ANALYSES ET
COMPTES-RENDU S
Eiliv SI%ARD .
Matta
i Historia Norrveti'ine . (Skrifter utgitt av De t Norske Videnskaps-Akademi i Oslo II . Hist . — Filos . Klass e1930 . N° 5 .) Oslo, 86 p ., Kr . 5,00 .
Tandis que la Norvège au moyen âge a produit une littérature extrêmement riche en langue nationale, un tout petit volume suffit pour con -tenir les textes latins de ce pays septentrional' . Un de ces textes, l'ano-nyme histoire de la Norvège (historia Norwegiae), connue déjà. au x lecteurs de l ' Alma par une étude brillante de M . Koht 2 , forme l'objet d u
travail de M . Skard .
Après quelques remarques préliminaires, dirigées contre la critiqu e trop rigoureuse des anciens éditeurs, le savant norvégien analyse les par-ticularités linguistiques et stylistiques de son texte pour terminer pa r une étude des différentes sources directes et indirectes de l ' auteur ano-nyme . Celui-ci ne serait pas un ecclésiastique étranger : son livre abond e
en ►p ots norvégiens, et il est tellement familier avec les moeurs des indi -gènes, que M . Skard a raison de mettre hors de doute la nationalité de son auteur . Mais 1'eeuvre de l'historien médiéval étant accessible au pu-blic lettré du monde entier, on voit â regret que son compatriote d u vingtième siècle s'adresse au public si restreint de la nouvelle langu e norvégienne, dite « landsmaal n . Ceci est regrettable d 'abord parce que
sa monographie mériterait d'être lue par tous les amateurs du latin médié-val, ruais surtout parce que c'est un péché contre l'esprit scientifique d u moyen âge .
Le travail s ' ouvre par un chapitre, où M . Sitar(' en s ' appuyant sur la Vulgate et sur le texte mémo de l'historia Norr.regiae maintient plusieur s leçons du manuscrit, rejetées par Storm, e . g . l'emploi du participe a u lieu de l' indicatif (type : Olavus regi regum eoncilians omnes compatrio-tas suos), emploi très fréquent en latin médiéval et qui remonte à l a Vulgate, sans qu ' il s ' agisse d ' influence sémitique . Comme l 'usage est en-raciné dans les langues indo-européennes 3 , on dirait tout au plus que l e
Monumeata Historien Norvegine, éd . G . Storm . Kristianiu, 1880, 291 p . 2. Archivuns Latinilatis Medii Aeri, II (1925), p . 94 .
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47 contact de l ' hébreu ait développé une disposition préexistante i . Il arriv e que les conjectures de Storm se confirment grâce aux sources décou-vertes par M . Skard, qui n'exagère jamais la critique conservatrice e n prenant pour faits linguistiques les fautes manifestes des copistes .
Le vocabulaire est traité en trois parties . La première (A) comprend : 1° les noms propres ; 2° les mots norvégiens ; 3° les mots grecs ; 4° le s mots des langues populaires . La seconde (B) comprend le reste du vocabulaire, arrangé selon les différentes parties du discours, parmi les -quelles figurent les formes latinisées medo, sabellus et d ' autres emprunt s des langues barbares, qu ' on cherche en vain sous A 4 ; on rencontre de s remarques sémasiologiques môme dans la syntaxe (p . 34 cervus — reno) . Il me semble qu ' il aurait mieux valu recueillir et faire ressortir les élé-ments nouveaux du latin médiéval (Il A 2, 4, et Il B a) . La troisièm e partie de ce chapitre est pleine d'observatidns sémantiques très fé-condes, bien qu'on y rencontre des choses assez hétérogènes ; M . Skard enregistre provincia au sens administratif de « fylke », patria signifiant à peu près la mérne chose que terra en Danemark (« territorium commu-nibus
legibus
comitiisque utens s, Storm) et toutes les autres innovation s purement médiévales, dues à la transformation de la société humaine , sous la mémo rubrique que vectigal = vchiculum (à cause de vebi), un d e ces néologismes maniérés, dont on trouve des parallèles chez certains auteurs de la basse latinité, connus pour leur style recherché (Apulée , Fulgence, etc .) . Ici nous n'avons qu'une tendance déjà existante qui n' a pas cessé de se développer durant le moyen âge . Quant à glisco =ca m
/brore eupere, voir maintenant Thes,ling .
lat . VI 2048, 29 .Une seule page est consacrée à la morphologie (confusion des
gener a
verbi), ce qui d'ailleurs est tout naturel . Par contre la syntaxe s'étend d e la page 25 à la page44 ;
l'indicatif des propositions interrogatives su-bordonnées n'est pas étranger à la langue latine même avant la Vulgate , et si l ' on veut continuer à parler de grécisrne, c ' est tout au plus dans l e sens limité que nous avons indiqué au-dessus . Reste le traité de stylis-tique en vingt paragraphes — pour faire nombre ; car la « périphrase adu neuvième paragraphe est une espèce de « variatio sermonis » du si-xième ; les exemples sont les Mmes .
Mais tout cela ne sont que des chicanes de détail . Grâce à sa connais-sance approfondie de grammaire et de style, M . Skard peut s'enfonce r dans les questions des modèles littéraires . Il va de soi que le texte es t
1 . Ce phénomène n'est pas rare, cf . Gauthiot, Bull . de la Soc . de ling ., n . 52 , p . 26, et Brugmann, Die Syntax des ein/acheu Satzes, 1925, p . 62. La répétition d u pronom démonstratif après le relatif en latin n'est pas due à l'influence de l'hé-breu non plus (type : Yulg., Luc ., 3, 16, emus non soon dignus solvere corrigiu m ca1eeamentorum eius) .
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tissu de réminiscences bibliques ; mais une seule fois les mots a ond e scriptum est » signalent la source : aussi cette citation repose-t-elle sur un modèle contemporain .
L ' auteur anonyme ne connaîtrait la littérature classique que par de s anthologies — cela est vraisemblable pour les prosateurs ; quant au x poètes, Skard me semble trop prudent : sans doute cet a ecclésiastiqu e prominent » a su par coeur son Virgile .
Est-il possible de voir dans notre texte les traces de la littérature con-temporaine? Voilà la dernière question que se pose M . Skard . Il la résou t de cette manière : une ressemblance de langue n ' est pas la preuve suffi -sante d ' un emprunt ; encore qu ' il y ait quelques ressemblances de langu e entre l' historia Norn'egiae et Bède, Guillaume de Jumièges, Otto de Frei -sing et d ' autres contemporains que Skard a dépouillés, on ne peut pa s affirmer qu ' ils aient fourni des clichés à notre auteur . Pour qu ' on parl e d ' emprunt, il faut qu 'il y ait concordance de matière et de langue ; un e telle concordance est possible entre l ' historia Nora'ebiaeet Ordericus Vi-talis ; mais ce qu'il y a de plus sûr, c'est que notre auteur cite un passag e de Solin non selon l'original, mais dans la forme qu ' il revêt chez Hono-rius dit « d ' Autun » dans son encyclopédie fameuse (De imagine inondi) ; la clef une fuis trouvée, M . Skard est capable de découvrir les autres mor -ceaux empruntés au même auteur (le prologue) . Le nom de Solin es t plus digne de confiance ; c ' est pourquoi le nom de l' intermédiaire médié-val est supprimé . Ce procédé remonte à l ' antiquité et se continue jus-qu ' après la Renaissance . Que notre auteur anonyme dépende en grand e partie d ' Adam de Brème — comme beaucoup d' historiens nordiques — et qu ' il ait employé une chronique anglaise, on le savait déjà ; c'est l e mérite de Skard d'y avoir joint une nouvelle source par une méthod e sobre et solide, digne d ' imitation .
Franz BLATT .
Aarhus(Danemark) .