• Aucun résultat trouvé

Droits et Devoirs

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Droits et Devoirs"

Copied!
2
0
0

Texte intégral

(1)

Publié dans P. Durand (dir.), Les nouveaux mots du pouvoir, Bruxelles, Aden, 2007, p. 150-152.

DROITS ET DEVOIRS

L’Internationale, composée en 1870 par Pottier, insiste dans l’esprit de la critique marxiste des Droits de l’Homme sur la dimension mystificatrice de l’invocation des droits et devoirs des citoyens : « L’État opprime et la loi triche ; / L’impôt saigne le malheureux ; / Nul devoir ne s’impose aux riches ; / Le droit du pauvre est un mot creux ; / C’est assez de languir en tutelle, / L’Égalité veut d’autres lois ; Pas de droits sans devoirs, dit-elle, / Égaux, pas de devoirs sans droits ! » Il n’est pas indifférent que la version de 1795 de la Déclaration introduise une déclaration des devoirs qui sonne comme un rappel à l’ordre. Le ton de la déclaration de 1789 était bien différent, dont l’article 2 énonçait quatre droits : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.1

A l’article des devoirs, Flaubert enregistrait à la même époque, dans son Dictionnaire des idées reçues : « Les exiger de la part des autres, s'en affranchir. Les autres en ont envers vous, mais on n’en a pas envers eux. » À en croire nombre de commentateurs de la société actuelle, politiciens, acteurs économiques ou journalistes, il n’y aurait rien à ajouter. L’individualisme, la perte des repères moraux ou la revendication de particularismes seraient les principales causes d’un déséquilibre croissant entre la réclamation de droits et le mépris des obligations, dans une société où tout est dû sans contrepartie. Ces commentaires croient pouvoir y opposer une formule politique indépassable : « il n’y a pas de droits sans devoirs, de chances d’insertion sans responsabilités à assumer », lisait-on dans Le Soir (sous le titre « Duo Blair-Verhofstadt : vive l’État social actif », 23/02/2000). Dans nos pays se sont donc multipliés des contrats d’intégration pour les immigrés, d’insertion pour les jeunes ou de réinsertion pour les chômeurs de longue durée, qui conditionnent l’obtention ou le maintien des droits. Comment y voir autre chose, avec L’Express (31/10/2002), que des « contrats à sens unique » qui mettent profondément en cause les droits des plus faibles ? Leurs droits les plus fondamentaux sont présentés comme des privilèges. Le renversement est total par rapport à la critique des privilèges de la noblesse. Rousseau dénonçait l’association des idées de droit et de force, dans la formule « le droit du plus fort ». Aujourd’hui, la critique ne porte plus contre la légitimation de la force par le droit, mais sur la perte du sens de l’effort et des devoirs chez les demandeurs de droits.

1 La version de 1793 excluait des droits fondamentaux le droit de résistance à l’oppression. Elle s’achevait toutefois sur

l’affirmation d’un devoir singulier, conséquence des autres droits, le devoir d’insurrection face à un pouvoir oppressif : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

(2)

Publié dans P. Durand (dir.), Les nouveaux mots du pouvoir, Bruxelles, Aden, 2007, p. 150-152.

Bien plus, nul devoir ne s’imposerait à ceux qui protestent, pauvres, étrangers, femmes, homosexuels, etc. Par conséquent, dans l’attente d’une liste de contraintes et d’obligations particulières, leurs droits devraient être suspendus à la bienveillance satisfaite de représentants toujours disponibles d’un ordre social immuable, seul garant d’un juste équilibre entre droits et devoirs. Selon cette conception aujourd’hui commune, les droits sont droits à jouir, sans rien donner en retour, sans réciprocité, sans responsabilité. Il y a vingt ans, l’extrême droite avait l’exclusivité d’un tel discours, pensait-on.2 C’est pourtant de cette époque que date la mise en

accusation de l’État-Providence. Trop coûteux, celui-ci

encouragerait cela même qu’il prétend combattre : les allocations de chômage, par exemple, favoriseraient l’augmentation du nombre de chômeurs. De même, la reconnaissance des besoins spécifiques de minorités justifierait leur passivité et leur marginalité. Les théoriciens de l’État social actif prétendent lutter contre ces deux écueils, qui menacent l’édifice social et ses systèmes de protection trop généreux. En fait, il faudrait plutôt parler d’une désactivation de l’État social qui ruine la possibilité même d’un dynamisme social. L’État n’a plus pour mission d’assurer aux citoyens les conditions de possibilité d’une vie libre et responsable, de lui garantir une assurance élémentaire. Parler d’action sociale, plutôt que d’aide sociale, témoigne de cette confusion de niveau entre l’investissement social d’un individu et les conditions de possibilité de son activité.

Grégory CORMANN

Giovannangeli D., « Esquisse d’une logique de la démocratie », dans Pour la démocratie : contrer l’extrémisme liberticide, Liège, Les Editions de l’Université de Liège, 2000 ; Delruelle É., L’impatience de la liberté, Bruxelles, Espace de libertés/Labor, 2004 ; Cormann G. « Le problème de la solidarité : de Durkheim à Sartre », Études sartriennes, X, 2005, p. 77-110.

Mots corrélés : AUTONOMIE, CONTRAT, CREATIVITE, DIVERSITE CULTURELLE, ETAT SOCIAL ACTIF, POLITIQUE (LE), VIVRE-ENSEMBLE (LE)

2 Voir Bruno Mégret, « Droits et devoirs des citoyens. La dérive idéologique de détournement des droits de l’homme »

Références

Documents relatifs

 J’ai le droit d’être en sécurité mais j’ai le devoir pas mettre les autres en danger.. A l’école comme en dehors, j’ai des droits et

Un second rapport a ensuite été présenté à la commission permanente du 9 novembre 2015, déclinant plus précisément les enjeux pour le Département, d’un Plan départemental

Il contraste avec l’empressement de la première ministre britannique, qui, sans doute inquiète des pertes de marché qui pourraient résulter du Brexit, a cru bon le 29

Des bâtiments des garde-côtes chinois sont entrés les 20 et 21 février dans les eaux disputées de l’archipel, pour la neuvième fois en un an, mais cette fois dans le cadre de la

Les expériences vécues à l’Ecole sont essentielles, pour au moins trois raisons : elles constituent un monde partagé entre tous les élèves et sont donc un point d’appui commode

Si vous changez votre temps de travail pendant votre retraite progressive, pensez à nous le signaler rapidement : nous réétudierons vos droits en fonction de cette information

Dans les 2 mois qui suivent l’ouverture des droits, je reçois un courrier de la Métropole de Lyon pour m’informer du nom de mon référent.

 J’ai le droit d’être en sécurité, mais je dois me mettre en rang et je ne dois pas courir ou jouer dans les couloirs, je ne dois pas bousculer mes camarades..