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Le style classique

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Le style classique

Philippe Vendrix

To cite this version:

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L

E STYLE CLASSIQUE

1. Introduction

Les termes “classique” et “classicisme” ont une longue histoire. Chacun d’eux a été appliqué à une grande variété de musique de différentes cultures. Les quatre significations qui prévalent dans l’acception générale sont : une discipline formelle, un modèle d’excellence, une référence à l’antiquité gréco-latine et une opposition au romantisme. La deuxième définition – modèle d’excellence – jouit d’une diffusion très large et fut appliquée, en ce sens, à la musique dés le début du XIXe siècle lorsque Forkel caractérisait de “klassisch” des œuvres pour clavier de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). En Allemagne encore, à la même époque, quelques théoriciens confèrent au terme une signification plus spécifique en dénommant Joseph Haydn (1732-1809), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Ludwig van Beethoven (1770-1827), les “classiques viennois”, dénomination qui se voulait le pendant de celle utilisée en littérature avec le “Weimarer Klassik”.

Parler des “classiques viennois” ne fut pas sans provoquer des contestations et des élargissements. Aux idiomes classiques illustrés par Haydn, Mozart et partiellement Beethoven, d’aucuns substituèrent une acception englobant toute une époque et parlèrent d’une “période classique”. Il est vrai qu’avec l’œuvre de ces trois maîtres sont contenus les sens du mot classique : Haydn comme illustrateur d’une discipline formelle, Mozart comme modèle d’excellence et Beethoven comme l’instigateur d’une opposition classique-romantique. Le quatrième sens – référence à l’antiquité gréco-romaine – trouve place lorsque, sortant du cadre du classicisme viennois, on inclut les modifications apportées à l’opéra par Christoph Willibald Gluck (1714-1787) et leur culmination dans les chefs d’œuvre de Mozart où le référent à l’antiquité reste indélébile.

Les ambiguïtés terminologiques contribuent incontestablement à obscurcir les limites de la catégorie esthético-historique “classique”. Lorsqu’en 1750, Jean-Sébastien Bach meurt, Joseph Haydn, jeune compositeur, survit en donnant des leçons à Vienne. En 1759, à la mort de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), il est au service du comte Mozin et a déjà à son actif une dizaine de quatuor à cordes. Au même moment, à Salzbourg, un jeune garçon étonne par ses dons prodigieux un père ébahi. Ce que pianote Wolfgang Amadeus, des œuvres alors à la mode pour les débutants, semblent fortement éloignées stylistiquement des dernières œuvres des grands maîtres de l’Allemagne du Nord. Tandis que les derniers représentants du baroque tardif livraient leurs chefs-d’œuvre, une génération de compositeurs actifs entre 1740 et 1760 jetait les fondements d’un style nouveau.

2. La formation d’un style

Entre 1740 et 1770, les pôles européens de la création qui s’étaient concentrés en Italie durant l’ère baroque, connaissent un éclatement géographique sans précédent : à Berlin, à Paris, à

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Milan, à Londres, à Vienne, une multitude de compositeurs abandonne les idiomes baroques pour tenter d’élaborer un langage neuf. La première de ces deux générations couvre en quelque sorte les années d’activité des fils de Bach : Wilhelm Friedemann (1710-1784), Carl-Philippe-Emmanuel (1714- 1788) et Johann-Christian (1735-1782). Les deux premiers modifiaient dans le nord de l’Allemagne l’héritage paternel. Le troisième parcourait les routes de l’Europe en quête de nouveautés et allait s’installer à Londres où avec Karl Friedrich Abel (1725-1785), il diffusait les prémisses d’un style qui connaîtra son plein épanouissement vers 1770. Lors de ses pérégrinations, il devait s’arrêter à Milan où Giovanni Battista Sammartini (1704-1774) édifiait les règles de la symphonie, du quatuor. A Naples, opera seria et opera buffa se menaient une

lutte acharnée : l’un tentait de survivre et y parvenait grâce à l’efficacité de librettistes ingénieux et de compositeurs inspirés, tandis que l’autre établissait lentement les conditions de son autonomie. Une cour allemande particulièrement riche entretenait un orchestre remarquable que dirigeait depuis 1745 Johann Stamitz (1717-1757) et qu’enviait toutes les cours : Mannheim. La capitale française menait de front une persistance des traditions et un accueil des nouveautés les plus diverses. L’opéra-comique, une école de symphonistes et des virtuoses solistes allaient émerger de cette confrontation pour offrir à l’Europe musicale quelques modelés où iront puiser les “grands” de Vienne.

Le changement le plus visible s’est apparemment effectué, durant ces trois décennies, dans la musique instrumentale. Au concerto grosso, les compositeurs substituent la symphonie,

tandis que le quatuor à cordes et la sonate remplacent la sonate en trio et la suite. D’autres genres apparaissent comme des émanations de ces deux modifications : le trio à cordes, le quintette, le trio avec piano, la symphonie concertante. Autrement dit, tous les genres sont réévalués, excepté le concerto pour soliste et orchestre qui survivra même au-delà de la période classique, en relation avec les transformations non seulement du langage musical mais aussi des moyens mis à la disposition des compositeurs. Effectivement, des instruments inventés à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe acquièrent leur réelle popularité vers 1750. Ainsi en est-il de la clarinette, inventée par Jacob Denner, du cor pour lequel le jeu de la main droite dans le pavillon connaît des progrès considérables vers 1750. Au milieu du XVIIIe siècle, l’orchestre symphonique idéal peut donc être constitué. En principe, il devait consister en flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors et trompette par deux, en trombones par trois et timbales, en cordes divisées en cinq groupes (deux pour les violons, un pour l’alto, le violoncelle et la contrebasse). Évidemment, cet orchestre idéal ne put qu’exceptionnellement être constitué durant la seconde moitié du siècle, et le type le plus fréquent consistait en deux hautbois, deux cors, deux bassons, l’ensemble des cordes et suivant les cas, des instruments supplémentaires. même si la basse continue était obsolète dans les principes, la présence d’un continuo se manifestait encore. Le musicien au clavier faisait fonction de chef, fonction qui sera progressivement confiée au premier violon dont la gestique de l’archet devait conduire à la notion de chef avec baguette.

Les conditions des orchestres dans les différents centres musicaux, que ce furent les salles de concert, les opéras, les églises, les cours, variaient et justifient les orchestrations de certaines œuvres. Les techniques d’orchestration nouvelles s’ajoutent aux transformations du langage pour conférer à la musique de style classique une sonorité différente de celle du baroque tardif. Alors que précédemment, la doublure des lignes par tous les instruments disponibles s’offrait comme principe unique, les classiques disposent d’une palette de procédés élargie. Les jeux s’effectuent fréquemment entre vents et cordes, conférant à chaque mesure

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une variété de timbre. L’invention du gravicembalo col piano e forte par Bartolomeo

Cristofori dans la première décennie du XVIIIe constitue un événement d’ampleur. Le

pianoforte réunit en lui les qualités du clavecin – sonorité pleine – et du clavicorde – qualité

expressive -. Ce n’est pas avant 1760 que cet instrument acquiert une popularité notable et qu’apparaît une série de virtuoses qui lui dédient de nombreuses œuvres : à Mozart et Beethoven s’ajoutent Muzio Clementi (1752-1832), Johann Dussek (1760-1812), Johann Nepomuk Hummel (1779-1837) pour ne citer que les plus connus.

Les genres lyriques participent également à l’établissement du nouveau style. Deux facteurs importants y contribuent. En Italie comme en France, un mouvement d’opposition aux conventions de l’opera seria et de la tragédie en musique jugées trop archaïsantes draine

l’attention des “modernes” vers des genres correspondant mieux à la sensibilité du temps. L’opera buffa et l’opéra-comique naissent et acquièrent leurs lettres de noblesse entre 1730 et

1765. Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736) et sa Serva padrona (1733) définissent les

conditions d’autonomie du genre italien, tandis qu’Egidio Duni (1709-1775), Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) et François-Danican Philidor (1726-1795) préparent sur la scène de la Comédie Italienne de Paris l’arrivée d’André-Modeste Grétry (1741-1813) et Nicolas Dalayrac (1753-1809). Les contacts étroits entre les différentes écoles d’opéra favorisent l’établissement d’un langage relativement commun qui, parallèlement, incite certaines nations à fonder leur distinction sur la langue. L’Italie et la France avec l’opera buffa et l’opéra-comique, l’Allemagne

et l’Angleterre avec le Singspiel et le Ballad Opera.

Seules les formes religieuses (oratorio, messe) et quelques genres vocaux (cantate) perpétuent les schémas hérités du baroque. L’effort des compositeurs s’y orientera principalement vers une accommodation aux goûts du temps, au risque parfois, comme ce fut le cas pour Mozart et Haydn, d’encourir la critique d’une trop grande liberté à l’égard des intentions religieuses.

Ces changements dans les genres n’auraient pu être effectués sans la formation d’un nouveau style d’écriture, sans la constitution d’un langage que la postérité qualifiera de classique.

3. Les éléments du langage classique

En germe chez les préclassiques et en position d’équilibre chez les maîtres viennois, le langage classique redéfinit tous les paramètres de la composition : mélodie, harmonie, rythme et forme. Cette redéfinition ne s’effectua pas systématiquement, en distinguant chaque paramètre. Bien au contraire : mélodie, harmonie et rythme exercent l’un sur l’autre des interactions que reflètent les transformations des principes formels. Ce n’est qu’en 1781, lorsque Haydn publie ses Six quatuors à cordes opus 33 (dits Quatuors russes) qu’il dit, non sans

raison, “écrits d’une façon tout à fait nouvelle et spéciale”, qu’un moment d’équilibre est finalement atteint ; un moment où toutes les innovations entreprises aux différents niveaux de l’écriture trouvent leur expression idéale dans une forme aux contours bien définis. Il aura fallu plus de deux décennies à Haydn et à Mozart pour donner la meilleure illustration de leurs multiples recherches et ouvrir la voie à Beethoven et à l’éclatement du cadre classique.

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s’était cristallisée sous la plume de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et Johann Adolf Scheibe (1708-1776), c’est dans l’opera buffa italien qu’elle a germé sous la plume des compositeurs.

L’opera buffa, tout comme la musique populaire, se nourrissait de mélodies courtes et

fragmentées qui ne furent pas parfois sans être transformées en fragmentations essoufflantes et unifiées comme chez certains symphonistes prédécesseurs de Joseph Haydn (Monn, Wagenseil, Stamitz). Parallèlement, les compositeurs de l’Empfindsamkeit orientaient leurs

mélodies vers des lignes plus souples et plus étendues, habitude que Jean-Chrétien Bach approfondira et communiquera au jeune Wolfgang. En une vingtaine d’années, 1745-1765, les types mélodiques en usage pendant la période classique avaient été définis, excepté bien sûr le type agressivement populaire créé par Haydn vers 1780 (comme dans ses Symphonies 85 et 88)

et poussé à son paroxysme par Beethoven. Le talent de Haydn et de Mozart ne consista donc pratiquement pas en la création de types mais plutôt en la définition de principes mélodiques.

La phrase mélodique protoclassique répondait à une volonté de brièveté. La phrase se faisait courte, périodique et articulée. En cela, elle marquait une nette rupture avec le canon baroque qui reposait sur le principe de la continuité. Les sonates pour clavier de Domenico Scarlatti (1685-1757) offraient déjà une illustration de cette pratique nouvelle : la phrase de deux mesures, nettement articulée, s’imposait. A la suite du claveciniste italien se généralise la conception de la phrase comme petite unité allant de deux à sept mesures ; la longueur de quatre mesures n’étant qu’un a posteriori théorique imposé aux alentours de 1820. Concomitant au

phrasé périodique et articulé, deux principes découlent de cette pratique nouvelle. D’abord, une sensibilité accrue pour la symétrie et ensuite, une variété rythmique quasi infinie. A partir du moment où le phrasé court devient unité, un contraste rythmique s’impose et s’oppose en quelque sorte à la facture rythmique homogène du baroque où les rythmes différents se superposaient ou se distinguaient par grands blocs.

Parallèlement aux modifications mélodiques et impliqués par celles-ci, les usages harmoniques se transforment. La musique baroque reposait déjà sur les deux pôles représentés par la tonique (le 1er degré) et la dominante (le 5e degré) de chaque tonalité. A peu prés toutes les pièces instrumentales débutent et terminent dans la même tonalité. Elles tendent, en cours de route, à moduler à la dominante, ou au relatif majeur lorsque la pièce est en mineur. Le rôle des classiques consistera à faire de cette polarité tonique-dominante une nécessité irrésistible. Il n’y a donc pas rupture, mais nouvelle conception des rapports qui se tissent entre tonique et dominante.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, principalement dans les danses, on trouve une énonciation d’un matériau mélodique répété deux fois. La distinction s’établit entre les chemins harmoniques. La première énonciation part de la tonique pour gagner la dominante tandis que la seconde ramène, au départ de la dominante, vers la tonique. Deux niveaux de lecture sont possibles. Le premier, considérant le paramètre mélodique, consiste en A-B/A-B ; le second, considérant le paramètre harmonique, se construit en A-B/B-A. L’impression binaire domine donc, et la réaffirmation de la tonique n’intervient qu’à l’extrême fin de la pièce : elle ne paraît qu’exceptionnellement en cours de morceau. Le rôle de Haydn et Mozart consista à articuler dramatiquement tant le passage à la dominante que le retour à la tonique. Ce qui revient en quelque sorte, à transformer provisoirement la dominante en nouvelle tonique. Le schéma qui en ressort peut être représenté comme I - V (=I=) V - I. A la différence des compositeurs baroques, les classiques marquent le retour à la tonique bien plus tôt dans la pièce. Il en résulte

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non plus une impression bipartite mais tripartite. Le paramètre de sectionnement n’est plus la longueur mais l’articulation ou la fonction harmonique.

Un tel bouleversement des rôles de la tonique et de la dominante est simultané d’une nouvelle interprétation des rapports entre tonalités et des modulations. Le langage classique repose fondamentalement sur le tempérament égal. Il ne s’agit plus de montrer, à l’instar du Clavier bien tempéré de Bach, que toute tonalité, majeure ou mineure, peut donner lieu à une composition vivante. Il s’agit plutôt de montrer que de n’importe quelle tonalité, il est possible de moduler de manière cohérente ou de manière abrupte. Cette nouvelle conception découle d’une hiérarchisation des tonalités par rapport à la tonalité centrale de la pièce. Celle-ci repose sur deux directions. La direction de dièses (c’est-à-dire de la dominante) entraîne un accroissement de la tension ; celle des bémols (c’est-à-dire de la sous-dominante, le 4e degré) entraîne une impression de détente ou de repli sur soi. Le phénomène de la modulation prend ainsi consistance : au départ de la tonique, plusieurs chemins possibles s’offrent au compositeur et sont porteurs d’une signification dramatique particulière. Le principe fondamental des relations reste la clarté. Il faut que chaque modulation soit perceptible par les auditeurs. Cette évidence du langage tonal autorise bien sûr des jeux dont Haydn et Beethoven firent un usage fréquent.

De cette dramatisation des divers paramètres (mélodique, rythmique et harmonique), découle la mise en évidence d’une construction formelle : la forme sonate qu’il convient de ne pas confondre avec le genre sonate. Cette forme sonate constitue le principe formel le plus important. Elle affectera autant les genres lyriques que les genres instrumentaux.

Un mouvement typique de forme sonate consiste en une structure tonale bipartite articulée en trois sections. La première partie comprend l’exposition tandis que la seconde regroupe le développement et la récapitulation ou réexposition. L’exposition se divise en deux groupes : le premier à la tonique, le second à la dominante. Chacun de ces groupes peut contenir plusieurs thèmes différents. Cependant, de chaque groupe émerge un thème principal qui porte respectivement le nom de “premier thème” et de “second thème”. Le développement reprend, en les variant, des matériaux de l’exposition, les faisant passer par une série de modulations. La fin du développement prépare la récapitulation, marquée par un double retour : celui du thème principal et celui de la tonique. Quant au second groupe de l’exposition, il est réitéré mais cette fois, à la tonique. Une cadence proche de la fin de l’exposition ou une coda conclut le mouvement.

Un style sonate – paroxysme du classicisme – conditionne l’usage de cette forme grâce à une articulation et une dramatisation des événements intervenant dans le cours du mouvement. Le rôle des “grands Viennois” s’orientera donc surtout vers une polarisation de la tonique. Chaque écart par rapport à la tonique est ressenti comme signifiant. En cela, l’exposition joue un rôle primordial dans la mesure où elle positionne les conditions de cette polarité. La variété des effets contrastants, rythmiquement, harmoniquement et mélodiquement devient moyen de marquer la relation que chaque mesure entretient avec la tonique.

La polarité de la tonique est en état de déséquilibre à la fin de l’exposition où le second groupe inscrit la dominante comme centre. Le rôle du développement consiste donc à ramener ce centre vers la tonique, point atteint au moment de la réexposition. Afin de conférer à ce retour le plus d’effet, le développement recourt à toute une série de procédés afin de retarder

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et de préparer ce retour. Structurellement, le développement se présente comme une longue transition dont les principes ne sont pas régis spécifiquement. Chaque compositeur trouve à chaque cas une ou plusieurs solutions. Cependant, quelques procédés de développement émergent : la fragmentation d’un thème en courts motifs souvent combinés à des modulations basées sur des séquences (la Symphonie Jupiter de Mozart) ; la combinaison d’un thème avec

un passage contrapuntique (la 40e Symphonie de Mozart) ; la fusion en écriture contrapuntique

de différents thèmes (Héroïque de Beethoven), la juxtaposition de thèmes contrastés entendus

séparément (la 102e Symphonie de Haydn), l’augmentation de la complexité de texture

(Héroïque), l’extension par des séquences, les modifications de la structure rythmique

(Symphonie 94 dit “surprise” de Haydn). Ces procédés dont la liste est bien plus longue,

s’ajoutent aux modulations, aux instabilités tonales pour créer une section de forte tension où le climax du mouvement est atteint. Ce climax psychologique d’origine tonale, mélodique et rythmique préfigure le climax structurel que constitue la récapitulation. Il en va aussi bien pour la manière de développer que pour le choix du matériau : aucune règle ne prévaut. Mozart peut n’utiliser qu’un thème de l’exposition (Symphonie 40) et Haydn plusieurs (Symphonie 102). Avant 1780, de nombreuses œuvres débutent leur développement par une reprise du

thème principal à la dominante. Beethoven le fera même à la tonique (Sonate opus 31/1). Après

1780, Mozart, Haydn et Beethoven offrent différentes voies : le thème principal transformé tant tonalement que structurellement (94e Symphonie de Haydn, 9e de Beethoven), un thème du second groupe (K.543 de Mozart) ou un thème du groupe final de l’exposition (Jupiter de

Mozart, Sonate opus 10/2 de Beethoven). Le procédé le plus courant consiste néanmoins en

l’exposé d’un nouveau thème au début du développement : sorte de repos avant d’engager le long chemin qui ramènera à la tonique (Quatuor K.458 de Mozart).

La déstabilisation provoquée par les méandres du développement s’efface progressivement. La zone de la dominante refait son apparition avec plus de netteté, facilitant ainsi le retour à la tonique. Ce retour constitue le seul principe rigide de la récapitulation. En effet, ni Haydn, ni Mozart ou Beethoven ne procèdent mécaniquement. Cette insistance sur la zone de la tonique implique la répétition d’un matériau précédemment entendu dans une autre zone (celle de la dominante) à la tonique. Le procédé le plus courant, consiste à répéter le thème principal, à faire allusion aux autres thèmes du premier groupe de l’exposition et à reprendre les idées majeures du second groupe. Une fois encore, il dépendra de l’inspiration du compositeur de renouveler ce schéma idéal. Du matériau peut être éludé (Symphonie K.297 de

Mozart), étendu (40e Symphonie de Mozart, Sonate Waldstein de Beethoven) ou complètement

recomposé (3e Symphonie de Beethoven). Haydn, dans ses œuvres tardives, procède parfois

tout à fait différemment de ce à quoi on aurait du s’attendre. Si tout, ou à peu prés, est réexposé dans un ordre plus ou moins identique à celui de l’exposition, il n’empêche que chaque phrase peut être réécrite (opus 33/3), certaines sections sont renversées (47e Symphonie), du matériau

de remplacement est étendu (99e Symphonie) ou tout est réécrit (104e Symphonie). Et le tout

sans modifier les proportions de l’ensemble !

Au schéma exposition-développement-récapitulation, quelques compositeurs ajoutèrent une introduction et une coda. Le rôle des introductions lentes consiste en une concentration sur un événement plus sérieux et en une impression de mouvement plus grande, puisque surgit évidemment le contraste lent-vif. Si, au départ, aucun lien thématique n’existe entre l’introduction et l’allegro qui suit, après 1790, un souci d’unité apparaît plus fréquemment

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comme dans la 103e Symphonie de Haydn ou la Sonate pathétique de Beethoven. Cette

procédure atteint son paroxysme avec Beethoven dont la fusion du matériel introductif au sein du mouvement n’autorise plus la distinction introduction-allegro, comme dans la 9e

Symphonie.

Deux possibilités de conclure un mouvement de forme sonate s’offrent aux maîtres classiques : ou bien la fin de l’exposition est reprise (Quatuor K.428 de Mozart) ou bien la fin du

second groupe est étendue. Cette expansion donne l’impression d’une coda qui ne rompt en

rien l’aspect binaire.

La forme sonate ne constitue certainement pas l’unique structure dont disposaient les compositeurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle représente cependant le moyen le plus efficace et le plus souvent exploité d’intégration des idiomes du style classique. D’autres formes connurent une vogue particulière. Parmi celles-ci, il en est qui découlent logiquement de la forme sonate. Ainsi, le rondo sonate : il puise au rondo son principe d’alternance de refrain et de couplet et à la forme sonate son insistance sur le premier groupe, c’est-à-dire le refrain, souvent alors séparé du couplet par une barre de reprise. Les couplets jouent le rôle de développement et le refrain final de récapitulation. Cette forme fut exploitée dans des sonates, des symphonies et des concertos surtout où la possibilité de mettre en évidence la virtuosité d’un soliste se mariait très bien à la structure refrain-couplet. Le rondo sonate se situe rarement comme premier mouvement (Sonate Hob. XVI-48 de Haydn). Il gouverne plutôt le second (opus 13 de Beethoven) et plus encore le dernier mouvement. Haydn à partir de 1770, Mozart durant

toute sa carrière et Beethoven à ses débuts utilisèrent cette structure.

La forme lied sera aussi abondamment exploitée dans la musique instrumentale. Son principe n’a rien de commun avec le genre vocal allemand. Il s’agit d’un mouvement lent dont l’unique thème, assez développé, est sectionné en trois parties : une exposition, souvent ternaire, une section médiane sans lien thématique avec l’exposition et une réexposition. Il y a également proximité de la forme sonate en ce que l’on peut y percevoir celle-ci sans son développement.

Issu de la suite de danse baroque, le menuet joue également un rôle important dans le répertoire classique. Introduit par Monn dans la symphonie dés 1740, il deviendra partie intégrante du genre avec Johann Stamitz et ses disciples de Mannheim. Joseph Haydn en définit les principes assez rigoureusement. Au menuet bipartite AB est d’abord ajouté une réexposition de A dont résulte le schéma ABA’ dont chaque section est répétée (I : A : II : BA’ :I). La partie centrale, originellement écrite à trois parties, d’où son nom “trio”, contraste avec la première par son inspiration mélodique et sa tonalité. Contrairement à ce que laisse supposer ses origines, le menuet donne lieu à des constructions complexes. Mozart, par exemple, y fait montre d’une grande inventivité rythmique, tandis que Haydn y révèle la variété de son inspiration, passant de la danse paysanne à l’élaboration sophistiquée. L’accélération du tempo des menuets justifie partiellement son changement de dénomination en scherzo. Introduite par Haydn, cette modification se généralise avec Beethoven. Ce dernier recourt toujours au schéma ABA’, évite cependant la fragmentation motivique pour conférer à la forme une certaine continuité. L’expansion des sections constitue également un travail typique de Beethoven : chaque partie se subdivise pour donner l’impression d’une exposition, d’un développement suivi d’une coda.

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Les formes de la musique vocale furent également affectées par l’établissement du langage classique. L’aria da capo concentre toute l’attention des auditeurs d’opéras. Il était

construit suivant le schéma tripartite ABA (= da capo). A l’intérieur de cette tripartition règne

un ordre harmonique et mélodique. Cette forme peut se résumer ainsi

A B A (da capo)

Thèmes a b a b c a b a b Tonalités I V V I modulations I V V I

La forme sonate va imprimer à ce schéma des modifications harmoniques et mélodiques, de manière à donner l’impression d’une exposition (A), d’un développement (B) et d’une réexposition (A’) qui réinterprète le schéma harmonique de A (exposition) :

A B A’

Thèmes a b c a b

Tonalités I V modulations I I

La forme sonate de mouvement lent, c’est-à-dire celle qui élimine la section de développement, donne également lieu à une application vocale. La structure harmonique sera de I-V, I (ou AA’ ou ab, a). Mozart en fait usage dans Don Giovanni (“Ah, chi mi dice mai” et

“Il mio tesoro”, respectivement de l’acte I et l’acte II). Lorsque seule la section A apparaît, le terme “cavatina” est utilisé.

La forme rondo apparaît aussi dans l’opéra. Mozart construit le finale de l’acte I des

Nozze di Figaro sur le schéma ABACA, tout comme Gluck dans “J’ai perdu mon Euridice”

d’Orphée (1774).

4. Les genres instrumentaux

L’histoire et la définition du style classique pourraient s’effectuer grâce aux genres instrumentaux. Aux compositeurs classiques, l’on doit plus de dix mille symphonies. Sonates, trios, quatuors et quintettes sont innombrables. La plupart des villes vivaient au son du divertissement, des sérénades, cassations et genres apparentés. Chaque terme possède son sens propre, et tous les genres cités ont connu leur propre évolution. Ainsi, divertimento et partita désignent de préférence des œuvres non-orchestrales. Cassatio, Notturno, Serenada et Concertino indiquent, dés 1750, plus un caractère qu’un genre. A Divertimento et Partita se

substituent autour de 1770 des désignations plus précises comme Sonata ou Quatuor.

Des sonates de “style galant”, protoclassiques, aux dernières sonates pour piano de Beethoven, tous les idiomes du classicisme sont mis en œuvre. Les représentants de la phase protoclassique, Baldassare Galuppi (1706-1785), Sammartini, Luigi Boccherini (1743-1805),

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Martin y Soler (1754-1810) et même le jeune Haydn, usent d’unités de deux mesures qui se déploient plutôt en extension qu’en intensité. La basse d’Alberti (accord arpégé répété à la main gauche) et d’autres figures d’accords prédominent à la basse. Avec le style de l’Empfindsamkeit, une intensification des procédés du style galant voit le jour. Elle répond en quelque sorte aux préoccupations du Sturm und Drang. La fragmentation mélodique croît, les cadences

interrompues abondent, les horizons tonals s’élargissent et le rythme s’émancipe au point d’approcher du récitatif.

Les maîtres classiques, Haydn et Mozart, orientent ces tentatives vers un équilibre de style et de forme. Celui-ci procède de l’influence croissante du groupement de phrases sur la structure. Car les phrases elles-mêmes s’allongent, le rythme harmonique se ralentit et le plan tonal se distribue en plateaux bien dessinés. La texture s’étoffe également : trois parties plutôt que deux. La basse d’Alberti est intégrée avec beaucoup d’habilité dans un complexe harmonique plus coloré qui n’empêche nullement la perception des grandes zones tonales. Ainsi, comme dans l’Andante K.533 de Mozart, chromatismes, changements de modes et

dissonances brutales enrichissent la palette sonore.

Beethoven et Clementi procèdent avec la sonate illustrée par Haydn et Mozart comme avaient procédé les représentants de l’Empfindsamkeit avec les sonates de style galant. Au

niveau de la texture se marque une intensification grâce à l’intégration d’un contrepoint recherché (opus 106 de Beethoven), le traitement renouvelé des dissonances (opus 81a de

Beethoven), l’usage des syncopes et des sforzando sur les temps faibles des mesures.

Parallèlement à cette expansion tonale et mélodique, la longueur des sonates croît d’une moyenne de 250 mesures pour Haydn à 415 pour Mozart et 560 pour Beethoven.

La suite des trois mouvements, vif-lent-vif, prédomine dés le début de la période classique, et c’est uniquement celui-là que Mozart utilise dans ses sonates pour piano. La structure “à l’italienne” – deux mouvements, le premier généralement plus rapide que le second – est très en vogue auprès des Italiens comme Boccherini. La sonate en quatre mouvements apparaît fréquemment sans qu’aucune règle n’édicte la suite à adopter. Il est d’ailleurs inutile de chercher une quelconque discipline dans le nombre et l’ordre des mouvements d’une sonate classique. Des introductions lentes apparaissent chez Mozart dans ses sonates pour piano et instrument soliste aussi bien que chez Beethoven. De même, les relations thématiques entre mouvements sont la plupart du temps inexistantes chez Mozart et Haydn. Elles deviendront pratique courante avec Beethoven (opus 3/3, opus 13 et opus 106).

L’histoire de la symphonie illustre également l’évolution du style classique. De nombreuses caractéristiques de la symphonie classique apparaissent aux alentours de 1730. L’indépendance des ouvertures d’opéra par rapport au drame permettait des exécutions séparées, et ce sont principalement des compositeurs italiens qui s’y illustrèrent. Dés les années 1730-1740, Sammartini offre au public une symphonie exploitant la forme- sonate. A Milan se constitue une véritable école de symphonistes parmi lesquels figurent Giorgio Giulini (1717-1780), Antonio Brioschi (fl. 1730-1750), Ferdinando Galimberti (fl. 1730-1750). Avec Boccherini, la symphonie intègre complètement les idiomes protoclassiques grâce à l’habilité rythmique et au phrasé articulé qui s’étend sur une plus grande échelle que précédemment. Au milieu du siècle, deux écoles, celle du nord de l’Allemagne autour de Carl-Philippe-Emmanuel Bach et de Franz Benda (1709-1780) et celle de Vienne autour de Monn, Wagenseil, Florian

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Gassmann (1729-1774), préparent le terrain aux grands symphonistes des années 1770. D’autres centres montrent également un goût marqué pour la symphonie : Mannheim avec Christian Cannabich (1731-1798), Carl Stamitz (1745-1801), Franz Beck (1730-1809) et Paris avec François- Joseph Gossec (1734-1829), Simon Leduc (c ; 1745-1777). A Londres, c’est plutôt à la curiosité du public qu’à des compositeurs locaux que la symphonie est redevable de son développement. Jean-Chrétien Bach y était prisé, et Joseph Haydn y sera loué.

La génération des symphonistes actifs entre 1750 et 1770 élabore un modèle qui culmine avec le Sturm und Drang, style dans lequel Haydn et Mozart s’illustrèrent. Si la symphonie connaît un engouement sans précédent, la raison en incombe à plusieurs facteurs dont le moindre n’est certes pas l’attention et le succès des virtuoses, principalement sur les instruments à vent (de lé notamment la vague de symphonies concertantes). La texture orchestrale devient aussi un autre véhicule de l’expression de style classique en ce qu’elle pouvait accentuer la possibilité dramatique sans toucher trop profondément la structure formelle, et marquer plus nettement encore l’articulation. L’équilibre des années 1775 n’est pas encore atteint ainsi que le prouvent les symphonies issues du Sturm und Drang. L’usage du

mode mineur paraît exception par rapport à la norme, les “excentricités” foisonnent comme les sonorités feutrées, les effets étranges et imprévus, les clairs-obscurs. Néanmoins, cette volonté d’expression marquée incite à intégrer dans la nouvelle texture harmonique l’écriture contrapuntique. Haydn transforme le menuet de sa Symphonie funèbre (n°44) en un canon, le

mouvement lent de sa 47e Symphonie en un double contrepoint. Cette introduction fut

d’importance et contribua certainement au renouveau de la musique religieuse tant chez Haydn et Mozart que chez Beethoven. Ses conséquences portèrent aussi sur toute la musique instrumentale de style classique, jusqu’aux derniers quatuors de Beethoven.

Malgré ses facettes multicolores, les symphonistes du Sturm und Drang ne parviennent

pas à un équilibre du tout et des parties, qualité suprême du style classique. Il faut attendre 1775 pour que naisse sous la plume de Haydn et de Mozart la symphonie classique dans toute sa splendeur.

Les symphonies de Haydn et Mozart se distinguent de la masse pour des raisons étonnement opposées. Mozart assimile les procédés non seulement de ses compatriotes mais aussi des compositeurs des écoles d’Italie et de Mannheim, les améliorant et les enrichissant. Haydn se concentre surtout sur un raffinement de ses propres idées plutôt que sur celles des autres. Son imagination débordante transparaît au long de sa centaine de symphonies. D’y révèle plus un souci de structure que d’originalité mélodique. Aussi organise-t-il ses symphonies autour de groupes rythmiques et non thématiques grâce notamment à des expositions monothématiques et à des techniques élusives. La présence de développements à l’intérieur de l’exposition et de la récapitulation marque également une indépendance face aux principes formels. Chez Mozart, le goût et le don de la couleur entraînent une orchestration plus riche, une variété du langage harmonique tant dans le choix des accords que dans l’ordre des modulations. L’articulation, porteuse de coloris, gouverne l’organisation de ses symphonies qui se détachent peu globalement des principes de la forme sonate.

Le rôle de Beethoven fut, dés sa 3e Symphonie, de briser les cadres de la tradition

viennoise pour aboutir à la 9e, œuvre unique dont les fruits porteront à l’extrême fin du romantisme. Cette rupture s’effectue pourtant dans les normes héritées de ses prédécesseurs.

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Au-delà de l’implication de programmes extra-musicaux, les symphonies de Beethoven se distinguent par une ampleur formelle liée notamment aux nouveaux chemins harmoniques, issus d’un abandon de la stricte polarité tonique- dominante et conditionnant des résolutions à distance. Le compositeur recourt conséquemment plus volontiers aux courts motifs à la manière de Haydn, délaissant les longs thèmes mozartiens : sur une grande échelle, les courts motifs articulent mieux la forme que les longs thèmes qui auraient du s’étendre à l’infini. Beethoven ne rejette rien. Il intègre des détails du classicisme viennois à une conception de l’œuvre plus large. Ses codas s’individualisent comme celles de Mozart mais prennent l’ampleur de finales d’opéra.

La symphonie ou la sonate révèlent les pérégrinations du style classique, de sa formation à son presque éclatement. Les mêmes étapes se retrouvent dans tous les autres genres, du quatuor à l’octuor en passant par le concerto, la variation ou même le divertissement. Cette évolution ne se cantonne pourtant pas uniquement aux genres instrumentaux. Elle touche en profondeur aussi le genre le plus prestigieux de l’histoire de la musique : l’opéra.

5. L’expérience néo-classique : l’opéra

La référence fondamentale qui prévalut lors de la naissance de l’opéra fut sans conteste l’antiquité classique. En ce sens, le dramma per musica s’offrait comme la résurrection d’un

genre qu’avaient pratiqué les plus créatifs hommes de lettres et musiciens d’Athènes et de Rome. La notion d’opéra comme “art classique” dominera durant toute l’époque baroque. Le référent reste explicite dans la tragédie en musique française ; le rôle de l’Académie arcadienne, fondée à Rome en 1690, s’inscrit dans la lignée florentine et en exacerbe même les prétentions. Les réformes fondamentales, porteuses de conséquences pour le devenir des genres lyriques, menées par Apostolo Zeno et Pietro Metastase découlent du classicisme arcadien romain. Vers 1750, les opéras italiens et français vivent une crise intense. L’opera seria s’embourbait dans

des formules archaïsantes tandis que la tragédie lyrique s’épuisait, Rameau menant à son naufrage l’esthétique baroque.

Un renouveau s’imposait aux scènes lyriques. Il prit la voie de la modernité en conférant aux genres comiques (opera buffa et opéra-comique) ses lettres de noblesse et la voie du

néo- classicisme en redéfinissant les principes fondamentaux de l’écriture opératique.

En Italie, dés les années 1750, c’est le travail conjoint des librettistes et des musiciens qui conduisit à une réforme de l’opéra. Le lieu privilégié de celle-ci fut l’opera buffa, grâce à

Carlo Goldoni et Baldassare Galuppi. Leurs efforts se concentrèrent sur une révision de la thématique littéraire, transformant l’opera buffa en dramma giocoso dont Da Ponte et Mozart

firent usage dans Don Giovanni et Cosi fan tutte, et sur une nouvelle organisation des finales.

L’opera seria se détachait aussi du modèle métastasien dont la structure immuable – le récitatif

pour l’action et les arias pour les états d’âme – convenait parfaitement aux compositeurs baroques comme Haendel ou Hasse. L’intermezzo modifie l’écriture baroque où voix et basse

évoluaient indépendamment, en une écriture où la ligne mélodique est supportée par des accords simples et par une pulsation rythmique homogène. Le règne de l’aria da capo touchait

à sa fin, et Mozart en vécut les ultimes moments lorsqu’il composait pour Milan Mitridate (1770)

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Francesco Algarotti réalisa combien l’application des nouveautés musicales italiennes aux réformes dramatiques entreprises en France sous l’égide notamment de Denis Diderot, étaient porteuse de voies inexplorées. La publication de son Saggio sopra l’opera in musica

(1755), rapidement traduit en français (Essai sur l’opéra), marque un premier pas vers la

constitution d’un style classique dans l’opéra. Il y insiste sur la primauté du drame dans l’opéra. Sa conclusion se fit pratique, puisqu’il écrivit un livret en français dont la portée allait être d’importance : Iphigénie en Aulide.

Si l’influence italienne semble dominer, il n’en demeure pas moins que la France joue un rôle déterminant au sein même des cours italiennes où de nombreuses œuvres furent représentées en traduction. Le poète Fragoni traduit quelques-uns des premiers opéras de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) et Tommaso Traetta (1727-1779) fit monter son Ippolito ed Aricia en 1759 à Parme. Dans cette lignée s’inscrit une œuvre fondamentale de Mozart dont les

attaches avec le modèle français réinterprété par l’Italie sont évidentes : Idomeneo (Munich,

1781).

La génération des compositeurs d’opere buffe napolitains, Niccolo Jommelli (1714-1774),

Niccolo Piccini (1728-1800), Giovanni Paisiello (1740-1816), Pasquale Anfossi (1727-1797) et Domenico Cimarosa (1749-1801), concentre ses efforts sur les ensembles et les finales. Comédie de la collectivité, l’opera buffa devait trouver une solution à l’action en musique. Cette

solution correspond en quelque sorte aux tendances de la musique instrumentale. Un échange entre les deux domaines amène à une forme idéale qu’illustre Mozart dans les Nozze di Figaro

et dans Don Giovanni où dans la scène du bal, trois orchestres se superposent. Le finale fut lieu

de préoccupation aussi d’autant que la dramatisation des opere buffe s’intensifiait. Ce “drame

dans le drame” oblige les compositeurs à concevoir une musique ininterrompue qu’ils veulent fondre dans un moule. Plusieurs solutions sont proposées : du simple vaudeville au finale en chaîne en passant par le final en rondo qu’illustrera Mozart dans l’acte II des Nozze di Figaro.

L’opera seria subit également quelques transformations grâce, notamment, à Leonardo

Leo (1694-1744). De nouvelles formes d’air sont imaginées dans la perspective de remodeler l’aria da capo trop stéréotypé et peu efficace dramatiquement. L’aria di azione ou aria parlante

émerge du principe de contraste, principe fondamental du style classique. Adolf Hasse (1699- 1783) intègre, dans ses airs pathétiques, l’ornementation baroque à la nouvelle construction, avant que la génération suivante, celle de Jommelli, Traetta et Galuppi, épure l’air de tout son héritage ancestral. La voie était ainsi ouverte à la réforme gluckiste et aux opere serie de Mozart, genre qu’il cultivera jusqu’à la fin de sa vie (La clemenza di Tito, 1791).

Suite à la Querelle des Bouffons qui avait déchiré Paris au début des années 1750, quelques compositeurs parmi lesquels Monsigny, Philidor et Duni, entreprennent l’exploration d’un genre nouveau dans lequel pouvaient s’intégrer tant les réformes dramatiques proposées par les écrivains alors à la mode que les nouveaux principes de composition qui émergeaient au même moment dans les genres instrumentaux, sous la plume des Milanais ou des membres de l’école franco-allemande qui inondaient la capitale française de sonates et de symphonies.

Que ce soit en France ou en Italie, quelques caractéristiques d’écriture ressortent du genre comique. Indissociable de l’inspiration littéraire, un spectre assez large de situations physiques et psychologiques marque les partitions. Les contrastes obligés par de telles situations sont facilités par la forte présence de la ligne de basse, autorisant une largeur sonore

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plus étendue et permettant l’introduction de jeux parodique aisément. Les phrases musicales, courtes, sont souvent répétées et facilitent également les contrastes. La texture orchestrale répond aussi aux exigences de la variété grâce à l’alternance irrégulière de densité et de limpidité. Quant aux formes vocales mises en œuvre, elles suivent les schémas habituels (rondo, bipartite, ou composite) et s’organisent autour de larges zones tonales. L’intention parodique, fondamentale aux débuts de l’opera buffa et de l’opéra-comique, incite à utiliser de nombreux

éléments d’écriture, de la pédale harmonique aux chaînes cadentielles en passant par les coloratures, les fanfares, les trémolos, etc.

Ces caractéristiques furent évidemment modifiées par la pénétration d’éléments issus de l’opera seria ou de la tragédie en musique. Il n’en demeure pas moins qu’elles correspondent

nettement à un souci d’articulation, principe fondamental du style classique. Cette rhétorique du comique ne fut pas non plus sans influence sur les œuvres instrumentales dont certaines n’hésitent pas à recourir aux procédés parodiques ou purement humoristiques (Haydn dans plusieurs symphonies) ou aux procédés stylistiques – texture légère, articulation marquée, changements brusques, courtes figures – (Mozart, par exemple, dans le premier mouvement de sa 41e Symphonie).

La primauté accordée à l’action dramatique et la précision de sa peinture musicale, si elles conduisent à une uniformisation des principes d’écriture en Europe, n’en amènent pas moins une volonté d’identification nationale qui s’effectue principalement au travers des genres comiques. L’opera buffa en Italie, l’opéra-comique en France d’abord auxquels succédant le Ballad Opera en Angleterre et le Singspiel en Allemagne. L’émergence d’un style européen

dans les genres comiques et l’émergence des théâtres nationaux sans qu’aucune contradiction ne surgisse entre ces deux mouvements, appelaient une synthèse. Elle fut accomplie, dans un premier temps, par Gluck, avant d’atteindre son paroxysme dans les opéras de Mozart.

Formé à Prague, Gluck s’installe dés 1736 à Vienne. Pendant quelques années, il mène une carrière sur les principales scènes européennes : Milan, Turin, Paris, Londres, Leipzig, Dresde, Copenhague. En 1754, le comte Durazzo l’engage à Vienne et oriente résolument le compositeur vers les productions françaises, et principalement l’opéra-comique. Avec Raniero di Calzabigi, il établit les principes d’une réforme qui se concrétisera en 1774 lors des représentations parisiennes d’Iphigénie en Aulide et d’Orphée et Euridice. Autour de ces deux

opéras et de ceux de Piccini, alors monté sur Paris, se cristallise une querelle dont les implications furent déterminantes pour le devenir du théâtre lyrique. Gluck et son prête-nom sont amenés à s’exprimer sur leurs intentions et à clarifier les conditions de la “révolution” que le musicien se proposait de provoquer.

Il convient de ne pas réduire la réforme gluckiste à ses émanations françaises. Elle découle naturellement de ses productions viennoises tant en italien comme Orfeo, Alceste et Paride qu’en français (refonte d’opéras-comiques). Il convient également de ne pas exagérer

non plus la réforme de Gluck. Les préceptes qu’il émet, avaient été mis en œuvre par un compositeur français bien informé du théâtre lyrique italien : Philidor et son Ernelinde (1768). Les propositions de Gluck sont claires. Elles concernent autant la tragédie lyrique française que l’opera seria. Avec Calzabigi et Durazzo, Gluck définit les nouvelles conditions d’écriture du

théâtre lyrique où la musique est au service de la poésie. Cela n’empêche en rien la caractérisation musicale des personnages et des situations. Les formes mises en œuvre dans

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l’opéra font également l’objet de révisions. L’aria da capo voisine les airs strophiques ou

“durchkomponiert”. Le recitativo accompagnato (accompagné par les cordes) remplace le recitativo secco. Chœur et ballet trouvent leur place au sein de la dramaturgie et n’interviennent

plus comme éléments extra- dramatiques, purement décoratifs. L’ouverture participe de l’œuvre aussi ; abandonnant son aspect de pièce ajoutée, elle prépare à l’action.

Des trois maîtres du style classique, seul Mozart s’est illustré dans tous les genres de l’opéra. Joseph Haydn n’avait pourtant pas négligé la scène lyrique, et Beethoven lui dédiera une œuvre immense, Fidelio. Le talent de Mozart fut sans conteste d’apporter une solution

idéale au problème de l’introduction de l’action dramatique dans la continuité du discours musical. Évidemment, le compositeur bénéficiait des innovations de l’opéra-comique et de la formation d’une nouvelle relation entre l’action et la musique par Gluck. Par le truchement du traitement des ensembles, Mozart découvre le moyen de proposer une dramaturgie musicale répondant aux exigences du style classique tel qu’il le développait parallèlement dans la musique instrumentale.

Les tentatives effectuées en France et en Italie allaient prendre une direction nouvelle lorsque Mozart élabora des ensembles unifiés et non plus des ensembles composites constitués d’une série d’ensembles distincts et même de petits airs distingués par le ton, le tempo et le climat à l’entrée en scène de chaque nouveau personnage. Il ne s’agissait pas non plus d’y parvenir par une synthèse thématique, technique assez simple même si novatrice, abondamment illustrée par Piccini ou par Cimarosa dans le dernier final du Matrimonio segreto.

Chez Mozart, l’unité résulte d’une évolution extrêmement subtile du climat ; elle naît de l’impression d’équilibre et d’inévitabilité. Beethoven y trouvera une source d’inspiration pour la fin de son Fidelio.

Une technique analogue à celle mise en œuvre dans les ensembles servit à Mozart puis à Beethoven à introduire une action psychologique dans l’aria. Alors que dans l’air métastasien,

il était d’usage de décrire deux “affects” différents puis de reprendre le premier tel quel, l’air mozartien, tout en ne subordonnant pas la succession des deux “affects”, parvient à créer une évolution grâce à la réexposition de la première section et non à sa répétition pure et simple. La réexposition de l’air classique (ABA’) prend racine dans ce qui précède et jette un nouvel éclairage sur l’état de l’exposition. L’aria da capo (ABA) se contentait de juxtaposer. Malgré

tout, Mozart se sentait encore à l’étroit dans cette réinterprétation de l’aria da capo. Aussi

imagine-t-il, afin d’introduire une action psychologique dans l’air, de faire correspondre à l’évolution des émotions une structure composite comparable à celle des ensembles. C’est là que réside la richesse de l’air de la comtesse des Nozze di Figaro (“Dove sono”) ou de l’air de

Florestan de Fidelio.

6. Un statut classique

La définition d’un style classique est indissociable de ses conditions d’existence. Au statut d’une musique de style classique correspond un statut du compositeur classique et un statut de son public. Des liens intriqués unissent ces trois aspects : leurs interactions furent nombreuses et conditionnent le paysage musical de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’émergence du style classique est simultanée à la naissance de la culture de masse.

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La notion de compositeur-employé reste de mise pour la seconde moitié du XVIIIe siècle. La plupart des musiciens vivent encore dans un cadre social défini précédemment : ils sont attachés à une cour ou une église et reçoivent régulièrement leur salaire. L’enseignement constituait un moyen parallèle de survie, mais devint bientôt moyen unique. Mozart, après avoir quitté l’archevêque de Salzbourg et s’être installé définitivement à Vienne, subsiste de leçons. Beethoven n’obtint jamais de poste officiel. Tous évoluent néanmoins dans les milieux aristocratiques ou de la haute bourgeoisie, les seuls susceptibles de les rémunérer. La notion de virtuose indépendant émerge cependant même si elle est toujours conditionnée par un rapport de servitude : le virtuose reçoit une gratification du prince. La multiplication des lieux de concerts publics modifie également cette image. Malheureusement pour Mozart et Beethoven, ce fut à Paris, à Londres et en Allemagne que ces lieux se multiplièrent.

Leur rôle fut fondamental pour l’identification personnalisée de l’interprète et/ou du compositeur. Le public se rend à un concert de tel ou tel virtuose. La relation de servitude disparaît progressivement. Parallèlement, l’immense développement de l’édition musicale garantit aux compositeurs une forme d’indépendance financière. Paris, où la gravure remplace très tôt les caractères mobiles, constitue le centre européen de l’édition. Quelques autres villes suivirent comme Vienne où Artaria prit soin d’éditer Mozart et Haydn. Il ne s’en suivit pas pour autant une disparition de la circulation des manuscrits, moyen fréquent de diffusion à l’époque classique. Il résulte souvent des piratages : les éditions faussement attribuées et peu fidèles sont légion.

Ce double mouvement – multiplication des salles de concert et accélération de l’édition – eut de multiples conséquences. Socialement d’abord : hormis la relative possibilité d’indépendance des musiciens, l’expansion du public apparaît comme élément clé de cette situation nouvelle. Les éditions parisiennes se vendent à Vienne, des périodiques musicaux distribuent sur une grande échelle les morceaux à succès, le public se recrute auprès d’une bourgeoisie qui n’est plus seulement celle des enrichis. Au public de masse correspond la notion de célébrité, de popularité. Vers la fin du XVIIIe siècle, l’idée de l’art pour l’art, en tant que produit pur de la création annonce le romantisme.

Cette diffusion sans précédent de la musique au sein d’un public élargi tant socialement que géographiquement contribue à la formation d’un style européen. De Vienne à Londres en passant par Paris, de Berlin à Naples en passant par Milan, un air de famille unit toutes les symphonies, tous les quatuors et tous les opéras. Le style classique crée une unité dans cette première Europe des communications qui fut celle aussi des bouleversements socio-politiques les plus retentissants.

Haydn, Mozart et Beethoven illustrent tous les sens du mot classique. Modèles, ils synthétisent toutes les tendances qui avaient émergé vers 1750. Fidèles au classicisme, ils renouvellent la scène lyrique, lui confèrent un souffle nouveau. Artistes issus de leur temps et seulement de celui-là, ils vivent les contradictions de l’équilibre et de l’inventivité, ils cherchent à dire combien les rigueurs de la forme n’empêchent en rien l’épanouissement de l’imagination. Ils concilient déjà l’expression individualiste du romantisme et la volonté universaliste du classicisme.

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