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Pierrot mon ami, ou, La mise en question du romanesque.

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Academic year: 2021

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(1)

LA MISE EN QUESTION DU ROMANESQÜE Jean-René Plante

Department of French Language and Literature l<1aster of Arts

Abstract

Dans Pierrot mon ami , roman de Raymond Queneau,' ,

1

,

narration et fiction participent a une entreprise de destruction du roman traditionnel •

La narration cherche à mettre en pleine lumière ses moyens et ses choix;, ainsi que sa matière, le lan-gage, et

à

rappeler qU'elle constitue un niveau indé-passablei , l'atre réel de l'écriture.

i

La fiction, d'une part se retourne sur elle-ma-me dans un mouveelle-ma-ment d'ironie qui la démasque en tant que produit d'un projet culturel, et manifeste qU'elle ne saurait en'aucune façon @~re identifiée à la

réali-té telle quelle j d'autre part elle opère, pendant

que l'oeuvre se déroule, le passage d'un récit de la

,

recherche des valeurs a un récit sémiologique , annon-çant par là les développements ultérieurs de la littéra-ture romanesque française des années cinquante .

(2)

PIEP.ROT MON AMI ET LE RotfiANESQUE

(3)

LA MISE EN QUESTION DU ROMANESQUE

by

Jean-René Plante

A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University ,

in partial fuI filment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

(4)

..

TABLE DES l>1ATIERES

INTRODUCTION . . • • . . . • . . . . • . • • • . • • • . . • • . •• page 1

LE NIVEAU DE LA NARRATION •••••••••••••••• page

8

- Le romanesque comme participant

de la langue et non simplement.

de la pure réalité ••••..••••••••.• page

8

- Les citations d'écriture page 21 - Le dévoilement des choix

de la narration ••••••..••••.••••.. page 24 LE NIVEAU DE LA FICTION

...

page

35

- L'ironie exercée contre la fiction •• page

35

- Les références

à

l'univers

littéraire ••.••••••..••..••••••••• page 38 - Une étonnante économie des

rencontres ••••••••••..•.••.••••••• page 42 - Une étonnante économie des

coincidences ••••.••••.•.•••••••••• page

46

- Le statut du personnage

...

page

48

- Le métalangage des personnages page

55

- L'existence et le néant du héros page 57 - Un roman de la valeur , et qui

tourne court •.••.••••.••••••.••••• page 62 - n Le charme du jeu des

identi-fications n • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • page

69

(5)

- Un roman du sens déçu

.

.

.

.

. . .

.

. . . .

page 80 CONCLUSION . . . .. page 88

BIBLIOGRAPHIE ... page

92

1

(6)

INTRODUCTION

Depuis que la littérature existe comme institu-tion , depuis que les sociétés , du moins en Occident , se doivent de produire des hommes qui les racontent et les jugent, les générations d'écrivains se sont

succé-..

dé en se critiquant , chacune ouvrant le proces de cel-le qui l'avait précédée • Jamais cependant cette remise en question n'a paru aussi radicale que celle qui nous est contemporaine, et il nous semble bien qu'il y a dans cette perception davantage que le penchant

narcis-..

sique propre a toutes les époques .

Ce n'est en effet que tout récemment que le

dé-bat J confiné auparavant à l'intérieur d'un vocabulaire

et de préoccupations esthétiques J s'est élargi jusqu'à

porter sur la notion même de littérature . Dans un essai célèbre , Roland Barthes désigne cette crise comme une " . . . Passion de l'écriture, qui suit pas à pas le

déchirement de la conscience bourgeoise " l

1. Roland Bartrlé"s , Le Degré zéro de 11 écriture ~

Pa-ris : Gonthier J Collection

(7)

Des surréalistes aux romanciers fo~alistes des années

1950 ,

en passant par Sartre et par Blanchot , pour s'en tenir exclusivement au cadre culturel fran-çais , les témoins et les acteurs de cette crise ne man-quent pas . C'est tout récemment Le Clézio, présentant ainsi La Fièvre : Il La poésie , les roman13 , - les

nouvel-les sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne , ou presque • Des poèmes , des récits , pour quoi faire? Il 1 Cette citation nous montre bien que ce

nouvel âge littéraire est celui de la mauvaise conscien-ce ; nous sommes entrés , pour reprendre le titre de l'essai de Nathalie Sarraute, dans Il l'ère du soupçon Il

.Certes , toute cette contestation avait eu ses devanciers : au siècle précédènt , Mallarmé et Lautréa-mont amorcent une critique radicale de la conception qU'on se fait alors de la littérature. Bien avant eux, et dans un tout autre contexte culturel , le Diderot de Jacques le fataliste tentait une démystification fort hardie du roman . Mais le procès de la littératUre sera le fait du vingtième siècle . Et parmi

beaucoup-d'au-,

tres , ne laissant sa place a personne , mais ne

cher-1. J.M.G. Le Clézio, La Fièvre ( Paris

1965 ) ,

p.

8 .

(8)

. '

-

-3-chant pas non plus

à

occuper tout l'espace, modeste et besogneux dans sa participation

à

cette remise en ques-tion de la littérature par ellë-même : Raymond Queneau .

Dans un texte capital , 11 M. Fran~ois Mauriac

et la liberté 11 , écrit un peu avant la deuxième guerre

mondiale , un contemporain de Queneau , Jean-Paul Sar-tre , manifeste les nouvelles inquiétudes . Mauriac est coupable, nous dit-il en résumé, d'avoir commis une technique romanesque : plus précisément ce mode de nar-ration où le narrateur en sait plus que son personnage , semblable en ceci

à

Dieu qui , dit-on , sait tout • Or , dans un texte consacré

à

Faulkner , Sartre nous affirme que , pour lui : 11 Une technique romanesque renvoie

toujours

à

la métaphysique du romancier ." 1 Et la méta-physique de Mauriac nierait la liberté , comme sa tech-nique . Mais , en lisant attentivement le texte de Sar-tre , on voit bien que, pour lui, il ne s'agit peut-être pas du seul péché de Mauriac . Car , ce qui irrite Sartre, c'est le va-et-vient d'une narrativité Dieu-le-père

à

une narrativité "avec" , où le narrateur en sait

1. Jean-Paul Sartre, n La Temporalité chez Faulkner" , in Situations ~ l ( Paris : Gal-limard ,

1947

,p.

66 .

(9)

!-autant que son personnage: " Cette façon de slidenti-fier dlabord avec son personnage et puis de llabandon-ner soudain et de le considérer du dehors , comme un

j uge ,es carac er s t t , i ti que e son ar d t " . 1 La

consé-quence en est grave: le passage dlun type de narrati-vité

à

un autre démasque le jeu de la narration et mon-tre que le roman est forme avant dlêmon-tre cette vie, ce destin qu'il met en scène. Portant une contradiction essentielle , la technique de Mauriac est mauvaise par-ce qu'elle paraît: " Vous laisserez-vous prendre

à

ce récit immobile qui livre au premier coup dloeil son ar-mature intellectuelle • • • ? II 2 Et paraissant , elle

dénonce la prétention de tout romancier , Sartre com-pris, de créer de la vie, alors qu'il assemble des mots • Les erreurs de Mauriac déprécient le métier •

Le Sartre qui réfléchit sur la littérature nli-gnore évidennnent pas cette vérité : " Le roman ne donne pas les choses, mais leurs signes ." 3 Mais le

roman-1. Jean-Paul Sartre, II M. François Mauriac et la

liber-té n in Situations 1 l ( Paris

Gallimard ,

194

7 ) , p.

38

2. Jean-Paul Sartre, ibid. p. 51 .

(10)

'l,. " ,;.' ,~

"',

-5-cier Sartre abandonne sa mauvaise conscience de produc-teur littéraire plutôt que de l'inclure dans son oeuvre romanesque • C'est précisément ce que Raymond Queneau ne saura ou ne voudra faire dans Pierrot mon ami , qui date de 1942 •

Lorsque parait Pierrot mon ami , le roman , gen-re longtemps considéré comme mineur , est la forme lit-téraire par excellence en Occident depuis environ un siè-cIe. Sa montée, comme l'ont remarqué Lukacs , Goldmann, Barthes et bien d'autres, accompagne celle de la bour-geoisie . Il fournit un indéniable apport ~ cette "

Mythologie de l'universel, propre ~ la société bourgeoi-se , dont le Roman est un produit caractérisé : donner ~

l'imaginaire la caution formelle du réel , . • . " 1 De la même fa~on que le lecteur orthodoxe pouvait trouver

Il faux .. tel poème , tel livre , mais sans mettre en

dou-te la .. naturalité .. de la littérature , de la poésie , du roman , envisagés comme des formes universelles de l'humain, il pouvait considérer en particulier le ro-man comme une pure instrumentalité au service d'un monde

1. Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture ~ Pa-ris: Gônthler , Collection 'Biblio-thèque Médiations" ,

1969 ) ,

p. 32 .

(11)

"; . ., .. " , ,"

'~"

dont l'écrivain rendait compte tel quel (

à

condition que le romancier fût n bon Il ) , sans le déformer •

Cette illusion réaliste , qui a dominé le roman tout au long de son histoire , qui informe encore la littérature romanesque alimentaire. la plus contemporaine , Jean Ri-cardou la décrit ainsi: Il L'on peut reconna!tre le

réa-lisme

à

l'assimilation, implicite et comme allant de soi, qU'il n'hésite pas

à

risquer entre la vie et la fiction produite par une

écrit~re

." 1

Au double plan de la narration , ou la manière de raconter , et de la fiction , ou ce qui est raconté , Pierrot mon ami va prendre le contrepied des règles ta-cites du récit réaliste . Certes cette contestation ne doit pas être vue sous un jour manichéen : Queneau , com-plice obligé de ce qU'il dévoile, écrit, en même temps que sa dérision , un roman classique ; de même le récit de l'illusion réaliste sans aucune faille fut davantage une tendance qU'une réalité, bien qU'un Maupassant , pour ne citer qU'un nom, s'en soit incontestablement approché. Cette perfection de l'illusion réaliste se

1. Jean Ricardou , Problèmes du nouveau roman ( Paris Editions du Seuil ,

1967 ) ,

p. 23

(12)

~-trouve tout de même peut-être att~inte quelque part : c'est cela même que Pierrot mon ami dessine comme son envers •

Le roman a donc été le genre privilégié de la représentation, c'est-à-dire que le destin qU'il ra-contait était affirmé de la même qualité , de même na-ture qU'une vie d'homme. Pierrot mon ami peut être compris comme un essai de démystification du roman de la représentation , au nom d'un matérialisme sémanti-que qui énonce la primauté du son et de la graphie

sur tout niveau ultérieur du procès de signification et qui souligne comment l'oeuvre romanesque, loin d'être un moyen indifférent au service de l'expression d'un destin tenu pour significatif , participe de divers co-des, linguistiques, littéraires , etc . • . Ce qui, dans les formes les plus canoniques du roman , cherche

à

se faire oublier , le poids du signe verbal , les

lois du littéraire et du romanesque, sera mis

à

l'a-vant-scène dans Pierrot mon ami , qui réalise le ( ou un certain) dévoilement de l'écriture et de la litté-rarité . Ce roman de la mauvaise conscience du roman a bien l'air en conséquence d'une activité de l'ordre du métalangage .

(13)

LE NIVEAU DE LA NARRATION

Le roman est le genre littéraire qui a incarné le plus radicalement l'idéologie de la littérature com-me pure représentation du réel. Clest dire que tout ce qui concerne la sélection, l'assemblage et la mise en place des signes destinés

à

évoquer le réel, ou si lIon préfère le texte en sa matérialité , est un niveau

à

ca-moufler ,

à

taire • Dans la perspective du roman de la représentation, la narration doit tendre

à

slabolir de-vant la fiction • Cette II discrétion II de la narration

est un élément important de lléconomie du roman construit sur llillusion réaliste. Il ne faudra pas llattendre de

"

Pierrot mon ami , qui vise a détruire cette économie .

Le romanesque comme participant de la langue et non simplement de la pure réalité •

"

Une oeuvre littéraire part dlune langue ou elle puise ses signes . En outre , la littérature demand~ au langage son • . . silence . La matière verbale nourriciè-re ne doit pas éveiller llattention , l'accapanourriciè-rer sur elle. Si , dans lloeuvre de Raymond Queneau, Pierrot mon ami n'est pas le livre où la problématique du

(14)

lan-

-9-gage parlé est la plus développée ( le vocabulaire seul en ressent parfois l'influence) , celle du langage en général y occupe une grande place cependant . La lan-que parlée, dans les contradictions qui l'opposent

à

la langue littéraire , ne fait guère partie du roman en contaminant cette dernière , comme véhicule du dis-cours littéraire au même titre qu'elle, mais est sa-gement restreinte à l'intérieur de la catégorie des paroles citées • C'est Yvonne, et non le narrateur, qui demande : Il Dites donc , il se les enfonce pour de

bon , le fakir les épingles ? Il 1 La narration

utili-se tout de même de rares fois à son propre compte cet exemple de syntaxe parlée qU'est la phrase segmentée: " Ils s'en allèrent les premiers ,les pompiers, • Les cas les plus élaborés de langage parlé n'en restent pas moins des propos rapportés , comme ceux de Crouia-Bey: Il - Ce n'est pas trop tôt, dit-il. Enfile-moi

cet uniforme, là , oui, c'est ça , eh bien, grouille-toi , fais fiça , magne-grouille-toi le pot , le popotin si tu

--préfères, enfin t'y voilà, amène-toi maintenant que je

1. Raymond Queneau , Pierrot mon ami ( Paris mard ,

1943 ) ,

p.

90 .

2. Raymond Queneau, ibid. p. 113 .

(15)

1

,

te noircisse la physionomie , enleve donc tes lunettes , couillon, là , que je t'astique le portrait, là , main-tenant ça colle, mets ton turban, là , eh bien, t'as bonne mine, ça va .tt l En mettant de côté, dans

Pier-rot mon ami , la problématique du langage parlé comme véhicule social réel de la communication , Queneau peut poser plus clairement les rapports de tout langage au roman .

Ce langage qui , dans la conception orthodoxe du romanesque, ne doit pas éveiller l'attention, a tendance dans Pierrot mon ami ,

à

accaparer celle du lecteur. L'insistance sur le langage pourra prendre l'aspect d'un métalangage proprement linguistique

Pour remédier aux insuffisances et aux ambiguités lais-sées par l'emploi des mots, la narration se dévoue en précisions : .. Quant aux femmes seules , elles peuvent naturellement être deux dans la même voiture , ça ne les empêche pas d'être seules, à moins de cas extrê-mes plus ou moins saphiques ." 2 Des redondances vien-nent jouer le même rôle : " . Il ne voulait pas que

1. Raymond Queneau, op. cit. pp.

79-80

(16)

;;..

t

-11-les éloges de Paradis amenassent Petit-Pouce

à

l'avoir dans le nez , lui Pierrot , et que sa petite tête ,

à

lui Pierrot , finisse par ne plus lui revenir , oh mais plus du tout,

à

lui Petit-Pouce .11 1 Ailleurs, le

même procédé vient encore suppléer le pronom , outil grammatical dont l'utilisation en tant que rempla~ant

universel s'accompagne d'une fragilité sémantique:

Il Tout en entretenant ce train d'idées, Mounnezergues

demandait

à

tout cirqueux qU'il rencontrait si celui-ci ne saurait lui dire où il aurait des chances , lui Moun-nezergues , de rencontrer Psermis • 11 2 Mais le langage

. . . é

continue a se rappeler a nous comme un stade ind passa-ble , car ce " lui Mounnezergues Il peut aussi bien

si-...

gnifier que Mounnezergues se nomme a ceux qU'il interro-ge . Pour bien faire savoir laquelle des acceptions d'un mot est en cause , la narration utilisera la parenthèse , qui signale immanquablement l'auteur aux yeux du lec-teur : n Il regarda le petit square qui entourait le tombeau du prince Luigi, et il lui sembla qU'il était moins bien entretenu ( soigné) qu'autrefois .n 3 Ce

1. Raymond Queneau, op. cit. p.

9 .

2. Raymond Queneau, ibid. p. 144

(17)

type de parenthèse d'information sera utilisé ailleurs dans une intention très voisine, celle de l'auteur de signaler sa culture en enrichissant la nôtre, par

l'ad-jonction du terme technique : " Dans les salles de res-taurant des porcs-épies proposaient leurs cure-dents , et les kangourous portaient les dépêches dans leur

po-C ) . " 1 che ventrale ou marsupium

Mais fort souvent, c'est ce terme technique seul qui apparaît dans le cours régulier du récit , et son .?pparition incongrue signale le.s _ choix de langage de la narration : " Cependant Pierrot avait repris sa course , décrivant avec élégance des lemniscates et des

2

conchoides." Plus le terme est étrange, plus il mine ce qui devrait être la " neutralité " du signe : " Mieux même , elles avaient changé de race un substantiel postère les affectait d'une stéatopygie Hottentote ."

3

Isolée , cette subversion pourrait paraître mineure , et l'image de Barthes vient tout de suite

à

l'esprit

"

Ce n'est qu'une écaille que l'on fait sauter

à

la vieille

1. Raymond Queneau, op. cit. pp.

188-189

2. Raymond Queneau , ibid. p. 28 .

(18)

-13-.. 1

peau littéraire. Le résultat global est plus

impres-sionnant : " . . . Le noble édifice de la forme écrite

tient toujours debout , mais vermoulu , piqué de mille

2

écaillements." Dans cette perspective, l'attaque

.. voilée .. poss~de des qualités qui échappent

l

la

char-ge , comme celle de jeter le doute : .. Elle avait fini son journal . Elle le reposa sur la pile de ses

analo-gues ."

3

Le triomphe du procédé s'obtient lorsque le

langage fait rire , enlevant

l

la fiction sa

souverai-neté sur les émotions et réactions du lecteur : .. Après avoir envisagé pendant quelques instants la possibilité d'une vengeance immédiate et sauvage, tel que le bris total des lunettes et des trente-deux dents ou la tritu-ration du mastoidien et la saponification du thymus , le

4

témoin, réflexion faite, se contenta de passer outre ~ ..

Le néologisme est aussi une forme de l'agression

verbale et une entorse au principe de l'effacement du

1. Roland Barthes, .. Zazie et la littérature" in· Es-sais critiques ( Paris :

Editions-du Seuil , 1964 ) ,

p.

127 .

2. Roland Barthes, ibid. p. 125

3.

Raymond Queneau, op. cit. p.

9

2

(19)

signe . Il peut être de type technique : Il Les

philoso-phes pouvaient déjà utiliser là leurs capacités visuel-les au maximum de leur rendement , exigeant chacun du fonctionnement de ce sens netteté , rapidité , perspi-cacité , photograficité ." l , ou bonhorrane : Il Alors

il s'en alla tristouillet avec ses deux compagnons .11 2

Plus la creation est audacieuse , plus elle signale l'imagination d'une narration peu encline à ~e soumet-tre à la loi romanesque lui recommandant la discrétion

Il _ Tu vois bien que ce ne sont pas de méchants gar"ons ,

dit Mme Tortose qui venait de se décaisser et de rejoin-dre son époux ."

3

Ici, en plus de présenter une image amusante, le néologisme est double puisqu'il suppose un verbe-tronc inexistant .

La narration rapprochera fréquemment des termes pour les faire, pour ainsi dire, se " choquer Il l'un

l'autre : Il Mais, conclut-il, la chapelle pold~ve

4

l'empêche d'arrondir son carré." Ces rapprochements manifestent les mots , en montrant de quelle fa"on ils

l . Raymond Queneau

,

°E·

cit. p. 12

.

2. Raymond Queneau

,

ibid. p. '27

Raymond Queneau

,

ibid. p. 20

4. Raymond Queneau ibid. p.

,

~

..

(20)

dO. ( .,. i~: ?-: ~,' ~ .. ~1;

'C

,. ~~' 1",., 6 ~., ~:;. :r

-15-découpent le réel : .. Ils regardaient maintenant la bi-gornade avec intérêt, mais désintéressement ." 1 Au niveau du vocabulaire , ce même mouvement

à

deux temps permet d'annuler l'un par l'autre les effets produits, en opposant les miroirs de l'âme et des parties du corps moins nobles : .. Conscient de son infériorité sociale ,

il n'osait lever les yeux sur elle : il ne voulait pas péter plus haut qu'il n'avait le derrière • • • " 2 • C'est bien le .. sérieux " et le " r"éa11sme .. de la fic-tion que la rencontre verbale incongrue fait éclater :

"

• Les douze coups de minuit dégoulinèrent alors

d'un beffroi du treizième n 3

La remotivation , en prenant l'expression au pied de la lettre , constitue un autre moyen de démas-quer et de faire para!tre le signe : Il • ( Ils )

tombèrent sur les philosophes

à

bras tant raccourcis

4

qU'allongés." Le procédé est fréquent, incluant le classique du genre : n • ( Elle ) n'avait pas

l . Raymond Queneau

,

°E·

cit.

,

p. 18

2. Raymond Queneau

,

ibid. p. 103

.

Ra:.yïilond Queneau

,

ibid. p. 199

4.

Raymond Queneau

,

ibid. p. 18

(21)

;.,'

froid aux yeux, ni ailleurs ." 1 Son côté recherché souligne le travail narratif qui le produit : .. Pierrot

• • . écrasa le tison de sa cigarette sur le marbre de la table de nuit , dont il utilisa aussitôt après le pot, bien qu'il fOt près de midi ." 2

Les formes de Jeux de langage sont multiples • Ce qui elles ont en commun, clest leur orientation vers llordre du langage, plutôt que vers la fiction qui il' s'agit de prendre en charge La mise en évidence du .. mot et de la chose va dans ce sens : .. - CI est toujours

~a , dit Pierrot qui , sur ce , éprouva le sentiment ap-pelé gratitude ." 3 Des expressions créées sur le modè-le de modè-leur contraire sont insérées sournoisement dans

,

le texte , pour les mêmes emplois : " Ce premier succès

"

llincite a continuer, et , lorsqu'il fut rentré en France, il adopta c~ métier _ • .1Cormne vous l'ignorez ,

il est devenu le plus fameux montreur dlanimaux savants des deux hémisphères .u

4

Cette fantaisie verbale est

1. Raymond Queneau, op. cit. p. 23 • 2. Raymond Queneau, ibid. p. 211

3.

Raymond Queneau , ibid. p.

158 .

4. Raymond Queneau, ibid. p. 14

3

(22)

-17-constante

.

.

"

. . ( Il ) passe

à

l'ordre du jour, qU'il vote

~

sa propre unanimité. " 1 Cette fantaisie

,

tourne a sa propre caricature dans cet exemple d'entra!-nement du langage par lui-même :

Pierrot , tout en vidant sa bouteille de rouge , sentait son crépuscule in-térieur traversé de temps a autre par des fulgurations philosoph~"ques , tel-les que : " la vie vaut d'être vécue" , ou bien: " l'existence a du bon" ; et , sur un autre thème: " c'est ma-rant la vie " , ou bien : " auelle dra-Ie de chose que l'existence ,1 •

Quel-ques fusées sent~entales ( le souvenir d'Yvonne ) montaient au plus haut pour retomber ensuite en pluies d'étincel-les • Un projecteur poétique , enfin , balayait parfois le ciel de son pinceau métaphorique , et Pierrot , voyant la scène qui se présentait

à

lui , se di- 2 sait "on se croirait au cinéma " •

Certains temps du fran~ais sont tombés en désué-tude , du moins dans la langue parlée • La langue écri-te , et spécialement la langue rorr~nesque , qui se les a annexés en tant que signes d'écriture, les conserve en les momifiant • Pour bien marquer le caractère déri-soire d'une survivance dont peu connai~sent les règles, Pierrot mon ami commet délibérément une double faute

_.-

---1. Raymond Queneau, op. cit. p. 112 • 2. Raymond Queneau, ibid. pp. 165-166

(23)

. ~ ...

6

dans la notation du passé simple , faute que le lecteur

..

ne remarquera pas , ou guere 1 ou encore qui le plongera

dans une profonde perplexité n Le garçon apporta le mousseux d'un pas guilleret et enleva le bouchon avec

1

de grands airs. Il serva , on trinquit.n Or, le passé simple est la forme la plus canonique du romanes-que, sa marque d'écriture la plus exemplaire : son di-vorce avec la réalité linguistique du locuteur et même du lecteur français ne peut renvoyer qu'à la perpétua-tion d'une·écriture fortement codée, et la plus éloi-gnée d'un n naturel 11 linguistique

à

valeur universelle .

L'imparfait du subjonctif est sensiblement dans la même situation: il ne se porte qu'en pays littéraire. L'in-tention terroriste de Queneau est bien prouvé dans cet exemple où c'est un terme de la langue la plus populai-re qui va populai-respecter la concordance des temps la plus so-phistiquée : n Quoiqu'il ne fOt pas encore très sûr

qu'el-2

le ne se fouttt point de lui .11

Le langage est donc un des sujets de Pierrot mon ami et son aventure se compare en importance

à

celle de

1. Raymond Queneau, op. cit .. p. 127 2. Raymond Queneau ibid. p. 106 .

(24)

-19-Pierrot . Le langage est poursuivi , forcé à montrer de quelle façon il livre ou déforme le réel ; notre roman prendra une allure de grammaire illustrée • Vous igno-rez la valeur de l'indéfini? Qu'à cela ne tienne., la voici réalisée : Il Un chat trav'ersait parfois la rue

tou-Jours déserte; il était souvent gris , et il sleffaçait

é '" n l

rapidement , plein de m fiance a la vue du passant • On aura remarqué que les trois premiers adverbes se trouvent en outre

à

réaliser le paradigme sur la ligne du syntagme . Ce procédé qui montre une certaine pri-mauté du signe sur la chose se rencontrera ailleurs :

Il Il Y avait de quoi être heureux et content pour

quel-qU'un qui connaissait en permanence les Jours incertains , les semaines peu probables et les mois très déficients Ces mots qui s'appellent et en quelque sorte déroulent le paradigme manifestent comment la pression de la ma-tière verbale interfère dans la sélection du message • L'intention se fait plus radicale lorsque les mots ne s'entratnent plus par leur sens, mais par leur forme

...

phonique, lorsque c'est le signifié qui se met a l'heu-re du signifiant , ce qui constitue propl'heu-rement la r~e :

1.

Raymond Queneau, op. cit. p.

199 .

2. Raymond Queneau , ibid. p. 22 .

(25)

:",

1

f

" . . • Il Y avait cette rumeur de foule qui s'amuse et cette clameur de charlatans et tabarins qui rusent et

1 ce grondement d'objets qui s'usent ."

Dans Pierrot mon ami, cette existence d'un 1an-gage qui ne s'abolit pas devant la réalité que prétend parler le roman , est fondamentale • Pierrot mon ami , qui est discours sur les divers codes servant

à

la fa-brication d'un roman, accorde une place de choix

à

la mise en lumière du code antérieur

à

tous les autres et sans lequel il n'y aurait pas de littérature : le code linguistique ; ainsi , toute une partie des unités narratives qui , dans le roman traditionnel ( celui de Zola et de Mauriac , par exemple ) concourt

à

l'établis·· sernent de la fiction , est détournée dans Pierrot mon

~ dans le but de saluer le langage . Ces unités si-gnifient moins les développements et péripéties de l'histoire, qu'elles ne signifient le signifiant et le langage lui-même .

(26)

-21-Les citations d'écriture.

Chaque écriture possède ses signes propres , qui

,

lui donnent son identité et qui permettent a ceux qui la consonnnent de la reconnattre : n Dans n'importe quelle

forme littéraire , il yale choix général d'un ton , d'un éthos , si l'on veut 11 1 Lorsque ces

écri-tures ont fait leur temps, lorsqu'elles n'appara~ssent

plus comme un engagement de la forme qui soit justifié par .des visions idéologiques du monde encore en force , lorsque ces écritures ne témoignent plus que ë1une his-toire dépassée , leurs signes ne peuvent plus que les caricaturer • Et , du même coup , dénigrer le texte qui les cite •

La narration , dans Pierrot mon ami , aime bien déconsidérer la fiction qU'elle construit par ailleurs. Les écritures

à

vieille saveur n artiste n seront mises

de la partie : n Mais M. Tortose , ·prévenu , alerte la

police , et bientôt les bâtons blancs résonnent sur les

1. Roland Barthes, Le DegrS zéro de l'écriture ~ Pa-ris : Gonthler , Collection Biblio-thèque Médiationsn ,

1969 ) ,

p.

16 .

(27)

crânes forcenés .11 1 Plus loin, il semble bien qU'il

faille reconnaître un pastiche des Goncourt : Il Il

a-vait devant lui la masse babylonienne de l'Alpinic-Rail-way où parfois passait un train de wagonnets dévalant en

emportant avec lui des hystéries de fenunes .11 2

Des termes désuets , qui ne peuvent renvoyer le lecteur qu'à la littérature du passé (et à l'écriture datée ) , servent à dévaluer le sérieux de la narration , dans la mesure où elle continue à y prétendre. C'est le vieux et noble Il point Il qui sert à préciser un

phénomè-ne assez populacier , le coude-à-coude : Il Couples et

bandes , et , plus rares , des isolés , passaient et repassaient , toujours en état de dissémination , point

Il

3

encore agglomérés è'n foules , modérément rieur s .

Plus convaincant encore est cet autre recours

à

l'archais-me : n • • • A de telles hauteurs s'éleva lors la pensée

de Pierrot .n 4 A côté du mot vieilli, nous rencontrons ici l'inversion, utilisée dans la même intention

paro-1.. ,Raymond Queneau, op. cit. p. 18 • 2. Raymond Queneau , ibid. p. 23 •

3.

Raymond Queneau, ibid. p.

a .

4. Raymond Queneau, ibid. p. 173 •

(28)

-23-"

dique •

L'inversion est une des figures de narration les plus fréquentes dans Pierrot mon ami • Son côté pompeux sert bien l'entreprise autodestructrice qui soustend le texte • Conjuguée avec une phrase segmentée et une forme verbale vieillie et littéraire , elle donne ce résultat " Et vinrent les pompiers qui arrosèrent ça et là tout ce qui leur paraissait suspect , foyers ou rebelles . Ils s'en allèrent les premiers, les pompiers, puis

l

s'en furent les sergents de ville." Son utilisation

"-au début du roman , a propos des amusements dérisoires de l'Uni-Park, donne le ton au livre : " En face du Pa-lace de la Rigolade planaient des avions liés à une hau-te tour par des fils d'acier, et devant le Palace même

" 2

grande était l'animation.n Quelques lignes plus loin

n Déjà vibraient les rires, déjà les impatiences ." 3

Ces signes appartenant à des écritures sleffa-çant du décor culturel contemporain détonnent dans le

1. Raymond Queneau, op. cit. p. 113 . 2. Raymond Queneau, ibid. p. Il •

3.

Raymond Queneau , ibid. p. 12 .

(29)

,1

jf'~. ,1

..

'1

...:

corps du texte et constituent une forme d'agression

à

l'endroit de la crédibilité de la narration. Le mouve-ment général de démystification du roman par lui-même

s'y poursuit

à

travers eux.

Le dévoilement des choix de la narration .

A chaque moment du procès où elle institue la fiction, la narration est choix

à

l'intérieur de ce qui est permis par le code narratif . Alors que tout l'effort du genre romanesque a été d'imposer l'idée d'une fiction sans narration, ou mieux dont la

narra-tion se ferait discrète et effacée , Pierrot mon ami la rend évidente en révélant ses choix • Ou même en transgressant le code .

Co~e tout autre code , le code narratif tend

à

l'économie. Ainsi, si la narration a le choix, au ni-veau des aspects du récit , entre une vision " par der-rière " ou " Dieu-le-père " et une vision " avec n , la narration ptéférera adopter la visioti " avec " , qui la met moins en lumière . Le cas est fort fréquent , car

lorsqu'un récit s'affiche d'emblée comme porté par une narration" par derrière" , l'usage d'une narration " avéc " ne se remarque pas, parce que restant

à

(30)

l'in-\,

-25-térieur du champ de la précédente. L'inverse n'est é-videmment pas vrai, comme l'a bien remarqué Sartre

à

propos de Mauriac • Au niveau de ces aspects de la nar-ration , Pierrot mon ami nous fournit un exemple de cet-te transgression de l'économie de la narration. A un moment de Pierrot mon ami , un nouveau personnage fait son apparition , alors que le narrateur suit Yvonne , une amie possible de Pierrot • La narration classique choisirait , ou de nous le présenter directement et

à

cette occasion de nous préciser sa relation avec Yvonne ( vision " par derrière n ) , ou mieux , obéissant au

principe de la moindre dépense , de nous fournir ces in-dicatiops dans le dialogue que ne manqueront pas d'en-gager les deux personnages ( vision " avec " ) . Que-neau ne choisit aucune des deux voies . Il va jusqu'au point le plus près de réaliser l'économie par la vision

" avec " , puis dégonfle son avantage par un simple pos-sessif Le même renseignement , donné par la vision Il

e-vec " , devient pure redondance . Pour une dépense deux la narration obtient un résultat un , car l'adjonction de la narrativité omnisciente ne nous apprend rien de plus que les deux premiers mots d'Yvonne ne nous appren-nent . Si Queneau n'avait pas inclus sournoisement le renseignement dans l'unité narrative ou le motif qui décrit l'acte même de la rencontre, le romancier

(31)

~,

r

~ .•. f i·:.

..

~~!

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...,~

rait ainsi évité de faire parattre l'Oeuvre pour diri-ger d'une main habile son lecteur au sein de la Vie :

....

n La marchande se tenait habituellement dans son arriè-re-boutique et accourait au son du carillon qui pendait derrière la porte. Aussi s'élança-t-elle lorsque sa fille entra • - Bjour mman , dit Yvonne en effleurant légèrement des lèvres le front de la dame pour ne pas

Il 1

lui mettre du rouge. La duplicité ultime de Queneau , c'est sans doute de jouer l'innocence en désignant ma-dame Pradonet par

un

hypocrite Il la dame fi conane si ,

deux lignes plus haut , un certain possessif • . .

Ce n'est pas le seul endroit où la narration se crée des inconséquences • A l'Uni-Park, Pierrot frappe en petite auto celle qui est devant lui. L'honane qu'el-le contient se retourne: Il Cet homme s'appelait

Petit-Pouce . Il était petit ; râblé , costaud , âgé de qua-rante-cinq ans , marié mais courant la gueuse , natif de Bezons, électeur dans l'onzième, pas mal déplumé,

2 bref, un paroissien qu'avai~ la t&te près du bonnet .n

1. Raymond Queneau, op. cit. p. 91 • 2. Raymond Queneau , ibid. p. 27 •

(32)

, ;. ,. ,

.

. .'

...

-21-A

Presque du me me niveau qU'un rapport de police, la narration" Dieu-le-père \1 s'y fait brutale

à

force

de concision • Comme elle n'apprivoise pas le lecteur en lui donnant ces informations dans un discours qui les rende acceptables , la narration \1 par derrière "

choque par son agressivité . En plus , elle se double d'une appréciation morale qui renvoie non seulement

à

une science de la narration , mais

à

un Jugement . Or ,

...

il Y a pire : a la page 21 , autant le lecteur que Pier-rot connaît Petit-Pouce , du moins assez pour pouvoir l'identifier sous le nom de Petit-Pouce De sorte qU'en préférant , pour commencer son portrait , la formule

Il Cet homme s'appelait Petit-Pouce"

à

la formule:

Il C'était Petit-Pouce Il , la narration se nie un savoir

que le lecteur n'ignore pas lui appartenir.

On peut dire de la narration , dans Pierrot mon ami , qu'elle ne manque pas de faire entendre sa voix

à

chaque bonne occasion de se taire . Le roman la démasque une autre fois en faisant paraître l'armature du décou-page opéré par la narration dans le domaine du narrable , en montrant que la fiction est Il organisée fi par la

nar-ration : Il Ils jouissaient doublement de leur sens

(33)

,

t

4

l',',

sein

à

travers une étoffe minimum , indirectement par les heurts qU'ils imposaient ou plus rarement récol-taient • Ils Jouissaient également doublement dans leur vanité , directement en heurtant beaucoup plus souvent qU'ils n'étaient heurtés, indirectement en pensant

à

Pierrot qU'ils avaient laissé

à

la bourre,

1

et solitaire." Montrer le comment de la progression métonymique du roman , au lieu de le taire pour favo-riser l'illusion réaliste, c'est un autre moment de la lutte contre le romanesque. En plUS modeste, c'est le même procédé qu'on retrouve à propos de " . . . La ba-raque de l'Uni-Park récemment occupée par l'Homme Aqua-rium et antérieurement, dans l'ordre chronologique as-cendant , par la Pithécanthropesse , par la Danse du Ventre , par le prestidigitateur Turlupin , par bien

Il 2

d'autres encore .

Là narration est encore montrée du doigt lors-qu'elle est en quelque sorte scandée: " Pierrot put alors remarquer un homme qui sortait de la maison lou1s-philipparde '; qui ferme

à

clé derrière lui ; qui

tra-1. Raymond Queneau, op. cit. p. 23 2. Raymond Queneau, ibid. p. 32

(34)

-29-verse la rue; qui, au moyen d'une seconde clé, ouvre la grille; qui pénètre dans le square; qui, d'une troisième clé , ouvre la porte de la chapelle , .

La parenthèse, spécialement lorsqu'elle s'insère dans le texte au milieu d'un syntagme, constitue une forme

Il 1

très voyante de la narration : Il • Des femmes . . .

2 racolaient autour des ( et grâce aux) attractions . . . " Le découpage narratif est constamment aussi peu discret et économique : Il Durant les jours qui suivirent et qui

furent quatre ." 3 Ailleurs, c'est pour souligner que la narration ne transcrit pas le réel , mais le réel intéressant , et pour rappeler que la temporalité du récit n'est pas non plus une temporalité concordan-te

à

la vie , mais une temporalité formelle , romanes-que , celle des motifs , des unités narratives , romanes-que

4 Queneau souligne insidieusement: Il Du temps eut lieu ."

L'agressivité du texte se fait sentir encore lorsque la narration empiète sur les droits ou privilèges

accor-1. Raymond Queneau, op. cit. p.

57

2. Raymond Queneau, ibid. p.

59

3.

Raymond Queneau ibid. p. 147 . 4. Raymond Queneau, ibid. p. 82 .

(35)

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.;, l' .~;j.

dés généralement au lecteur, et suppute l'avenir de telle ou telle relation entre personnages : Il - Faudra

1 repasser , dit la possible amie de Pierrot •. 11

Mais c'est par des emprunts à d'autres moyens d'expression que Pierrot mon ami brise le mieux toute narration romanesque qui se voudrait le moindrement organique . La longue citation qui va suivre est né-cessaire pour rendre compte des équivalents donnés par Queneau du reportage radiophonique , spécialement de

type sportif , du traveling et du champ-contre-champ

cinématographique~ j c'est Pradonet qui suit Pierrot

à la longue-vue :

- Ah ! le revoilà . Devant le Grand Serpent Vert. Npn , ça ne l'intéres-se pas • Le voila qui se dirige main-tenant du côté du dancing , mais il n'a sûrement pas l'intention d'entrer. C'est bien ce que je pensais, il con-tinue son chemin • Le voilà devant une loterie 1 on pourrait croire qU'il va

jouer , mais non il se contente de re-garder tourner la roue • Il en a assez •

Le voilà maintenant devant La Belle au Bois Dormant , . • . Mais mon gaillard

va plus loin • Je sais où il va mon gaillard. Naturellement. Je l'avais bien dit . Le revoilà qui lui fait du plat. Il est culotté alors. Et qu'est-ce qulil peut bien lui raconter?

(36)

-3l~

- Ca ne vous ennuie pas que Je vien-ne un peu bavarder avec vous ? de-manda Pierrot à Yvonne .

- Mais non bien sOr , répondit Yvon-ne . Au contraire, c'est gentil de revenir me voir .

.

- Vous

l

serez demain ?

- Peut-etre .

- Moi, J'y serai.

Le chargeur était épuisé • Yvonne alla quérir le carton • Pierrot se sentit alors des ailes : deux mala-bars venaient de le saisir chacun par un bras et l'entraînaient vers la sortie avec une vélocité telle que ses talons ne touchaient pas terre , et avec une habileté si grande que personne ne remarqua sa disparition . Près de la caisse , deux autres mastards l'attendaient, qui le regardèrent sous le nez . Ils se dirent entre eux :

- Tu reconnaîtras son portrait ? Oui ?

Alors , défense de le laisser ren-trer .

Puis tous quatre le projetèrent dans la nuit .

- Voilà du travail proprement fait , dit Pradonet qui suivait la scène du haut de sa terr~sse • Vous avez vu 1 comment je procede .

La faqon peu orthodoxe dont procèd~ une narration souve-raine s'est en tous cas bien faite voir. Jamais mieux qu'ici la narration n'a affiché sa toute-puissance et affirmé ses pouvoirs . En supprimant toute transition et en répondant

à

l'attente de Pradonet , elle montre

(37)

le peut tout sur le fictif , y compris acquiescer

à

ses désirs •

Le dialogue , ou toute citation de propos tenus· par les personnages , pourrait être considéré comme un langage plus réel que celui de la narration commune . Les personnages sont tenus pour vrais ; seul le récit qui les met en scène et les incarne pourrait être consi-déré , dans ses signes , comme littéraire . La narration serait alors le niveau unique de l'activité littéraire ou artificielle, les propos des personnages étant

d'au-thentiques morceaux de réalité et de vie . Pierrot mon ami nous rappelle, en le transgressant, qU'il Y a un code de la transcription des paroles • Ainsi les points de suspension rendent traditionnellement compte des in-terruptions . Or , raisonne Queneau, si l'on fait taire quelqu'un, il ne dit plus rien, mais vraiment rien:

"

Pas du tout , dit Yvonne • Boulottez donc tout ce

qui vous platt , même de Paradis lui mit la main sur la bouche • n 1 Le vide graphique , répondant au silence réel , signale , en surprenant , que les con-ventions s'incarnent d'habitude très matériellement au sein des prétendus fragments de vie réelle .

(38)

i'

1:

-33-L'importance de ce code graphique est dévoilée grâce à la place attribuée par la narration à l'un des mots, dans le prochain exemple, par rapport à l'inci-se où elle l'inci-se signale ( on remarquera l'insistance sur ce signe de la littérarité , qui est répété trois fois ) " - Vous êtes un • • • dit Pradonet • Vous êtes un

dit Pradonet • Vous êtes un . • • , dit Pradonet , in-sensé . Oui , un inin-sensé . Il 1 Le Jeu de la ponctuation ,

c'est-à-dire ce qui n'est pas homogène au message verbal du personnage , dans la mesure où nous en acceptons la fiction , est mis en évidence aussi par les points , les points de suspension et deux importantes virgules , qui d'ailleurs ne mettent pas fin à l'ambiguité désirée Pradonet est grammaticalement aussi insensé que Moun-nezergues . La notation modifie donc le message parlé de Pradonet •

La narration dans Pierrot mon ami vient donc claironner une présence que le genre romanesque a

tou-jours tenu

à

feutrer • Certes , la forme pouvait triom-pher , mais toujours dans son rale d'instauratrice de la fiction • Ce qui est proprement inadmissible dans

i~ 1. Raymond Queneau , op. ci t. p. 155 .

:! .r_~

...

. :',' 'if

(39)

Pierrot mon ami, clest que la narration vienne inter-rompre le cours du récit pour nous dire: .. Clest bien moi qui suis là .. Par son obstination

à

s'évoquer , la narration se nie le droit d 'être un ins·trurnent fidèle du réel. Non seulement la narration nlest-elle pas ce véhicule indifférent emprunté par la fiction pour se faire connattre

à

nous , mais en définitive la narra-tion est la seule réalité du roman , toute .. sa réalité . Clest l'alignement de ses signes qui fait venir au monde la mystification fictive, et rien dlautre . Sans doute cette science d l e1le-même lui donne-t-elle le sentiment du dérisoire littéraire • Clest ce que nous croyons voir dans la présentation du récit enchâssé de Mounnezergues . Ce long récit est celui de sa vie , matière-type du ro-man . Llattitude qulaura Mounnezergues peut être

consi-dérée comme llattitude de llécrivain , du romancier, au

-moment où va débuter sa tâche . Aux questions : comment devient-on écrivain ? , où comment doit-on commencer un roman ? ) ou comment la narration doit-elle se mettre en marche? Pierrot mon ami répond : .. Il toussa par trois

fois et prononça ces mots ... 1

(40)

-35-LE NIVEAU DE h~ FICTION

La fiction , dans Pierrot mon ami , est une fiction menacée. Elle doit redouter l'intervention d'une narration toujours prète

à

l'investir pour pro-mouvoir ses propres fins : la négation précisément de la fiction, l'attention attirée sur le texte en tant que texte . Mais cette fiction , par elle-même , intro-duit elle aussi un désordre dans le genre romanesque

traditionnel . Avec Queneau , non seulement le roman s'énonce comme suite de signes alignés par un travail narratif, mais l'histoire racontée ~hange de nature. Pierrot mon ami participe

à

ce niveau d'un mouvement plus vaste, qui marquera l'éclatement du genre roma-nesque : ce roman , en effet , réalise le passage du roman de la valeur au récit sémiologique , passage qui parut

à

beaucoup résumer l'évolution de la littérature française au milieu des années cinquante •

L'ironie exercée contre la fiction.

Ce caractère majeur du déplacement qui s'opère dans l'ordre du f1ctif ne devra pas nous faire oublier la fragilité de ses bases • Dans un récit où les

(41)

v1lla-1:.

ges , fussent-ils du Sud-Tunisien, peuvent s'appeler " Tataouine " , o~ l'on meurt en s'écrabouillant dans les potagers , le lecteur ne se sent jamais complète-ment rassuré. Avec raison d'ailleurs, puisque nous avons vu une narration se porter à la rescousse de la fiction: " Et qu'est-ce qU'il peut bien lui raconter?

( de Pradonet ~ Crouia-Bey ) - Ca ne vous ennuie pas que je vienne un peu bavarder avec vous ? demanda Pier-rot à Yvonne • Il l Le procédé inverse est plus retors

c'est la fiction qui se discrédite elle-même, en se prêtant au jeu ironique de la narration • L'arrivée de Paradis sert à apporter une mauvaise réponse à la ques-tion de Pierrot : " - Tiens , dit Pierrot , pour ne pas

,

laisser tout a fait mourir la conversation, j'ai ren-contré quelqu'un de connaissance ce matin chez Vous-sois. J'étais un peu épaté de le voir là . - Ah ! di-rent les deux femmes • - Vous ne devineriez pas qui ?

- Gontran! s'exclama Yvonne. Et en effet Paradis descendait de bicyclette , juste devant eux . " 2

L'intrusion, dans le tissu même de la fiction, d'un discours philosophique sans avertissement , puisque

le récit ne nous avait aucunement habitué à ce genre

1. Raymond Queneau, op. cit. p. 51 . 2. Raymond Queneau , ibid. p. 207 .

(42)

-37-d'élan métaphysico-lyrique et que rien n'indiquait que l'aubergiste qui se laisse ainsi aller en avait la capa-cité ou le goOt 1 est une agression du m~me ordre

- Je m'en doutais 1 dit l'aubergiste.

Tout change vite sur cette terre • Rien ne dure • Tout ce qu'on a vu quand on est jeune 1 quand on est

vieux ~a a disparu • On ne se lave jamais deux fois les pieds dans la même flotte. Si on dit qU'il fait

,

jour 1 quelques heures apres il fait

nuit 1 et , si on dit qU'il fait nuit·,

quelques heures après il fait jour • Rien ne tient 1 tout bouge • Ca ne

vous fatigue pas

à

la fin ? Mais il est vrai que vous ~tes trop jeune pour compr~ndre ça 1 encore que vous

n'ayez qU'a faire la revision de vos souvenirs et vous sentirez bien vite tout foutre le camp autour de vous 1

ou avoir foutu le camp • Mais • • • c'est bien vrai que le café Posidon 1 n'existe plus?

Toute lecture s'appuie en outre sur le souvenir d'innom-brables fictions • Référer

à

celles-ci en cours de ré-cit , c'est faire sortir le lecteur de l'illusion que la fiction cherche

à

créer 1 c'est faire abdiquer

à

la fiction le raIe qui lui est dévolu • Cette forme de suicide textuel 1 Pierrot mon ami y a recours : Il La

petite ville roupillait éperdument sous un semis d'é-" 2 toiles • Le train classique lança son cri connu •

1. Raymond Queneau, op. cit. pp. 167-168 2. Raymond Queneau , ibid. p. 178

(43)

Train classique parce que se retrouvant dans tant d'au-tres récits du monde , et en particulier dans un récit lut-même classique , le grand roman français du ving-tième siècle , A la recherche du temps perdu , que ce train ouvre • Nous nous donnons la peine de le mention-ner , car Pierrot mon ami est aussi un roman de la vo-lonté de conserver le passé . Par ailleurs , les noms propres en M et en P pourraient peut-être trouver là une explication, qui ne leur est d'ailleurs pas né-cessaire • Il ne faut pas oublier que la Marceline , de Zazie dans le métro , autre roman de Queneau , est , à l'intérieur du roman , soumise a un processus qui la "

ramène à Marcel, et à l'inverse d'une célèbre Alber-tine . Ces folâtreries sont de l'ordre de celles qui permettent à Queneau de dévaluer ses propres fictions .

Les références à l'univers littéraire .

Mais certaines allusions à la littérature ne peu-vent laisser de doute . Au lieu de se soumettre pleine-ment à l'illusion réaliste, Pierrot mon ami évoque

l'existence d'un univers culturel et littéraire au-quel il se réfère. Saluer la littérature, l'intégrer au récit, c'est du même coup solliciter une complicité culturelle du lecteur, c'est établir une liaison entre

(44)

-39-la fiction et -39-la culture qui ne peut aller qu1à l'en-contre d'une relation entre la fiction et le réel, dans l'optique de l'illusion réaliste. L'effet de réel est évidemment moins grand si le jardin que Mounnezergues entretient n'est pas seulement le sien, mais un peu celui du Candide , de Voltaire : .. Quant à mon jardin ,

,.. " " 1 é '

nous continuames a le cultiver. La r petition prouve bien que l'allusion était dirigée: " Mais tout en

cul-1 ,.. h " 2

tivant mon jardin , je ne pouvais m empec er • . . De même, Queneau lance MounnezergUes à l'assaut du sa-voir, à l'exemple des deux compères dans Bouvard et Pé-cuchet : II J'empruntai des livres a la bibliotheque mu-" ' "

nicipale d'Argenteuil , et je découvris que l'histoire ne se pouvait comprendre sans la chronologie et la géo-graphie , qui ne me parurent pas compréhensibles sans l'astronomie et la cosmographie, et l'astronomie et la cosmographie sans la géométrie et l'arithmétique . Il

3

Ici encore, l'insistance vient confirmer le lecteur:

Il • • • Je pus continuer mes études que j'orientai

prin-cipalement vers l'histoire ancienne et moderne, la

géo-1. Raymond Queneau, op. cit. p.

67

2. Raymond Queneau , ibid. p.

68

3.

Raymond Queneau , ibid. p.

68 .

(45)

! .

<0

graphie physique et politique , les mathématiques pures et appliquées , les principales langues mortes et vi-vantes , les sciences physiques et naturelles , la

rhé-1 torique et la théologie . "

Si , au niveau de leurs activités , le mimétisme des personnages de Pierrot mon ami envers des personna-ges d'autres romans met en question la fiction, celle-ci est atteinte beaucoup plus durement lorsque c'est le décor , dépourvu de volonté et ne pouvant , après tout ,

à

la différence de Mounnezergues , se choisir un destin proche parent de destins célèbres , qui se charge de ré-férence littéraire • Voulant sans doute faire d'une pier-re deux coups , le " • . • Boulevard Victor-Marie-Comte-Hugo ." 2 rend hommage au poète et

à

son commentateur,

Charles Péguy • Lors de son voyage avec Mésange et Pis-tolet, Pierrot s'arrêtera pour les repas dans des loca-lités évoquant précisément une littérature assez alimen-taire : Il Il aurait évidemment du retard sur son

horai-re et décida de s'arrêter pour déjeuner

à

la prochaine " 3 localité qui se dénommait Saint-Mouézy-sur-Eon •

1. Raymond Queneau, op. cit. p. 73 . 2. Raymond Queneau, ibid. p. 144 .

3.

Raymond Queneau , ibid. p. 160 .

(46)

r-I

-41-Mais c'est littéralement

à

une charge, visant

à

inter-dire

à

la fiction toute possibilité de se donner pour le réel , que nous assistons lorsque Queneau exacerbe le procédé: Il Ils s'en all~rent tous les trois, et la

camionnette reprit bientôt la route de Butanges qU'elle traversa vers les quatre heures de l'apr~s-midi . A cinq heures , elle entra dans la forêt de Scribe , dont elle sortit

à

six heures . A sept , on rut dans Antony , grosse cité industrielle . Pierrot décida de continuer son chemin et de passer la nuit

à

Saint-Flers-sur-Cail-lavet . Il s'arrêta devant un certain hôtel du Cheval blanc .

. .

Il 1

Cette référence

à

l'univers littéraire double la lecture crédule que le genre romanesque cherche

à

obte-nir d'une lecture complice et ironique i le lecteur

sait qu'il n'est pas confronté avec la vie, avec une gravité fondée sur les destins qui sont en jeu . Le lec-teur rencontre plutôt un aulec-teur qui veut plaisanter en sa compagnie • Queneau poursuit son travail de sabotage

à

l'endroit du romanesque, qui lui fera fausser le mé-canisme des rencontres entre personnages

1. Raymond Queneau, op. cit. p.

169 .

(47)

-Une étonnante économie des rencontres .

La fiction dans Pierrot mon ami concourt à sa propre perte . L'auteur la force ~ renchérir sur elle-même jusqu'à son éclatement, jusqu'à l'impossibilité de maintenir toute vraisemblance . Certes , il Y a dans le genre romanesque une économie sous-jacente qui fait qU'on s'y rencontre plus souvent que dans la vie: les

. A

personnages d'un meme roman sont pour ainsi dire voués à entreprendre des relations humaines . Mais cette

é-conomie est très fragile et risque facilement d'être perturbée • En effet , comme elle implique une

per-ception du vraisemblable par le lecteur , elle doit ren-dre ces rencontres acceptables , de crainte que le

lec-,

teur retire a l'oeuvre sa complicité, qui lui est in-dispensable . Le romancier ne doit pas indisposer son lecteur ; il doit trouver le moyen de justifier ces ren-contres ; les personnages partagent toujours quelque chose : un lieu, une amitié, un combat, etc . . . Ils se donnent rendez-vous , ils vont se voir , ils se cher-chent . Pierrot mon ami présente certaines de ces ren-contres avec un minimum de précaution. D'autres fois non . Mais lors même que des indications antérieures nous rendent plus " naturels " ces hasards , ils ne constituent jamais des causes. C'est tout simplement

(48)

-43-que dans l'univers artificiel du roman, une indica-tion est facilement une justificaindica-tion : ce qui précède tend

à

paraître comme preuve ou cause de ce qui suit . En d'autres mots le texte est sa propre cause, et

ins-titue sa propre rationalité . Cependant le procédé de la rencontre par hasard est suffisamment exacerbé dans Pierrot mon ami pour devenir sa propre critique . Par sa fréquence d'abord, et puis par son importance . Si on retranche ces rencontres du roman , il ne reste pour ainsi dire plUS rien . Ces rencontres sont les moteurs de l'action, ou presque. L'action progresse uniquement grâce

à

des accidents , des idées-fixes et des rencontres dus au hasard . Le point de vue de la technique qui est une métaphysique trouverait ici un terrain d'application Qeureux . Voyons ces coups de chance du hasard : 1. Pierrot rencontre Pradonet au café de l'Uni-Bar (atténuation: Pradonet y avait donné rendez-vous

à

Crouia-Bey ; Quant

à

Pierrot ,

le lecteur le suit depuis six pages , aussi sa visi-te

à

l'Uni-Bar résulte d'un itinéraire naturel au

lec-)

1 ,

teur ; 2. Pierrot rencontre Mounnezergues a la

(49)

0

terrasse d'un vieux café (atténuation: Pierrot pen-sait

à

lui , ce qui est une façon de commencer

à

le ren-dre présent ) 1 ;

3.

Yvonne est sauvée de l'attaque des enfants , et juste au bon moment , par Paradis (atté-nuation la rue en question est un chemin possible pour

2

l'Uni-Park) ; 4. Petit-Pouce, puis Pierrot, retrou-vent Paradis et Yvonne

à

l'Uni-Bar (atténuation: c'est le café des environs ) 3 ; 5 . Au moment où Pierrot passe devant chez lui , Mounnezergues sort .

4 ; 6.

Pradonet

vient chez Mounnezergues une des rares fois où Pierrot y sera.

5 ; 7.

Pierrot rencontre Petit-Pouce

à

Saint-Flers-sur-Caillavet (atténuation: cette charmante et

.

,

anodine localité est sur la route de Palinsac , ou vit Voussois , et que Crouia-Bey a indiqué comme étant le

6

lieu où est mort Jojo Mouilleminche ) .. ; 8. En allant se promener , Pierrot rencontre Yvonne sur la route (at-ténuation : Paradis avait annoncé qU'il emmènerait

Yvon-1. Raymond Queneau

,

°E·

cit. p.

62

.

2.

Raymond Queneau

,

ibid. p.

101

·

3.

Raymond Queneau , ibid. p.

123

et p.

128

.

4.

Raymond Queneau

,

ibid. p.

138

·

5.

Raymond Queneau

,

ibid. p.

151

·

6.

Raymond Queneau

,

ibid. p.

173

·

(50)

-45-ne en randonnée . • • mais de là à choisir le même

iti-é ) 1 ;

9.

n raire que Pierrot Pierrot rencontre

Crouia-~ey chez Voussois (atténuation: ils sont tout de mê-.. ) 2

me freres ; 10. Pierrot et Yvonne, qui ont entre-. temps retrouvé par hasard Léonie , additionnés de celle-ci rencontrent Paradis ( i c i , l'arrivée de Paradis ré-pond en elle-même à une volonté de dénigrer la fiction ) 3 Il. Les mêmes , plus Paradis , rencontrent Voussois

4

l'instant d'après. ; 12. Pierrot rencontre Pradonet dans les environs de l'ancien Uni-Park (atténuation la nostalgie les y aura ramenés tous les deux ) 5 ; 13. Pierrot rencontre Yvonne chez Mounnezergues • 6 Additionnés , ces exemples dénoncent le procédé • Ils sont par ailleurs une branche particulièrement dévelop-pée d'une catégorie plus large, travaillant à éroder les bases d'un fictif vraisemblable : la coincidence .

1. Raymond Queneau , op. cit. p. 180 . 2. Raymond Queneau , ibid. p. 205

·

Raymond Queneau

,

ibid. p. 207

4.

Raymond Queneau , ibid. p. 208

·

5. Raymond Queneau

,

ibid. p. 212

6.

Raymond Queneau , ibid. p. 220

·

(51)

Une étonnante économie des coincidences •

La coincidence est une technique d'agression poussée jusqu'à l'absurde dans Pierrot mon ami. La fic-tion y est malmenée jusqu'à la dérision, et elle ne peut plus prétendre à l'homogénéité avec la vie après ce trai-tement • Le terrorisme évident du procédé accable la fic-tion sous une telle ironie qU'on ne saurait interpréter la coincidence comme illustrant une simple philosophie du hasard • Si elle ne récuse pas les interprétations philosophiques , la coincidence , dans Pierrot mon ami , est avant tout anti-rornanesque .

Comme pour les rencontres dues au hasard , ces coincidences multiplient leur impact l'une par l'autre. Leur nombre augmente leur efficacité • Cette efficaci-té est décuplée aussi du fait qU'elles sont pratique-ment concentrées dans le dernier tiers du livre , au-quel elle contribue ainsi

à

apporter sa conclusion Littéralement d'ailleurs, car la plus surprenante des coincidences provoque la dernière réaction de Pierrot et du récit • Voici leur liste : 1. Le fakir Crouia-Bey

1 s'avère être le frère de l'ancien amant de Léonie.

Figure

TABLE  DES  l&gt;1ATIERES  ..

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