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Définition du système discursif de discrimination de genre : à partir des systèmes genrés d’adresse et de la loi du mariage pour tous et des observations qu’elle permet

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genre : à partir des systèmes genrés d’adresse et de la loi

du mariage pour tous et des observations qu’elle permet

Béatrice Fracchiolla

To cite this version:

Béatrice Fracchiolla. Définition du système discursif de discrimination de genre : à partir des sys-tèmes genrés d’adresse et de la loi du mariage pour tous et des observations qu’elle permet. Études de linguistique appliquée : revue de didactologie des langues-cultures, Klincksieck (Didier Erudition jusqu’en 2003), A paraître. �halshs-03088147�

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Définition du système discursif de discrimination de genre : à partir des systèmes genrés d’adresse et de la loi du mariage pour tous et des observations qu’elle permet.

Béatrice Fracchiolla, Université de Lorraine, CREM EA3476 En délégation CNRS au LEGS UMR 82238 (2020-2021)

Introduction

Les rapports de genre fonctionnent souvent de conserve avec la violence verbale détournée, dont l’une des principales caractéristiques sont précisément d’être, indirecte, en termes d’actes de langage (comme l’ironie, les stéréotypes et clichés le sont), et donc objet d’une nécessaire interprétation de second plan (Amossy 2014, Auger et al. 2008, Kerbrat-Orecchioni 1986, 2010, 2012). Ainsi, lorsqu’un enfant naît, l’assignation directe d’un genre qui lui est faite, en regard de son sexe, peut-elle déjà s’inscrire directement comme acte de violence verbale détournée « oh non ! c’est une fille ! ». Par la seule énonciation « c’est une fille/un garçon ! », tout un monde de représentations croisées entre intime et social se dessine déjà pour l’enfant. La manière dont l’enfant sera nommé, les premiers mots qui sont énoncés à son propos marqueront d’une certaine manière déjà son destin en établissant un schéma représentationnel et projectif de qui est cet enfant, en fonction aussi du lieu où il nait, des attentes de ses parents, des conditions de sa naissance, etc. Tout cela entraîne une inscription généalogique, historique, sociale et linguistique, au sein et au croisement de deux familles données qui, déjà, s’inscrit dans un système discursif préexistant (Butler 2004).

1 Actes d’énonciation performateurs d’identités sociales

En fonction des familles, la question se pose parfois de savoir comment nommer l’autre parent ; la compagne ou le compagnon de l’autre parent (famille homoparentale, constituées de deux mères, deux pères ; d’un·e géniteur/génitrice participant·e ou non ; d’une co-parentalité, etc.). L’on est ainsi, d’abord, ce que l’on naît et, de manière d’abord énonciative, puis scripturale, s’établit la performativité des premiers actes de paroles qui nous constituent comme êtres dans le monde, à travers l’inscription d’un certain nombre de données sur des registres. Notre existence est délimitée par les deux bornes de paroles performatives que sont la déclaration de notre naissance et celle de notre mort ; nous tenons notre rôle comme sujets énonciateurs – émetteur·ices de nos propres actes de langage dans l’espace temporel et légal défini par ces deux déclarations. L’énonciation, comme capacité de tout être humain existant, se trouve ainsi corrélée à l’encadrement performatif de notre être au monde par ces deux déclarations - de naissance et de mort (Fraenkel 2006, Butler 2004).

Entre ces deux termes frontières se déploie un espace (vécu) au sein duquel sont susceptibles d’advenir toute une série de modifications légales possibles de notre statut, qui seront inscrites et enregistrées par des actes administratifs divers – constituant autant d’actes performatifs qui viendront entériner progressivement nos déclarations. Ainsi, le mariage, le divorce, le veuvage, la modification du nom par adoption (avec une différence entre adoption simple ou plénière), ou encore le « passing » (changement de sexe) et son inscription juridique par un changement de prénom à l’état civil ; mais aussi le choix d’un nom d’usage, constituent autant d’étapes et de changements de statuts possibles, liés à des choix individuels, qui inscrivent la place sociale de chacune et chacun dans la société et peuvent interférer – ou pas – sur le changement ou le choix du nom porté – sachant que le nom de naissance, lui, ne change jamais.

L’objet de cette étude est de poser les bases méthodologiques pour démontrer, selon l’hypothèse que je formule ici, que les discriminations de genre sont acculturées par des représentations pré-existantes, liées aux manières de nommer, aux termes d’adresse (Butler 2004, Théry 2007), et s’organisent ainsi en ce que j’appelle un système discursif de discrimination – dont cet article propose une première définition, relative au genre. Je propose à la suite une étude de la

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construction sexuée, culturelle et discursive des individus à travers la problématique de la nomination, de l'adresse et de leur dimension performative – dans la mesure où nommer fait exister (comme), y compris sur le plan juridique – d’abord à partir du système genré d’adresse en Madame, Mademoiselle, Monsieur en français ; puis, dans un deuxième temps, au regard des modifications juridiques apportées par ledit mariage pour tous. Il s’agit, alors, en suivant la méthodologie proposée ci-après, qui s’attache à des éléments de langage récurrents, saillants, inscrits dans les discours de manière observable et symptomatique, de montrer comment ces éléments de langage rendent, par la constance de leur présence et leur multiplication, une fois mis côté à côte, ce système discursif de discrimination visible. Ces systèmes discursifs de discrimination s’inscrivent également, dans le temps et institutionnellement, au travers de décisions faisant autorité qui renforcent la dimension inégalitaire, souvent en l’entérinant. Les décisions de justice en font partie, avec, en particulier, la notion de « précédent » qui permet de travailler la répétition, la circulation des discours, la comparaison, la référentialité des discours les uns par rapport aux autres (voir la notion de prédiscours chez Paveau 2006). Dans cette dynamique, j’affirme que si « dire c'est faire », alors adresser, nommer quelqu’un a le pouvoir de faire être, devenir une personne ce qu’on la nomme (Austin 1962, Butler 2004, Dufour et al. 2004, Fracchiolla 2017, Kerbrat 2008, 2010, Lecolle et al. 2009, Cislaru et al. 2007).

1. Madame, mademoiselle, monsieur, : l’adresse genrée comme élément révélateur d’un système discursif de discrimination de genre

1.1 Pourquoi Mademoiselle est obsolète et discriminant

En 2011, dans le contexte large de l’affaire DSK, a eu lieu un nouvel épisode à propos de la nécessité de n’avoir qu’un seul choix entre « Madame » et « Monsieur » dans les formulaires administratifs français, associé à celle de la suppression de la mention « nom de jeune fille » au profit du seul « nom de naissance » (pour toustes) (Fracchiolla 2015a, Waki 2006). Cette requête, alors menée par diverses associations en défense de la non-discrimination de genre (Mixité, Les chiennes de garde1, Mademoiselle la case en trop !), a été entérinée par une circulaire de François Fillon, alors premier ministre. Néanmoins son traitement discursif et administratif laissait présager qu’elle ne serait pas faite pour la dernière fois2... Ici, ce qui peut sembler relever d’un choix individuel à ceux qui s’opposent à la suppression de « Mademoiselle », s’avère en réalité comme relevant bien d’un système discriminatoire dès lors que la distinction de statut légal opéré par l’un et l’autre terme (femme mariée ou non mariée) fait l’objet d’amendes, comme cela a été au moins une fois le cas en 20073, alors que cela ne

1 « Depuis plus de 40 ans, des circulaires rappellent à l'administration qu'aucun document ne peut-être exigé d'une femme qui souhaite user de la civilité « madame ». Pourtant, de nombreuses femmes se heurtent à des difficultés pour faire valoir leurs droits, que ce soit dans leur relation avec l'état ou avec des entreprises. L'administration continue de privilégier « mademoiselle » lorsqu'elle s'adresse à une femme non mariée. » http://www.madameoumadame.fr/ consulté le 21/10/2011.

2 La circulaire Fillon du 21 février 2012 concerne la « suppression des termes « Mademoiselle », « nom de jeune fille », « nom patronymique », « nom d'épouse » et « nom d'époux » des formulaires et correspondances des administrations et s'adresse aux Ministres et Préfets. Elle se conclut par : « Vous voudrez bien, en conséquence donner instruction aux services placés sous votre autorité d'éliminer autant que possible de leur formulaires et correspondances [ces] termes... » et un peu plus loin « Les formulaires déjà édités pourront néanmoins être utilisés jusqu'à épuisement des stocks ». Une circulaire n’étant pas une loi, l’ absence de volonté exhaustive associé à un argument curieusement économique pousse ici à s’interroger sur la date à venir de la prochaine circulaire sur le sujet, plus qu’à se réjouir de sa conclusion…

3 « L’association Mix-Cité a été saisie par Madame D.O. (lettre jointe) qui a adressé́ le 12 mars 2007 à la HALDE une demande de soutien face à un cas flagrant de discrimination: sa demande de remplacement de la mention « mademoiselle » par la mention « madame » sur sa carte grise lui a été refusée, bien qu’elle l’ait présentée à l’occasion d’un changement de domicile. Madame D.O. s’est vu réclamer la somme de 145 euros pour le simple changement de la mention « mademoiselle », alors que le changement de domicile a été effectué gratuitement. Il est évident que ceci introduit une discrimination par rapports aux hommes qui n’auront jamais à formuler une demande équivalente » (Extrait du dossier établi pour LA HALDE par l'association mix-cité :

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http://www.mix-pourrait jamais être le cas pour des hommes – à qui il n’est jamais demandé de préciser s’ils sont mariés ou non – autrement dit, disponibles sexuellement ou non. L’exemple de « Madame »/ « Mademoiselle » permet d’exemplifier la manière dont fonctionne la problématique de l’adresse d’un point de vue social, global, comme étant le lieu où s’articulent les deux territoires privé et public dont relève chaque individu au sein d’une société donnée4 et témoigne, de ce fait aussi de la manière dont l’identité – qui relève de l’intime – s’articule au social, y compris en termes de discriminations voire, au-delà, d’un véritable système de harcèlement de genre généralisé (dans la mesure où l’une des caractéristiques du harcèlement est sa répétition dans le temps, de manière imprévisible (ce qui fera l’objet d’un article ultérieur).

Ce sujet est en effet loin d’être neuf et avait déjà fait l’objet de nombreuses circulaires administratives, depuis la première question écrite de René Pleven ministre de la Justice en 1972, qui indiquait à ce propos qu’ « aucune réglementation – fût-ce pour l'établissement des documents officiels [...] – n'impose un choix entre les deux », à la réponse ministérielle n°5128 du ministre des Droits de la femme, Yvette Roudy, le 3 mars 1983, énonçant clairement que : « l'existence de deux termes différents pour désigner les femmes mariées et celles qui ne le sont pas constitue une discrimination à l'égard des femmes puisqu'une telle différenciation n'existe pas pour les hommes » ; et depuis, encore en 2003, 2005, 2006, 2011 (http://www.madameoumadame.fr/ce-n'est-pas-obligatoire, consulté le 21/10/2011). Plus loin encore, la loi du 6 fructidor de l'an II (1794) posait déjà le principe selon lequel les femmes gardaient leur nom de naissance toute leur vie et ne portaient, si elles le souhaitaient, le nom de leur époux après leur mariage, que comme « nom d'usage ». Il ne s’agit plus alors de s'interroger sur la légitimité ou non d'une telle demande (comme continuent de le faire nombre de ses détracteurs), mais plutôt de tenter de comprendre les raisons de la résistance à l’appliquer depuis la Révolution Française. Ce sont ainsi ces résistances, alliées aux répétitions à travers le temps, qui permettent de parler d’un véritable système discursif de discrimination – ce qui est également un moyen de montrer que le discours a, en effet, une emprise en même temps que des conséquences juridiques et sociales sur la vie des femmes (pour une analyse plus détaillée sur l’articulation sémio-sémantique et sociale de Mademoiselle par rapport à Madame, voir Fracchiolla 2015a5).

1.2 « Monsieur la députée » ou l’agresseur agressé

Toujours en termes d’adresse, et afin de montrer par l’accumulation des exemples sur un seul fait de langue, assez simple mais générique, la productivité explicative et clarifiante de la notion de « système discursif de discrimination » tel que je le définis, examinons à présent un événement qui s’est déroulé lors d’une séance publique à l’Assemblée nationale. Le 14 janvier 2014, alors que Sandrine Mazetier assurait la présidence de la séance en remplacement de Claude Bartolone, le député Julien Aubert a pris la parole à propos de la loi sur les logements. Durant toute son intervention, il s’est adressé à maintes reprises et systématiquement à

cite.org/actualite/documents/lettre_HALDE.pdf)

4 « Il est bien plus poli d’appeler une femme «madame», et ainsi de ne pas porter de jugement sur la vie privée. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas flatteur de laisser entendre à une femme qu’elle est "disponible", notamment dans un contexte professionnel ! » (http://www.madameoumadame.fr/ consulté le 12/11/2012). 5 Historiquement Mademoiselle est construit par rapport à Madame, sur la base d’une identité sociale de représentations liées au mariage, dépassées mais résistantes, où les femmes devenaient, par leur mariage, honorables et respectables car ayant été choisies par un homme comme mère de leurs enfants. Or, bien que le mariage ait aujourd'hui beaucoup moins d'influence sur la vie sociale réelle des femmes, le réseau de représentations et de sens associés poursuit cette distinction entre le fait de devenir « madame » ou non. Pourtant, cette dimension socialement négative associée au terme mademoiselle n’a pas lieu d’être dans une société où le mariage n’est plus le fait de la majorité et où d’autres modèles de vie en couple se sont développés (concubinage, pacs, couples de même sexe, famille monoparentales, recomposées...). La formulation administrative en « Mademoiselle » ou « Madame » est donc marquée comme obsolète au vu de l'évolution de la société.

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« Madame le président » ; chaque fois repris, en aparté par la principale intéressée et les autres députés, il a ignoré les remarques. Cela a conduit Sandrine Mazetier à conclure publiquement avec un « Merci Monsieur la député, vous êtiez la dernière oratrice ». A la suite, Julien Aubert a déposé une plainte pour fait personnel, où il lui a été répondu que le fait de s’adresser à Madame le Président était tout aussi problématique que de s’adresser à Monsieur la député6. Si ce premier fait est intéressant, le second qui l’a suivi le 24 octobre 2014 l’est encore plus : ayant reproduit son adresse en « Madame le Président » à Sandrine Mazetier dans les mêmes circonstances, Julien Aubert s’est alors vu soumis à une sanction financière de 1300 euros prélevés sur son indemnité de député – ce qui est, à notre connaissance, la première sanction financière prise à l’égard d’un député, concernant un fait de langue. Cet exemple est pour moi particulièrement révélateur de ce qu’est un système discursif – ici, de discrimination – à différents niveaux. Il permet, plus particulièrement, d’en comprendre le processus de construction – étendu dans le temps – selon un système de répétitions (circulation des discours, discours rapportés) qui prend sa source dans un ancrage idéologique (stéréotypique, fondé sur des croyances, sans remise en cause ni possibilité développement de sens critique à son égard) qu’il continue de perpétrer selon une boucle récursive fermée, qui s’auto nourrit.

2. La performativité des discours : quand la langue opère en révélateur de construit social 2.1. Premier niveau : la légitimation par la force d’un système discursif de discrimination linguistique

Comme travaille à l’expliquer depuis son premier ouvrage l’historienne Éliane Viennot (2014) et d’autres, depuis longtemps (Femme, j’écris ton nom…1998), la langue française connaissait, sans que cela ait jamais posé problème, une égalité de genre qui s’appliquait de manière référentielle en fonction de la personne désignée par le substantif – et l’on trouvait ainsi « médecine » ou « diaconesse » pour une femme sans difficulté aucune jusqu’au 16ème, 17ème siècle. Puis, suite à l’édit de Villers-Cotterêts voulu par François 1er, en 1539, la langue d’oïl est devenue progressivement langue administrative de référence pour remplacer le latin. Elle a donc fait, pour le dire de manière synthétique, l’objet d’une systématisation orthographique (Du Bellay, 1549), lexicale (fondation de l’Académie française, en 1635 par Richelieu pour donner un dictionnaire à la langue française) et grammaticale progressive (Palsgrave, 1535, première grammaire du français). D’abord discutées dans les salons, puis dans des ouvrages et traités divers, l’établissement de la langue française comme système linguistique a finalement fait l’objet d’une opération de masculinisation d’abord progressive (grâce à des auteurs comme Vaugelas) pour devenir systématique à partir du 19ème, où l’on voit totalement disparaître non seulement des substantifs féminins, mais aussi les logiques d’accord au féminin qui existaient jusqu’alors (l’accord de proximité). Ainsi, lorsque l’école est devenue, obligatoire laïque et publique pour tous (lois Jules Ferry 1881-82), la grammaire choisie pour enseigner la langue française fut celle, masculiniste, de Nicolas Bescherelle (1834). Le choix de cette grammaire comme référence a permis d’imposer à tous les enfants de France la règle d’un accord fondé sur le masculin chargé d’effacer le féminin – à tous les niveaux de son système en tant que langue (lexical, morphologique, syntaxique, y compris dans la versification avec l’invention des rimes féminines « muettes » – par rapport aux masculines dites « sonores ». Or, cette règle n’est fondée que sur le fait que les hommes seraient plus forts (physiquement) que les femmes – et que la langue devrait en rendre compte7 ; elle dicte ainsi que « le masculin l’emporte sur le

6 Pour une analyse discursive complète de cet événement linguistique, voir les carnets de la violence verbale : https://violenceverbale.hypotheses.org/268

7 « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » (Beauzée : 1767), ou encore : « Les mots masculins sont du premier genre puisqu’ils expriment la chose avec un rapport au mâle, ou comme étant de ce premier sexe. Les mots féminins sont désignés par leur appartenance au second genre ou second sexe » (Girard : 1747).

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féminin » - ce qui, on l’a compris, n’est que le résultat d’une position idéologique calquée sur un trait physique prétendument universel, et qui n’a rien à voir avec la langue en tant que telle ; au contraire : de ce fait, la grammaire a privé la langue de toute sa logique référentielle, et imposé une discordance cognitive très forte, en en complexifiant l’apprentissage (Fracchiolla 2008).

2.2. De l’effacement linguistique pour entériner l’effacement social

On voit ainsi comment la langue française est devenue progressivement mais sûrement le premier lieu d’étayage systématique de la discrimination des femmes, de leur effacement, par l’effacement de leur présence dans le système sémantique de référence – et donc, par effacement de leur existence linguistique en même temps que sociale. Car, ce que l’on ne nomme pas n’existe pas, en vertu d’une forme inversée de la loi de la performativité linguistique évoquée précédemment selon laquelle nommer fait exister. Ce système d’effacement s’est également doublé à l’état civil, depuis la révolution française, de la disparition nominale des femmes, d’abord devenue Madame+ le prénom et nom de leur mari ; puis plus récemment : Madame + leur prénom et le nom de leur mari (pratiquement universalisé en termes de « nom d’usage », alors que la propriété du nom d’usage est uniquement d’être un nom choisi – comme celui de Johnny « Hallyday » à la place de Smet, pour le célèbre chanteur français. Toute les lignées féminines ont donc systématiquement, elles aussi, étaient absorbées par celles des hommes (père – qui transmettaient le nom de naissance, puis mari, dont le nom s’imposait de fait – ce qui permettait aux femmes de porter le même nom que leurs enfants (Fracchiolla 2015a, 2017). C’est ainsi bien d’abord sur du discours, sur l’adresse aux femmes, la manière de nommer, dénommer les personnes dans leurs être, statuts, fonctions que s’est construit – et se construit toujours – un système discursif de discrimination genré. Allons plus loin : au-delà du seul exemple du genre, dont nous traitons ici, je formule l’hypothèse que c’est sur la base dynamique d’une analyse sociolinguistique des discours, fondée sur l’analyse de la manière dont la règle, le droit, s’articulent au langage, que se sont construits et se construisent toujours les systèmes de discriminations de tous ordres – ce qui fera l’objet d’ultérieures démonstrations à partir des recherches en cours.

Or, d’abord à l’occasion des guerres, puis par leur poursuite d’études et leur autonomisation progressivement rendue possible depuis les années 1960, les femmes ont montré qu’elles pouvaient remplacer les hommes dans toutes leurs fonctions, ce qui ne peut que contribuer à remettre en cause la dimension imposée systémique. En effet, du fait qu’elles deviennent professeures, directrices, ministres, présidentes, c’est désormais le défaut de référentialité qui devient remarquable – et donc le manque d’adéquation entre la personne qui occupe le poste et la manière de nommer cette personne ; ou encore l’absurdité qu’il y a à dire « les étudiants » à une assemblée de cinquante jeunes femmes et deux hommes. Les remarques de discordance devenant de plus en plus manifestes, le processus s’est ainsi accéléré récemment, qui remet en cause la dimension systémique, justement, de cette discrimination (loi sur la parité en politique, mariage pour tous, écriture inclusive – au sens large ; transmission du nom des deux parents, etc.). Ainsi poussé par la force de l’évolution de la société et des places de chacun·e (au sens Goffmanien lié à la notion des faces 1974) dans cette société, le caractère visible de discriminations qui ne l’étaient pas, car incluses dans un système (imposé) de croyances devient apparent – et de plus en plus manifeste en 2020.

3. Symbolique de la transmission du nom : filiation et patrimoine 3.1 Quand et comment se transmet le nom ?

Dans cette deuxième partie nous traitons globalement de la question du nom, de sa transmission, pour mieux comprendre comment ce qui relève du droit et de la manière dont il a pour objet de

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réguler, ordonner l’organisation sociale, peut également être révélateur de la manière dont il entérine (a entériné) des systèmes discursifs de discrimination.

Tout d’abord, jusqu’à très récemment, la femme n'avait pas de nom en propre mais passait du nom transmis par le père (anciennement dit « patronyme » – désormais nom de naissance) à celui donné par le mari lors du mariage en « nom d’usage », mais communément appelé « nom d’épouse »8). Ce n’est que depuis la loi n°2003-516 du 18 juin 2003 que les parents peuvent choisir de transmettre l'un ou l'autre de leur nom de famille ou leurs deux noms accolés, à leurs enfants. La loi du 1er janvier 2005, ajoute à cette loi la non obligation légale de mettre un tiret. Les conjoints peuvent par ailleurs indifféremment, mari comme femme, choisir de prendre le nom de leur conjoint·e en nom d'usage – sans jamais perdre sur les actes d'état civil leur nom de naissance. Certaines femmes, lorsqu'elles divorcent, souhaitent retrouver leur nom de naissance ; d'autres pour différentes raisons, souhaitent conserver leur nom de femme mariée ; parfois juste parce que c’est celui de leurs enfants (Fracchiolla 2017) ; néanmoins, l’ex-conjoint·e doit alors leur en accorder l’autorisation9. Le PACS10 est, lui, un contrat signé par les deux pacsé·es au tribunal de grande instance ; il ne change pas le statut juridique mais fiscal et n'a aucune incidence directe sur le droit de la famille et n’entraîne aucune « perte du nom ». Comme nous l’avons évoqué, c'est par la seule déclaration du nom que nous existons. D'un point de vue juridique, la transmission du nom comme du patrimoine se fait par désignation du nom de quelqu'un. En l'absence de testament, c'est la généalogie familiale, identifiable par "qui est enfant de qui" et la transmission des noms qui détermine celle du patrimoine à l'un plutôt qu'un autre. Aussi, d’une certaine manière, le véritable objet de tous les débats autour du nom est directement lié aux enjeux de la filiation, de la transmission et de la distribution à parts égales entre les deux lignées matrilinéaire et patrilinéaire ; ce qui va de pair avec les enjeux de pouvoir liés à la différenciation des identités sexuées et donc à la discrimination de genre. Si l’on en croit l’historienne Eliane Viennot, c’est de ce fait que toutes les femmes susceptibles d’hériter de la couronne de France ont été successivement éloignées (avec, comme premier prétexte, l’invocation d’une ancienne loi, dite salique) (2014). En ce sens, la question de la transmission est au cœur du système discursif de discrimination de genre (auquel participent en réseau d’autres éléments de langage, comme bâtard, putain…). C’est dans cette perspective que nous allons désormais nous intéresser à la loi du mariage pour tous·tes (2013) et à ce qu’elle a modifié en termes de transmission du nom dans les familles homoparentales avec deux mères, pour montrer en quoi cette loi agit comme révélatrice de l’existence d’un système discursif de discrimination de genre.

3.2 Ce que « mariage pour tous » veut dire11

Déjà, la manière même dont a été nommée la loi est étrange d’un point de vue sémantique, puisque deux mariages sont distingués, et qu’il serait plus exact de dire « toustes » ou « tout le monde » que « tous », qui ne renvoie qu’à des référents masculins, comme si les lesbiennes en étaient exclues. Par ailleurs, la vraie propriété du mariage pour tous est de créer un mariage à

8 Le choix de la commune appellation « nom de naissance » pour toustes correspond en réalité à l’application de la loi du 6 fructidor de l'an II (1794) qui pose le principe selon lequel les femmes gardent leur nom de naissance toute leur vie (comme les hommes, donc – « nom de jeune fille » n’a de sorte plus aucun fondement en état républicain) ; et que, si elles souhaitent porter le nom de leur époux après leur mariage, celui-ci devient alors leur « nom d'usage ». La terminologie fonctionnant comme réminiscence de l'époque pas si lointaine en France, où les femmes passaient de l'autorité de leur père à celle de leur mari a donc supprimé « patronyme », issue de pater, patris ainsi que « nom d’époux ». Par ailleurs, on notera au passage que la réforme du régime matrimonial de 1804 ne date que de 1965 : la femme peut enfin gérer ses biens, ouvrir un compte en banque, exercer une profession sans l'autorisation de son mari. Ce n’est qu’en 1970 que la mère devient l'égale du père en matière d'autorité́ parentale.

9 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33250 10 Pacte Civil de Solidarité.

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deux vitesses et d’introduire une discrimination, sous couvert de donner un droit. Le mariage devient en effet obligatoire (une étape intermédiaire) pour toute personne homosexuelle souhaitant reconnaître l’enfant qu’elle a désiré, voulu, élevé en couple, mais dont elle n’a pas accouché ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour un homme qui va reconnaître un enfant en mairie : la reconnaissance du père prévaut sur le mariage. Ainsi, des femmes (qui font ici l’objet de notre étude) se sont mariées à cette seule fin de pouvoir s’inscrire dans une transmission à part égale à tous leurs enfants en adoptant ceux de leur conjointe. Dans cette dynamique, le corpus, constitué de plusieurs entretiens avec des familles de deux mères qui ont eu des enfants avant la loi, et qui se sont mariées pour obtenir cette reconnaissance, a révèlé l'importance du nom donné, du nom porté et du nom choisi, qui s'inscrit dans une conception performative de l'adresse comme créatrice d'identité en raison des pouvoirs d'assignation qu'elle a, fondée sur la théorie des actes de langage.

3.1. Mariage pour tous·tes : les cadres de la loi

Le mariage pour tous donne tous les droits du mariage hétérosexuel, à l'exception de la présomption de paternité et de filiation qui existe dans le mariage hétérosexuel pour le conjoint de la femme qui accouche. Cette différence entre les deux mariages (et que la nouvelle loi bioéthique en cours de discussion supprimera peut-être en 2020) introduit de fait une situation inédite, génératrice de discours dont l’objet est de rétablir une possibilité d'indifférenciation quant à la parenté et à la filiation au regard de la loi. Or, cette indifférenciation passe également par la transmission du nom. Aussi est-ce de l'énonciation de cette exception que découlent tous les discours. Dans le cas du mariage homosexuel, la situation des enfants nés hors mariage ou dans le mariage n'offre aucune possibilité de reconnaissance de droits à la double filiation à la naissance comme c'est le cas pour les couples hétérosexuels. Ainsi, tout enfant qui naît d'une femme mariée à une autre femme n'est l'enfant que de celle qui accouche et porte son nom. Cela, tant que son épouse n'a pas obtenu le jugement d'adoption intrafamiliale, seule possibilité pour l'épouse de devenir le second parent. Il y a donc au regard de la loi un temps latent ajouté, symbolique, qui s'apparente à un second engendrement, tout en créant un espace d’insécurité juridique pour ces enfants et leurs familles12. Cette adoption rentre dans le cadre légal de « l'adoption de l'enfant du conjoint », droit qui s'applique à toutes les personnes mariées indifféremment de leur sexe. Le choix d'une adoption simple ou plénière dépend juridiquement d'abord de l'existence ou non d'une double filiation (mère ou père) et du choix des mères ensuite. Ainsi par exemple un enfant né d'une insémination avec donneur anonyme (IAD) peut-il être adopté par l'autre mère en adoption plénière ou simple. Si un père a reconnu l'enfant, l'adoption simple est la seule possible (avec l'accord des parents) et permet de transmettre un patrimoine sans rupture de filiation avec tous les parents reconnus (génétiques et adoptants).

Dans tous les cas la procédure d'adoption nécessite a minima la production de trois documents obligatoires auprès du tribunal d'instance du lieu de résidence : la requête en adoption, le consentement du parent déjà reconnu à l'adoption par son conjoint et le formulaire d'attribution du nom – lequel peut être modifié à l’occasion de l’adoption plénière. Néanmoins, chaque parquet a l'opportunité de demander tous les documents de son choix qui peuvent participer à la décision des juges. Ainsi, le dossier demandé par le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) doit comporter en plus des lettres de proches attestant de l'investissement affectif et parental préexistant à la demande d'adoption, des photos témoignant des liens tissés entre le ou les adopté·es et l'adoptante1, une enquête de police, etc. Tous ces éléments définissent un processus d'élaboration discursive dont la fonction est de prouver le bienfondé de la demande d'adoption et dont le caractère déclaratif vise, en réponse, la prononciation du jugement

12 Par exemple, si la mère accouchante venait à décéder avant que ne soit prononcé le jugement d’adoption, l’enfant se trouverait dans une situation juridique d’orphelin, qui ne correspond pas à la situation sociale et affective de sa naissance et serait séparé de son second parent – la mère non accouchante, en raison de cette latence juridique ajoutée.

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d'adoption (soit, un acte performatif). Un formulaire peut être alors joint au dossier qui demande une éventuelle modification du nom voire prénom(s) de l'enfant1. On voit ici comment le jugement d'adoption peut intervenir directement sur l'identité à travers les noms et prénoms des enfants. Les actes de naissance sont ensuite modifiés puis, à la suite des actes de naissance, les livrets de famille.

Si j'insiste sur cette lourde procédure, presque entièrement fondée sur du discours – et des actes de langage performatifs en cascade ensuite retranscrits : déclaration de naissance et d'identité, mariage, puis jugement d'adoption (Austin 1962, Fraenkel 2006) – c'est parce qu'elle permet de mettre en évidence en raison même de son existence que le cœur du problème est beaucoup plus la filiation que le mariage. La réalité observée à travers les entretiens montre une grande complexité et diversité de situations, dont la dimension variationnelle est démultipliée par les conditions restrictives de la loi – c'est-à-dire non simplifiées par une possible déclaration de parenté en mairie – qui oblige à de multiples démarches (sachant, en outre, qu’à chaque niveau de démarches plusieurs interprétations sont possibles). Trois entretiens réalisés entre 2014 et 2015 (soit durant une période que l’on peut dire adaptative de la loi) avec des mères de familles homoparentales qui se sont mariées durant cette période, permettent d’exemplifier certaines des implications pragmatiques et symboliques de la loi, en termes de système discursif de discrimination.

4. Construction des identités en discours : analyse de corpus en matrilinéarité

4.1 Problématiques transmissives d’une famille composée comme une famille recomposée

Interrogée sur les éventuels changements induits par leur mariage, l’une des mères répond que le mariage n’a rien modifié pour elles au niveau de leur état civil, et qu’elles n’ont pas choisi de nom d’usage. Elle décrit une situation assez complexe où les jumeaux dont a accouché sa compagne (suite à une IAD en Belgique) portent, comme elle, un « nom composé du patronyme* de son père et de sa mère qui sont accolés avec un trait d'union » ; ils garderont ce nom suite à la procédure d'adoption car sa compagne ne peut imaginer couper son propre nom de naissance en choisissant entre le nom transmis par sa mère ou celui transmis par son père, pour accoler le nom de la seconde mère ; et on ne peut accoler plus de deux noms. En revanche, elle explique que leur fille, qu’elle a portée, a été conçue avec un ami qui l'a reconnue légalement ; elle porte donc un nom composé de celui de son père et du sien. Chacun des enfants ne continue donc à porter que le nom de sa mère de naissance suite à l’adoption. En revanche, cette maman émet la possibilité de modifier son nom d’usage afin d’y accoler le nom qui compose la première partie du nom de sa compagne – et de ses enfants, ce qui lui permettra d’avoir une partie de son nom en commun avec leur fille et une autre partie en commun avec leurs garçons. Réalisé à l'automne 2015, cet entretien met en scène certains des éléments opératifs du système discursif de discrimination de genre. D'abord, l’usage ancré du terme patronyme – qui renvoie à la lignée par le père – au lieu du régulier et normalement standardisé « nom de naissance », montre la difficulté à sortir des habitus discursifs, et combien il est difficile ici pour la seconde mère de trouver une place symbolique et une reconnaissance par le nom. La reconnaissance d'une présence de deux parents dans l'histoire familiale ressort de l'importance accordée au nom, et montre également celle donnée à l'inscription des enfants dans une lignée familiale – ici, de la fille et des petits-enfants. L’énonciation du nom porté, choisi, est créatrice d'identité et de reconnaissance des liens assumés par chacun·e à l’égard des autres, au sein d'une famille dont la composition est complexe. Le nom de famille, qui préexiste normalement au vécu – on naît avec un nom de famille – vient ici au contraire entériner en second les relations que l'on a eu depuis sa naissance avec les personnes que l'on nomme « maman », dont on dit que ce sont « des frères et sœurs », « grands parents », « oncles et tantes ». Le changement de nom intervient comme une reconnaissance symbolique de ce qui existe déjà et le constitue définitivement dans le réel en instaurant un référent identifiable par tous·tes à ce qui n'était auparavant que le résultat d'un lien énonciativement constitué : « tu es

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ma maman et je suis ton enfant uniquement du fait que je dis que tu l'es et que tu dis que je le suis ». Cette reconnaissance différée par le nom se retrouve également dans les entretiens avec la plupart des autres familles interviewées ces dernières années, dont les deux suivantes.

4.2 Les enjeux symboliques de la transmission du nom pour palier le vide juridique

La deuxième famille repose sur deux femmes, mariées alors que l’une est enceinte de sept mois de jumeaux, en juillet 2013et un fils ainé, né biologiquement en 2008 de l’autre mère ; les trois enfants ont été conçus par IAD. Lors de la naissance de chacun des trois enfants, les mères décident ensemble de donner à chacun de leurs enfants en premier second prénom, le nom de famille de la seconde mère – ce qui est accepté par les employé·es de l'état civil (à Paris) au moment de l'enregistrement. Lors de la demande d’adoption, les mères déposent au TGI une demande d'adoption plénière croisée avec rectification du nom de famille de tous leurs enfants – en vertu du fait qu'un fratrie doit porter le même nom, et suppriment par la même occasion ce premier « prénom-nom de famille », qui deviendrait redondant. Quelques mois plus tard, le jugement d’adoption entérine la demande de modification qui accole (sans tiret selon la loi actuelle) les noms de famille des deux mères pour les trois enfants, selon l’ordre qu’elles ont choisi et qui est dans ce cas prioritairement alphabétique. Sur les actes de naissance modifiés, le premier parent cité est la mère de naissance pour chaque enfant.

4.3 Les enjeux de places dans la reconnaissance et la transmission

La troisième famille interviewée pour l’étude est constituée de deux mères et d'un enfant né en 2011 suite à une IAD. Sur son acte de naissance initial, l'enfant portait le nom de la mère sans mention de père. En événement relatif à la filiation était noté : "néant". La mère non accouchante y est reportée comme « tiers déclarant », avec ses prénoms, nom, profession et adresse13. Dans ce cas, son existence non reconnue est néanmoins attestée par la déclaration à l'officier d'état civil, qui lui vaut d'avoir son nom inscrit sur l'acte de naissance de l'enfant. C’est là l'une des nombreuses stratégies de reconnaissance symbolique mises en œuvre par les mères non accouchantes pour parvenir à montrer leur présence au moment de la naissance de leur enfant – qui ne peut être leur enfant. Comme on l’a vu, le système discursif de discrimination est construit sur l’idée même de ce qui est ou non légal. D’un point de vue anthropologique, il est courant de trouver, dans toutes les sociétés, et à tous les niveaux de sociétés, des enfants élevés par plusieurs femmes. Ce n’est donc pas cela qui est en question ici. La vraie problématique est celle qui consiste à accorder à la mère (et a fortiori à deux mères, qui se passent donc d’un homme), la capacité de filiation et de transmission directe. Autrement dit, le système discursif de discrimination fonctionne ici de manière à ne pas accorder aux femmes sur le plan légal ce que la réalité sociale quotidienne leur assigne : s’occuper et éduquer les enfants. Avant le jugement d'adoption, la mère de l'enfant est donc son seul parent légal. A la suite de leur mariage, dans leur requête d'adoption plénière de l'enfant de la conjointe, elles ont choisi de conserver à l'enfant son nom de naissance en premier et de lui adjoindre celui de son autre mère. Après le jugement d'adoption, l'acte intégral de naissance est rectifiée avec pour mention : « adoption plénière » ; « Enfant : Prénom + Nom de la mère de naissance + nom de la mère non accouchante accolé (sans tiret). Puis : Nom de la mère et, apparaissant en premier : celui de la mère non accouchante, puis en dessous à nouveau : nom de la mère : celui de la mère de naissance » – ce qui constitue un changement par rapport à l'acte original. Puis : « Événement relatif à la filiation : mariage des parents le XX/XX/2013. Lorsque la seconde mère me raconte que l'acte de naissance modifié la fait figurer en premier – alors que son nom est placé en second dans le nom de l'enfant – elle s'exclame amusée : « j'ai pris la place du père ! ils m'ont donné la place du père ! ». Et de me faire remarquer un peu plus tard que le livret de famille édité ensuite inverse lui les deux mères par rapport à l'acte de naissance. Dans

13 Pour l'anecdote, raconte-t-elle, l'agent municipal avait demandé « et vous, qui êtes-vous ? J'avais répondu « la mère », et là il me dit « ah bon ?! » Un peu perplexe, deux jours après la naissance et ne comprenant plus trop... Je me reprends et lui dit « la deuxième mère » et là, il me dit « ah mais oui bien sûr ! ».

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ces familles, dont les enfants sont nés avant la possibilité du mariage pour tous·tes, ou immédiatement après, une démarche d’inscription symbolique des enfants dans les deux familles a été initiée, par attribution en second, troisième, voire quatrième prénoms des prénoms des différents grands-pères et arrières grands-pères maternels des deux lignées. Cette transmission symbolique par les prénoms continue de se manifester, parfois, dans les choix des familles plus récentes (post mariage pour tous·tes, alors que l’attribution d’un nom de naissance en second prénom a totalement disparu)14.

4. 4 La création d’un système de matrilinéarité, révélatrice de l’existence d’un système discursif de discrimination de genre à l’égard des femmes

La question du nom, de l'adresse et de la filiation, est en réalité ici celle de la présomption de paternité – dont dépendait la transmission du nom et donc, du (patri)moine. Il n’est ainsi pas absurde d’imaginer que l'une des raisons originelle de la transmission purement déclarative du nom du père (dit jusqu'à récemment « patronyme ») était de pouvoir compenser symboliquement cette inégalité biologique de départ. Néanmoins, de ce fait, la branche familiale de la mère a disparu sur plusieurs générations, en raison de l'absorption – via le nom – de la mère et des enfants dans la seule famille du père. A cet égard, la loi a réinjecté une démarche d'égalité transmissive pour rééquilibrer un rapport entre les sexes qui s'était genré dans un sens unique – patriarcal et patrilinéaire. Depuis 2003, les époux choisissent en effet ensemble leur nom d'usage et celui des enfants, qui peut être celui de la femme, du mari ou des deux accolés. Même si l'usage du nom du mari comme nom de famille se perpétue majoritairement dans les couples hétérosexuels et, de fait, dans les représentations que les individus ont constitué de la famille – comme illustré ci-après. En 2013, le mariage pour tous permet, via l'adoption des enfants de leur conjointe, une institutionnalisation de la matrilinéarité en France et, à ce titre, une reconnaissance légale de l'un des éléments qui fonde le schéma de la patrilinéarité, aux femmes15.

Si j’insiste sur ce point c’est parce que qu’en sortant du discours habituel, la loi force ici, selon un procédé huilé de mise en abyme, une série d’autres portes. Une brèche est ouverte dans le système discursif de discrimination de genre ; un observable, invisibilisé par des usages sociaux et discursifs récurrents et circulants, remonte à la surface progressivement, qui rend apparent l’une des stratification discursive de la discrimination. Or, c’est par la multiplication des mises au jour de ce type, de remontées des éléments sédimentés et obscurcis par le temps à la surface que les discriminations deviennent apparentes. Bien que la loi ait été votée et malgré la clarté de leur situation familiale, des mères racontent qu’ayant fait une demande de place en crèche courant 2014 (avant jugement d’adoption), la mairie leur a adressé un courrier de refus adressé à « Monsieur et Madame » puis du seul nom de la mère biologique des enfants – et qui est aussi le premier nom du nom composé des enfants. Ce qu’il est aisé d’interpréter comme une persistance des usages et représentations : en vertu des usages qui font que la mère mariée tend à prendre le nom du père en nom d’usage, il était sans doute logique pour l'employé·e de mairie que la mère biologique transmettrice du premier nom soit en fait le père. On retrouve ici le présupposé systématique selon lequel une femme mariée porterait nécessairement le nom de son mari, qui relève des stéréotypes quotidiens auxquels les femmes (mariées) sont confrontées en France. En cela, la question du nom (des enfants, des femmes) relève à part entière de ce tissage d’éléments qui, imbriqués, tissés les uns aux autres, organisés en systèmes discursifs, contribuent à faire perdurer et susciter toujours comme « normale » les discriminations de genre.

Conclusion

14 Ce dont attestent les entretiens réalisés depuis 2015 avec des familles homoparentales lesbiennes.

15 En leur donnant la possibilité de procréer et d'établir une lignée en leur nom propre, est donné aux femmes le pouvoir de conserver leur nom dans le mariage et de ne plus s'insérer dans le schéma hétérosexuel habituel qui, faisant disparaître toute trace de la lignée maternelle, efface par là-même l'existence des femmes.

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La construction discursive de la maternité s’élabore aussi à travers la possibilité de transmettre son nom, en étant une femme. C’est là une porte ouverte à une autre voie que celle habituellement portée par le système discursif de discrimination (où, comme nous l’avons vu, le nom de la mère est régulièrement absorbé par celui de la lignée du père) puisqu’alors, dans le cadre du mariage pour tous·tes – et de l’adoption par la conjointe qu’il rend possible, les deux mères peuvent transmettre leurs noms. Tous ces éléments montrent que si la loi énoncée est la même pour tous, son application demeure relative et dépendante des pratiques qui sont, comme en témoignent nos exemples, diverses ; lesquelles pratiques, tout en étant symboliques, constituent un lieu d’actualisation et de réalisation sociale. Or, en vertu de la théorie des actes de langage et de la performativité de l'adresse, le social est créé avec, dans et par le symbolique. L'adresse définit les places et les rôles sociaux, assigne et construit les identités en synchronie, mais aussi en diachronie, sur des générations et selon des processus itératifs d'usage qui finissent par avoir valeur de loi dans l'esprit des individus. De fait, ce que vient bouleverser le mariage pour tous·es est à la fois lié à l'état actuel de la législation sur la transmission du nom et la manière dont il en actualise la pratique d’application par les citoyennes, à travers l’appropriation qu’elles en font. Le corpus recueilli témoigne que les biais liés au mariage pour tous·tes concernant le nom peuvent être identiques à ceux rencontrés par toutes les femmes mariées : perte d'identité, confusions des rôles et de la reconnaissance sociale, assignation automatique des genres relativement au nom. Aussi, le mariage homosexuel vient d'une certaine manière pointer du doigt, rendre visible, observable un sexisme accepté par habitude et devenu si ordinaire qu'il en est devenu invisible. En cela nous pouvons dire que la loi du mariage pour tous·tes contribue à révéler le système discursif de discrimination du genre à l’œuvre.

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