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Thérapie génique des surdités humaines - Défis et promesses

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883

SYNTHÈSE

REVUES

m/s n° 10, vol. 29, octobre 2013

médecine/sciences 2013 ; 29 : 883-9

médecine/sciences

Thérapie génique

des surdités

humaines

Défis et promesses

Anaïs Meyer1,2, Christine Petit1,2,3,4, Saaid Safieddine1,2,3,5

> Durant les vingt dernières années, des progrès

considérables ont été accomplis dans la

compréhension de la pathogénie des diverses

formes de surdités, congénitales ou acquises.

L’identification de gènes responsables de surdité

chez l’homme, l’ingénierie et la caractérisation

fonctionnelle de modèles murins de certaines

formes de surdité humaine ont également fait

progresser la physiologie moléculaire des cellules

sensorielles auditives. Ces avancées ont ouvert la

voie au développement de nouvelles stratégies

thérapeutiques, alternatives aux prothèses

conventionnelles (amplificateurs du son) ou aux

implants cochléaires permettant d’améliorer

la fonction auditive. Dans cette revue, nous

présentons d’abord les progrès accomplis sur le

chemin de la thérapie génique des surdités au

cours de la dernière décennie. Nous discutons

ensuite le potentiel de la thérapie génique pour

traiter les surdités acquises ou héréditaires,

ainsi que les principaux obstacles qui doivent

être surmontés avant qu’une application clinique

puisse être envisagée. <

récessif lié au chromosome X (DFN). Des mutations du génome mitochon-drial sont également responsables de

certaines formes de surdité (Tableau I). En outre, la surdité résultant de l’exposition des adolescents à des sons trop intenses (musique ampli-fiée notamment) est en passe de devenir un problème médical majeur, car la perte auditive concerne des individus de plus en plus jeunes, en particulier chez les 18-30 ans (3 000 à 4 000 surdités par an). Récem-ment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé qu’environ 280 millions de personnes dans le monde ont une baisse de l’acuité auditive. Ce nombre pourrait atteindre 700 millions d’ici à 2015, et 900 millions d’ici à 2025. Bien que la connaissance des causes des surdités congénitales ou acquises ait considérablement progressé au cours des 20 dernières années, les traitements ont relativement peu évolué [2] et, à ce jour, il n’existe pas encore de traitement curatif de la surdité. Dans le cas des surdités légères ou modérées, on a généralement recours à l’amplification du son grâce à l’utilisation de prothèses auditives dites conventionnelles. Pour les surdités sévères ou profondes bilatérales, la pose chirurgicale d’un implant cochléaire, appareil qui court-circuite les cellules sensorielles auditives (cellules ciliées) non fonctionnelles et permet de stimuler directement les neurones auditifs primaires, est souvent proposée. Cependant, même si les implants cochléaires, dont les performances techniques continuent à s’améliorer, représentent une avancée significative dans le traitement des pertes auditives majeures, les patients implantés se plaignent des mauvais résultats dans un envi-ronnement bruyant [3].

Les récents succès de la thérapie génique dans le traitement de cer-taines formes de cécité ont fait naître l’espoir qu’une telle stratégie puisse également constituer une alternative thérapeutique pour

restau-1 Institut Pasteur,

unité de génétique et physiologie de l’audition,

25, rue du Docteur Roux, 75724 Paris Cedex 15, France ; 2 Inserm UMRS 1120, 75015 Paris, France ;

3 Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), 75005 Paris, France ; 4 Collège de France,

75231 Paris Cedex 05, France ; 5 Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris, France.

ssafiedd@pasteur.fr

La surdité est le déficit sensoriel le plus fréquent chez l’homme. En France, un enfant sur 700 environ naît avec une surdité sévère ou profonde, et un enfant sur 1 000 deviendra malentendant avant l’âge adulte. Aujourd’hui, on estime qu’environ 80 % des cas de surdité neuro-sensorielle ont une cause génétique, et 20 % une cause environnementale. Parmi les surdités d’origine génétique, 30 % sont associées à d’autres symptômes (on parle alors de surdité syndromique), mais le plus souvent (70 % des cas), la surdité est isolée. Par convention, les formes isolées de surdité héréditaire sont classées selon leur

mode de transmission [1] (Tableau I). Dans 85 % des

cas, la surdité se transmet selon un mode autosomique récessif (les surdités portent alors le préfixe DFNB), dans 10 à 15 % des cas, selon un mode autosomique domi-nant (DFNA) et dans 1 % des cas environ, selon un mode

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A. Formes de surdité à transmission autosomique récessive

Surdités Gènes Protéines OMIM

DFNBi VEZT Vézatine

-DFNB1 GJB2 Connexine 26 604418

DFNB2 MYO7A Myosine VIIA 276903

DFNB1a GJB6 Connexine 30 604418

DFNB2b GJB3 Connexine 31 604418

DFNB3 MYO15 Myosine XV 602666

DFNB4 PDS/SLC26A4 Pendrine 605646

DFNB6 TMIE Transmembrane inner ear expressed 607237 DFNB7/DFNB11 TMC1 Canal sodique 606706

DFNB8/10 TMPRSS3 Protéase 605511

DFNB9 OTOF Otoferline 603681

DFNB12 CDH23 Cadhérine 23 602092

DFNB15/DFNB72/

DFNB95 GIPC3 Protéine GIPC 608792

DFNB16 STRC Stéréociline 606440 DFNB18 USH1C Harmonine 605242 DFNB21 TECTA Alpha-tectorine 602574 DFNB22 Otoancorin Otoancorine 607038 DFNB23 Protocadhérine 15 605514 DFNB24 RDX Radixine 179410 DFNB25 GRXCR1 Glutaredoxin cys-rich 1 613283 DFNB28 TRIOBP Trio/F-actin-binding protein 609761

DFNB29 CLD14 Claudine 14 605608

DFNB30 MYO3A Myosine IIIA 606808

DFNB31 WHRN Whirline 607928

DFNB35 ESRRB estrogen-related receptor-alpha 602167

DFNB36 ESP Espine 606351

DFNB37 MYO6 Myosine VI 600970

DFNB39 HGF Hepatocyte growth factor 142409

DFNB42 ILDR1 Immunoglobulin-like receptor 609739 DFNB48 CIB2 Calcium- and integrin-binding protein 2 605564

DFNB49 TRIC Tricelluline 610572

DFNB53 COL11A2 Collagène XIA2 120290

DFNB59 PJVK Pejvakine 610219

DFNA61 SLC26A5 Prestine 604943

DFNB63 LRTOMT Méthyl transférase 612414

DFNB66/67 TMHS Tetraspan membrane protein of hair cell stereocilia 609427

DFNB74 MSRB3 Méthionine sulfoxide réductase

b3 613719

DFNB77 LOXHD1 Lipoxygenase homology domain-containing 1 613072

DFNB79 TPRN Taperine 613354

DFNB82 GPSM2 G protein signaling modulator 2 609245 DFNB84 PTPRQ Protein-tyrosine phosphatase, receptor-type 603317 DFNB91 SERPINB6 Intracellular protease inhibitor 173321

B. Formes de surdité à transmission autosomique dominante

Surdités Gènes Protéines N° OMIM

DFNAi MYO1C Myosine Ic 606538 DFNA1 DIAPH1 Diaphanous 1 602121 DFNA2 KCNQ4 Canal potassique 603537

DFNA3 GJB2 Connexine 26 121011

DFNA2b GJB3 Connexine 31 604418

DFNA3b GJB6 Connexine 30 604418

DFNA4 MYH14 Myosine IIC 608568

DFNA5 DFNA5 ? 608798

DFNA6/14/38 WFS1 Wolframine 606201

DFNA8/DFNA12 TECTA Alpha-tectorine 60257

DFNA9 COCH Cochline 603196

DFNA10 EYA4 Facteur de transcription 603550

DFNA11 MYO7A Myosine VIIa 276903

DFNA13 COL11A2 Collagène XIa2 120290

DFNA15 POU4F3 Facteur de transcription 602460

DFNA17 MYH9 Myosin heavy chain 9 160775

DFNA20/26 ACTG1 Gamma-actine 102560 DFNA22 MYO6 Myosine VI 600970 DFNA25 SLC7A4 Transporteur du glutamate 607557

DFNA28 GRHL2,

TFCP2L3 Facteur

de transcription 608576

DFNA36 TMC Canal sodique 606706

DFNA44 CCDC50 Contactine 611051

DFNA48 MYO1A Myosine Ia 601478 DFNA50 MITN96 Micro-ARN 611606

DFNA51 TJP2 Protéine des jonctions serrées 607709

DFNAi CRYM Micro-cristalline 123740

DFNA64 SMAC/

DIABLO Activateur de caspase 605219

C. Formes de surdité liées au chromosome X

Surdités Gènes N° OMIM

DFN2 PRPS1 311850

DFN3 POU3F4 300039

DFN6 SMPX 300226

D. Formes de surdité mitochondriales

Surdités Gènes N° OMIM

MTRNR 12S 561000

MTTS1 tRNA Ser 590080

Tableau I. Gènes responsables de formes de surdité à transmission autosomique récessive (A), autosomique dominante (B), liée au chromosome X (C), et mitochondriale (D). Les formes de surdité dont les cibles primaires sont les cellules sensorielles auditives sont indiquées en rouge ; celles dont les cibles primaires sont les cellules de soutien sont indiquées en bleu. Les autres formes de surdité, dont les cibles cellulaires sont diffé-rentes ou inconnues, sont indiquées en noir.

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SYNTHÈSE

REVUES

rer l’audition chez les malentendants [4]. La thérapie génique repose sur le transfert de matériel génétique, un transgène, dans les cellules déficientes, pour obtenir un effet thérapeutique transitoire ou perma-nent. Une telle approche offre la possibilité de manipuler les gènes dans les cellules cibles, soit en empêchant l’expression d’un allèle muté qui exerce un effet dominant négatif, soit en rétablissant l’expression d’un gène défectueux. Elle pourrait être également utilisée pour atténuer les effets délétères des traumatismes acoustiques, voire pour la survie ou la réparation de cellules endommagées ou défectueuses dans l’oreille interne [31]. La cochlée se prête particulièrement bien à la thérapie génique pour deux raisons principales : (1) il s’agit d’un organe relative-ment bien isolé du reste de l’organisme, ce qui limite la diffusion systé-mique de l’agent thérapeutique administré (virus, nucléotides) ; (2) la cochlée est remplie de liquides (endolymphe et périlymphe), ce qui favorise la dissémination locale des agents thérapeutiques à un grand nombre de cellules cibles (Figure 1). Actuellement, les recherches sont centrées sur les techniques à utiliser pour une meilleure efficacité de transfert des gènes aux cellules de la cochlée, et des applications spé-cifiques, telles que la régénération et la protection des cellules ciliées.

Bien que la petite taille de sa cochlée complique la chirurgie et même l’obtention d’explants de l’organe de Corti à des fins expéri-mentales, la souris est actuellement l’animal de choix pour explorer les possibilités de la thérapie génique des surdités humaines. En effet, le génome de souris est entièrement séquencé, et les modèles murins naturels ou obtenus par ingénierie génétique reproduisent en général fidèlement les formes de surdité humaines correspon-dantes [5], ce qui a permis dans la plupart des cas de préciser le rôle des gènes de surdité identifiés [6]. De plus, la durée de vie de la souris permet à la fois d’évaluer le rôle joué par l’environnement, notamment sonore, dans l’évolution de la surdité, et d’apprécier l’efficacité d’un traitement à long terme.

Stratégies de transfert de gènes pour une thérapie applicable

à l’oreille interne

Dans la thérapie génique, un gène est transféré à des cellules défi-cientes par l’intermédiaire de transporteurs viraux ou de cargos de membranes artificielles capables d’atteindre et de pénétrer dans la cellule cible. Le vecteur est choisi en fonction de l’objectif thérapeutique recherché, des cellules à atteindre, et du gène à transférer. Par ailleurs, l’utilisation d’un promoteur spécifique ou de vecteurs viraux particuliers permet de contrôler l’expression spatio-temporelle du gène transféré.

À ce jour, plusieurs types de vecteurs ont été utilisés comme moyen de transfert d’agents thérapeutiques dans la cochlée. Les vecteurs non viraux, tels que des plasmides seuls ou enrobés dans des composés lipidiques, ont l’avantage de présenter une toxicité faible et d’entraî-ner une inflammation réduite par rapport aux vecteurs viraux [7-9]. Malheureusement, ces vecteurs ont montré une efficacité de transfert limitée et un faible taux d’expression du transgène, ce qui limite leur utilité [10, 11]. Des études plus récentes ont porté sur l’utilisation de vecteurs viraux dépourvus des séquences génomiques responsables

de leur réplication, afin de cibler l’expression du trans-gène dans un type particulier de cellules cochléaires

[12-14]. Différents vecteurs viraux ont été testés dans la cochlée : adénovirus [11], virus adéno-associés (adeno-associated virus, AAV) [7], lentivirus [7], virus herpes simplex [15, 16], et virus de la vaccine [16]. Le vecteur viral qui a rapidement retenu l’attention pour le transfert de gènes dans l’oreille interne est l’AAV, du fait de la simplicité de son génome et des nombreux sérotypes et variants génomiques disponibles. Ce vec-teur, non pathogène et peu immunogène, permet une expression du transgène stable dans le temps. Il est capable d’infecter des cellules qui ne se divisent plus (c’est le cas des cellules sensorielles de la cochlée). Il persiste de façon prolongée sous forme épisomale (extrachromosomique) et a un faible risque d’intégra-tion dans le génome [17]. Enfin, son utilisation a été récemment approuvée par l’Agence du médicament européen (EMA) pour le traitement d’une maladie génétique rare, le déficit en lipoprotéine lipase1. À ce jour, 12 sérotypes d’AAV ont été décrits et classés (AAV1 à -12), et plus de 100 variants ont été isolés

[18]. Chaque sérotype possède un tropisme préféren-tiel, offrant ainsi la possibilité d’un meilleur ciblage cellulaire du transgène. Une étude récente a montré que les sérotypes AAV1, -2, -5, -6, et -8 transduisent avec une efficacité variable les cellules ciliées, les cellules de soutien et les neurones cochléaires [12-14]. Toutefois, compte tenu de la taille de la capside de l’AAV (24 nm de diamètre), le transgène (cassette d’expression) ne doit pas dépasser 4,7 kb [19], ce qui limite le nombre de gènes pouvant être intégrés dans ce vecteur. Cependant, de nouvelles techniques et de nouveaux concepts sont en cours de développement afin d’augmenter la capacité d’encapsidation de l’AAV

[20]. Des virus hybrides ou pseudotypés, où le génome et la capside sont de sérotypes différents, ont été également construits pour augmenter l’efficacité de la transfection [21] (Figure 2).

Des avancées significatives ont été obtenues concer-nant la voie d’administration dans la cochlée. L’ex-pression du transgène a été détectée lorsqu’on applique une éponge de gélatine résorbable imbi-bée de la préparation virale sur la membrane de la fenêtre ronde partiellement perméabilisée par la collagénase [22]. Une autre étude a montré que le traitement de la membrane de la fenêtre ronde par l’acide hyaluronique augmente la proportion des cel-lules ciliées transfectées [23]. Néanmoins, pour un

1 http://www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/news_and_events/

(4)

génique dans le cadre des maladies de l’oreille interne comportant des cellules ciliées défectueuses : la régé-nération des cellules ciliées pour les surdités acquises, et l’introduction thérapeutique d’un gène fonctionnel pour corriger les surdités génétiques.

La régénération des cellules ciliées

À la naissance, nous possédons un capital d’environ 30 000 cellules sensorielles auditives, sans aucune

capacité de régénération spontanée [32]. Ainsi, les

pertes auditives les plus fréquentes, qui sont dues à une dégénérescence des cellules sensorielles, sont irréversibles. Une voie thérapeutique de réparation cellulaire par transfert de gènes est devenue envisa-geable grâce à une meilleure connaissance des gènes contrôlant le développement et la régénération des cellules ciliées. Le gène Atoh1 (atonal homolog 1) (Math1 chez la souris) a été l’une des premières cibles

des stratégies de régénération de ces cellules [24]. Ce gène code pour un facteur de transcription qui induit la différenciation de cellules ciliées à partir des cellules

de soutien de l’organe de Corti [6]. Il a été montré

que l’expression du transgène Math1 véhiculé par un adénovirus induisait une régénération des cellules ciliées par transdifférenciation des cellules de soutien.

meilleur contrôle de l’expression spatio-temporelle et de la quan-tité d’agent thérapeutique transférée, une injection directe dans la cochlée reste l’approche la plus efficace. Nous avons observé que la microinjection intracochléaire d’AAV à travers la membrane de la fenêtre ronde de souriceaux âgés de deux jours n’affecte pas la morphologie de la cochlée (Meyer et al., résultats non publiés). Contrairement à ce qui a été décrit chez les souris injectées au stade adulte [12], les seuils auditifs enregistrés au niveau de l’oreille au-delà de la deuxième semaine postopératoire chez les animaux injectés au stade précoce sont comparables à ceux de l’oreille témoin, suggérant que la chirurgie et l’injection du vecteur AAV n’interfèrent guère avec le processus de maturation du système auditif et la fonction cochléaire. Ces résultats sont très encoura-geants pour développer des approches thérapeutiques applicables en clinique, avec une bonne préservation de la fonction auditive. En effet, cette approche pourrait être une alternative à la cochléos-tomie (ouverture de la cochlée au niveau de la paroi latérale de la rampe tympanique), plus difficile à réaliser et moins attrayante, car elle peut provoquer des lésions de la cochlée avec une perte significative de cellules sensorielles auditives.

thérapie génique cochléaire

Depuis une quinzaine d’années, deux grandes voies de recherche ont été développées pour tenter de restaurer l’audition par thérapie

Figure 1. Représentation schématique de l’oreille humaine. A. Représentation

schéma-tique de l’oreille externe, de l’oreille moyenne et de l’oreille interne, où se trouve la cochlée (organe de l’audition). La cochlée communique avec l’oreille moyenne par deux orifices ou fenêtres, fermés chacun par une membrane : la fenêtre ronde et la fenêtre ovale, dont la membrane est en contact avec l’étrier (le der-nier des trois osselets de l’oreille moyenne).

B. Représentation schématique de l’oreille

interne. C. Coupe transversale de la cochlée.

D. Vue agrandie de l’épithélium sensoriel audi-tif (organe de Corti). Le canal cochléaire (CC)

est rempli d’endolymphe et contient l’organe de Corti. Il est séparé de la rampe vestibu-laire (RV) par la membrane de Reissner, et de la rampe tympanique (RT) par la membrane basilaire (MB). L’organe de Corti comprend deux types de cellules sensorielles réparties en une rangée de cellules ciliées internes (CCI), connectées aux neurones auditifs primaires, et trois rangées de cellules ciliées externes (CCE), ainsi que des cellules de soutien (CS). L’injection, après cochléostomie ou à travers la membrane de la fenêtre ronde (B) est la technique la plus utilisée pour le transfert de gène dans l’oreille interne. TM : membrane tectoriale.

Oreille externe Oreille interne

Oreille moyenne

Étrier

Fenêtre ovale Fenêtreronde

A B C D RV RT CC TM Neurones cochléaires CCI CS MB CCE Fenêtre ronde Cochléostomie

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SYNTHÈSE

REVUES

Cette approche a permis une récupération partielle de l’audition chez

des animaux (souris et cobayes) rendus sourds [10]. La thérapie par

régénération cellulaire fait l’objet de nombreux travaux, car elle est potentiellement applicable à la plupart des formes de perte auditive, notamment à la presbyacousie, ainsi qu’aux surdités consécutives à un traumatisme acoustique, une infection, ou un traitement

médi-camenteux ototoxique (aminoglycosides, cisplatine) [31].

Cepen-dant, cette approche n’est en principe pas applicable aux surdités génétiques, car les nouvelles cellules sensorielles induites par Math1 subiront encore l’effet de la mutation génétique qui a conduit à leur dégénérescence. Ainsi, le remplacement du gène défectueux est nécessaire pour corriger les surdités héréditaires. Mais le traitement des surdités génétiques par thérapie génique comporte une difficulté supplémentaire. Contrairement à la régénération des cellules ciliées, pour laquelle une expression du gène approprié limitée dans le temps suffirait, l’expression durable du transgène est le plus souvent néces-saire pour corriger les surdités génétiques. C’est probablement ce qui explique le peu de résultats convaincants obtenus à ce jour par cette approche.

Les surdités génétiques

La stratégie thérapeutique peut être différente selon la forme de surdité à traiter. Les surdités transmises sur le mode autosomique dominant (environ 15 % des cas) sont généralement progressives, et la pathogénie de ces surdités relève souvent d’un mécanisme domi-nant négatif, plutôt que d’une haplo-insuffisance. Dans ce cas, l’objectif thérapeutique est d’arrêter la progression de la surdité en inhibant l’expression de l’allèle muté sans affecter celle de l’allèle sain. Un moyen de réaliser cette inhibition sélective de l’allèle muté est d’utiliser l’interférence ARN (ARNi). Deux types de petites molécules d’ARN double brin sont uti-lisés pour l’interférence ARN : les petits ARNi (siARN,

small interfering ARN) et les micro-ARN (miARN). Les

siARN se lient à des séquences complémentaires sur l’ARN messager cible, ce qui entraîne généralement sa dégradation ou une répression de sa traduction en protéine [25]. Les miARN interfèrent avec l’expression

Capside et génome AAV8 AAV pseudotypé (génome AAV2 et capside AAV8) A B C D AAV8 AAV2 AAV2/9 AAV1 AAV2/8 AAV2/5 AAV2/9 AAV2/1 AAV2/9 AAV1 AAV8 CCI CCE

Neur

ones

co

chlé

a

i

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T

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min

ais

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a

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Figure 2. Transfert de gène dans l’oreille interne. A. Sérotypes d’AAV les plus couramment utilisés pour le transfert de gène dans l’oreille interne

selon leur tropisme cellulaire (CCE, CCI ou neurones auditifs primaires). Les vecteurs AAV2/1, AAV2/5, AAV2/8, et AAV2/9 sont appelés « pseudo-typés », car leur génome est encapsidé dans une capside d’AAV2. De tels vecteurs ont permis d’améliorer la proportion de cellules transfectées.

B. Représentation schématique de l’organisation des connexions entre les neurones auditifs primaires (neurones cochléaires) et les cellules

senso-rielles. Les projections des neurones cochléaires (en vert) pénètrent dans le canal cochléaire pour atteindre l’organe de Corti, qui abrite les cellules ciliées (en gris foncé). C-D. Images en microscopie confocale de préparations d’organes de Corti. Ils sont doublement marqués, pour l’otoferline (en rouge), protéine produite par les cellules ciliées internes, et pour la GFP (en vert), produite par les cellules transfectées, une semaine après injection dans la cochlée, à travers la membrane de la fenêtre ronde, d’une préparation de vecteurs viraux contenant un gène rapporteur codant pour la GFP. AAV8 et AAV1 transfectent de manière prédominante les neurones cochléaires (C) et les cellules ciliées internes (D), respectivement.

(6)

de gènes spécifiques en se liant à la séquence nucléotidique complé-mentaire [26].

À ce jour, il existe peu de publications concernant l’utilisation de l’interférence ARN pour la thérapie des surdités. L’un des résultats les plus encourageants a été obtenu en utilisant une souris défec-tueuse pour le gène codant pour la connexine 26, modèle de la forme DFNA3 de surdité autosomique dominante progressive humaine. Une éponge de gélatine résorbable imbibée de liposomes enrobant l’ARNi spécifique de la connexine 26 a été placée contre la membrane de la fenêtre ronde. Cela a permis de réduire de 70 % l’expression de l’allèle muté et de stopper la progression de la perte auditive, sans diminution significative de l’expression de l’allèle sauvage [27]. Cela démontre que l’interférence ARN peut être utilisée in vivo avec une spécificité et une efficacité satisfaisantes pour prévenir la perte d’audition d’une surdité génétique par effet dominant négatif. Une étude récente, dans un modèle murin de la surdité autosomique dominante progressive

DFNA15 par mutation du gène POU4F3 (POU class 4 homeobox 3), a par

ailleurs montré qu’on peut empêcher la dégénérescence des neurones

cochléaires par une thérapie génique via un adénovirus [28] forçant

l’expression du gène codant pour le facteur de croissance BDNF

(brain-derived neurotrophic factor), un facteur nécessaire au développement

et à la maintenance de l’innervation des cellules ciliées internes de la cochlée. Une telle approche pourrait être utilisée pour améliorer l’efficacité des implants cochléaires, dont le principe repose sur une stimulation électrique directe des fibres du nerf auditif.

Certaines surdités transmises sur le mode autosomique récessif (80 % des cas) pourraient être traitées par transfert du gène sain correspon-dant au gène défectueux. Des résultats encourageants ont été obtenus chez la souris. L’audition des souris défectueuses pour la connexine 30 a été partiellement rétablie en surexprimant le gène codant pour la connexine 26 [29]. Plus récemment, une restauration de l’audition a été obtenue chez les souris homozygotes mutantes dépourvues du transporteur vésiculaire du glutamate VGLUT3. Ces souris, considérées comme un modèle de la surdité humaine autosomique dominante DFNA25, retrouvent une audition quasi normale sept jours après une seule injection intracochléaire du gène Vglut3 vectorisé dans le virus

adéno-associé AAV1 [30]. Une telle approche consistant à compenser

la perte de fonction du gène défectueux par transfert d’une copie saine de ce gène dans les cellules qui l’expriment, apparaît comme la plus prometteuse pour traiter efficacement et durablement certaines formes génétiques de surdité.

Conclusion

Lors de la conception d’un protocole de transfert de gène dans la cochlée, plusieurs points essentiels sont à prendre en compte : la fiabilité et la reproductibilité des résultats obtenus, la quantité et la durée de l’expression du transgène, les effets secondaires éventuels. L’existence d’une barrière hémato-cochléaire implique que le gène correcteur doit être vectorisé et injecté directement dans l’oreille interne. L’expression efficace et durable du transgène dans les cel-lules ciblées dépend ensuite, en grande partie, du vecteur utilisé, d’où

l’importance des recherches actuelles en vectorisation. En ce qui concerne les AAV, de nombreuses possibilités restent à explorer compte tenu du nombre de sérotypes disponibles, de la possibilité de modifier la capside virale, et des multiples voies d’injection possibles dans la cochlée. La maîtrise des différentes difficultés évo-quées conditionne l’application clinique des recherches actuelles et futures sur la thérapie génique. Celle-ci pourrait alors devenir un outil très utile pour la pro-tection, la réparation et la régénération des cellules de l’oreille interne.‡

SUMMARY

Gene therapy for human hearing loss: challenges and promises

Thanks to the advances accomplished in human geno-mics during the last twenty years, major progress has been made towards understanding the pathogenesis of various forms of congenital or acquired deafness. The identification of deafness genes, which are poten-tial therapeutic targets, and generation and func-tional characterization of murine models for human deafness forms have advanced the knowledge of the molecular physiology of auditory sensory cells. These milestones have opened the way for the development of new therapeutic strategies, alternatives to conventional prostheses, hearing amplification for mild-to-severe hearing loss, or cochlear implantation for severe-to-profound deafness. In this review, we first summarize the progress made over the last decade in using gene therapy and antisense RNA delivery, including the deve-lopment of new methods for cochlear gene transfer. We then discuss the potential of gene therapy for curing acquired or inherited deafness and the major obstacles that must be overcome before clinical application can be considered. ‡

ReMeRCieMentS

Les auteurs remercient chaleureusement le Dr Jean-Pierre Hardelin pour la relecture de cet article et la pertinence de ses remarques.

LienS D’intÉRÊt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les don-nées publiées dans cet article.

RÉFÉRenCeS

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génétique moléculaire. Med Sci (Paris) 2004 ; 20 : 311-6.

2. Di Domenico M, Ricciardi C, Martone T, et al. Towards gene therapy for deafness. J Cell Physiol 2011 ; 226 : 2494-9.

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SYNTHÈSE

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