J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET, Actes JIES XXIX, 2008 1
ÉDUCATION, SCIENCES, TECHNOLOGIES ET INÉQUITÉS DE
DÉVELOPPEMENT ENTRE PAYS DU NORD ET PAYS DU SUD
INTRODUCTION À LA TABLE RONDE
Éric TRIQUET
IUFM Université Joseph Fourier, Grenoble & UMR STEF ENSC/INRP UniverSud Paris
« Les pays du Sud sont victimes d’une « véritable fracture scientifique » note Yves de la Croix chargé de projet à l’Institut de Recherche pour le Développement (I.R.D.). Et d’ajouter que sans culture scientifique et technique la population d’un pays ne peut ni appréhender les enjeux de développement, ni maîtriser son avenir1. A ce propos Marianela Lafuente, Carlos Génatios2 notent que les pays de l’OCDE, avec seulement 19 % de la population mondiale, concentrent 58 % des investissements étrangers et 71 % des échanges mondiaux de biens et de services. Les possibilités de développement et « d’insertion », pour les pays pauvres, sont envisagées en termes d’accès à la « Société de la Connaissance ». Cependant la réalité indique plutôt, selon eux, qu’on a non seulement creusé les différences dans la distribution mondiale de la richesse, mais qu’en plus ces lignes de fracture se retrouvent aussi au niveau des inégalités dans l’accès à la connaissance et aux nouvelles technologies. Et de conclure que, tout comme la richesse, la science est divisée en deux mondes, et l’accès à la connaissance est loin d’être démocratique.
1 Voir la lettre d’info « Sciences et culture » n°7 (printemps 2005), Ministère des Affaires Etrangères Françasi, Direction de la Coopération Scientifique et Universitaire.
2 Marianela Lafuente, Carlos Génatios (2005). « Savoir, c’est pouvoir » ; Science et Technologie pour un développement national (Voltaire net, réseau de presse non-alignée).
J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET, Actes JIES XXIX, 2008 2 Pour Jacques Balkin de l’université de Yale3, l’accès aux connaissances est une demande de justice sociale. Pour lui, dans le contexte actuel d’une économie globale, le contrôle sur le savoir et l’information détermine de plus en plus le niveau de vie et le pouvoir. De fait, souligne-t-il, il ne s’agit pas de faire une balance optimale entre l’équité et l’efficacité : « le combat ne se limite pas au meilleur partage d’un gâteau, mais sur la façon de faire un gâteau plus grand et de le partager plus équitablement ; ou plus exactement donner à chacun les moyens de faire un gâteau et de le proposer aux autres ».
Pour sa part Sisule Musungu4, analyste politique et juriste de formation, appelle à considérer le mouvement de l’accès aux connaissances en liaison avec d’autres cadres, comme celui des Droits Humains, celui du développement, celui pour l’accès libre à la culture et enfin à l’insérer dans le cadre économique afin de développer une autre vision de l’efficacité du partage des connaissances. De fait, pour de nombreux observateurs, il est urgent de développer des politiques de développement scientifique visant à favoriser, dans une perspective sociale, l’accès à la connaissance et à son utilisation dans la lutte contre la pauvreté et l’amélioration de la qualité de vie. Malheureusement, constatent Marianela Lafuente, Carlos Génatios les politiques de « coopération scientifique » n’apportent pas toujours une réponse satisfaisante. La plupart des échanges, regrettent-ils, sont réalisés avec des pays développés, le recours à des scientifiques de l’environnement régional étant quasi-nul. Et bien souvent, ajoutent-ils, les orientations de ces projets sont étrangères aux priorités nationales, ce qui entraîne ou favorise la « fuite des cerveaux », l’isolement de scientifiques qui travaillent sur des projets montés par des laboratoires étrangers et donc peu en phase avec les besoins du pays.
C’est l’orientation contraire que s’efforce de promouvoir l’Institut de recherche pour le Développement5 invité pour ces 29ème Journées à témoigner des ses actions. Celles-ci s’inscrivent depuis près de soixante ans dans des programmes et projets scientifiques développés dans les pays du Sud, avec l’objectif précisément de contribuer au développement social et économique de ces pays. Soucieux de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux et aux avancées de ces recherches, l’IRD, comme le souligne Marie-Lise Sabrié6, mène une politique de diffusion des savoirs scientifiques auprès des populations des pays du Sud. Des exemples très concrets d’opérations réalisées par l’institut en relation avec des chercheurs locaux témoignent du fait qu’une telle politique peut répondre, malgré des contraintes nombreuses, aux fortes attentes sociétales vis à vis
3 Extrait du compte-rendu de la conférence Access to knowledge qui s’est tenue à l’Université de Yale du 21 au 23 avril 2006 rédigé par Hervé Le Crosnier (Université de Caen).
4 Idem.
5 IRD, ex-Orstom, établissement public français.
6 Responsable du secteur Culture scientifique, IRD Coordinatrice du projet FSP « Promotion de la culture scientifique dans la Zone de solidarité prioritaire ».
J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET, Actes JIES XXIX, 2008 3 de la science dans ces pays, notamment chez les jeunes7. Nombre de ces actions sont conduites en appui avec le ministère français des Affaires étrangères, notamment dans le cadre d’un projet de promotion de la culture scientifique dans dix pays du continent africain et à Madagascar.
Pour assurer des solides fondements à l’essor de la culture scientifique dans les pays en développement, Marie-Lise Sabrié suggère quelques pistes :
- professionnaliser les acteurs par la mise en place de programmes de formation à la médiation scientifique dans les pays en développement ;
- favoriser la création de réseaux qui permettent aux acteurs de mutualiser leurs moyens, de partager leurs expériences et d’élaborer des stratégies ;
- sensibiliser les médias nationaux aux enjeux de la recherche pour le développement et les inciter à offrir une place de choix et de qualité à l’information scientifique dans leurs supports ;
- inciter à la mise en place de politiques publiques en faveur du partage des savoirs scientifiques, notamment de la part des ministères en charge de la Recherche, de l’Education ou de la Culture.
Ces différents aspects étaient au cœur de la table ronde organisée en marge des Journées8 le lundi 5 mai à l’amphithéâtre de l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme (ENSA). Une illustration du dynamisme des acteurs locaux nous a été donnée au travers de la présentation de deux projets menés conjointement au Maroc et au Cameron :
- Afaf MIKOU pour des projets associatifs d’éducation à la santé développés en région rural au Maroc au travers d’ateliers scientifiques ;
- Joseph FUMTIM pour un projet de sensibilisation de la population camerounaise aux problèmes de la grippe aviaire par le biais d’un film et de documents d’accompagnement. Ces deux présentations ont été introduites par Eloise GRANSAGNE, Chargée des projets équipes, au sein du Département Soutien et Formation (DSF), de l'Institut de Recherche pour le développement (IRD).
Elles sont venues compléter la communication de Sylvie RANCON directrice des ressources humaines chez Sclumberger, entreprise privée qui mène également des actions visant à faciliter l’accès aux savoirs scientifiques des populations de pays en voie de développement.
7 Marie-Lise SABRIÉ, La culture scientifique au service du développement, texte publié sur internet. 8 Par Maurice FAY (IRD) et Eric TRIQUET (UMR STEF, ENS Cachan)