LES CONCEPTIONS DES ÉLÈVES ENTRE SENS COMMUN
ET MODÈLES SCIENTIFIQUES - CAS DES ACIDES ET BASES
Mohamed et Olfa SOUDANI*, Latifa OUERTATANI**
*IUFM de Lyon / LIRDHIST UCB Lyon 1, **ISEFC, Université Tunis 1
MOTSCLÉS : CHIMIE ACIDEBASE ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE CONCEPTIONS - MODÈLES
RÉSUMÉ : Les concepts d'acide-base occupent une place importante en sciences chimiques et biologiques. Leur enseignement suppose leur « simplification » afin de les adapter aux différents niveaux scolaires. Dans quelle mesure cet enseignement permet-il aux élèves de passer de la perception commune à des représentations mentales de modélisation des phénomènes "perçus". Nous exposons ici des résultats d'enquête auprès d'élèves de 16-18 ans pour "mesurer" l'effet de cet enseignement sur les conceptions qu'ils ont des acides et des bases.
ABSTRACT : Acid and base concepts occupy an important place in biological and chemical sciences. Their teaching supposes their "simplification" to adapt them to the different levels. How this teaching allows - it pupils to pass from the common perception to mental representations of phenomena modeling. This paper exposes some results of inquiry beside pupils of 16-18 years to "measure" the teaching effect on ideas they inially have about acids and bases.
1. INTRODUCTION - PROBLÉMATIQUE
De par son omniprésence dans nos pratiques quotidiennes (nourriture, conservation d'aliments, décapage, nettoyage, industrie…), la notion d'acidité fait partie intégrante du langage commun, elle fait partie de notre culture. Les concepts d'acide et de base occupent une place importante en sciences chimiques et biologiques, mais de manière plus ou moins "perceptible" dans notre vie quotidienne. En effet, la perception commune entend l'usage des sens de manière passive, alors que la perception scientifique englobe la première et implique une activité mentale de lecture et de représentations modélisantes des phénomènes "perçus", dans un cadre théorique reconnu comme tel. Nous nous posons alors la question du rapprochement / distanciation que les apprenants tunisiens du secondaire (15-18 ans) font entre ces deux registres. Cette partie de notre travail concerne des résultats de questionnaires auprès de ces élèves sur le sens qu'ils donnent aux termes acide et base, sur leurs liens et sur le lien entre leur force et leur concentration.
2. CADRE THÉORIQUE
« La définition de l’acide est, à vrai dire, la clé de la chimie, non seulement parce que ce sont les acides qui produisent les plus beaux phénomènes, et en plus grand nombre, mais encore parce que ce sont des agents visibles et palpables, dont les effets frappent nos sens, de sorte que l’on peut dire que c’est la chimie des acides qui a ébauché la science et qui sert de base au système général de nos connaissances dans cette partie de l’étude de la nature » (Guyton de Morveau, 1786).
Même si, historiquement, on peut établir une corrélation entre l’évolution de la chimie et celle des définitions des acides et des bases, telle n’est pas la question didactique que nous nous posons. Nous disposons aujourd’hui non pas d’une clé, mais d’un trousseau de clés. Les questions auxquelles nous pouvons alors tenter de chercher des éléments de réponses seraient du type : Comment permettre aux élèves de s’approprier des clés ? Comment leur faire prendre conscience de la multitude de clés et de la possibilité d’en fabriquer ? Comment les rendre capables de mobiliser la bonne clé dans une situation donnée ? Dans cette même lancée, nous dirions qu'une première phase exploratoire de cette recherche consiste à savoir si les élèves interrogés se sont approprié les clés des portes devant lesquelles on les a déposés. Si oui, dans quelle mesure ? Comment s'en servent-ils ? Il s'agit donc de : (1) caractériser la nature des connaissances (quelles clés ?) que les élèves ont pu développer pendant leur cursus, avant la classe de terminale, (2) Identifier les liens éventuels de ces connaissances avec les connaissances communes, dans le contexte socio-culturel
local (Tunisie), (3) Tenter des hypothèses sur « l’efficacité » de l’enseignement (en terme de méthode et de contenu présenté aux élèves).
Cette analogie fait bien entendu le rapprochement entre la clé et le modèle dont la caractéristique serait, non pas l'ouverture de portes, mais "l'ouverture" de l'esprit pour pouvoir interpréter et prédire les phénomènes étudiés et/ou perçus de manière plus ou moins spontanée. Mais, comme toute analogie, elle a ses limites. L'esprit de notre cadre théorique peut se résumer dans le schéma suivant (Martinand 1992, 1994)
Modèles, Théories
(Relations entre les constructions mentales)
Perceptions communes, expérimentations phénomènes (Relations entre objets)
• Relation entre monde réel et monde théorique
• Relation entre objets, faits, évènements à la lumière d'une "construction théorique" • Validation – reconstruction
3. MÉTHODE DE RECHERCHE
3.1 Public visé
1ère 2de avant enseignement des acides-bases
2de après enseignement des acides-bases
3e (Sc. Exp.) après enseignement des acides-bases
Questionnaire 1 Questionnaire 2
Questionnaire 3
3.2 Principe
L'élève doit : savoir reproduire les mots associés au concept ; savoir définir le concept ; savoir reconnaître le concept parmi d’autres en justifiant ; savoir donner ses propres exemples en les justifiant.
3.3 Outil
L'outil utilisé dans cette recherche est composite : des associations de mots, des questions à choix multiples (QCM), des questions de catégorisation, et des questions dichotomiques.
3.4 Résultats
Le résultat de l’association de mots aux termes inducteurs "acide" et "base" montre que ni avant ni après enseignement ces deux termes n'ont été associés. On constate également qu'avant tout enseignement explicite des concepts acide et base, le terme acide semble, aux yeux des élèves, bien lié aux aspects organoleptiques, ce qui n'est pas le cas pour "base". Cette association disparaît dès le premier niveau d'enseignement, comme si l'acte d'enseigner inhibe "l'agressivité" des acides que les élèves ressentaient dans leur vie quotidienne. Cet acte constituerait une sorte d'anti-acide !
L'histogramme ci-après, regroupant les réponses des élèves à un QCM sur la définition d’un « acide », est en même temps un comparatif entre des élèves de 2e année (15-16 ans) et des élèves de 3e année.
Légende (histogramme 1)
- AH+ : Accepteur de proton H+ - AE : Accepteur d’électrons
e-- AOHe-- : Accepteur d’ion hydroxyde OHe-- OH-- DE : Donneur d’électrons
- DH+ : Donneur de protons - DHO- : Donneur d’ion hydroxyde
2nde 3ème % de réponses à la question "un acide est :"
un acide est A H + AE AO H- DE DH+ DOH-60 50 40 30 20 10 0
L'histogramme ci-contre regroupe les pourcentages de réponses des élèves sur la définition d’une base
% de réponses à la question "une base est :"
une base est 2nde 3ème AH + A E AO H- DE DH+ DOH-70 60 50 40 30 20 10 0
Une série de trois questions a été posée aux élèves à propos du lien entre la force d'un acide et sa concentration.
Les pourcentages de réponses sont regroupés dans le diagrammes ci-contre :
Q1 : Un acide concentré est un acide fort Q2 : Plus un acide est concentré plus il est fort Q3 : Un acide faible est un acide peu concentré
Question 1 Question 2 Question 3
Nature de la réponse % 2nde 3ème 80 60 40 20 0
4. CONCLUSION
Les élèves n’associent pas acide et base. Près de 4/5des élèves de 2e citent le BBT comme critère « pratique » de reconnaissance du caractère acide ou basique d’une substance, alors que seulement 2/3 le font. De même pour le critère « théorique », même si les résultats restent très dispersés dans l’ensemble et témoignent du manque de compréhension des définitions qu’ils ont évoquées. Chaque changement de niveau scolaire ne semble pas intégrer le contenu du niveau antérieur, c’est à dire que le savoir retenu n’est que de courte durée. La référence au sens commun, omniprésente au tout début, reste prégnante après enseignement. Même si les élèves semblent prononcer des termes spécifiques, le savoir en jeu reste simplement déclaratif…
BIBLIOGRAPHIE
MARTINAND J.-L., Quels enseignements peut-on tirer des travaux dans la perspective du développement de curriculum. Notes pour la recherche. Nouveaux regards sur l’enseignement et
apprentissage de la modélisation en sciences, Collectif, Equipe LIREST, INRP, 1984, pp. 115-125.
OUERTATANI L., Évolution des conceptions des élèves tunisiens sur les acides et les bases entre
la perception socioculturelle et les modèles scientifiques, Mémoire de DEA, Université Tunis 1,