DE PAUL BOu'RGET
par
Norah 'i'f. Hardy
These presentee pour l'obtention de la
maitrise es arts
Introduction
...
page 1. L'Auteur···•···
"
6.
Le Cadre...
"
18. L'Etude de l'amour ••••••••••••••••••••••• 1f 24. La Te chn.i que ••••••••••••••••••••••••••••• n 74. Jugement ••••••••••••••••••••••••••••••••• n 82. Bibliographie ••••••••••••••••••••••••••••"
84.I N T R 0 D U C T I 0 N
-Paul Bourget, qu'il est d'usage de oonsi-derer surtout comma un romanoier
a
idees, - o'esta
dire, ecrivant des ouvrages qui presentent une thesea
disouter, - est aussi, si on le replace dans la lignee des romanciers fran~ais, un des plus grands romanciers psychologues. Il a consacre au mains la moitie de son oeuvrea
l'etude des complexites des passions de l'amour. Il estu
1usage, en effet, de distinguer deux groupes d1ouvragesdans sa production.
Le premier groupe est avant tout l'oeuvre d'un psychologue qui regarde dans le coeur de 11homme pour y suivre
la naissance et le developpement des passions. L'auteur etudie l'individu et les problames de son ame. Les derniers romans, cepen-dant, s'eloignent un peu des problemes de l'individu pour sa pre-occuper d'avantage de ceux de la societe en general, refletant ainsi les pensees d'un auteur plus interesse par la sociologie que par la psychologie.
Parce que 11auteur muri se soucie avant tout
du bien de la societe, on parle souvent des romans de sa deuxieme maniere comma de 11oeuvre d1un moraliste, en laissant de cote les
premiers romans. Le vrai, pourtant, c'est que le moralists s'est lentement epanoui chez l'auteur conune 11aboutissement natural de ses
etudes sur 1' indi vidu. En tant que "physiologists de 1 'a1nour moderne," il avait deja note les devoirs moraux de l'individu envers le reste de la societe. De plus en plus, ses romans traitent des themes qui portent une leQon morale.
D'ailleurs, ces premiers ouvrages trahissent non seulement l'evolution qui s'est produite dans l'esprit de l'homme
a
l'egard des idees morales, mais aussi certaines preoccupations de l'ecrivain vis-a-vis de son lecteur. Il a reflechi sur ce qui con-stitue le"public "d'un auteur, sur les interets de ce public, sur ce qu'il attend de l'auteur."La foule qui se passionne, mouvante et vague, autour d'un livre ou d1une piece et les met a la mode n'est pas artiste
au sens ou les inities entendent ce ter.me. --- Il n'y a pas d'arbitraire dans ces ames qu'une profonde et inconsciente logique conduit --- a quoi? uniquement et invinciblement
a
la satisfaction de leurs besoins. Il fauta
cette foule una litterature qui soit, pour son esprit et pour son coeur, ce que le pain et le vin pour lachair. Ouvriere, elle demande des outils de 1 'ordre spiritual. El le veut se servir du livre qu'elle lit, de la piece qu'elle entend." (1)
(1) Paul Bourget: Nouveaux Ess·ais de psychologie Contemporaine. ed. Lemerre. Paris 1894. ·Essa.i sur A. Dumas f'ils.
Si le lecteur veut se servir de ce qu1il
lit, l'auteur doit faire son metier, qui est de mettre entre les mains du lecteur de quoi le guider, le nourrir spirituellement.
Avec cette idee, Bourget ne pouvait pas rester simplement le psy-chologue "qui est curieu.x d1atteindre les arriere-fonds de l'ame
et veut connaitre les mobiles des actions des hommes. "(1) Le psy-chologue se double d'un moraliste qui juga les actions decouvertes par le psychologue.
En depit de la division que j'ai indiquee dans l'oeuvre de Bourget, on ne doit pas s1imaginer qu'il y a.it un
point de separation absolue entre les deux manieres. On recon-nait partout l'oeuvre du meme homme. Mais 11auteur a muri, il a
elargi ses vues. Il est interessa.nt de retrouver dans les premiers romans le germe des idees du second genre. En effet, dans quelques-uns de ces livres, cas problemes viennent, pour ainsi dire, jusqu'a la surface du roman et deviennent le theme du livre. On voit cela
(t ))
tres nettement dans Le Disciple. On le considere justement comme un roman
a
idees mais il comporte aussi une excellente analyse de l'amour et,a
ce titre, fait partie des romans du premier cycle.~ ~
La Terre Promise est un autre roman de ce type. (1) Paul Bourget: Nouveaux Essa.is de psychologie Contemporaine.
Bourget acmet dans sa Preface qu'il a voulu donner au roman le titre du "Droit de l'Enfant". Et il y a dans ce volume pas mal d'idees. Mais il n 'y a aucun doute que pour 1 'auteur conune pour le lecteur. l'interet demeure dans l'etude des etats d'ame de Francis Nyrac et d'Hanriette Scilly.
Surtout il faut accorder une attention speciale
a
Cosmopolis1 qui annonce les idees "traditionalistes" de l'auteur.Ici il etudie les 11la.UX qui s 'attachent
a
una societe cosmopolite. Les individus qui composent ce groupe sent des deracines, qui se sent detaches des traditions de leurs races, qui jouent un role si important pour la morale et le bonheur d'une societe.Dans d'autres ron~ns, les preoccupations sociales
se trouvent dans de plus hwnbles details de l'histoire. "Un Crime d 'Amour" nous donne le cas d 'une femme mariee
a
un homme du peuple. Ne peut-on trouver dans ce roman, jusqu'a uncertain point, quelqueI( 1/
ressemblance avec l'idee que Bourget presente dans L1Etape? Cat homme
se trompa en epousant une jeune fille d'une classe plus haute que la sienna. Les Monneron, d'origine humble, ont aussi avance trop vite dans la societe et les resultats ont ete malheureux.
Le point de depart approximatif entre les deux
.
'man~eres de Bourget peut se placer
a
"L'Etape". Mais encore une fois il nous faut insister sur la continuite de l'oeuvre. Si las idees de la deuxieme maniere se trouvent en ger.me dans les premiers romans, l'analyse psychologique tient une place pareillement importante dansles derniers romans. Jrumais Bourget ne manque l'accasion d'ajouter des commentaires qui servant
a
expliquer les actions de ses person-nages. S1il quitte le domaine de la passion pour etudier des problemesd'une plus grande importance sociale, 11etude minutieuse des
person-nages reste une specialite de 11auteur.
Ainsi, l'oeuvre de Bourget, bien qu'elle puisse se diviser en deux groupes, fait un total uni et continu. Si j'ai choisi la premiere partie de cette oeuvre, c'est qu'elle differe par le sujet et non par l'esprit, et qu'elle offre assez de.matiere pour le sujet de mon etude.
- L '
AUTEUR-Avant de commencer l'etude de l'oeuvre de Bourget, il serait convenable de porter notre attention sur l'auteur.
Comment est-il arrive
a
choisir le sujet qu'il a choisi? Et pourquoi s'interesse-t-ila
une oeuvre d'analyse? La clef de l'oeuvre reste chez l'auteur qui l'a ecrite.La vie de Bourget, cependant, ne revele pas beaucoup de chases qui expliquent son esprit. Ne
a
Amiens en 1852, le petit Paul fut un enfant precoce."A l'age de trois ans, il savait deja lire et il avait appris en quelques semaines. ---
Et
il etait deja tourmente par la demangeaison d'ecrire. Entre six et dix ans ilcomposa un nombre incalculable ~e poemes, de nouvelles, de contes, d'etudes critiques, de memoires, de souvenirs!" (1)
Son pere, Justin Bourget, etait un mathematician celebre. C'est lui qui lui transmit probablement son gout pour l'analyse et la clarte dans toutes chases. Sa mere etait Lorraine, femme tres
intelligertte mais melancolique et inquiete. Bourget combine cas deux hereditas. Doue d'une nature imaginative et emotive, il eprouve, par contraste, le besoin de tout verifier par la logique. Lui-merne dit:
'~1 y a toujours eu en moi un philosophe et un poste teinte de ger.manisme en train de se debattre contra un analyste de la pure et lucide tradi-tion.latine. Peut-etre ai-je du a la coexistence de deux formes d'esprit
si opposees ce gout d1une culture complexe et cosmopolite dont la trace se trouve dans tant de mes pages.
J'ai
cru du moins conci-liar ainsi les courants tres differents que je sentais jaillir dans les profondeurs de ma nature intellectuelle." (1)Eleve dans une atmosphere tres intellectuelle, Bourget fit-de tres bonnes et de tres serieuses etudes, d'abord
a
Cler.mont, puis
a
Paris. Arrive au moment de choisir una carriere, il a connu les memes anxietes que la plupart des jeunes gens de chaque generation. Son pere voulut qu'il devint professeur, mais"
Bourget n1etait pas content de consacrer sa viea
l'enseignement. Lacarriere des lettres le tenta et le gagna.
Comme presque tous les jeunes auteurs, Bourget etait pauvre, et ses premiers ouvrages, des vers assez mediocres,
n1apporterent que le decouragement. Pourtant, l'auteur~~ ambitieux.
Avec son jeune ami musician, Albert Cahen, il commencait
a
frequenter le monde. Cahen, fils d'un banquier, le recevait chez lui et, en outre,l'introduisait dans les milieux de la finance et de la riche bourgeoisie. Ici, Bourget commencait ~a
etudier ea monde de luxe et d'oisivete qu'il peint dans ses premiers romans.Au printemps de 1874, Bourget fit, avec Cahen, un voyage en Italie et en Grace qu'il faut signalter. C1est le premier
voyage de l'auteur hors de la France et son influence est immen~•~ (1) Lettre autobiographique de P. Bourget (voir V. Giraud: Paul
L'lme de Bourget, si sensible
a
toute beaute, avait ete comma endormie avant ce moment. La beaute qu'il avait gouteedemeurait touta
fait dans son esprit et dans son imagination. Maintenant "dans cet epanouissement de ses sens, Bourget sentait son coeur s'ouvrir au desir de folles amours. Les poemes qu'il ecrivita
propos de ce voyage --- evoquent presque tous de bellesjeunes femmes aux yeux tranquilles et au sourire enigmatique ----" (1) C'est en Italie aussi que Bourget a eu
1
'o:c:c.:e.$.••.1\. ·
d' etudier une societe cosmopoli te dont les problemes l'ont toujours interesse.Apres ce voyage, il n'y a pas beaucoup d'evene-ments dans la vie de Bourget qui Of\.t una influence dans son oeuvre.
Il abandonna tres tot la poesie pour se tourner vers la critique, qui reste, avec le roman, la meilleure production de l'auteur. Une fois lance, il gagna tres vite la faveur du grand public qui soutint sa gloire jusqu'a sa mort en 1935.
Tres paisible dans sa vie exterieure, Bourget a subi, cependant, des influences diverses qui produisirent une
evolution lente et penible dans sa pensee. Si l'on considere sa vie interieure, c'est un hornme complexe et inquiet, qui se preoccupe de tous les problemes de sa generation.
En effet, Bourget represente bien son epoque, car son education, ses preoccupations, et ses inquietudes sont ce~~
de taus ses contemporains. C'est un homne moderne, qui souffre du desenchantement moderne. Dans son oeuvre, il retrace les causes de ce desenchantement.
Une de oes causes, Bourget la retrouve dans !'education contemporaine, surtout dans les lycees ou lea jaunes hommes ne sont pas suffisamment surveilles dans leurs lectures. Lui-meme dit! "Dans les deux lycees, ou je passai cette premiere partie de ma jeunesse,
a
Clermont d'abord, puisa
Paris, ladis-cipline n'existait guere et la surveillance de nos lectures etait si superficielle que nous vivions dans la farniliarite des ouvrages les plus difficiles
a
bien comprenqre pour de tres jeunes intelli-gences. A quinze ans, mes camarades et moi, nous savions par coeur les deux volumes de vers d'Alfred de Musset, nous avions devore tous les romans de Balzac et ceux de Stendhal, Madame Bovary et les Fleurs de Mal. J'ai toujours senti qu'tm livre de verite n•est jamais im-moral et j'en pourrais donner cette preuve qu'aucun de nous n1a etecorrompu par une seule de ces soi-disant dangeureuses lectures.
Leur vrai danger etait ailleurs: da.ns la precocite du desenchantement qu'elles risquaient de nous donner et dans le desequilibre interieur qui devait en resulter. Reellement, innocents et naifs, nous ne pouvions manquer d'etre desorientes par cette initiation anticipee aux dessous cruels ou violents du monde." (1)
On ne peut exagerer !'impression laissee par ces lectures de jeunesse. Pour la retracer, on n'a ~1'a considerer les
f{ ,, '
Essais de Psychologie Contemporaine, ou l'auteur fait non seulement la critique de ses auteurs favoris mais ou il nous donne la clef de ses
propres romans. Dans chaque essai, nous pouvons trouver un peu de Bourget lui-meme. Il se revele, jusqu'~ uncertain point, le compose de ces dif-ferents auteurs.
Permettez-moi de m'expliquer. Par nature, 11esprit
de Bourget est tres souple, il s'interesse
a
tout. D1ailleurs, il peutGtre impressionne par les cLoses les plus opposees. Mais c 'est plus qu'une impression, cela deviant une partie de sa personnalite meme.
Cette susceptibilite
a
l'egarddes idees d'autrui aboutit presque toujoursa
un conflit. Ce dilettantisme, si typique de Bourget da.ns sa jeunesse~ l'a empeche jusqu'a uncertain point de se decouvrir. Il etait sioccupe
a
comprendre eta
etudier les autres, qu'il ne decouvrit pas tout de suite sa propre personnalite. Ce n'est que plus tard, dans les ro~ans du second cycle, qu'il se montre touta
fait muri.Dans les "Essais", Bourget trouve sa contre-partia en Renan, qui, lui aussi,
a
cause de sa sensibilite et de son imagination viva est un dilettante. Dan s sa 1scuss1on sur Renan, Bourget decrit d. · ainsi cette condition:"'C' est beau coup moins une doctrine qu
1 unedisposition d'esprit, tres intelligente
a
la fois~ et tres volup-tueuse, qui nous incline toura
tour vers les formes diverses de la vie et nous conduita
nous pretera
toutes ces formes, sans nous do~era
a.ucune." (1)Ce diletta.ntisme chez Bourget est un trait
de
psychologue pur. Parce qu1il faut qu1il sympathise a.vec ce ~""
..
qu'il etudie, il est arrive-~ . f'in
a
trap gouter tes sensations1\
d1autrui,
a.·
se preter aux differents etats d'rumes qu1il etudie.Des que le moraliste commence
a
s1eveiller, cependant, ledillet-ta.nte s1en va.. D'un psycho-dilettante, Bourget muri est devenu
psycho-moralists. D'ailleurs le psychologue et le moraliste sont toujours tres pres l'un de l'autre, car ils ont tous les deux un devoir commun - celui de chercher, et de connaitre
a
fond, les problemes de 1·~~ humaine. Pour le psychologue~ cependant, cettese.
'
""
connaissance~suffit
a
elle-meme. Le moraliste veut juger l'actionhuma.ine. Voici son but:
"Son premier besoin est celui d1rme reg;le de
conduite ou de redressement. C1est
a
decouvrir cette regle que sonesprit est tendu, c1est
a
mettre ses actions en accord avec elle quesa volonte s1a.pplique, c'est
a
deplorer le desaccord entre cette(1) Paul Bourget: Essais de psychologie Contemporaine. ed. Lemerre. Paris, 1885. Essa.i sur Rena.n.
regle et ces actions que sa sensibilite se depense." (1)
Retra<_tons~ brievement, l'affaiblissement du dilettantisme chez l'auteur.
"
Dans ses tout premiers romans, comme Cruelle
n
Enigma, Bourget ast psychologue pur. Il met
a
nu un certain type d'ame feminine et il discute admirablement le probleme de la dualite du coeur. Mais il ne regarde pas les consequences morales de ce probleme. Dans les romans comme Le Disciple, Cosmopolis, La Terre ,, 11 11 If 11,,
Promise, 11auteur prend sa place parmi les ecrivains moralistes de
11epoque. ' h , , '
Apres L'Etape, comme j'ai deja indique dans mon intra-duction, le -p"rlftcip•l interet de 11auteur est pour le bien de la
societe. Ces problemes moraux ne laissent plus de place pour l'an-cien dilettantisme.
Une des influences les plus souvent citees sur la jeunesse de Bourget est celle de Taine. Les doctrines deterministes de celui-ci ont beaucoup interesse et impressionne le jeune auteur. Premierement, Bourget s1interesse a toutes les idees scientifiques)et
les idees de Taine sont basees sur la science. Celui-ci veut faire une etude de 11ame d'apres les experiences scientifiques, comme on
fait, par example, rme etude de chimie. Pour lui, l'horrnne est le produit de la race, du moment et du milieu; c1est-a-dire, ce qui
compte dans le developpement de notre personnalite, c'est l'heredite, l'entourage et 11epoque
a
laquelle nous vivons.(1) Paul Bourget:- Nouveaux Essais de Psychologie Contemporaine: Essai sur A. Dumas fils.
Il est indiscutable que !'influence de Taine sur Bourget a ete enorme. Mais Bourget a certainement modifie ces idees. Dans ses romans, il considers toujours en detail, l'heredite et le milieu de ses personnages. Et toute son oeuvre est la mani-festation des tendances du moment. Bourget n'admet pas cependant, comme Taine, que l'~e humaine peut ~tre etudiee d'apres des lois scientifiques. Pour lui, il y a toujours des profondeurs incon-naissables et enigmatiques dans l'ame. On ne peut aller qu'a une
certaine profondeur dans l'etude de l'a~e, et apres ce point, elle echappe
a
la comprehension humaine.En effet, Bourget se montre tellement oppose
a
cette doctrine de M. Taine, qu'il a ecrit tout un roman pour le • I( L D. . 1 ,, A h 1 I' 1 d t . d I' t .nler. e lSClp e prec e es maux causes par es oc rlnes e erml-nistes des philosophes qui reduisent 11homme aux simples sensations, sans considerer cette chose mysterieuse et insaisissable qui fait de nous des gtres humains.
Bourget est sauve du point de vue trap scien-tifique et deterministe, qui aboutissait au roman realiste, par
l'ele"ment de mysticisme qui reste dans sa personnalite meme dans ses jours de.soi-disant incroyance- car Bourget, comme presque tous ses contemporains, a perdu la foi pendant une assez longue periods de sa vie. Chez Bourget, cependant, l'incroyance ne produisit pas cette secheresse d'ame qui caracterise tant de ses personnages. Non, si
Bourget a cesse d'etre catholique pratiquant, il n'a jamais cesse d'etre "chretien de desir," et les idees presentees dans son oeuvre sont toujours des idees chretiennes. D'ailleurs, comma Baudelaire, Bourget a le gout du mysti cisme qui ne 1.;. permet pas de perdre son
respect pour l'inconnaissable.
"Ne survit-il pas dans notre siecle d'impiete," di t-il, "assez de catholicisme pour qu' tme ame d' enfant s t imbibe
d'amour mystique avec une inoubliable intensite? La foi s'en ira, mais le mysticisme meme expulse de l'intelligence demeurera dans
la sensation." (1)
Done, cette sensation de l'impossibilite de tout connaitre et le besoin d'une foi dans ce qui reste au-dela de notre comprehension, caracterisent l'oeuvre de Bourget rneme dans
ses romans les plus pessimistes. Et quelques-uns de ses premiers romans sont bien pessimistes. Un chretien pratiquant est sauve du pessimisme par la promesse que sa religion donne pour l'avenir. D'apres l'ideal chretien, l'individu qui le merite, obtiendra tou-jou~s le bonheur, en depit des malheurs et des desappointements de ce monde. Celui qui n'a pas cet espoir et cette foi dans l'avenir arrive au plus noir pessimisme, car il ne voit pas le sens du mal heur. Il attribue tous ses chagrins
a
la fatalite.Dans les romans de Bourget, les traces du pessi-misme s'affaiblissent au fur et
a
mesure que le moralists se developpe(1) Paul Bourget: Essais de Psychologie Contemporaine. Essai sur Beaudelaire.
chez l'auteur. De plus en plus, le role de la fatalite est remplace par 11idee de !'expiation, du prix qu'on paie pour la faute. Cette
tendance chez l'auteur indique son retour gradual vers le catholicisme. En ce qui concerne le gout de Bourget pour l'ana-lyse, c'est un talent inne qui vient de la nature meme de l'auteur. Mais il s'est nourri aussi par la lecture de ses predecesseurs -
sur-tout de Benjamin Constant et de Stendhal. Le roman d'analyse est une specialite franQaise depuis le dix-septieme siecle, quand Mme de la Fayette a presente l'analyse de l'amour de la Princesse de Cleves pour le due de Nemours. Chaque analyste, cependant, a sa propre maniere. Stendhal prend l'analyse en pleine action - ce qui est tres remarquable. Chez lui, l'analyse nourrit la volonte. Bourget, au contraire, presente des personnages qui sont incapables d'action, car ils sont comme paralyses par un exces d'analyse. L'epoque de Bourget n'est pas l'epoque de Stendhal et leurs problemes sont, en consequence,un peu differents.
Les contemporains de Bourget souffrent du "mal de siecle" - d'un romantisme pousse
a
l'extreme. L'introspection, l'etude du "moi," qui etait une mode assez inoffensive au temps de Benjamin Constant, sont devenus,a
l'epoque de Bourget, la cause des problemes psychologiques les plus graves. Flaubert avait deja reconnu les dangers du mouvement romantique, quand il publia. "Madame Bovary." Bourget recormait la justesse de cette critique."Non seulement l'Ideal romantique supposa
tm decor complexe et contradictoire," dit-il, "mais il exigea dans
ce decor, des runes toujours tendue~ toujours excessives et capables d'un renouvellement constant de leurs emotions. ---- Constitue par les deux elements que j'ai marques, l'Ideal romantique aboutissait necessairement au pire malheur de ceux qui s'y livra.ient tout en-tiers." (1)
Bourget, done, a compris tres bien les malheurs de son siecle, et d'ailleurs, il en a souffert lui-meme. Sa souffrance n'est pas le resultat d'extremes malheurs personnels, mais elle vient plut$t de ses etudes, de ses observations sur 1autrui. Ce qu'il
voit, ce qu'il lit, fournit ~u penseur de quoi s'inquieter. Il serait
a
peu pres impossible de retracer toutes les influences qui ont reagi sur notre auteur. Ses idees ferment un plan tres complexe, comma une tapisserie dans laquelle il est impossible de distinguer chaque fil. Mais Bourget est un representant tres typique de son ~ge. Il a su repondre aux besoins de ses contemporains et, pour cette raison, a toujours conserve l'interet et la sympathie de ses lecteurs. La posterite le reconnaitra comme un penseur qui, apres des luttes et malgre des doutes, a su garder la foi dans une meil-leure huma.nite.(1) Paul Bourget: Nouveaux Essais de Psychologie Contemporaine. Essai sur A. Dumas fils.
n·rl est dur aux songeurs, le siecle dent nous sorrnnes Pourtant j'ai preserve mon intime Ideal!" (1)
LE CADRE
L1etude des milieux dans les romans de
Bourget tient une place si importante qu'ils ont bien le droit ~u titre de "romans de moeurs." Voyons pourquoi l'auteur insiste, de cette maniere, s.ur les details du cadre.
Comma la plupart des romanciers contemporains, et surtout ceux de l'ecole realiste et naturaliste, Bourget avait adopte la conception scientifique du roman. Il croit que, pour cam-prendre
a
fond un personnage, il faut aussi connaitre son entourage. Puis que le milieu a ta.nt d' importancea
ses yeux, il 1 ui fa. ut bien le decrire aussi exactement que possible."l'enquete sur la. vie interieure et morale," dit l'auteur, "doit fonctionner parallelement
a
l'enquete sur la vie exterieure et sociale - 11une eclairant, approfondissant, corrigeant1 ' a ut re • " ( 1 )
L'auteur presente, done, des descriptions qui laissent sur l 1esprit du lecteur une impression exacte de taus les
details exterieurs - l'etoffe d'une robe, le parfum d'une femme, ou l'eclairage d1une salle. Et chaque detail a son but - celui
d'evoquer un monde
ou
le lecteur peut facilement se figurer les (1) Paul Bourget:: La Terre Promise - Preface - ed. Plonsituations que l'auteur presente.
Le cadre le plus souvent choisi par l'auteur pour ses etudes d'rumour est celui du grand monde. Cette societe est un melange du reste de la vieille aristocratie francaise et de la haute bourgeoisie, qui,
a
cause de son influence augmentante, a reussia
penetrer dans le groupe "elite." C'est un monde luxueux d1oisifs et d'ennuyes, et c'est justement parce qu'il est ainsi queBourget l'a continuellement etudie. Comme analyste des passions, Bourget choisit, tout naturellement, les milieux qui lui offrent les cas les plus interessants du point de vue de la psychologie. Dans le monde des oisifs, Bourget trouve des gens tres complexes, tres raffines, qui souffrent de la maladie emotive de l'epoque -"le mal du siecle." Un exces de sensibilite et l'impuissance de la volonte ont paralyse 11ame fran~aise. Bourget lui-meme en a ete
victime et il cherche dans ses romans
a
trouver les causes eta
montrer les effets de cette maladie. Pour cette etude, alors, ilchoisit la classe sociale qu'il trouvait etre la plus atteinte -les oisifs de la classe degeneree, qui n'ont rien dans la vie pour empecher que cette maladie ne se repande et les corromp\e.
Ceci n'irnplique pas, bien entendu, que les passions que 11auteur etudie ne se retrouvent pas dans les autres
classes de la societe. Mais il est vrai qu'elles se retrouvent plus souvent chez des gens qui n'ont pas de travail quotidian dent
ils peuvent s'occuper. On a ete tres injuste envers M. Bourget
a
cet egard. La critique qu'on lance centre lui est de trop insis-ter sur les details de la vie d'opulence et d'y attacher uneim-of\.
portance trop grande. On interprete mal ses intentions et~le
condamne cormne "snob. n Voici, par example, une de ces critiques:
"It were idle to deny that there is in Bourget an element of downright snobbishness. He comes from that climbing and envious class, the lesser bourgeoisie and is delighted to hob-nob ~nth authentic counts and barons of the
Faubourg St-G~r.main. He describes dresses, coiffures, jewellery, with a minuteness and an accuracy which would be a credit to the
society column of the London illustrated papers." (1)
Ce mot "snob" impliquerait, je crois, une admiration envieuse pour ce que l'auteur decrit. Or, les des-criptions de Bourget, bien que detaillees et abondantes, ne refletent guere l'admiration. M. Bourget n'a en aucune maniere epargne ses mondains. Taus ses premiers romans temoignent des maux qui ont en-vahi ce groupe, inutile au point de vue social • Meme si l'on
OY«f~ Gnvie de mener leur vie de luxc, on n'aurait certainement pas
envie des inquietudes morales qui l'accompagnent.
(1) A. L. Guerard - Five Masters of French Romance. London. T. F. Unvnn Ltd - 1916.
On
f
rl.:tettti~
cependant, parce que Bourget ne paint pas les passions deG basses classes, qu'il les dedaigne. On offre comme exemple de ce~~ qui ont reussi ~ presenter l'etude des passions chez les humbles, les romanciers naturalistes. Il y a une difference, cependant, dans les intentions de ces auteurs. D'abord, ce que Zola et les freres Gencourt peignent est untableau des pervertis des basses classes. Ils sont des exceptions
~
dans leur groupe. Bourget presente une etude plus generale de son
~ ~
monde. Ce qu'il presente est plutot la regle que l'exception. D'ailleurs, les personnages des naturalistes sont generalement les anormaux de la nature - le resultat des tares hereditaires. Le but de ces auteurs est de peindre fidelement la vie d'un tel per-sonnage - mais
non
d'apres les methodes d'un analyste. Bourget, au contraire, prend des gens touta
fait normaux de nature mais qui,a
cause de l'education sociale qu'ils reqoivent parmi les~
oisifs, et
a
cause de l'epoque troublee ~ laquelle ils vivent,fJO"r
n'ont pas la stabilite necessaire ~ une vie paisible. Puisqu'ils ont un but different dans leurs romans, on ne peut pas comparer Bourget aux ecrivains naturalistes
a
l'egard des differents cadresqu'ils ont choisis.
Un autre groupe que Bourget a choisi comme sujet de ses etudes est celui des cosmopolites. Pendant ses voyages
en Ita1ie, i1 avait ete introduit dans le monde cosmopolite et, tout de suite, i1 s1etait senti seduit par 1'exotisme de cette vie.
C'est un monde aussi elegant que le grand monde parisien, mais
9vt
~'est encore plus fascinant par 1'attrait du mystere de l'etranger. L'oeuvre de Bourget a certainement ete enrichie "de curieux details de moeurs, de piquantes ou originales figures," (1) par ses impres-sions de voyages. Cependant, l'auteur ne montre pas seulement les seductions de cette vie cosmopolite mais aussi ses dangers, car c'est une existence sans but qui "peut etre une des formes du dil-ettantisl!le et de la. de cadence; i 1 deracine 1 'fune qui s 'Y prete trop
complaisamment~ il l'rumollit, il l'~~erve, et, si je 11ose dire,
il la desosse." (2)
Les cadres mondains et cosmopolites ne sont pas, cependant, les seuls que Bourget decrit, meme dans ses premiers romans. C'est la bourgeoisie moyenne qui est toujours presentee comme la cla.sse la plus utile et la plus stable de la societe. Mais
a
cause de cette stabilite meme, cette classe n'a pas d'interet special pour un psychologue. Son introduction dans les romans d'a.mour de Bourget est genera.lement un moyen de comparer(1) Victor Giraud: Les Maitres de l'Heure. Librairie Hachette et Cie. Paris, 1915. p. 294.
la paix d'une vie b@urgeoise avec les inquietudes d'une vie mondaine.
11 ll
Dans Cruelle Enigme, Hubert Liquran est tres content de sa vie au-pres de sa mere et de sa grand'mere avant d'entrer dans cette "libre
societe de luxe, de plaisir et de mouvement." (l)
Et
de meme dans Mensonges, - au commencement, Rene Vinry menait une vie completement heureuse avec sa famille bourgeoise. Dans les livres de la deuxieme maniere, cependant, Bourget choisit presque toujours un milieuPour-geois. Les probl~mes qu1il discute sent les problemes de toute la
societe, et la bourgeoisie moyenne est assez representative pour ~tre le sujet des etudes de 11auteur.
Done, si M. Bourget choisit, generalement, un cadre mondain ou cosmopolite pour ses premiers romans, ce n'est pas parce qu'il dedaigne les autres classes de la societe. Il a eu des raisons pour son choix. Ce n'est pas par "snobisme" qu'il evite l'etude des basses classes mais parce qu'elles offrent tres re:1rement la matiere pour des romans d'analyse. Mais, en tout cas, meme la critique la plus severe du "snobisme" de Bourget admettra.it que ses
svr les
romans sent tm document merveilleux ~ moeurs contemporaines. Cette
peinture exacte de la vie exterieure et interieure d'une classe mourante, sera un jour la joie de l'historien. Puisque 11oeuvre a.
hlt't-t4"e
cette valeur, pourquoi "_en
;..,_.rt"•••
les motifs de 1 'auteur?L 1 ETUDE DE
L
1AMOUR
Les problemes qui se rattachent
a
l'amour et les complications sentimentales qui resultent de l'amour sontfOY'f"
d'nne extreme importance _ Paul Bourget. Pourquoi accorde-t-il 1\
une si grande attention
a
cette passion?M. Bourget est un psychologue, et, dans la. passion de !'amour, il reconnait celle qui, plus que toute autre, reduit l'homme
a
l'animal et celle qui reste en dehors des lois de la societe. Voici la passion la plus puissante et la plus influente, qui peut ou reduire l'homme au niveau le plus bas ou l'elevera
la noblesse."Tous les autres a.ppetits sont plus ou moins contenus par les barrieres sociales --- L'amour seul est
demeure irreductible comme la mort, aux conventions humaines. Il est sa.uvage et libre, malgre les codes et malgre les modes." (1)
Plus ta.rd, Bourget conQoit, da.ns ses etudes, l'importa.nce morale de cette passion. En s'interessant
a
la nature humaine, il commencea
chercher,a
travers la connaissance(1) Paul Bourget: Nouveaux Essais de Psychologie Contemporaine. Essai sur Alexandre Duma.s fils.
des instincts, des moyens d'ameliorer et de controler l 1animal chez
l'homme, pour le rendre plus civilise, plus cultive. Parce que l'amour est une emotion si puissante, il peut colorer l'attitude de l'individu envers taus les cotes de la vie.
"Est-il une passion," dit l'a.uteur, "qui s'infiltre plus profondement que l'runour jusqu'aux sources de la vie morale, pour les ra.fraichir ou les empoisonner? Legitime,
l'amour est l'element premier de la farnille, partant des vertus que la fa.mille exige, partant de la societe entiere, dans ce que cette societe a de reel et de solide. Illegitime, il est la cause des plus dangeureuses anomalies de la conduite et de la destinee. (1)
Assurement le gout de cette etude de
l'amour chez Bourget a d'autres sources. La nature meme de.l1auteur
l'attire vers ce sujet. Comme ses personnages, il etait lui-meme un pe"cl "amoureux de l 1 amour." En effet, ce tra.i t que Bourget appelle chez lui "!'imagination des sentiments" explique bien son choix. La cGmbinaison d'une imagination vive et d'une extreme sensibilite lui donne une sorte de clairvoyance
a
l'ega.rd des emotions d'autrui. Il peut facilement "piocher le coeur humain." Etant sentimental de . nature,t
f 3St tout natural que 1' amour soi t 1 'emotion preferee deses etudes.
(1) Paul Bourget: Nouveaux Essais de Psychologie Contemporaine. · Essai sur Alexandre Dumas fils.
D'ailleurs, c'est un theme de son epoque,
'
car c'est le siecle ou la passion regnait en pleine force. Les pro-blemes du 19ieme siecle ne sont pas les propro-blemes des autres epoques. Les gens du 19ieme siecle sont les victimes de ce que l'auteur appelle "1 'amour moderne" pour le distinguer des autres formes de 1' amour. C'est l'amour - passion qui a des droits sur tout, qui justifie tout. C'est exactement le contraire de l'amour prccieux et courtois
a
la mode pendant quelque temps au 17ieme siecle, et que d'Urfe et Mlle de Scude~ peignent dans leurs romans. Ici l'~ant obeissait aux lois faites p~r sa maitresse, qui n'aimait que celui qui etait digne'
de son amour. L'estime e"tcu.t c.. la base de l'amour.
L'amour "rnoderne" a son origine dans le roma.ntisme. Le mouvement romantique, qui suivit la Revolution, ma.rqua une periode d'individualisme
a
l'extreme. Tout le monderegarda comme sacres les droits de l'individu. Le danger de cette doctrine est qu'elle a.boutit tres tot
a
l'egoisme. On chercha la satisfaction des a.ppetits personnels. Dans le dornaine de l'amour, on fut trop epris de soi-merne pour bien regarder et bien conna.itre l'objet de l'runour. L'amour, qui a comme ideal le don complet de soi, fit. lme place de plus en plus grandea
la satisfaction des sens.L'egoisme a.ussi est responsable de cette enorme puissance d'illusion qu'il y a souvent dans l'amour.
L'ima-gination fait donner
a
l'amant les qualites qu'il ne possed3 pas et qu'on souhaite trouver chez lui. "' ... ll 11Helene dans Un Crime d'runour ne soupQonne pas le veritable caractere de son amant~ avant qu'il ne soit trop tard. DeQUe dans son menage, et
a
cause de son imagina-tion vive, elle a cru voir dans cet homme l'ideal de ses reves. Apres sa desillusion, elle le voit exactement le contraire de cequ'elle avait imagine.
Cet amour, en outre, ne laisse aucune place
a
la volonte. La passion domine tout. On peut se decider, et bien sincerement d'ailleurs,a
renoncera
un amour, mais, le moment arrive, cette decision est touta
fait etouffee par la1\ 1(
force de la passion. Ely de Carlsberg, dans Une Idylle Tragique, sent au commencement les malheurs qui vont la poursuivre dans son amour pour Pierre; mais quand elle le fait venir pour le congedier, elle tombe dans ses bras.
Puissance de l'illusion, faiblesse de la volonte, ce ne sont pas 1~ certes des decouvertes propres
a
Bourget, et ce n'est pas la-dessus qu'il attire specialement notre attention. Ce qui lui a semble au contraire une particularite de l'amour moderne c'est le dilletantisme qui le caracterise - c'est-a-dire, le gout de l'experience amoureuse et le besoin constant d'analyser les sensationsamoureuses. Tout cela change jusqu1
a
la nature de l'amour. C'estIf
ainsi que dans 11avant-propos de Complications Sentimentales;'
Bourget montre le contraste entre ce qu'il appelle "l'egoisme emo-tif" ( ou 11amour moderne) et "le veritable amour."
"L'egoisme emotif, c1est le monde des
voluptes toujours prates
a
se tourner en haine, des abandons tou-jours voisins de la defiance, c'est l'amour jaloux qui va torturer ce qu'il adore et trouvera
cette torture un spasme supreme, presque plus enivrant que le bonheur. Le veritable amour, lui, mourrait plutot que de faire du mala
ce qu'il aime. Il n'a plus la possi-bilite de la rancune qu'il n'a. celle de l'inconstance. Il nepos-sede pas, il est posnepos-sede. Il ne pardon~e pas, il ne peut pas en vouloir. --- C1est ce veritable amour que nous poursuivons tousa
travers l'autre et peut-~tre la cruaute qui se melange si souventa
celui-ci, n'est-elle qu'un secret desespoir, la certitude de n'eprouver jamais celui-la." (1)Les deux etats decrits a.insi par Bourget representant les deux "mondes" d'amour presentes dans son oeuvre. Ses personnages commencent presque toujours par ~tre des cre~tures naives, candides, et sinceres. L'introspection et la sensibilite
(1) Paul Bourget: Complications Sentimentales. ed. definitive, Plon-Nourrit. Paris, 1897. Avant-Propos.
font d'eux des ~tres extremement fins et delicats avec une concep-tion tres idealisee de la vie. Vivant un peu hors de la realite,
renfer.mes dans leurs propres ames, ils ne sont pas gates par la grossierete et la cruaute de la realite. Mais ils sont souvent les dupes de leurs propres illusions. Quand ils sont rudement
Leur
eveilles p_ar la destruction de -, \·ideal, ils sont jetes dans le
1\
plus grand desespoir. Un systeme nerveux si extremement delicat n'est pas bien equilibre. Il va d'un extreme
a
l'autre. De la conception la plus haute de l'humanite, on en arrivea
la plus basse. L'~e se froisse, se desseche et perd tout espoir et toute foi. On est maintenant arrive au second monde de l'amour, lemonde de !'experience et du degout.
Le monde de l'illusion, done, est celui de l'amour ideal et chaste, tandis que le monde du desenchantement est celui de l 1amour charnel. Constamment, Bourget assimile ces
deux etats. D1ailleurs, il montre que cep deux extremes sont le
r8sultat du meme trait - l'abus de l'analyse. Comme !'introspection etait responsable des illusions d'un individu, elle est aussi res-ponsable de la secheresse de son coeur dans le monde de la des-illusion.
Claude Larcher (Physiologie de l 1.Amour
Moderne) et Armand de Querne (un Crime d'Amour) connaissent taus
cherchent ch~z la femme, sans etre capables de l'aimer, sont des plaisirs tout momentanes, qui laissent le coeur vide par le manque d'un vrai sentiment. L'incapacite d'aimer chez ces dilettantes de l'runour, telle est la note douloureuse qui revient si souvent dans
les romans de Bourget.
"Cette invincible tristesse, il la con-naissait trap bien. Elle etait venue trap souvent le mordre
a
la place malade de son coeur, depuis que les trente mille francs de rente possedesa
sa majorite lui avaient permis de vivre a sa fantaisie, et cette fantaisie s'etait tournce aussitot du cote des experiences sentimentales. Cette tristesse-la, cuisante et seche, il l'avait subie, meme tres jeune, chaque fois qu1il s'etait re-trouve a la veille d1un premier rendez-vous, fut-ce la plus desiree.C'etait comme une apprehension angoissee, vne sourde, une obscure agonie de 1' ame·. Les premiers temps, il avai t tour
a
tour attri bue cet etrange phenomenea
la timidite physique, au remords de n1etre pas digne des sentiments qu'il pouvait inspirer,a
des nostalgies de purete. Il savait aujourd'hui le vrai mot de ces detresses momentanees, crises plus aigues de la grande detresse qui faisait le fond meme de sa vie. C'etait helasl la certitude, plus presente, plus saisissable, chaque fois, de 1 'impuissa.nce d'aimer." (1)Voila 1 'et range condition de 1 'ame d 1 Armand
de Querne. Les complications de l'amour physique que son type
eprouve sont bien cruelles. Parce qu'il n'est pas capable de rester fidele a une femme qu'il n'aime pas, cet homme est assure que la femme non plus ne lui restera fidele.
Et
il a maintes fois raison. Mais bien qu'il ne l'aime pas d'un veritable amour, il connaittout de meme la jalousie, et c'est la jalousie la plus horrible -celle des sens. Malgre l'independance spirituelle qu'il possede
a
l'egard des femmes, il n'est pas physiquement independant."Nous avons beau conna.itre tout notre e.sprit et tout notre coeur, notre tete ne nous est jamais connue toute
entiere, aussi ne faut-il jamais dire: "Cette femme ne peut rien sur moi." En amour, la seule victoire est la fuite. C'est un mot du plus grand des psychologues modernes: Napoleon." (1)
Des deux mondes d' amour, le monde du desen-chantement est plus fort que celui de l'illusion. Ces etres, les uns purs, les autres corrompus, reagissent les uns sur les autres. Cependant, celui qui est sincere et pur n'eleve pas l'etre blase jusqu'a lui, mais il descend lui-meme au niveau de l'autre. C'est ainsi que Suzanne Moraines (Mensonges) reste insensible
a
l'amour ideal de son amant, quoiqu' elle 1 'aime a us si bien qu' elle en soi t(1) Paul Bourget: Physiologie de l'Amour Moderne.
ed.
Plon-Nourrit. (Oeuvres Completes de Paul Bourget, Paris 1901 Vol. II). p. 457.capable. Hubert Liauran (Cruelle Enigme), au contraire, descend tres vite
a
l'runour sensuel de sa maitresse quand il decouvrela. defai te de ses reves. Meme 1' indi vidu qu' ~-re ut s 'elever au-dessus de sa sensua.lite et qui fait un effort sincere vers la renaissance de l'ideal, reste toujours 11esclave des sens. Voila
' •l V
le cas de Therese de Sauve dans Cruelle Enigma. Quand le cynisme se joint
a
la sensualite, on en reste toujours l'esclave aussi -car, si le coeur est quelquefois eveille, il ne peut pas longtemps garder le sentiment. Les vieux doutes et les anciennes experiences reviennenta
l'esprit pour tuer la nouvelle vie du coeur.La desillusion apportee par les experiences malheureuses en amour n'est pas bornee, cependant,
a
l'amour. Elle laisse sa marque sur taus les aspects de la vie. On pense que si la foi mise en une femme ou un homme qu'on a bien aime, est mal fondee, alors les autres verites de la vie, qu'on avait jadis acceptees, sont egalement fausses. C'est ce qui arrive au pauvre Hubert Liauran quand il decouvre l'infidelite de sa maitresse."Il avait cru, par-dessus tout, en Therese de Sauve. Il l'avait, dans sa pensee, assimilee au reste de sa vie. Autour de lui tout etait veriteJ aussi l'a.mour de Therese lui
par une revolution d'esprit ou se trahissait le vice originel de son education, il assimilait
a
cette femme de mensonge tout le reste de sa vie. " (1)Surtout, B~urget indique l'effet des chagrins amoureux sur la foi chretienne. Quelquefois, cependant, les ex-periences malheureuses sont representees comme le resultat, plutot que la cause, de l'incroyance. Dans ce cas, l'incroyance produit une attitude pessimiste ou nihiliste qui nierait aussi l'existence spiritual de 11amour. Une passion existerait alors seulement
dans les sens, non plus dans le coeur.
Ces deux domaines de l'amour sont les seuls que Bourget decrive dans son oeuvre. Il realise que l'absolu bon-heur n'existe pas. Tout le monde le cherche sans jamais l 1
attein-dre. Dans Une Idylle Tragique, Ely et Pierre ont quinze jours •\ '( d'ivresse avant qu'rme crise arrive pour rompre l'enchantement.
lf r)
Dans La Terre Promise, Francis NJrrac vient de gouter la joie d' un amour noble et paisible quand les fautes passees resurgissent et lui otent son bonheur.
Avec cette idee du type d'amour decrit par
Bourget, nous pouvons maintenant considerer quelques-uns des problemes que pose son oeuvre.
J~ ' • '
Comme~j'ai deja indique, les prem1eres pre-occupations de l'auteur etaient celles d'un psychologue. Comma tel,
il a penetre dans les mysteres du coeur. Un des mysteres auquels il s'est souvent heurte est celui de la dualite du coeur
-c'est
a
dire de la possibilite d'eprouver de l'amour pour deux personnesa
la m~me fois. Voila le theme de son premier grand11 I I
roman, Cruelle Enigme.
Ce roman est l'histoire d'Hubert Liauran, qui a. ete soigneusement et tendrement eleve par sa mere, Marie-Alice Liauran et par sa grand'mere, Marie Marie-Alice Castel. A vingt-deux ans, il est reste chaste et non corrompu par la desillusion de ses ideals. A ce moment, Mme There se de Sauve entre dans sa vie et il se sent tout de suite attire vers elle. De son cote,
Therese connait enfin le premier grand amour de sa vie. Mal-heureuse dans son mariage, elle avait cherche le bonheur avec d'autres hommes sans jamais rien trouver sauf des regrets. Pour elle, Hubert represente ce qu1elle n'esperait plus trouver
-un amour noble et sinc~re~. Mais voici l'enigme. Un jour a " Trouville, Therese rencontre le co~te de la Croix-Firmin, et
cedant
"a
tm instinct d'un ordre tout physique," (1) elle se donnea
lui. Bien entendu, Hubert apprend tres tot la verite. Cheque, stupefait, degoute, Hubert renoncea
jamaisa
cet amour. Mais un jour, quand taus les deux se trouvent en pelerinagea
l'apparte-ment de leurs rendez-vous, il reprend la jeune femme, vaincu parun amour plus grand que sa volent
e.
Mais il comprend que, des ea moment, c'est ea qu'il y a de moins noble et de moins fort chez lui. Il .
qu1. a vaJ.ncu. Jamais plus il ne trouvera dans l'amour la gloire et la reponse de son ideal, mais plutot la defaite et la honte.
Il nous faut noter que Bourget ne met jamais en doute la sincerite de so:..~ heroine. Elle n 'est pas tout simplement une amoureuse capricieuse et frivole. Ce qu'elle sent pour Hubert est un
sentiment profond et reel. Mais des besoins physiques sont egalement profonds dans sa nature. Elle se degrade par la faiblesse de la chair.
Dans ce roman, done, Bourget traite le probleme de la dualite du coeur conune simple psychologue. C 'est enccr e une
"enigma", et nous n 'avons qu 'ici et la le re flat des inquietudes morales
a
ea sujet. Un peu plus tard, cependant, Bourget commencea
chercher les causes derriere cette attitude, ce qui l'amene aux preoccupations d'un a~pect plus moral. Dans l'Avant-Propos de "Complications Sentimen-tales", il discute cette question dans toute sa profondeur. Ici il apparente 1 'amour physique au sentiment qui consists, pour ainsi dired 'et re "amoureux de 1 'amour". Connne Balzac, Bourget remarque la difference entre l'runour et la passionJ mais il va plus loin que Balzac. Ce que
celui-ci appelle tout simplement "la passion" est une condition decri te par Bourget COTTLme "le e;out d' eprouver un sentiment. I! (1)
Amoureux, il fa.ut nous demander: "Aimons-nous
a
aimer ---ou aimons-n---ous t---out simplement?"(2) C'est quand nous aimonsa
aimer qu'il faut prendre garde, car ce sentiment n'est pas base sur un veri table amour' mais sur notre"egoisme emotif. ft"Plus simplement," conclut.-il, "dans un double amour, il y a presque toujours un des deux sentiments qui est une degradation. Pour atteindre 11un et pour se relever de l'autre, il faut un effort. Il faut, si etrange que parait l'union de ces deux mots: meriter d'aimer. Mais ne le faut-il pas toujours?
Y
a-t'il un beau et grand sentiment qui ne soitune conquete de notre 'moi' superieur sur notre 'moi' inferieur?" (3) La rlua.li te du coeur est un probler:'~e qui se
rapproche. beaucoup
ck
eel ui que Bourget nomrne "la mul tiplici te du moi." Cette theorie con state qu' il y a da.ns 1'ame
non seulement un ~tre mais plusieurs. D'ailleurs, nous sommes un individu(1) Paul Bourget: Complications Sentimentales. Avant-Propos. (2) Ibid.
different pour chacun de ceux que nous rencontrons, car chacun eveille chez nous un sentiment pa.rticulier qui depend d~ nos besnins et qui y
repond. Le personnage de Therese dans "Cruelle Enigma" est pa.rtage entre un etre spiritual et un etre tout
a
fait instinctif. Bourget pousse cette theorie encore plus loin, cependant. Il montre que nous ne nous connaissons jamaisa
fond. Quand une situation in&ttenduesurgit, il s'eveille dans notre
ame
una sensation qui revele un etre dont nous n'avions jamais eu le moindre soup~on.Le roman "!lens onges" illustre b ien cette idee. Au commencement de l'histoire, nous sornmes introduits dans le menage
Fresneau, ou Rene Vincy demeure avec sa soeur Emilie et son beau-frere Maurice Fresneau.
c
•est un menage tres SiLlple, "compose de purdevouement, de tendre affection, de gateries familiares, de tiede de rechauffante confiance". (1) Mais Rene, qui a eu du succes comma poete, commence
a
penetrer dans le Monde, gracea
son ami~Larcher.
A una soiree chez la comtesse Komof, il fait la connaissance de la belle Mme ~,!oraines, dont il est bientot epris. Suzanne Moraines, charm.es par sa fraicheur et sa naivete, deviant tras tot sa ma~tresse. Elle joue parfaitement le role d 'une madone, de sorte que Rene se croit son premier et seul amant. Mais (1) Paul Bourget: Mensonges. ed. Plon-NourritSuzanne est en realite loin d'etre une madone. Toutes ses actions et toutes se·s paroles ne sont que ruses pour la satis-faction de ses desirs. Deja mattresse du vieux baron Desforges,
a
qui elle doit son luxe, elle prend Rene, moitie ,par caprice, moitie pour la satisfaction des sens, mais jamais avec sincerite. Pendant plusieurs mois, Rene vit dans un reve de bonheur, sans le moindre soup~on des mensonges dont il est la dupe. Mais tout d'un coup, il apprend la verite.Cls.ude Larcher' eperdument amoureu:::<: d I une
actrice infidele Colette Rigaud, se querelle avec elle, s'en va en Italie, et la, pris de remords demande
a
Rene de plaider pour lui aupres de Colette. Celui-ci, heureux de rendre servicea
son ami, court chez l'actrice. Mais Colette n'a pas ~ardonnea
son ama.nt. Pour le faire souffrir, elle blessera son cher ami Rene. En quelques mats, elle l'eclaire sur la conduite et le passe de Suzanne.Il faut peu de temps
a
Rene pour avoir des preuves de ce qu'a dit Colette. Desespere, desillusionne, le jeune homme tache de vaincre l'arnour qui lui reste pour sa belle maitresse, ma.is il finit par tenter de se suicider. Le livre se termine avec la voix de Bourgeta
travers l'abbe Taconet, l'oncle de Rene:cette femme. D1apres ce que vous m'ell dites, son caprice
assouvi, elle l'aurait laisse. Malade1 elle n'y pensera plus.
C' est 1 'et at moral dont 'cette a venture temoigne che z le pauvre garQon." (1)
Le heres et l'heroine de Mensonges illustrent tous les deux l'idee de "la multiplicite du moi," mais chacun
d'une maniere un peu differente. Mme Moraines est un person-nage franchement egoiste et frivole qui n'a pas beaucoup de profondeur d'ame. Elle partage sa personne entre trois hommes dont chacun repond
a
un besoin particulier. Elle se montre, done, touta
fait differentea
son mari,a
Rene, et au baron Desforges.Rene,
cependant, est un etre pur et naif. Comment arrive-t-il qu'il soit dupe de Suzanne2 La reponse est que le demon de 11inconnaissable dormait dans son coeur chaste, reveillepar l'amour pour Suzanne, il transforme Rene en homme jadis inconnu.
Ces deux idees illustrees dans Cruelle Enigma et dans Mensonges sont pleines de pessimisme, car elles affaiblissent beaucoup toute foi dans la volonte. Si nous ne
0\)~
"f. At • t -'t 1 ° t • d
pouvons pas "connaJ. re
1 SJ. nous som~e5 ~Jeu -e re a VJ. c J.me es
demons caches dans notre
ame,
nous ne tacherons pas de vaincre ce destin. Nous n'aurons done plus de foi dans notre volonte. Ce manque de volonte dans l'amour est la veritable cause de la degradation de l'etre, qui si souvent accompagne cette passion. Rene et Hubert, tous les deux,(I 1 1
comma Helene dans Un Crime d'Amour, sont entres dens un amour sublime avec une foi absolue dans la personne aimee. Et
ou
en sont-ils arrives? Hubert reprend une femme pour laquelle il n'a plus de respect, d'admiration ou de veritable amour. Mais une passion sensuelle dont il est la victime, reste. Rene est egalement desillusionne et nous apprenons dansrPhysiologieq • '
de l'Amour Moderne que la suite de son histoire est analogue a celle d'Hubert - il cede de nouveau
a
sa perfide maitresse. DansI q
Un Crime d'Amour, Helene croit se venger de son amant cruel, en cedant, dans Un moment de desespoir,
a
son rival qu'elle deteste. D'un amour du coeur, ces trois en sont arrivesa
un amour purement sensuel.Aussi bien que ces actions honteuses qui revelent la degradation par la trahison, Bourc,et indique les pensees impures et maladives qui s'insinuent dans l'esprit de la
' ~
le heres, autrefois si pur, est hante d~ns son imagination par l'idee de l'impurete de sa ma1tresse et il sent meme le besoin de voir son rival, "da.ns les bras duquel elle avait fremi de volupte, comme dans ses bras
a
lui." (1)Cette degradation par la faiblesse de la volonte est done un trait de la plupart dew amoureux et des amoureuses de Bourget. Le seul example d'une volonte plus forte que le sentiment se retrouve dans0Le Disciple~~
chez le personnage de Greslou. Tout ce qui ressemble
a
un sentiment dans le coeur de ce jeune homme est tue par la con-viction que le cerveau doit etouffer le coeur.I If
On sait que'Le Disciple apparut comme la satire de l'influence des doctrines deter.ministes sur la
jeunesse contemporaine. Du point de vue de l'etude de l'amotrr, cependant, c'est une peinture de cette passion ou du simulacre de cette passion, d'une part da.ns
l'ame
trop sensible d'tme jeune fille, et d'a.utre part dans l'ame desseche~d'un jeune homme. Il s1agit ici d'un cas special de secheresse - nonpar diletta.ntisme ou par sensibilite bls.see - mais d'une seche-resse intellectuelle qui ne voit plus que matiere
a
tation autour de lui.
Robert Greslou est accuse du meurtre de Mlle Charlotte de Jussat, et il envoie
a
son maitre Adrien Sixte des documents intitules "Memoires sur moi-meme" (titre- _ /
qui revele deja d'ailleurs cet abus de l'interet porte sur soi-meme, cet egoisme de la generation que peint Bourget). Ces documents prouvent l'innocence de Greslou mais en meme temps revelent la perversite de son ame, nee des doctrines materialistes et deterministes qu'enseignait Sixte. Dans son
recit, le jeune homme raconte les influences qui se sont exercees sur sa jeunesse, son hered.i te, tout ce qui 1' a muri et l'a rendu pret
a
recevoir les idees du maitre. Il se montre installe comme precepteur dans la famille du marquisJussat ou'il rencontre Charlotte et son frere, le comte Andre qui fait naitre chez lui une envie admiratrice par le contraste qu'il sent entre sa personne et celle du comte. Voulant s'assurer de son propre pouvoir, il se decide
a
seduire la jeune Charlotte."Je peux me plaindre moi-meme au lieu de me faire horreur, comme cela m'arrive lorsque je me rappelle ce
que j'a.i pense a.lors, cette froide resolution caressee da.ns mon esprit, consignee da.ns mes ca.hiers, verifiee, helas! dans les evenements, la resolution de seduire cette enfant sans l'aimer,
I
par pure curiosite de psychologue, pour le plaisir d'agir, de manier une
ame
vivante, moi aussi, d'y contemplera
meme etdirectement ce mecanisme des passions jusque-la etudie dans les livres, pour la vanite d'enrichir mon intelligence d'une experience nouvelle." (l)
Cette idee monstrueuse de seduction reussit bien. Charlotte, apres avoir lutte contre !'rumour qu'elle
eprouve pour Greslou, consent
a
se donnera
lui, pourvu que tous les deux se suicident apres. Greslou promet, mais, le moment arrive, il ne peut pas tenir sa parole. Charlottes'em-poisonne et Robert est accuse. Seul le comte Andre connait la verite par une lettre ecrite par Charlotte avant sa mort. Sixte decide le camte
a
faire declarer !'innocence de Greslou. Mais a.pres l'aquittement, le comte venge sa. soeur en tuant le se-ducteur. Le recit de Greslou, cependant, a eveille des doutes en Sixte, au sujet de la verite de ses doctrines.A l'egard de la. puissance de la volonte, il est interessant de noter dans le recit de Greslou, les efforts qu'il lui fa.ut faire pour dominer les sentiments qu'il sent naitre dans son coeur. Au co~mencement, le jeune homme s'etait froidement et cruellement decide
a
seduire la jeune fille.hlais, ~eu
A
~eu, on voit derri~re ses mats qu'il ne reste pastoujours ainsi insensible. Enfin, cependant, il dorniw.e_· ses
sentiments et accomplit son plan od~etcr de seduction.
Ce cas. de 1 '·3r(t-?t8:-:J.ent d' une volonte deva..."YJ.t
1 'obstacle res semble beau coup aux ro.;1ans de Stendhal. En effet
''L.~
le personnage de Greslou rappelle Ju1ien Sorel ci.C1l1f !\Rouge et le
Noir." Taus les deux sont des egoistes, .et tot'..S les del14\:
veulent exercer une influence par la :'~1J.issance de la volonte.
Seule::n.ent, il y a q11elque cl:.0se de plus }!assionne chez Julien
•
qui, en depit de ses calculs, est capable d'une vraie emotion.
Le manque complet de sentirr.eYlts clJ.ez Gres1ou fait de l ui une espece de monstre.
Si ~ourget a insist0 plus s:0&cialement sur
les traits precedem.rnent c~ t£s, il a par aille,Ts !:;rs.ce une fresque
•
assez vaste des differents episodes de l'a~our que la vie peut
offrir
a
nn spe ctateur attentif. Eous ne pouvons n:.icux ill ustrerceci qu'en faisant nne sorte de revue des [_;rar,ds types amoureux
de Bourget. En effet, si nuances et si varies que soient les
personnages de l'auteur, on peut, cependant, en ;:;ros, ra.mener
a
quelques grands types, les heros et les heroines qu'il a peints
avec le plus de predilection. Ils L1carnent assez bien les
grandes tendances qu'il a distinguees chez les personnes placees en face de cette experience de l'amour.
Les personnA..ges masculins de Bourget com-prennent deux grands types - t~ heros chaste et delicat, et le
"'
seducteur impuissant o.aimer.
Le premier de ces types est illustre par Hubert Liauran, par Rene Vincy, par Poyanne (Un Coeur de Femme) et par Pierre Haute~euille (une Idylle Tragique). Ce sont des reveurs, des idealistes au coeur fidele, inexperimentes dans le monde de l'amour. Un peu timide, ils sont en amour pro-fondement atteints, sans etre capables, cependant, d'exprimer toute la profondeur de cet amour. Ils sentent des pudeurs presque feminines
a
l'egard des realites passionnelles et pourcette raison, sont generalement attires vers une femme mondaine, sure d'elle-meme. Inconsciemment, ils lui laissent prendre
l'initiative et ne s'abandonnent que si on leur fait des avances. Voici. ce que dit Bourget de la delicatesse d'un de ses heros:
"Chez certains homrnes, et Poyanne etait du nombre, tres purs dans leur jeunesse et plus tard trahis cruelle-ment, il s'etablit une defiance d'ewc-memes presque invincible,
et ce malaise se traduit par une pudeur plus feminine que mas-culine