• Aucun résultat trouvé

Nouvelles configurations spatiales et mobilités dites « réversibles »

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Nouvelles configurations spatiales et mobilités dites « réversibles »"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-00131431

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00131431

Submitted on 16 Feb 2007

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Nouvelles configurations spatiales et mobilités dites “

réversibles ”

Sophie Bouly de Lesdain

To cite this version:

Sophie Bouly de Lesdain. Nouvelles configurations spatiales et mobilités dites “ réversibles ”. Delarge A., P. Gaudin, J. Spire, H. Zuber. Ville mobile. Les territoires du déplacement en Ile-de-France, Créaphis, pp.29-39, 2003. �halshs-00131431�

(2)

Bouly de Lesdain S., 2003, Nouvelles configurations spatiales et mobilités dites « réversibles », in : Delarge A., P. Gaudin, J. Spire et H. Zuber, Ville mobile, Grâne : Créaphis, Éditions Créaphis : 29-39.

La mobilité figure parmi les thématiques les plus actuelles de la sociologie et de l’anthropologie urbaines. Pourtant, le thème n’est pas nouveau. Ainsi, en France l’histoire récente des villes est celle de ces masses rurales qui se sont peu à peu installées dans les cités, participant ainsi à l’essor industriel du pays. Les historiens se sont notamment intéressés à la création des banlieues, à la condition ouvrière et aux « navettes », c’est-à-dire aux déplacements domicile-travail. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’augmentation des distances parcourues et des mobilités dites « réversibles », à partir du lieu de résidence. Celles-ci s’accompagnent de configurations spatiales marquées par une discontinuité géographique. Les métropoles de plus d’un million d’habitants laissent place aux « mégapoles » qui en regroupent dix fois plus. Cette croissance démographique se traduit par un double mouvement d’étalement urbain et de concentration des centres de décision qualifié de métropolisation. Saskian Sassen a parlé de « villes globales » (1996), Manuel Castells (1998) de « mégacités » pour désigner cette croissance des métropoles et leur rôle dans l’économie mondiale. Cette extension des métropoles s’est accompagnée de la création de zones destinées soit à l’habitat, soit au travail par exemple, qui n’a cessé de se renforcer depuis le XIXe siècle (Ascher, 1995). De nouvelles centralités

apparaissent et sont reliées les unes aux autres par des réseaux de transport et de communication. Dès lors, les mobilités sont au centre de la réflexion sur les villes. Ces mutations touchent de plein fouet l’activité des musées : c’est leur territoire d’action qui en est affecté, et le rapport que les publics entretiennent avec celui-ci. Ainsi, en 2000, les préoccupations et les intérêts des Neufs de Transilie rencontraient les interrogations des sociologues, des anthropologues, mais aussi des historiens, des géographes et des urbanistes. Ces structures culturelles se sont tout « naturel-lement » intéressées à ces travaux. Ce groupe a alors commandité un rapport dont on présente ici les principales directions. Les références citées visent à baliser le champ de la réflexion, et non pas à offrir un bilan complet de la recherche sur la mobilité. Elles ont été complétées par des ouvrages publiés ultérieurement. La majeure partie de ces références concernent l’Ile-de-France, qui illustre à plus d’un titre les évolutions urbaines observées. Celles-ci concernent en premier chef l’urbanisation et ses liens avec l’activité économique, que nous envisageons dès à présent.

(3)

URBANISATION ET INDUSTRIALISATION

Les historiens se sont en particulier intéressés au lien qui existe entre l’urbanisation et l’industrialisation. En effet, les deux temps forts de la transformation urbaine qu’a connus la France (1850-1880 et 1950-1970) sont portés par l’expansion économique (Roncayolo, 1985). Au cours du XIXe siècle, la concentration industrielle dans l’espace concourt à la création de territoires qui reposent sur une identité minière et industrielle. Des usines se créent à proximité des sources d’énergie et de matières premières, faute de disposer de moyens de transport peu coûteux. Des villes « champignons » apparaissent et connaissent une croissance rapide de leur population (Roubaix enregistre ainsi 124 000 en 1896 contre 8 300 habitants en 1800). Ces vagues d’urbanisation n’ont toutefois pas marqué le paysage à long terme et aucun des principaux centres urbains de l’économie d’aujourd’hui n’a « pour origine un grand centre industriel du XIXe siècle » (Ascher, 1995).

L’inscription spatiale de l’activité économique s’est déplacée dans le temps. Dès le milieu du XIXe siècle, les industries s’installent en proche banlieue puis, à partir des années 1950, en grande banlieue, pour profiter de vastes surfaces foncières peu onéreuses. Ainsi, l’histoire de la région parisienne est étroitement liée à celle du transport et du déplacement de l’habitat vers la périphérie. Pour F. Soulignac (1998), jusqu’au milieu du XIXe siècle, route et voie d’eau sont en concurrence pour le transport des hommes et des marchandises tandis que le chemin de fer oriente l’urbanisation de la banlieue. J. Bastié (1964) rappelle ainsi que « la banlieue vivant pour et par Paris s’est développée par la force des choses et spontanément, surtout en fonction des voies ferrées qui la reliaient à la capitale, secondairement et à plus courte distance le long des routes ». Puis, à partir de la première moitié du XXe siècle, les transports automobiles ont contribué à l’industrialisation diffuse de la deuxième couronne (Fontanon, in Fourcaut ed., 1988). Ce qui préfigure l’affirmation de la route comme facteur de localisation de l’industrie, aux dépens des voies d’eau et de chemin de fer. « Vers 1875, la mobilité citadine assurée par les transports collectifs (...) s’établit à 65 voyages par habitant et par an ; à la veille de la première guerre mondiale, elle a été multipliée par 4 (276 voyages/hab./an) (...). En 1950, elle est à peine supérieure [à 300], en raison du développement de la motorisation individuelle : il y a déjà un million de véhicules en circulation dans l’agglomération à cette date » (Beaucire, in Fourcaut ed., 1988).

URBANISATION ET HABITAT

(4)

environnantes. Pour faire face à des besoins croissants de logements, une série de lois aboutit à la naissance de l’Office public des Habitations à Bon Marché. C’est dans cet élan que, plus tard, les cités-jardins1 sont créées. Au début du siècle, la

pénurie de logements populaires dans Paris et en proche banlieue se fait cruellement sentir. L’accès à la propriété en zone rurale est l’une des solutions qui s’offrent aux masses urbaines. Des promoteurs achètent des terrains dans les zones rurales situées non loin de la capitale et les revendent en lots. Le plus souvent, ces parcelles ne sont pas viabilisées et leurs acquéreurs, les « mals lotis », vivent dans des conditions déplorables. En 1928, la loi Sarraut leur accorde des prêts et des subventions afin d’effectuer des travaux de viabilisation ; tandis que la loi Loucheur prévoit la construction de logements sociaux. Ces mesures sont insuffisantes et, selon F. Beaucire (1988, in Fourcaut, ed.), jusqu’à la seconde moitié de l’entre-deux-guerres, la politique de transports vise surtout à pallier l’absence de planification urbaine globale.

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la pression démographique aggrave la pénurie de logements. La période 1950-1960 est alors marquée par la création de grands ensembles et par une densification des banlieues existantes. C’est l’époque du fonctionnalisme triomphant qui préconise une « séparation physique des différentes fonctions caractéristiques des villes » (Lacaze, 1995). Une partie des salariés est ainsi repoussée vers des périphéries de plus en plus lointaines, dans des « cités dortoirs ». A la fin des années 1960, Paris étouffe sous le poids d’une banlieue en pleine croissance et sous-équipée en infrastructures collectives ; dans les années 1970, ceux qui en ont les moyens financiers quittent les grands ensembles pour des maisons individuelles situées dans les communes rurales environnantes. Les grands ensembles, quant à eux, représentent désormais l’urbanisme défaillant, auquel on attribue tous les maux de la société.

L’expansion des banlieues est l’un des traits marquants de cette période (1950-1970). Cet étalement urbain a été suivi d’une péri-urbanisation croissante. L’urbanisation ne tient plus uniquement à une croissance des anciennes communes urbaines ; elle est aussi le fait de communes qui étaient rurales il y a peu de temps. Le développement des transports à partie liée avec ce changement : « Si l’extension continue et plutôt dense des grandes villes était favorisée par le développement des transports collectifs, l’extension lointaine et discontinue actuelle des métropoles est évidemment liée à l’usage de l’automobile. Les transports collectifs rapides (RER et TGV) favorisent aussi une discontinuité de l’urbanisation, puisque, par définition, « ces transports ne font pas d’arrêts intermédiaires : c’est ce que l’on appelle “l’effet tunnel” » (Ascher, 1995). Cette dispersion de l’habitat a un coût important en infrastructures collectives et conduit à un « mitage du paysage ».

Au fil de ces vagues d’urbanisation, la distribution de la population s’est peu

(5)

à peu désolidarisée de l’activité économique. Cette dissociation territoriale croissante entre le lieu d’habitat et le lieu d’exercice professionnel a abouti à une augmentation des navettes. Celles-ci relient la capitale à des communes situées hors de l’Ile-de-France. Les frontières qui séparaient autrefois la ville de la campagne se brouillent, tout comme celles qui opposent Paris à la province. Ainsi, les « provinciliens », résident en province et travaillent à Paris, ou inversement. Autrefois réservée à une élite, la multilocalité se diffuse dans la société. Les premiers travaux qui lui ont été consacrés portent sur les déplacements liés à la possession d’une maison de campagne. Ils trouvent leur origine dans l’étude de l’aristocratie et de la bourgeoisie ; puis, ils se sont étendus à l’ensemble des catégories sociales (Bonnin et de Villanova eds., 1999), signe de sa démocratisation. Désormais, les mobilités résidentielles se doublent de mobilités plus fréquentes, au sein d’un d’espace résidentiel élargi.

Distribution des groupes dans l’espace

Ces trajectoires résidentielles révèlent les limites d’une analyse de la morphologie spatiale. Dès les années 1970, J.-C. Chamboredon et M. Lemaire (1970) ont montré que l’apparente homogénéité sociale des grands ensembles occulte la diversité des trajectoires résidentielles : pour les uns, l’accès à ces logements est une promotion sociale, après un habitat de fortune, pour les autres, c’est une étape avant l’installation dans un habitat pavillonnaire. Les auteurs observent que le rapprochement spatial ne permet pas un rapprochement social. Ce constat est particulièrement flagrant s’agissant des espaces publics. Dans le XVe arrondissement

de Paris, par exemple, la bourgeoisie et le personnel de maison observent un usage de ces espaces qui maintient les groupes sociaux à distance (Taboada-Leonetti, 1987). Ainsi, les catégories sociales ne se répartissent pas de manière aléatoire dans l’espace. Le découpage de l’espace reproduit et entretient une hiérarchisation sociale (Bourdieu, 1993). La distribution des groupes dans l’espace est à la fois être le fait de mécanismes de ségrégation mais parfois aussi, comme M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (1992) l’ont montré à propos de la bourgeoisie et de l’aristocratie, d’une agrégation volontaire. Les lieux de résidence de ces groupes se sont peu à peu décentrés vers l’ouest de la capitale, notamment au profit du XVIe arrondissement et de Neuilly. Le IXe arrondissement de Paris, qui figurait au siècle dernier parmi les arrondissements de prédilection des catégories sociales les plus aisées, a aujourd’hui disparu de la carte des « beaux quartiers ». L’identité sociale d’un quartier ou d’un arrondissement n’est donc pas figée.Les quartiers populaires ne sont pas exempts de tels changements. La « gentrification » désigne ainsi l’arrivée de classes moyennes et supérieures après la rénovation d’un quartier et l’augmentation des coûts de l’immobilier qui s’ensuit. Cette augmentation chasse de fait les ménages aux revenus

(6)

les plus modestes. La faible capacité de choix résidentiel de ces foyers augmente les mécanismes de ségrégation sociale. L’inscription spatiale des groupes sociaux n’est donc pas fixe dans le temps. L’ouvrage sous la direction d’Annie Fourcaut (1996) apporte une perspective historique à ces ségrégations sociales, soulignant ainsi la diversité de ses expressions au fil du temps. Les auteurs se sont en particulier penchés sur l’habitat ouvrier.

Enfin, est-il utile de le rappeler ?, la ségrégation et la mobilité sont au cœur même de la théorie écologique du fait urbain développée par les chercheurs de la tradition de Chicago : les « aires naturelles » – c’est-à-dire constituées en dehors de toute forme de planification ou d’aménagement urbain – reflètent des formes de ségrégation spatiale relative. L’insertion dans ces aires n’est pas fixe ou définitive ; au contraire, les trajectoires résidentielles traduisent une forme de mobilité sociale. Plus récemment, l’étude des trajectoires résidentielles a laissé la place à celle des mobilités quotidiennes, dites « réversibles », à partir du lieu de résidence. Cet angle d’approche a permis de renouveler la problématique des inégalités sociales.

Mobilité et inégalités sociales

Les pratiques de déplacement sont socialement discriminantes. Ainsi, la dissociation territoriale entre les zones d’emplois et les zones d’habitat, le spatial dismatch, limite l’accès des plus pauvres à l’emploi. Mais la mobilité est aussi une compétence sociale. Et plus on grimpe dans l’échelle sociale, plus elles sont fréquentes et valorisées. Pour J. Lévy (in Bonnet et Desjeux eds., 2000), les plus démunis ne se déplacent pas faute de disposer de disposer des compétences à le faire. Le niveau de revenus ou les difficultés d’accès aux réseaux de transport ne sont donc pas seuls en cause. Il reste difficile d’interpréter la mobilité de manière univoque (Bonnet et Desjeux 2000). Ainsi, les « navettes » concernent à la fois des habitants des HLM qui sont relégués aux abords des grandes villes que les propriétaires installés dans les quartiers résidentiels haut de gamme.

Une culture du déplacement ?

Une culture du déplacement semble peu à peu se diffuser en France. Celle-ci emprunte bon nombre de ses éléments (ex. voiture, “Buffalo Grill”) aux États-Unis et s’accompagne d’un urbanisme commercial particulier. Ainsi, dans les années 1960-1970, on a vu apparaître dans le paysage français de vastes centres commerciaux situés en périphérie et suffisamment attractifs pour que la clientèle accepte de se déplacer. Ces centralités « extra-locales », situées sur les bords de route, attirent une clientèle qui dîne désormais dans un restaurant « Courte paille ». La route n’est plus seulement un lieu de passage, elle devient un lieu qui exerce une attraction. Cette

(7)

nouvelle géographie du commerce dictée par l’usage de l’automobile s’inscrit dans un mouvement général de création et de régénération de centres urbains. Dès 1985, J.-C. Chamboredon, M. Coste et M. Roncayolo ont suggéré cette américanisation, qu’ils associaient à une condition sociale ou à un mode d’habitat. Parly II, située à l’ouest de Paris, en est une illustration. Pour les auteurs, « la culture pavillonnaire ancienne, fondée sur des références rurales (...) s’oppose aux références actuelles de la nouvelle culture pavillonnaire marquée par l’idéal d’une classe moyenne ‘américanisée’ » (Roncayolo ed., 1985 : 461).

Cette dissociation territoriale entre le lieu de résidence et le lieu d’approvisionnement aboutit à la création de centres thématiques à vocation commerciale originaux. Les pôles d’attraction commerciale se multiplient, et leur inscription spatiale se déplace dans le temps. Ainsi, le quartier du sentier à Paris a connu un essor important avec l’implantation de sociétés liées à la « nouvelle économie ». Celles-ci sont entrées en concurrence avec les établissements de vente en gros de vêtements pour l’accès aux locaux … avant de péricliter.

Dans les beaux quartiers de la capitale, M. Pinçon-Charlot et M. Pinçon (1992) ont montré que la bourgeoisie et l’aristocratie ont subi la concurrence des commerces de luxe pour l’occupation des rues aux noms chargés de prestige social. Les maisons de haute couture se sont progressivement installées dans le VIIIe arrondissement de Paris entre les avenues Montaigne, George V et des Champs-Elysées où résidaient alors des familles aisées. Qualifié de « triangle d’or » par les promoteurs, le lieu a alors connu une flambée des prix. La multiplication des activités induit des nuisances et provoque une hausse importante des valeurs immobilières dans le secteur. « Les deux facteurs se conjuguent pour contribuer au départ des grandes familles ». Ce phénomène n’est pas nouveau et est connu sous le nom de

boulevardisation2.

Dans les années 1990, l’intérêt des sociologues et des anthropologues s’est focalisé sur les commerces dits « ethniques » ou « exotiques ». A propos de la Goutte d’Or à Paris (XVIIIe arrondissement), J.-C. Toubon et K. Messamah (1990) ont ainsi parlé de « centralité immigrée », A. Raulin (2000) de « centralité minoritaire ». Ce dernier concept rappelle que ce « ne sont pas des centralités pour les seuls immigrés, et que tout en ayant une fonction spécifique pour certaines minorités, elles n’en possèdent pas moins un sens et une fonction pour tout individu habitant ou fréquentant Paris ».

Le « triangle d’or » et la Goutte d’or font partie d’un même mouvement

2- En référence à l’installation des bureaux et des boutiques sur les grands boulevards, lieu d’élection

(8)

urbain. Ils témoignent d’une dissociation territoriale grandissante entre le lieu de résidence et le lieu d’approvisionnement.

Leur étude alimente une réflexion plus générale sur le rôle de la mobilité dans la construction des territoires. Ainsi, à l’occasion d’une recherche consacrée aux populations tunisiennes en France A. Tarrius (1992) a parlé de « territoires circulatoires » pour désigner les circuits de circulation des Hommes et des choses qui, à partir d’un centre – en l’occurrence le quartier de Belsunce à Marseille –, relient entre eux des espaces de différentes échelles (ex. quartier, régions).

Ces centralités s’apparentent à des « aires naturelles », créées en dehors de toute politique urbaine délibérée. D’autres relèvent d’une tentative, plus ou moins fructueuse, de contrôler la croissance des métropoles et l’urbanisme parfois sauvage qui l’accompagne. C’est le cas des villes nouvelles. En Ile-de-France, celles-ci sont au nombre de 5 – Evry, Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-La-Vallée et Melun-Sénart. Elles doivent leur création au Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris de 1965. Il s’agit alors de restructurer les banlieues autour de nouveaux pôles qui assurent un équilibre entre l’emploi et l’habitat, et de réduire ainsi les migrations alternantes. La littérature qui leur est consacrée traite en priorité des politiques d’aménagement du territoire et des objectifs auxquels répond leur création (Merlin, 1997).

Certaines de ces villes sont devenues de nouveaux pôles universitaires, d’autres se sont formées autour de centralités de loisir. C’est notamment le cas de Marne le Vallée qui bénéficie de l’attrait d’Eurodisney et de celle du centre commercial de Val d’Europe.

En définitive, les configurations spatiales émergentes mettent en présence des centralités investies d’une identité forte – A. Raulin parle de « valence territoriale » (2000) –, et qui sont reliées les unes aux autres par des réseaux. La mobilité occupe alors une place importante. Les recherches les plus récentes sur la ville se sont penchées en particulier sur la mobilité de loisir, celle-ci occupant une place grandissante dans l’ensemble des déplacements. Mais plus généralement, et avant d’aborder cette question, la mobilité permet de caractériser les relations qui prévalent en ville.

Relations de trafic et « lieux-mouvement »

Ulf Hannerz (1983) est l’un des premiers à avoir qualifié de « typiquement urbaines » les « relations de trafic » et à insister sur l’intérêt à leur accorder. L’auteur les définie

(9)

comme ces « contacts – minimaux – entre étrangers », ce qui rejoint la notion « d’interactions minimales » développée par Erving Goffman (1974). Elles dominent dans les moyens de transport et les lieux publics en général ; la règle de l’évitement doit alors permettre de limiter au plus les relations sociales et « quand l’interaction se termine, quel qu’ait été son objet, on ne fait pas d’hypothèses sur la possibilité de se revoir ». L’évitement est d’abord physique et vise à préserver un anonymat qui domine en ville.

Ce thème rejoint celui des espaces publics pour Isaac Joseph, il est nécessaire d’envisager « le caractère public de l’espace transport comme prolongement de la rue » (Joseph, 1999). Dans cette lignée, les gares et les stations de transport ont récemment attiré l’intérêt des historiens et des sociologues.

L’histoire des gares au XIXe siècle rappelle dès l’origine que la coexistence entre la densité et la fluidité est pensée comme un problème à résoudre (Bowie, 1996). Le métro aura lui aussi à résoudre cette ambivalence. En effet, conçue préalablement comme un lieu de mobilité, la station de métro a peu à peu été investie par des activités commerciales. De même, G. Ribeill (1996) observe qu’en un siècle, la gare est devenue « un lieu public multifonctionnel, ouvert à des activités et flux sans lien avec l’activité ferroviaire proprement dit, lieu-refuge d’indésirables, offrant ainsi un contraste extrême avec l’ordre rigoureux, technique et policier qui imprégnait sa conception première ».

Plus généralement, la station est désormais reconnue en tant que « lieu-mouvement ». Ce concept, introduit par G. Amar (1996), « provoque par son caractère intrinsèquement contradictoire : un lieu fixe dédié à toutes les mobilités ». Plus tard, l’auteur lui a substitué celui de Complexe d’Échanges Urbain, résumé par l’acronyme COEUR « qui illustre assez bien le caractère central et vital, tout en rappelant sa dimension hydraulique de pompe à flux ».

Mobilités de loisirs et statut des espaces

Les chercheurs se penchent désormais sur les relations qu’entretiennent entre eux les espaces. L’augmentation des mobilités, en effet, amoindrit l’opposition entre la campagne et la ville. Le nombre croissant d’actifs qui résident en zone rurale et qui parcourent chaque jour plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de kilomètres pour rejoindre leur lieu de travail situé en ville, brouillent les frontières qui séparent les espaces entre eux. Désormais, 90% des habitants des zones rurales exercent un métier non-agricole. La campagne serait-elle devenue le nouveau dortoir d’anciens

(10)

citadins en manque d’air pur ? Sa fonction se limiterait-elle à celle d’un immense parc de loisirs ? Ces questions ne sont pas récentes. Un article de Barbichon (1973), publié dans Études Rurales, en fait l’écho. Pour l’auteur, « les producteurs et consommateurs urbains de loisir rural attendent des agriculteurs l’exercice d’un rôle folklorique ». La campagne serait un espace récréatif pour les citadins en manque d’oxygène. A la même époque, certains prédisent la fin des villes : celles-ci se dilueraient dans une péri-urbanisation toujours plus diffuse. Vidé de ses habitants, le centre ville n’aurait qu’une fonction théâtrale.

Ces réflexions sur les fonctions des espaces ont laissé place à des recherches anthropologiques sur les représentations qui leur sont associées. Les travaux de Jean-Didier Urbain ou encore ceux de Caroline de Saint Pierre consacrés à la ville nouvelle de Cergy en sont des illustrations.

• Jean-Didier Urbain a opposé l’espace dense du centre ville, des stations balnéaires et de sport d’hiver, à l’espace « lâche » de la campagne, qui est propice au resserrement des liens familiaux. La maison de campagne est ce lieu de renforcement des liens sociaux. Son rôle s’inscrit alors dans un mouvement général d’augmentation des déplacements familiaux et amicaux.

• A propos de la ville nouvelle de Cergy, Caroline de Saint Pierre (2000 ; 2002) observe que les espaces de loisirs participent à produire une image de la ville : le lac, situé au centre de la ville, et la « coulée verte » donnent sens à « l’urbanisation en articulant des éléments disparates et hétérogènes en un ensemble unifié ». Les espaces verts et de loisirs contribuent fortement à identifier les lieux. Pour les habitants, le territoire se démarque de la métropole et de la banlieue par sa capacité à produire de la sociabilité de loisir.

Centres commerciaux et privatisation de l’espace public

Les territoires du loisir sont des espaces spécialisés, créés à cette fin, mais aussi des centres commerciaux, où l’on déambule seul ou en bande, sans que l’achat soit recherché, voire en dehors des heures d’ouverture des commerces. Ces pratiques mettent en question le statut même des espaces. Marc Augé (1992) a qualifié les centres commerciaux de « non-lieux », car ne faisant l’objet d’aucune appropriation

(11)

antérieure. Désormais, c’est sur leur caractère semi-privé que se penchent les sociologues. La réflexion s’inscrit alors dans le thème, cher à Habermas, des espaces publics et des espaces privés. Pour Christine Chivallon (in Ghorra-Gobin, 2001), les centres commerciaux tentent de reproduire l’urbanité déambulatoire du centre ville : « un dispositif spatial qui imite des rues, des terrasses, des espaces verts, le tout plastifié et enveloppé par une bulle architecturale qui rompt précisément avec la continuité de la rue ». Mais ce sont des « espaces privés ouverts au public ».

Pour Cynthia Ghorra-Gobin (2001), la politique d’aménagement du territoire s’est enfermée dans une logique d’équipement et a délaissé les espaces publics, laissant leur sort aux mains des marchands. Dès lors, ces espaces cessent peu à peu « d’être les cadres de la vie publique pour ne plus être assimilés qu’à des fonctions de circulation ou encore de préservation historique ». « Or cette fonction civilisatrice des espaces publics de la ville qui facilitaient l’apprentissage de l’altérité et qui mettaient en scène les rites de l’interaction sociale, visant à conférer de l’identité collective sur le mode éphémère, a progressivement disparu. Au cours des dernières décennies seuls les touristes qui pratiquent les espaces publics relevant du patrimoine historique ont droit à ce rituel de l’identité collective alors que les habitants des territoires urbains modernes y sont pratiquement privés ». Le secteur privé investit l’espace public.

Centralités, flux et désynchronisation des temps sociaux

Les territoires du quotidien s’étalent dans l’espace, mais aussi dans le temps. Le travail et l’école ne sont plus les grands régulateurs des temporalités. Le temps consacré au travail diminue tandis qu’augmente le temps de loisirs. Pour Jean Viard (2002), c’est là le signe du rôle structurant des temps de loisirs : désormais, l’installation d’une entreprise ou d’une administration n’assure plus un dévelop-pement démographique local. L’attractivité d’une région tient à l’environnement naturel, aux infrastructures de loisirs et culturelles qui y sont implantées. Le bassin d’emplois traduit mal l’espace des mobilités, celles-ci n’étant plus structurées par les navettes. Jean-Paul Bailly et Edith Heurgon (2001) décrivent le cas de la ville de Saint-Denis, qui dispose de plusieurs centralités (marché, Stade de France, université Paris VIII, basilique) vivant chacune à des rythmes différents, et qui drainent des

(12)

flux de diverses provenances. Les séquences de la vie quotidienne des habitants (travail, loisirs, crèches, commerces) s’ajoutent à ceux tenant à la présence des salariés, des visiteur, des touristes …

Quels enseignements tirer de ce détour par les infrastructures de loisirs ? Peut-être que le modèle centre-périphérie ne traduit plus la réalité des pratiques sociales. Désormais, celles-ci s’organisant autour de réseaux d’interconnaissances : « Chacun se retrouve inscrit dans des réseaux d’appartenances divers, des archipels souvent non sécants, où les copines de théâtre ne sont pas des amies de vacances ni des camarades de boulot et ne se retrouvent pas au cours de gym » (Viard, Pottier et Urbain, 2002).

L’obsolescence du modèle centre-périphérie n’annule pas l’opposition symbolique entre les espaces : siège du pouvoir, le centre historique « est, au départ, le lieu à partir duquel s’exerce le pouvoir et s’unifie le groupe » (Remy et Voyé, 1981), par opposition à une banlieue souvent moins prestigieuse. Ces « images » de la ville et de ces quartiers ont fait l’objet de recherches, dont celles de K. Lynch aux Etats-Unis. L’auteur distingue cinq éléments qui se combinent et structurent les « images mentales » de la ville : 1/ les voies de circulation ; 2/ les limites (ex. voies ferrées) ; 3/ les noeuds (ex. carrefours) ; 4/ les points de repères (ex. enseignes) ; 5/ les quartiers de la ville. Ce caractère affectif peut expliquer la permanence des figures de la localité. Ainsi, pour A. Bourdin (2000), face à la globalisation, l’échelle communale ne perd nullement son intérêt si on la traite comme un lieu où ces différents facteurs [enjeux, pôles, structures de services... de l’agglomération] se combinent de manière spécifique et où l’on peut organiser cette combinaison ». La mobilité permet des styles de vie et participe en cela à la construction de la localité. Cette puissance organisatrice d’un modèle de localisation varie selon les contextes et, si l’échelle communale peut être pertinente dans certains cas, elle ne le sera pas dans d’autres.

Ainsi, en sciences sociales, la réflexion a d’abord concerné les trajectoires résidentielles, la distribution des groupes dans l’espace, la création des territoires (économiques, culturels, sociaux) et leurs déplacements, puis les rythmes de la ville. Les mobilités de loisirs concentrent les recherches les plus récentes. Ce « glissement » des mobilités professionnelles aux mobilités de loisir traduit le passage d’un régime temporel réglé par les navettes domicile-travail, à une diversification des temps sociaux. La réflexion sur la ville et sur les configurations spatiales émergentes est donc indissociable de celles sur les temps sociaux. Ces mobilités peuvent dès lors être considérées comme autant de « cultures émergentes par rapport aux territoires » (Potier, in Viard, Pottier et Urbain, 2002).

(13)

BIBLIOGRAPHIE

Amar G., 1996, « Complexes d’échanges urbains, du concept au projet », Annales de la

recherche urbaine, n°71 : 93-100.

Ascher F., 1995, Metapolis ou l’avenir des villes, Paris : Odile Jacob.

Augé M., 1992, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la sur-modernité, Paris : Seuil.

Bailly J.-P., et E. Heurgon, 2001, Nouveaux rythmes urbains : quels transports ?, Paris : Éd. de l’Aube.

Barbichon G., 1973, Appropriation urbaine du milieu rural à des fins de loisirs,

Études rurales, n°49-50 : 97-105.

Bonnet M. et D. Desjeux eds., 2000, Les Territoires de la mobilité, Paris : PUF.

Bonnin P. et R. de Villanova eds., 1999, D’une maison à l’autre. Parcours et mobilités

résidentielles,Grâne : Créaphis.

Bourdieu P., 1993, La misère du monde, Paris : Le Seuil. Bourdin A., 2000, La Question locale, Paris, PUF

Bowie K., 1996, De la gare du XIXe siècle au lieu-mouvement, Annales de la recherche

urbaine, n°71 : 14-23.

Castells M., 1998, La Société en réseau, trad. fr., Paris, Fayard (1re éd. américaine :

1996).

Chamboredon J.-C. et M. Lemaire, 1970, Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement, Revue française de sociologie, vol. 11 (1) : 3-33. Chamboredon J.-C., M. Coste et M. Roncayolo, 1985, Populations et pratiques urbaines, in M. Roncayolo ed.

(14)

Fourcaut A., ed., 1996, La ville divisée, Grâne : Créaphis.

Ghorra-Gobin C., ed., 2001, Réinventer le sens de la ville : les espaces publics à l’heure

globale, Paris : L’Harmattan.

Goffman E., 1974, (trad. fr.), Les rites d’interaction, Paris : Ed. de minuit.

Hannerz U., 1983, Explorer la ville, trad. fr., Paris : Minuit (1re éd. américaine : 1980).

Joseph I., 1999, Villes en gares, Paris : Éd. de l’Aube.

Lacaze J.-P., 1995, La ville et l’urbanisme, Paris : Flammarion.

Lynch K., 1998, L’Image de la Cité, trad. fr., Paris : Dunod (1re éd. américaine : 1960).

Merlin P., 1997, Les villes nouvelles, Paris : PUF.

Pinçon M. et M. Pinçon-Charlot, 1992, Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires, Paris : Payot.

Raulin A., 2000, L’ethnique est quotidien, Paris : L’Harmattan Raulin A., 2001, Anthropologie urbaine, Paris : Armand Remy J. et L. Voyé, 1981, Ville, ordre et violence, Paris : PUF.

Ribeill G., 1996, Les métamorphoses de la grande gare française, Annales de la

recherche urbaine, n°71 : 54-65.

Roncayolo M. ed., 1985, La ville aujourd’hui, in G. Duby ed., Histoire de la France

urbaine, Tome V, Paris : Le Seuil.

Saint-Pierre (de) C., 2000, L’identification d’une ville : « la ville verte ou bleue » ou comment une idée fait son chemin, in J. Métral (ed.) : 33-50.

Saint-Pierre (de) C., 2003, Créer de la localité en ville nouvelle : l’exemple de Cergy,

Ethnologie française, 33 (1) : 81-90.

Sassen S., 1996, La Ville globale. New York, Londres, Tokyo, trad. fr., Paris : Descartes (1re

ed. américaine : 1991).

(15)

Taboada-Leonetti I. et M. Guillon, 1987, Les Immigrés des beaux quartiers. La

communauté espagnole dans le XVIe, Paris : L’Harmattan.

Tarrius A., 1992, Les Fourmis d’Europe. Migrants riches, migrants pauvres et nouvelles

villes internationales, Paris : L’Harmattan.

Toubon J.-C. et K. Messamah 1990, Centralité immigrée : le quartier de la Goutte d’Or, Paris : L’Harmattan-CIEMI, 2 vol.

Urbain J.-D., 2002 a, Le résident secondaire, un touriste à part ?, Ethnologie française, 32 (3) : 515-520.

Urbain J.-D., 2002 b, Imaginaire du Voyage ?, Séminaire prospective Temps libre et

dynamiques spatiales, 26 septembre 2002, Paris : DATAR.

Viard J., F. Potier, J.-D. Urbain (eds.), 2002, La France des temps libres et des vacances, Paris : L’Aube.

Références

Documents relatifs

Il termine en décrivant d'une part un nouveau procédé de défense contre l'ensa- blement d'un port (La Cotinière), d'autre part un nouveau système d'épi d'une particulière

C'est ce qui fait sans doute de la programmation -même si d'autres difficultés viennent de ce que l'ordinateur est infiniment plus formaliste encore que notre ami portugais - une

caments des catégories C et D et publicité de tout type s’adressant au public pour des analgésiques, des somnifères, des sédatifs, des laxatifs et des anorexigènes ; art. 2

Comment les dispositifs ou les politiques (transports, etc.) peuvent-ils aider à « desserrer » les contraintes ? Par ailleurs, les enquêtes du Céreq indiquent

Nicolas B ELLIOT Université de Bordeaux Samuel C ARPENTIER Aix-Marseille Université Philippe C ORDAZZO Université de Strasbourg Frédérique C ORNUAU Université de Lille 1

(LIVE, univ. de Strasbourg) – Les mobilités spa- tiales dans un réseau de villes intermédiaires : l’espace Rhin-Rhône face à l’arrivée de la grande vitesse ferro- viaire?.

Les Publications IRESMA lancent un appel à contribution pour la nouvelle revue des sciences humaines, sociales et environnementales basée au département de

Comme le montre l’historien des populations Paul-André Rosental, dans une note publiée par Terra- Nova, les pays qui ont eu le moins de décès, en rapport avec la densité et la part