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Le tourisme en Saskatchewan francophone

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

KARINE

LA

VIOLETTE

LE TOURISME

EN SASKATCHEWAN

FRANCOPHONE

Thèse présentée

à

la

Faculté

des études

supérieures

de

l'Université Laval

dans

le cadre

du programme de doctoraten

Ethnologie

des

francophones

de

l'Amérique

du Nord

pour

l'obtention du

grade

de

Philosophiæ Doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT

D'HISTOIRE

FACULTÉ

DES

LETTRES

UNIVERSITÉ

LAVAL

QUÉBEC

©

Karine

Laviolette,

2006

(2)

Résumé

Cette thèse fait la

lumière

sur les activités, les

pratiques

et les

ressources

touristiques de la

Saskatchewan

francophone. Elle

s'appuie

sur

une

enquête de

terrain

menée auprès

de

nombreuses

personnes investies dans la

mise

en

valeur

de

leur

localité fransaskoise dans une

perspective

touristique.

L'étude

s'inscrit dans

le

champ

de

recherche sur les francophonies canadiennes et

dans

l'ensemble

des

travaux sur le

tourisme.

L'espace

francophone de la

Saskatchewan

constitue

à

la fois

le cadre

spatial de

l'étude

et

une

partie de son

objet

: la

Fransaskoisie

est

d'abord

un

milieu

de vie,

un

environnement

physique

et

social

dans

lequel

évoluent

des

individus

et

la collectivité étudiés;

elle

est

ensuite

un

concept

qui

renvoie

à

une

sorte de

lieu

d'appartenance

et

de rassemblement

auquel

s'identifient

les francophones de la

Saskatchewan, mais

dont

les

contours

souvent

flous

apparaissent

comme

une

réalité

abstraite,

voire utopique.

Les Fransaskois

cheminent dans un

environnement

qui ne

leur est pas toujours

favorable,

un

milieu

dans

lequel

ils doivent

revendiquer

leur

place.

Par

le biais

des activités touristiques

qu'ils organisent dans

leurs

communautés, les Fransaskois sont

amenés à prendre

conscience

de leurs particularités, cherchent

à

affirmer

leur

différence et

à faire connaître

leur

expérience ou leur

« réalité » francophone aux touristes. Ils

doivent ainsi

choisir

l'image qu'ils

veulent donner d'eux-mêmes, ce

qui entraîne un

questionnement identitaire,

une

réflexion

sur

le «

nous

»

et

« les

autres ». L'étude

montre

que l'espace

commun des

Fransaskois,

la Fransaskoisie,

est

une construction

;

des individus

au

profil

varié

en

sont les

architectes.

Ses

fondations

présentent

quelques fissures qui fragilisent la structure:

le

temps

est

au

renforcement

et le

tourisme

apparaît comme

un outil

pour

les

maçons

de

la Saskatchewan

francophone

qui

veulent moderniser

leur

image

et

celle

de

leur

espace

collectif.

(3)

Avant-propos

L'accomplissement

de

cette

étude

est

en grande

partie attribuable

à l'appui

constant de

madame Jocelyne Mathieu, ma directrice

de recherche. Je

lui

suis

redevable

de

sa

grande

disponibilité et

la

remercie

très

sincèrement d'avoir

toujours

cru

en

ma

capacité

de

mener

à

bien

une recherche

doctorale.

Dans les

nombreux moments

de doutes

et

de découragement

qui ont

ponctué

les

cinq

dernières

années, sa patience

et son

dévouement

n'ont eu

d'égal que

sa

justesse

et

son efficacité.

Madame Mathieu m'a

permis de conduire

ma

recherche

dans

des

conditions idéales

et travailler avec

elle aura été pour

moi un privilège immense.

J'offre

aussi

ma

gratitude

à

monsieur Dean Louder pour avoir accepté de faire la

prélecture

de

cette thèse.

Il

continue d'être

une

référence en

regard

des

francophonies

nord-américaines. Cette

étude repose en grande partie

sur les

témoignages que

m'ont

si généreusement

livrés

les

informateurs

et

informatrices. Merci

pour le

temps

et

laconfiance

que chacun

m'aaccordés.

Je

tiens

par

ailleurs

à

souligner

le

précieux secours des organismes qui

ont

financé ma

recherche

et apporté leur

appui financier tout au

long

de

mes études

doctorales,

soit

le

Fonds québécois

de

la

recherche sur la société

et

la culture

(FQRSC), la

Chaire pour le

développement

de la recherche sur

la

culture d

expression française en Amérique

du

Nord

(CEFAN),

le

Musée de

la civilisation,

le

Centre

interuniversitaire

d'études

sur

les lettres, les

arts

et

les traditions

(CELAT),

l'institut

français

de l'Université de Regina

(Saskatchewan),

la

Faculté

des lettres etleDépartement

d'histoire de l'Université

Laval.

Je

remercie

également

messieurs

Yves

Brousseau du Département

de

géographie

et

Serge

Duchesneau

du

Laboratoire

de

cartographie

de l'Université Laval

pour

la réalisation des

cartes

et

figures de la Saskatchewan francophone. La

mise en

page de ce document

aurait

sans

doute été

pénible

sans

le soutien considérable de

madame Jacinthe Doherty dont

j'apprécie

infiniment

le

travail.

Enfin, ma profonde

reconnaissance

s'adresse

à

David,

mon

point d'équilibre, qui

m'a

si

patiemment écoutée et soutenue

pendant

les quelques périodes difficiles

qui

ont

marqué mon

parcours.

Merci

de

m'avoir accompagnée

en Saskatchewan

avec

Renaud, notre source

de

bonheur

qui nous

ramène

toujours

à l'essentiel. Je tiens finalement

à

remercier

ma

mère

de

m'avoir

transmis le

sens du travail

bien fait et

(4)

Table des

matières

RÉSUMÉ... Il AVANT-PROPOS...III TABLE DES MATIÈRES...IV LISTE DES FIGURES... VI

INTRODUCTION... 1

Tourismeet Fransaskoisie...5

L'espace touristique fransaskois:problématiqueet objectifs...9

Plan de la thèse...12

CHAPITRE 1 : TOURISME ET FRANCOPHONIE : UN MARIAGE SAVANT...14

1.1 - L'étudedutourismeensciencessociales...16

Le «procès» du tourisme... 17 La mise en scèneetlerituel contemporain...21

L'expériencetouristique...25

L'authenticitéetlatradition...27

Laconstruction identitaire...30

Les pratiques touristiques...35

1.2 -Regardssurlesfrancophoniescanadiennes, étudessurlaSaskatchewan FRANCOPHONE...38

L'éveildesethnologues à laculture francophone au Canada...40

Des lieux deréflexionau Québec...44

La recherchedans l'Ouest canadien...46

Des travaux sur le fait français enSaskatchewan...54

1.3- Questionsdeméthode...62

Présentationdes sources...62

Lepremierséjourderecherche...63

Le deuxième séjour de recherche...70

Analysedesdonnées...74

CHAPITRE 2 : REGARDS ET DISCOURS SUR LA SASKATCHEWAN FRANCOPHONE...80

2.1 - LaSaskatchewandanslesguidesdevoyage : regardsextérieurssurlaprovince. 83 Analyser le contenude guidesdevoyagesurl'Ouest canadien...84

Le corpus...85

Laconception desguides de voyageet la constructiondudiscours...88

Discours sur les paysages...90

Discours sur lesvilles...94

Discours sur lapopulation... 97

2.2 - Undiscourssursoi:lesdocumentsdepromotiontouristiqueenSaskatchewan104 Promouvoirsa province... 105

Les touristes ciblés...109

Laconceptiondesdocumentstouristiques...111

Tendances du marchétouristique...114

Laculturedans les guides promotionnels...116

(5)

2.3 -Surleterrain :portraitsdelaFransaskoisietouristique...126 Bellegarde...129 Ponteix...136 Val Marie... 145 Willow Bunch...147 Bellevue...156 Saint-Denis...164 Conclusion...171

CHAPITRE 3 : LE TOURISME À GRAVELBOURG... 172

3.1- Des Québécoiss'envontdansl'Ouest...175

Les touristes... ... 175

Lechoix de la formule...176

Le choix de ladestination...179

Des figures del'Ouest...181

Un court séjour à Gravelbourg : le scénario...182

Les variantes du scénario...187

Des Québécoisreviennentde l'Ouest...189

L'évaluation desvisites...190

La visite de Gravelbourg... ...193

3.2 - Accueillirdestouristesà Gravelbourg...195

Les retombéeséconomiques...199

Prolonger le séjour des touristes...200

Revoir la clientèlecible...203

Les projetsdedéveloppementtouristique...205

Le tourisme individuel àGravelbourg...208

Un thème pourGravelbourg...213

CHAPITRE 4 - EXPRESSIONS IDENTITAIRES ET ESPACE FRANSASKOIS...224

4.1 -La Fêtefransaskoise,unereprésentationdesoi...225

La25e Fête fransaskoise : sur le terrain...227

QuelaFête fransaskoise commence...229

Une identitémanifestée?... ...249

4.2 - Ladifficultédesedéfinir...254

Deladénomination...256

CHAPITRE 5 - LA FRANSASKOISIE TOURISTIQUE EN PERSPECTIVE...269

5.1-Lepointdevuedesprofessionnelsdutourismeen Saskatchewanfrancophone ..271

Leprofil des professionnels... 271

Mentalités,perceptionset projection... 274

Mise en tourismed'un« caractère francophone »...279

Réalité etauthenticité...287

5.2 -LepointdevuedesbénévolesdutourismeenSaskatchewanfrancophone...292

Les obstaclesetdéfis...295

Les forceset attraitsdela Fransaskoisie... 302

Se (re)présenter...313

CONCLUSION... 320

(6)

Liste

des

figures

Figure 1 : DistributiondesSaskatchewannaisdelanguematernelle française,2001...6

Figure 2 :Pourcentagedes Saskatcheivannaisdelanguematernelle française, 2001...7

Figure 3 : Exploration des villes et villagesde la Saskatchewan. Séjourde recherche, 2002... 66

Figure 4: Triangulationdes sources...76

Figure 5: Guidesexaminés...87

Figure6:Paged'accueildu site InternetduCorridortouristique francophone de TOuest(CTFO)...107

Figure 7 : Documents retenus... 108

Figure 8 : Brochuretouristiqueàl'intentiondesvoyageurs francophones...113

Figure 9 : Portraits delaFransaskoisie touristique...127

Figure 10: Notre-Dame-des-Champs...138

Figure 11 : LisePerrault devant son musée...146

Figure 12 : Piedde poisgéant...159

Figure13 : Dépliants promotionnels... 165

Figure 14: Sallederéceptiondu Centreculturel Maillard...184

Figure 15 : Des touristes québécois à la ferme...186

Figure 16: Ledrapeau fransaskois...228

Figure 17: PèrePaulCôtéàla Fêtefransaskoise...230

Figure 18: Élévateur àgrains...307

Figure19: Co-Cathédrale,Notre-Dame-de-l’Assomption... 311

Figure 20 : Jeunes francophones de la Saskatchewanportant les drapeaux de la province etdelaFransaskoisie. Messedudimanche, Fêtefransaskoise 2004à Prince Albert... 319

(7)

INTRODUCTION

C'était en septembre 1996, un lundi matin. Nous étions assise pour la première fois dans une salle de classe à l'Université Laval pour assister au cours de Méthode d'enquête orale en ethnologie. Après avoir présenté les objectifs du cours, la professeure a invité les étudiants à parler des sujets qui les intéressent et qui pourraient être retenus pour l'enquête à réaliser. Nous avons eu l'idée de rencontrer des Québécois qui sont allés enseigner le français en Louisiane. C'était l'occasion d'en savoir davantage sur la culture cadienne et l'expérience vécue des enseignants. En apprendre sur leur réalité quotidienne en Louisiane nous aiderait à savoir de quoi il en retourne et à décider de plonger ou non dans une pareille aventure. Sans le savoir, nous nous engagions dans une voie qui ne nous entraînerait pas en Louisiane, mais dans un tout autre espace francophone nord-américain.

Tout au long de notre cursus universitaire, nous avons orienté travaux, stage pratique et expériences de travail vers différentes problématiques concernant les francophonies minoritaires. Après nous être intéressée à l'exotique Louisiane, nous nous sommes penchée sur un milieu plus familier, l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Notre enfance à Moncton a été marquée par le chiac, un parler populaire que nous maîtrisions et qui a d'ailleurs incité nos parents gaspésiens à revenir au Québec. Dix ans après avoir quitté Moncton, nous y sommes retournée avec un accent québécois et une toute récente formation en ethnologie pour redécouvrir l'Acadie et ceux qui l'habitent. Dans le cadre du projet Culture francophone et société : action conjointe Québec-Acadie1, nous avons eu le privilège de nous entretenir avec des passionnés de la culture acadienne qui ont tissé des liens avec des ethnologues québécois1 2. Cette expérience a renforcé notre penchant pour le travail de terrain, d'où le choix d'un cours de géographie dont l'excursion dans une

1 De 1996 à 1999, Jocelyne Mathieu, professeure d'ethnologie à l'Université Laval et Marielle Cormier- Boudreau, professeure de français à l'Université de Moncton (campus de Shippagan) ont codirigé ce projet de recherche financé par le Secrétariat aux affaires intergouvemementales canadiennes.

2 Voir l'article de Marielle Cormier-Boudreau, Karine Laviolette et Jocelyne Mathieu, « Collaboration scientifique et échanges Acadie-Québec : rétrospectives et projets actuels », dans Canadian folklore canadien, vol. 19, 2, 1997, p. 77-86.

(8)

communauté francophone à l'extérieur du Québec était obligatoire. Le Québec et l'Amérique

française3 nous a ouvert à des réalités très différentes de celles que nous avions connues en Acadie. Aussi, le travail de session pour ce cours nous a lancée sur les traces d'une sœur de notre arrière-grand-mère qui a quitté la Gaspésie pour s'implanter ailleurs en Amérique au début du XXe siècle. Entre son séjour dans le nord de l'Ontario et son établissement définitif au Kansas, elle a passé dix ans à Vonda, en Saskatchewan. Tout en découvrant le parcours singulier de cette femme, nous apprenions dans nos cours qu'il y avait encore des francophones à Vonda et dans plusieurs autres villages de la Saskatchewan. Nous ignorions encore que cette province de l'Ouest dont nous ne savions presque rien deviendrait le terrain privilégié pour notre recherche doctorale.

3 Ce cours dispensé au Département de géographie de l'Université Laval n'est plus offert depuis le départ à la retraite des professeurs Dean Louder et Cécyle Trépanier. Pour connaître les objectifs du cours et avoir un portrait des excursions annuelles réalisées dans le cadre de ce cours de premier cycle, voir l'article « Sur la route de l'Amérique française : l'expérience des géographes lavallois » dans Québec Studies, volume 33, 2002, p. 15 à 51. Nous avons participé à l'excursion en Ontario pendant la session d'hiver 1998 (Ottawa, Toronto et Kingston).

4 A la suite de cette première expérience, l'Université Laval et l’institut de formation linguistique de l’Université de Regina (aujourd'hui l'institut français) ont signé une entente favorisant les échanges et partenariats entre professeurs, chercheurs et étudiants des deux universités.

En juin 1998, le Centre d'études sur le Canada français et la francophonie (CECFF) de l'Université de Regina lançait une vaste enquête exploratoire sur les Pratiques culturelles de

la Saskatchewan française, un projet de recherche interdisciplinaire coordonné par l'ethnologue Dominique Sarny. Avec deux autres étudiants de l'Université Laval inscrits au premier cycle en ethnologie du Québec, nous avons participé à la collecte des données. Cette collaboration interuniversitaire répondait tant à notre besoin de faire un stage pratique sur le terrain, qu'à celui de Dominique Sarny de compter parmi son équipe des francophones formés pour l'enquête ethnographique4. Nous avons ainsi participé à « la collecte, l'identification et l'inventaire des pratiques culturelles des francophones » de la Saskatchewan, une démarche dont l'objectif était de « dresser un véritable bilan de la culture populaire fransaskoise » (CECFF, 1997). Pour recueillir des témoignages sur l'ensemble des pratiques, les étudiants disposaient d'un outil de collecte inspiré de la

(9)

Grille des pratiques culturelles conçue par l'ethnologue Jean Du Berger5. Pendant deux mois, les enquêteurs ont séjourné dans trois ou quatre communautés différentes où ils étaient hébergés dans des familles fransaskoises6. Cinquante-huit personnes ont livré le récit de leur vie aux étudiants québécois. Nous avons personnellement réalisé vingt-sept entrevues pour le projet du CECFF au cours de l'été 1998. Cette expérience de terrain nous a plongée à la fois dans le passé de ces francophones de la Saskatchewan et dans leur réalité quotidienne actuelle.

5 Jean Du Berger (1997a) Grille des pratiques cidturelles, Sillery, Septentrion. Neuf types de pratiques culturelles composaient la grille : coutumières, corporelles, alimentaires, vestimentaires, techniques, ludiques et esthétiques, linguistiques, scientifiques et éthiques (CECFF, 1997).

6 Les entrevues ont été réalisées à Saint-Brieux, Zenon Park, Duck Lake, Debden, Victoire, Bellevue, Saint- Louis, Hoey, Willow Bunch, Gravelbourg, Ponteix, Bellegarde.

7 L'appellation Fransaskoisie désigne l'espace francophone de la Saskatchewan. Il s'agit d'un concept qui renvoie à l'ensemble des communautés dans lesquelles évoluent les Fransaskois. Introduit au début des années 1970, le terme Fransaskois a progressivement remplacé l'appellation « Canadiens français » qui identifiait jusque-là tous les « parlants français » de la Saskatchewan, peu importe leur origine. Nous y reviendrons au chapitre quatre.

8 L'appellation « communautés fransaskoises » est employée ici pour désigner les localités où se trouvent des francophones en Saskatchewan. L'entité gouvernante des francophones de la Saskatchewan, l'Assemblée communautaire fransaskoise, parle par exemple de la communauté fransaskoise (la collectivité ou le groupe dans son ensemble) dispersée sur le territoire provincial dans les communautés fransaskoises (soit les villes et villages où des francophones ont été recensés). Les francophones de la Saskatchewan s'identifient eux-mêmes comme membres de la communauté fransaskoise et disent habiter dans une communauté fransaskoise. Puisqu'elle est reconnue officiellement et qu'elle est acceptée par le groupe concerné, l'appellation « communauté fransaskoise » (au singulier comme au pluriel) est utilisée dans la thèse.

Pour dresser une carte des éléments de culture de la Fransaskoisie7 en faisant ressortir la diversité des origines de peuplement (québécoises, belges, françaises, suisses et américaines), il fallait parcourir les grandes distances qui séparent physiquement et mentalement les communautés fransaskoises8. Les chercheurs associés au projet voulaient comprendre l'absence d'unité, le manque de liens rassembleurs entre les îlots francophones de la province. Ils s'interrogeaient aussi sur l'existence d'une culture fransaskoise. Sur quoi repose l'appartenance à cette culture ? Quels en sont les éléments caractéristiques qui peuvent mener à sa définition ? Derrière ce questionnement et l'enquête ethnographique qui en découle, il y avait un objectif ultime : « la réappropriation par la population de son héritage culturel » et « l'émancipation culturelle de la communauté fransaskoise ». Il était question d'élaborer « de véritables stratégies de

(10)

reculturation [...] pour mieux permettre une reprise de possession de la culture locale» (CECFF, 1997). Dans cette perspective, il fallait tenter de repérer des porteurs de tradition ou les détenteurs d'un savoir-faire particulier pour ensuite évaluer le potentiel de valorisation ou d'actualisation de leurs pratiques. Tournés vers l'action culturelle, les chercheurs responsables de l'enquête ethnographique visaient donc un retour à la population dans le but de mettre en valeur et de renforcer la communauté fransaskoise.

Un an après l'enquête de terrain, nous sommes retournée en Saskatchewan pour faire le relevé informatisé de chaque entrevue et préparer des demandes de financement pour la suite du projet Pratiques culturelles de la Saskatchewan française9. Écouter les témoignages recueillis nous a fait prendre conscience de leur grande richesse, mais aussi des limites de la collecte effectuée. En rentrant au Québec à l'automne 1999, nous avons entrepris des études de deuxième cycle et défini un projet de maîtrise portant sur l'enquête ethnographique en Saskatchewan, ses conditions de réalisation et les résultats de la collecte en regard des objectifs de recherche qui avaient été formulés au départ. Notre étude nous a conduit à réfléchir sur la pratique ethnologique en milieu minoritaire francophone et la portée des travaux ethnologiques dans les communautés étudiées10 11. En août 2000, notre participation au Séminaire d'été de la francophonie canadienne11 à l'Université Sainte-Anne en Nouvelle- Écosse a été déterminante pour la suite de nos travaux. Une rencontre avec l'ethnologue acadienne Barbara Le Blanc et la découverte de son travail sur la construction identitaire en relation avec un site historique touristique12 nous a incitée à entreprendre une recherche

9 La recherche dans le cadre de ce projet devait mener, dans une deuxième phase, à « des actions précises de conservation, de valorisation, de protection et d'actualisation de l'héritage culturel de la population francophone >> de la Saskatchewan (CECFF, 1997).

10 Pour réaliser ce projet de maîtrise, nous avons bénéficié de l'appui de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN) et du Musée de la civilisation qui nous ont accordé conjointement une bourse d'excellence.

11 Le Réseau de la recherche sur la francophonie canadienne offrait depuis 1992 un séminaire d'été dans différentes universités du pays. Le thème du séminaire auquel nous avons participé en août 2000 était « La diaspora acadienne : hier et aujourd'hui ».

12 Barbara Le Blanc (1994), The Dynamic Relationship Between Historié Site and Identity Construction : Grand-Pré

(11)

doctorale13. L'intérêt d'étudier la communauté fransaskoise dans son interaction avec le tourisme s'est confirmé après la lecture de l'ouvrage de Sara Le Menestrel, La voie des

Cadiens. Tourisme et identité en Louisiane. L'ethnologue française explique que le tourisme peut être un « élément déterminant pour valoriser le groupe, lui rendre sa dignité et susciter sa fierté » (1999a : 270). Elle montre aussi que le tourisme en Louisiane a contribué à renverser l'image négative des Cadiens et à revaloriser la langue française. Le tourisme pourrait-il jouer un rôle analogue dans la valorisation des communautés francophones de la Saskatchewan, compte tenu que les Fransaskois sont généralement considérés comme « une population en voie terminale d'acculturation au milieu anglophone nord-américain » (CECFF, 1997) ? Voilà une piste de réflexion qui allait désormais tisser le canevas de notre thèse.

13 En janvier 2001, nous avons entrepris des études de troisième cycle après avoir effectué un passage accéléré de la maîtrise au doctorat.

14 Ce nombre inclut les réponses multiples, c'est-à-dire les personnes ayant déclaré avoir deux ou trois langues maternelles, dont le français. 17 775 personnes ont répondu que le français était leur unique langue maternelle. (Statistique Canada, Recensement de la population 2001)

15 Avec 2 % de francophones, la Saskatchewan détient le troisième plus faible taux de personnes dont la langue maternelle est le français sur les 13 provinces et territoires du Canada en 2001. Terre-Neuve et Labrador comptent 0.5 % de francophones, la Colombie-Britannique et le Nunavut en comptent tous les deux 1.6 %. (Statistique Canada, Recensement de la population 2001)

16 A lui seul, le domaine agricole occupe 20 % des travailleurs francophones de la Saskatchewan selon le Recensement 2001 de Statistique Canada (FCFA, 2004 : 6). Gilles Viaud parle cependant d'un mouvement d'urbanisation des francophones de l'Ouest depuis les années 1960 : « Bien que certaines variables régionales peuvent être observées, écrit-il en 1999, la population de langue maternelle française dans l'Ouest devint majoritairement urbaine à l'orée des années 1960. » (1999 : 88) Selon l'auteur, l'urbanisation aurait d'ailleurs « affecté d'une manière tangible la fibre culturelle des francophones vivant à l'ouest du 90e méridien » (1999 : 86) Le tableau qu'il présente montre que 60 % des francophones de la Saskatchewan vivaient en milieu urbain en 1991 selon les données de Statistiques Canada.

Tourisme et Fransaskoisie

Au dernier Recensement du Canada en 2001, 19 520 personnes en Saskatchewan ont déclaré que le français était leur « première langue parlée et encore comprise », ce qui représente 2 % de la population totale de cette province qui compte près d'un million d'habitants14. La Saskatchewan se trouve ainsi parmi les provinces canadiennes qui comptent le moins de francophones15. Seulement le tiers des Fransaskois habitent les principaux centres urbains de la province, soit Saskatoon, Regina et Prince Albert16. Généralement méconnus, les

(12)

francophones de la Saskatchewan forment un groupe minoritaire qui a peu de visibilité malgré les efforts de nombreux organismes, associations et institutions voués à la promotion du fait français en Saskatchewan. Aussi, les communautés fransaskoises vivent un double isolement puisqu'elles sont dispersées géographiquement sur un territoire déjà enclavé au centre du pays, dans les Prairies. Ce contexte - renforcé par la diversité des origines des Fransaskois - peut rendre difficile la cohésion du groupe et complique la mise en place d'un projet collectif d'envergure tel un réseau touristique francophone en Saskatchewan.

(13)

Colombie- Britannique

Baie d'Hudson

Figure2 : Pourcentage des Saskatchewannais de langue maternelle française,2001

Source : Recensement 2001, Statistique Canada

Dans les documents de promotion touristique provinciaux et nationaux, les Fransaskois brillent par leur absence. Ils voudraient cependant changer cette situation et se positionner sur le marché touristique puisqu'ils considèrent le tourisme comme un secteur économique

(14)

important qu'ils ont intérêt à développer17. Le défi est d'autant plus grand que les études en marketing montrent que les touristes d'aujourd'hui sont plus exigeants que jamais. Parce qu'ils ont facilement accès à une foule d'informations - dans Internet notamment - les touristes se renseignent davantage sur les destinations qui leur sont offertes ou sur les endroits qu'ils s'apprêtent à visiter. Cela crée généralement des attentes particulières auxquelles les hôtes doivent être en mesure de répondre. Selon les plus récentes études de l'Organisation mondiale du tourisme et de la Commission canadienne du tourisme, les voyageurs veulent désormais vivre une expérience enrichissante dont le succès repose en partie sur le degré d'exotisme et d'authenticité qu'ils ressentent. De plus, le touriste moyen, tout en s'intéressant à la « vraie vie » des autres, tient à son confort et à son bien-être en voyage. Ainsi, la qualité du transport, de l'hébergement et de la restauration est généralement non négociable. Où se situent donc les communautés fransaskoises dans cette réalité touristique ? Ce questionnement nous amène à examiner les expériences touristiques offertes en Fransaskoisie - principalement rurale - pour mieux comprendre la réalité touristique dans cet espace francophone minoritaire.

17 Depuis sa fondation en 1946, le Conseil de la Coopération de la Saskatchewan (CCS) a la mission d'enseigner les notions de coopération aux francophones de la Saskatchewan, et de les sensibiliser à l'importance d'une base solide en économie. Dans les années 1950 et 1960, le CCS participe activement à l'établissement des caisses populaires en Saskatchewan, il encourage la création de magasins coopératifs, de coopératives d'établissements agricoles, de coopératives de publication et de garderies coopératives. Le CCS explore aujourd'hui « de nouvelles perspectives afin de mieux assurer le leadership des Fransaskoises et Fransaskois dans le développement économique et le secteur coopératif. » (CCS, [En ligne]) Le tourisme est un secteur prioritaire pour le CCS qui mène des campagnes de sensibilisation pour le « développement de produits touristiques à caractère francophone » dans les communautés fransaskoises de la Saskatchewan. Ainsi, le tourisme est perçu par la population francophone comme un secteur de développement économique intéressant et prometteur, particulièrement en milieu rural où l'on cherche à diversifier l'économie.

18 Le CTFO est une initiative de plusieurs partenaires économiques qui vise d'abord à stimuler l'économie locale. Il est financé en partie par Diversification de l'économique de l'Ouest Canada (Gouvernement du Canada) et le Secrétariat aux affaires intergouvemementales canadiennes (qui relève du Gouvernement du Québec). Nous y reviendrons au chapitre deux.

Depuis 1999, la Saskatchewan fait partie du Corridor touristique francophone de l'Ouest (CTFO), un circuit qui fait la promotion des communautés francophones de l'Ouest canadien et de leurs entreprises touristiques18. Dans le site Internet du CTFO, on peut lire que les francophones se trouvent :

(15)

dans des communautés pittoresques qui offrent des produits, des attraits et des services touristiques sans pareil pour vous faire vivre une expérience unique et différente. Du Manitoba jusqu'en Colombie-Britannique, le corridor de l'Ouest sillonne plus d'une centaine de communautés francophones prêtes à vous accueillir à bras ouverts et vous faire connaître leur coin de pays. (CTFO, [En ligne])

Quelle « expérience unique et différente » le touriste peut-il vivre en Fransaskoisie ? Quels en sont les « attraits sans pareil » ? Les Fransaskois considèrent-ils leur francophonie comme un attrait touristique ? Cherchent-ils à développer des produits et des services caractéristiques de la « culture francophone » en Saskatchewan ?

Ces premières interrogations ont orienté notre recherche doctorale, nous ramenant au cœur de la Prairie canadienne où nous avons réalisé une enquête au cours de l'été 2002 dans le but d'avoir une vision d'ensemble du tourisme dans les communautés fransaskoises. Nous voulions d'abord connaître les francophones engagés dans le développement touristique et les projets qui les animent. Sur le terrain, nous avons repéré les lieux touristiques, emprunté les circuits, inventorié les attraits et découvert les services touristiques offerts19. Nous sommes également allée dans des communautés fransaskoises où les touristes vont rarement pour tenter de comprendre leur absence. Cette « mission de reconnaissance » nous a convaincue de l'intérêt d'élaborer une problématique de recherche qui marie tourisme et Fransaskoisie dans une perspective ethnologique.

19 Aussi, tous les documents promotionnels ou d'information disponibles dans les centres communautaires, les musées locaux, les gîtes touristiques et les restaurants ont fait l'objet d'une collecte systématique.

L'espace touristique fransaskois : problématique et objectifs

Traiter de la francophonie en Saskatchewan demande quelques précisions quant à la délimitation de l'espace étudié et quant à la façon de l'aborder. Dans notre étude, la Fransaskoisie a un double statut puisqu'elle est non seulement le cadre spatial de la recherche mais aussi une partie de son objet, ce qui fait d'elle un terrain et un concept à la

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fois20. D'abord un terrain où nous avons mené notre enquête orale ; un milieu de vie, un environnement physique et social dans lequel évoluent les individus et la collectivité qui nous intéressent. Ensuite un concept qui renvoie à une sorte d'entité dans laquelle se rassemblent les Fransaskois, un espace qu'ils partagent, un lieu d'appartenance auquel ils s'identifient, mais dont les contours souvent flous apparaissent comme une réalité abstraite, voire utopique. La réalité observée du fait francophone en Saskatchewan est-elle assimilable à un lieu d'appartenance ou n'est-elle qu'une étiquette apposée de l'extérieur ?.

20 Jocelyne Mathieu, « La région : un terrain ou un concept ? » dans Fernand Harvey (dir.), La région culturelle.

Problématique interdisciplinaire, Québec, IQRC / CEF AN, 1994, p. 97-110.

Traiter de l'espace fransaskois nous entraîne ainsi dans une réflexion sur la question identitaire. Sans cesse interrogée, l'identité est souvent au cœur des travaux qui portent sur la francophonie canadienne. Notre étude n'échappe pas à cette question puisque le développement de projets touristiques dans une communauté demande une participation de la population qui est amenée à se questionner sur son identité et à choisir l'image qu'elle veut donner d'elle-même. Il est donc pertinent de s'interroger sur l'influence que peut avoir la présence de l'autre - celle du touriste - sur le mode de (re)présentation de soi, en émettant l'hypothèse que les Fransaskois prennent conscience de leurs particularités, cherchent à affirmer leur différence et à faire connaître leur expérience collective ou leur « réalité francophone » par le biais des activités touristiques qu'ils mettent en place dans leurs localités.

L'objectif principal de notre étude est de rendre compte du développement touristique dans les communautés fransaskoises tel que nous l'avons observé et tel qu'il nous a été présenté par les acteurs concernés. Cet examen vise à mieux comprendre les mécanismes du tourisme en Fransaskoisie afin d'en saisir le sens et la portée. Trois types de sources nous ont permis d'atteindre cet objectif : les sources orales, les sources manuscrites et les sources imprimées. Pour connaître les intentions des Fransaskois en matière de tourisme et pour cerner la place des autres acteurs du tourisme en Fransaskoisie, soit les touristes eux-mêmes, nous avons

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réalisé des entrevues auprès de plusieurs témoins : entrepreneurs et guides touristiques, organisateurs d'activités touristiques, bénévoles locaux, porte-parole du milieu associatif (culture, économie et politique) et voyageurs québécois. Quels types de relations peuvent se créer entre les visiteurs et les visités ? Pour les Fransaskois, que représente le passage des touristes chez eux ? Et que signifie la découverte d'une vie francophone en Saskatchewan pour les touristes ? Le travail de terrain nous a non seulement donné accès au discours des Fransaskois et à celui des touristes, mais il nous a également permis d'observer directement les actions ou les pratiques des uns et des autres et d'en saisir la dynamique. Consignées sous forme de notes manuscrites dans un journal de bord, nos observations constituent une source importante à laquelle nous avons puisé dans la construction du corpus et l'analyse des données. L'enquête orale et l'observation directe - voire participante - sont enrichis d'une collecte de documents touristiques (dépliants, brochures, guides) et de documents internes des associations fransaskoises et des comités culturels ou touristiques (plans de développement stratégique des communautés, demandes de subventions pour des projets de nature touristique, politiques touristiques municipales, plans de marketing touristique, etc.). La triangulation des sources orales, manuscrites et imprimées s'est avéré un moyen efficace de « nuancer les données officielles fournies sous forme de statistiques, de bilans économiques ou de discours politiques » (Mathieu, 1996 : 157).

L'analyse des données recueillies nous permet de dégager les caractéristiques avec lesquelles les Fransaskois se définissent et de cerner la place que les membres de la communauté accordent au tourisme. Il n'est donc pas question de porter un jugement sur les projets touristiques qu'entreprennent les Fransaskois ou les actions qu'ils posent dans ce domaine, ni de proposer un plan ou de formuler des recommandations quant aux stratégies à adopter pour l'aménagement touristique de la Fransaskoisie. Il s'agit plutôt de mieux saisir la réalité telle qu'exprimée par les Fransaskois.

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Plan de la thèse

Cette thèse porte sur le tourisme chez les Fransaskois, ce qui suppose un double état de question. En effet, notre étude s'inscrit à la fois dans le champ de la recherche sur la francophonie canadienne et dans l'ensemble des travaux portant sur le tourisme et la façon dont il intervient dans la construction identitaire. Dans le premier chapitre, nous faisons le point sur la dimension conceptuelle et les cadres théoriques des études sur le tourisme et la culture. Nous abordons ensuite de façon critique les recherches et les publications consacrées à la francophonie de l'Ouest canadien, et plus spécifiquement à celle de la Saskatchewan de manière à situer notre étude. Enfin, nous présentons notre approche méthodologique en regard de la perspective ethnologique adoptée.

Cela nous amène, dans le deuxième chapitre, à traiter de l'image touristique de la Saskatchewan en général et de la Fransaskoisie en particulier. Dans un premier temps, nous examinons des guides de voyage sur le Canada et l'Ouest canadien qui présentent la Saskatchewan et ses attraits aux touristes. Le regard de l'extérieur que posent les auteurs de ces guides engendre-t-il un discours bien différent de celui qui circule à l'intérieur ? Ce questionnement nous conduit à présenter le tourisme en Saskatchewan sous l'angle officiel, celui des organismes qui relèvent des gouvernements fédéral et provincial. Quel tableau touristique brossent-ils de la province ? Est-ce que le discours et les images véhiculées dans les sites Internet, les dépliants promotionnels ou informatifs et les brochures touristiques sont les mêmes lorsque les concepteurs sont Fransaskois ? Présenter le contenu de ces différents supports médiatiques mène à une analyse descriptive de la situation touristique en Fransaskoisie basée sur nos propres observations de terrain. Le deuxième chapitre se termine sur une présentation des produits et services touristiques offerts et les enjeux du développement touristique dans les communautés francophones de la Saskatchewan.

Ces regards et discours sur la Saskatchewan nous permettent, dans le troisième chapitre, de présenter le cas particulier du tourisme à Gravelbourg. Nous dressons d'abord le profil d'un

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groupe de touristes québécois qui se rend à Gravelbourg dans le cadre d'un voyage dans l'Ouest canadien en 2004. Que savent-ils de la Saskatchewan et des Fransaskois avant leur départ ? S'intéressent-ils à la vie francophone dans l'Ouest canadien ? Comment ces touristes envisagent-ils leur visite à Gravelbourg ? Nous apporterons des réponses à ces questions avant de décrire le scénario de leur court séjour dans le sud-ouest de la Saskatchewan. Cela nous amène ensuite à montrer l'envers du décor, soit l'organisation et la préparation que suppose l'accueil de ces touristes pour les Gravelbourgeois. Le troisième chapitre fait état de la matière recueillie lors de notre deuxième enquête sur le terrain en 2004 et donne la parole aux informateurs et informatrices. Il met en évidence la double conception du tourisme dans la communauté : celle du tourisme comme activité économique dont il faut tirer profit et avec laquelle on peut créer quelques emplois ; celle du tourisme comme activité sociale qui permet de rencontrer des gens de l'extérieur et de leur faire connaître le fait français en Saskatchewan. Dans ce troisième chapitre, nous tentons de saisir ce qui motive réellement les efforts individuels et collectifs investis dans le tourisme à Gravelbourg. Nous cherchons également à rendre compte de ce que les touristes québécois retiennent de leur visite à Gravelbourg.

La mise en scène touristique des éléments de culture fransaskoise que nous dévoilons au troisième chapitre nous conduit, dans le chapitre suivant, à nous pencher sur les stratégies de représentations identitaires des Fransaskois. Nous examinons d'abord la Fête fransaskoise comme une forme de discours sur soi, comme un espace privilégié d'expression identitaire. Pour y voir de plus près, nous avons participé à la 25e édition de la Fête fransaskoise en août 2004. Que met-on en scène lors de cet événement s'adressant d'abord aux Fransaskois, et non pas aux touristes ? La présentation de soi à la Fête fransaskoise est- elle la même que la présentation de soi aux touristes ? Dans les deux contextes, les francophones de la Saskatchewan semblent constamment à la recherche des éléments sur lesquels repose leur identité collective ou à partir desquels se construit cette identité. La deuxième partie du quatrième chapitre traite justement de la difficulté de se définir, voire de se nommer. Elle met notamment en lumière la multiplicité des appartenances des individus

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et la diversité des profils linguistiques que les grandes enquêtes statistiques cherchent à catégoriser et à quantifier.

Le chapitre quatre ouvre la voie à une réflexion plus large sur le sens du tourisme chez les Fransaskois et son rôle dans le projet identitaire en construction, ce dans quoi nous entraîne le cinquième et dernier chapitre. Celui-ci présente les forces et attraits des communautés francophones de la Saskatchewan du point de vue des professionnels et des bénévoles du tourisme en Fransaskoisie, ainsi que les obstacles et défis qu'ils doivent surmonter en regard du développement touristique de leur région ou localité. La situation géographique de la Saskatchewan, la disponibilité des ressources humaines et financières, la relation tendue entre francophones et anglophones sont parmi les facteurs explicatifs récurrents qui jouent un rôle déterminant dans toutes les sphères de la vie des Fransaskois, dont celle du tourisme.

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CHAPITRE 1

:

Tourisme et

francophonie :

un

mariage savant

Dans la première partie de ce chapitre, nous présentons des approches disciplinaires et des courants de pensée dans lesquels s'inscrivent les chercheurs en sciences sociales qui se spécialisent dans l'étude du tourisme. Nous verrons qu'aux États-Unis, des anthropologues et des sociologues ont investi ce champ de recherche depuis le début des années 1960 et qu'ils ont étudié le tourisme dans différentes perspectives. Ils s'intéressent par exemple à la notion d'authenticité, à la ritualité, à la mise en scène de la culture, au concept de tradition : autant de notions qui sont au cœur des préoccupations des ethnologues. Ces derniers étudient d'ailleurs les pratiques touristiques et le rôle du tourisme dans la construction identitaire, deux voies que nous empruntons.

Cette mise en contexte en entraîne une autre, celle des études en folklore et en ethnologie portant sur les francophones d'Amérique du Nord. Nous verrons dans la deuxième partie de ce chapitre que les folkloristes et ethnologues rattachés à l'Université Laval sont parmi les premiers à mener des études et à établir des collaborations scientifiques avec des chercheurs de la francophonie nord-américaine au début du XXe siècle. Très peu d'entre eux se sont toutefois intéressés à la culture francophone dans l'Ouest canadien. Suivant une présentation chronologique, nous découvrirons qu'en dehors de la sphère du Québec et de l'Université Laval se développent d'autres lieux de réflexion créés par et pour les francophones de l'Ouest. Les chercheurs en sciences humaines de cette grande région - principalement des historiens et des littéraires- structurent et institutionnalisent la recherche, diffusent les résultats de leurs études dans les colloques qu'ils organisent et dans les revues savantes qu'ils publient. Puisque notre étude concerne la Saskatchewan francophone, nous examinons plus particulièrement la production scientifique qui porte sur ce milieu. La deuxième partie du chapitre se termine ainsi sur une présentation des travaux et des publications qui traitent de la question fransaskoise sous différents angles pour mieux situer notre recherche ethnologique sur le tourisme en Fransaskoisie.

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Nous terminons ce premier chapitre en présentant notre démarche méthodologique. Pour cette recherche, nous avons adopté des modes d'observation et de collecte de données éprouvés qui permettent une lecture originale du tourisme dans les communautés francophones de la Saskatchewan. Nous présentons donc les sources sur lesquelles s'appuient cette étude ainsi que les moyens mis en oeuvre pour les analyser.

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1.1 - L'étude du tourisme en sciences sociales

On se déplace physiquement dans l'espoir d'être transporté mentalement par la beauté ou l'authenticité

des choses et d'accéder à leur « sens caché ».

Rachid Amirou A l'issue d'une conférence internationale sur le tourisme et les voyages tenue à Rome en 1963, le tourisme est reconnu comme un facteur de développement économique majeur, particulièrement adapté à la situation des pays du Tiers Monde. Des études réalisées à la demande de la Banque Mondiale et de l'Unesco présentent alors le tourisme comme une forme d'aide aux pays en voie de développement et aussi comme un agent de sauvegarde et de mise en valeur de la culture. En plus de régénérer le patrimoine culturel d'un pays en l'introduisant dans le circuit économique, le tourisme jouerait un rôle éducatif en ce sens qu'il contribuerait à enrichir les visiteurs qui découvriraient de nouvelles formes d'expression artistique traditionnelles. Le tourisme est ainsi considéré comme un vecteur de compréhension, de paix et de coopération entre les peuples : « Dans cette perspective, le tourisme international se traduit en définitive par un double courant d'échanges, des valeurs économiques vers les pays récepteurs et de valeurs culturelles vers les pays émetteurs. » (Picard, 1992 : 111)

Pendant que les économistes européens font l'éloge du tourisme international et formulent des recommandations à l'endroit des gouvernements concernant la préservation et la promotion du patrimoine naturel et culturel, nombre d'auteurs contestent l'idée d'une convergence d'intérêts entre la culture et l'économie. Parmi les détracteurs de ce type d'équation pour le tourisme se trouvent des sociologues qui dénoncent la dépendance économique des pays récepteurs à l'égard des pays émetteurs. Ils y voient un rapport dominant/dominé, une forme de néocolonialisme. De même, des anthropologues déplorent l'exploitation commerciale de la culture dans une perspective touristique et

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s'inquiètent des effets du tourisme sur la culture traditionnelle des peuples qu'ils étudient. Les chercheurs en sciences sociales doivent alors faire valoir la pertinence d'analyser scientifiquement le phénomène touristique en pleine expansion. En effet, le tourisme devient un objet d'étude légitime pour l'anthropologie seulement dans les années 19701. Bien qu'il faille attendre jusque là pour que le tourisme soit reconnu et respecté au sein de la discipline, plusieurs chercheurs s'y intéressent depuis le début des années 1960. Partout où ils vont, les anthropologues voient des touristes et commencent à consigner leurs observations alors qu'ils travaillent parfois sur un tout autre sujet.

1 Pour la première fois en 1974, le thème de l'assemblée annuelle de l'Association anthropologique américaine porte sur le tourisme et les changements culturels. (Picard, 1992 :113)

Le « procès » du tourisme

Parmi les premières études empiriques sur le tourisme en anthropologie se trouve celle de Theron Nunez. D'origine mexicaine, Nufiez s'intéresse au contact entre les habitants d'un village mexicain et les citadins qui se rendent en milieu rural le temps d'une fin de semaine, ce qu'il appelle le weekendismo. En 1963, il publie un article pionnier concernant le tourisme, les traditions et l'acculturation dans la revue Ethnology. L'auteur rapporte que le tourisme engendre des changements rapides qu'il considère dramatiques sur les plans de l'identité et du système des valeurs. Il soutient en effet que les villageois perçoivent l'avènement du tourisme comme une véritable invasion ; des hommes d'affaires se sont imposés, construisant de nouveaux complexes immobiliers, et le gouvernement a mis en place un poste de police alors que des villageois désignés par leurs pairs étaient jusque-là responsables de maintenir l'ordre dans la communauté. Les nouveaux policiers ont aboli les courses de chevaux, la chasse dans les vallées environnantes, et ils ont interdit le port d'armes, hautement symbolique pour les hommes de la région. Ces mesures ont été instaurées pour assurer la sécurité des touristes de passage sans que les membres de la communauté aient été consultés. Nunez explique que l'organisation sociopolitique du village s'est vue bouleversée et que les changements survenus ont ravivé certaines rivalités 1

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entre les villageois. Des activités économiques traditionnelles se sont aussi modifiées, s'adaptant à la nouvelle réalité touristique ; des pêcheurs, par exemple, se servent désormais de leur bateau pour promener les touristes plutôt que pour pêcher.

Theron Nunez compare le tourisme à une conquête du territoire et analyse la situation en s'appuyant sur un modèle d'acculturation où le touriste urbain est celui qui apporte sa culture chez les hôtes qui la reçoivent. L'anthropologue cherche à évaluer les conséquences d'un tel transfert sur l'organisation sociale, économique et politique ainsi que sur le plan des valeurs (Nunez, 1963: 348). L'auteur pose implicitement le monde rural et la paysannerie comme un ensemble homogène où les faits de folklore et les valeurs traditionnelles sont plus authentiques étant donné l'isolement géographique qui les rendraient intacts. En ce sens, il rejoint les ethnologues de la première moitié du XXe siècle qui font de la campagne un terrain d'enquête de prédilection et qui voient « la grande industrie moderne [comme] un facteur de désagrégation, parfois même de destruction de la vie populaire » (Van Gennep, 1924 : 23). Cependant, Nunez ne condamne pas la ville et les citadins, mais cherche à mesurer le choc entre cultures urbaine et rurale et ses conséquences pour les villageois.

Les études « d'impacts » dominent largement la sociologie et l'anthropologie du tourisme des années 1960 et 1970. La plupart des travaux traitent des conséquences socioéconomiques ou socioculturelles du tourisme, deux secteurs distincts. Les premiers se penchent par exemple sur la distribution du travail et des profits, l'emploi et le coût de la vie liés à un contexte touristique. Les seconds se concentrent sur les répercussions du tourisme dans l'organisation sociale, la nature des relations interpersonnelles, le rythme de la vie et le quotidien, la migration, la division du travail (particulièrement entre les sexes), la déviance (vol, fraude, quête et prostitution), la stratification sociale (hiérarchie, jeux de pouvoir), et aussi sur les arts et traditions populaires (Cohen, 1984: 61). Comme le fait remarquer Michel Picard :

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[...] le seul fait de parler d'impact du tourisme induit une vision balistique, qui revient à concevoir la société dite d'accueil comme une cible frappée par un projectile, c'est-à-dire comme un milieu récepteur inerte et indifférencié, passivement soumis à des facteurs exogènes de changement. (1992 : 116)

Les travaux de Davydd Greenwood s'inscrivent parfaitement dans cette tendance. Dans un essai fréquemment cité (1977), Greenwood décrit la transformation d'un festival local en événement touristique. Il s'appuie sur des observations faites dans un village basque où se tient chaque année un grand festival à caractère historique et identitaire, VAlarde. Ce festival est organisé par la population locale et lui est destiné. Plusieurs rituels chargés de symboles composent l'événement et revêtent un sens aux yeux des participants, tous membres de la communauté. Le succès de VAlarde repose sur la coopération entre tous les habitants de Fuenterrabia en Espagne. Depuis quelques années toutefois, VAlarde est devenu une attraction touristique promue par les responsables du développement régional. Selon Greenwood, les gens de Fuenterrabia ont perdu la passion qu'ils avaient pour VAlarde au moment où les touristes sont arrivés en masse pour assister au festival. Cette perte d'intérêt, Greenwood l'attribue au fait que l'événement est maintenant centré sur les touristes et qu'on a même voulu le modifier pour accommoder les spectateurs venus de l'extérieur. Sur un ton alarmiste, l'auteur affirme que la commercialisation de la culture engendre nécessairement la perte du sens : « The ritual has become a performance for money. The meaning is gone. » (Greenwood, 1989 [1977] : 178) Il déplore également le manque d'authenticité des rituels et le renversement du système de croyances qui sous- tend ces pratiques traditionnelles. Ainsi, Greenwood soutient que les effets du tourisme sont dévastateurs puisque la culture est nécessairement altérée, voire détruite lorsqu'elle est destinée à divertir les touristes. Le sociologue condamne le tourisme, comme le font plusieurs de ses collègues à la même époque.

Dans la réédition de l'ouvrage Hosts and Guests. The Anthropology ofTourism en 1989, soit 12 ans après sa première publication, Davydd Greenwood nuance ses propos dans un épilogue annexé à son article sur VAlarde et la commercialisation de la culture. Alors qu'il

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était fort préoccupé par la perte d'authenticité des traditions de Fuenterrabia, attribuant tous les torts au tourisme de masse, Greenwood admet que bien d'autres facteurs de changements socioculturels s'ajoutent au tourisme, telles l'industrialisation, l'urbanisation, la pauvreté, la guerre civile et l'immigration (1989 : 181). Il reconnaît que la position qu'il tenait en 1977 était celle des anthropologues à la recherche d'un peuple pur et vrai :«[...] the anthropological focus on the disruption of the local community by tourism was not entirely accidentai. It fit well with the notion of the pristine relatively static, traditional community plunged into the modem capitalist arena. » (1989 : 181). Regina Bendix estime d'ailleurs que cette façon d'appréhender le phénomène touristique explique en partie la reconnaissance tardive du tourisme comme objet d'étude :

Among the reasons for the delay in accepting tourism as a pervasive, intercultural phenomenon rather than scorning it as an intrusive agent destroying cultures, was the desire to study the pristine and untouched, a desire that has its roots in the history of anthropological and folkloristic study of native peoples as well as in the 19th-century notions of culture. (1989 : 133)

Si nombre d'auteurs se concentrent sur les effets (méfaits) du tourisme dans les sociétés hôtes, d'autres portent une attention particulière aux touristes et à leurs pratiques. En 1961, l'historien Daniel Boorstin lance un grand débat intellectuel en publiant un ouvrage dans lequel il qualifie le tourisme d'activité frivole recherchée par des individus passifs qui se contentent d'expériences superficielles et se soucient peu de l'authenticité des produits qu'ils consomment. L'auteur américain glorifie au contraire le voyageur qu'il perçoit comme un curieux intellectuel qui cherche à vivre une expérience riche et profonde, à établir un véritable contact avec la population locale. Boorstin déplore la disparition du voyageur au profit du touriste dont la quête de plaisir lui semble vide de sens. Il ridiculise le touriste qu'il dépeint comme un benêt manipulé par l'establishment. La position de l'historien américain accentue l'antagonisme entre voyageur et touriste, entre « héros du voyage » et « idiot du voyage » pour reprendre l'expression de Jean-Didier Urbain (1993). Elle ouvre également la voie à de nouvelles approches scientifiques, dont celle de Dean

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MacCannell qui, au début des années 1970, étudie le tourisme sous l'angle de la fonction sociale et rituelle et sa mise en scène.

La mise en scène et le rituel contemporain

Dans un premier essai publié en 1973, MacCannell suggère que le voyage endosse certaines fonctions sociales que la religion n'assume plus dans les sociétés modernes. Contrairement à Daniel Boorstin, MacCannell croit que l'absence d'authenticité et de profondeur dans la vie quotidienne des Occidentaux amène les touristes à voyager :

The motive behind a pilgrimage is similar to that behind a tour: both are quests for authentic expériences. Pilgrims attempted to visit a place where an event of religious importance actually occured. Tourists présent themselves at places of social, historical, and cultural importance. (1973: 593)

En quête de sacré, ces pèlerins modernes cherchent à vivre une expérience authentique qu'ils ne croient guère possible chez eux. MacCannell écrit d'ailleurs que « pour les modernes, la réalité et l'authenticité sont considérés comme étant ailleurs : dans d'autres périodes historiques, dans d'autres cultures, dans des styles de vie plus purs et simples » (1976: 3, traduit par Brown, 1999: 45). MacCannell explique que plusieurs touristes cherchent à se rapprocher de la population locale, à établir un contact privilégié avec elle dans le but de vivre une expérience enrichissante et authentique. Ces touristes veulent voir comment la vie de ceux qu'ils visitent est véritablement vécue. Or l'auteur estime que l'authenticité recherchée est rarement accessible aux touristes puisque la culture est toujours mise en scène.

Comme un nombre croissant de chercheurs, MacCannell souligne le « caractère inadéquat d'une appréhension en extériorité traitant de l'effet univoque d'une activité sur le milieu » (Picard, 1992 : 118) et se penche sur les interactions observables entre les visiteurs et leurs hôtes. Le modèle d'analyse et d'interprétation qu'adopte MacCannell est celui élaboré par

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Erving Goffman en 19592, soit une division structurelle qu'il applique au phénomène touristique. Goffman utilise la métaphore théâtrale dans sa présentation des interactions symboliques :

2 Erving Goffman (1959), The Présentation of Self in Everyday Life, Garden City (New York), Doubleday.

Les individus deviennent des acteurs qui évoluent dans des régions postérieures (coulisses) et des régions antérieures (scène) où ils produisent une représentation dans un décor donné. Ces représentations donnent une définition d'une situation d'interaction, et les acteurs ont le devoir de préparer leur représentation et de l'ajuster aux circonstances de la représentation, qui peuvent parfois leur échapper en partie. (Harvengt, 2005 :195)

D'après MacCannell, les espaces que partagent les touristes et leurs hôtes constituent la scène - la réception d'un hôtel ou la salle à manger par exemple. Les coulisses sont les espaces inaccessibles aux touristes, les endroits réservés aux hôtes, comme la cuisine ou Ja buanderie. L'architecture des lieux permet une séparation entre les visiteurs et les locaux, mais il s'agit surtout d'une division sociale établie en fonction des rôles dévolus à chacun. Si le touriste parvient à pénétrer dans les coulisses sans y être invité, son geste peut être perçu comme une intrusion dans la vie privée des hôtes. D'après ses observations, MacCannell remarque que les coulisses sont de plus en plus ouvertes aux touristes, mais qu'elles sont aussi mises en scène : tel un enfant qui visite une caserne de pompiers lors d'une excursion pédagogique, les touristes sont invités à pénétrer dans des lieux qui leur sont inaccessibles en dehors d'une visite guidée. Ces nouveaux espaces ouverts semblent authentiques pour ceux qui s'y trouvent : ils permettent aux touristes de voir des détails de l'intérieur, ce qui leur donne l'impression de découvrir quelque chose de « vrai ». Cependant, ce qui leur est présenté est d'abord sélectionné et préparé en fonction de leur venue (MacCannell, 1973 : 595). D'après l'auteur, le touriste n'a finalement jamais accès aux coulisses - donc à l'authenticité - même s'il réussit parfois à y jeter un regard. MacCannell reconnaît qu'on ne peut mesurer le degré d'authenticité d'une expérience touristique, mais d'après l'anthropologue, cette expérience est toujours mystifiée alors

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qu'elle se présente comme la révélation de la vérité. Le touriste en quête d'authenticité est donc souvent déçu, insatisfait devant la mise en scène qui s'offre à lui.

Dans la lignée des travaux de MacCannell se trouvent ceux de Nelson Graburn. Ce professeur d'anthropologie considère aussi le tourisme comme une quête, mais au lieu d'être orientée vers les autres, comme le suggère MacCannell, elle est plutôt centrée sur soi. Graburn reprend l'idée émise par MacCannell qui veut que les touristes soient des pèlerins modernes et considère « le tourisme [comme] un voyage sacré, la contrepartie contemporaine du pèlerinage médiéval » (Brown, 1999: 43). Dans une perspective comparative, Graburn s'intéresse principalement aux touristes, à leurs motivations et à leurs comportements, ainsi qu'à la nature du tourisme et ses différentes formes. A l'instar de MacCannell qui voit le tourisme comme un rituel de différenciation entre les sociétés, Graburn pose le voyage à caractère touristique comme un rituel contemporain qui pondère la vie quotidienne (1983 : 11). Graburn associe l'étape liminaire, celle où le touriste est à l'étranger, au concept de flow développé par Victor Turner, soit une période de marge (anti-structure) et de recréation où l'individu change d'état d'esprit. Graburn fait une comparaison entre cette période et le moment sacré des rituels religieux où l'individu se rapproche d'une force surnaturelle. Le voyage est l'occasion d'un renouveau qui pousse l'individu à chercher un équilibre physique et spirituel.

Inspiré à la fois par les travaux de Johan Huizinga3 et de Joffre Dumazedier4, Graburn s'intéresse particulièrement à la dimension ludique du tourisme, intérêt qu'il partage avec Jafar Jafari5. Ce dernier conçoit le tourisme comme une pratique festive et ludique dont la nature suggère la transgression des normes et des règles établies (rupture avec le temps,

3 Johan Huizinga (1951, [1938]), Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu [traduit par Cécile Seresia], Paris, Gallimard, 340 p.

4 Joffre Dumazedier (1962), Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Editions du Seuil, 309 p.

5 Jafar Jafari (1985), The Tourism System: A Theoretical Approach to the Study ofTourism (Culture, Play, Animation,

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l'espace et l'économie, inversion de rôles, perte d'inhibitions6). Pour cet auteur, la personne qui se trouve dans un espace-temps hors de l'ordinaire entre dans une « transe touristique » et emprunte un style de vie temporaire pour renverser le quotidien. Jafari et Graburn s'intéressent d'abord au sens symbolique du tourisme et s'entendent pour dire que le besoin de rompre avec le quotidien ou « l'ordinaire » s'exprime dans les pratiques touristiques.

6 Agnès Villadary présente ces mêmes caractéristiques de la fête dans son ouvrage Fête et vie quotidienne publié en 1968 à Paris (Editions ouvrières, collection Évolution de la vie sociale).

While human play may lack the travel element of tourism, it shares the aspects of removal from the normal rules, or limited duration and unique social relationships, and of feelings of immersion and intensity that Turner characterizes as flow. Like tourism, games and rituals which both differ from and reinforce certain aspects of the structure and the value of everyday life. (Graburn, 1983:15)

Graburn distingue aussi deux catégories de tourisme : les moments de répit prévus par le calendrier, comme les vacances estivales ou les congés fériés, et les expériences touristiques qui marquent le passage d'un statut à un autre. Cette dernière forme de tourisme s'apparente aux rites de passage schématisés par l'ethnologue français Arnold Van Gennep (1909) et correspond souvent à un changement important dans la vie d'un individu. Graburn observe que l'entrée dans le monde des adultes, un changement de carrière ou un divorce sont de plus en plus marqués par un voyage « de transition ». Le voyage permet alors à l'individu de déterminer s'il est prêt à passer à une autre étape de sa vie. Il s'agit donc d'un rite de reconstitution ou de renouvellement. D'après Graburn, même le tourisme de récréation (soleil, plage, sexe, sport) qui semble vide de sens pour certains est en fait l'expression de valeurs profondes concernant la santé, la liberté, la nature et l'amélioration de soi (1983 : 15). Pour appuyer l'idée que le touriste et le pèlerin se rejoignent sur plusieurs plans, Nelson Graburn cite Turner et Turner qui abordent aussi la question dans leur étude du pèlerinage :

Even when people bury themselves in anonymous crowds on beaches, they are seeking an almost sacred, often symbolic, mode of communitas, generally

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unavailable to them in the structured life of the office, the shop floor or the mine. Even when intellectuals seek the wilderness in personal solitude, they are seeking the material multiplicity of nature, a life source. (Turner and Turner, 1978: 20, cité dans Graburn, 1983:17)

Dans un essai de typologie des expériences touristiques, l'israélien Erik Cohen cherche à nuancer ce qu'avancent ses collègues sociologues en ce qui concerne le rapprochement entre pèlerins et touristes. Cohen insiste sur le fait qu'on ne peut pas parler « du » touriste comme un type bien défini : il existe plusieurs formes de tourisme, donc plusieurs types de touristes qui vivent différentes expériences touristiques.

L'expérience touristique

Inspiré par les travaux de l'historien des religions Mircea Eliade, Cohen s'interroge sur la place que prend le tourisme dans la vie d'un individu. Il suggère que l'importance qu'on accorde au voyage repose en partie sur notre vision du monde, mais dépend surtout de notre adhésion à un centre (spirituel, religieux, politique, artistique, historique, etc.) et de la situation géographique de ce centre par rapport à notre société d'origine. Cohen définit le tourisme comme la quête du centre, ou la recherche du sens. Le principe de voyager pour le plaisir repose sur l'idée qu'il y a une expérience à vivre quelque part qu'on ne peut pas connaître chez soi. Comme d'autres auteurs avant lui, Cohen considère que le tourisme a pour fonction de renouveler, de restaurer, de réguler les tensions et les insatisfactions liées à la vie quotidienne, principalement au travail. Cohen ajoute que pour rester fonctionnel, le voyage doit demeurer un renversement temporaire des activités quotidiennes, sans quoi l'individu centré sur le tourisme devient en quelque sorte « déviant », fuyant ses devoirs de citoyen que lui impose la société dans laquelle il se trouve.

Pour élaborer sa typologie des expériences touristiques, Cohen a analysé l'intérêt ou l'appréciation des touristes pour la culture, la vie sociale et l'environnement des autres, ce

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qui provoque un mouvement vers le centre de ces cultures, de ces sociétés, donc un éloignement de son propre centre socioculturel. Il distingue cinq principaux modes d'expériences touristiques : le mode récréatif, divertissant, expérientiel, expérimental et existentiel. Lorsqu'un individu voyage en mode récréatif, il veut s'amuser et se reposer, il cherche un sentiment de bien-être physique et mental. Rompre avec son univers quotidien lui permet de se régénérer et de récupérer sa force de travail. Il est aussi conforté dans les valeurs de sa société malgré la pression qu'elle exerce sur lui. Il s'agit donc d'un mouvement en dehors du centre qui renforce l'adhésion au centre7. Le touriste qui voyage en mode divertissant cherche aussi à rompre avec le quotidien, mais simplement pour détourner son ennui, pour briser la routine. Selon Cohen, ce touriste n'est pas attaché à un centre chez lui, il n'a pas défini de sens à sa vie et ne cherche pas à le faire. L'expérience touristique ne le touche pas dans ses valeurs et ne vise pas à rétablir l'adhésion au centre ou à renforcer le sentiment d'appartenance au milieu de vie. Ces deux premières formes de voyage sont les plus courantes et les plus critiquées par les intellectuels.

7 Erve Chambers appuie ainsi cette idée : "Tourists were encouraged to travel in order to expérience, and just as certainly to validate, their own sense of nation. They were also invited to indulge their curiosity through visits to other nations, an activity that could serve as well to reaffirm their own national identifies." (2000: 95).

Toujours selon Cohen, ceux qui voyagent en mode expérientiel croient que leur milieu de vie a « perdu » sa simplicité, son authenticité. Déplorant la situation, ces voyageurs cherchent un sens à la vie dans celle des autres. Ces touristes en quête d'authenticité observent de nouveaux modes de vie, plus « vrais » que le leur, mais ne s'y convertissent pas. Leur contact avec l'authenticité (perçue) des autres les rassure ou les conforte, mais ne donne pas une nouvelle direction à leur vie. Ils demeurent « déshérités », privés d'un centre, mais encouragés de savoir que d'autres ont un centre, une vie authentique. Les voyageurs en

mode expérimental cherchent pour leur part un centre auquel se convertir parce qu'ils n'adhèrent plus au centre spirituel de leur propre société. Ils essaient et comparent d'autres modes de vie, espérant trouver celui qui leur conviendra le mieux, qui les rejoindra le plus dans leurs valeurs. Ils font de l'observation participante sans savoir ce qu'ils cherchent, ce dont ils ont besoin, ce qu'ils désirent vraiment. La quête des voyageurs en mode

Figure

Figure  1 :  Distribution des Saskatchewannais  de  langue maternelle française, 2001
Figure 2  :  Pourcentage des Saskatchewannais  de  langue  maternelle  française, 2001
Figure 3  :  Exploration  des villes et villages  de  la Saskatchewan. Séjour de recherche, 2002
Figure 4 : Triangulation des sources
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