• Aucun résultat trouvé

Le sens de l'aventure dans les romans de Blaise Cendrars /

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le sens de l'aventure dans les romans de Blaise Cendrars /"

Copied!
95
0
0

Texte intégral

(1)

Bresnehan

(2)

Le Sens de l'Aventure dans les Romans de Blaise Cendrars

Department of French Literature

Master of Arts

Blaise Cencmnrs, aventurier et écrivain de notre temps, s'est voué à une vie d'action. Les écrits qu'il a produits ont comme but l'éloge de cette vie d'action. Cendrars n'a pas vou-lu créer seulement une littérature de l'imagination mais une littérature vivante. Ses oeuvres ne sont pas les r@v.es d'un homme qui se tient dans son bureau pour imaginer et créer. Ses oeuvres rapportent les faits vécus par un homme qui a voyagé partout à la recherche de l'aventure.

Le but de notre étude sera de montrer le lien entre Cendrars et son oeuvre et de déterminer le sens de l'aven-ture dans ses romans. Du fait que cette vie d'action se re-trouve partout dans l'oeuvre de Cendr~rs, nous verrons que le sens de l'aventure est le m@me dans toutes les oeuvres de l'auteur.

(3)

Mc GILL . UNIVERSITY

Thesis

LE SENS DE L'AVENTURE DANS LES ROMANS DE BLAISE CENDRARS

Submitted by

John P. Bresnehan

In Partial Fulfillment of Requirements for

1; 1

the Degree of Master of Arts

1968

(4)

INTRODUCTION :

L'AVENTURE DANS LA VIE DE BLAISE CENDRARS

Le

th~me

de l'aventure qu'on trouve dans les romans de Blaise

Cendrars représente l'idée centrale de sa vie. Le goût de 1

'aven-ture a mené Cendrars aux quatre coins du monde. Depuis les

pre-miers voyages avec sa famille jusqu'au moment où il revient

à

Paris en 1940, Cendrars répond

à

l'appel de l'aventure.

à

La Chaux-de-Fonds en 1887, Oendrars passe son enfance

en Egypte, en Angleterre,

à

Paris,

à

Montreux et

à

Naples. Ces

vQyages donnent

à

l'auteur le goût de l'aventure qui sera

aug-menté pendant des années et partout dans le monde. Cendrars est

un homme

qui

ne peut pas tenir en place.

La biographie de Cendrars se lit comme un de ses romans

d'a-venture. "Cendrars n'a guère besoin de biographie, il est tout

entré dans ses romans, dans ses

po~mes

et dans ses histoires." (1)

Il ne faut pas présenter ici une biographie détaillée, mais

simplement donner les épisodes de l'aventure de la vie de

Cdrars pour déterminer le sens de l'aventure dans sa vie, et

en-suite dans ses romans.

Cendrars commence sa vie errante pendant son adolescence.

Agé de seize ans, il quitte

la

maison familiale pour voyager.

(1) Nino Frank "Blaise Cendrars, L'Homme le plus seul au monde",

Les Nouvelles Littéraires (21 décembre 1929) No 375 8e année p. 5

(5)

Il part simplement parce qu'il a envie de s'en aller. A ce moment-là il n'a pas de but défini.

"Je suis parti vers l'est parce que le premier train

à

passer en gare m'a emmené vers l'est. Si cela avait été un train qui m'eût mené vers l'ouest, j'aurais alors transbordé â Lisbonne et j'aurais fait l'Améri-que au lieu de faire l'Asie." (1)

Cendrars veut quitter la vie bourgeoise. Il répétera ce geste plusieurs fois dans sa vie, comme le répéteront souvent les per-sonnages de ses romans. L'auteur veut simplement chercher l'aven-ture. La vie signifie pour Cendrars l'action et l'avenl'aven-ture. Pen-dant des années il bourlinguera, il poursuivra sa vocation : l'aventure. C'est le goût du risque, l'appel d~ l'inconnu et l'amour de l'action qui font de Cendrars un citoyen du monde.

"Il faut agir jusqu'au bout", tel était le credo de ,Cendrars. A Munich, Cendrars fait la connaissance de Rogovine, Juif varsovien qui achète et vend des perles et des diamants, et qui voyage partout en Asie. Pendant quelques années Cendrars suit Rogovine dans ses vqyages dangereux, d'abord comme employé, en-suite comme associé. Tous deux vqyagent en Russie, en Sibérie, en Chine, en Arménie, en Perse et aux Indes. Cendrars gagne et perd beaucoup d'argent et il trouve ce qu'il aime: l'aventure et le plaisir. Entre 1905 et 1908, Cendrars est témoin des premiers épisodes de la révolution en Russie, après la guerre russo-japonaise.

(1) Michel Manoll Blaise Cendrars vous parle (Entretiens à la Radio-diffusion française recueillis par Michel Manol1) Editions Deno~l

Paris 1952 p. 2 et 3.

(6)

Cette aventure se termine par une rupture avec Rogovine. Ce dernier pour mieux s'attacher son associé, voudrait lui faire épouser sa fille unique. Cendrars refuse. En Perse, les deux hommes ont l'occasion d'acquérir une épine d'Ispahan qui con-tient trois perles du plus bel orient, des perles de contre-bande. Rogovine refuse mais Cendrars achète l'épine et son pa-tron est furieux.

Il • • • et pour me donner une leçon, mais aussi par envie, scrupule, roublardise, désir de se venger, regret et jalousie, c'est lui qui alla me dénon-cer aux autorités du bazar, une espèce d'artel des joailliers ou conseil de discipline, ce qui m'al7:ait fait fuir ••• " (1)

Après trois mois de poursuite, Cendrars se trouve à Naples. De Naples i l gagne Paris.

mm

1907, âgé de vingt ans, il s'installe dans la banlieue de Paris et devient api cul teur.

IIJe faisais huit mille francs de miel par an. J'étais "riche." (2)

A cette époque Cendrars fait la connaissance de Gustave Le Rouge, romancier populaire, et aussi de Ré~ de Gourmont. Très vite Cendrars s'ennuie de cette vie et i l faut qu'il parte de nouveau. Il se rend d'abord à Bruxelles et ensuite en Angleterre où il devient jongleur dl\ns un music-hall :

Il • • • où le fameux Charlie Chaplin, - alors un in-connu l - recevait des coups de pied au cul ••• " (3) Les voyages continuent : 1910 la Russie, les Etats-Unis et le Canada où Cendrars travaille comme ouvrier agricole. L'année

(1) Blaise Cendrars Bourlinguer, Le Livre de Poche, Editions Den6~1

Paris 1948 p. 101

(2) Blaise Cendrars L'Homme Foudrgyé, Le Livre de Poche, Editions

Deno~l Paris 1945 p. 222 (3) Ibid p. 236

(7)

suivant'e

i l

se trouve

à

Anvers, employé

à

l'Uraruhum steam Ship

Company qui conduit de Libawa

à New-York les plus misérables

émigrants d'Europe. A New-York

i l

fait la connaissance

du

chan-teur Caruso et de Léon Baskt, maître des Ballets Ru.sses.

En

1912, Cendrars est encore une fois

à New-York où, sans

argent, il erre dans les rues sous la neige :

"Tous les jours je marquais plus mal, pas rasé, les

cheveux longs, les chaussures éCulées, les

panta-lons en tire-bouchon, le veston flétri, fané, sans

boutons, le chapeau, la cravate qui manquaient,

que j'avais vendus un jour pour un cent pour

m'ache-ter le cordon du plus mauvais tabac

à

chiquer du

monde." (1)

Le jour de Pâques, Cendrars entre' dans une église où l'on joue

du Haendel. Pendant la nuit suivante il écrit son poème "Les

Pâques

à

New-York". Huit jours plus tard il part pour la France.

1913 est la périOde des ,amitiés avec Chagall, Fernand Léger,

Max Jacob, Picasso, MOdigliani, Soutine,

Strawins~.

En

1914, c'est la guerre, et Cendrars, poète, voyageur,

mar-chand de perles, apiculteur, ne peut pas rester neutre. Il

s'en-gage dans la Légion et est envoyé presque immédiatement au front.

Il prend part

à

plusieurs combats et raconte ses aventures dans

deux livres: L'Homme Foudroyé et La Main Coupée. Dans la Légion

Cendrars fait la connaissance de personnages comme Sawo, le

gi-tan, qu'il reverra après la guerre. Il est témoin de plusieurs

épisodes d'hérogisme, de courage et de peur.

(1) Michel Manoll Blaise Cendrars vous parle p. 213

(8)

"La

peur. Ils me font rire ceux qui racontent

n'avoir jamais eu peur au front.

Il.

(1)

En 1915, en Champagne, Cendrars est blessé par un éclat d'obus

et amputé du bras droit (au-dessus du coude). Cette condition

ne diminue

ni

la volonté ni le désir de vivre de l'auteur.

Cendrars se fixe d'abord

a

Paris, mais

i l

n'y est pas

heu-reux :

"C 'étai t durant l'autre guerre quand je rentrai à

Paris, j'étais toujours entre deux vins et me

met-tais facilement en colère. Il est vrai que je ne

mangeais pas tous les jours et que si je

rencon-trais à chaque pas des types qui

p~aient à

boire

à

l'amputé, personne n'invitait jamais le poète

à

déjeuner. Paris était d'ailleurs moche, les

nou-veaux riches ignobles et il y avait de quoi se

foutre en rogne." (2)

Cendrars renonce

à

la vie parisienne.

En 1916, il rencontre Sawo,. son

ami

de la Légion. Cendrars

avait déjà passé quelques soirées avec la famille de Sawo et

est accepté comme un membre de la familleo Gitan d'adoption,

il suit pendant quelque temps la caravane du théâtre ambulant

des Sawo. Une nuit, fatigué de la vie de la caravane, Sawo a

disparu, et Cendrars l'a imité.

"Je ne tardai pas

à

suivre son exemple, en ce sens

que je partis un beau jour droit devant moi

à

travers 1 es champs."

(3 )

Une autre aventure finie, Cendrars marche jusqu'au hameau

de La Pierre, dans le Loiret, qui se situe près de l'endroit

où s'est installée la caravane, et là il loue une grange

abandonnée.

(1) Cendrars L'Homme Foudroyé p.

39

(2) Cendrars Bourlinguer p. 217

(9)

"C'est dans cette grange, où je suis resté près d'un

an, que j'écrivais pour M. Doucet, le couturier de

la rue de la Paix, "L'Eubage, ce voyage aux

Antipo-des de l'Unité" et en une nuit (c'était celle de mon

vingt-neuvième anniversaire, un 1er septembre),

"La

fin du Monde filmée par l'Ange Notre-Dame", ma plus

belle nuit d' écri ture ••• " (1)

C'était son premier scénario.

De 1917

à

1923, Cendrars travaille sans cesse

à

ses poèmes et

à ses anthologies. Pendant ce temps, il s'intéresse au cinéma.

En

1921 il collabore avec Abel Gance à la réalisation du film

"La Roue".

En

Afrique et

à Rome il travaille à la préparation

d'autres films.

Bient8t Cendrars se fatigue de voyager pour ses films et il

veut revenir

à ses livres et à ses aventures.

"De

1924 à 1936, pas une année ne s'est écoulée sans

que j'aille passer un, trois, neuf mois en Amérique,

surtout en Amérique du Sud ••• "

(2)

Au printemps de 1928 Cendrars réside dans un

ch~teau

aux

en-virons de Marseille. Il y est arrivé avec l'espoir de finir son

livre Le Plan de l'Aiguille. C'est là que Cendrars a préparé un

de ses voyages au Brésil.

"Depuis deux ans délià j'étais sur une affaire de

car-burant national. L'invention, l'outillage étaient au

point. Il était temps de m'em occuper sérieusement ...

(3)

A la même époque Cendrars fait d'autres voyages, en Argentine,

au Paraguay et au Chili. Ses oeuvres suivantes ont été publiées :

L'Or, Moravagine, Le Plan de l'Aiguille et Dan Yack.

(1)

Cendrars L'Homme Foudroyé p. 263

(2)

Ibid p. 343

(3)

Thici

p.

142

(10)

De

1930

à

1937

Cendrars travaille et voyage.

En 1930

il publie un

reportage romanaé,

~,

il retrace la vie de Jean Galmot

qui

est

devenu légendaire en Guyanne. Ce héros ressemble beaucoup aux autres

héros aventmriers de Cendrars. L'auteur publie d'autres reportages

sur les gangsters américains, comme Al Capone, et sur Hollywood. Ces

reportages sont écrits dans un style vivant, comme ses romans. Pour

lui un reportage est plus qU'une présentation des faits, c'est aussi

la préseniJà.tion de l'esprit du héros. Il veut provoquer l'émotion du·

lecteur.

De

1937

â

1939

Cendrars se trouve à Paris et pendant cette

pério-de il publie Histoires Vraies et La Vie Dangereuse.

En 1939

il devient correspondant de guerre auprès du Grand

Quar-tier Général Britannique. Dans sa voiture personnelle, il parcourt

la Frru1ce pour faire des reportages de guerre. Mais cette activité

prend fin en

1940 :

"Le

17

Juin, à Barbezieux, j'étais seul, la route

vi-dée et noire, et j'eus une impression d'asphyxie, de

mort, la mort de la France."

(1)

C'est là qu'il apprend la nouvelle de l'armistice. Le

14

juillet il

met sa voiture dans un garage aux environs d'Aix-en-Provence et il

vit solitaire pendant trois ans. Il ne veut

ni

écrire ni lire. Ses

reportages de guerre ont été publiés en

1940

dans Chez l'Armée

An-glaise. Cette édition est saisie et détruite par les Allemands.

Après cette pérfuode de silence, en

1943,

stimulé par une

conver-sation avec son ami Edouard Peisson, Cendrars a envie de se

(11)

mettre au travail. Au commencement de son'livre L'Homme Foudroyé l'auteur, dans une lettre à Peisson, parle de cette période, de, silence conune d'une "éclipse" de sa personnalité. Mais le besoin de s'exprimer n'à pas été diminué par cette inactivité,:

"L'écriture est un

inCendiequiembr~~e'Ungrand

re-mue..:ménaged'idéeset qui faitflamboyerdes,asso-ciations d'images avant de les réduire 'en braises ' crépi tantes 'et en cendr,esretorilbantes • Mais aila, , aaiiune déèlenche l'alerte; la~spontanéi té:du.:f'eu l'es...; te mystérièuse.Car, écrirec iest:,brûler·vif"mais' c'est aussi renaître de sescentres.II (l), .

. ' . " , ' ,.'

L'Homme Foudroyé a paru

en:.1945·

et

lam~me

année

Cènd~ars

a la'

. " ' , ' :

grande douleur de perdre 1 'un de ses deux fils, Rémy,

pilot~

de guerre.

Cendrars passe les années sui vantes à écrire, surtout des li-vres de souvenirs .desa vie aventureuse. Cendrars, quia, déjà tant fait, donne l'impression qu 'il est touj ourspr~t

à

~ecom­ mencer. De

1945

à

1950

il publie Rhapsodies Gitanes, Bourlinguer, La Banlieue de Paris et Le Lotissement du Ciel.

En

1950

Cendrars se marie avec la comédienne Raymone. La m~-me année il enregistre, pour la radio, ses "Entretiens avec Mi-chel Manollll

Pendant les dernières années de sa vie Cendrars poursuit son oeuvre. En

1959

André Malraux lui remet la cravate de Com-mandeur de la Légion d'Honneur dont Cendrars avait refusé de payer les droits de chancellerie en

1915.

L'année

1960

est mar-quée par la publication aux Editions Deno~l des Oeuvres Complè~es

(1) Cendrars L 1 Honnnei;;Foudroyé p. 13

(12)

de Cendrars.

Le 17 janvier 1961 Cendrars reçoit le Grand Prix Littéraire de

la Ville de Paris. Quatre. jours plus tard Cendrars meurt dans son

appartement

à

Paris'.

Après la lecture des épisodes de la vie de Blaise Cendrars, il

est évident que ce dernier était avant tout un homme d'action. Le

jeune homme qui a quitté la maison familiale pour errer dans le

monde ne cherchait

ni

des renseignements précis sur des pays

étran-gers,

ni

la performance

d'avo~rvoyagé partout. Il cherchaitllla

vie" et n' autai t pas. été satisfait par une existence ordinaire

qui représentait pour lui "l'esclavage". A ses .yeux c'était

s'em-prisonner que de vivre avec des contraintes, de

n(~exercer

qu'un

seul métier, de subir la routine de chaque jour, de demeurer

tou-jours dans le même milieu, de ne pas connaître tous les hommes

et tous les coins du monde, et surtout de ne pas être libre. Ce

qU'il désirait avant tout, c'était l'action "libératrice".

"La vie n'est pas un dilemme. C'est un acte gratuit.

Et l'action libère."

(1)

Vivre, c'est agir, aller jusqu'au bout. Pour Cendrars il fallait

toujours aller plus loin. Les aventures de sa vie et celles de ses

romans étaient les moyens d'aller plus loin que les autres.

L'aven-ture n'était pas une profession

à

suivre, c'était vivre sans se

soucier des conséquences :

(13)

IIII se jette

à

corps perdu dans ces aventures, et

comme tous les joueurs, il passe par d'incessantes

alternatives de misère et de prospérité.

Il

(1)

C'était l'aventure qui satisfaisait le grand besoin de vivre

de l'auteur. Dans ces voyages il cherchait

à

tout connaître de la

vie hillilaine, passant son temps parmi les paysans, les gens de la

rue, les noirs, les grandes dames, les écrivains, les artistes,

parmi tous ceux qui représentaient l'humanité. Il se trouve

au-jourd'hui dans un des grands hôtels et demain il fera

l'expérien-ce de la vie des gens de la rue. Il voulait savoir l'expérien-ce

qui

se

pas-se d'ordinaire et d'extraordinaire dans le monde. Il avait un

be-soin de connaître et d'aimer la fraternité humaine. Comme

résul-tat de ses expériences Cendrars possédait la possibilité de très

bien parler des habitants du monde dans ses oeuvres. Ecrire

c'é-tait se souvenir.

IITout ce que j'ai connu dans la vie, heurs et

mal-heurs, m'a extraordinairement enrichi et servi

cha-que fois cha-que je me suis mis

à

écrire. Je ne trempe

pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie." (2)

L'ambition de Cendrars était avant tout de vivre, mais il avait

aussi un grand besoin de s'exprimer.

Dans les chapitres qui suivent nous allons examiner quelques

romans de l'aventure et quelques autres oeuvres de Cendrars. Le

but de cette étude sera de déterminer le sens de l'aventure dans

ses romans. Il faut noter d'abord que le héros de chaque roman

est, comme Cendrars, un aventurier, quelqu'un qui cherche la vie

(1) Louis Parrot Blaise Cendrars, Poètes d'AUjourd'hui, Ed. Pierre

Seghers Paris

1958

p. 20

(2)

Cendrars L'Homme Foudrgyé p.

264

(14)

l'inconnu et l'action. Le sens de l'aventure, pour Cendrars, était, nous l'avons déjà dit, vivre, agir.

Peut-on trouver les mêmes sentiments chez ses héros ?

~~":-: .. ~ ''''---'-'-''~:. .... ' -:---:"---:"---..,..-~'-__:_.,__-_m.,.."...,...,..-~

(15)

CHAPITRE II

L'OR

Cendrars a donné comme sous-titre,de, ce roman :

, '

La Merveilleuse Histoire du GénérB.J.' J ohannAugust ,Suter.

, "

Dans ce livre basé sur,la réalité,

l'a~teur

présente les épisodes

, . ' . . ,. ' .. ' '. . , ' . . '

de la, vie d'un homme, Suter, , , quiv~ulait'conquérir l'ouest des

Etats-Unis"

sa~

analyser

tout~foiS

les 'raisons qui le poussen<ê à l'aventure. Il raconte simplement l'histoire de Johann, écrite avec une grande économie' de style. Le 'roman se "lit' très vite. Cendrars, aventurier,.etécr1vain, présente par sa manière d ié-crire plus que les Ciétailsdel'histoire.'Ilévoque chez le lec-teur l'esprit de l'aventurier et de l'aventure. Un roman peut

. .... . '

aussi servir d'aventure et l'auteur veut que celui qui le lit apprécie l'aventurier et son histoire. La raison pour laquelle Cendrars s'intéressait à cette histoire est très évidente. L'idée de se voir jouer le r8le d'aventurier plaisait beaucoup à l'auteur et i l a beaucoup admiré les mêmes traits chez des personnages tels que Suter.

Cendrars commence ,son histoire par la fui te de J obann de la vie ordinaire. C'est le mois de mai de l'année 1834.

L'auteur qui n'emploie pas beaucoup la description - surtout dans ce roman - présente au premier chapitre un portrait du petit village de Runenberg où l'on rencontre Johann Suterpour

la première fois. Il est intéressant de noter cette

présenta-- 12

(16)

tion de la vie de tous les jours :

IILa journée venait de finir ••• Sur le pas de leur porte, les vieux fumaient leur pipe en porcelaine et les vieilles tricotaient de longs bas blancs ••• Le sujet de toutes les conversations était la cha-leur précoce et extraordinaire pour la saison et

la s~cheresse qui menaçait déjà la tendre moisson.1I (1)

Cette description est utile pour faire contraste entre la vie courante de ce village, la routine, la tranquillit,é, et la vie d'un aventurier. L'auteur qui a vécu la même expérience, mon-tre bien le genre de vie que Johann est en train de fuir.

L'arrivée de Johann dans le village de Runenberg est un évènement rare pour l'endroit. Il demande au syndic un certi-ficat d'origine et un passeport. Devant le refus du syndic, Johann quitte le village et crache dans la fontaine en passant.

Johann August Suter avait abandonné sa femme et ses quatre enfants. A cette époque, il était ~gé de trente-et-un ans. Il est de la dynastie des "Suter, papetiers Il fondée par son grand-père. Son père, Hans, a dirigé une manufacture de papier à Kandern.

Après l'incident de Runenberg, Suter poursuit son voyage. Il arrive à Paris après avoir dévalisé et déshabillé quelques compagnons èn route. A l'aide d'une fausse lettre de crédit, il obtient de l'argent d'un des clients de son père. Trois jours plus tard un bateau part pour New-York. A son bord il y

a Suter, "banqueroutier, fuyard, rôdeur, vagabond, vOleur,escroc." (2)

(1) Cendrars L'Or, Le Livre de Poche, Ed. Deno~l Paris 1961 p. Il et 12 (2) Ibid p.

(17)

2-1-Suter n'a pas à ce moment de but défini. Ici il ressemble beaucoup à Cendrars. Il ne cherche que l'~venture du moment. Il débarque à New-York avec tous les émigrants, et l'auteur précise que parmi chaque groupe "il y a au moins un repré-sentant de la forte race des aventuriers." (1) J ohalm est de cette race.

On note partout dans les livres de Cendrars l'attitude de l'auteur qui se moque du monde et l'importance pour lui de la liberté d'agir. Il ne s'agit pas de fuir la responsabilité, il s'agit simplement de vivre. Et pour vivre on doit avoir la liberté d'agir et on doit aller jusqu'au bout. Dans ce sens, Johann

à

ce moment de son aventure suit bien la définition d'un aventurier que l'auteur accepte et qu'il montre par sa propre vie.

Arrivé à New-York, Suter vide une bouteille de vin, éclate de rire et court dans la ville. Il est pressé, prêt à jouir de cette mouvelle liberté de l'aventurier qui vient d'atteindre la première étape de sa nouveilile vie.

Johann s'enfonce dans la ville et pendant deux années il fait plusieurs métiers différents. Il apprend beaucoup de choses et ce qu'il apprend il le garde dans sa mémoire. Il a bu avec tous ceux qui ont voyagé à travers le s Etats-Unis et il est devenu l'un des hommes les mfuèux renseignés sur les territoi-res de l'ouest. Il connaît les hommes qui financent les

entre-(1) Cendrars L'Or p.

24

(18)

prises. Il est prêt pour la prochaine étape de son aventure et il agit. Avec des marchands allemands, il part pour Saint-Louis, capitale du Missouri.

Nous avons dit que Johann est de la race des aventuriers,

mais toutefois il agit prudemment. Maintenant on peut

substi-tuer le mot de pionnier à celui d'aventurier, car Suter a un itinéraire en tête. C'est l'idée d'agib prudemment qui sépare Suter des autres héros de Cendrars. Johann prépare son acte plus que les autres. On peut dire qu'il pense aux conséquences, ce qui n'est pas propre à l'aventurier selon la définition cen-drarienne. Mais Johann ressemble aux autres car c'est l'appel d'une nouvelle terre et de l'inconnu qui l'attire.

Légèrement au nord de Saint-Louis, à Saint-Charles, Suter achète des terres et s'établit fermier. Il se trouve au con-fluent da~;Mississipi et du Missouri. Suter s'intéresse beaucoup à la conversation des gens qui v~agent sur les rivières. Sa maison est toujours ouverte. Il interroge tout le monde et n'ou-blie rien. Encore une fois il devient bien renseigné. Le mot qui est sur toutes les lèvres et qui intéresse Suter, c'est l'Ouest. Notre héros, homme d'action, vend sa ferme, achète trois cha-riots couverts et se joint à une compagnie de marchands qui se rend à Santa Fé. L'affaire était mal préparée et·Suter aurait tout perdu s'il ne s'était établi parmi les Indiens. Chez ces derniers, Suter apprend l'existence de la Californie. Encore une fois c'est l'appel de l'inconnu, ce pays nouveau et étrange qu'il faut voir et conquérir.

(19)

Suter retourne au Missouri et ~dant trois mois il dévelop-pe son plan. C'est décidé, i l ira.en Californie.

"Il Y a des terres, des prairies, des troupeaux in-nombrables qui sont à la merci d'un coup de main. Il faut oser et réussir. On peut s'en'emparer. Il est prêt ." (1)

En la compa.gnie dU: capitaine Ermatinger, de cinq missionnaires et de trois fermnes, i l sui t la piste qui mène a l ' extrême ouest, en Californie.

Pour ceux qui voyagent vers l'ouest à cette époque, la rou-. te est pleine de dangersrou-. Ilya des' n Peaux-Rouges Il qui sont

sur le sentier de la guerre. Mais Suter est décidé et il veut continuer son voyage. Il est le seUl du groupe à parvenir

à

Fort Van Couver.

Le voyage par.terre en Oalifornie est impossible à cause des Indiens. Malgré l '.avis de tous les hommes du Fort Van Couver, Suter ne change pas son plan. Il négocie son passage sur un bateau qui se rend aux îles Sandwich •. Ce n'est pas la Cali for-nie, mais là il peut trouver le moyen d'atteindre le pays de son avenir.

Comme il l'a fait à New-York et au Missouri, Suter profite des connaissances qu'il a faites pendant le voyage. Il a formé de grands projets et il a appris beaucoup de choses sur la Californie. Il a pensé au commerce avec les Indiens de ce pays et les indigènes des Iles, les'missionnaires de Monterey et ceux d'Honolulu.

(1) Cendrars L'Or p. 34

(20)

Il débarque ~ Horiolulu et là il a l'idée d'employer les Canaques sur les futures plantations. Il signe l'acte de constitution de la Suter's Pacific Trade Company et i l désigne ses possessions sous le nom de Nouvelle-Helvétie.

Après un voyage à Sitka, Suter arrive enfin en Californie, sur la plage de San Francisco. Il est là pour conquérir.

Le moment de son arrivée est propice et cet homme d'action en profitera. La République du Mexique vient de déclarer que les territoires des missionnaires - territoires riches où les Indiens ont mené une bonne Vie - étaient des propriétés de l'Etat. Cet acte est un pillage •. On prend les terres les plus riches, on mal-traite les Indiens et la fortune se perd rapidement. Le Gouverne-ment veut rétablir l'ancienne prospérité mais i l est trop tard.

A Monterey, Suter demande une concession au gouverneur Alva-rado. Il annonce ses intentions de s'établir dans ce pays, de réunir les Indiens des Missions, de faire venir les Canaques pour travailler et relever le pays. Il reçoit une concession de dix ans.

Dans la vallée du Sacramento Suter et sa troupe commencent le travail. Il réussit et la prospérité revient. Suter devient riçhe et respecté.

Il y a à cette époque des luttes entre les différents partis de ce pays. Chacun veut Suter de son côté, mais il ne prend pas part à ces luttes~

(21)

pillées, mais toujours il peut échapper au danger. Il comprend bien le coeur humain, gr~ce aux années qu'il a passées à New-York.

"Il était alors d'une rare perspicacité, ne connnet-tait jamais d'impair, louvoyait, prometconnnet-tait tout ce qu'on voulait, soudoyait audacieusement les chefs au bon moment, abreuvait les hommes de beaux dis-cours et d'alcools." (1).

Il peut employer les armes mais i l ne s'intéresse pas aux vic-toires militaires. Son seul désir est de sauvegarder son travail.

Après cinq années de lutte et de révolutions, i l y a la rétro-cession aux Etè.ts-Unis du Texas et de la Californie. Enfin, c'est la paix.

"Johann August Suter va enfin pouvoir jouir et se réjouir de ses richesses." (2)

Il a fait construire une retraite, L'Ermitage. Il plante de la vigne,autour de sa maison i l y a des jardins, des champs et dans les prairies il y a de belles bêtes. C'est la bonne vie.

"Il songe à faire venir sa famille d'Europe, à in-denmiser richement ses créanciers, à sa réhahiliol;,'3 tation, à.l'honneur de son nom et connnent doter sa lointaine patrie ••• Douce rêverie." (3) C'est la paix.

Pour un aventurier la vraie paix est rare. Quand on dépend du hasard on risque de perdre tout en un moment et on n'est jamais sûr de son destin. Suter a cherché et a trouvé l'aven-ture et maintenant, après avoir réalisé ses désirs, i l veut la paix.

(1) Cendrars L'Or p.

74

(2) Ibid p. 7~ (3) Ibid p. 77

(22)

Selon Cendrars on doit agir jusqu'au bout. Si on joue le, jeu,

il faut jouer jusqu'au bout. Suter, homme d'action a agi et il a

gagné. Maintenant il ne veut plus agir. Il abandonne la bataille

pendant quelque temps, il perd son courage et comme résultat, il

.,

est ruiné.

Ce qui cause la ruine de Suter, c'est l'évènement qui a

bou-leversé le monde: la découverte de l'or. En

1848

James Marshall,

le charpentier de Suter, découvre de l'or dans une des scieries

de Johann. Il apporte.le métal

à

son

pa~ron

qui

l'examin-e---erd1i::--clare que c'est de

l~or pur. Marshall est comme fou.·Suter

lui-même présente ses réactions ainsi :

"Cette découverte de l'or dans le ruisseau, dans les

fondations de ma scierie, ne me laissait pas

indif-férent, non, mais je la prenais comme toutes les

bonnes et les mattvaises fortunes de ma vie avec pas

mal d'indifférence; toutefois je ne pus dormir de

la nuit, je me représentais les suites terribles

et les répercussions fatales que cette découverte

pouvait avoir pour moi, mais je m'imaginais tout

de même pas la ruine de ma Nouvelle-Helvétie

!

(1)

Malgré la parole d'honneur de ses hommes, l'affaire de l'or

ne peut pas rester secrète. En quelques semaines on connait

l'histoire et les ouvriers de Suter commencent

à

le quitter

·et

à le voler.

"Maintenant c'était sous mes fenêtres un défilé

ininterrompu." (2)

unu·sommet de ces montagnes, je voyais tout

l'im-mense pays que j'avais fertilisé livré au pillage

et aux incendies."

(3 )

(1)

Cendrars L'Or p.

88-89

(~)

Ibid p.

91

(23)

Suter voyait aussi la foule qui arrivait

à la recherche de l'or.

Il est évident que Suter ne peut pas réaliser ses plans et

de-venir l'honnne le plus riche du monde. Il est maintenant ruiné.

L'aventure est un risque. On gagne, on perd. Suter a gagné,

maintenant il perd.

Johann s'est retiré

à

"L'Ermitage". Il a sauvé ce qU'il a

pu de ses animaux. Il n'a pas le coeur de travailler et il

lais-se tout tomber. Il pourrait travailler et refaire fortune, mais

i l

reste inactif.

"D'autres feront fortune. Il laisse faire. Il ne

fait rien. Il ne fait rien. Il

assisteimpassi-ble

à la prise en possesion et au partage de ses

terres." (1)

Pourquoi cet homme d'action n'agit-il pas ? Où est l'homme

de bon coeur qui a cherché l'aventure? Connnent et pourquoi

a-t-il perdu courage ?

Quand un homme suit la piste de l'aventure, quand il est

aventurier au plein

sen~

du mot, son but est de conquérir

n'im-porte quoi sur cette piste. Le malheur, comme la chance,

repré-sente un autre obstacle

à

conquérir. Quand

i l

atteint son but,

la conquête,

i l

cherche un autre but, une autre conquête. S'il

est l'homme d'action qui agit jusqu'au bout il peut affronter

la mauvaise fortune sans perdre

co~rage,

sans penser qU'il a

perdu la bénédiction du destin. Pour lui le destin est tout ce

qui se trouve sur la piste de l'aventure.

(1)

Cendrars L'Or p. 104

(24)

Johann est limité dans sa recherche de l'aventure. Il a répon-duà son appel. Il cherchait et i l a trouvé ce qui est nécessaire ,. à tU~ aventurier, la liberté d'action. Il voulait conquérir et il a agi prudemment. La différence entre un aventurier et Suter, le pionnier, se trouve dans le fait que le but du Buter était de conquérir le nouveau monde et de faire fortune. Il a très bien préparé son plan pour éviter le malheur. Son but n'était pas de conquérir tout ce qui se trouve sur le chemin de l'aventure, mais de conquérir ce qui se trouve sur le chemin qui mène é1 son but -sa fortune. Après avoir conquis et fait fortune le malheur ar-rive et i l est insupportable. Si la découverte de l'or était simplement un autre événement de la vie de JOhann, il pourrait l'accepter. Mais dès le moment où cette découverte a représenté la destruction de son domaine, cette découverte causera aussi la destruction de l'homme.

Suter se remet au travail, non pas pour lui-même, mais pour ses enfants. Sa famille est venue en Californie. Sa femme est morte en arrivant é1 la porte de l'Ermitage. Maintenant tout est différent.

"Johann August Suter ne peut pas oublier le coup qui l'a frappé. Il est en proie à une sombre terreur. Il s'éloigne de plus en plus des tra-vaux de la ferme et cette nouvelle mise en train n'absorbe plus comme autrefois toutes ses

fa-cultés. Lui, l'homme d'action par excellence, lui qui n'a jamais hésité, hésite maintenant." (1)

(25)

Johann essaie de regagner ses terres. Il commence un procès qui dure plusieurs années. Il veut revendiquer les terres où se trouvent les villes comme San Francisco, Sacramento, Fairfield et Riovista. Il demande des millions de dollars au gouvernement de l'Etat et une indemnité de cinquante millions de dollars au gouvernement de washington pour ne pas avoir maintenu l'ordre public au moment de la découverte de l'or. La sentence du juge déclare que les territoires sont la propriété indiscutable de Suter. Johann pense qU'il a gagné, mais la réaction du public est contre lui. Quelques semaines plus tôt la population a loué Johann comme le grand pionnier de l'Etat. Maintenant elle s'élève contre lui et brûle l'Ermitage. Alors tout est perdu pour toujours. Suter est accablé.

"Tout ce qu'il a de plus cher, tout ce qui représente la vie et l'orgueil d'un homme s'est envolé, cendres et fumée." (1)

Les dernières années de la vie de Johann sont tristes. Il devient presque fou. Il n'a pour vivre que sa pension de géné-l'al, mais cette pension est mangée par les nombreux avocats marrons qui essaient de gagner son procès. Les années se pas-sent dalm la pauvreté, voire même la misère. Suter se prépas-sente au Congrès

à

Washington pour chercher la justice, mais en vain, car le Congrès ne se prononce jamais sur l'affaire.

Johann meurt eri 1880 à Washington. L'affaire est abandonnée.

(1)

Cendrars L'Or p.

157

(26)

Cendrars termine le roman par une question :

"Qui veut de l'or? Qui veut de l'or 1" (1)

La succession de Suter reste ouverte m@me aujourd'hui et on peut intervenir. C'est l'appel de l'aventure pour ceux qui veulent ré-pondre.

Dams les romans de Cendrars i l y a de nombreux points communs entre l'auteur et ses héros. On peut comprendre pourquoi Itau-teur s'attache A ces histoires. Dans L'Or on'note des ressemblan-ces entre Johann Suter et Cendrars. Tout d'abord la fuite de la vie ordinaire pour chercher la liberté d'action. Comme Cendrars, Suter a agi. Il.a gagné et il a perdu, comme les autres joueurs. Il a cherché et trouvé un autre milieu, d'autres hommes et la conquête.

Il faut noter aussi la différence entre l'auteur et son héros. Ce qui frappe d'abord, c'est que le mot aventure signifie quelque èhose de différent dans la vie des deux hommes. Nous avons dit que le but de Suter est de faire fortune. Le but de Cendrars n'est pas la recherche de la fortune ou de la puissance. Quand arrive le moment où Johann perd tout, l'aventure et la vie lui deviennent insup~ortables. Il. perd tout son courage et il ne peut pas continuer. Quand Cendrars perd, i l continue, la vie n'est pas insupportable. Il faut vivre et agir jusqu'au bout.

La similitude du sens de l'aventure se trouve pour Cendrars et pour son héros dans le verbe agin. La différence se trouve dans

(27)

la mesure où chacun veut agir. Pour Suter c'est agir pour faire fortune et avoir une certaine stabilité finale. Pour Cendrars c'est agir pour vivre, pour risquer jusqu'au bout.

(28)

CHAPITRE III

~AGlNE

Dans son ouvrage consacré à Blaise Cendrars, Jacques-Henr,r Lé-vesque a intitulé "Moravagine Destructeur" (1) le chapitre dans lequel i l parle de ce roman. Moravagine, création de l'esprit de l'auteur, est encore une fois un roman d'aventure, mais cette fois il s'agit'de l'aventure au plein sens du mot, car Cendrars, homme qui s'est libéré compl~tement pour se lancer dans l'aven-ture, a complètement libéré son imagination et ses talents

d·.i~é-crivain pour créer ce roman. Vivre-agir; écrire-agir.

Pour ceux qui aiment l'aventure, le livre en déborde, mais pour ceux qui sont timides et qui aiment l'ordre de la société,

i l peut être révoltant et affreux.

Dans cette oeuvre Cendrars a cré~ un monde qui est à la fois incrqyable, inoubliable et souvent dégoûtant. On peut citer J.H. Lévesque pour résumer ce qU'on trouve dans ce roman:

"Vie intérieure, folie, vie active, crime gratuit, révolution, évasion dans le rêve, conflit entre la liberté et la nécessité, sexualisme, absurdité du monde: ,toutes les idées dont vit depuis plus de vingt ans la littérature nouvelle, toutes les questions qu'elle agite, nous les trouvons dans Moravagine." (2)

L'aventure et la liberté d'agir qui étaient les principes de la' vie de Cendrars, sont poussées jusqu'au fantastique dans ce roman. L'auteur qui ne pouvait jamais se donner à l'esclavage

(1) Jacques-Henry Lévesque Blaise Cendrars Edition de la Nouvelle Revue Critique Paris

1947

p.

62

(29)

de la. vie quotidienne, entraîne le lecteur loindde cette vie par une série d'aventures qui laissent une impression, bonne ou mau-vaise, sur le lecteur.

Il est utile de noter ici comment l'idée de ce roman· est ve-nue à l'auteur et ses idées sur l'identité du hérosdde Moravagine.

En

1912 dans un bar parisien Cendrars bavardait avec un hom-me nonnné Starkmann.

n

lui racontait quelques épisodes de sa vie et pendant cette conversation l'idée de Moravagine lui est venue.

" ••• et jusqu 'au petit jour je lui racontai l'his-toire de Moravagine comme une chose qui m'était réellement arrivée." (1)

Pendant deux années Cendrars pensa presque constamment à l'idée de cette histoire.

En

1914 il a écrit un roman d'aventure mais il n'a pas trouvé d'éditeur. Durant ces années de la Première Guerre Mondiale le personnage de Moravagine était toujours avec l'auteur.

"Ni de jour ni de nuit Moravagine ne m'a jamais quitté dans la vie anonyme des tranchées." (2) Après la guerre l'auteur a essayé encore une fois d'écrire son roman mais il était difficile pour un homme d'action tel que Cendrars de passer des jours entre quatre murs pour écrire. Il a commencé en 1917 et il a écrit et recopié plusieurs manus-crits différents pendant des années. Il a finalement terminé le roman en novembre 1925 et il fut publié en 1926.

Cendrars lui-même a expliqué la position que le personnage de Moravagine avait occupée pendant le temps où il était en train

(1) Cendrars Moravagine, Le Livre de Poche, Edition Bernard Grasset, Paris 1960 p. 216

(2) Ibid p. 217

(30)

de préparer son roman. Moravagine s'était installé au fond de son être et après quelque temps ce personnage s'était approprié ce qui es:b arrivé dans la vie de l'auteur.

"Mes pensées, mes études favorites, ma façon de sentir, tout convergeait vers lui, était

à

lui, le faisait vi-vre. J'ai nourri, élevé un parasite à mes dépens. A la fin je ne savais plus qui de nous plagiait l'autre." (1) Nous avons déjà vu que le jeune Cendrars a rompu avec la vie quotidienne et avec les attaches qui emprisonnent l'homme. L'aven-ture dans sa vie fut illimitée. L'avenL'aven-ture dans ce roman est aussi illimitée et le héros est un homme qui détruit et déchire les

att~ches qui l'emprisonnent.

Au commencement du roman Moravagine se trouve dans un sanato-rium en Suisse. Il est incurable. Voici l'homme 'qui devait influ-encer les personnes et les événements

à

travers ses aventures inoubliables.

"C'est un petit homme noir, maigre, noué, sec comme un cep et comme brûlé par la flamme qui brille au fond de ses yeux agrandis. Le front est bas. Les

or-bites profondes. Les cernes rejoignent les plis de la bouche. La jambe droite en équerre, il a le ge-nou ankylosé et boite terriblement. Il est un peu voûté. Ses mains dandinent au bout de bras longs comme ceux d'un singe.1I (2)

Moravagine est le dernier descendant d'une famille noble de Hongrie. Son père fut assassiné et sa mère est morte immédiate-ment après sa naissance. Moravagine a dit qu'il était venu au monde "de trois mois en avance sur l'horloge du château qui son-nait justement midi." (3) Il a passé son enfance seul, isolé,

(1) Cendrars Moravagine p. 223 (2) Ibid p. 23

(31)

soigné par plusieurs personnes.

"J'étais toujours seul. J'aimais beaucoup être seul.

J'aimais beaucoup jouer dans les coins sombres qui

sentent bon, sous la table, dans les armoires,

der-rière le lit,

à

quatre ans je mettais le feu aux

tapis. L'odeur graisseuse de la laine carbonisée

me donnait des convuisions. C'était exquis." (1)

A

l'âge de six ans, dans un mariage arrangé, Moravagine a

épousé une jeune princesse nommée Rita. Pendant des années

Mo-ravagine ne verra sa femme qu'une fois par an. Il devient

rê-veur.

Le temps passe et dans la solitude de sa position

Moravagi-ne devient fou. Ces années sont marquées par des évéMoravagi-nements

étranges. Il tue son unique ami, un chien, en lui crevant les

yeux et en lui cassant une chaise sur les reins;

i l

imagine la

chaise, le miroir, la baignoire et le lit de Rita, sa femme.

Il développe une violente passion pour les objets, les 'choses

inanimées.

"Bient8t oeuf, tuyau de poêle m'excitèrent

sexuel-lement."

(2)

A

l'âge de dix-Huit ans Moravagine commet un crime sauvage.

Pendant l'une des visites de sa femme, il se jette sur elle

et l'étrangle.

"Je lui ai enfoncé mon poing gauche dans la bouche.

De l'autre main je lui porte un terrible coup de

couteau. Je lui ouvre le ventre. Un flot de sang

m'inonde. Je déchire des intestins.

1I (3)

Moravagine passe dix ans en prison, puis on l'enferme dans

(1)

Cendrars Moravagine p.

26

(2)

Ibid p.

37

(3) Ibid p. 39

.. \

(32)

le sanatorium. Il est fou et incurable.

L'aventure, un monde bizarre? Ce n'est que le commencemento Un jeune médecin, â qui Cendrars donne le nom de Raymond la Science, s'intéresse à Moravagine. Ce jeune homme a le désir d'ouvrir les portes des prisons, des hospices de fous pour "étu-dier le dévelo'Ppement d'une vie humaine inattendue." (1)

Dans Moravagine il tr0':lve "l'individu sU'Perbe qui devait me fai-re assister à un tel spectacle de révolution et de transformation, au chambardement de toutes les valeurs sociales et de la vie." (2)

Moravagine s'échappe du sanatorium avec l'aide de Raymond. Le jeune médecin se moque du monde.

"Qu'était à. mes yeux un assassinat de plus ou de moins dans le monde et la découverte d'un nouveau petit ca-davre de jeune fille impUbère 1" (3 )

Moravagine s'échappe, un couteau sanglant à la main. Il a tué une fille. Une randonnée qui durera plus de dix ans cormnence. Parmi les épisodes d'aventure dans ce roman, il y en a deux qui sont les plus grands et les plus importants. Nous allons examiner ces deux épisodes pour en' dégager l'idée de l'aventure et pour déterminer le sens de l'aventure.

Le premier épisode dont il faut parler se situe en Russie où Moravagine et Raymond arrivent à la fin de septembre 1904.

"La guerre russo-japonaise tirait à sa fin; les pre-miers craquements de la révolution se faisaient en-tendre.1I

(4)

Il est utile de noter que l'auteur, après sa fuite de la maison

(1) Cendrars Moravagine p. 20 (2) Ibid p. 20

(3) Ibid p. 39

(4)

Ibid p.

54

(33)

paternelle, se tro~vait en Russie à la même époque. Les souvenirs de ce moment sont pour l'écrivain un terrain fertile pour les aventures de Moravagineo

En Russie Moravagine se pbnge dans la vie active. Les deux hommes travaillent avec les comités de Genève, de Zurich, de Londres et de Paris.

"Nous soutenions également les anarchistes russes et internationaux." (1)

Pour Moravagine c'est la vie, tout est action. Il s'amuse beau-coup à jouer son rôle dans cette aventure. Il met une grande par-tie de sa fortune qu'il a retrouvée à Francfort chez le banquier secret de sa famille, dans le trésor du parti révolutionnaire. Moravagine et R~ond habitent dans les ghettos des villes rus-ses, souvent dans la misère. Cette situation est répugnante pour Raymond mais pour Moravagine ce n'est qu'une partie du jeu. Ray-mond nous donne la réaction de son compagnon à cette vie.

"Lui était à l'ais e partout et je ne l'ai jamais vu aussi gai, bavard, insoucient, qu'à cette époque." (2) Comme un véritable aventurier, Moravagine agit sans s'occu-per des conséquences. Selon le principe de l'auteur, vivre

c'est agir. L'action est la libératrice et quand on agit il faut toujours aller plus loin.

Raymond et Moravagine participent à l'activité d'un groupe d'agents indicateurs et provocateurs. Ces personnes profitent de n'importe quel incident Imcal pour aigrir les choses, exciter

(1) Cendrars Moravagine p.

54

(2) Ibid p.

58

(34)

les gens, provoqŒer les partis, faire éclater les bombes, Vider les trésors, toutes les actions révolutionnaires. La vie était dange-reuse.

"Notre état d'esprit était effrayant et notre vie épouvantable. Nous étions pistés, nous étions tra-qŒés. Notre 'signalement était tiré à cent mUle exemplaires et affiché partout." (1)

Cette vie de révolutionnaire est souvent difficile à soutenir. L'auteur veut montrer que cette vie n'est pas pour les timides, pour ceux qŒi perdent courage facilement.

n

est évident que le héros du roman n'est pas de ce genre d'hommeso Le moment arrive

pour la plupart de ces révolutionnaires, où l'on se sent

à

bout, où l'on est presqŒe prêt

à

abandonner l'affaire et puis l'ins-tant d'après, i l y a de l'action et avec l'action vient un op-timisme que l'auteur propose comme "un opop-timisme inhérent, pro-pre, conditionnel

à

l'action et sans leqŒel elle ne pourrait se déclencher." (2) Moravagine a toujours cette renaissance de l'esprit.

Avec cette vie d'action Moravagine a aussi une aventure amoureuse. Il s'est lié avec une Juive lithuanienne nommée Mas-cha. Cette femme était ordinairement cruelle, logique et froi-de. Quand elle était près de Moravagine, c'était une femme dif-férente.

"Elle devenait vulgaire, larmoyante, sensuelle et lubrique, et Moravagine la tourmentait beaucoup." (3) Cette liaison a beaucoup amusé Moravagine et lentement il

dé-(1) Cendrars Moravagine p. 67 (2) Ibid p. 11

(35)

truit cette femme. Elle ne peut plus prendre une part effective dans les coups portés par le groupe révolutionnaire. Elle devient suspecte, on pense qu'elle va trahir le parti. Elle devient en-ceinte et on décide de l'env~er sur la frontière finlandaise pour l'éloigner du groupe. Moravagine ne s'occupe plus d'elle.

Un grand attentat contre le tsar échoue et i l faut que Raymond et Moravagine se sauvent. Partout les révolutionnaires sont pris, torturés et pendus. Les deux fugitifs réussissent à s'échapper dans un wagon qui contient des tonneaux truqués. Avant de s'ins-taller dans l'un des tonneaux, Raymond découvre un pendu.

"Une femme. Des robes. Une main. Le petit faisceau de la lampe fait des trous dans la robe. Un châle boueux. Un corsage à fleurs. Et ••• Et ••• une tête ••• le visage ••• Mascha ! ... Entre ses jam-bes pend un foetus grimaçant." (1)

Moravagine ne veut pas la décrocher.

- 32

"Elle voyagera avec nous. Elle nous portera bonheur. Il (~) Cette aventure finie, i l faut en chercher une autre, car il

faut toujours aller plus loin.

Le s.econd épiSOde de l'aventure que nous allons examiner est celui qui se passe chez les Indiens bleus du Vénézuela. Aprês quelques randonnées aux Etats-Unis, un séjour de six mois chez les Indiens Jemez au Mexique, et une courte aventu-re à la Nouvelle-Orléans - où Lathuille, factotum de Morava-gine et Raymond, allait prendre une femme, mais il avait dé-cidé de s'enfuit - les trois hommes se trouvent à bord d'un

(36)

vapeur qui se rend à l'embouchure de l'Orénoque au Vénézuela. Dans une sorte de chaloupe les trois hommes se mettent à remon-ter le cours de la rivière.

"Nous remontions l'Orénoque sans parler. Cela dura des semaines, des mois. Il faisait une chaleur d'étuve." (1)

Ce vqyage et cette vie sont très durs et ils souffrent beau-coup.

"Nous nous bourrions de qUJ.mnee Nous avions la

nausée. Nos avirons mollissaient dans la chaleur. Nos vêtements se recouvraient de moisissures." (2) Les voyageurs sont souvent menacés par les Indiens. Lathuil-le qui était en train de mourir, est achevé par Lathuil-les Indiens bLathuil-leus. Moravagine et-Raymond sont faits prisonniers et emmenés au vil-lage des Indiens.

Moravagine, toujours le héros, arrange la situation. Il a organisé la fuite de Russie et maintenant il dominera l'affaire avec les Indiens. Ces derniers ont fait de l'homme une espèce de dieu. C'e~\t une pratique religieuse qui doit être terminée par l'irrnnolation de cet homme dieu. Moravagine échappe à ce destin et devient maître de la situation.

En faisant l'amour aux femmes, Moravagine inaugure un nou-veau culte pour les femmes indiennes. Bientôt presque toutes les femmes sont du côté de ce prophète du culte nouveau.

"Toutes les femmes des chefs m'étaient acquises. Les filles du peuple étaient initiées." (3)

Chaque jour il y a de nouvelles recrues.

(1) Cendrars Moravagine pé 160 (2) Ibid p. 163

(37)

"Je leur enseignais une danse nouvelle, un culte et des cérémonies dont elles-mêmes étaient l'objet. Je leur prêchais l'émancipation, je leur annonçais la venue d'une fille née de leurs enlacements, Sa-pho, la rédemptrice, je leur proposais la forma-tion d'un grand collège de chefesses."

(1)

Les femmes mariées sacrifient à Moravagine leurs nouveaux-nés et chaque jeune fille, son frère de sang.

Moravagine, homme-dieu, prophète, commence la fuite d~ns une flotille de pirogues, suivi de sa bande de femmes. Raymond, ma-lade et délirant depuis des semaines, est embarqué et emporté par Moravagine.

Ce voyage, qui dure dix-sept·semaines, est marqué, comme la plupart des aventures de Moravagine, par la violence et la mort. Chaque soir dans un camp, devant un grand feu, Moravagine fait boire du vin de palme aux femmes.

" ••• on célébrait une vaste orgie qui s'achevait par le sacrifice de l'une d'elles

a

qui j'ouvrais le ventre." (2)

Le groupe est réduit régulièrement par les sacrifices, la mort d'inanition de beaucoup de femmes et le retour de plusieurs à leurs villages. Raymond et Moravagine arrivent finalement à un vapeur brésilien qui va à Marseille, et tous les deux retourment

en France.

Moravagine meurt en

1917

dans un centre psychiatrique après une courte carrière d'aviateur pendant la Première Guerre Mon-diale.

(1)

Cendrars Moravagine p.

176

(2)

Ibid p.

177

(38)

Nous avons vu les épisodes les plus importants de l'aventure dans ce roman pour établir une idée de la sorte d'aventure qu'on y trouve. Il est évident qu'il ne manque rien à cette histoire

en matière d'aventure. C'est de l'aventure illimitée.

L'auteur n'acceptait pas de limites dans sa propre vie. Il ne voulait pas se conformer à l'ordre social qui fait la vie quotidienne. Il était de l'opinion que le seul produit de cette vie est l'ennui. Le seul moyen de s'échapper de cette vie mono-tone est l'action. Il a franchi les barrières de la vie ordinai-re par une carrièordinai-re d'action extraordinaiordinai-re que nous avons déjà montrée au chapitre premier de cette étude.

Il est évident pour le lecteur que dans le roman que nous ve-.. nons d'examiner il n~'Y a pas de limites pour l'auteur. Il n 'y a

pas la conformité à la littérature ordinaire. Il y a ici la li-bération de tout, les pensées, l'ordre et le langage. Cette his-toire avance, comme la vie de Cendrars, avec une vitesse verti-gineuse. Mais écrire c'est aussi agir, c'est l'action. Il faut encore une fois franchir les "barrières de la littérature et de la conformité.

"Mais ce que j'ai surtout pris en dégoût, c'est la littérature - ses besognes, ses pensums - et la vie

artificielle et conformiste que mènent les écrivains." (1) "Je suis un homme libre. Je suis indépendant." (2)

Cette liberté d'agir, qui était le premier principe de la vie de Cendrars, devient le premier principe de sa littérature. Cette idée est tout à fait évidente dans son roman Moravagine.

(1) Cendrars Moravagine p. 227 (2) ~ p. 228

(39)

CHAPITRE IV

DAN YACK

Les deux livres, Le Plan de l'Aiguille et Les Confessions de Dan Yack, qui forment en deux tomes l'histoire de Dan Yack, ont été publiés en 1929. Les dates placées à la fin de chaque tome

'"

par l'auteur marquent la période de 1917 à 1929. Il a porté dans sa tête pendant cette période les idées pour cette histoire. Cendrars a beaucoup voyagé pendant ce's années et les lieux men-tionnés avec ces dates sont les suivants : Paris, Chamonix, Gre-noble, Saint-Bertrand-de-Comminges, Bruxelles, Sao-Paulo, Rio-de-Janeiro, La Négresse, L'Angostura, Santos, L'Escarayol, La Redonne, Rue des Marronniers, Les Artigaux, Le Bastat, Le Trem-blay-sur-Mauldre et aussi il ajoute "Enregistré quelque part à la campagne: été 1929".

Il y a une double utilité à cette liste de dates et de lieux. D'abord i l est important de noter que l'auteur n'est pas un écrivain qui reste dans son bureau, èomme beaucoup d'autres, pour créer ses histoires. Nous allons montrer dans la conclu-sion de cette étude l'importance de cette idée chez Cendrars. Il est aussi avantageux de voir que parmi les endroits mention-nés dans cette liste, il y en a quelques-uns qui se présentent dabs l'histoire de Dan Yack. Les expériences de l'auteur ont beaucoup profité à ses écrits. Il y ajoute des souvenirs des

(40)

p~s et des hommes dont il a fait la connaissance. Comme résul-tat de ce phénom~ne, "ses livres s'augmentent sans cesse d'une foule de détails, de réflexions, de connaissances vraies, qui sont des documents de prerni~re main et qui viennent tous direc-tement du contact avec le monde lui-même." (1)

Dan Yack, le héros de ce roman, peut symboliser l'homme mo-derne. Il est dégoûté de la vie, cette vie qui lui semble ab-surde, et au lieu de tenir en place, il décide de s'évader de cette vie monotone. Il s'agit toujours du même motif, le mou-vement presque perpétuel qui était le principe de la vie de Cendrars et qui sert aussi de principe

à

ses oeuvres. Ce ro-man, comme la vie de l'auteur et comme ses autres ouvrages, est basé sur le verbe agir. Il faut agir, il faut toujours aller plus loin.

Dan Yack est un riche anglais. Il est le seul héritier de la firme "William and William, Armateurs". A Saint-Pétersbourg sa maîtresse vient de le quitter pour un prince russe. Il est vraiment frappé par cet événement et très malheureux. Il est également ivre.

"Tout tourne autour de lui. Il sent son ivresse le reprendre. Il perd toute notion. Tout tour-ne. Il n'a qU'un seul sentiment, celui d'être malheureux." (2)

Fatigué de la vie qu'il m~ne et poussé par la perte d'Hed-wiga, sa maîtresse, Dan Yack s'échappera et ce sera l'évasion

(1) J.H. Lévesque Blaise Cendrars p. 67

(2) Blaise Cendrars Le Plan è l'Aiguille,Oeuvres Complètes, Editions

(41)

complète. Il propose à trois artistes qui ont aussi assez de la vie qu'ils mènent,

"un voyage autour du monde et un établissement, met-tons d'un an, dans une île qui ne sera qu'à nous quatre." (1)

Ces trois artistes sont Arkadie Goiscbman, poète juif; Ivan Sa-bakoff, sculpteur; et André Lamont, musicien. Dans cet établis-sernent, chacun de ces artistes peut vivre et travailler et Dan Yack qui ne sait rien de l'art, et qui n'a jamais lu un livre, peut écouter les disques de ses phonographes.

L'évasion est complète pour Dan Yack et ses compagnons,. mais

.J

le héros du roman sera le seul à en jouir et le seul à y sur-vivre.

Sur l'île Struge les quatre hommes passent un hiver rigou-reux. Les artistes, ennuyés par la solitude, commencent à abandonner leur travail. Dan Yack est le seul à profiter de la solitude pour se sentir renaître.

"Dan Yack n'avait que trois soucis: celui de l'heu-re, la crainte de casser son monocle et cette chas-teté encombrante dont il ne savait pas que faire." (2) Les trois artistes meurent, leur monde détruit. Lamont

s'enfuit dans une tempête et se perd, Goischman après s'être coupé le nez dans un geste à la Van Gogh et l'avoir offert à Dan Yack, meurt du scorbut et de folie dans son fauteuil, et Sabakoff qui voulait sculpter son chef-d'oeuvre dans la glace, est écrasé par sa statue.

(1) Cendrars Le Plan de l'Aiguille p. 20 (2) Ibid p.

50

(42)

Le héros seul survit parce qu'il savait vivre, il savait lutter.

Dans le second tome, Les Confessions de Dan Yack, en se souvenant de cet événement, le héros explique que dans la maison il faisait autant de bruit que possible avec ses pho-nographes et ses gramophones. Pour quelle raison?

" ••• pour ne pas percevoir, dans le vacarme universel de la tempête, la plainte dominante de mes silencieux compag~ons. C'était ma façon à moi de me défendre, car je veux vivre ! Ar-kadie Goiscrunan, André Lamont et toi petit Ivan, que me voulez-vous ? Je ne partage pas plus aujourd'hui vos souffrances ,que je n'ai jamais compris vos angoisses, vos rêves et pourquoi vous êtes morts d'impuissance en voulant vivre votre vie." (1)

La maison est détruite par la tempête et Dan Yack reste seul sur l'Île.

"Il neige toujours. Tout est blanc. Le vent s'est enfin tu. Quel silence! Dan Yack ne cherche pas. Il ne veut rien." (2)

Quand un bateau arrive à l'île, le héros d'abord ne veut pas quitter son refuge.

"Il était si bien tout seul.1I (3)

Mais comme s'il avait été poussé 'par quelqu'un derrière lui, il fait quelques pas vers le bateau et après avoir fait les pas les plus difficiles pour lui, il décide de monter à bord. Départ pour Chiloé.

Cette aventure spirituelle finie, Dan Yack va se

récon-(1)

(2)

(3)

Cendrars Les Confessions de Dan Yack,

Deno~l Paris 1960 tome III p. 199 Cendrars Le Plan è l'Aiguille p. 77 Ibid p.

86

(43)

cmlier avec les hommes. Il faut qu'il s'engage de nouveau dans l'action. Il Y aura pour lui une nouvelle aventure

à

vivre et si celle-ci se termine dans le désastre, tant pis, au moins il aura agi, il aura fait quelque chose de nouveau.

A Chiloé, Dan Yack arrange une affaire avec un homme nommé Hortalez, pour créer à Port~Déception une communauté de pê-chenrs de baleines et une industrie. Il est saisi d'un désir d'action et il est prêt à agir. Comment agit cet aventurier? Ses sentiments se trouvent dans une question qu'il pose à Hortalez :

IIEt ne voulez-vous pas vous amuser, c'est-à-dire détruire, créer, réussir, perdre? Bref, faire quelque chose de- nouveau et de gai, sans autre arrière-pensée que de jouir, jouir de la minute présente, flottante, incertaine, fugitive et pourtant violente comme un explosif. Il (1)

Voilà donc la formule d'un homme qui est prêt encore une fois à se jeter à corps perdu dans l'aventure. Cette idée du héros est facile à comprendre, c'était aussi la formule de la vie de Cendrars.

Dan Yack se réconcilie avec les hommes et sans penser au passé, il peut se perdre dans leurs vies et dans leurs tra-vaux.

"Il faut que je leur fasse leur vie. Il faut que je leur fasse leu.r fortune. J'en ai assez de gagner de l'argent. Il était prêt à partager tout ce qu'il possédait.1I (2)

(1) Cendrars Le Plan de l'Aiguille p. 98 (2) Ibid p. 108

Références

Documents relatifs

Cette quête, dans le cas de l´œuvre de Catherine Mavrikakis, cherche des réponses dans la mémoire paternelle, et, dans le roman de Carola Saavedra, dépasse les trois

L’intérêt de l’étude de l’Ethos dans un corpus de chroniques journalistiques numérisé était de s’intéresser à la notion d’ethos contenu dans l’article qui

Je présente dans ce travail la création en ligne d’une production d’un conte réalisé par des apprenants lors d’une séance de Travaux Dirigés en situation de français

Les postes fédérales allemandes absorbent de leur côté les postes de Bavières et du Wurtemberg; en 1923 est créée.le VIAG (Entreprises Industrielles Réunies) pour

Dans le cas du scara- bée sacré qui roule sa pilule de crottin, étant donné sa rareté, nous avons gardé un spécimen quelques semaines en terrarium en lui

Défavorable au projet , comporte neuf thèmes différents Certains de ces thèmes sont spécifiques au dossier , d’autres plus généraux : potentiel éolien , d’ordre

aujourd’hui, un truc de fous est arrivé. J’ai fait une journée shopping entre filles avec Zoé. Dans un magasin, j’ai acheté un sac très joli et j’ai vite rangé toutes

Les élèves du canton de Neuchâtel doivent remplir les conditions ci-dessous à la fin du 1 e semestre de la 11 e année pour s’inscrire ET à la fin de la 11 e année pour être admis