EFFETS CONTRADICTOIRES DE L’UTILISATION
D’UN LOGICIEL DE SIMULATION EN MATHÉMATIQUES
ET EN SCIENCES PHYSIQUES
Jean-Michel BAZIN
I.U.F.M. de Reims
MOTS-CLÉS : SIMULATION - CABRIGÉOMÈTRE - INDUCTION - DÉDUCTION
RÉSUMÉ : L'expérimentation directe est à la base des processus d'apprentissage dans les sciences
expérimentales. À partir d'observations concrètes, l'apprenant est invité à induire des lois physiques, des principes et des règles. Cette situation a conduit à l'apparition de nombreux logiciels de simulation dont l’usage se répand aussi dans l’enseignement des mathématiques. Nous présentons un problème illustrant les effets inattendus de l’utilisation de tels logiciels dans une situation interdisciplinaire mettant en jeu les Mathématiques et les Sciences Physiques.
SUMMARY : Direct experimentation is at the root of learning processes in the experimental sciences.
From concrete observations, the learner is invited to induce physical laws, principles and rules. This situation leads to the apparition of many simulation application softwares whose use takes hold in the mathematics learning too. We present a problem illustrating the unexpected effects of the uses of such softwares in a interdisciplinary situations bringing into play mathematics and physics.
A
B
Rivière 1. INTRODUCTION
La question de l’intégration des TICE se pose actuellement en termes d’évaluation. Dans cet article, nous présentons un exemple de difficulté pédagogique posé par l’utilisation d’un logiciel de simulation dans le cadre d’une situation interdisciplinaire en Mathématiques et en Sciences Physiques. Après avoir décrit la situation-problème proposée à une classe de terminale scientifique, nous décrirons les réactions des élèves, puis nous montrerons que l’usage de la simulation instrumentée par l’ordinateur crée des difficultés pédagogiques lorsque l’enseignant veut institutionnaliser les résultats conjecturés à l’aide de la simulation.
2. LA SITUATION PROBLÈME
Dans cette section après avoir présenté le problème tel qu’il a été posé aux élèves, nous en faisons précisons les solutions attendues, puis nous nous intéressons aux effets d’apprentissages que nous attendions de la séance.
2.1 Le travail demandé aux élèves
Voici le problème, comportant 3 questions, tel qu'il a été posé aux élèves.
Le problème est constitué de 3 questions. Pour les questions 1 et 2, nous vous demandons d’utiliser le fichier simul.fig sous cabri géomètre et de déterminer une position approximative du point demandé.
Question 1 : Un promeneur désire aller de la ville A à la ville B. Il veut s’arrêter pique-niquer au bord de la rivière. Déterminez le point C appartenant à la droite D qui minimise la distance AC+CB.
Échelle 3 cm pour 1 km.
Question 2 : (voir figure dans la section solution, le schéma proposé aux élèves ne faisait pas apparaître les forces F1 et F2).
A est un point immobile. La ficelle est fixée en A, et passe par le point C assujetti à translater sur le plan D sans frottement. Le mouvement de celui-ci est transmis par la chute du solide P via la poulie B tournant autour de son axe sans frottements." Au départ de l’expérimentation, le point C est confondu avec la projection orthogonale de A sur la droite D. On lâche le point C. Le système évolue jusqu'à l’équilibre lorsque le poids P est à son point le plus bas. Soit C1 la position du point C. On recommence l’expérience en plaçant le point C sur la projection orthogonale de B sur D, et le système se stabilise à nouveau. Soit C2 la nouvelle position du point C. Montrez que C1 et C2 sont confondus.
A B C P O x 1 Fr 2 Fr D
Question 3 : Montrez que la méthode utilisée pour trouver la position du point C dans le problème 1 peut s’appliquer pour obtenir la position du point C dans le problème 2.
2.2 Solution succincte du problème
Solution du problème 1 : On considère le point B’ symétrique de B par rapport à la droite (D). Le segment AB’ coupe la droite (D) en un point C0. En appliquant l’inégalité triangulaire on montre que le point C0 est le point qui minimise la somme AC+CB.
Solution du problème 2 :
À l'équilibre, si le système est supposé
sans frottements et la ficelle inextensible, alors les normes des forces F1
r
et F2
r
sont égales En projetant les vecteurs F1 et F2
sur la droite D, on obtient l’égalité suivante : |F1 cos (AC1D)| = |F2
cos(BC1D)|, comme les forces F1 et F2
sont égales en module, on en déduit que les angles AC1D et BC1D sont égaux.
Cela signifie que la droite (AC1) est
symétrique de la droite (BC1) par rapport à D. Donc C1 et C2 sont confondus.
Question 3 : AC1 et BC1 étant symétrique par rapport à D, on peut en conclure que la droite (AC1)
passe par B’ symétrique de B par rapport à D. Ainsi la méthode utilisée pour résoudre la question 1 permet de trouver le même point que celui trouvé dans la question 2.
2.3 Effets attendus
Ce travail nous intéresse pour deux raisons.
- Il permet aux élèves d’utiliser cabri-géomètre pour réaliser une simulation mathématique, ce qui permet de raccourcir considérablement le temps passé pour construire « à la main » différentes situations expérimentales. De plus, il permet de visualiser, en temps réel la distance AC+CB.
- Par ailleurs, le fait de manipuler directement le point C par l’intermédiaire de la souris, place les élèves en situation d’interactivité avec le logiciel, et renforce de ce fait, à la fois le phénomène de dévolution et l’intérêt exploratoire, concret et matériel d’une situation problème.
Cependant, l’usage du logiciel dans cette situation de simulation induit d’autres effets pédagogiques inattendus.
3. LES RÉACTIONS DES ÉLÈVES
Le fait d’avoir choisi une situation concrète (le problème du promeneur) assez facile à comprendre a intéressé les élèves et ils se sont assez rapidement approprié le problème à résoudre. De plus, le mode de fonctionnement ludique (et extrêmement facile) du logiciel est un facteur facilitant la dévolution du problème. Par ailleurs, nous avons évité de répondre aux questionnements des élèves lorsqu’ils nous demandaient s’ils avaient trouvé la « bonne solution », si leurs résultats étaient justes ou « pas trop » éloignés de « la vérité ».
La multiplication des essais-erreurs, la position approximative du point C (que ce soit dans la question 1 ou la question 2) a donné non pas un seul point, mais un segment solution.
Cette imprécision est liée au fait que la valeur numérique affichée par la calculatrice de cabri était fixée à deux décimales. Nous avions prévu cela afin que justement, la solution trouvée soit une zone, mais pas un point exact.
Mais, lorsque cette zone a été trouvée, les élèves n’ont plus du tout été motivés par la phase déductive. La démonstration nécessaire à la détermination exacte du résultat a été très pénible à mettre en place. Il était clair pour les élèves que, puisqu’ils avaient obtenu une approximation qu’ils jugeaient « satisfaisante » du résultat, il était « inutile » de réaliser une démonstration. Cette situation est analogue à ce qui est constaté avec la recherche par approximation successive du point d’intersection d’une courbe avec un axe au cours de l’utilisation d’une calculatrice graphique.
Ces différentes difficultés illustrent les différents mécanismes contradictoires qui sont mis en jeux dans l’utilisation des systèmes de simulation dans un contexte pédagogique.
4. AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DE LA SIMULATION RÉVÉLÉS PAR CETTE UTILISATION DU LOGICIEL
Utiliser un ordinateur pour simuler des phénomènes mathématiques ou physiques révèle des difficultés liées à la différence de démarches utilisées par le professeur de mathématiques et le professeur de sciences physiques, nécessite un dosage savant concernant le nombre d’expérimentation à répéter avant de passer à la phase d’institutionnalisation et pose aussi des problèmes épistémologiques relativement à la nature des phénomènes simulés.
L’activité du professeur de physique (et plus généralement de sciences expérimentales) est généralement une démarche inductive souvent vécue par les élèves comme la succession des actions suivantes : observation d’un phénomène, répétition de ce phénomène en modifiant certains paramètres, mise en évidence d’un invariant reliant certaines variables, validation institutionnelle par l’enseignant qui énonce une loi, un principe ou une règle, renforcement de la valeur de vérité de la loi physique par répétition d’exercices prédictifs.
Insistons sur le fait que l’institutionnalisation consiste pour l’enseignant à ratifier, à valider des conjectures dont l’émergence a été guidée par des expérimentations préalables habilement choisies.
L’activité du professeur de mathématique est elle aussi marquée par une démarche inductive, suivie le plus souvent d’une démarche déductive présentée explicitement aux élèves ou parfois évoquée par le fameux « on démontre et nous admettrons ». C’est classiquement ce schéma qui prévaut dans les recherches de lieux géométriques par exemple.
Dans notre exemple, le fait de pouvoir simuler les différentes positions du point C, de pouvoir agir kinésiquement sur la position de ce point par l’intermédiaire de la souris, place les élèves dans un univers expérimental extrêmement fructueux, extrêmement concret, mais qui a l’inconvénient majeur de renforcer progressivement la valeur de certitude du résultat expérimental trouvé en amoindrissant considérablement la nécessité et l’utilité de la démarche déductive mise en œuvre par l’introduction du point B’ symétrique de B par rapport à (D). A fortiori, la question 3 apparaît comme totalement dénuée d’intérêt, puisque toutes les configurations simulées à l’écran donnent un résultat identique pour les deux problèmes.
Pour être utile, l’utilisation des systèmes de simulation informatisée doit être le résultat d’une alchimie pédagogique savante, d’un dosage entre deux tendances antagonistes : d’une part, il faut répéter suffisamment les expériences pour arriver à faire émerger une conjecture ainsi que l’appropriation du phénomène surprenant observé sans explication évidente, mais d’autre part, il est nécessaire de contrôler le nombre de ces expériences afin que le doute, l’incertitude scientifique rende nécessaire la mise en œuvre d’une institutionnalisation soit par l’énoncé de la loi par le professeur, soit par la production d’une démonstration formelle.
Enfin, comme c’est souvent le cas dans les problèmes des simulations informatisées, la pixellisation des images conduit à simuler des phénomènes continus avec des représentations discrètes, et de ce point de vue, il est difficile de juger des effets à longs termes d’une telle approximation dans les représentations construites par les élèves.
5. CONCLUSION
Dans le modèle constructiviste qui prévaut dans notre système pédagogique, les élèves doivent être actifs, co-constructeurs de leurs connaissances. Dans cet exemple, nous avons montré que l’action de l’élève, instrumentée par un logiciel de simulation, peut avoir des effets contradictoires. D’une part, l’usage du logiciel permet à l’utilisateur d’explorer des situations variées, diverses, et de ce point de vue l’élève est actif en ce sens qu’il fait « quelque chose ». Mais dans le cas particulier décrit ci-dessus, il apparaît clairement que les effets induits par l’activité de l’élève s’opposent précisément à l’objectif didactique de l’enseignant. S’il est d’usage d’affirmer que l’interaction homme / machine fait circuler du sens entre la machine et l’élève, il faut noter ici que le professeur devient très rapidement absent des représentations construites par l’élève. L’enseignant se retrouve alors dans une situation paradoxale : en plaçant les élèves en situation d’activité, il les conduit à construire des représentations (dans notre exemple la coïncidence des solutions) tellement fortes, que l’institutionnalisation « hypothético-déductive » de la propriété conjecturée, est vécue par les élèves, a
posteriori, comme une démarche inutile. C’est tout le dosage de l’intégration des TICE qui est illustré
par cette exemple de situation.
BIBLIOGRAPHIE
TROUCHE L., Profession enseignant. Les maths en collège et au lycée, 1997, Pierre Legrand. EMP http://perso.wanadoo.fr/emprin.zakreta/paradoxe/
NES http://www.ac-amiens.fr/college80/pasteur_nesle/maths/