• Aucun résultat trouvé

La protection de la jeunesse vue par des parents réfugiés : la famille au cœur de la protection de la jeunesse

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La protection de la jeunesse vue par des parents réfugiés : la famille au cœur de la protection de la jeunesse"

Copied!
150
0
0

Texte intégral

(1)

MARIE-HELENE LABONTE

LA PROTECTION DE LA JEUNESSE VUE PAR DES

PARENTS RÉFUGIÉS

La famille au coeur de la protection de la jeunesse

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en service social pour l'obtention du grade de maître en service social (M. Serv. Soc.)

ECOLE DE SERVICE SOCIAL FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

(2)
(3)

Résumé

Afin de protéger leur vie et celle de leur famille, les réfugiés choisissent de quitter leur pays pour obtenir une protection internationale. Arrivés au pays d'accueil, de nouvelles réalités sociales s'imposent à eux. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), institution de la protection de la jeunesse, en est une importante. Au nom de la protection des enfants, elle peut intervenir en autorité dans la famille alors même que celle-ci vit une période d'adaptation due à la migration. Comment des parents réfugiés récemment arrivés se représentent-ils cette institution? Telle est la question à laquelle le mémoire répondra.

La présente étude aborde cette question à partir du cadre théorique des représentations sociales et en réalisant des entrevues semi-dirigées auprès de parents réfugiés afin d'obtenir leurs représentations de la DPJ et ce qui influence leur élaboration. Les résultats de l'étude suggèrent l'élaboration de deux représentations soit « aide aux enfants et à la famille » et « contrôle des parents et des familles ». De même, les expériences avec la DPJ et les observations dans la communauté, les connaissances préalables à la migration concernant la protection des enfants, la vision de la famille et de l'éducation ainsi que le vécu de réfugiés sont tous des éléments influençant l'élaboration de leur représentation.

Le mémoire examine dans un dernier temps, les limites de l'étude et les résultats à la lumière de la littérature contemporaine. L'étude conclut en rappelant l'importance de tenir compte dans l'intervention de la signification de la famille pour les parents réfugiés. Elle dégage des pistes d'intervention pouvant prévenir des signalements à la DPJ et pouvant favoriser une adéquation des services de DPJ avec les besoins des réfugiés. Des pistes de recherche sont également proposées.

(4)

Abstract

To save their life and ther family, refugees choose to quit there country under the international protection. When they arrive in there reestablishment country, some new realities confront them. As one of these reality, the Direction of Youth protection (DPJ) is an important one. The DPJ can intervene for youth protection with authority in the family, at the same time that it is struggling to adapt itself in a migration context. This paper address the question how some refugee parents, recently arrived, represent to them self the Direction of Youth protection?

This study answer this question with semi-structured interviews with refugee parents to see what is there representation and which elements influence the elaboration process. This study is based on the social representation theory. The results suggest two major representation of the DPJ. The first one is « protecting children while preserving family » and the second one is « controlling parent while separation family ». What influence this representation? The experience with the institution and the observation in the community of people experiencing, the knowledge about the youth protection before migration, the family and educational vision and the life experience as a refugee are the main source of influence on the representation.

This research review the limits and the result in contrast with the contemporary literature. It concludes by reminding the importance of the family for these parents and to take it into account in the intervention. Finally, some research track are presented as well as some suggestions for intervention. This is in the idea of reducing the number of report of child refugee to the DPJ and enhancing the adequacy of social service to refugee family needs, as well as some research track are defined.

(5)

Remerciement

Comme la réalisation d'un mémoire ne tient pas qu'à une seule personne, il m'apparaît essentiel de remercier les gens qui ont rendu possible mon mémoire de maîtrise. Tout d'abord, j'aimerais souligner que sans le support du Centre multiethnique de Québec, et de sa directrice Dominique Lachance, de même que le Centre jeunesse de Québec - Institut Universitaire, le recrutement aurait été impossible, ou du moins, beaucoup plus ardu. Je tiens donc à vous remercier, vous qui m'avez ouvert les portes pour avoir accès aux personnes concernées par ce mémoire, c'est-à-dire les parents réfugiés. Du même souffle, je remercie tous les participants pour leur temps et leur ouverture. Sans votre participation, la réalisation de mon mémoire et les réponses à mes questions n'auraient jamais vu le jour.

Aussi, j'aimerais remercier mes professeurs, Stéphanie Arsenault et Claudine Parent qui m'ont appuyée au cours de mes études et qui m'ont laissé toute la liberté souhaitée pour réaliser ma recherche. Votre support m'a permis de me dépasser et de croire à la pertinence de mon travail. Dans la même veine, j'aimerais remercier tous les organismes qui ont cru en mes capacités et qui m'ont offert du soutien financier: le FQRSC, le Centre jeunesse de Québec -Institut universitaire, l'École de service social à travers le fonds Georgette-Béliveau et le fonds de soutien ainsi que le Lab-oratoire public de l'AELIÉS.

Finalement, j'aimerais dire un merci spécial à Christian, mon copain, qui m'a poussé depuis le début à aller toujours plus loin dans ce mémoire, et surtout, à penser à le publier. Merci à mes amis et à ma super collègue de bureau qui ont écouté mes plaintes et mes explosions de joie, mes promesses de devenir zen à travers ce mémoire, et qui ont corrigé, à plus d'une reprise,

(6)

Table des matières

Résumé ii Abstract iii Remerciement iv Table des matières v Index des tableaux et des illustrations ix

Introduction 1 Partie 1: Les fondements théoriques et méthodologiques 3

Chapitre 1 : La problématique 4 1.1 L'institution de la protection de la jeunesse et les familles réfugiées 4

1.2 Le vécu de réfugiés 5 1.2.1 La migration : un projet familial qui met à l'épreuve la famille 7

1.2.2 Être parents dans un nouveau contexte culturel 9 1.2.3 Trajectoire adaptative des parents immigrants au Québec 12

1.3 L'institution de la PJ: l'État régulateur de la sphère privée 13 1.3.1 La protection de la jeunesse et les différentes cultures 14 1.3.2 Barrières et perceptions négatives des services 15

1.4 Limites des études actuelles 18 1.5 La pertinence scientifique et sociale 19

Chapitre 2 : Le cadre interprétatif: épistémologie, théorie, concept 22

2.1 Le constructivisme en guise d'assise 22 2.2 Les représentations sociales en guise de théorie interprétative 23

2.2.1 Description des représentations sociales 23 2.2.2 Fonction des représentations sociales 25 2.3.3 L'élaboration des représentations sociales 26

2.3 Concepts pertinents à l'étude 28 2.3.1 L'information 28 2.3.2 Le champ de représentation 29

(7)

2.4 Pertinence du cadre interprétatif de l'étude 30 2.4.1 Connaître les représentations et améliorer l'intervention 30

2.4.2 Tenir compte de l'interculturel dans le cadre théorique 31

2.5 Propositions de recherche 32 Chapitre 3 : Une recherche qualitative planifiée 34

3.1 L'approche et le type de recherche privilégié 34 3.2 Échantillon, recrutement et participants à l'étude 35

3.2.1 Échantillon et critère de sélection 35

3.2.2 Le recrutement 37 3.2.3 Les participants à l'étude 37

3.3 Mode de collecte de données 39

3.4 Stratégie d'analyse 40 3.4.1 Description de l'analyse thématique 41

3.4.2 Processus d'analyse réalisé 41

3.5 L'éthique 43 Partie 2 : Les résultats 45

Chapitre 4 : Les représentations sociales de la DPJ 46 4.1 Le champ de représentation selon l'association libre 46

4.2 Le champ de représentation d'après l'analyse thématique 49

4.2.1 La protection des enfants 50 4.2.2 Le contrôle des parents 53 4.2.3 La préservation de la famille : L'État en tant que ressource 56

4.2.4 Séparation de la famille : déstabilisation de l'ordre familial 59

4.3 L'attitude 61 4.3.1 Mise en situation : une attitude positive 62

4.3.2 Expérience ou observation : des attitudes variées 64 4.3.3 Les réactions des parents face à l'intervention de la DPJ 66

4.4 L'information 68 4.4.1 Des expériences et des observations : j'ai vu, j'ai fait 68

(8)

4.4.3 Les croyances : je crois, je pense 71 4.4.3.1 Croyance concernant le rôle des parents 72

4.4.3.2 Croyance concernant la DPJ 73 4.4.3.3 Croyance concernant les droits des enfants au Québec 74

4.4.4 Le manque d'information engendre la peur 76

4.5 Le contexte social 77 4.5.1 La guerre motive ou oblige la migration 78

4.5.2 La primauté de la famille : une ressource inestimable 79 4.5.2.1 La loyauté familiale, le ciment de la famille 80 4.5.2.2 L'éducation des enfants, la responsabilité des parents 81

4.5.3 L'intervention de l'État au pays d'origine 84 4.5.3.1 Une aide insuffisante du gouvernement 84 4.5.3.2 Les organismes d'aide de l'État, une aide volontaire 84

4.5.3.3 L'État protège dans des situations graves 85 4.5.4 L'adaptation : un processus qui prend du temps 86

4.5.4.1 Fonctionner dans un environnement inconnu 87 4.5.4.2 Pouvoir utiliser les ressources de la communauté pour s'intégrer 88

4.5.4.3 Le Canada : un pays libre et tranquille, mais 89 Chapitre 5 : Discussion des résultats : nature et influence des RS de la DPJ 93

5.1 Limites de l'étude 93 5.2 Discours sur les représentations sociales et la DPJ 95

5.2.1 Les droits des enfants façonnent les représentations de la DPJ 96 5.2.2 Légitimité de l'État en matière de protection des enfants 97

5.2.3 Protection des enfants vs contrôle des parents 98 5.2.4 L'État versus les parents : qui doit décider des normes éducatives? 99

5.2.5 Critique des façons de faire 101 5.3 La famille interdépendante/collectiviste au coeur de la représentation 102

5.3.1 La famille en changement avec la migration 104 5.3.2 Préservation ou séparation de la famille : une attitude variable 106

5.4 L'expérience avec la DPJ : sa place dans la représentation? 108 5.5 Quelles informations ont-ils et quelle place prennent-elles? 109

5.6 Le vécu de réfugié influence-t-il la représentation? 111 5.7 La distance culturelle ou les différences culturelles 111

(9)

Conclusion 114 Bibliographie 118 Annexe 1: illustration de la théorie de la RS 125

Annexe 2: Tableau d'opérationnalisation des concepts clés 126

Annexe 3 : Outils de collecte des données 128 Annexe 4: formulaire de consentement CJQ et CMQ 132

(10)

Index des tableaux et des illustrations

Tableau 1: Les attitudes des cultures majoritaires et minoritaires au Québec à l'égard de la

jeunesse 10 Tableau 2: Profils des participants de l'étude 38

Tableau 3: Synthèse des étapes d'analyse réalisée 43 Illustration 1: Champ de représentation de parents réfugiés envers la DPJ 47

(11)

Introduction

L'institution de la protection de la jeunesse au Québec, mieux connue sous le nom de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), existe depuis 1979 et agit auprès de familles dans lesquelles le développement et la sécurité des enfants sont considérés comme compromis (CJQ-IU, 2001). Cette institution doit s'assurer de la socialisation réussie des enfants et rappelle les interdits fondamentaux de la société. La DPJ prend sa légitimité dans le partage de valeurs communes par une population donnée (Sheriff, 2000b) et d'une construction de ce qui est acceptable ou non en matière d'éducation des enfants. Elle a la tâche d'assurer le respect des droits des enfants enchâssés dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Par ailleurs, le Canada s'est engagé sur le plan international en matière de rétablissement des réfugiés et le gouvernement du Québec en parraine près de deux milliers par année sur son territoire. Pour des parents réfugiés qui ont vécu des événements traumatisants préalablement à leur arrivée au pays d'accueil, l'apprentissage et l'adhésion aux fondements de la nouvelle société sont parfois difficiles, et ce, spécialement, en matière d'éducation des enfants. La vision de la famille peut différer et les manières d'éduquer les enfants peuvent varier. Dans ce contexte, comment les parents réfugiés réagissent-ils et s'ajustent-ils à la DPJ? Qu'est-ce qui influence leurs représentations de l'institution de la protection de la jeunesse et comment se l'imaginent-ils? C'est à partir de ces multiples questions générales qu'a pris forme ce mémoire.

Un regard plus approfondi de la littérature a permis de circonscrire la visée de la recherche. Cette dernière se propose d'apporter un éclairage théorique et des réponses à un problème concret. Elle cherche à répondre à la question suivante: comment des parents réfugiés récemment arrivés se représentent-ils l'institution de la protection de la jeunesse soit la DPJ? Il s'agit de cerner ces représentations, d'identifier leurs mécanismes d'élaboration et les sources d'information y participant. Aussi, cette recherche vise à dégager des pistes d'interventions préventives. L'ensemble de ces connaissances permettra des interventions auprès de parents réfugiés à partir de leurs représentations de l'institution de la protection de la jeunesse pour faciliter le partage des valeurs auxquelles réfère l'institution. Cela vise à prévenir des signalements et à diminuer la

(12)

surreprésentation des immigrants dans les services de la DPJ. Elles favoriseront chez les intervenants le développement de leur compétence culturelle en intervention, ce qui pourra faciliter les rapports entre la DPJ et les parents réfugiés.

Le mémoire se divise en deux parties principales. La première partie contient trois chapitres de mise en contexte. Le premier chapitre présente la problématique de recherche, les connaissances actuelles et la pertinence de l'étude. Le second chapitre expose le cadre interprétatif qui a orienté l'élaboration du mémoire et sa réalisation. La posture épistémologique, la théorie des représentations sociales et les concepts clés utilisés se retrouvent dans ces lignes. Ensuite, dans le troisième chapitre, il est question de la méthodologie choisie pour la réalisation de l'étude. La pertinence des choix méthodologiques qui découlent du cadre interprétatif est exposée. Dans la seconde partie, deux chapitres présentent les résultats de la recherche et une discussion. Le chapitre quatre se propose donc de brosser un tableau du contenu des représentations de la DPJ à partir des propos des participants ainsi que des éléments du contexte dans lequel les représentations évoluent et se construisent. Le dernier chapitre reprend les résultats présentés pour soulever les paradoxes des discours des participants, de même que pour circonscrire les résultats par rapport aux connaissances actuelles. Enfin, une conclusion propose de voir comment l'étude a répondu à ses objectifs et suggère des recommandations sur le plan de la recherche et de l'intervention sociale.

(13)

Partie 1: Les fondements théoriques et méthodologiques

Toute recherche prend racine dans un contexte particulier. En 1967, Glasser et Strauss proposaient que toute recherche qualitative devait être réalisée sans aucune connaissance préalable. Les chercheurs devaient aller sur le terrain en faisant fi de la littérature contemporaine. Or, Paillé et Mucchielli (2008) répondent que cela est impossible. Tout chercheur est imprégné de connaissances acquises au cours de sa formation. Il doit donc prendre conscience de ses a priori et en tenir compte dans son analyse de la situation problème. La partie 1 du mémoire se propose donc de faire l'exercice de coucher sur papier les connaissances acquises sur la situation problème à l'étude, sur les fondements théoriques qui orienteront l'analyse et de présenter la méthodologie utilisée pour répondre à la question de recherche.

(14)

Chapitre 1 : La problématique

La recherche en service social vise d'abord à documenter et à faire connaître des situations qui posent problème pour lesquelles des interventions sociales sont requises. Le présent chapitre fait état de la situation des réfugiés en lien avec l'institution de la protection de la jeunesse telle que présentée dans la littérature. La recension des écrits réalisée démontre que les études englobent souvent les réfugiés et les immigrants dans une même catégorie. Il sera donc question ici des immigrants et des réfugiés bien que la présente recherche porte sur les réfugiés seulement. Dans un premier temps, la situation problème sera exposée brièvement. Ensuite, la notion de réfugié, l'aspect familial de la migration et l'impact de la migration sur l'adaptation des rôles parentaux seront abordés. Dans un troisième temps, le rôle de l'État dans la protection des enfants, les barrières et les perceptions des services sociaux et de protection de la jeunesse pour les réfugiés seront soulevés. Enfin, les limites des études recensées ainsi que la pertinence sociale et scientifique de l'étude seront présentées en conclusion de ce chapitre.

1.1 L'institution de la protection de la jeunesse et les familles réfugiées

La migration pour les réfugiés représente un choix, mais surtout une nécessité pour protéger leur vie et celle de leur famille. La définition d'un réfugié dans la convention de Genève est particulièrement explicite à ce propos. Les réfugiés quittent leur pays dans l'optique d'obtenir une protection internationale pour eux et leur famille. La migration signifie des deuils et des ajustements et les migrants sont confrontés à de nouvelles réalités dans les pays d'accueil. Pour les réfugiés, l'adaptation au nouveau contexte culturel peut être plus difficile étant donné les circonstances prédéparts (Fronteau, 2000). De même, les conditions d'immigration et d'intégration influencent l'actualisation des rôles parentaux (Vatz-Laaroussi & Messe Bessong, 2008). En fait, ces deux réalités provoquent souvent des changements dans les rôles familiaux qui peuvent rendre vulnérables et à risque les enfants (Potocky-Tripodi, 2002).

Au Québec, les enfants sont sujets de droit et l'État, par l'intermédiaire de la DPJ, peut intervenir pour assurer le respect de leurs droits. Alors que les parents réfugiés veulent le mieux-être de leurs enfants (Vatz Laaroussi, 2001; Vatz-Laaroussi & Messe Bessong, 2008) et peinent à

(15)

s'adapter, certains se voient signalés à la DPJ en raison de l'usage de méthodes éducatives considérées « normales » (punition corporelle) dans leur pays d'origine et jugées inacceptables au pays d'accueil (Battaglini 8c Gravel, 1998; Clément & Côté, 2004; Fontes, 2005; Legault & Roy, 2000; Zhai & Gao, 2009) ou en raison de comportements associés à de la négligence (Lavergne, Dufour, Trocmé & Larrivée, 2008; Sheriff, 2000a). D'ailleurs, les minorités visibles issues principalement de l'immigration sont surreprésentées dans les services de protection au Québec (Lavergne et al., 2008; Rambally, 1995; Tourigny & Bouchard, 1994).

L'intervention de l'institution de la protection de la jeunesse auprès de familles réfugiées pose un défi majeur pour les intervenants et les familles concernés (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Christensen, 1989; Trinh, 1986; Vatz-Laaroussi & Messe Bessong, 2008). Ces interventions sont le théâtre de deux modèles de société qui s'affrontent concernant l'éducation et les soins des enfants (Legault & Roy, 2000; Tourigny & Bouchard, 1994). L'intervention de la DPJ vise à rappeler aux parents « fautifs »' les interdits de la société, mais aussi à chercher leur adhésion aux valeurs communes en matière d'éducation des enfants (Sheriff, 2000b). L'intervention de la DPJ se déroule en contexte d'autorité (Groulx, 1995; Trottier & Racine, 1992) auprès de parents qui, lorsqu'ils sont immigrants ou réfugiés, peuvent rarement concevoir qu'une institution gouvernementale puisse intervenir dans leur famille (Earner, 2007; Trinh, 1986). De plus, selon Douyon (1991, tiré de Legault et Roy, 2000), les enjeux importants du signalement remettent en cause et disqualifient les parents provenant d'autres communautés culturelles en raison des philosophies et valeurs éducatives différentes. On peut se demander, par contre, si cela n'est pas le cas des parents de toutes origines, incluant ceux d'origine québécoise.

1.2 Le vécu de réfugiés

Puisque le mémoire porte son attention aux réfugiés particulièrement, il est important de s'y intéresser et de décrire leurs particularités. Qui sont ces parents qui migrent dans un autre pays? Quels sont leurs motivations, leurs difficultés, leurs stratégies d'adaptation et leurs besoins

1 Sheriff utilise dans son article le terme parent fautif pour faire référence aux parents qui n'assurent pas la sécurité et

le développement de leur enfant au sens de la LPJ. L'auteure du mémoire reprend ce terme puisqu'il fait aussi référence au sentiment que des parents recevant des services de la DPJ ressentent lorsqu'ils sont l'objet d'une évaluation ou de mesures en vertu de la LPJ. Cependant, il est à noter que tous les parents ne se sentent pas fautifs puisqu'un certain nombre demande des services de la DPJ. D'après la littérature, cela ne semble pas être le cas des parents immigrants. Le terme fautif semble donc à propos.

(16)

spécifiques? Les parents réfugiés sont-ils différents des autres parents vivant une migration? Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) propose une définition légale à l'intérieur de la convention de Genève. Cette définition va comme suit :

[Toute personne] craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 1951, p.16)

Au Canada, le gouvernement adhère depuis 1969 à la convention de Genève et accueille aujourd'hui des milliers de réfugiés par année. Par ailleurs, il adopte une définition plus large qui inclut les personnes vivant dans un pays où la violence structurelle est importante et qui jugent être victimes de persécution, ainsi que les personnes pouvant vivre des traitements cruels ou inusités (CIC, 2008). Le Canada accepte des réfugiés qui demandent l'asile alors qu'ils se trouvent à l'intérieur des frontières de leurs pays. C'est le cas entre autres de la Colombie, du Guatemala, du Salvador et de la République démocratique du Congo. Le Québec accueille une partie des réfugiés sélectionnés à l'étranger par le Canada en les prenant en charge par le biais de programmes qui leur sont spécifiquement destinés. Ce sont les réfugiés parrainés par l'État.

Dans leur étude sur la recherche d'identité des enfants réfugiés établis au Canada, Fantino et Colak (2001) distinguent les réfugiés des immigrants. D'après les auteurs, les deux partagent un parcours de vie semblable, mais ils se distinguent à partir de deux caractéristiques qui influencent l'adaptation : les événements prémigratoires traumatisants qui forcent la migration et l'absence de retour possible dans le pays d'origine. Fronteau (2000) s'attarde pour sa part à l'absence de projet migratoire comme distinction entre les immigrants et les réfugiés. Pour lui, les réfugiés partent de leur pays contre leur gré alors que les immigrants ont mûri un projet. Ces conditions prémigratoires fragilisent l'adaptation au pays d'accueil (Fronteau, 2000; Morland et al., 2005). Bien que la recherche de Fantino et Colak (2001) concerne les enfants réfugiés, ces caractéristiques peuvent s'appliquer à l'ensemble des membres d'une même famille. D'autres chercheurs (Arsenault, 2003; Battaglini & Lefebvre, 2001; Ager, 1996 tiré de Snyder, May,

(17)

Zulcic & Gabbard, 2005) soutiennent que la migration forcée crée des ruptures dans les familles et dans la socialisation des enfants. Néanmoins, la migration peut être vue comme un facteur de protection immédiat pour les réfugiés alors que ceux-ci quittent leur pays sous le chapeau de la protection internationale.

1.2.1 La migration : un projet familial qui met à l'épreuve la famille

La migration engendre des transformations au sein de la famille en exerçant des pressions externes sur la dynamique familiale en réajustement. Luna Ortega (2009) propose une définition de la famille en s'appuyant sur divers auteurs. Selon lui, la famille joue un rôle fondamental dans le développement des enfants par un soutien psychologique, affectif, social et éducatif. Il ajoute que « la loyauté familiale est une force régulatrice du système familial qui marque l'appartenance au groupe et sert à la survie de celui-ci » (p.4). Dans le contexte migratoire, la famille réfugiée est souvent ce qui reste à ses membres. Arsenault (2003) souligne à ce propos que les familles réfugiées vivant une réunification positive au pays (initialement séparé lors de la migration), peuvent compter sur la loyauté familiale pour faciliter l'adaptation. Cette protection familiale facilitant l'adaptation est aussi notée par Gherghel (2008). Vatz-Laaroussi et Messe Bessong (2008) abondent dans le même sens. « Les familles immigrantes et réfugiées ne sont pas qu'en difficulté, malades, vulnérables ou impuissantes. Elles construisent tout au long de leur périple un « nous familial » fort, porteur d'un projet migratoire le plus souvent centré sur l'intérêt des enfants, mais aussi vecteur d'insertion dans la nouvelle société de vie, médiateur avec les institutions sociales, catalyseur de resilience et quasi unique réfèrent de continuité » (p.237).

D'après Loiselle et Hernandez (2004), bien qu'elle puisse être un facteur de protection, la migration peut aussi être un facteur de vulnérabilité pour les familles. « L'immigration plonge le système familial dans un nouveau contexte susceptible d'en changer la structure, la dynamique interne et les habitudes, impliquant pour le « chef» de nouvelles tensions, de nouveaux dilemmes » (p. 20). Rojas-Viger (2008) et Morland et al. (2005) soulignent qu'il s'opère une transformation des rôles dans les familles immigrantes en raison des changements de vie, des codes culturels, de valeurs, de normes, de croyances, etc. On peut donc dire que la migration

(18)

engendre « des effets importants sur le système familial et sur les stratégies identitaires de chacun de ses membres » (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000, p.232).

Alors que la migration est souvent un projet de vie et un projet familial (Arsenault, 2003; Battaglini & Lefebvre, 2001; Rojas-Viger, 2008; Vatz-Laaroussi, 2001), dans les circonstances de migration forcée, ce projet familial peut se rompre par des séparations (enfants ou conjoints restés au pays d'origine) et par une réunification familiale incertaine (Arsenault, 2003; Mitrani, Santisteban & Muir, 2004). Morland et al. (2005), qui rapportent les propos de familles réfugiées dans l'étude de cas réalisée, soutiennent que celles-ci vivent une dégradation de l'unité familiale en raison de l'acculturation rapide des enfants, du changement dans les rôles et du travail des parents, travail qui nécessite généralement plusieurs heures pour un faible salaire. Arsenault (2003) identifie, dans son étude faite auprès de femmes congolaises ayant vécu l'exil pour se rétablir avec leur famille au Québec, que l'adaptation au pays d'accueil est influencée négativement par les conditions économiques difficiles. Dans les cas de réunification familiale incertaine, toutes les énergies des membres de la famille au pays d'accueil se mobilisent afin de réaliser le projet initial (Arsenault, 2003). Les pressions externes dues à la migration affectent donc les familles immigrantes qui négocient l'adaptation et l'intégration à la nouvelle société.

Ces pressions affectent aussi les relations entre les membres de la famille. Les relations peuvent être négligées, voire violentes (Potocky-Tripodi, 2002). Rojas-Viger (2008) qui a étudié le phénomène de la violence conjugale en parcours migratoire à partir des points de vue de 10 intervenants d'organismes différents travaillant auprès de la clientèle immigrante suggère que cette violence peut évoluer en raison de l'exposition à de la violence structurelle dans les pays d'origine et d'accueil. Malgré cette violence, la famille tentera de préserver son unité en raison de la valeur qui lui est accordée. Mais les chercheurs ne s'entendent pas à propos de la présence de la violence dans les familles immigrantes. En effet, malgré les propos de Potocky-Tripodi (2002), Vatz Laaroussi (2001) suggère d'après ses études réalisées auprès de familles immigrantes, que la violence ou les conflits intergénérationnels ne sont pas plus importants ou nombreux dans ces familles que dans les familles françaises et québécoises. La littérature ne semble pas faire consensus à cet effet.

(19)

Des auteurs (Battaglini & Lefebvre, 2001; Rojas-Viger, 2008) soulèvent tout de même l'existence d'un lien entre le niveau de violence structurelle auquel elles ont été exposées, le départ forcé, la séparation familiale, la nécessité d'apprendre une nouvelle langue et la vulnérabilité des familles immigrantes. Cela explique, selon Battaglini et Lefebvre (2001), que les nouvelles mères réfugiées ou en attente de statut soient davantage référées aux services périnataux que les autres femmes immigrantes. Puisque ces femmes réfugiées et leur famille semblent plus vulnérables, leurs enfants sont-ils plus signalés à la DPJ? L'intervention en protection de la jeunesse est directement liée aux capacités des personnes à être parent. Mais exercer ce rôle dans un contexte culturel différent entraîne des remises en question et une redéfinition de ce rôle.

1.2.2 Être parents dans un nouveau contexte culturel

L'arrivée, dans une société distante sur le plan culturel de celle d'origine, nécessite une adaptation tant au plan personnel qu'au plan familial. Pour relever le défi de la parentalité, les familles immigrantes peuvent généralement profiter d'un soutien social et communautaire important dans leur pays d'origine. Lorsqu'elles arrivent au Québec, diverses recherches notent qu'elles vivent de l'isolement et la perte du soutien de la famille élargie (Arsenault, 2003; Battaglini & Lefebvre, 2001; Bérubé, 2004; Heneman, 1994). Les femmes, généralement responsables de l'éducation, qui dans leur pays étaient entourées de leur famille (tante, mère, cousine, belle-famille), se retrouvent seules à s'occuper des enfants. Les familles vivent alors plusieurs défis quant aux rôles parentaux alors qu'elles sont en situation d'ajustement par rapport à leur nouvel environnement (Morland et al., 2005). C'est ce qui fait dire à Vatz-Laaroussi et Messe Bessong (2008) que « la parentalité dans l'immigration peut être perçue comme un problème en soi, mais elle est aussi influencée par les conditions d'insertion mises en oeuvre par les sociétés d'accueil » (p.230).

D'après les recherches, les repères culturels et les expériences passées forgent les conceptions parentales et les comportements que les parents migrants adoptent. L'éducation des enfants pour les familles réfugiées devient un défi majeur (Legault & Roy, 2000). Dans l'étude exploratoire de

(20)

Battaglini et Lefebvre (2001), les conceptions parentales de 91 mères immigrantes ont été analysées. L'étude démontre que ces femmes ne partagent pas de facto les conceptions parentales privilégiées au Québec. Le rejet de la correction physique, l'importance accordée à l'intervention institutionnelle, le manque de discipline et la liberté accordée aux enfants dérangent ces femmes. Elles remarquent, au Québec, un éclatement de la famille, une perte d'autorité parentale et un manque de respect des enfants envers leurs parents. Elles attribuent cela entre autres aux droits accordés aux enfants qu'elles considèrent un peu exagérés. Legault et Roy (2000) proposent de reprendre un tableau présenté par Christensen (1989) dans la revue Intervention pour illustrer la confrontation des attitudes parentales enjeu pour les parents immigrants.

Tableau 1 : Les attitudes des cultures majoritaires et minoritaires au Québec à l'égard de la jeunesse

Cultures majoritaires (Québécois) Cultures minoritaires (immigrants/réfugiés)

• Remplacement graduel de la famille élargie • Maintien des rôles de la famille élargie, par la famille nucléaire et les institutions. intervention institutionnelle vue comme

non-nécessaire, suspecte et inappropriée.

• Droits individuels et responsabilités des • Droits et responsabilités des enfants, des enfants et des parents spécifiés dans les lois. parents, de la famille élargie et de la communauté connus et acceptés sans être écrits.

• Les coupures ou bris parents-enfants • Les coupures ou bris dans les relations débouchent sur l'intervention de l'État. parents-enfants débouchent sur la prise en

charge par d'autres membres de la famille ou de la communauté.

• Punition physique non acceptée et facilement • Punition physique non abusive acceptée en associée à des abus. certaines circonstances.

Sources: Christensen (1989) tiré de Legault et Roy (2000, p.l 19)

Ce tableau présente deux types de comportements selon un mode de pensées binaires où la culture majoritaire peut être associée à la société individualiste et où les cultures minoritaires correspondent à la société collectiviste. On note, de cette synthèse des attitudes parentales, une place importante à l'individu et à l'Etat pour gérer les conflits parents-enfants dans la culture

(21)

majoritaire et une place importante au sein des groupes en raison de leur capacité à gérer les conflits parents-enfants à l'intérieur de ses limites dans les cultures minoritaires. Cette synthèse fait donc voir de manière grossière, et les auteurs le reconnaissent, des différences dans l'éducation des enfants entre les différents groupes culturels de la société québécoise.

Cependant, une étude récente cherche à atténuer ces propos. L'étude propose que des parents immigrants d'origine sud-asiatique partagent les mêmes conceptions de l'éducation des enfants (maltraitance et moyens éducatifs) que la population canadienne. Cela a été constaté en présentant des mises en situation à des parents et en leur demandant ce qui devrait être fait dans une telle situation (Maiter, Alaggia & Trocmé, 2004). Dire que les parents immigrants partagent les mêmes conceptions de la maltraitance ne signifie pas pour autant que les moyens utilisés pour rectifier une situation sont les mêmes. Aussi, ces participants peuvent connaître les pratiques parentales qui sont attendues en tant que parent dans leur société d'accueil et répondre en fonction de ces attentes, sans qu'ils les adoptent dans leur quotidien.

Ces données ne semblent pas faire consensus chez les chercheurs. A l'instar de Battaglini et Lefebvre (2001), Lazure et Benazera (2006) mentionnent que les parents immigrants de la région de Québec tiennent « des propos assez négatifs sur la manière d'élever les enfants au Québec. [...] Ainsi, ils souhaitent activement protéger et transmettre leurs valeurs et leurs traditions familiales tout en considérant les apports obtenus grâce à la renégociation des rôles parentaux » (p.44-45). Cette recherche s'est effectuée auprès de 40 familles, dont 13 réfugiées. Pour leur part, Quinones-Mayos et Dempsey (2005) ont recueilli le point de vue de 12 mères monoparentales originaires d'Amérique latine et établies aux États-Unis avec leurs filles, à propos de difficultés d'éducation dans un nouveau contexte culturel. Pour elles, la conciliation des cultures avec lesquelles elles transigent est ardue. Elles doivent relever le défi de transmettre leurs valeurs et leur culture d'origine tout en constatant que leurs filles évoluent et s'identifient à celle de la société d'accueil.

Ces études permettent d'entrevoir la complexité de l'éducation des enfants dans un contexte culturel différent. Bien qu'elles aient été réalisées dans des contextes différents, les conclusions

(22)

quant aux difficultés rencontrées dans l'éducation en contexte biculturel sont similaires. Afin d'être en mesure de relever ces défis liés à l'éducation des enfants, l'adoption de stratégies devient essentielle pour négocier les situations.

1.2.3 Trajectoire adaptative des parents immigrants au Québec

L'adaptation à la société d'accueil reflète le type d'expériences vécues avant la migration. « Les conditions et les circonstances entourant le départ du migrant permettent [...] de faire des prévisions sur l'aptitude à s'adapter » (Heneman et al., 1994, p. 6). Partir de façon précipitée pour échapper à la mort ou mûrir un projet d'immigration n'a pas le même impact sur l'adaptation. Par ailleurs, Rachédi (1999) propose de comprendre l'adaptation au regard des expériences dans le pays d'accueil. Des attitudes de repli sur soi sont observées lorsque les familles vivent de mauvaises expériences. L'isolement ou le regroupement ethnique atténue les contacts avec des sources de stress reliés à l'intégration. Au contraire, certains nient leurs racines identitaires et tendent à s'oublier pour devenir Québécois. La stratégie d'adaptation la plus favorable correspond à celle où les familles négocient les deux cultures en présence pour trouver un compromis qu'ils jugent acceptable (Rachédi, 1999).

Dans sa thèse doctorale sur l'adaptation des parents immigrants, où un peu plus d'une dizaine de parents ont été interrogés, Bérubé (2004) identifie trois profils d'adaptation parentale qui s'inscrivent dans l'attitude de négociation. Il s'agit du parent-relais, du parent-en-bride et du parent-instinctif. Les deux premières stratégies permettent aux parents d'apprendre de nouvelles méthodes éducatives qu'ils choisissent en fonction de leur volonté de changements et de leur pouvoir. Mais ces deux stratégies se distinguent l'une de l'autre: le parent-relais adopte l'attitude de négociation proposée par Rachédi (1999) alors que bien que le parent-en-bride veuille adapter l'éducation donnée à ses enfants, il se sent limité par des contraintes hors de son contrôle. Le parent-en-bride saisit donc les possibilités de changements, mais est limité quant à l'étendue de son pouvoir. Concernant le parent-instinctif, son rôle de parent lui semble inné. Il s'ajuste aux situations et aux exigences du milieu au fur et à mesure, lorsque la situation devient critique. Lors d'une crise, le parent tentera de s'ajuster par rapport à la nouvelle culture.

(23)

Bérubé (2004) identifie aussi une stratégie d'adaptation du rôle parental similaire à l'attitude du repli sur soi. Le parent-disjoncteur est celui qui a vécu de mauvaises expériences au Québec et qui cherche à agir comme un filtre pour ses enfants. Il souhaite garder ce qui est bon de la nouvelle culture, mais fermer la cellule familiale au reste. On peut prétendre à la lueur de ces connaissances qu'une expérience négative avec la DPJ ou une incompréhension de l'institution peut possiblement amener des parents à replier la famille sur elle-même.

En somme, la migration entraîne des changements majeurs dans la vie des familles réfugiées. Les familles doivent s'ajuster et remettre en question leurs conceptions, leurs valeurs et leurs visions lorsqu'elles se heurtent à celles de la société d'accueil alors qu'elles se trouvent dans une trajectoire de vie précaire. L'intervention de la DPJ dans les familles réfugiées symbolise cette confrontation. Les parents réfugiés peuvent vivre différentes émotions par rapport à cette institution et la comprendre de façons diverses selon les contextes.

1.3 L'institution de la PJ: l'État régulateur de la sphère privée

Les parents réfugiés, principalement originaires de pays où la famille agit à titre de régulateur social (Earner, 2007; Loiselle & Hernandez, 2004), sont confrontés, dans le pays d'accueil, à la place que l'État prend dans la sphère privée (Battaglini & Gravel, 1998; Trinh, 1986). Les familles immigrantes se tournent vers leur réseau primaire pour avoir de l'aide (Christensen,

1989; Legault & Roy, 2000) alors que dans la société québécoise, l'État joue un rôle important de régulation (Loiselle & Hernandez, 2004). L'effervescence des années 1960 et 1970 a promu l'intervention de l'État dans la sphère privée qu'est la famille (Lacharité & Gagné, 2009). Il y a donc eu un passage des problèmes privés à des problèmes sociaux (Battaglini & Gravel, 1998), entre autres, dans le domaine de la protection de la jeunesse. La mise en œuvre de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) s'inscrit dans la volonté gouvernementale d'assurer à tous les enfants que leur sécurité ou leur développement ne soit pas compromis. L'État s'est donné les moyens d'intervenir dans la sphère privée de la famille pour s'assurer que les parents respectent les droits des enfants. La volonté de l'État est certes légitime, mais l'application de la loi a créé, dès ses débuts, des émotions négatives chez des parents québécois qui ont été signalés et qui ont vécu une évaluation au sens de la loi (Turcotte, 1981). L'application de la LPJ auprès d'une

(24)

clientèle immigrante et réfugiée questionne les intervenants (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Trinh, 1986).

La LPJ prend sa légitimité dans le partage de valeurs communes et d'une construction de ce qui est acceptable ou non en matière de socialisation (Sheriff, 2000b). L'intervention de la DPJ vise à rappeler les interdits de la société et l'importance d'assurer le respect des droits des enfants. La LPJ valorise l'adhésion des parents à ces normes communes. Chiasson-Lavoie et Roc (2000) et Simard (2000) rappellent que la LPJ s'est édifiée à partir de normes sociales et culturelles particulières à la société québécoise. « La notion de compromission est propre aux formulations et aux catégorisations de la société québécoise » (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000, p.225). De même, « au Québec, l'actuelle Loi sur la protection de la jeunesse vient renforcer la conception individualiste et protectrice des services d'aide et de soutien à accorder aux enfants » (Simard, 2000, p.54).

L'intervention est donc centrée sur l'enfant. L'État s'est donné les moyens d'imposer son intervention auprès des familles afin de faire cesser la situation de compromission de l'enfant. C'est dire que l'intervention se déroule dans un contexte d'autorité (Groulx, 1995; Trottier & Racine, 1992). L'État s'est aussi donné comme moyen de retirer les enfants des familles inadéquates afin de répondre aux besoins de l'enfant. En fait, la LPJ constitue un outil de régulation du social, voire ce que certains pourraient appeler un outil de contrôle social (Groulx, 1995; Parazelli et al., 2003). La frontière entre régulation sociale et contrôle social est mince et le glissement devient facile. En effet, Simard (2000) citant Armitage (1993) écrit qu'il existerait une différence entre le jugement des familles et le jugement des professionnels, une même situation pouvant être perçue comme normale pour l'un et comme problématique pour l'autre.

1.3.1 La protection de la jeunesse et les différentes cultures

L'intervention de la DPJ se justifie par la notion du « bien-être de l'enfant » ou de « l'intérêt de l'enfant » (Sheriff, 2000b). À l'instar de Simard (2000) et Sheriff (2000b), Xu (2005) suggère que l'interprétation de cette notion réfère aux valeurs du groupe majoritaire dans la société et peut conduire à une application injuste de la loi. Ce dernier soutient, après l'analyse de 24 jugements

(25)

de cour concernant la protection d'enfants immigrants aux États-Unis, que les facteurs reliés à l'immigration ne sont pas pris en compte dans les décisions des juges en protection de la jeunesse et que ce sont plutôt les normes nord-américaines qui priment. Lavergne et al. (2008) expliquent en partie la surreprésentation des minorités visibles au Québec en raison de la prise en compte des normes nord-américaines plutôt que des facteurs reliés à l'immigration.

L'étude de Rivaux et al. (2008) tente de démontrer ce scheme explicatif dans le contexte étasunien qui est relativement différent de la problématique raciale du Québec. Les résultats sont toutefois un indicateur à considérer pour l'étude actuelle. Rivaux et al. (2008) s'interrogent sur l'interrelation entre les concepts de race, de pauvreté et de risque dans le processus de décision d'une évaluation en protection de la jeunesse. Leur étude quantitative, conduite à partir de 123 621 dossiers au Texas nécessitant une décision de rétention ou non de la situation dans les services de protection de la jeunesse, confirme leur hypothèse. Celle-ci proposait que le facteur de « race » influence davantage le processus de décision que les facteurs relatifs aux revenus d'une famille et relatifs au risque (danger pour l'enfant). C'est donc dire que les intervenants fondent leur décision concernant des familles d'autres ethnies davantage en regard de leur appartenance à une minorité ethnique que sur leur situation économique et leurs comportements à risque pour leurs enfants. Toutefois, les auteurs précisent que la prise en compte de la perception des intervenants quant à l'appartenance ethnique pourrait amener des nuances aux résultats.

Le dévoilement de ces réalités par les auteurs (Lavergne et al., 2008; Rivaux et al., 2008; Xu, 2005) suggère des pistes de réflexion concernant une construction d'une représentation négative de l'institution de la protection de la jeunesse par des parents réfugiés. Si les communautés ethnoculturelles et issues de l'immigration se retrouvent devant un plus grand nombre de signalements et devant un certain racisme dans les décisions des intervenants, peut-on penser que ces conditions favorisent l'élaboration d'une représentation négative de la DPJ?

1.3.2 Barrières et perceptions négatives des services

Diverses recherches soulignent l'inaccessibilité des services sociaux pour les immigrants et réfugiés au Québec (Battaglini & Lefebvre, 2001; Heneman, 1994). D'autres études s'intéressent

(26)

aux mêmes difficultés quant aux services de protection de la jeunesse aux États-Unis (Earner, 2007; Fong, 1997; Morland et al., 2005). Les familles réfugiées ont des besoins spécifiques que les services sociaux peinent à cerner (Earner, 2007; Heneman, 1994). Les incompréhensions culturelles (Fontes, 2005), la barrière de la langue, la crainte de perdre la « face » (Fong, 1997), l'absence de prise en compte de facteurs liés au parcours migratoire par les intervenants (Rojas-Viger, 2008) et l'absence de vision commune sur les services (Legault & Roy, 2000) rendent les services sociaux inaccessibles. Les services de protection de la jeunesse font face aux mêmes difficultés en plus d'imposer leurs interventions dans la sphère familiale privée.

Divers articles concernant la protection de la jeunesse et les immigrants mettent en évidence les difficultés reliées aux incompréhensions culturelles en intervention (Bates et al., 2005; Bolea, Grant, Burgess & Plasa, 2003; Earner, 2007; Legault & Roy, 2000). Ces incompréhensions résultent des différents sens donnés pour un même comportement selon les cultures. L'étude de Rojas-Viger (2008) démontre que des organismes (institutionnels et communautaires) travaillant sur la violence conjugale auprès d'une clientèle immigrante omettent dans leurs interventions de considérer la multiplicité des conceptions de la violence. Ce manque de considération diminue la compréhension de la problématique de la violence chez ces familles et limite les pistes d'intervention possibles et adaptées. C'est précisément ce que dit Fong (1997) aux intervenants de la protection de la jeunesse : « the discrepant meaning of child welfare in the client's culture is important for the social worker to consider when making assessments » (p.40).

En matière de protection, les conceptions mêmes de la protection de la jeunesse offensent les parents immigrants qui reçoivent des services (Gherghel, 2008). Pour ceux ayant participé à certaines éludes, éduquer adéquatement un enfant nécessite parfois la correction physique (Clément & Côté, 2004; Earner, 2007). Ces parents affirment se sentir incompris et jugés par les intervenants. D'autres proposent que les interventions de la DPJ suscitent de la résistance, une incompréhension, des inquiétudes et de la méfiance chez les immigrants (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Gherghel, 2008). Elles attribuent ces sentiments à une méconnaissance du système sociolégal et à des modèles de valeurs différents. Sans compter que les intervenants de la DPJ représentent l'État et que la majorité des participants viennent de pays où l'État représente une entité dangereuse dont il faut se méfier (Earner, 2007; Lazure & Benazera, 2006) ou qui est

(27)

absent de la sphère privée. Chercheuse et clinicienne, Hassan (2010) ajoute, à partir de son expérience clinique auprès de réfugiés, que ceux-ci craignent les institutions gouvernementales à leur arrivée. Devant ces réalités, il est pensable que les expériences avec les services sociaux teintent les conceptions et représentations de la DPJ. Par contre, une thèse de doctorat réalisée aux États-Unis (Earner, 2004) suggère que l'expérience des services de protection n'est pas un critère pour s'en faire une opinion particulière. Après avoir interrogé deux groupes de femmes mexicaines avec et sans services, l'auteur n'a pas été en mesure de faire de distinction majeure entre ces groupes dans leur conception de la protection de la jeunesse.

Earner (2007), qui a étudié les barrières aux services de protection chez les immigrants à partir du point de vue de 11 parents immigrants recevant des services de protection, soulève que lorsque des parents réfugiés ou immigrants entrent en contact avec les services, ils vivent plusieurs émotions intimement reliées à leur expérience migratoire : la peur, l'impuissance, le sentiment d'incompétence linguistique et l'impression d'être relégué au silence, la vulnérabilité et le sentiment de perte. Ces sentiments ne sont pas étrangers à ce que Turcotte (1981) a relevé chez des parents québécois signalés, quelque temps après l'instauration de la LPJ. Toutefois, il note que ces mêmes parents croient nécessaire l'intervention de l'État en matière de protection de l'enfance, mais pas dans leur famille. Cet avis est partagé par des mères mexicaines vivant aux États-Unis et rencontrées par Earner (2004) dans le cadre de sa thèse doctorale.

Plusieurs auteurs en arrivent donc à la conclusion que les immigrants développent généralement une perception négative de la DPJ ou son équivalent aux États-Unis (Clément & Côté, 2004; Earner, 2007; Gherghel, 2008; Lazure & Benazera, 2006; Morland et al., 2005). Seule Helly (1995) citée par Gherghel (2008) laisse entrevoir une perception favorable à la DPJ chez des immigrants partageant les valeurs éducationnelles véhiculées par l'État. Morland et al. (2005) confirment que plusieurs craintes exprimées par des réfugiés, lors de leur étude de besoins aux États-Unis, émergent, entre autres, de discussions informelles où le pouvoir de l'institution est exagéré. D'après certains auteurs, un contact avec les représentants de la DPJ amplifie les stress dus au processus migratoire (Pine & Drachman, 2005) et cela amène des parents immigrants à craindre davantage tous les services qui sont reliés au gouvernement (Earner, 2007).

(28)

Au Québec, l'évaluation d'un programme d'éducation parentale offert à la communauté haïtienne de Montréal suggère que les parents craignent la DPJ. En effet, 62% des répondants croient que son rôle est de s'immiscer dans la vie privée des familles et d'exercer un contrôle sur les parents. Bien que ce pourcentage soit peu représentatif en raison du nombre de répondants (n=13), il semble dépeindre une perception similaire à celle aux États-Unis. Malgré un contexte quelque peu différent, les perceptions des parents immigrants se ressemblent. L'étude de Lazure et Benazera (2006) réalisée à Québec appuie les résultats précédemment mentionnés. Avant de conclure que les parents réfugiés ont une représentation négative de l'institution de la PJ, il s'avère essentiel de se questionner sur les limites des résultats des études recensées.

1.4 Limites des études actuelles

Bien que les études présentées répondent partiellement au questionnement initial, certaines limites nécessitent d'être mentionnées pour appuyer la nécessité d'aller plus loin. Les études recensées se basent généralement sur une méthode qualitative, à l'exception de deux de type quantitatif. Les recherches qualitatives apportent un éclairage fort intéressant à propos de l'objet d'étude, mais ne sont pas généralisables. Il devient nécessaire d'en réaliser de similaires dans d'autres contextes. Le mémoire veut cerner les représentations de la DPJ, qu'elle soit négative telle que soulevée dans certaines études (Battaglini & Lefebvre, 2001; Clément & Côté, 2004; Earner, 2007; Lazure & Benazera, 2006; Morland et al., 2005) ou positive, et ce, dans le contexte de la ville de Québec.

De plus, peu d'études s'intéressent précisément à la question des réfugiés (Bates et al., 2005; Bolea et al., 2003; Fantino & Colak, 2001; Morland et al., 2005). Pourtant, le besoin de protection des réfugiés qui a provoqué leur migration suggère des représentations et des comportements potentiellement différents envers l'État et ses services. Les auteurs choisissent de mettre dans la même catégorie les immigrants et les réfugiés malgré que les réfugiés constituent un groupe avec des caractéristiques propres à lui qui les unifient dans leurs diversités. En effet, Battaglini et Gravel (1998) soulignent que « peu importe leur origine ethnique et culturelle [les réfugiés] vivront une expérience migratoire similaire, qui les amènera à surmonter des difficultés

(29)

de nature psychologique, politique et culturelle d'un ordre comparable » (p. 14). De même, les études sur les réfugiés concernent davantage les enfants orphelins réfugiés. Peu de recherches s'intéressent aux parents réfugiés et leur point de vue concernant la DPJ au Québec demeure méconnu à ce jour. Des études ont posé un bref regard sur cette question pour décrire leur vision de la DPJ sans que ce soit le but premier de l'étude et sans porter attention aux processus qui mènent à l'adoption de cette vision.

D'autre part, certaines études présentent des écueils méthodologiques. Par exemple, les groupes de discussion ne sont pas enregistrés (Quinones-Mayo & Dempsey, 2005), rendant difficile une analyse approfondie des matériaux bruts que sont les propos des participants. Par ailleurs, plusieurs écrits sur les familles immigrantes s'appuient sur l'expertise des auteurs et non sur des recherches proprement dites (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Christensen, 1989; Fontes, 2005; Fronteau, 2000; Groulx, 1995; Loiselle & Hernandez, 2004; Trinh, 1986). Il s'agit plutôt d'essais qui apportent un regard éclairant qu'il serait intéressant d'appuyer par une analyse approfondie de la situation problème. De même, l'étude de Morland et al. (2005) omet de présenter sa méthodologie. L'étude apporte des éléments pertinents à la présente recherche, mais sa crédibilité souffre d'un manque de transparence méthodologique.

1.5 La pertinence scientifique et sociale

À partir des limites précédemment présentées, la pertinence de ce mémoire se démontre tant au plan scientifique qu'au plan social. D'après les recherches recensées, peu d'entre elles s'attardent à la vision des parents réfugiés concernant les services sociaux et de protection de la jeunesse (Battaglini & Lefebvre, 2001; Clément & Côté, 2004; Earner, 2007; Morland et al., 2005; Quinones-Mayo & Dempsey, 2005). À l'exception de l'étude de Earner (2007), ces recherches n'ont pas pour objet la représentation de l'institution de la protection de la jeunesse. Pourtant, comme le dit Legault et Bourque (2000), être conscient de ses valeurs, de ses conceptions du monde et de ses représentations, de même que de celles de l'autre « constitue les préalables essentiels d'une intervention adaptée » (p.53). Il devient donc pertinent de comprendre la représentation que des parents réfugiés se font de la DPJ pour adapter l'intervention. De même, la méthodologie ou la grandeur des échantillons de certaines autres recherches limite les possibilités

(30)

de généralisation. Considérant le contexte de loi différent aux États-Unis et au Québec, un regard pointé sur la réalité québécoise s'avère utile. À l'heure actuelle, les recherches québécoises sur l'adaptation du réseau des services sociaux s'intéressent surtout aux services de première ligne (Tremblay, 2009) alors que la DPJ constitue un service de deuxième ligne. L'Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale a adopté en 2006 un plan d'action régional 2006-2009, lequel vise l'approfondissement des connaissances sur les situations de vie des réfugiés et une meilleure diffusion de l'information concernant le mandat de la DPJ (Tremblay, 2006). La présente recherche s'inscrit parfaitement dans ces objectifs.

La surreprésentation des communautés ethnoculturelles dans les services de protection au Québec fait l'objet de plus en plus de recherches (Lavergne et al., 2008; Rambally, 1995; Tourigny & Bouchard, 1994). Alors que ces groupes représentent 18,6% de la population canadienne, ils correspondaient à l'automne 2003 à 32,77% des enfants signalés dans tout le Canada (n = 9554). Les minorités visibles qui correspondent à une partie des communautés ethnoculturelles et qui sont généralement issues de l'immigration sont 1,77 fois plus à risque d'être signalés à la protection de la jeunesse (Lavergne et al., 2008). Les réfugiées sont donc plus à risque d'être signalées et de recevoir des services de la DPJ que la population générale. Cette surreprésentation soulève plusieurs questions et les causes du phénomène demeurent floues.

De même, les études recensées s'attardent aux approches ou aux modèles d'intervention en contexte interculturel, mais ne proposent rien pour prévenir les difficultés présentées par l'intervention de la DPJ auprès des réfugiés. Peu d'études se penchent sur la compréhension que les réfugiés nouvellement arrivés ont de la société d'accueil et de ses institutions (Battaglini & Lefebvre, 2001; Lazure & Benazera, 2006). Connaître les représentations sociales de parents réfugiés à propos de la DPJ et la façon dont elles se construisent permettra certainement de mieux orienter les interventions. De même, ces connaissances permettront une meilleure diffusion de l'information au sujet des services et des fondements de la DPJ, engendrant une possible adaptation des pratiques parentales chez les réfugiés afin d'éviter des signalements et contribuer à diminuer leur présence dans les services.

(31)

En somme, les représentations de la DPJ chez des parents réfugiés s'avèrent un sujet de recherche pertinent socialement et scientifiquement. Afin de répondre aux buts exprimés dans l'introduction, l'étude se questionne à savoir quelles sont les représentations de la DPJ chez des parents réfugiés récemment arrivés et comment se construisent-elles? Les réponses à ces questions seront interprétées à partir de plusieurs filtres théoriques appartenant à la chercheuse. Le prochain chapitre expose ces a priori théoriques.

(32)

Chapitre 2 : Le cadre interprétatif : épistémologie, théorie, concept

Le cadre théorique propose un ensemble de concepts qui permettent d'expliquer les situations sociales étudiées dans le cadre de cette recherche. Ces concepts, une fois mis en relation, suggèrent une explication de la réalité étudiée. Dans le cadre de la présente étude, le cadre théorique des représentations sociales est utilisé pour analyser les données et permettre d'organiser les connaissances concernant des parents réfugiés relativement à la DPJ. Le présent chapitre définira les représentations sociales et sa théorie, ses fonctions et ses mécanismes de formation. Une partie explorera sa pertinence pour cette recherche en lien avec la population à l'étude. Enfin, le chapitre se terminera sur une définition des concepts clés utilisés et sur la manière de les employer. Mais d'abord, la théorie des représentations sociales prend racine dans un courant épistémologique dans lequel s'inscrit la chercheuse : le constructivisme.

2.1 Le constructivisme en guise d'assise

Le mémoire s'appuiera sur une posture épistémologique constructiviste. La question de recherche de type explicative propose un angle d'attaque où le sens que l'acteur donne à l'objet d'étude est mis en valeur. D'après Morris (2006), la recherche constructiviste accorde beaucoup d'intérêt aux données subjectives, dont la subjectivité du chercheur. Elle interroge le sujet (participant) plutôt que l'objet de recherche, ce qui lui confère un statut peu généralisable. Il s'agit plutôt de collecter des données à propos d'un problème spécifique ou d'un contexte spécifique. Le consommateur de la recherche doit rester critique face à cette dernière et établir lui-même la crédibilité de la recherche, sa confiance en elle (Morris, 2006).

L'adoption d'un paradigme du sujet s'avère essentielle pour atteindre les buts de l'étude. Le constructivisme semble à propos puisqu'il préconise que les individus construisent la réalité de par leurs interactions sociales. Le sens qu'ils donnent à la réalité crée la connaissance et le constructivisme s'intéresse aux représentations de la réalité chez les individus, au sens qu'ils donnent à leurs actes plutôt qu'à ceux-ci. Le sens que les parents donnent à l'institution de la protection de la jeunesse constitue un aspect important à comprendre pour saisir leur réaction face à celle-ci.

(33)

Malgré son aspect subjectif, la recherche constructiviste se veut organisée, planifiée et elle reconnaît l'importance de s'adapter aux réalités du terrain. Un plan doit donc être réalisé, quitte à le renégocier par la suite, et ce, pour toutes les étapes de recherche (Morris, 2006). En somme, la recherche constructiviste est un processus et un résultat à la fois. C'est un processus permettant la construction d'un savoir sur un objet social avec les individus concernés et les résultats de ce processus permettent l'amélioration d'un service ou une meilleure compréhension d'une réalité sociale partagée par des individus. Toutefois, pour bonifier la posture constructiviste et dégager aisément des explications du phénomène étudié, la recherche utilisera la théorie des représentations sociales.

2.2 Les représentations sociales en guise de théorie interprétative

Depuis les années 1960 où Moscovici a remis à l'ordre du jour le concept de représentation sociale précédemment nommé par Durkeim, les représentations sociales sont passées du concept à la théorie (Jodelet, 1992). Le concept de représentation sociale fait référence à une « forme de connaissance spécifique, le savoir du sens commun, [...] il désigne une forme de la pensée sociale» (Jodelet, 1992, p.361). Les représentations sociales font référence aux connaissances des acteurs sociaux ou sujets, ce qui s'oppose aux connaissances scientifiques. Les différents auteurs qui se sont intéressés aux représentations sociales cherchent à saisir la réalité à travers les connaissances détenues par les acteurs sociaux afin de comprendre l'influence de celles-ci dans leurs conduites. En annexe 1, la théorie des représentations sociales est illustrée pour faciliter la compréhension.

2.2.1 Description des représentations sociales

Les représentations sociales s'appuient d'abord sur un principe évoqué par Moscovici en 1969 et repris par Abric en 1994. Selon ce principe, un objet n'existe pas en soi, il existe parce qu'un individu ou un groupe lui donne un sens (Mannoni, 2001). L'interaction entre le sujet et l'objet permet de déterminer ce dernier et donc de lui donner vie. À partir du moment où un objet existe, le sujet peut s'en faire une représentation. Certains auteurs soulignent que le concept de représentation prend diverses formes selon les disciplines. Au premier abord, la représentation

(34)

signifie que le sujet se construit une image mentale d'un objet pour le remplacer alors qu'il est absent (Ferreol, 2002; Jodelet, 1992). Jodelet (1992) poursuit en soulignant que cette représentation a une image, mais également un sens pour le sujet. L'aspect figuratif et l'aspect symbolique sont indissociables et créent la structure des représentations. Toute représentation a donc un sens et une figure. Les représentations sociales se démarquent de la représentation individuelle au sens où elles font référence à un univers symbolique « qu'une société se forge lorsqu'elle cherche à interpréter son environnement physique et à donner sens à son organisation ou à ses structures hiérarchiques » (Ferreol, 2002, p. 191). La représentation sociale revêt donc un aspect sociologique qui contraste avec la représentation simple qui réfère davantage à un phénomène individuel.

Divers auteurs ont tenté de définir ce que sont les représentations sociales proprement dites (Abric, 1994; Herzlich, 1972; Jodelet, 1994; Mocovici, 1961). Ces dernières se définissent comme un guide pour l'action des acteurs dans une société donnée, une vision globale et fonctionnelle rendue possible par une organisation de la réalité. Elles permettent de tenir compte du sujet dans sa globalité (normes, histoire, etc.) « et de comprendre la réalité, à travers son propre système de référence, donc de s'y adapter, de s'y définir une place » (Abric, 1994, p. 13). Les représentations sociales comportent trois éléments : l'information, le champ de représentation, appelé « image » par certains, et l'attitude. Ces éléments seront élaborés dans la section sur les concepts clés de l'étude.

Les représentations sociales évoluent à l'interface du psychologique et du social (Jodelet, 1992). Ces deux dimensions influencent les formes que prennent les représentations sociales. La dimension psychologique ou cognitive fait référence aux connaissances, aux explications et aux justifications à partir desquelles les sujets construisent le sens qu'ils donnent à l'objet. La dimension sociale renvoie aux sentiments, valeurs, normes et attitudes des sujets par rapport au même objet. L'articulation de ces deux dimensions permet de comprendre comment les sujets peuvent appréhender la vie courante, l'environnement, les événements particuliers et autres, tant au plan individuel qu'au plan social.

(35)

De même, les représentations sociales se construisent à partir des connaissances des sujets acquisses au fil des expériences quotidiennes et des savoirs qui leurs sont transmis par la « tradition, l'éducation, [et] la communication sociale » (Jodelet, 1992, p. 360). La socialisation des enfants influence donc les représentations sociales que les sujets se font des objets, tout comme le contexte social, historique et culturel dans lequel ils évoluent. On comprendra ici que les réfugiés d'une même famille se forgeront possiblement des représentations différentes du même objet en raison de leur adaptation plus ou moins rapide à leur nouvelle société. Les représentations de la DPJ seraient donc influencées par le savoir concernant l'éducation des enfants acquis dans leur famille d'origine et en lien avec une culture particulière. Les parents se retrouvent aussi devant la difficile tâche de socialiser leurs enfants à partir d'une conception de l'éducation qui ne correspond pas de facto avec celle de la nouvelle société. Toutefois, les représentations sociales peuvent aussi permettre aux familles réfugiées de s'approprier leur nouvel environnement. Les représentations sociales répondent aux besoins des sujets de connaître leur nouvel environnement dans le cas des réfugiés, de le rendre familier et de le partager avec leur groupe d'appartenance.

2.2.2 Fonction des représentations sociales

Les représentations sociales répondent à des fonctions essentielles de savoir, d'identité, d'orientation et de justification (Abric, 1994; Jodelet, 1992). D'abord, la fonction de savoir permet aux acteurs d'acquérir des connaissances sur une réalité sociale et de les intégrer dans un univers de sens familier, et ce, en lien avec les valeurs qu'ils partagent avec leur groupe d'appartenance. Elle facilite la communication sociale en définissant un univers qui permet l'échange social, la transmission et la diffusion d'un savoir de sens commun.

Les représentations sociales permettent aux sujets d'élaborer une identité sociale commune et compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés. D'après Abric, « la référence à des représentations définissant l'identité d'un groupe va par ailleurs jouer un rôle important dans le contrôle social exercé par la collectivité sur chacun de ses membres, en particulier dans les processus de socialisation » (1994, p. 16). La DPJ remplit effectivement ce rôle de contrôle social auprès des familles qui, pour diverses raisons, ne

(36)

transmettent pas les minimums requis par la norme établie. L'institution s'assure de faire respecter ce que le groupe majoritaire considère comme une éducation acceptable ou des traitements respectueux de l'enfant (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Sheriff, 2000b; Simard, 2000).

Aussi, les représentations sociales orientent l'action d'après trois facteurs : la finalité, l'opération de filtrage et la prescription. Ainsi, les appréhensions d'un sujet à propos de l'objet déterminent la manière dont il se structure et communique. Les représentations sociales précèdent l'action suite à une opération de filtrage de l'information qui permet de les rendre conformes à la réalité perçue par l'individu. Elles déterminent ensuite son action en prescrivant les comportements qu'il adoptera en fonction de ce qui est acceptable ou non dans un contexte social donné. Enfin, les représentations sociales jouent un rôle de justification des prises de décision et des comportements. C'est donc dire que les représentations sociales opèrent en tant que système d'interprétation, dirigeant les interactions du sujet avec son monde extérieur, orientant et organisant ses comportements et ses communications sociales (Jodelet, 1994).

2.2.3 L'élaboration des représentations sociales

Moscovici (1961) explique l'émergence et l'élaboration des représentations sociales d'après deux processus : l'objectivation et l'ancrage. Jodelet (1992) s'applique à circonscrire les deux processus d'émergence des représentations sociales. Pour elle, ces deux processus expliquent non seulement leur émergence, mais aussi leur fonctionnement. « Ils montrent l'interdépendance entre l'activité psychologique et ses conditions sociales d'exercice » (Jodelet, 1992, p.367). En fait, elle précise que ces deux processus éclairent la fonction du savoir présentée plus haut soit l'intégration de la nouveauté dans les referents des sujets.

Le processus d'objectivation donne une forme aux « notions abstraites qui constituant l'activité mentale et matérialis[e]nt les idées en leur fournissant un « contour » (image ou figure) » (Mannoni, 2001, p. 49). En fait, cela revient à donner une texture matérielle à des conceptions abstraites, à rendre concret ce qui appartient au monde des idées ou de l'abstrait. Ce processus se réalise à partir d'une sélection d'informations et d'un agencement particulier (Mocovici, 1961).

Figure

Tableau 2: Profils des participants de l'étude
Tableau 3: Synthèse des étapes d'analyse réalisée
Illustration 1 : Champ de représentation de parents réfugiés envers la DPJ
Illustration 2 : Continuum des représentations sociales

Références

Documents relatifs

"Constitutive nitric oxide synthase inhibition combined with histamine and serotonin receptor blockade improves the initial ovalbumin-induced arterial hypotension but

Dans le groupe 2 sont regroupés les parents qui se sentent « abusés » et qui contestent la prolongation des mesures. « Il y a beaucoup de personnes qui ont des crises

Une bonne partie de la réponse à cette question réside probablement dans le fait que le cerveau humain sécrète du sens, et la croyance est la manière la plus rapide et la

Again, empirical analysis is required to shed light on the impact of a change in the fee paid for services on physicians’ clinical hours of work and treatment

Généraliser cette mesure en sortie de placement, en plus de la garantie d’un lieu d’héber- gement identifié quand le retour en famille est impossible, permet de donner un

d’identification concernant les délinquants et les victimes qui doivent comparaître au tribunal chargé des causes de violence familiale. Cette liste est distribuée toutes les

o Mettre en œuvre la prise en charge éducative dans le cadre d’une condamnation ou d’une détention provisoire. o Mettre en œuvre des activités socio-éducatives en binôme avec