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Évolution de la victimisation durant le primaire selon la perspective des enseignants et rôle de l'agressivité réactive comme facteur de prédisposition

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Academic year: 2021

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ÉVOLUTION DE LA VICTIMISATION DURANT LE PRIMAIRE SELON LA PERPECTIVE DES ENSEIGNANTS ET RÔLE DE L’AGRESSIVITÉ RÉACTIVE COMME FACTEUR DE PRÉDISPOSITION

Thèse

Catherine Bissonnette

Doctorat en psychologie recherche et intervention Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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III

Résumé

Certains enfants tendent à vivre de la victimisation durant tout le primaire. L‟identification des victimes de même que les caractéristiques pouvant les prédisposer à être exposés de façon répétée à la victimisation apparaît importante. Cette recherche a évalué la validité de la perspective des enseignants comme source d‟information, a documenté l‟évolution de la victimisation durant tout le primaire et a évalué le rôle de l‟agressivité réactive comme déterminant de la victimisation. L‟échantillon composé de jumeaux monozygotes et dizygotes provient de l‟Étude des jumeaux nouveau-nés du Québec. Les associations entre la perspective des enseignants, des pairs, des auto-évaluations avec le rejet par les pairs entre la maternelle et la quatrième année ont d‟abord été examinées. Le jugement des enseignants a présenté la plus forte association avec le rejet par les pairs en maternelle et première année. Des trajectoires de victimisation avec des modèles semi-paramétriques entre la maternelle et la sixième année ont ensuite été estimées. Trois trajectoires ont été identifiées dont une plus élevée qui s‟est révélée constante à travers le temps mais qui a présenté un niveau de victimisation modéré (1 É.T. de la moyenne). Ce résultat évoque une difficulté possible des enseignants à cibler les enfants sévèrement victimisés. Les enfants appartenant à chacune des trajectoires se sont différenciés quant à leur score de victimisation et de rejet mesurés selon la perspective des pairs suggérant une cohérence entre le jugement des enseignants et celui des pairs. Des analyses génétiques basées sur des modèles d‟équations structurelles ont été effectuées. La trajectoire de victimisation élevée a présenté une héritabilité de 67% laissant entendre que des caractéristiques héritables de l‟enfant peuvent le prédisposer à vivre de façon répétée de la victimisation. Une étiologie génétique commune expliquant 37% de la variance génétique partagée a été observée entre l‟agressivité réactive et la victimisation. Ce résultat suggère que ce type d‟agressivité peut expliquer en partie l‟héritabilité de la victimisation et prédisposer un enfant à être exposé de façon chronique à des difficultés interpersonnelles durant le primaire.

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V Table des matières

Résumé ... III Liste des tableaux ... VII Liste des figures ... IX Remerciements ... XI Avant-propos ... XIII

Difficultés interpersonnelles : un portrait général ... 1

Le rejet et la victimisation par les pairs ... 1

Facteurs de risque associés aux difficultés interpersonnelles ... 2

Sources d‟information ... 3

Évolution de la victimisation durant le primaire ... 9

Déterminants des difficultés interpersonnelles ... 11

Objectifs généraux ... 21

Études ... 23

Article 1 : Trajectoires de victimisation de la maternelle à la sixième année selon la perspective des enseignants et validité de cette perspective dans un cadre de dépistage précoce ... 25

Résumé ... 27 Introduction ... 28 Objectifs ... 32 Méthode ... 33 Participants ... 33 Procédure ... 35 Mesures ... 35 Analyses statistiques ... 37 Résultats ... 38 Discussion ... 42

Article 2 : Étiologie de trajectoires de victimisation au primaire et rôle de l’agressivité réactive comme déterminant ... 55

Résumé ... 57 Introduction ... 58 Objectifs et hypothèses ... 63 Méthode ... 64 Participants ... 64 Procédure ... 65 Mesures ... 66 Plan d‟analyses ... 67 Résultats ... 69 Discussion ... 73 Discussion générale ... 91 Références ... 101 Annexe A ... 111 Annexe B ... 115 Annexe C ... 119

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Annexe D ... 123 Annexe E ... 127

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VII Liste des tableaux

Tableau 1 Scores moyens de victimisation selon le jugement de l‟enseignant………..49 Tableau 2 Corrélations entre les mesures de victimisation et le rejet par les pairs en maternelle,

première année et quatrième année………...……….………...…....50 Tableau 3 Statistiques descriptives de l‟agressivité réactive et proactive de même que de la

victimisation……….….82 Tableau 4 Indices statistiques pour les modèle ACE en fonction de chaque trajectoire……….…..83 Tableau 5 Coefficients de régression (sexe, agressivité réactive, agressivité proactive) permettant

de prédire la moyenne des scores de victimisation……….……....……….……84 Tableau 6 Corrélations intra-classe et corrélations croisées entre jumeaux monozygotes et

dizygotes ………..85 Tableau 7 Modèle bivarié ACE de l‟agressivité réactive et de la victimisation présentant le meilleur

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IX Liste des figures

Figure 1 Trajectoires de victimisation évaluée selon le professeur entre la maternelle et la sixième année ……….……....……….………....51 Figure 2 Scores moyens de victimisation évaluée par les pairs en fonction des trajectoires de

victimisation évaluée par le professeur et du sexe. Les barres d‟erreur représentent les erreurs standards de la moyenne. Traj. = trajectoire………...……….……...…....52 Figure 3 Scores moyens de rejet évalué par les pairs en fonction des trajectoires de victimisation

évaluée par le professeur et du sexe. Les barres d‟erreur représentent les erreurs standards de la moyenne. Traj. = trajectoire………...……….….53 Figure 4 Trajectoires de victimisation évaluée selon le professeur entre la maternelle et la sixième

année ……….……....……….………....87 Figure 5 Taux de concordance entre jumeaux monozygotes et dizygotes en fonction de

l‟appartenance aux trajectoires de victimisation ……….……...……….………..88 Figure 6 Association entre les facteurs génétiques de l‟agressivité réactive et les facteurs génétiques

de la victimisation. Agr. réactive = agressivité réactive, Vict. = moyenne des scores de victimisation entre la maternelle et la sixième année, RG= corrélation entre les facteurs

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XI Remerciements

Voici un long cheminement universitaire qui s‟achève enfin. Ce parcours a été ponctué d‟embûches mais également de plusieurs événements heureux. La complétion de mon doctorat a été rendue possible grâce à l‟aide et au soutien de plusieurs personnes qui me sont très chères. Je tiens à les remercier de tout mon cœur de m‟avoir permis de compléter mes études et de rendre ma vie si agréable.

Plus particulièrement, je tiens d‟abord à remercier mon directeur de thèse, M. Michel Boivin qui a été une source d‟inspiration pour sa rigueur scientifique et son professionnalisme. J‟apprécie grandement avoir pu bénéficier de son expertise en développement social de l‟enfant et en génétique du comportement. Je tiens à lui témoigner ma gratitude pour son soutien et son encadrement tout au long de ces années. Également, merci à ma codirectrice de thèse, Mme Mara Brendgen, pour sa disponibilité, son implication et le partage de son expertise dans le domaine. Je veux remercier également Mme Ginette Dionne et M. George Tarabulsy, membres de mon comité de thèse, pour leur implication dans la progression du projet et leurs judicieux conseils. Merci aussi à Mme Catherine Bégin et Mme Marie-Hélène Véronneau pour avoir accepté d‟agir à titre de membres du jury pour l‟évaluation et la soutenance de ma thèse.

Dans le laboratoire, j‟ai pu compter sur l‟aide très précieuse de la professionnelle de recherche Nadine Dubois-Forget et des statisticiennes Hélène Paradis et Bei Feng pour les analyses statistiques complexes. Je tiens à les remercier toutes les trois pour leur temps, leur enseignement, leur soutien, les références et le plaisir d‟avoir travaillé avec elles. Merci également aux secrétaires de gestion Patricia Lorman et Marie-Noëlle St-Pierre pour tous les services rendus. Merci à mes collègues qui ont tous été une source d‟inspiration pour l‟atteinte de mes objectifs : Annie, Nathalie, Natalia, Emmanuel, Édith, Amélie, Stéfanie, Émylie et Isabelle.

À mes parents qui ont été soutenants, disponibles, inspirants de par leur propre réussite professionnelle et aidants sur le plan financier au début et plus tard, pour garder les petits, je tiens à leur exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance pour les efforts fournis. Je n‟y serais pas arrivée sans eux. À mon conjoint, Martin, qui est à mes côtés depuis le début de mes études en psychologie, merci pour sa patience, sa compréhension, son support, son humour et surtout sa présence et le plaisir vécu ensemble durant toutes ces années. Merci de rendre ma vie plus belle et de m‟avoir donné mes précieux amours Vincent et Élyrose.

Merci à mes amies du doctorat Sonia, Geneviève, Annie B., Elsa et surtout Annie F. qui m‟a accompagnée tout au long de nos années universitaires. Merci pour le soutien, les fous rires et le plaisir à avoir étudié ensemble. Merci aussi à mes autres amies Catherine, Jacinthe, Jessica, Anne-Marie, Julie et Sonia pour votre soutien et toutes les soirées et les soupers qui m‟ont permis de décrocher.

Merci au Fond Québécois de la Recherche sur la Société et la Culture (FQRSC) et à Michel Boivin pour leur soutien financier. Enfin, merci aux organismes subventionnaires (principalement le Programme national de recherche en développement de la santé du Canada, le Fonds de la recherche en santé du Québec et le Conseil québécois de la recherche sociale) et au Groupe de Recherche sur l‟Inadaptation Psychosociale (GRIP) pour l‟élaboration de l‟Étude des Jumeaux Nouveau-nés de Québec (EJNQ), étude sur laquelle se base ma recherche.

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XIII Avant-propos

Les deux articles sont réalisés à partir de la banque de données de l‟Étude des jumeaux nouveau-nés du Québec (ÉJNQ), une étude longitudinale portant sur l‟influence des facteurs environnementaux et génétiques sur le développement des enfants. Les analyses statistiques et la rédaction des deux articles ont été exécutées par l‟auteure principale, Catherine Bissonnette. Michel Boivin, directeur de la thèse et Mara Brendgen, codirectrice de la thèse, ont dirigé le projet en plus de réviser et commenter l‟ensemble de la démarche. Ginette Dionne a partagé son expertise en révisant les articles et en émettant des commentaires et suggestions. Frank Vitaro et Richard E. Tremblay ont participé à l‟élaboration de la banque de l‟ÉJNQ. Les articles n‟ont pas encore été soumis pour publication.

Michel Boivin Ph.D. et Ginette Dionne Ph.D. sont professeurs à l‟école de psychologie de l‟Université Laval et chercheurs réguliers du Groupe de Recherche sur l‟Inadaptation Psychosociale chez l‟enfant (GRIP). Mara Brendgen Ph.D. est professeur à l‟École de psychologie de l‟Université du Québec à Montréal et chercheure régulière du GRIP et Frank Vitaro de même que Richard E. Tremblay sont professeurs à l‟École de psychologie de l‟Université de Montréal et chercheurs réguliers du GRIP.

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Difficultés interpersonnelles : un portrait général

Au cours des dernières années, l‟attention des médias a été attirée par des actes de violence commis par des jeunes à l‟égard de leurs camarades de l‟école. Le célèbre cas de Columbine en 1999, dans lequel deux jeunes garçons, présumés marginalisés par leurs pairs, ont tué douze adolescents et un professeur avant qu‟ils ne s‟enlèvent la vie, en est un exemple frappant (Mitchell, 1999). Outre les multiples facteurs (e.g. tempérament, difficultés familiales, société) ayant pu mener ces jeunes à commettre ce geste, les difficultés relationnelles dans le milieu scolaire ont été soulevées comme l‟une des causes possibles de cette tragédie (McDougall, Hymel, Vaillancourt, & Mercer, 2001). En effet, des études longitudinales effectuées sur un court terme, et certaines sur un plus long terme, indiquent la présence d‟un lien prédictif entre les difficultés interpersonnelles à l‟enfance et le développement ultérieur de problèmes internalisés, externalisés et académiques (Ladd, 2006; McDougall et al., 2001). Par exemple, dans le cadre d‟une étude longitudinale effectuée auprès d‟adolescents, les difficultés interpersonnelles à l‟âge de 12 ans ont présenté une association prédictive avec des actes d‟automutilation et des idées suicidaires à 15 ans (Sourander, Aromaa, Pihlakoski, Haavisto, Rautava, Helenius, & Sillanpää, 2006). Deux manifestations particulières des difficultés interpersonnelles ont fait l‟objet d‟une attention soutenue au cours des dernières années; il s‟agit du rejet par les pairs et de la victimisation par les pairs.

Le rejet et la victimisation par les pairs

Le phénomène du rejet par les pairs touche entre 13% à 16 % des enfants (Terry & Coie, 1991). Il se définit sur la base de désignations sociométriques traduisant les sentiments positifs et négatifs exprimés par les compagnons de jeu ou de classe (Coie & Dodge, 1983). Typiquement, les enfants doivent nommer trois camarades de classe qu‟ils aiment le plus et trois camarades de classe qu‟ils aiment le moins. Les enfants rejetés sont ceux et celles qui reçoivent plus de désignations négatives et moins de désignations positives que les autres enfants dans un groupe donné (Boivin, Hymel et Hodges, 2001). La mesure du rejet est donc la mesure d‟un sentiment négatif qui peut ou non se manifester sur le plan comportemental et/ou verbal (Boivin et al., 2001). Ce sentiment semble toutefois se traduire par une réalité difficile pour les enfants rejetés. Dans une étude effectuée auprès d‟enfants à la maternelle, Boivin, Dorval et Bégin (1990) ont observé que les enfants rejetés sont plus souvent impliqués que les enfants populaires dans des interactions négatives, i.e des interactions durant lesquelles des comportements agressifs verbaux ou physiques sont échangés. Plus spécifiquement, les enfants rejetés se sont distingués des enfants populaires par le fait qu‟ils ont été plus souvent la cible de comportements agressifs verbaux et physiques. Les enfants rejetés ont été aussi moins souvent la cible de comportements positifs de la part de leurs camarades de classe. Un statut sociométrique négatif semble donc témoigner du vécu pénible des enfants rejetés par les pairs.

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Selon Olweus (2001), un enfant est victime de ses pairs lorsqu‟il est exposé à répétition et de façon chronique à des actions négatives de la part d‟un ou de plusieurs pairs. Les actions négatives sont définies comme des actes ou des tentatives de causer de façon intentionnelle des blessures ou de l‟inconfort à l‟autre et ce, dans un contexte de déséquilibre de pouvoir entre la victime et l‟agresseur (Olweus, 1993). Elles peuvent prendre la forme d‟agressions physiques, de mots et de gestes non-verbaux vexants, ou encore d‟exclusion intentionnelle d‟un groupe (Olweus, 1997). La victimisation est un phénomène social qui prend naissance dans un groupe stable dans lequel les individus victimes sont confrontés régulièrement à leur agresseur avec peu de possibilité de l‟éviter (Salmivalli, Lagerspetz, Björkovist, Österman, & Kaukiainen, 1996). Certaines études rapportent que jusqu‟à 80% des enfants et adolescents ont vécu à un moment ou l‟autre une expérience de victimisation (Hoover, Oliver et Hazler, 1992). Il semble toutefois que cette expérience soit plus difficile pour une proportion d‟entre eux. Dans la population normale, environ un enfant sur 10 serait une victime sévère des pairs c‟est à dire qu‟il serait la cible de plusieurs comportements négatifs de la part des autres (Kochenderfer & Ladd, 1996 ; Perry, Kussel & Perry, 1988).

Le rejet et la victimisation représentent des construits qui reflètent les difficultés interpersonnelles vécues par un enfant. Il s‟agit toutefois de phénomènes distincts. Le rejet est un sentiment négatif envers l‟autre qui peut se traduire ou non de façon comportementale et/ou verbale (Boivin et al., 2001). La victimisation est plutôt une série d‟actions négatives manifestées envers un individu. La victimisation a été proposée comme un moyen par lequel les pairs peuvent exprimer un sentiment négatif envers un enfant (Boivin et al., 2001). Dans une étude longitudinale effectuée auprès d‟enfants au milieu du primaire, les enfants rejetés ont eu plus de risque d‟être victime un an plus tard (Hodges & Perry, 1999). Ce résultat laisse entendre que le rejet peut prédisposer un enfant à être victime. Cependant, le rejet par les pairs peut ou non se traduire par des comportements négatifs et une victimisation manifeste de la part des pairs. Dans le même sens, la victimisation n‟implique pas nécessairement le rejet par les pairs : un enfant peut être victime pour des raisons purement instrumentales, e.g. l‟obtention d‟un objet ou d‟un privilège, sans que l‟enfant agresseur ou le groupe de pairs n‟entretiennent de sentiments négatifs à l‟égard de ce dernier (Boivin et al., 2001; Hymel, Wagner & Butler, 1990).

Facteurs de risque associés aux difficultés interpersonnelles

Le rejet et la victimisation par les pairs ont été associés à de nombreux facteurs de risque. Kochenderfer et Ladd (1996) ont observé que des enfants de maternelle qui sont victimisés au début de l‟année scolaire se caractérisent par significativement plus d‟absentéisme et rapportent significativement plus de sentiments de solitude au printemps de la même année. Boivin, Hymel et Bukowski (1995) ont observé, auprès d‟enfants au milieu et à la fin du primaire, que le rejet et la victimisation par les pairs a permis de

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3 prédire des sentiments de solitude et des symptômes dépressifs une année plus tard. Dans le cadre d‟une étude longitudinale, Ladd (2006) a observé que le rejet par les pairs, mesuré dès la maternelle, a permis de prédire des troubles internalisés et externalisés sept ans plus tard et ce, indépendamment des conduites agressives et de retrait social. Des associations prédictives ont également été observées auprès d‟enfants au milieu du primaire entre la victimisation et un faible fonctionnement scolaire une année plus tard (Schwartz, Gorman, Nakamoto & Toblin, 2005). Enfin, des liens prédictifs ont également été observés entre la victimisation et des idées ou des passages à l‟acte suicidaires à l‟adolescence (Carney, 2000; Sourander et al., 2006; Undheim, 2013), de même qu‟entre le rejet par les pairs à la fin de l‟enfance et l‟affiliation avec des pairs déviants à l‟adolescence (Brendgen, Vitaro & Bukowski, 1998).

Compte tenu des risques psychosociaux associés aux difficultés interpersonnelles, il est pertinent d‟identifier les enfants victimes dès les premières années de scolarisation et de mieux comprendre ce qui peut les prédisposer à vivre des difficultés interpersonnelles. Une meilleure compréhension des déterminants des difficultés interpersonnelles pourrait favoriser l‟identification, tôt dans le développement, des enfants à risque d‟inadaptation. À terme, dès l‟arrivée dans le milieu scolaire, une compréhension du rôle de ces déterminants et des processus de développement impliqués permettra de mieux cibler les programmes de prévention visant à aider les enfants à risque de difficultés interpersonnelles.

Certains enfants présentant des difficultés interpersonnelles tendent à revivre ces expériences année après année (Boulton & Smith, 1994; Coie & Dodge, 1983). Ainsi, une proportion d‟enfants sont exposés à des expériences négatives chroniques avec les pairs (Boivin, Petitclerc, Feng & Barker, 2010 ; Kochenderfer-Ladd & Wardrop, 2001) et ce, dès l‟âge préscolaire (Barker, Boivin, Brendgen, Fontaine, Arseneault & al., 2008). Étant donné les difficultés présentes et ultérieures qui sont associées à ces expériences négatives, il est utile de mettre au point des mesures d‟identification qui soient valides et efficaces. Un premier objectif de la thèse sera donc de documenter l‟évolution de la victimisation durant tout le primaire en évaluant dans quelle mesure il est possible d‟identifier un groupe d‟enfants vivant des difficultés interpersonnelles chroniques dès la maternelle. Comme la victimisation représente la manifestation la plus observable des difficultés interpersonnelles, une attention spécifique lui sera portée.

Sources d’information

Quatre différentes sources d‟information peuvent être utilisées pour identifier les enfants victimes des pairs: les parents, les pairs, l‟enseignant et l‟enfant lui-même. Les parents sont, par contre, peu sollicités pour l‟évaluation des difficultés interpersonnelles durant le primaire étant donné leur absence du milieu scolaire. Les autres sources d‟information impliquent des formes d‟évaluation différentes et la validité de chacune

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d‟elles ne fait pas l‟unanimité puisque chacune de ces sources et formes d‟évaluation ont des avantages et des faiblesses.

Auto-évaluations. L‟auto-évaluation des difficultés interpersonnelles se fait généralement par questionnaire, ou par une entrevue pour les plus jeunes enfants, afin d‟obtenir le point de vue de l‟enfant sur ses expériences. Ces méthodes sont faciles à utiliser et peu coûteuses sur le plan logistique en plus de faciliter la gestion de la confidentialité (Card & Hodges, 2008; Crick & Bigbee, 1998). De plus, certains chercheurs avancent que la victime est la personne la mieux placée pour témoigner de ses expériences de victimisation (Card & Hodges, 2008; Olweus & Alsaker, 1994). En effet, les enseignants comme les pairs n‟ont pas accès à l‟ensemble des situations où la victimisation peut se manifester (Crick & Bigbee, 1998). Olweus et Alsaker (1994) ont réalisé une étude sur la victimisation durant une période de deux ans et demie auprès de quatre cohortes d‟enfants entre la quatrième et la septième année. Ils ont observé que la proportion moyenne d‟enfants se disant victimes dans la classe était modérément corrélée (r = .62) à la proportion d‟enfants victimes dans la classe selon les pairs. Des associations modérées (r = .42 à .65) ont également été observées dans d‟autres études entre les auto-évaluations et l‟évaluation par les pairs (Olweus, 1977; Perry et al., 1988), ce qui appuie la validité de ces auto-évaluations.

L‟autoévaluation est toutefois la source d‟information la moins associée aux autres, ce qui laisse entendre qu‟elle serait la moins valide (Boivin et al., 2013). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette plus faible association avec les autres perspectives. Le recours au point de vue de l‟enfant implique des risques de biais individuels dans les réponses obtenues. Par exemple, certains enfants peuvent ne pas rapporter leur expérience de victimisation par peur de représailles (Card & Hodges, 2008). Un biais cognitif incitant un enfant à attribuer à tort des intentions hostiles à autrui peut également le porter à exagérer des expériences de victimisation (Card & Hodges, 2008). Ainsi, dans une étude effectuée auprès d‟élèves de la troisième à la sixième année, Perry et al. (1988) ont identifié un groupe d‟enfants s‟estimant fortement victimes même s‟ils n‟avaient pas été identifiés de la sorte par l‟enseignant ou les pairs. Des biais liés à la désirabilité sociale peuvent également être observés. Ledingham, Younger, Schwartzman et Bergeron (1982) ont comparé l‟évaluation des comportements sociaux, notamment les comportements agressifs et de retrait, des pairs, des professeurs, et des auto-évaluations. Ils ont constaté que les auto-évaluations révélaient des comportements agressifs moins fréquents et une préférence sociale (une mesure de statut social) plus élevée comparativement aux évaluations des pairs et de l‟enseignant. Salmivalli et al. (1996) ont comparé les données obtenues sur la victimisation auprès des pairs à celles dérivées des auto-évaluations en sixième année. Ils ont observé que plus de 50% des enfants identifiés comme victimes par les pairs ne

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5 évaluaient pas comme tel. Malgré l‟accès direct au vécu subjectif que procure l‟auto-évaluation, il semble que cette source d‟information puisse être l‟objet d‟une distorsion de la réalité.

Le risque de biais pourrait être plus important auprès des jeunes enfants. Plusieurs études basées sur les autoévaluations démontrent un déclin de la victimisation en fonction de l‟âge en terme de fréquence (Olweus, 1991; Salmivalli, 2002; Smith, Madsen & Moody, 1999; Whitney & Smith, 1993). Une des hypothèses soulevées pour expliquer ce déclin serait une maturation progressive des fonctions cognitives facilitant l‟intégration des dimensions de la définition de la victimisation (Smith & Levan, 1995). En effet, les enfants de moins de 9 ans éprouvent des difficultés à tenir compte de certains aspects de la définition de la victimisation comme l‟intention, le déséquilibre de pouvoir et la fréquence des épisodes de victimisation (Smith & Levan, 1995; Smith, Madsen & Moody, 1999; Smith, Cowie, Olafsson, Liefooghe, Almeida, Araki & al., 2002). Les jeunes enfants pourraient donc utiliser une définition trop exhaustive de la victimisation et considérer des comportements négatifs comme un épisode de victimisation sans tenir compte du déséquilibre de pouvoir par exemple (Smith et al., 1999). Avec l‟âge, ils seraient davantage en mesure de tenir compte de ces dimensions et seraient plus aptes à identifier adéquatement un épisode de victimisation. Ainsi, l‟information tirée des autoévaluations, surtout avant la troisième année, pourrait être influencée par des biais individuels, mais également par un effet de la maturation des capacités cognitives.

Les pairs. L‟évaluation par les pairs est généralement perçue comme la mesure étalon des difficultés interpersonnelles (Asher & Hymel, 1981; Boivin et al., 2013; Leff, Kupersmidt, Patterson & Power, 1999). Typiquement, les enfants doivent désigner les individus de la classe qui correspondent le mieux aux descriptions comportementales mesurant la victimisation. Le score de chaque enfant est obtenu en fonction de la somme de désignations reçues pour cette dimension. Ce score est ensuite standardisé dans chaque classe (Perry et al., 1988). Plusieurs raisons expliquent que l‟évaluation par les pairs soit préférée aux autres sources d‟évaluation. La présence et la participation des pairs dans la majorité des interactions sociales en font les premiers témoins des expériences de victimisation vécues par leurs camarades de classe (Boivin et al., 2013; Ledingham & Younger, 1985; Salmivalli et al., 1996). De plus, le recours à plusieurs points de vue, implicite à la procédure, limite les risques de biais de perception individuelle (Salmivalli et al., 1996), augmente la fiabilité test-retest (Pekaric, Prinz, Liebert, Weintraub, & Neal, 1976), la stabilité (Coie et Dodge, 1983; Salmivalli, Lappalainen & Lagerspetz, 1998) et la validité prédictive des évaluations dérivées du jugement des pairs (Asher & Hymel, 1981; Cowen, Pederson, Babigian, Izzo & Trost, 1973; Perry et al., 1988). Par exemple, Salmivalli et al. (1998), dans une étude effectuée auprès d‟enfants âgés entre 12 et 15 ans, ont observé une plus grande constance entre les résultats se rapportant à la victimisation obtenus auprès des pairs que ceux dérivés des auto-évaluations sur une période d‟une année. Dans le cadre d‟une étude prospective, Cowen et

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al. (1973) ont évalué la valeur prédictive du jugement des pairs, de l‟enseignant et des auto-évaluations auprès d‟enfants âgés entre 8 et 9 ans. Le jugement des pairs a représenté le meilleur prédicteur de difficultés psychiatriques onze années plus tard.

L‟évaluation par les pairs présente aussi certains désavantages. D‟abord, elle est sujette au biais de réputation : un enfant peut ainsi être identifié comme une victime en fonction des représentations sociales qui lui sont associées plutôt qu‟en fonction d‟expériences de victimisation actuelles (Dodge et Coie, 1983; Hymel, Wagner & Butler, 1990). Puisqu‟elle représente un consensus entre les pairs de l‟identité des victimes, cette mesure ne permet pas d‟évaluer directement la fréquence ou la sévérité de la victimisation vécue par l‟enfant (Perry et al., 1988). Également, c‟est une procédure laborieuse puisqu‟il faut obtenir la participation du groupe classe pour que la mesure soit fiable (Card & Hodges, 2008; Crothers & Levinson, 2004). Par conséquent, la lourdeur du processus de collecte de données peut limiter le recours à l‟évaluation par les pairs dans un contexte de dépistage ou de recherche. Enfin, l‟utilisation de cette perspective nécessite l‟obtention du consentement des parents de la plupart des enfants de la classe, ce qui a des implications éthiques. Des problèmes de représentativité peuvent notamment être observés étant donné la crainte de certains parents que leur enfant soit davantage victime après avoir été identifié par ses pairs (Leff et al., 1999).

Tel que constaté pour les auto-évaluations, certaines études laissent entendre que les enfants à l‟âge préscolaire et au début de la scolarisation présentent des limites cognitives susceptibles d‟affecter leur jugement (Kochenderfer & Ladd, 2002; Monks, Smith & Swettenham, 2003). Par exemple, Monks et Smith (2006) ont constaté que les enfants de moins de huit ans, lorsqu‟ils doivent déterminer si un enfant est victime des comportements négatifs des autres enfants, distinguent surtout entre des comportements agressifs et non-agressifs et ne tiennent pas compte de l‟intention du comportement. Monks et al. (2003) observent, qu‟entre 4 et 6 ans, les enfants (i.e., les pairs) ont tendance à identifier les enfants qu‟ils préfèrent comme victimes. Ceci pourrait s‟expliquer par une tendance, à cet âge, à porter davantage attention aux amis et à les nommer pour les rôles étudiés (e.g. victime ou défendeur) (Monks et al., 2003). Compte tenu qu‟une association inverse est généralement observée entre la victimisation et la préférence sociale (Boivin et al., 2001), ce patron inversé laisse entendre que le jugement des jeunes enfants pourrait être influencé par leurs sentiments plutôt que fondé sur une évaluation objective (Yarrow & Campbell, 1963). Ainsi, les pairs pourraient ne pas être les meilleurs informateurs de la victimisation à tous les âges.

L’enseignant. L‟évaluation par l‟enseignant peut s‟avérer une option intéressante. Il répond par questionnaire à des items évaluant dans quelle mesure chaque enfant de sa classe subit des comportements négatifs de la part des autres. L‟information recueillie auprès de l‟enseignant permet d‟obtenir rapidement une

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7 quantité importante de données sur plusieurs enfants facilitant son utilisation pour les intervenants en milieu scolaire et en recherche (Leff et al., 1999). Cette source d‟information présente une association plus élevée que les auto-évaluations avec l‟évaluation par les pairs (Ledingham & Younger, 1985; Putallaz, Grimes, Foster, Kupersmidt, Coie & Dearing, 2007). Ronning, Sourander, Kumpulainen, Niemela, Moilanen et al. (2009) ont comparé la valeur prédictive de trois sources d‟évaluation de la victimisation à 8 ans (parent, enseignant et auto-évaluation). L‟évaluation par l‟enseignant était le meilleur prédicteur du risque de présenter un trouble mental à l‟âge adulte (18-23 ans). Cullerton-Sen et Crick (2005) ont évalué différentes sources d‟information (pairs, professeur et auto-évaluations) quant à la victimisation physique et relationnelle auprès d‟enfants en quatrième année du primaire. Les informations des enseignants prédisaient le rejet par les pairs de même que les problèmes externalisés et internalisés, indépendamment de l‟évaluation des pairs et des auto-évaluations.

L‟évaluation de la victimisation par l‟enseignant ne fait toutefois pas l‟unanimité (Card & Hodges, 2008; Ladd & Kochenderfer, 2002; Perry et al., 1988). Plusieurs raisons sont invoquées pour mettre en doute la validité de cette source d‟information. D‟abord, l‟enseignant est souvent absent dans certaines situations propices à la manifestation d‟épisodes de victimisation par les pairs (cour de récréation, toilettes, autobus, etc.). Ensuite, plusieurs victimes ne rapportent pas à l‟enseignant qu‟elles ont été la cible de comportements hostiles de la part des pairs (Card & Hodges, 2008). Par exemple, plus de la moitié des enfants de 8 à 16 ans mentionnant avoir été victimes n‟ont pas rapporté cette information à l‟enseignant (Whitney & Smith, 1993). Enfin, le recours au point de vue d‟un seul enseignant implique un risque de biais individuel, son jugement reflétant à la fois sa perception de l‟enfant et sa compréhension de la victimisation (Card & Hodges, 2008; Perry et al., 1988). Perry et al. (1988) ont comparé les perceptions de plusieurs enseignants côtoyant les mêmes enfants dans des contextes d‟enseignement différents. Ils ont observé qu‟il existait une variation importante entre les enseignants quant au nombre d‟enfants identifiés pour chaque item de victimisation et quant au nombre d‟items de victimisation attribués à chaque enfant. Dans une étude sur la compréhension de la victimisation par l‟enseignant, Mishna, Scarcello, Pepler et Wiener (2005) ont rapporté que plusieurs facteurs influencent leur définition d‟un épisode de victimisation, notamment le niveau de sévérité perçu de l‟épisode, la responsabilité de la victime et le degré d‟empathie vécu envers la victime. De plus, une variation importante existait entre les professeurs quant à l‟importance donnée à différentes formes de victimisation dont la victimisation verbale. La capacité des enseignants à identifier correctement les victimes peut ainsi être influencée par leur degré de tolérance envers la victimisation et par les contextes dans lesquels l‟enfant est côtoyé.

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Ainsi, chacune des perspectives présente des limites et des biais qui affectent la validité de construit de la victimisation et compliquent l‟identification des victimes. Afin de maximiser la validité des estimés de la victimisation, la combinaison des sources d‟information a été recommandée (Card et Hodges, 2008; Hawker & Boulton, 2000 ; Pellegrini & Bartini, 2000). Cette stratégie semble avantageuse. Par exemple, Crick et Bigbee (1998) montrent que les enfants de 10 et 11 ans identifiés comme victimes par les pairs et par auto-évaluation sont significativement plus rejetés que les enfants identifiés comme victimes par l‟une ou l‟autre stratégie.

Cependant, la combinaison des sources d‟information a également ses limites surtout auprès de jeunes enfants où une faible association est observée entre les différentes perspectives (Kochenderfer & Ladd, 2002; Perren & Alsaker, 2006). Par exemple, Perren et Alsaker (2006) ont obtenu des données contradictoires sur des enfants âgés entre 5 et 7 ans quant à l‟identification des victimes par les pairs et par l‟enseignant. Dans cette étude, l‟association entre le jugement des enseignants et celui des pairs était non significative (r = .08) et 18 enfants ont été exclus des analyses étant donné un désaccord majeur entre les deux perspectives. L‟utilisation de plusieurs sources d‟information semble donc difficile à appliquer en début de scolarisation : une trop faible association entre elles contraint la possibilité d‟obtenir un construit fiable sur la base des différentes perspectives.

Ainsi, dans un cadre de dépistage précoce, la source d‟information à privilégier pour identifier les enfants victimes ne semble pas être établie dans la littérature. La recherche actuelle pourrait apporter une perspective différente en comparant la validité de convergence de la mesure de victimisation dérivée des auto-évaluations, du jugement des pairs et celui de l‟enseignant avec une autre mesure des difficultés interpersonnelles, le rejet par les pairs. Compte tenu que le rejet est uniquement basé sur la valence des sentiments de l‟enfant envers les autres, il pourrait représenter un construit plus unidimensionnel que multidimensionnel (même si les sentiments peuvent aussi varier en fonction du contexte, e.g. jeu versus travail en classe), ce qui diffère de l‟évaluation de la victimisation qui postule une intention, une fréquence élevée et une inégalité de pouvoir (Ledingham & Younger, 1985). Puisque les jeunes enfants éprouvent de la difficulté à considérer plusieurs dimensions à la fois (Monks & Smith, 2006; Smith & Levan, 1995), la mesure du rejet pourrait être moins affectée par la limite cognitive des jeunes enfants, et représenter un indicateur valide des difficultés interpersonnelles dans les premières années du primaire.

Kochenderfer et Ladd (2002) ont comparé l‟association du rejet par les pairs avec l‟évaluation de la victimisation dérivée des auto-évaluations et du jugement des pairs entre la maternelle et la quatrième année. De la deuxième à la quatrième année, l‟évaluation de la victimisation par les pairs présentait une association plus forte avec le rejet par les pairs (r variant entre .44 et .58) que celle dérivées des auto-évaluations (r

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9 variant entre .17 et .35). Toutefois, entre la maternelle et la première année, c‟est la victimisation dérivée des auto-évaluations qui présentait une plus forte association avec le rejet par les pairs (maternelle r = .19, première année, r = .22) comparativement à la victimisation mesurée par les pairs (maternelle r = -.08, première année, r = .14). La victimisation selon les enseignants n‟a pas été mesurée dans cette étude, ce qui représente une limite importante. En effet, contrairement au jugement des pairs ou au jugement des enfants lorsqu‟ils s‟auto-évaluent, l‟évaluation de l‟enseignant n‟est pas influencée par les limites cognitives d‟ordre développemental et ce dernier peut rapidement être consulté par les intervenants du milieu. Le premier objectif de la thèse actuelle est donc d‟évaluer dans quelle mesure le jugement des enseignants converge avec celui des pairs pour l‟évaluation des difficultés interpersonnelles.

Évolution de la victimisation durant le primaire

Une autre façon d‟atténuer les difficultés de l‟évaluation de la victimisation au début de l‟âge scolaire serait l‟utilisation de mesures répétées. En agrégeant des informations de nature longitudinale, le recours à une information répétée permettrait d‟avoir une mesure plus robuste de la victimisation (Nagin &Tremblay, 1999). En effet, la prise en compte d‟un ensemble de données longitudinales, comparativement à l‟usage d‟un point unique dans le temps, révèlerait une perspective nuancée de l‟identité des enfants victimes en tenant compte de l‟évolution du phénomène selon le développement et les événements plus ponctuels.

L‟évaluation longitudinale permettrait aussi d‟identifier un groupe d‟enfants victimes de façon chronique. Dans ce contexte, l‟enseignant pourrait être une source d‟information indiquée parce qu‟il n‟est pas touché par la limite cognitive des jeunes enfants, mais aussi puisque la simplicité de la méthode facilite la répétition de la collecte de données. Aussi, la combinaison du jugement de plusieurs enseignants se prononçant d‟une année à l‟autre sur l‟identité des enfants victimes permettrait de limiter les risques de biais individuels ce qui ne pourrait pas être le cas avec les auto-évaluations.

Des trajectoires développementales par classification basée sur l‟estimation de modèles semi paramétriques pourraient être estimées (Nagin, 1999). Cette méthode possède plusieurs avantages (NICHD Early Child Care Research Network, 2004). D‟abord, l‟identification et le nombre optimal des trajectoires sont retenus sur la base des ressemblances et des différences individuelles permettant ainsi d‟identifier des groupes d‟enfants présentant des évolutions distinctes à travers le temps. L‟élaboration de trajectoires peut ainsi permettre de cibler un groupe d‟enfants vivant de la victimisation sur une plus longue période. De plus, l‟identification de groupes homogènes est basée sur les observations plutôt que selon un critère prédéterminé. Ce type de classification permet ainsi de mieux caractériser l‟expérience réelle des différents groupes à

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travers le temps. Enfin, cette méthode ne nécessite pas une distribution normale des données qui est difficilement observable avec la victimisation.

Peu d‟études ont examiné la victimisation de façon longitudinale durant tout le primaire. Certaines recherches laissent entendre que la victimisation serait un phénomène plus stable à partir du milieu du primaire (Boulton & Smith, 1994; Perry et al, 1988). Par contre, le manque de stabilité observé pourrait s‟expliquer par la perspective utilisée (les pairs). Kochenderfer et Ladd (2002) ont observé une faible stabilité de la victimisation évaluée selon les pairs entre la maternelle et la première année (r = .12). Par ailleurs, cette stabilité s‟améliorait de la deuxième à la quatrième année (corrélations variant entre .31 et .56). Dans la même étude, la stabilité de l‟auto-évaluation était modérée de la maternelle à la quatrième année (corrélations variant entre .23 et .47). Cette stabilité pourrait par contre s‟expliquer par un biais lié à l‟évaluateur : le même enfant s‟auto-évaluant à chaque année.

D‟autres études permettent d‟observer qu‟une proportion significative d‟enfants vivent de la victimisation de façon chronique dès les premières expériences de socialisation, (Barker, Boivin, Brendgen, Fontaine, Arseneault & al., 2008; Kochenderfer-Ladd & Wardrop, 2001). Barker et al. (2008) ont calculé des trajectoires de victimisation évaluée selon la mère alors que les enfants étaient âgés entre 3 et 6 ans. Ils observent que 4% des enfants suivent une trajectoire de victimisation élevée et chronique au cours de cette période. Kochenderfer-Ladd et Wardrop (2001) ont observé l‟évolution de la victimisation depuis la maternelle jusqu‟à la quatrième année à partir d‟autoévaluations. Environ 4% des enfants de l‟échantillon s‟identifiaient comme victime aux quatre temps de mesure alors qu‟environ 14% des enfants s‟identifiaient comme une victime à au moins trois temps de mesure. Les études de Barker et al. (2008) et Kochenderfer et Wardrop (2001) laissent entendre que, dès les premières expériences de socialisation et au début de la scolarisation, un petit pourcentage d‟enfants (environ 4% dans les deux études) vivraient des difficultés interpersonnelles chroniques.

L‟évolution de la victimisation du milieu à la fin du primaire est davantage documentée. Par exemple, Boivin, Petitclerc, Feng et Barker (2010) ont identifié des trajectoires de victimisation entre la troisième et la sixième année du primaire sur la base du jugement des pairs. Ils ont observé que 4.5% des enfants suivaient une trajectoire de victimisation élevée et décroissante et 10% des enfants se trouvaient dans une trajectoire de victimisation moyenne mais progressive. Dans les deux trajectoires, il y avait une majorité de garçons. Tel que rapporté dans les études précédentes, Boivin et al. (2010) ont observé un petit pourcentage d‟enfants (environ 4.5%) exposés de façon chronique à des difficultés interpersonnelles.

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11 L‟étude de Barker et al. (2008) a été effectuée auprès d‟enfants d‟âge préscolaire ne permettant pas d‟examiner l‟évolution de la victimisation durant le primaire. De plus, le même évaluateur (la mère) a été sollicité à chaque collecte de données ne permettant pas d‟éliminer le biais lié à l‟évaluateur. Quant à l‟étude de Kochenderfer et Wardrop (2001) sur des enfants âgés entre 5 et 9 ans, la mesure a été uniquement basée sur l‟auto-évaluation. Tel que mentionné plus haut, plusieurs biais ont été associés à cette source d‟information. Compte tenu que la même personne s‟évalue à chaque temps de mesure, l‟utilisation de la mesure répétée ne permet pas de minimiser ces biais comme ce pourrait être le cas avec les enseignants. Enfin, l‟étude de Boivin et al. (2010) ne permet pas d‟observer l‟évolution des victimes à partir de l‟entrée à la maternelle.

Aucune étude répertoriée sur l‟évolution de la victimisation n‟a couvert l‟ensemble de la période du primaire. Il s‟agit d‟une lacune importante puisqu‟il n‟est pas possible de déterminer si les enfants victimes des comportements négatifs des pairs au début du primaire sont à risque d‟être victimes jusqu‟à la fin du primaire. Le deuxième objectif de la thèse est donc l‟étude de l‟évolution de la victimisation par les pairs durant le primaire selon la perspective des enseignants. L‟usage de l‟évaluation répétée des enseignants permettra (1) de cumuler l‟information longitudinale entre la maternelle et la sixième année et (2) de mitiger le biais individuel par l‟utilisation du jugement de plusieurs individus.

Les études antérieures effectuées à partir de la perspective des pairs, des auto-évaluations et des mères laissent entendre qu‟un petit groupe d‟enfants sont victimes des pairs année après année (Barker et al., 2008; Boivin & al., 2010; Kochenderfer & Wardrop, 2001). L‟évaluation longitudinale de la victimisation visera à vérifier s‟il est possible d‟identifier un petit groupe d‟enfants victimes de façon chronique durant tout le primaire selon la perspective des enseignants. Le cas échéant, l‟examen des déterminants pouvant prédisposer les enfants à vivre ces expériences de façon répétée pourra ainsi être effectuée.

Déterminants des difficultés interpersonnelles

Les comportements sociaux seraient les prédicteurs les plus importants des difficultés interpersonnelles (Coie, 1990). En effet, malgré l‟importance de certains facteurs tels l‟apparence physique, la réussite scolaire ou les prouesses sportives dans l‟évaluation des pairs, ce sont les comportements que les enfants manifestent, notamment face aux taquineries des autres, qui influencent de façon plus importante l‟évaluation des camarades de classe (Boivin, Vitaro, & Poulin, 2005; Coie 1990; Dodge, 1983, Rubin, Bukowski, & Parker, 2006). Le troisième objectif de la thèse sera d‟identifier les déterminants comportementaux précoces des difficultés interpersonnelles vécues par les victimes chroniques.

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Corrélats des difficultés interpersonnelles. Boivin et al. (2001) ont proposé un modèle séquentiel expliquant le développement des difficultés interpersonnelles. Ce modèle stipule que certains enfants font leur entrée en milieu scolaire avec des tendances comportementales qui peuvent les prédisposer à développer des relations problématiques avec les pairs. Ces difficultés peuvent se traduire par un rejet social et/ou la victimisation. Compte tenu que le rejet par les pairs correspond aux sentiments des camarades de classe, sentiments auxquels l‟enfant n‟a pas forcément accès, la victimisation a été proposée comme l‟une des manifestations par lesquelles l‟enfant expérimente le rejet des autres. Deux types de comportements pouvant mener au rejet ont été proposés (Rubin, LeMare & Lollis, 1990): les comportements agressifs et inappropriés et les comportements de retrait social. Plusieurs études ont documenté une relation significative entre chacune de ces deux tendances comportementales et le rejet par les pairs (Boivin et al., 1989; Boivin. Hymel et Bukowski, 1995; Boivin et Hymel, 1997; Cillessen, van IJzendoorn et van Lieshout, 1992; Ladd 2006; McDougall et al., 2001; Newcomb, Bukowski & Patte, 1993). Par exemple, dans la cadre d‟une étude visant à décrire les caractéristiques des enfants rejetés au début du primaire, Cillessen et al. (1992) ont observé que les enfants rejetés représentaient une population hétérogène : une partie des enfants rejetés étaient agressifs, impulsifs et dérangeants, alors qu‟une autre proportion des enfants rejetés étaient non agressifs et timides socialement.

Les comportements agressifs et de retrait social ont aussi été associés à la victimisation (Boivin et al., 1995; Boivin et al., 2001; Kochender-Ladd, 2003; Perry et al., 1988). Par exemple, dans une étude longitudinale effectuée auprès d‟enfants à la fin du primaire, les comportements agressifs et les comportements de retrait permettaient de prédire de façon indépendante la victimisation une année plus tard (Hodges, Boivin, Vitaro & Bukowski, 1999). Il semble donc exister un parallèle entre les tendances comportementales associées au rejet et celles associées à la victimisation.

Les comportements d‟agression et de retrait sont associés différemment aux difficultés interpersonnelles selon l‟âge. Le lien entre le retrait social et les difficultés interpersonnelles est plus important à la fin du primaire qu‟au début du primaire, alors qu‟une tendance inverse est notée pour les conduites agressives dont l‟association avec la victimisation et le rejet diminue avec l‟âge (Boivin et al., 2001; Boivin et al., 2010). Malgré la diminution de l‟association entre l‟agressivité et les difficultés interpersonnelles, les études semblent toutefois démontrer que les conduites agressives observées au début de l‟âge scolaire prédisent la chronicité du rejet et de la victimisation vécue par ces enfants (Boivin & al., 2001; Kochenderfer-Ladd, 2003; Schwartz, McFadyen-Ketchum, Dodge, Pettit & Bates, 1999). La valeur prédictive des tendances agressives quant au risque de développer des difficultés interpersonnelles à l‟âge scolaire laisse entendre qu‟ils seraient

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13 un déterminant important de ces difficultés en début de scolarisation. La prochaine section examine cette question de façon plus approfondie.

Associations entre les comportements agressifs et les difficultés interpersonnelles. Les études ayant évalué les déterminants des difficultés interpersonnelles par le biais de groupes formés expérimentalement ou par le biais d‟analyses longitudinales ont rapporté des associations prédictives entre les conduites agressives et les difficultés interpersonnelles. Par exemple, Dodge (1983) a formé des groupes de garçons, âgés entre 7 et 8 ans, afin d‟évaluer les comportements favorisant l‟émergence du rejet par les pairs. L‟expérimentation était effectuée avec des pairs non familiers qui ne pouvaient donc être influencés par la réputation sociale négative, c‟est-à-dire par le statut négatif dans le groupe scolaire d‟origine. Il a observé que les conduites agressives physiques et verbales dans les premières sessions de jeux étaient les meilleurs prédicteurs du rejet à la fin des huit séances de jeu. Comme Dodge (1983) n‟avait pas évalué le statut sociométrique des enfants dans leur milieu scolaire et que l‟étude était effectuée exclusivement auprès de garçons, la généralisation des résultats demeure toutefois limitée aux conditions expérimentales. Également, Olson (1992) a observé des séances de jeux de petits groupes d‟enfants en prématernelle qui faisaient partie de la même classe. Cette étude s‟échelonnait sur une période d‟une année avec des évaluations des comportements par les pairs et l‟enseignant et des évaluations sociométriques en classe à l‟automne, à l‟hiver et au printemps de la prématernelle. Dans cette étude, les enfants qui ont été rejetés au cours de l‟année sont ceux qui, dans les premières séances de jeux, ont initié les contacts avec les autres enfants avec des comportements agressifs physiques et verbaux. Les enfants rejetés ont eu également tendance à répondre agressivement aux approches non agressives des autres enfants. L‟étude de Olson (1992) a toutefois été réalisée uniquement auprès de garçons et les comportements agressifs et le statut sociométrique des enfants n‟ont pas été réévalués en maternelle et en première année. Il n‟est donc pas possible de savoir si les comportements agressifs observés à l‟âge préscolaire sont des déterminants des difficultés interpersonnelles à l‟âge scolaire. Barker et al. (2008) ont observé que l‟agressivité physique mesurée à 17 mois représente un prédicteur de la trajectoire de victimisation élevée et chronique entre 40 mois et la maternelle. L‟agressivité physique observée à l‟âge préscolaire peut ainsi représenter un déterminant des difficultés interpersonnelles à l‟entrée à l‟école.

Des résultats similaires ont été observés avec des études évaluant de façon longitudinale la valeur prédictive des conduites agressives sur le risque de vivre des difficultés interpersonnelles à l‟âge scolaire. Coie et Dodge (1983) ont observé que les conduites agressives d‟enfants du milieu du primaire permettent de prédire le rejet par les pairs une année plus tard. Des résultats semblables ont également été observés en ce qui a trait à la victimisation. Par exemple, dans le cadre d‟une étude longitudinale débutant avant l‟entrée en

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maternelle, Schwartz et al. (1999) ont évalué divers déterminants comportementaux possibles de la victimisation. Ces derniers ont constaté que les comportements agressifs observés l‟été précédant l‟entrée en maternelle permettent de prédire la victimisation sur une période aussi longue que quatre ans. Ladd (2003), dans le cadre d‟une étude longitudinale débutant à la maternelle, a également observé que les comportements d‟agressivité en maternelle permettent de prédire une augmentation de la victimisation en première année. Les études ayant évalué les déterminants comportementaux du rejet et de la victimisation laissent donc entendre que les comportements agressifs sont des prédicteurs importants des difficultés interpersonnelles au début de l‟âge scolaire.

Agressivité réactive et proactive. Toutefois, ce ne sont pas tous les comportements agressifs qui seraient associés aux difficultés interpersonnelles. Dodge et Coie (1987) ont proposé une distinction selon la fonction des comportements agressifs. L‟agressivité réactive se définit comme un comportement impulsif, accompagné par une forte activation émotionnelle, manifesté en réponse à une provocation ou une menace réelle ou perçue de l‟autre (Dodge & Coie, 1987). L‟agressivité proactive est plutôt utilisée comme moyen d‟atteindre des objectifs positifs et ne nécessite pas de provocation. Elle est généralement utilisée plus froidement et avec moins d‟activation émotionnelle que dans le cas de l‟agressivité réactive (Dodge et Coie, 1987). Les deux types d‟agressivité se distinguent aussi quant aux cognitions sociales qui leur sont associées: l‟agressivité réactive a été liée à une tendance à un biais d‟attributions hostiles des intentions des autres dans des contextes ambigus (Camodeca, Goossens, Terwogt & Schuengel, 2003; Dodge & Coie, 1987; Schwartz, Dodge, Coie, Hubbard, Cillensen, Lemerise & Bateman, 1998), alors que l‟agressivité proactive a été plutôt associée à une valorisation de l‟agression comme moyen efficace d‟obtenir des privilèges (Crick & Dodge, 1996; Dodge et al., 1997).

Poulin et Boivin (2000) ont observé que l‟agressivité réactive était associée au rejet et à la victimisation par les pairs. Des résultats similaires ont été obtenus dans d‟autres études (Camodeca et al., 2003; Dodge & Coie, 1987; Dodge, Lochman, Harnish, Bates & Pettit, 1997; Perren & Alsaker, 2006; Schwartz et al., 1998). Notamment, dans le cadre d‟une étude longitudinale débutant à la maternelle et se terminant en troisième année, Dodge et al. (1997) ont évalué les corrélats de l‟agressivité réactive et de l‟agressivité proactive. Au cours des quatre années de l‟étude, les auteurs ont observé une association récurrente entre l‟agressivité réactive et le rejet par les pairs. Plus spécifiquement, les enfants démontrant de l‟agressivité réactive ont eu trois à quatre fois plus de risque d‟être rejetés que les autres enfants. Ces corrélations n‟ont pas été observées pour l‟agressivité proactive (voir aussi Dodge & Coie, 1987; Dodge et al. (1997); Poulin & Boivin, 2000; Salmivalli & Nieminem, 2002). Par exemple, dans les études de Dodge et al. (1997) et Poulin et

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15 Boivin (2000), lorsque l‟agressivité réactive a été prise en compte, l‟agressivité proactive n‟a plus été associée aux difficultés interpersonnelles.

Toutefois, ces résultats n‟ont pas été observés dans l‟ensemble des études. Deux études ayant examiné les interactions des enfants rejetés ont conclu que l‟agressivité proactive a un rôle prépondérant quant au risque de rejet par les pairs (Coie, Dodge, Terry & Wright, 1991; Olson, 1992). Coie et al. (1991) ont formé des groupes d‟enfants âgés entre 7 et 9 ans ne se connaissant préalablement pas. Ils ont évalué la nature des comportements agressifs (i.e. proactifs/réactifs) manifestés par les enfants qui ont été classifiés rejetés à la fin des cinq séances de jeux. Coie et al (1991) ont constaté que les enfants rejetés et agressifs ont fait preuve d‟agressivité proactive en initiant significativement plus fréquemment les interactions avec les autres enfants avec des comportements agressifs. Les enfants rejetés ont démontré aussi de l‟agressivité réactive lorsqu‟ils ont été la cible de comportements agressifs et ils ont eu tendance à alimenter le conflit plutôt qu‟à faire usage de stratégies non agressives. Olson (1992) a constaté que les enfants rejetés à la fin de l‟année scolaire ont initié significativement plus fréquemment les contacts avec les autres enfants de façon proactive agressive, mais sont devenus progressivement victimes des pairs au cours de l‟année et ont présenté principalement de l‟agressivité de nature réactive à la fin de l‟année. Dans les études de Coie et al. (1991) et Olson (1992), les deux types d‟agressivité semblent être impliqués dans le processus de rejet et de victimisation. Il semble toutefois que l‟agressivité proactive soit à l‟origine de cette séquence, ce qui laisse croire que cette forme d‟agressivité est un déterminant des difficultés interpersonnelles. Par ailleurs, dans l‟étude d‟Olson (1992), les conduites réactives agressives étaient les corrélats comportementaux les plus importants du rejet par les pairs à la fin de l‟année scolaire.

Dans ces deux études, l‟agressivité réactive n‟a pas été prise en compte lorsque les associations entre les conduites agressives proactives et les difficultés interpersonnelles ont été mesurées. Il est donc possible que ces associations s‟expliquent uniquement par les caractéristiques que partagent l‟agressivité réactive et l‟agressivité proactive comme l‟agression physique par exemple (Brendgen et al., 2006). Néanmoins, ces données, parce qu‟elles s‟opposent à celles des études mentionnées plus haut, soulignent la nécessité de mieux cerner les rôles de l‟agressivité réactive et proactive dans le développement des difficultés interpersonnelles.

Une méta-analyse effectuée par Card et Little (2006) montre que l‟agressivité réactive est plus systématiquement associée à un mauvais fonctionnement psychosocial que l‟agressivité proactive. Lorsque l‟agressivité proactive est prise en compte, l‟agressivité réactive est liée à des problèmes internalisés (e.g. dépression et anxiété), à des symptômes d‟impulsivité et d‟hyperactivité, à la délinquance de même qu‟au rejet

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et à la victimisation par les pairs. Lorsque l‟agressivité réactive est prise en compte, l‟agressivité proactive est plutôt liée à deux indices d‟inadaptation, i.e. la délinquance et le rejet par les pairs, et un indice d‟adaptation, i.e. un faible risque de victimisation (Card & Little, 2006). Ainsi, les enfants manifestant des comportements réactifs agressifs seraient plus à risque de mauvais traitements par les pairs que les enfants démontrant de l‟agressivité proactive (Card & Little, 2006; Dodge et al., 1997). Card & Little (2006) ont observé également que l‟association entre l‟agressivité réactive et la victimisation est plus importante au début de l‟âge scolaire. Comme plusieurs études tendent à démontrer que l‟agressivité réactive est plus spécifiquement associée aux difficultés interpersonnelles que l‟agressivité proactive et que cette association serait plus importante au début l‟âge scolaire, une attention particulière est portée aux comportements réactifs agressifs dans la présente thèse. Toutefois, étant donné les résultats contradictoires relevés dans les études de Coie et al. (1991) et Olson (1992), la contribution de l‟agressivité proactive sera également évaluée.

Relation bidirectionnelle. La nature de la relation entre l‟agressivité réactive et les difficultés interpersonnelles n‟est pas encore clairement définie. Celle-ci peut en effet s‟expliquer de différentes façons. D‟une part, parce qu‟elles sont réalisées en milieu naturel, les études longitudinales peuvent ne pas avoir tenu compte de tierces variables potentiellement responsables des associations observées. D‟autre part, les limites inhérentes au devis corrélationnel des études longitudinales ne permettent pas d‟établir de relation de cause à effet. Ainsi, il est possible que l‟agressivité influence les difficultés interpersonnelles, mais il est également possible que les difficultés interpersonnelles mènent à une augmentation des conduites agressives. Par exemple, Warman et Cohen (2000) ont effectué une étude longitudinale auprès d‟enfants âgés entre 8 et 12 ans afin d‟évaluer l‟association entre les relations avec les pairs et la stabilité de l‟agressivité. Ils ont observé que les enfants non agressifs ayant reçu des nominations négatives de la part des pairs sont devenus significativement plus agressifs une année plus tard. Dans le cadre d‟une étude longitudinale débutant en troisième année du primaire, la direction de la relation entre l‟agressivité et le rejet par les pairs a été évaluée par Zimmer-Gembeck, Geiger et Crick (2006). Dans cette étude, le rejet par les pairs a prédit une augmentation des comportements agressifs physiques et verbaux trois ans plus tard. Par ailleurs, les comportements agressifs physiques en troisième année n‟ont pas prédit le rejet en sixième année (Zimmer-Gembeck et al., 2006). Ce résultat pourrait toutefois s‟expliquer par la diminution générale de l‟association entre les comportements agressifs et les difficultés interpersonnelles avec l‟âge (Boivin et al., 2001).

L‟association prédictive entre les difficultés interpersonnelles et l‟augmentation des conduites agressives a aussi été observée auprès d‟enfants à la maternelle et plus spécifiquement pour l‟agressivité réactive. Lamarche, Brendgen, Boivin, Vitaro, Dionne et Pérusse (2007) ont observé un lien prédictif entre la victimisation mesurée en maternelle et l‟agressivité réactive en première année. Dans une étude longitudinale

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17 débutant à la maternelle, Dodge et al. (2003) ont observé que des expériences de rejet par les pairs dans les premières années scolaires prédisent une augmentation significative des comportements réactifs agressifs en troisième année du primaire. Cette prédiction est toutefois significative uniquement pour les enfants ayant des comportements agressifs au dessus de la médiane à la maternelle. Brendgen, Boivin, Vitaro, Girard, Dionne et Pérusse (2008) ont observé des résultats similaires entre les comportements agressifs et la victimisation mesurés lorsque les enfants sont âgés de 6 ans. Dans cette étude, les filles présentant une prédisposition génétique à l‟agressivité ont démontré davantage de conduites agressives lorsqu‟elles ont été victimes des pairs. Le rôle de l‟agressivité réactive n‟a toutefois pas été spécifiquement examiné dans cette étude.

Les études de Dodge et al. (2003) et Brendgen et al., (2008) mettent en lumière la présence d‟une relation prédictive entre les difficultés interpersonnelles et les comportements agressifs, mais laissent toutefois entendre que cette prédiction ne s‟appliquerait que pour les enfants ayant préalablement des tendances agressives. Les études de Warman et Cohen (2000), de Zimmer-Gembeck et al., (2006), de Dodge et al. (2003) réalisées auprès d‟enfants au début, au milieu et à la fin du primaire laissent entendre qu‟il est possible, suite à des expériences de rejet ou de victimisation, d‟observer une augmentation des conduites agressives. Ces résultats soulignent donc que le rôle causal des conduites agressives dans le développement des difficultés interpersonnelles n‟est pas encore bien établi.

Rôle des caractéristiques propres à l’enfant. Les études précédemment décrites laissent entendre que le comportement de l‟enfant a un rôle possiblement causal dans le développement du rejet et de la victimisation par les pairs. Toutefois l‟inférence causale est limitée lorsqu‟une approche par corrélation est utilisée. De plus, dans certaines études, les difficultés relationnelles peuvent mener à une augmentation des conduites agressives. Afin d‟évaluer si des caractéristiques propres à l‟enfant peuvent être responsables des difficultés interpersonnelles, des études ont examiné dans quelle mesure le statut sociométrique observé en milieu scolaire se rétablit dans un groupe nouvellement formé (Coie et Kupersmidt, 1983; Dodge, Coie, Pettit & Price, 1990). Comme les nouveaux membres de ces groupes expérimentaux ne peuvent être influencés par la réputation sociale négative des uns et des autres, c‟est-à-dire le statut négatif dans le groupe scolaire d‟origine, l‟association entre le statut antérieur et celui observé dans un nouveau groupe ne pourrait s‟expliquer que par des caractéristiques propres à l‟enfant.

Coie et Kuppersmidt (1983) ont évalué le statut sociométrique d‟enfants âgés entre 9 et 11 ans dans leur milieu scolaire. Ils ont ensuite vérifié si le statut sociométrique se rétablit dans des groupes nouvellement formés qu‟ils ont observés au cours de six sessions de jeu de 45 minutes. Ils ont constaté que les enfants rejetés dans leur milieu scolaire ont significativement tendance à être rejetés dans un nouveau groupe. Dodge

Figure

Figure 1. Trajectoires de victimisation évaluée selon l‟enseignant entre la maternelle et la sixième année
Figure 2. Scores moyens de victimisation évaluée par les pairs en fonction des trajectoires de victimisation  évaluée par l‟enseignant et du sexe
Figure 3. Scores moyens de rejet évalué par les pairs en fonction des trajectoires de victimisation  évaluée par l‟enseignant et du sexe
Figure 4. Trajectoires de victimisation évaluée selon le professeur entre la maternelle et la sixième année
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