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Le cardinal Richelieu dans les romans de Vigny et les romans de Dumas.

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ET LES ROMANS DE DUMAS

A Thesis Preseilte d to

The i'aculty of (Jraduate studies and Research MoGill University

In partial Fulfilment

of the Requirements for the Degree Master of Arts

hy

Mary Catherine Matthers April 1948

(4)

CHAPITRE PAGE I. LE ROMAN HISTORIQ,UE CHEZ LES ROIIA1 Ixl ^UES 1

Le roman en general • 1 Le roman historique de Vigny et Dumas 4

II. LE CARDINAL RICHELIEU DfAPRES VIGNY 8

Portrait physique 9 yualites d'esprit 14 Relations avec les hommes 28

Critique des contemporains et de Vigny 46

III. RICHELIEU TEL Q,UE DUMAS LfA FEINT 48

Portrait physique 49 Q,ualites dfssprit 49 Relations avec les hommes 55

Critique de Dumas 61 IV. LE CARDINAL RICHELIEU H I S T O R I Q U E — 63

Portrait physique 64 ^ualites dfesprit 68 Relations avec les hommes 78

V. CRITIQUE DE LA CONCEPTION DE L'HISTOIRE DANS

VIGNY ET DAHS DUMAS ET CONCLUSION 109

Critique de Vigny 109 Critique de Dumas 116 Conclusion . 122

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LE ROMAN HISTORIQUE

Le roman historique fut popularise en Angleterre par Walter Scott. Ses romans eurent une influence tres profonde sur les romanciers trangais, surtout sur les

jeunes romantiques.

Dans les romans de Scott, on voit l'histoire, plus ou moins juste, comme un fond, et les vrais personnages comme les personnages de second plan, on y trouve le goüt de la violence, des conjurations, des longues descriptions qui donnent la couleur looale.

Les jeunes romantiques, parmi qui on ne va consi-derer ici que Vigny et Dumas, trouverent dans les romans de Scott et les drames historiques de Shakespeare une tres grande Inspiration.

Suivant cette inspiration

prosateurs et poetes frangais allaient delaisser

l'histoire ancienne pour ne s'inspirer plus que de lfhis toire nationale: il en facilitait la connaissance et travaillait ä la remettre en honneur. La jeune gene-ration etait avide de pittoresque et de couleur locale: il apportait lfun et lfautre avec profusion. Elle vou-lait partout des ömotions vives et des sensations fortes il prit plaisir ä etaler devant eile les spectacles

les plus poignants et les tragedies les plus doulou-reuses.l

1 Louis Maigron, Le Roman Historique ä LfEpoque Ro-mantique (Essai sur l'inTTuence de Walter Scott) NouvelTe Edition, Paris, Librairie Champion, 1912. 247 pp. p. 70.

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Or, quelle idee se fait-on de l'histoire au XVIIe et XVTIIe siecle? On connait, il est vrai, avec assez d'exactitude les faits et les successions de faits de quelques epoques . . . Mais quelles etaient les moeurs de ces epoques, leur fagon de sentir et de penser,

leur äme enfin—ce qui est justement la seule matiere possible du roman historique,—cfest ce qu'il semble

difficile dfavoir ignore d*une ignorance plus profonde.2 Mais, il est evident que l'exactitude historique ne fut m§me pas le desir des romantiques. Selon leur theorie de l»art, lfauteur decrit une vie de verite mais pas une vie vraie. il choisit les faits, les caraeteristiques, et les couleurs. "L'histoire ne doit servir qu*ä rendre lfaction plus caracteristique.w3 Alfred de Vigny expliqua toute cette thäorie, qui est certainement surprenante

pour ceux qui sfappelerent historiens.

Ses REFLEXIONS SUR LA%VERITE DANS LfART nous

inspirent tout de suite ä cet egard une legitime de-fiance. La theorie qufelles exposent est fort belle et fait le plus grand honneur a l'esprit le plus

"penseur" assurement de la litterature romantique; elles ne pouvaient qu'Stre dangereuses pour le ro-man historique. On ne "choisit" pas, on ne ttgroupen

pas "autour drun centre invente" quand tous les per-sonnages "choisis", quand le groupe lui-meme et le "centre" sont rigoureusement historiques et eclaires jusque dans les moindres details de la plus vive

lumiere.^

2 Maigron, 0£. ort., P« 8.

3 Victor Hugo, Preface de cromwell, Oxford Press Wahl, editeur« p. LTV«

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Apres tout, comme dit Brunetiere «La valeur d*un roman historique depend de la quantite d'histoire . . . et surtout, de la qualite d'histoire dont il est en partie constitue".5

Mais, möiae si le romantique sfinquieta peu de la verite historique, il sfoccupa bien de donner une atmosphere authentique ä son oeuvre. pour obtenir

ce resultat, il donna des descriptions tres detaillees du cadre, il crea la couleur locale.

Dans le roman historique ainsi constitue, on voit la place que doit necessairement occuper la couleur locale. Elle est toute, ä la lettre, puis-que par definition eile constitue le roman

lui-mSme. ö

Avec les romantiques, l'interet passe des faits aux moeurs, ä la couleur; de recit apocryphe le ro-man historique devient ou pretend devenir peinture

exacte. evocation: cfest lfeveil du sens histo-rique.^

A cote de cette couleur locale, on trouve plusieurs autres caraeteristiques communes ä tous les romantiques. Les heros de leurs romans sont tres semblables. On y

voit des sentiments extremes dfamour et dfesperance, suivis

5 Ferdinand Brunetiere, Victor Hugo, Hachette, Paris, 1908. Tome I, p# 227.

6 Maigron, op. cit.> p. 45.

7 Gustave Lanson, Histoire de la Litterature Franchise , Hachette, Paris, p. 992.

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ou quelquefois accompagnes par des sentiments de haine et de desesperance. Le heros, ayant tout a fait perdu lfart de penser et de raisonner, est la victime des ex-ces de melancolie et d»enthousiasme alternes. En chaque heroine il y a une peur, presque une terreur de l'inconnu, un desespoir social, un manque d»initiative qui semblent presque ridicules aux gens du vingtieme siecle.

Pour preciser, nous allons examiner le Cinq-Mars de Vigny et Les Trois Mousquetaires de Dumas, ici on trouvera l'expression parfaite des goüts romantiques. On sait deja ce que pense Vigny de la vörite historique, il expliqua ses theories dans ses Reflexions sur la

Verite dans l*Art. Les idees de Dumas sont un peu semblables, ainsi:

Il est arrive un jour ä Dumas de se caracte-riser admirablement dans une de ses amüsantes et exuberantes CAÜSERISS* "Lamartine est un reveur, Hugo est un penseur; moi, Je suis un

vulgarisa-teur.,f8

Vulgariser un livre dfhistoire, pour en faire un roman, nfest pas le resumer. C'est en donner une espece de transposition plus attrayante, aui sens vulgaire du mot. on supprime les parties atides ou^ seulement trop serieuses, et lfon developpe ä l«exces ce qui contient un element de pathetique facile ou de curiosite banale.9

8 Maigron, op. cit.> p. 195 9 Ibid., p. 196.

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Pour en elaborer un peu, on peut voir dans Les Trois Mous-quetaires de Dumas comment il laissa ä peu pres complete-ment de cöte les diffieultes politiques de la Erance et

du premier ministre, le Cardinal'Richelieu*; en parlant du siege de La Rochelle, il ne mentionna guere le grand travail pour construire la digue, il ne trouva pas ces sujets assez attirants. Mais, tous les incidents dans lesquels figura la reine Anne dfAutriche trouverent une tres grande place dans son roman. Les grandes batailles entre l'armee frangaise et l'armee anglaise ne lf

int6-resserent pas du tout, mais les duels et les sorties dans lesquelles ses mousquetaires se firent remarquer eurent un interet enorme pour cet auteur.

En considerant les vrais personnages historiques qui figurent dans ces deux romans on les trouve, comme dit Lanson, "plus fantastiques souvent qu'historiques".10 Dumas, suivant lfexemple plus proche de Scott, se servit

de ses personnages seulement comme un fond. Pourtant, ce fut un fond tres important, duquel dependait tout le

X U y a deux manieres dfecrire ce titre: le Car« dinal Richelieu et le Cardinal de Richelieu. Celle-ci est la maniere de Vigny; oelle-lä est l'usage plus fre quent ä present.

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roman. par exemple, son portrait de Richelieu ou de Louis XIII ne fut pas tres detaille mais ce fut de ces

deux hommes, et de la reine Anne d'Autriche, que dependait toute l'action de son roman. Sans eux et sans eile, il nfy aurait pas occasion pour les grands exploits de

d»Artagnan et de ses amis.

Brunetiere dit au sujet des personnages de Vigny: Vigny les met au premier plan; et sfil a

bien vu quelques traits en effet de Louis XIII, de Richelieu, de Cinq-Mars; sfil a bien vu que Richelieu, en abattant le pouvoir de la noblesse, avait en definitive caus6 un prejudice ä la Royau-te; en insistant comme il lfa fait sur Richelieu et son oeuvre, il nous a donne le droit de lui demander compte de toutes ses inexactitudes, les moindres et les plus grandes: il se presente

comme un historien, et^nous sommes portes ainsi _ ä le juger comme tel, ä le critiquer comme tel.

Dumas et Vigny, tous les deux, ecrirent des ro-mans remplis de violence, de duels, de conjurations, et

de pitie pour les victimes des tyrans. Un mot sur ce dernier point—Dumas identifia les victimes avec Anne dfAutriche et sa lingere, constance Bonacieux; Vigny trouva sa victime en urbain Grandier, de qui on parlera en detail plus tard.

11 Ferdinand Brunetiere, Histoire de la Litterature Franpaise, Troisieme Edition, Paris, Delagrave, 1929.

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idees romantiques avec leur emploi de la couleur locale. On dit de Dumas: " H devait son succes au pittoresque et ä la couleur locale"1^; ae Vigny, avec Cinq-Mars:

La couleur locale y est meme si juste, eile a si bien penetre les parties intimes de lfoeuvre, gufelle est remontee ä la surface et sfest etendue a lfexterieur. Les personnages de Cinq-Mars ne se contentent pas dfavoir les sentiments et les goüts de leur epoque, ils en ont encore les expressions et le style.1*5

et encore,

Musique et duels, rubans et con^'urations, vers^galants et bravoure temeraire a l'assaut, voilä bien le monde de la cour sous Louis XIII. Cfest le monde de Cinq-Mars. Jamais roman his-torique nfavait ete mieux situe.14

Une etude des caraeteristiques du roman his-torique en trouvant des exemples tires des oeuvres romantiques serait sans doute interessante, mais qufil faut limiter. Donc, nous etudierons seule-ment les personnages historiques de ces oeuvres: Cinq-Mars de Vigny; et Les Trois Mousquetaires de Dumas; et surtout le personnage du Cardinal Riche-lieu.

1 2 Maigron, op. cit., p. 200 !3 ibid., p. 128

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RICHELIEU DfAPRES VIGNY

Dans son roman, Cinq-Mars, Alfred de Vigny s'oc-cupa d'un Richelieu qui a deja atteint son apogee et qui s'affaiblit peu ä peu. cfest la periode de sa vie apres sa victoire ä La Rochelle. M§me si le Cardinal a vaincu

tous ses ennemis, il y avait une serie, presque continuelle, de conjurations de la noblesse avec le but de regagner

leur pouvoir. Cinq-Mars, le protagoniste de lfhistoire, est lie surtout ä la chute du Cardinal; cfest lui qui sfest Charge de lfassassiner.

On peut voir dans ce jeune noble tous les traits de caractere de la noblesse, un peu exageres,

peut-§tre, mais vraisemblables. Jeune, orgueilleux,

impe-tueux, Cinq-Mars est sans connaissance et sans experience de la vie politique. C'est un vrai heros romantique,

accable de melancolie, entoure de mystere et pousse par sa pitie pour les victimes de la tyrannie du Car-dinal et par son impossible amour pour une princesse destinee ä devenir reine de Pologne.

Mais ce nfest pas ce jeune noble, personnifi-cation des vertus romantiques, qui nous interesse ici. Cfest plutöt son ennemi mortel, lfennemi implacable

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de tous ceux qui se sont opposes au pouvoir royal, le Cardinal Richelieu. Vigny se considere comme historien aussi bien que romancier, mais, dans une etude de sa caracterisation du Cardinal, on distingue beaucoup

plus le romancier que l'historien. il previent le lec-teur que pour lui, comme pour tous les romantiques, l'histoire n'est qu'un moyen d'exprimer ses idees, un fond pour le developpement de ses theories sur lfhu-manite. Mais, quand un auteur choisit pour un de ses personnages de premier plan un personnage historique, le lecteur a le droit d*etudier soigneusement ce per-sonnage pour voir ce qui est histoire et ce qui est imagination de 1»auteur. cfest precisement ce que nous ferons.

Examinons d'abord les caraeteristiques physiques du Cardinal Richelieu comme les voit Vigny. La

pre-miere description qufil donne du ministre est dans son cabinet de travail. Tout y est silencieux säur pour le grincement des plumes dont les secretaires et les pages se servent pour copier ses lettres et ses autres papiers d'etat. Se croyant inobserve, un page essaie de lire un billet doux, mais soudainement la voix terrifiante du maitre lui demande son billet. Il refuse et regoit son conge. Enfonce dans un

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Cfest l»esprit plutöt que le visage qui effraie. Il avait le front large et quelques cheveux forts blancs, des yeux grands et doux, une figure päle et effilöe ä laquelle une petite barbe blanche et pointue donnait cet air de finesse que lfon re-marque dans tous les portraits du siecle de Louis XIII. Une bouche presque sans levres, et nous

sommes forces dfavouer que Lavater regarde ce signe comme indiquant la mechancete ä nfen pouvoir dou-ter; une bouche pincee, disons-nous, etait enca-dree par deux petites moustaches grises et par une royale, ornement alors ä la mode, et qui ressemble assez'a une virgule par sa forme, ce vieillard avait sur la täte une calotte rouge et etait en-veloppe dans une vaste robe de chambre et portait

des bas de soie pourpree et nf6tait rien moins qufArmand Duplessis, cardinal de Richelieu.^

II nfy a presque rien dans un tel visage qui indique la vilenie que lfauteur attribue toujours au ministre sauf la phrase qui parle des levres pincees. Ici il suggere au lecteur que la bouche du vieillard revele son vrai caractere. C'est sur cette idee de mechan-cete que Vigny insiste dans tout le roman.

Cette scene qui se termine par lfexpulsion d*un page pour une faute assez legere montre la force de la colere de Richelieu et aussi son desir pour une autorite si absolue qufon obeit sans ques-tions ä ses ordres meine les plus menus.

Le deuxieme portrait du cardinal qufon voit

1 Alfred de Vigny, Cinq-Mars, Paris, Calmann, Levy, editeurs, 1898. p. 96.

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est celui d'un guerrier. on sait bien que, dans une Periode de guerre continuelle, chaque homme avait une connaissance plus ou moins grande des choses militaires. On sait aussi que le cardinal s'etait prepare pour la vie de soldat avant que la pauvrete de sa famille et la defection de son frere ne lfeussent force ä entrer dans la vie religieuse. ses goüts militaires sont toujours sensibles. Vigny se servit de ces faits

pour sa deuxieme description du Cardinal. Le ministre et le roi sont ensemble au siege de perpignan, oü,

tous deux trouvent un peu de contentement dans la vie et lfactivite militaire. Le Cardinal dirige le de-ploiement des troupes dfune position avantageuse, qui commande une vue du champ de bataille. A ce moment-lä son pouvoir est tel que m§me ses generaux les plus capables ne discutent pas ses ordres avec lui. Dis-cuter cfest signer son propre ordre dfexecution.

Cependant Richelieu, sans changer de place, mais lfoeil ardent et le geste imperatif, ne

ces-sait de multiplier les ordres en jetant sur ceux qui les recevaient un regard qui leur faisait entrevoir un arret de mort sfils nf obeissaient pas assez vite.

Si lfon voyait le cardinal pendant une bataille on aurait des difficultes ä reconnaitre l*homne d'eglise dans ce guerrier. La description que donne Vigny du

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Cardinal s»applique aussi bien ä n'importe quel jour qu'au jour dont il parle.

Ce jour-lä le cardinal parut revetu d*un costume entierement guerrier: c*etait un habit

couleur de reuille morte, borde en or; une cuirasse couleur dfeau; l'epee au cöte, des gistolets ä

lfargon de sa seile, et le chapeau a plumes qufil mettait rarement sur sa tete, oü il conservait toujours la calotte rouge.3

Il serait remarquable ä präsent de trouver un haut di-gnitaire dfune eglise quelconque tellement belliqueux, mais cfetait moins etonnant ä la periode de Richelieu. Cependant, bien des gens, Vigny parmi eux, le trouvaient assez etonnant et sfen servaient comme base pour criti-quer le cardinal.

Mais, si la noblesse critique Richelieu pour toutes ses actions, le peuple se montre plus tolerant. M§lee avec la peur on trouve lf admiration. "Des

long-temps la Erance etait ployee ä son joug, et 1»admira-tion en avait exclu de toutes ses ac1»admira-tions le ridicule auquel un autre eüt ete quelquefois soumis."4

Ce vieillard, comme l'appelle Vigny, inspire de la peur de deux fagons: une peur de ce qu'il va faire et une peur de ce qu'il a deja fait ou de ce qu«il a fait faire. Le monde craint de lui desobeir, il craint

3 Vigny, o£. cit., p. 151 4 Ibid., p. 150.

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de le critiquer tout haut, il craint ses proces spe-ciaux, avec les juges comme Laubardemgnt. Mais, apres avoir obei ä ses ordres, on trouve qufon a encore peur. Comme dit un des personnages de Cinq-Mars: "La vue du Cardinal mfa fait fremir; le souvenir de ses crimes aux-queisj'assistai mfa empeche de lui parier; il me fait

horreur. . . ."5 LfImpression que Vigny donne au lecteur cfest que la sceleratesse du Cardinal est si enorme

qufelle est presque indescriptible.

Le dernier portrait du ministre que Vigny depeint est celui dfun homme affaibli par une maladie grave et par un äge assez avance. On sait que le Cardinal souffre de plusieurs maladies, penibles et presque inguerissables

". . • il lui prit une toux violente et longue, qui finit par un leger crachement de sang."° Sa sante est si precaire qufil passe bien des heures ä se pr6parer ä la mort.

. . . je ne mfoccupe, dans mes heures de repos, que de ma Methode des Controverses, et du livre sur la Perfeotion du Chfetien. Je songe que jfai

cinquante-six ans et une maladie qui ne pardonne guere.

Ce sont des calculs que vos ennemis fönt aussi exactement que Votre Eminence 7 . . . .

b Tigny, 0£. cit., p. 169. 6 Ibid., p. 104.

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Ses ennemis attendent aussi sa mort, mais plus impatiem-ment, et plusieurs fois ils craignaient que ses maladies

ne leur otent la täche de le tuer. Pendant les dernieres annees de sa vie ses maladies deviennent si fortes que "ses infirmites ne lui permettant ni dfaller en voiture, ni de faire toute cette route ä cheval,fS, il se trouve bien incommode. II est necessaire qu*il voyage ä tra-vers la France pour se tenir pres du roi, pour accom-plir ses plans, pour achever la guerre. Donc, il fait bätir une litiere si enorme qufil fallait demolir des maisons pour qufil puisse passer dans la rue.

Cette sorte de chambre nomade renfermait un lit, une table, et une petite chaise pour un page qui devait ecrire ou lui faire la lecture. Cette machine, couverte de damas couleur de pourpre, tut portee par dix-huit hommes qui, de lieue en lieue, se relevaient; ils etaient choisis dans ses gardes, et ne faisaient ce service dfhonneur que la tete nue, quelle que fut la chaleur ou la pluie.9

Etudions maintenant une partie beaucoup plus grande et plus importante du portrait de Richelieu par Vigny—ses qualites d'esprit.

Puisque ses ennemis critiquent toujours la poli-tique et lfemploi du pouvoir du ministre, nous pouvons logiquement commencer avec les caraeteristiques qu'il y montre: la tolerance religieuse, lfanimosite ä lfegard

8 Vigny, 0£. cit., p. 118. 9 Ibia». PP« H 8 - 9 .

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pour la reine et son desir de garder son pouvoir pres du roi. Voilä son motif inavouö mais connu de tout le monde. Malgre cette connaissance Vigny lui fait dire

en public: n. . . Car nous n'avons pas de secrets; notre politique est franche et au grand jour: lf int<§-ret de Sa Majeste et de l'Etat, voilä tout11.11 Et de plus, le Pere Joseph, son camarade constant, justifie leurs actions en disant qu'elles sont commises wpour fonder un grand pouvoir" •^•8

Lfamour du pouvoir dans Richelieu se presente

sous plusieurs aspects: parmi eux, sa puissance actuelle, plus ou moins voilee, et son ambition dömesuree. Df

a-bord, on peut tres bien dire i±ue Richelieu est le centre de la monarchie, bien qufil ne regne qufau nom du roi. Cependant, cfest ä lui que le monarque doit son pou-voir et la gloire de son nom, teile qu'elle soit. Le Cardinal donne toujours lfimpression de mepriser son roi, de ne se servir de lui que pour garder sa place. On sent que, meme si le Cardinal n'est pas visible, meme si son nom nfest pas mentionne, il nfy a aucun acte dans tout le pays qufil n'inspire pas. Son pou-voir est comme les rilets dfune araignee qui sfetendent

11 Vigny, 0£. cit.§ p. 116 1 2 Ibid., p. 402.

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partout, encerclant les coeurs de tous les hommes et leurs pensees les plus sacrees. La noblesse reconnait sa puissance et la craint, en disant:

Si Richelieu triomphe, les antiques monuments

de la monarchie crouleront avec nous; la cour regnera seule ä^la place des Parlements, antiques barrieres et en meme temps puissants appuis de l'autorite

royale; mais soyons vainqueurs, et la jj'rance nous devra^la conservation de ses anciennes moeurs et de ses süretes.13

Halgre le fait que Richelieu essaie de donner lfIm-pression qufil travaille uniquement pour le bien public, cfest plus que le patriotisme qui le pousse. II y a

surtout son ambition que la noblesse caracterise comme demesuree. Une fois, en parlant ä ses Satellites, le Cardinal se reyele ainsi:

Bientot le roi succombera sous la lente maladie qui le consume; je serai regent alors, je serai roi de Trance moi-meme; je nfaurai plus ä redouter les

ca-prices de sa faiblesse; je detruirai sans retour les races orgueilleuses de ce pays; jfy passerai un ni-veau terrible et la baguette de Tarquin; je serai seul sur eux tous, lfEurope tremblera. . . .i 4

Toutes ses actions sont colorees par son desir de rea-liser cette ambition.

Ses qualites de ministre sont de premier ordre, il peut se rappeler bien des details en regardant un seul mot. Par exemple, une fois, apres une quereile

13 Vigny, 0£. cit., p. 327. 1 4 Ibid., p. 179.

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avec Sa Majeste, le Cardinal demande sa retraite. Le roi accede ä son desir et, entrant dans le cabinet de travail de son ministre, se met ä apprendre comment re-gier les affaires du royaume. II trouve que, pour chaque question publique il y a un portefeuille, mais dans ce Portefeuille il n!y a que des demi-phrases, des mots isoles: le Cardinal a une methode pour organiser et conserver les documents d'Etat, une methode facile et efficace mais incomprehensible ä tout autre que lui. Pour demeler les affaires et pour faire marcher la machine du gouvernement, il faut que le roi räintegre

son premier ministre dans ses fonctions.

Un autre aspect de son caractere, sa douceur,

se revele ä cette occasion-ci pendant une de ses guerres. Le soir le Cardinal, malade et tres souffrant, est

assis dans sa chaise longue, sur les genoux il tient . . . trois jeunes Chats qui roulaient et se cul-butaient sur sa robe rouge; de temps en temps, il en prenait un, et le plagait sur les autres, pour perpetuer leurs jeux; il riait en les regardant; sur ses pieds 6tait couchee leur mere. 1 5 . . . Parfois un trait de douceur huiaaine, comme celui-ci, öclaire pour quelques instants la durete de son carac-tere.

Pour garder sa position si elevee et si desirable

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il lui faut bien des serviteurs. Le Cardinal en a de plusieurs especes. II a des serviteurs priv&s: ses

cuisiniers, ses gargons, ses valets-de-chambre, et ce-tera; et ses serviteurs publics: ses espions (dont on parlera en detail plus tard), les ronctionnaires dfEtat, et sa garde fameuse (ou doit-on dire infame?). Ses en-nemis essaient de gagner des aides parmi la foule de ses serviteurs en leur offrant des payements illicites, mais presque toujours ils trouvent cette methode inefficace. ft. . . car Armand Duplessis paye bien son monde."16 £Q Cardinal est assez avise pour savoir qufil peut garder rideles ses serviteurs par sa generosit6, si non par sa bonte.

Sa generosite, ou plutot sa liberalite, se montre en dfautres occasions quand on lui parle au sujet de

Corneille, dont il dit qufon nfa rien vu dfinteressant, mais w. . . puisque vous vous y interessez, je lui ferai une pension de cinq cents ecus sur ma cassette".!' Cette liberalite est assez remarquable venant de celui qui se considere un dramaturge de premier rang lui-meme et qui se met en colere si tout le monde nfest pas du meme avis.

Une autre qualit6 que Richelieu trouve importante

16 Vigny, 0£. cit., p. 347. 1 7 Ibid., P* 11?*

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dans sa vie publique, aussi bien que dans sa vie

pri-vee, c'est sa raculte tres developpee d* Observation. II nfy a rien qui lui echappe, meme la chose la plus menue. II possede la faculte de comprendre les pensees et les projets de ceux qui l'entourent rien qufen jetant un coup dfoeil sur leurs physionomies.

Ce ministre possede aussi, jusqu'ä un certain degre au moins, la qualite de la misericorde. II ne laisse pas voir tres souvent cet attribut mais on soup-Qonne sa presence en contemplant ses reactions quand les exigeances dfune bonne politique le forcent ä abandonner le roi Charles Premier dfAngleterre ä ses ennemis. tfEt une lärme parut aux yeux de riichelieu. . . ."18 pQ ut-etre que cette compassion nfest pas tout a fait desinte-ressee parce qufil y a un rapport entre la Situation de Charles qui n'osait pas sauver la vie du comte de Straf-ford et celle de Richelieu qui se croyait oblige de

laisser mourir sur lfechafaud Chalais et Montmorency. 11. . . cf etait lui-meme qufil pleurait dans cet 6tran-ger.ftl9

Pour finir avec ses bonnes qualites, on peut

citer une phrase de Vigny, dans laquelle il est plus

in-18 Vigny, 0£. cit., p. 109 19 Ibid., p. 109.

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dulgent que dfhabitude: MCfetait cette puissance dfat-tention et cette presence continuelle dfesprit qui le haussaient presque jusqufau genie".20

Mais il y a d'autres aspects de

Richelieu—ceux-ci moins favorables et que Vigny met fortement en lumiere. Dfabord, on voit en Richelieu un ministre tres

orgueilleux. II se persuade toujours qu'il est absolu-ment necessaire au fonctionneabsolu-ment de lfEtat, et qufil

agit seulement dans lfinteret de lfEtat. Le Cardinal se trouve l'homme le plus grand et le plus important du

royaume. ^uand il condamne ses ennemis comme nuisibles ä lfEtat, cfest son "orgueil colossal qu*il vengeait ainsi sans se l'avouer ä lui-meme. . . ."21 Mais la

preuve, ou lfexemple, le plus remarquable de son orgueil est le fait qufil a fait conserver ses commandements

dictes au roi de Trance pour regier sa conduite.

Tels etaient les commandements du dieu de la

2'ranee, moins etonnant encore que la terrible naivete qui lui fait leguer lui-meme ses ordres ä la posterite, comme si, eile aussi, devait croire en lui.22

II y a toujours de l1orgueil dans sa maniere mais surtout dans cet incident-ci: cfest a la rin de la

que-20 Vigny, op. cit., p. 157 2 1 Ibid., p. 111.

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relle la plus serieuse de leurs relations, entre Louis

et Richelieu. Ils viennent de gagner une grande bataille, le roi est dans sa tente avec sa cour, le Cardinal est

presque seul dans la sienne, et sa disgräce est connue de tout le monde. Bien entendu, les ennemis du ministre exultent et ils augmentent la colere du roi de toute

maniere possible. Au milieu de leur celebration, il y a un peu de confusion ä la porte, et la rumeur court que cfest le Cardinal qui vient. La gaiete diminue un peu et chacun se demande ce qui va arriver de la ren-contre de ces deux hommes furieux.

Le ministre, toujours calme, sourit avec

de-dain; et, prenant ce regard fixe et cet air de gran-deur qui paraissait en lui dans les dangers imminents, il sfappuya de nouveau sur ses pages, et sans attendre un mot ou un regard de son souverain, prit tout ä

coup son parti et marcha directement vers lui. . . .23 II y a un peu d*orgueil dans le mepris qufil a

pour ses ennemis. Son manque de peur indique assez clairement qufil se pense invincible, qufil croit que personne nfose lui faire du mal. Un tel orgueil est

incomprehensible meme pour son confident, le Pere Joseph, qui

• . . ne pouvait comprendre cet homme qui, entoure dfennemis armes, parlait de lfavenir comme d'un prä-sent ä sa disposition, et du preprä-sent comme d'un passe qufil ne craignit plus. II ne savait s'il devait

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le croire fou ou prophete, inferieur ou superieur a lfhumanite.24

Bien entendu, un homme avec une teile vanite ne se soucie pas trop des affaires de lfame. Richelieu est cardinal de lfEglise catholique, cTest vrai, mais il nfen est cardinal que de nom. II ne s'interesse pas aux questions religieuses säur dans deux circonstances: quand la religion se mele avec la politique, comme dans lfaffaire de La Rochelle; et, quand lfusage de sa religion et de sa dignite religieuse peut augmenter son pouvoir et l'effi-cace de sa politique. II ne pratique jamais les principes de l'eglise ä laquelle il appartient, surtout en ce qui concerne ses ennemis et la vengeance. Apres avoir passe la plus grande partie de sa vie ä violer les doctrines de sa religion, il finit par perdre sa i'oi en la bonte, la misericorde de Dieu. Richelieu essaie de justifier ses

actes en mentionnant la proeminence des religieux dans la vie politique comme preuve de 1 Augmentation du pou-voir religieux pendant son regne. II suggere que ceux qui le critiquent pour des raisons de religion parlent sans savoir.

Je ne sais pas vraiment ce qui peut refroidir le Saint Pe. *

fut pas pour catholique?

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Rochelle, et vous le v o p z par vos yeux . . . notre habit est partout, et meme dans vos armees; le car-dinal de La Valette vient de Commander glorieusement dans le Palatinat.2b

Mais, ä ses confidents il revele ses vrais sentiments. En pensant ä sa maladie et ä sa mort, Richelieu voit

soudainement sa croix. II essaie dfen eviter la vue mais sans succes. Puis, "Signe terriblet dit-il tout bas, tu me poursuisl Vous retrouverai-je encore ailleurs

. . . divinite et supplice! Que suis-je? qufai-je fait?"26 Et encore une fois il continue avec la meme idee:

Malheureux que je suis! Me voilä frappe ä mort; je me dissous, mon sang sfecoule, et mon

es-prit veut travailler encore! Pourquoi? Pour qui? Est-ce pour la gloire, cfest un mot vide; est-ce pour les hommes? je les meprise. Pourquoi donc, puisque je vais mourir avant deux, avant trois ans peut-etre? Est-ce pour Dieu? quel nom! Je nfai pas marche avec lui, il a tout vu 2 7

. . . .

Si la pensee de sa vie religieuse le remplit de desespoir, ce meme sentiment ne lui manque pas dans sa vie politique. II possede un grand pouvoir, il est

vrai, mais en meme temps il est plus ou moins dependant de la faveur du roi pour le maintenir. Comme on lfa deja dit, cette faveur est tres inconstante et les en-nemis de Richelieu travaillent sans cesse ä sa chute.

25 Vigny, o£. olt.a p. 114 2 6 Ibid., p. 179.

(28)

Leur täche est facilitee par la grande Jalousie de Louis envers son ministre. Richelieu, etant instruit de tout cela, exprime bien tout le decouragement, le desespoir qui se resout en ces paroles lugubres:

<siuel ennui profond! quels interminables

in-quietudes! Si lfambitieux me voyait, il fuirait dans un desert. ^u*est-ce que ma puissance? Un miserable reriet du pouvoir royal; et que de travaux pour fixer sur mon etoile ce rayon qui flotte sans cesse! De-puis vingt ans je le tente inutilement. Je ne com-prends rien^ä cet homme! il n'ose pas me fuir; mais on me l'enleve; il me glisse entre les doigts . . . Que de choses jfaurais pu faire avec ses droits here-ditates ^ si je les avais eus! Mais employer tant de calculs a se tenir en equilibre! que reste-t-il de genie pour les entreprises? Jfai lfEurope dans ma main, et je suis suspendu ä un cheveu qui tremble.

Qufai-je affaire de porter mes regards sur les cartes du monde, si tous mes interets sont renfermes dans mon etroit cabinet?^ Ses six pieds dfespace me don-nent plus de peine ä gouverner que toute la terre. Voilä donc ce qufest un premier ministre! Enviez-moi mes gardes ä present!28

Dans ces cris on entend une äme torturee par son ambi-tion et son mepris de son maitre royal.

Nous pouvons ici examiner la plus grande faute de Richelieu dfapres Vigny—sa haine implacable et

vindicative pour tous ceux qui ne le suivent pas aveugle-ment. Lfauteur compare le ministre ä un animal, compa-raison assez frappante pour etre citee ici:

# • . continua en silence et repos ä regarder le com-bat du Roi, comme un vieux loup qui, rassasie de

victimes et engourdi par lfäge, contemple dans la

(29)

boeut's son plaine le ravage du lion sur un troupeau de

qu il nfoserait attaquer; de temps en temps

oeil se ranime, lfodeur du sang lui donne de la joie, et pour nfen pas perdre le goüt, il passe une langue ardente sur sa mächoire demantelee.29 Dans ses relations avec ceux qui sfopposent ä lui on

peut distinguer toujours ces caracteres animaux et brutaux.

A l'egard des critiques de ses ennemis, Riche-lieu feint quelquefois de croire que ses ennemis ont raison et il rit de leurs plaisanteries. Ceux qui le connaissent bien peuvent demeler dans ses rires une rage profonde et ils savent qu'il desire toujours la vengeance.

La haine dfun tel homme se montre dans une forme terrible. n. . . comme ses haines avaient toujours une cause mysterieuse, on en cherchait la cause vainement; eile se devoila par un mot cruel qui lui eehappa."30 Cette haine, ce desir de vengeance se deguise souvent sous la forme de l'amitie, une amitie redoutee par tout le monde. Par exemple, on trouve lfancien precepteur du marquis dfEffiat qui le previent dans cette

conver-sation-ci: wAh, mon eher Henri, vous me faites trembler, mon enfant; il vous perdra si vous n'etes pas son

ins-2 9 Vigny, o£. cit., p. 1^7 30 ibid., pp. 161-2.

(30)

trument docile".3! E t e n c o r e u n a u t r Q p e r s o r l n a g e d u roman parle ainsi: "Plutot la mort mille fois que son amitie. Jrai tout son etre et jusqufä son nom en haine; il verse le sang des hommes avec la croix du Redempteur".3^ Voilä les sentiments de ceux que le Cardinal appelle

ses amis.

Ses ennemis avoues ne le craignent pas moins. Ils expriment leur haine et leur crainte dfune maniere assez indicatrice de la puissance du ministre. ,fLorsqufon a en face un ennemi tel que ce Richelieu, il faut le ren-verser ou en etre 6crase.*33 n y a beaucoup de verite dans cette phrase. Ses ennemis politiques, ceux qui ont forme les conjurations contre lui, ont tous essaye de le renverser, de le tuer, mais ils ont tous ete ecrases ä leur tour. En se debarrassant de ses ennemis politiques ou prives Richelieu ne fait exception de personne--il execute le grand duc de Montmorency aussi bien que le simple pretre Grandier. En discutant ses tendances vin-dicatives un noble et la reine Anne d'Autriche disent:

. . . car le grand niveleur a passe sur la Trance une longue faux.

Est-ce du Temps que vous voulez parier, dit

31 Vigny, o£. cit., p. 51 3 2 Ibid., p. 170.

(31)

la reine, ou dfun personnage reel?

Trop reel, trop vivant, trop longtemps vivant, madame . . # cette ambition demesuree, cet egoisme co-lossal, ne peuvent plus se supporter.*4

Cette discussion de ses tendances mauvaises con-clu$ la consideration des qualites d'esprit de Richelieu

comme on les trouve en'1 Cinq-Mars.

Les traits de caractere essentiels dfun homme se montrent plus facilement dans une etude de ses rapports

avec ses contemporains. Ainsi, on peut etudier avec fruit les relations et les activites sociales du Cardinal.

Pensons dfabord aux hommes avec qui il travaille et de qui il se sert. II y a un de ses juges extraordi-naires, Laubardemönt, qui est tres important dans cette

etude. Cinq-Mars se trouve en rapport avec lui, plus ou moins indirectement, deux fois: la premiere, quand il

<§tait spectateur du proces dfUrbain Grandier; la'deuxieme, quand il essaie de faire signer un traite avec l'Espagne. II est tout ä fait naturel qufil le trouve dans ces

cir-constances parce que "Laubardemont etait une espece dfoi-seau de proie que le Cardinal envoyait toujours quand sa vengeance voulait un agent sur et prompt. . . .H 3 5 Ce pro ces dfUrbain Grandier est tres interessant en lui-meme et

34 Vigny, 0£. cit.., p. 2b7 3 0 Ibid., p. 61.

(32)

tres important par l'effet qufil a sur lfesprit impres-sionnable du jeune Cinq-Mars. Grandier est pretre, con-fesseur dans un couvent de Lyon. Un de ses ennemis

(Vigny suggere que Richelieu nfest pas tout ä fait in-nocent) lfaccuse dfetre un sorcier qui a fait entrer des diables dans les ämes des religieuses. L'accusateur suggere aussi que Grandier est amoureux de la superieure des religieuses et qufelle lfaime en retour et l?aide dans ses machinations diaboliques. II convient ici de not er que ce Grandier est aussi lfauteur dfun pamphlet qui critique le Cardinal. Lfaffaire fait. tellement de bruit que Richelieu nomme une commission speciale pour juger l'accuse. A la tete de cette commission se trouve Laubardement. Dfapres Vigny, le proces nfest pas juste, on decide que Grandier est coupable et on cherche seule-ment ä obtenir une confession. Pour cela il faut mettre Grandier ä la torture. Lfassistance dans la salle dfau-dience peut entendre ses cris epouvantables. Gräce ä

Laubardement, Grandier est execute et la pauvre superieure, qui a aussi entendu les cris du torture, devient folle.

Ce proces reste avec tous ces details horribles dans lfäme de Cinq-Mars.

En formant sa conjuration contre Richelieu, Cinq-Mars decide qufil faut avoir lfaide de lfEspagne pour

demolir le gouvernement central etabli par le ministre et pour rendre son pouvoir ä la noblesse. Ce traite,

(33)

sign© par le marquis d»Effiat (Cinq-Mars), Monsieur d»Or-leans, le frere du roi, et les autres ohefs de la conjura-tion, est porte par un contrebandier ä travers la fron-"eiere. Le Cardinal, au courant de lfaffaire, envoie Laubardement pour arreter ce contrebandier dans une pe-tite chaumiere des Pyrenees. II y a une lutte oü le

contrebandier, le fils de Laubardement, est tue, lfabbesse folle (la niece de Laubardement) est tuee aussi. Laubarde-ment, en vraie creature du Cardinal, se montre implacable

et sans emotion, meme quand il se voit en race de son propre fils, Yraiment Hichelieu a bien choisi cet homme pour accomplir ces projets infames.

Parmi les hommes importants qui sfassocient avec le Cardinal, on doit considerer son "Eminence Grise" comme le plus important. Le Pere Joseph est un ami, presque un confident de Richelieu depuis les jours de son premier pouvoir. Vigny nous donne ä penser que le Pere Joseph est l'executeur de ses idees les plus diabo-liques et que tous les deux travaillent ensemble et lfun contre lfautre en meme temps. Chaque fois qufon se

trouve chez le Cardinal pour une Conference ou une In-quisition nocturne, on y trouve aussi le Pere Joseph, derriere la chaise du Cardinal, derriere un rideau, ou dans le couloir, toujours silencieux, les oreilles aux aguets. Cinq-Mars, apres avoir convaincu le roi qufil

(34)

lui faut se debarrasser de Richelieu, rencontre l'Emi-nence Grise sur lfescalier royal et il frissonne dfune premonition du malheur qui approche. Encore une fois, apres lfechec de la conjuration, quand il est en prison, le marquis dfEffiat se trouve en face du lieutenant du Cardinal, venu pour lui arracher tous les renseignements possibles avec promesse de clemence. Joseph fait une Visite ä de Thou, lfami fidele de Cinq-Mars, qui est

aussi en prison sous l'accusation de lese-majeste. Dans ces visites le capucin, menteur capable et experimente, röussit ä leur arracher une confession par ruse. II dit ä Cinq-Mars que de Thou lfa trahi et Cinq-Mars lui avoue tout; puis, il dit la meme chose ä de Thou avec le meme resultat. Lfauteur insinue que ce procede est lfidee du Cardinal. II revele aussi que Richelieu a promis le cardinalat ä son ami mais qu'il nfa pas la moindre intention de tenir sa promesse• "Tandis que le serviteur (le Pere Joseph) trahissait ainsi son maitre, le maitre ne restait pas en arriere et

trahis-sait le serviteur.ff36 Le portrait que Vigny donne du Pere Joseph et de ses relations avec Richelieu n'est

pas agreable ä contempler mais est bien en harmonie avec le caractere de Richelieu comme il le präsente.

(35)

Chaque grand politique se sert dfespions. Le Car-dinal Richelieu nfest pas une exception. Mais, avec

lui, les espions se trouvent choisis dans chaque rang de la societe, la noblesse aussi bien que la populace. II veut savoir tout ce qui se passe dans le royaume et meme toutes les pensees des hommes qui lfentourent et qui en-tourent le roi. Pour accomplir cela

II parcourut avec une scrupuleuse attention tous les rapports detailles des actions les plus minutieuses et les plus secretes de tout personnage

un peu important; rapports qufil faisait toujours joindre ä ses nouvelles par ses habiles espions.37 II a des espions de metier, et des espions involontaires, recrutes parmi les plus grands de la Trance. Le roi lui-meme est une espece d'espion, qui le tient au courant au

sujet de la reine. Une fois Louis a fouille dans les papiers et les lettres privees de sa remme pour y trou-ver la preuve dfune conjuration—un acte exige de lui

par le Cardinal. Richelieu est tres habile, il sfattache les hommes par des moyens divers; par la reconnaissance, par la peur, par la generosite, mais il ne fait rien

sans but. Quand le jeune Henri dfEfriat disait ä un ancien precepteur que le Cardinal lui a promis bien des choses agreables ä un jeune homme, le vieillard l'avertit de lfusage que Richelieu fait des hommes.

(36)

*.• !

S i 1

? ^ordinal n

f

avait pour but que de

temoigner a votre famille de l

f

attachement et de la

reconnaissance, il n

f

irait pas si loin dans ses

fa-veurs; mais il est probable qu'il a jete les yeux

sur vous. D

f

apres ce qu

f

on lui aura dit, vous lui

semblez propre a jouer tel ou tel role impossible

a deviner, et dont il aura trace l'emploi dans le

repli le plus profond de sa pensee.^ö

II est interessant d'etudier les rapports d

f

Ar-mand Jean du Plessis avec la famille royale, la

reine-mere, la reinejregnante, le roi, le frere du roi.

Peut-etre vaut-il mieux commencer avec le moins important,

Gaston d

f

Orleans, le frere du roi. Monsieur se trouve

toujours au milieu des conjurations contre le Cardinal.

Mais sa timidite l'empeche de devenir dangereux, ä vrai

dire c

f

est par la faute de cette timidite que les

con-jurations ne reussissent pas. C'est Gaston qui donne

au Cardinal les renseignements precis au sujet de la

conspiration de Cinq-Mars apres l'arrestation du

mar-quis. Parce qu

f

il est le frere du roi, le Cardinal lui

pardonne sa part dans la conjuration apres l

f

avoir effraye

Vigny ne parle pas beaucoup de Marie de Medicis

dans son roman, sauf les deux ou trois fois oü il

men-tionne la possibilite de son retour en Trance. La

pre-miere fois qu

f

on discute cette possibilite, le Cardinal

laisse voir sa haine pour eile, et son controle des

pensees du roi:

(37)

Marie de Medicis! s'ecria le Cardinal en

frappant sur les bras de son fauteuil avec ses deux mains. Non, par le Dieu vivant! eile ne rentrera pas sur le sol de Trance, dfoü je lfai chassee pied par pied. LfAngleterre nfa pas ose la garder exi-lee par moi; la Hollande a craint de crouler sous eile, et mon royaume la recevrait! Non, non, cette id<§e nfa pu lui venir par lui-meme. Rappeler mon ennemi, rappeler sa mere, quelle perfidie! Non,

il nfaurait jamais ose y penser. . . .39

Un des buts dfune conspiration est toujours de faire rentrer la reine-mere en Trance. La promesse de son retour est une des offres attrayantes par laquelle les conjurateurs esperent gagner le soutien du roi contre son ministre. Cet exil est une pomme de discorde entre les deux pendant toute leur association. Une fois "le roi a dit tout haut: 4ue notre imperieux Cardinal le veuille ou non, la veuve de Henri-le-Grand ne restera pas plus longtemps exileen. ° Et encore une fois le Cardinal se sert de l'amour filial du roi pour regagner la faveur qu'il commence ä perdre. Vigny decrit bien

cet episode, cfest un des chapitres plus frappants du ^ roman. Le roi et le Cardinal sont sur le champ de

ba-taille, il y a un desaccord tres serieux. Le roi se re-tire dans sa tente avec toute sa cour. Apres un peu de temps le Cardinal vient lui demander la permission de se

39 Vigny, 0£. cit., p. 101 4 0 Ibid., p. 123.

(38)

retirer (il sait bien que le roi a dejä decide de le renvoyer). En la demandant Richelieu parle dfune ma-niere tres emouvante de ses dix-huit ans de service malgre sa sante toujours chancelante. Sans aucune

emotion, le roi consent ä accepter sa demission. Apres avoir reqxx son consentement, Richelieu lui donne le Pa-lais-Cardinal et, en avouant la rigueur de la loi qui a exile la Reine-Mere, il conseille son retour. Le roi, completement etonne par cet avis inattendu, par-donne tout au ministre et meme lui refuse la permission de se retirer. A ce moment-lä on apporte au roi la

nouvelle de la mort de sa mere en exil. Le roi soup-cjonne que le Cardinal en a eu connaissance avant

son entrevue mais il nfen a jamais une preuve decisive. La derniere fois que Vigny fait allusion ä Marie

de Medicis est dans une conversation entre le roi et son ministre dans laquelle Richelieu explique ä son maitre que cfest seulement sa ridelite et son amour pour lui qui animent ses actes, pas du tout une haine, pas meme une antipathie pour la reine malheureuse. II avoue combien il lui doit et combien il a souffert de son exil.

. . . quant ä la glorieuse Reine Marie de Medicis, je suis etonne que Votre Majeste oublie combien je lui fus attache. Oui, je ne crains pas de lfavouer, c'est ä eile que je dus toute mon elevation; eile

(39)

daigna la premiere jeter les yeux sur l'eveque de Lucjon, qui nfavait alors que vingt-deux ans, pour

lfapprocher dfelle. Combien j'ai souffert lorsqufelle me forga de la combattre dans lfinteret de Votre

Ma-jeste. Mais, comme ce sacrifice fut fait pour vous, je nfen eus et nfen aurai jamais aucun scrupule.41 Si lfon lit soigneusement cette citation, on peut voir

que la sincerite manque ä Richelieu completement. II dit, non pas ce qu'il pense lui-meme, mais ce qufil sait que le roi veut entendre.

Les rapports entre Richelieu et la reine Anne dfAutriche sont moins clairement decrits par Vigny mais ils suggerent bien des choses. On comprend qufentre la reine regnante et son mari tout ne marche pas tres bien, qufil y a un grand manque de confiance entre les deux et que le roi sfoccupe beaucoup plus de chasse et de ses favoris que de la reine. A son tour, la reine s'interesse beaucoup trop au duc de Buckingham et pas assez ä son mari. Elle se mele de la politique du

royaume, pour sfamuser et pour avancer les interets du roi dfEspagne, son frere. Elle se Joint au parti de

Monsieur dans toutes les conjurations contre le Cardinal l

et meme contre le roi. Bien entendu, telles activites n'augmentent pas du tout sa popularite avec Richelieu. Elle fait tout ce qufil ne veut pas quTelle fasse. II

est son ennemi implacable; chaque fois qufelle essaie

(40)

dfaccomplir un de ses projets, eile se trouve en con-flit avec son Eminence. Chaque concon-flit augmente la dis-corde entre les deux, une disdis-corde qui se developpe tres vite en une haine implacable. Le Cardinal, comme lfon a deja vu, a rait fouiller sa correspondance par le roi, il l'huiailie en exigeant des excuses publiques pour une avanie quelconque. Sous le pretexte de la reconcilier avec son mari, il suscite de nouvelles difficultes pour la malheureuse reine, qufil meprise autant que possible. Par exemple, cette conversation entre le Cardinal et un

de ses satellites exprime assez clairement ses sentiments envers la reine:

Elle est encore furieuse contre vous. Sa

cor-respondance decouverte, lfinterrogatoire que vous lui fites subir.

Je lfai sdparee de sa maison dfAutriche et du pays de son Buckingham. Mais que fait-elle?

Dfautres intrigues avec Monsieur. . . .

. . . Je ne me donnerai pas la peine de les lire

eile peut rever de petites conjurations avec Gaston au coin du feu. . . .4 2

La reine le considere comme son ennemi personnel et aussi comme lfennemi de la monarchie frangaise. Pour eile, la politique de Richelieu est animee par son ambition pri-vee, non par un desir pour le bien public. Elle dit du cardinal:

(41)

Si tu pries Dieu pour moi, demande-lui quTil

me^donne la force de ne pas hair l1 ennemi qui me pour-suit partout, et qui perdra la famille royale de Trance et la monarchie par son ambition demesuree; je le re-connais encore dans ce qui vient de se passer, je le vois dans ces tumultueuses revoltes.43

On ne sait pas si leur conflit est le resultat dfun de-sagrement sur la politique, ou si c'est le resultat dfun desappointement dans leurs relations privöes.

Si lfon trouve interessantes les relations du Cardinal avec la famille royale, on va trouver passion-nantes ses relations avec le roi. Vigny presente un Portrait peu complimenteur de Louis XIII, au point de vue de son esprit. Cfest un homme qui hesite longtemps ä prendre une döcision, et qui est facilement influence par ceux qui lfentourent. Donc, il y a une lutte, plus ou moins cachee, entre ses courtisans pour obtenir sa faveur. Une fois arrivö, le courtisan trouve autant de difficultes ä se maintenir. Cet homme irresolu et ca-pricieux est roi de France et cfest de lui que depend la sürete de cette nation. II se ratigue tres vite d'un favori, d'une favorite, ou meme dfun projet quelconque. Voilä ce qui rend tres difficile une conjuration bien

congue dans laquelle on se fie ä l'aide royale. Voilä pourquoi Richelieu se tient toujours pres du roi, malgre

(42)

ses maladies frequentes, voilä pourquoi Cinq-Mars se häte dfagir tout de suite apres avoir regu l'approba-tion royale. A cause de cette vacillal'approba-tion du roi le Premier ministre redige ses commandements que le roi reqoit et qufil respecte comme les commandements de lfEglise. Les voici:

I. Un prince doit avoir un premier ministre, et ce premier ministre trois qualites: 1. qu'il n'ait pas dfautre passion que son prince; 2. qufil soit habile et fidele; 3. qu'il soit ecclesiastique. II- Un prince doit parfaitement aimer son Pre-mier ministre.

III. Ne doit Jamals changer son premier ministre. IV. Doit lui dire toutes choses.

V. Lui donner libre acces aupres de sa personne.

VI. Lui donner une souveraine autorite sur le peuple. VII. De grands honneurs et de grands biens.

VIII. Un prince nfa pas de plus riche tresor que son premier ministre.

IX. Un prince ne doit pas ajouter foi ä ce gu'on dit contre son premier ministre, ni se plaire a en entendre medire.

X. Un prince doit reveler ä son premier ministre tout ce qufon a dit contre lui, quand meme on aurait exige du prince quyil garderait le secret.

XI. Un prince doit non seulement preferer le bien de son Etat, mais son premier ministre ä tous ses parents.44

(43)

Ces onze regles sont dignes dfune etude bien detaillee, elles protegent bien les interets et la position de

leur auteur. Qu'on note: "Un prince doit avoir un

pre-mier ministre . . . qui doit etre ecclesiastique". Donc, cfest seulement Richelieu qui est qualifie, les favoris n'etant pas de lfEglise. "Un prince ne doit jamais chan-ger son premier ministre." Richelieu est tres heureux de cette idee et ses ennemis, desesperes, pensent ä lfassassinat. "Un prince doit dire toutes choses, il doit reveler ä son premier ministre tout ce qufon a dit contre lui, quand meme on aurait exige du prince quyil garderait le secret." Voilä comment Richelieu fait de son roi une sorte dfespion. Le Cardinal pense aussi bien ä sa fortune privee qufä son pouvoir politique. Un prince doit donner ä son premier ministre "de grands honneurs et de grands biens,f, "nTa de plus riche tre-sor que son premier ministre". Pas de pauvrete pour

Richelieu ou ses heritiers. Sa ligne de conduite contre la reine et la reine-mere est bien expliquee par la der-niere regle. Nfest-il pas etonnant que le roi dfune

grande puissance se soumette si paisiblement ä une teile liste de commandements? Voilä une grande preuve de la forte personnalite du Cardinal. Mais ces commandements sont aussi une preuve de la peur qufa Richelieu de

(44)

son premier ministre." N'est-ce pas qu'on peut y aper-cevoir un peu dfincertitude dans lfesprit dfun ministre qui exige lfamour dfune teile fagon? "Lui donner libre acces aupres de sa personne." Nfest-ce pas que ce com-mandement est ne dfun sens de la necessite de voir le

roi ä n'importe quelle heure pour se preserver? On ne regoit pas lfimpression dfune amitie mutuelle entre ces deux hommes, lfimpression est plutot dfune mefiance

mutuelle.

Vigny donne un Portrait assez detaille du roi, en costume de guerre:

Devant une tres petite table entouree de fau-teuils dores, etait debout le Roi Louis XIII, en-vironne des grands officiers de la couronne; son

costume <§tait fort elegant: une sorte de veste de couleur chamois, avec les manches ouvertes et ornees dfaiguillettes et de rubans bleus, le couvrait jus-qufä la ceinture. Un haut-de-chausse large et flot-tant ne lui tombait qu'aux genoux, et son etoffe

jaune et rayee de rouge etait ornee en bas de rubans bleus. Ses bottes ä lfecuyere, ne sf61evant guere ä plus de trois pouces au-dessus de la cheville du pied, etaient doublees dfune profusion de dentelles, et si larges, qufelles semblaient les porter comme

un vase porte des fleurs. Un petit manteau de velours bleu, ou la croix du Saint-Esprit etait brodee, cou-vrait le bras gauche du Roi, appuye sur le pommeau de son epee.45

II avait la tete decouverte, et lfon voyait

parfaitement sa figure pale et noble eclairee par le soleil que le haut de sa tente laissait penetrer.

(45)

La petite barbe pointue que l'on portait alors aug-mentait encore la maigreur de son visage, mais en

accroissait aussi l'expression melancolique; ä son front eleve, a son profil antique, ä son nez aquilin, on reconnaissait un prince de la grande race des

Bourbons; il avait tout de ses ancetres, hormis la force du regard: ses yeux semblaient rougis par des larmes et voiles par un somnieil perpetuel, et 1 incertitude de sa vue lui donnait lfair un veu.

egare.^o

On y voit des indications de ses faiblesses, de son malheur, de sa souffrance.

Les rapports entre Louis et Richelieu sont assez Stranges. Une fois, par exemple, avec ses commandements, le Cardinal laisse voir sa puissance et son intention

de garder cette puissance; ensuite il essaie de se

cacher, de donner lfimpression que cfest Louis qui est tout puissant et que, lui-meme, il nfest qufun servi-teur sans importance. Par exemple, cet incident de

guerre: Dans une attaque contre la ville de Perpignan, Richelieu donne des ordres ä Schomberg, le marechal

qui est chef d*une partie de lfarmee, de ne pas hasarder trop. En soldat soumis, Schomberg engage le combat

dfune maniere decousue. Le roi est au combat, et meme en danger. II se conduit avec courage et intelligence et gräce ä cette hesitation de Schomberg, la seule ac-tion decisive de ce jour-lä est celle du roi. Bien

(46)

tendu, le roi se trouve tres content de cette bataille. La force de ces impressions s'auginente pour Louis parce

que

Lfhabile ministre eut soin de ne rien dire et de ne faire aucun geste qui put donner le soup-gon qufil eut la moindre part aux evenements de la journee, et il fut remarquable que de tous ceux qui vinrent rendre compte, il n?y en eut pas un qui ne semblat deviner sa pensee et qui ne sut eviter com-promettre sa puissance occulte par une obeissance demonstrative; tout fut rapporte au Roi.4?

Cette maniere de se conduire se manifeste en Richelieu dans toutes ses relations avec le roi.

. • . mais lui, connaissant trop bien les secrets motifs de la^colere actuelle de son maitre, affecta

de renvoyer ä ce prince tous ceux qui voulaient avoir une decision de sa bouche. II arrive ce qu'il avait prevu, car il reglait et calculait les mouvements de ce coeur comme ceux dfune horloge, et aurait pu dire avec exactitude par quelles sensations il avait passe

. . . II fut remarquable que le Roi employait, en Con-sultant, les paroles du commandement, conciliant ain-si sa faiblesse et son pouvoir, son irresolution et sa fierte, son imperitie et ses pretentions, tandis que son ministre lui dictait ses lois avec le ton de la plus proronde obeissance.40

Par une teile conduite Richelieu se maintient au pouvoir malgre les tentatives de ses ennemis pour le faire tomber du ministere. Le roi le meprise, il le deteste meme, mais il le laisse au pouvoir. Bien des fois, Cinq-ilars et Louis parlent du Cardinal, de leur

4? Vigny, 0£. erb., p. 158. 4 8 Ibid., p. 151.

(47)

haine mutuelle pour ce monstre, de leur desir de le

remplacer, mais lTaiguillon dfagir manque au roi. Cinq-Mars essaie plusieurs fois dfobtenir lfapprobation de Louis pour sa conjuration avant de reussir. Meme quand

il lfa obtenue, il nfest pas certain que le roi ne chan-gera dfavis ou que le Cardinal ne tirera pas le secret du roi. Le jeune marquis sait bien que Richelieu peut lire dTun coup dfoeil les pensees du roi et qufil peut les diriger sans aucune difficulte. II a un empire ab-solu, cache mais efficace, sur les pensees de Louis.

Comme il est arrive avec toutes les autres cons-pirations, celle de Cinq-Mars nfest pas un secret pour Richelieu. II sait tout, mais les conspirateurs se

croient en sürete. Ils continuent ä mürir leurs plans jusqufau moment oü Laubardement, lfagent special du ministre, saisit le traite qu'ils ont signe avec lfEs-pagne. Sachant ä ce moment-lä que tout est perdu, Cinq-Mars decide de chercher le Cardinal dans sa tente pour

le tuer. Pendant leur entrevue il voit l'impossibilite de lfassassinat et il demande la clemence du ministre pour son ami, de Thou. Le roi est indigne du traite avec son ennemi jure;lfEspagne. Cinq-Mars, apres un proces assez court, est condamne ä mort mais sa mere et d*autres parmi la noblesse implorent le pardon du roi pour ce jeune homme. Le Cardinal, qui desire la

(48)

ven-geance, demande la tete du marquis, le favori, immedia-tement, avant que Louis puisse oublier son horreur et sa peur. II ne donne pas au roi le temps de reflechir, il lui fait signer lfordre dfexecution tout de suite.

Apres cette conjuration, le roi expie sa parti-cipation en donnant au Cardinal des garanties de sa

conduite dans le futur. "Sa Majeste sfengage ä remettre les deux Princes ses fils en otages entre les mains du Cardinal, comme garantie de la bonne foi de son attache-ment."49 Et comme garantie de la sürete physique de Richelieu le roi lui permet:

4uand le Roi ira voir le Cardinal, les gardes de celui-ci ne quitteront pas les armes; et quand le Cardinal ira chez le Roi, ses gardes partageront le poste avec ceux de Sa Majeste.50

Mais, malgre les desaccords entre les deux, le ministre avoue une affection pour son maitre. Alite, victime d'une agonie effroyable, Richelieu assure le roi

que "La mort a de ja conquis mes jambes . . . mais tant qu'il me restera la tete pour penser et la main pour ecrire, je

51

serai bon pour votre service". Un tel sentiment est touchant, mais Vigny le presente avec une nuance de

m<§-4 9 Vigny, o£. cTt., p. 394. 5 0 Ibid., p. 394.

(49)

fiance, il suggere que le Cardinal n'est pas sincere mais qu'il se sert dfune occasion pour regagner un peu

de sa puissance qu'il a perdu dans lfaffaire de Cinq-Mars. Vigny resume bien les impressions qufil cree des rapports entre le Cardinal et le roi par la phrase :

". . . on lfappelle le. Roi du Roi."52

Le Cardinal est tellement certain de sa puissance, de son pouvoir sur le roi, qufil choisit son propre suc-cesseur, un jeune Italien, qui a ete l'envoye du Pape

quand il a rencontre Richelieu devant Perpignan. En tres peu de temps, il a quitte le service du Pape pour celui du Cardinal. "A sa suite parut le jeune Mazarin, tou-jours souple et insinuant, mais de ja confiant dans sa fortune."53 cfest un homme digne de son maitre, cruel, malhormete, ambitieux pour lui-meme, et tout ä fait

in-digne de confiance.

Mais, malgre la confiance du Cardinal en lui-meme et en sa position, la quantite des conjurations temoigne qufil y a en France bien des gens qui ne croient pas en son genie. Ces hommes critiquent ses actes envers la noblesse, dont ils fönt partie, aussi bien qufenvers la Prolongation des guerres par lesquelles lfEurope est

52 Vigny, o£. cit., p. 346. 5 3 ibid., p. 117.

(50)

desolee. Ils lfaccusent dfavoir affaibli la Prance par sa persecution de la noblesse. On pretend que toutes les nations de lfEurope desirent la paix mais que cfest le Cardinal qui insiste pour faire la guerre, parce

qufil trouve la guerre le moyen le plus certain de se tenir au pouvoir et de garder la faveur du roi. Ses ennemis le considerent le fleau de la Trance.

Lfetude du Cardinal Richelieu dfapres Vigny se termine ici. On a vu le Portrait dfun homme cruel et vindicatif, un homme ambitieux personnel, un homme

qu*Alfred de Vigny nomine lfhomme le plus responsable de la Revolution frangaise.

(51)

RICHELIEU TEL ^UE DUMAS L»A FEINT

Aussi interessant mais moins important est le personnage du Cardinal Richelieu dans Les. Trois Hous-quetaires dfAlexandre Dumas.

Selon sa theorie de la vulgarisation de l'his-toire Dumas ne choisit pas un personnage historique

comme personnage de premier plan. II choisit des heros plus ou moins imaginaires et lfhistoire ne fournit qu'un fond pour le roman.

On trouve que, dans le roman de Dumas, le Car-dinal Richelieu a beaucoup moins dfimportance, qufil parait dans moins de scenes, et que son Portrait est moins clair, moins detaille que dans le Cinq-Mars de Vigny.

Les Trois Mousquetaires traitent des evenements en Trance avant la conquete de La Rochelle, cf est-ä-dire, ä une epoque qui precede la conjuration de Cinq-Mars.

Pour mieux comparer la caracterisation de Riche-lieu dans ces deux romans, nous garderons le meme ordre de presentation. Considerons premierement l'apparence physique de Richelieu tel que le presente Dumas.

(52)

Le ministre n'apparait pas au commencement du roman. Les personnages le critiquent, le justifient, mentionnent ses actes, mais on ne le voit pas. finale-ment, on le voit dans son cabinet:

Debout, devant la cheminee etait un homme de moyenne taille, ä la mine haute et f iere, aux yeux pergants, au front large, ä la figure amaigrie qu'al-longeait encore une royale surmontee dfune paire de moustaches. ^uoique cet homme eut trente-six ä

trente-sept ans ä peine, cheveux, moustache et royale sfen allaient grisonnants. Cet homme, moins l'epee, avait toute la mine dfun homme de guerre, et ses

bottes^de büffle encore legerement couvertes de poussiere indiquaient qufil etait monte ä cheval dans la journee.

Cet homme, cfetait Armand-Jean Duplessis,

cardinal de Richelieu, non point tel qu*on nous le represente, casse comme un vieillard, souffrant comme un martyr, le corps brise, la voix eteinte, enterre dans un grand fauteuil comme dans une tombe anticipee, ne vivant plus que par la force de son genie, et ne soutenant plus la lutte avec lfEurope que par lfeternelle application de sa pensee; mais tel qufil etait reellement ä cette epoque, cfest-ä-dire adroit et galant cavalier, faible de corps deja, mais soutenu par cette puissance morale qui a fait de lui un des hommes les plus extraordinaires qui aient existe. . . .1

Voilä la seule description de Richelieu que donne Dumas. On doit considerer aussi les qualites dfesprit

du ministre; on peut en trouver une description detaillee et interessante.

La question de la politique de Richelieu nf

in-1 Alexandre Dumas, Les Trois Llousquetaires, Paris, Levy. Vol. I, p. 168.

(53)

teresse guere Dumas. Il qp

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11 S Q

oontente de faire des

Obser-vation assez gdnerales et courtes sur le siege de La

Rochelle, le dernier port ouvert ä l'Angleterre.

II s

f

agissait donc de detruire ce dernier

boulevard du^calvinisme, levain dangereux, auquel

se venaient mcessamment meler des ferments de

re-volte ciyile ou de guerre etrangere . . . et en la

fermant a l'Angleterre, notre eternelle ennemie,

le cardinal achevait l'oeuvre de Jearnie d

f

Arc et

du duc de Guise.^

Plus tard les causes de l'animosite du Cardinal pour

l

f

Angleterre s

f

expliqueront.

D

f

Artagnan, le protagoniste du roman, etait öleve

en Gascogne dans le respect du Cardinal et de ses talents.

Arrivant ä Paris se joindre aux mousquetaires du roi, il

s*etonne beaucoup de leurs paroles.

. . . son respect pour^le^cardinal fut scandalise

dans l

f

antichambre. La, ä son grand etonnement,

d

f

Artagnan entendait critiquer tout haut la

politi-que qui faisait trembler l

f

Europe, et la vie privee

du cardinal, que tant de hauts et puissants seigneurs

avaient ete punis d

f

avoir tente d

f

approfondir; ce

grand homme, reväre par M. d

r

Artagnan pere, servait

de risee aux mousquetaires de M. de Treville, qui

raillaient ses jambes cagneuses et son dos voute;

quelqu

f

uns chantaient des noels sur Mme d

f

Aiguillon,

sa maitresse, et Madame de Combalet, sa niece,

tan-dis que les autres liaient des parties contre les

pages et les gardes du cardinal-duc. . . .

3

Apres avoir passe quelques jours ä Paris on voit

2

Dumas, 0£. cit., Vol. II, p. 95

(54)

clairement la lutte assez serieuse entre les hommes du Cardinal et ceux du roi. Bien entendu, quand le Cardi-nal a vu la grande compagnie des mousquetaires royaux il a voulu ses gardes ä lui:

. . . lfon voyait ces deux puissances rivales trier pour leur service, dans toutes les provinces de

France et meme dans tous les Etats etrangers, les

hommes celebres pour les grands coups d'epee. Aussi Richelieu et Louis XIII se disputaient souvent,

en faisant leur partie d'eehecs, le soir, au sujet du merite de leurs serviteurs. Chacun vantait la tenue et le courage des siens; et tout en se pro-nongant tout haut contre les duels et contre les rixes, ils les excitaient tout bas ä en venir aux mains, et concevaient un veritable chagrin ou une

joie immoderee de la defaite ou de la victoire des leurs.4

Malgre ces petites observations critiques Dumas pense sans aucun doute qufArmand-Jean Duplessis est un ministre tout puissant. Cfest un homme qui ose per-secuter la reine, dedaigner le roi, commencer une guerre avec lfAngleterre pour des raisons privees. Un des

personnages du roman, Monsieur Bonacieux:

. . . raconte la puissance et les actes de Ilonsieur le cardinal, ce ministre incomparable, ce vainqueur des ministres passes, cet exemple des ministres a venir: actes et puissance que nul ne contrecarrait impunement.

Meme la famille royale ne le contrecarre pas. La mere

4 Dumas, 0£. cit., Vol. I, p. 24. 5 Ibid., Vol. I, pp. 158-9.

(55)

du roi lui a desobei et le resultat pour eile etait

l'exil et la mort loin de chez eile. La reine regnante en refusant son amour a gagne sa haine implacable. II y a dfautres preuves de la puissance du ministre. Par exemple: quand Richelieu veut savoir un des secrets de la reine que possede sa lingere, Constance Bonacieux, il envoie des hommes chez les Bonacieux pour enlever Madame et pour perquisitionner dans la maison—tout

cela pour une raison privee et non une affaire dfEtat. Une autre fois quand dfArtagnan et ses camarades, avec leurs laquais partent pour une mission de confiance en Angleterre ä la requete d'Anne dfAutriche, le Cardinal, qui ne veut jamais que les affaires de la reine se ter-minent bien, place des hommes sur leur route pour em-pecher le voyage.

Pour se maintenir au pouvoir, il faut que Riche-lieu ait une grande connaissance des evenements. Cfest son etat de tout savoir. Cette connaissance lui vient de ses espions et de lui-meme: de lui-meme parce que "Nul n1avait lfoeil plus profondement scrutateur que le cardinal"6; de ses espions, nobles ou paysans, qui se trouvent partout. Ces espions s'occupent des af-faires de tous les Frangais de nfImporte quelle classe

(56)

sociale et ainsi Richelieu peut punir ses ennemis avant qufils puissent lui faire du mal.

. . . Comment! le cardinal fait espionner un gentil-homme, fait voler sa correspondance par un traitre, un brigand, un pendard; fait, avec lfaide de cet espion et gräce ä cette correspondance, couper le cou ä Chalais, sous le stupide pretexte qu'il a

voulu tuer le roi et marier Monsieur avec la reine.7 L'habilete naturelle du Cardinal lfaide ä se main-tenir au pouvoir. Par exemple, en cherchant ä apprendre

les secrets de la reine, qufil ne peut pas decouvrir de Madame Bonacieux, il fait amener Monsieur Bonacieux

dans son cabinet. La, il persuade au pauvre homme ter-rifie, que lui, Richelieu, est son eher ami, que sa femme le trompe, et que Bonacieux doit savoir tout ce

que fait sa femme. Cfest une fagon tres habile de manier un homme, et surtout, cfest une fagon tres efficace

dfobtenir des renseignements. Bonacieux, tres fier de son amitie avec un si grand homme, lui revele tout ce qu'il sait, apres quoi il ne peut comprendre le mepris que le Cardinal montre ä son egard.

Mais la caracteristique de Richelieu que Dumas juge la plus forte et la plus importante c'est sa soif de vengeance. -Les Trois Uaussiiet^^^ donne bien des preuves de cette habilete. Dans presque tout le roman

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