ces traités et les lois canadiennes sur les droits fondamentaux, ainsi qu’à une stabilisation du courant jurisprudentiel au bénéfice de la présomption de conformité à leur égard. En vertu de ce procédé interprétatif, les tribunaux présument que le législateur n'a pas souhaité légiférer en contravention avec ses obligations internationales: devant plusieurs interprétations possibles d’une législation ambigüe, ils adoptent donc celle qui en permette le respect71.

65 Il est généralement considéré que les obligations internationales du pays en matière de droits fondamentaux reflètent les valeurs et principes qui sous-tendent la Charte canadienne : R c

Keegstra, [1990] 3 RCS 697 à la p 720 (liberté d’expression). Voir également Saskatchewan Federation of Labour, supra note 24 (liberté d’association); Divito, supra note 24 (liberté de

circulation et d’établissement); Victoria (City), supra note 60, para 35.

66 Dans Gosselin, supra note 31, la Cour suprême traite les similarités entre l’article 45 et l’article 11(1) du PIDESC, qui énonce le droit à un niveau de vie suffisant.

67 Il fut fait référence au droit international, d’abord dans le contexte des clauses justificatives, afin dans le cadre de la qualification de l’objectif visé par le législateur en tant qu’objectif suffisamment important et réel : R c Keegstra, [1990] 3 RCS 697 à la p 750. La notion de « principes de justice fondamentale » fut également examinée par la Cour suprême à la lumière des obligations internationales du pays : Canadian Foundation for Children, supra note 68 at 79 ss; Suresh c

Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] 1 RCS 3 à la p 46.

68 Jutta Brunnée et Stephen J Toope, « A Hesitant Embrace: The Application of International Law by Canadian Courts », (2002) Canadian Yearbook of International Law 3.

69 Cet aspect sera abordé plus en profondeur à la section 1.2.2. Voir notamment Saskatchewan

Federation of Labour, supra note 24; Divito, supra note 24; Health Services, supra note 24.

70 Manuel Klein et Pierre Bosset, « Chronique de jurisprudence canadienne et québécoise sur le droit international public 2010 » (2010) 23 Revue québécoise de droit international 225 à la p 246. 71 Côté, supra note 44 à la p 395; Gib Van Ert, « Qu’est-ce que le droit de la réception? » dans Règle

de droit et mondialisation : Rapports entre le droit international et le droit interne, Cowansville,

Éditions Yvon Blais, 2006, 107 à la p 112; Mark C Power et Darius Bossé, « Une tentative de clarification de la présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés » (2014) 55 Les Cahiers de droit 775 au para 51.

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Afin d’illustrer en quoi ce procédé constitue vraisemblablement celui qui serait privilégié par les tribunaux pour traiter de l’interaction entre le PIDESC et les articles 7 et 15(1) de la Charte canadienne dans le cadre de leurs litiges futurs (1.1), nous présenterons les arrêts de la Cour suprême où elle aborde la valeur interprétative des traités internationaux sur les droits fondamentaux sur les lois canadiennes sur les droits fondamentaux72.

Nous nous pencherons ensuite (1.2) sur les fondements et conséquences juridiques de la présomption de conformité de manière à cerner adéquatement le niveau d’influence dont pourrait bénéficier le PIDESC ainsi que ses documents interprétatifs dans l’interprétation des articles 7 et 15(1).

1.1) Du choix de la présomption de conformité : revue exhaustive de la jurisprudence de la Cour suprême

La question du rôle des traités internationaux sur les droits fondamentaux ratifiés par le Canada dans l'interprétation de la portée des lois sur les droits fondamentaux fut considérée sérieusement par la Cour suprême pour la première fois dans la célèbre dissidence du juge en chef Dickson dans l’arrêt Renvoi relatif à

la Public Service Employee Relations Act (Alb.)73, où la compatibilité d’une législation

albertaine régissant le recours aux grèves et l’arbitrage obligatoire des employés de la fonction publique avec la liberté d’association prévue à l’article 2d) de la Charte

canadienne était contestée.

Afin de déterminer l’étendue de la protection offerte par l’article 2d), le juge en chef se tourne notamment vers le droit international, considérant qu’il offrait « un bon aperçu de la nature et de la portée de la liberté d'association des travailleurs »74:

Le contenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne est, à mon avis, un indice important du sens de l’expression « bénéficient pleinement de la protection accordée par la

72 Ce bilan des arrêts de la Cour suprême se veut exhaustif.

73 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb), [1987] 1 RCS 313 [Renvoi relatif à

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Charte ». Je crois qu’il faut présumer, en général, que la Charte accorde

une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne75.

Il ressort clairement du libellé de ce passage que le juge en chef se tourne vers la présomption de conformité pour traiter de la relation entre la Charte

canadienne et les obligations internationales du pays en matière de liberté

d'association des travailleurs, comme en témoigne l’expression « il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande ». Notant que les traités internationaux – notamment l’article 8(1) du PIDESC et la

Convention no 87 de l'Organisation international du travail ( «OIT» ) – établissent un

lien étroit entre la notion de liberté d'association et les activités des syndicats en offrant une protection expresse de la formation et des activités des syndicats76, le juge en chef conclut ultimement que la législation albertaine porte atteinte à la liberté d’association.

La majorité n'adhère toutefois pas à cette position : tout comme dans les deux autres arrêts formant avec lui la « trilogie sur le droit du travail »77 et sans se fonder sur le droit international, elle en vient plutôt à la conclusion que la liberté d'association ne garantit pas le droit de négocier collectivement et le droit du syndicat de faire la grève78.

Cette position de la Cour suprême quant à l’exclusion de ces composantes des droits syndicaux au sein de la liberté d’association, comme nous en discuterons sous peu, sera revisitée dans certains arrêts subséquents au bénéfice de la position adoptée par le juge en chef dissident Dickson79.

75 Ibid à la p 59 et 60.

76 Ibid au para 72.

77 Cette trilogie est constituée des arrêts Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act

(Alb.), supra note 77; AFPC c Canada, [1987] 1 RCS 424 [AFCP] et SDGMR c Saskatchewan,

[1987] 1 RCS 460 [SDGMR].

78 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), supra note 77, au para 141. 79 Health Services, supra note 24; Saskatchewan Federation of Labour, supra note 24.

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Dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson80 en 1989, le juge en chef Dickson reprend son célèbre passage, cette fois au nom de la majorité, lorsqu’il se penche sur la justification d’une atteinte à la liberté d’expression résultant de deux ordonnances d’un arbitre imposant à un employeur de remettre une lettre de recommandation au contenu prédéterminé à un employé. Il rappelle la ratification du

PIDESC par le Canada et, conséquemment, l’importance qui doit être accordée à la

protection des divers aspects du droit de travailler se trouvant à son article 6. Il énonce au surplus que les obligations internationales du pays renseignent tant sur le contenu des droits protégés par la Charte canadienne que sur ce qui constitue un objectif urgent et réel ou une atteinte disproportionnée à un droit au sens de son article premier81.

En 1999, la Cour suprême se penche véritablement sur le rôle des traités internationaux sur les droits fondamentaux ratifiés dans l’interprétation du droit interne pour la première fois dans l’arrêt Baker82. Contrairement aux autres arrêts présentés à la présente section, il n’y est pas question de la valeur interprétative d’un traité international sur la législation sur les droits fondamentaux, mais plutôt sur une décision gouvernementale : dans le cadre d’une analyse visant à décider de la raisonnabilité du refus d’un agent d’immigration de dispenser une mère d’enfants nés au Canada d’avoir à faire sa demande de résidence permanente à l’extérieur du pays pour des raisons humanitaires, la Cour suprême se tourne vers la Convention

relative aux droits de l’enfant83, traité international ratifié mais n’ayant pas fait l’objet

d’une incorporation législative.

Il s’agit toutefois d’un arrêt charnière en matière d’influence du droit international sur la législation interne, incontournable dans le cadre de notre analyse : la Cour suprême y relativise en effet la théorie dualiste en ouvrant explicitement la porte aux traités internationaux qui n’ont pas fait l’objet d’une mise

80 Slaight Communications Inc c Davidson, [1989] 1 RCS 1038 [Slaight Communications]. 81 Ibid à la p 1056 et 1057.

82 Baker, supra note 24.

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en œuvre législative comme source persuasive dans le processus d’interprétation et d’application de la législation interne84, en l’espèce la Convention relative aux

droits de l’enfant.

Dans le cadre de son analyse, elle énonce que la ratification de la Convention

relative aux droits de l’enfant constitue un indice de l’importance de tenir compte de

l’intérêt de l’enfant dans une décision d’ordre humanitaire, mais note que l’absence d’incorporation législative la prive d’une application directe en droit interne85.

Elle ajoute néanmoins que les « valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire »86. Il découle de l’arrêt Baker que la distinction entre les sources internationales mises en œuvre et celles ne l’étant pas est donc plus étroite qu’elle ne l’était auparavant, ce qui explique son statut fondamental dans la jurisprudence canadienne en matière de droit international87.

Pour appuyer sa position, la juge L’Heureux-Dubé, au nom de la majorité, réfère à ce passage de l’œuvre Driedger on the Construction of Statutes de la professeure Ruth Sullivan :

[TRADUCTION] [L]a législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes [Je souligne.]88.

Dans cet extrait, la professeure Sullivan réfère d’abord au procédé interprétatif de la présomption de conformité et ensuite à celui de l’interprétation

84 David Robitaille, Normativité, interprétation et justification des droits économiques et sociaux : les

cas québécois et sud-africain, Bruxelles, Bruylant, 2011 à la p 105; Stéphane Beaulac, « The Suresh

Case and Unimplemented Treaty Norms » (2002) 15 Revue québécoise de droit international 221 à la p 223; Houle et Karazivan, supra note 18 à la p 5; Kindred et Fitzgerald, supra note 19 à la p 33. 85 Baker, supra note 24 au para 69.

86 Ibid au para 70.

87 Kindred et Fitzgerald, supra note 19 à la p 33. 88 Baker, supra note 24 au para 70.

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contextuelle. Selon les professeures France Houle et Noura Karazivan, cela signifierait que la Cour suprême soutient ces deux procédés89.

Néanmoins, par son utilisation du verbe pouvoir et non devoir, énonçant que les valeurs du droit international des droits fondamentaux « peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle »90, la Cour suprême semble repousser l’idée qu’une présomption de conformité puisse s’appliquer dans ce cas : le juge disposerait donc d'une grande discrétion dans le choix des normes internationales non incorporées qu’il considère pertinentes pour l’assister dans la résolution du litige et dans le niveau d’influence à leur accorder dans l'interprétation et l'application de la législation interne, une approche qui semble rattacher le traitement judiciaire des instruments internationaux sur les droits fondamentaux au procédé de l’interprétation contextuelle91.

La position de la majorité n’est toutefois pas partagée par les juges dissidents Cory et Iacobucci, qui s’inquiètent quant à eux de l’impact que ce raisonnement pourrait avoir sur la tradition parlementaire canadienne : en effet, en prenant en compte les obligations internationales découlant de traités sur les droits fondamentaux malgré leur non-incorporation, le tribunal confèrerait par inadvertance à l’exécutif le pouvoir de lier les administrés sans la participation des législatures :

Je ne partage pas la certitude de ma collègue que le précédent établi par notre Cour dans Capital Cities, précité, peut survivre intact après l’adoption d’un principe de droit qui autorise le recours, dans le processus d’interprétation des lois, aux dispositions d’une convention qui n’a pas été intégrée dans la législation. Au lieu de cela, le résultat sera que l’appelante pourra parvenir indirectement à ce qu’elle ne peut faire directement, c’est-à-dire donner effet dans le système juridique interne à des obligations internationales assumées par le pouvoir exécutif seul et qui n’ont pas encore été soumises à la volonté démocratique du Parlement92.

89 Houle et Karazivan, supra note 18 à la p 6. 90 Baker, supra note 24 au para 70.

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Suite à l’arrêt Baker, les arrêts de la plus haute cour canadienne laissent transparaitre une approche judiciaire ambigüe à l’égard de la valeur interprétative des traités internationaux sur les droits fondamentaux sur les lois canadiennes en la matière : elle apparait alterner entre l’interprétation contextuelle et la présomption de conformité – une conséquence possible de l’espace de liberté judiciaire sans précédent que cet arrêt semble avoir fourni aux tribunaux93, – avant de se stabiliser au bénéfice de la présomption de conformité avec l’arrêt Health Services en 2007.

D’abord, en 2001 dans l’arrêt Sharpe94, un accusé conteste la constitutionnalité de l’article 163.1(4) du Code criminel relatif à la simple possession de pornographie juvénile, sur le fondement duquel il fait l’objet de deux chefs d’accusation. Une fois établi que cet article porte atteinte au droit à la liberté et à la liberté d’expression en ce qu’il « interdit des formes d’expression profondément privées et du matériel susceptible de ne présenter qu’un risque infime de préjudice pour les enfant »95, la Cour suprême se réfère à la Convention relative aux droits de

l’enfant pour déterminer si l’objectif du législateur est suffisamment réel et urgent

pour justifier ces violations sous l’article premier de la Charte canadienne. Elle note que « si notre Cour reconnaît qu’en général elles ne lient pas les tribunaux en l’absence d’une mise en œuvre législative, les normes internationales sont une source utile d’interprétation des droits sur le plan national »96. Elle semble ainsi, selon Houle et Karazivan, référer à un procédé interprétatif comparable à l’interprétation contextuelle, mais moins contraignant, soit celui de la pertinence, selon lequel aucune conclusion ne s’impose aux tribunaux dans son processus interprétatif, ne l’influençant que faiblement97.

En 2002, en se penchant pour la première occasion sur l’article 45 de la

Charte canadienne dans l’arrêt Gosselin, la Cour suprême se questionne entre

autres sur le rôle du PIDESC dans l’interprétation de la portée de cette disposition.

93 Delas et Robichaud, supra note 19 à la p 38. 94 Sharpe, supra note 64.

95 Ibid au para 77. 96 Ibid au para 175.

Références

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