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Ovide : le feu des métamorphoses

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Submitted on 12 Jun 2018

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To cite this version:

Hélène Vial. Ovide : le feu des métamorphoses. L’Imaginaire du feu. Approches bachelardiennes, 2007. �hal-01813493�

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Ovide : le feu des métamorphoses

Hélène Vial (Université Rennes 2)

Il peut sembler périlleux d’associer les ouvrages de Bachelard et les Métamorphoses d’Ovide, surtout si l’on se rappelle que le premier, dans Lautréamont, qualifie de « froid et formel » le mythe de la métamorphose tel qu’il apparaît dans l’œuvre ovidienne1. Nous ne ferons donc ni une lecture bachelardienne des Métamorphoses, ni une lecture ovidienne des œuvres de Bachelard, mais nous tenterons de faire « réagir », au sens chimique du terme, le grand poème de la métamorphose avec cette affirmation de Bachelard dans La Psychanalyse

du feu : « Par le feu tout change. Quand on veut que tout change, on appelle le feu. »2

Bachelard a affirmé maintes fois l’importance symbolique et littéraire de la métamorphose, et l’on peut percevoir, par-delà les siècles, une parenté profonde entre l’idée que « la matière est l’inconscient de la forme »3 et qu’il existe une « poésie dynamique » où

« les choses ne sont pas ce qu’elles sont » mais « ce qu’elles deviennent »4, et la poésie

ovidienne de la métamorphose. Les « forces imaginantes »5 à l’œuvre dans le poème d’Ovide ne sont pas puisées dans un seul élément, mais, également, dans les quatre, ce qui permet de définir les Métamorphoses comme une totalité des possibilités de l’imagination matérielle : ces quatre éléments, qui ont donné à certains des plus beaux livres de Bachelard leur nom et leur orientation, forment même le socle philosophique des Métamorphoses, puisque la transformation permanente de l’univers ovidien est due à la combinaison de l’eau, de la terre, de l’air et du feu6.

Nous explorerons ici, à travers quelques exemples, la relation entre le feu et la métamorphose dans le poème d’Ovide. Cette relation nous semble prendre trois formes principales : le feu intervient soit comme un substitut de la métamorphose, dans des passages où celle-ci, étonnamment, ne se produit pas, soit comme son élément déclencheur, soit enfin comme son résultat, quand un personnage devient feu, accédant ainsi à l’immortalité.

1 Lautréamont, Corti, 1986, p. 39.

2 La Psychanalyse du feu, Gallimard, 2000, p. 102. 3 L’Eau et les Rêves, Corti, 1942, p. 70.

4 Ibid., p. 66. 5 Ibid., p. 1.

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I. Dans ce poème qui dit inlassablement la transformation, on a parfois l’impression qu’il « manque » une métamorphose. C’est le cas, aux livres I et II, dans l’aventure tragique de Phaéthon, ce jeune homme qui meurt foudroyé parce qu’il a voulu donner la preuve de ses origines en conduisant le char du Soleil, son père. Dans ce long cycle narratif, la métamorphose est omniprésente. Au moment où Phaéthon parcourt le ciel sur le char de son père, le monde entier, devenu la proie des flammes, subit une inversion de toutes ses qualités et se trouve placé dans un état oxymorique qui évoque le déchirement des personnages métamorphosés. Après la mort de Phaéthon, son entourage est emporté par la douleur dans un véritable tourbillon de métamorphoses : ses sœurs, les Héliades, deviennent des arbres, son ami Cygnus un cygne ; son père lui-même s’éclipse littéralement, plongeant l’univers dans les ténèbres. Mais Phaéthon, lui, ne se métamorphose pas, et sa mort est le lieu d’un véritable tour de passe-passe poétique, car Ovide, à la place de la métamorphose attendue, se livre à une comparaison :

At Phaethon, rutilos flamma populante capillos, Voluitur in praeceps longoque per aera tractu Fertur, ut interdum de caelo stella sereno, Etsi non cecidit, potuit cecidisse uideri.7

Nous assistons ici à une explosion du corps qui ressemble, nous dit Ovide, à la chute elle-même illusoire d’une comète. La fragilité de la frontière entre mort et métamorphose est d’autant plus grande que, si Phaéthon ne se métamorphose pas, l’épisode « compense » cette absence par un certain nombre de substituts : embrasement universel, foudroiement du jeune homme, comparaison avec l’étoile filante. Le destin de Phaéthon est donc saturé par les suggestions d’une métamorphose que son corps ne subit pas, des suggestions qui sont presque toutes liées à l’élément feu.

On pourrait évoquer, en lien avec la légende de Phaéthon, celle d’Icare8, où c’est le feu du Soleil qui, en faisant fondre les ailes de cire du jeune homme, se substitue à la transformation. Mais il existe un cas plus spectaculaire encore : celui de Méléagre, dont le destin a été associé par les Parques, à sa naissance, au destin d’un morceau de bois. Devenu adulte, Méléagre tue ses oncles ; sa mère, Althée, inconsolable, jette dans les flammes le morceau de bois auquel est associée la vie de son fils, le condamnant ainsi à mourir dans

7 « Phaéthon, sa chevelure rutilante ravagée par la flamme, roule précipité à travers les airs, où il laisse en

passant une longue traînée, semblable à celle que produit parfois une étoile au milieu d’un ciel serein, lorsque sans tomber en effet, elle peut paraître tomber. » (II, 319-322). La traduction est celle de G. Lafaye, revue par J.-P. Néraudau, Gallimard, 1992.

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d’atroces souffrances, dévoré de l’intérieur par un feu invisible au fur et à mesure que le morceau de bois se consume :

Aut dedit aut uisus gemitus est ille dedisse Stipes et inuitis correptus ab ignibus arsit. Inscius atque absens flamma Meleagros ab illa Vritur et caecis torreri uiscera sentit

Ignibus ac magnos superat uirtute dolores. Quod tamen ignauo cadat et sine sanguine leto, Maeret et Ancaei felicia uulnera dicit ;

Grandaeuumque patrem fratresque piasque sorores Cum gemitu sociamque tori uocat ore supremo, Forsitan et matrem. Crescunt ignisque dolorque, Languescuntque iterum ; simul est extinctus uterque Inque leues abiit paulatim spiritus auras,

Paulatim cana prunam uelante fauilla.9

Le meurtre du fils par la mère est ici d’autant plus cruel qu’il se fait de façon métonymique : Althée ayant jeté dans le feu le « tison funeste »10, le corps de Méléagre, rongé de l’intérieur « par un feu aveugle », se consume tandis que la bûche est réduite en cendres. Comme Phaéthon, Méléagre ne se métamorphose pas, mais meurt par le feu ; comme lui, il recevra une épitaphe près de laquelle ses sœurs finiront par se transformer, perdues dans un deuil indépassable. C’est donc, ici encore, le feu qui se substitue à la métamorphose, transformant le corps d’une manière d’autant plus terrible qu’elle est lente et progressive. La combustion intérieure de Méléagre est décrite par Ovide comme une métamorphose : le morceau de bois a des réactions quasi humaines lorsqu’il est jeté au feu ; inversement, Méléagre est à la fois lui-même et le morceau de bois, et Ovide emploie à son sujet le mot

absens, ce qui apparente sa mort à une métamorphose, état intenable d’un être à la fois présent

et absent à lui-même.

II. Au contraire, dans le récit de l’apparition des Memnonides, la métamorphose a bien lieu et c’est le feu qui lui sert d’aliment :

… Memnonis arduus alto

Corruit igne rogus nigrique uolumina fumi Infecere diem, ueluti cum flumina natas

9 « Le bois lui-même exhala ou sembla exhaler des gémissements, quand il devint la proie des flammes qui le

dévoraient à regret. Sans en rien savoir et quoique éloigné, Méléagre brûle du même feu ; il sent ses entrailles consumées par ce brasier caché et il surmonte à force de courage ses horribles souffrances. Mais, en se voyant succomber à une mort inutile, sans avoir versé son sang, il se désole, il nomme une faveur du sort le coup qui frappa Ancée ; sa voix mourante appelle en gémissant son vieux père, ses frères, ses tendres sœurs, la compagne de sa couche, peut-être même sa mère. Ses douleurs augmentent en même temps que les flammes, puis elles vont s’affaiblissant ; les unes et les autres s’éteignent à la fois ; peu à peu son souffle s’échappe dans l’air léger, pendant que peu à peu une cendre blanche recouvre les charbons. » (VIII, 13-26).

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Exhalant nebulas, nec sol admittitur infra ; Atra fauilla uolat glomerataque corpus in unum Densetur faciemque capit sumitque calorem Atque animam ex igni ; leuitas sua praebuit alas Et primo similis uolucri, mox uera uolucris Insonuit pennis ; pariter sonuere sorores Innumerae, quibus est eadem natalis origo.11

Du bûcher où se consume le cadavre de Memnon naissent, comme en une offrande funèbre, d’innombrables oiseaux qui, à peine sortis du néant, se livrent un combat meurtrier. L’issue de la métamorphose est donc ambiguë : c’est une naissance suivie d’une seconde mort qui commémore la première, mais ce sera aussi, à long terme, une renaissance, puisque cette scène se répètera tous les ans. Cette transformation est profondément originale, car elle substitue au corps initial non pas un autre corps, mais une multitude d’êtres nouveaux, et ces derniers, aussitôt annulés au terme d’une obscure guerre civile, entrent ensuite dans un processus cyclique qui ne relève plus de la métamorphose proprement dite. Celle-ci se limite au moment où, de l’écroulement du bûcher, s’envolent des cendres qui subissent ensuite un mystérieux processus d’agglomération et de condensation. Cet effondrement suivi d’un jaillissement contient le symbolisme de mort et de renaissance qui domine l’ensemble du texte. Un rôle similaire revient à l’image de l’écran formé par la fumée, qui fait tomber la nuit en plein jour, image redoublée par celle du voile de brume au-dessus d’un fleuve : cette comparaison oxymorique, qui rapproche le feu et l’eau jusqu’à faire d’eux, par la magie des sonorités, presque l’anagramme l’un de l’autre (uolumina fumi, flumina), suggère qu’un bouleversement fusionnel des éléments est en train de se produire derrière le rideau noir, et que tout, à cet instant, est susceptible de s’inverser magiquement. C’est de la mort même, ou de son résidu impalpable, que s’élève alors la vie. Ce qui jaillit est d’abord impossible à identifier : comme souvent, le poète semble captivé par le dégagement même de la forme et le récit reste suspendu dans cette fascination de l’entre-deux. L’image de l’oiseau n’émerge qu’avec l’expression primo similis uolucri, mox uera uolucris. Le claquement sonore des plumes, bientôt amplifié par la naissance simultanée d’une nuée d’oiseaux identiques, semble célébrer autant l’achèvement de la métamorphose, et du texte, que la gloire du héros mort. Dans ce passage énigmatique où la mort et la vie semblent, au sein de l’élément feu, équivalentes et réversibles, le fracas final des Memnonides sonne comme une définition du

11 « Le grand bûcher de Memnon, dont les flammes s’élevaient vers le ciel, s’écroule de toute sa hauteur et des

tourbillons d’une fumée opaque obscurcissent le jour, semblables à ces brouillards qui se dégagent du sein des fleuves, interceptant les rayons du soleil. Des cendres noires s’envolent, puis s’agglomèrent et se condensent jusqu’à former un corps qui reçoit du feu la chaleur et la vie ; leur légèreté lui a donné des ailes ; d’abord c’est un être semblable à un oiseau, bientôt après, c’est un oiseau véritable, qui agite ses plumes avec un grand bruit ; il est imité par des oiseaux innombrables, ses frères, qui ont la même origine. » (XIII, 600-609).

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poème lui-même, tel qu’Ovide le décrira dans l’épilogue des Métamorphoses : un son à la fois unique et multiple, qui s’élancera loin au-dessus du bûcher funèbre du poète pour célébrer sa gloire et renaître à chaque lecture12.

Un autre épisode voit l’air et le feu se combiner pour susciter la métamorphose : au livre XIV des Métamorphoses, Hersilie, l’épouse de Romulus, est enlevée par un astre qui, telle une étoile filante, s’abat sur terre, embrase sa chevelure et, dessinant à l’envers la silhouette d’une comète, l’entraîne au ciel où elle retrouve son époux13. Inversion triomphante de la course tragique de Phaéthon, le voyage d’Hersilie donne lieu à une scène fantastique au terme de laquelle « l’amour, la mort et le feu sont unis dans un même instant »14 ; mais nous ne nous y attarderons pas, car le feu n’y apparaît que comme un moyen matériel – certes original et luxueux – de propulsion spatiale.

III. « Dans le sein du feu, la mort n’est pas la mort ». Cette phrase de Bachelard15 pourrait être une belle définition des épisodes des Memnonides et d’Hersilie ; mais elle semble surtout pouvoir caractériser les récits où Ovide nous montre un personnage se transformant en feu et, par là même, en divinité.

Nous laisserons de côté la métamorphose de la couronne d’Ariane en une constellation16, car le feu ne s’y manifeste que sous la forme du scintillement stellaire né des pierreries, qui échappent à la vie terrestre et vont rejoindre les « épures » dessinées par le « rêve constellant »17. La couronne symbolise le corps même d’Ariane, mais surtout le

fragment d’immortalité que les personnages ovidiens portent en eux et qui, seul, subsiste d’eux dans leur apothéose.

Cette mystérieuse « part meilleure » de l’être est l’un des éléments centraux de l’apothéose d’Hercule :

Interea quodcumque fuit populabile flammae Mulciber abstulerat ; nec cognoscenda remansit

12 XV, 871-879.

13 « Là un astre tombe du haut des cieux sur la terre ; sa lumière met en flammes les cheveux d’Hersilie, qui

s’envole avec l’astre dans les airs. Le fondateur de la ville de Rome la reçoit entre ses bras qu’elle connaît si bien ; il lui donne à la fois un autre corps et un autre nom ; il l’appelle Hora. C’est la déesse dont le culte est aujourd’hui associé à celui de Quirinus. » (XIV, 846-851).

14 G. Bachelard, La Psychanalyse du feu, p. 41. 15 Ibid., p. 42.

16 « Elle y était restée seule, exhalant mille plaintes, lorsque Liber vint la prendre dans ses bras et lui porter

secours ; voulant répandre sur elle l’éclat d’un astre impérissable, il détacha la couronne dont elle parait son front et l’envoya au ciel. Celle-ci vole à travers les airs subtils ; dans son vol ses pierreries deviennent des étoiles aux feux étincelants, qui se fixent au firmament ; mais elles ont gardé la forme d’une couronne ; sa place est entre Nixus, l’Homme à genoux, et celui qui tient un serpent. » (VIII, 176-182).

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Herculis effigies, nec quicquam ab imagine ductum Matris habet tantumque Iouis uestigia seruat. Vtque nouus serpens posita cum pelle senecta Luxuriare solet squamaque nitere recenti, Sic, ubi mortales Tirynthius exuit artus, Parte sui meliore uiget maiorque uideri Coepit et augusta fieri grauitate uerendus. Quem pater omnipotens inter caua nubila raptum Quadriiugo curru radiantibus intulit astris. Sensit Atlas pondus…18

Ce récit met fin à un triptyque fondé sur l’élément feu : alors qu’Hercule entretient les flammes d’un sacrifice, on lui apporte de la part de son épouse Déjanire une tunique imbibée de ce qu’elle croit être un philtre d’amour. Mais c’est le venin de l’hydre de Lerne qui saisit et consume le corps du héros, répandant en lui un « surfeu surhumain, sans flamme ni cendre, qui portera le néant au cœur même de l’être »19, et d’autant plus torturant pour le héros qu’il lui reste incompréhensible, tout comme celui qui consume Méléagre (d’ailleurs frère de Déjanire). Pour mettre fin à ce supplice, Hercule s’immole sur un bûcher qu’il a élevé et sur lequel il semble trouver enfin la paix. Le corps d’Hercule est donc la proie d’une double combustion, et, en cet instant où « le feu se dévore lui-même » et où « la puissance se retourne contre soi », « il semble que l’être se totalise sur l’instant de sa perte et que l’intensité de la destruction soit la preuve suprême, la preuve la plus claire de l’existence. »20 Cette combustion conduit le héros à la mort, mais surtout à une apothéose dont le récit rassemble toutes les images du feu : comme dans l’épisode des Memnonides, la métamorphose jaillit littéralement du bûcher funèbre, et l’entrée d’Hercule dans le monde divin, rendue possible par l’action destructrice et purificatrice des flammes, est décrite comme une explosion de lumière culminant sur l’image finale d’un rayonnement astral. Comme un serpent dans sa mue, le héros abandonne aux flammes du bûcher son enveloppe mortelle et ne conserve que sa part immortelle, qui rejoint, au terme d’une ascension fantastique, la sphère divine, où il devient un dieu et s’installe parmi les astres. L’ensemble de récit décline donc le motif du feu : du brasier du sacrifice aux rayons émis par les étoiles, en passant par la brûlure du poison, la flamme du bûcher et l’éclat lustré d’une écaille de serpent toute neuve, le feu

18 « Cependant Mulciber a emporté tout ce que la flamme pouvait détruire ; rien n’est plus reconnaissable dans

ce qui reste d’Hercule ; il n’a plus rien de ce qui rappelait sa mère et ne conserve que ce qui porte l’empreinte de Jupiter. Comme on voit un serpent rajeuni, lorsque avec sa peau il a dépouillé sa vieillesse, déployer sa vigueur et briller de tout l’éclat de ses écailles neuves, ainsi le héros de Tirynthe, dégagé de son enveloppe mortelle, reprend vie dans la meilleure partie de lui-même ; il reparaît plus grand et revêtu d’une majesté auguste qui impose le respect. Le père tout-puissant l’enlève dans le creux d’un nuage, sur un char attelé de quatre chevaux et l’introduit au milieu des astres rayonnants. Atlas a senti ce poids nouveau… » (IX, 262-273).

19 G. Bachelard, La Psychanalyse du feu, p. 138. 20 Ibid.

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apparaît sous toutes ses facettes, c’est-à-dire avec toutes ses contradictions. D’abord porteur de souffrance et de destruction, il devient l’élément du dépassement et de la renaissance.

Ce rôle régénérateur se retrouve dans la divinisation de Jules César, ultime métamorphose du poème, qui est, elle aussi, à la fois divine et stellaire :

… suique

Caesaris eripuit membris nec in aera solui Passa recentem animam caelestibus intulit astris ; Dumque tulit, lumen capere atque ignescere sensit Emisitque sinu ; luna uolat altius illa

Flammiferumque trahens spatioso limite crinem Stella micat.21

L’apothéose de César intervient, comme celle d’Hercule, après une mort dont elle vise à compenser la violence et l’injustice. Les deux passages rassemblent, dans un espace narratif étroit fondé sur l’omniprésente image du feu, les principaux éléments constitutifs de presque tous les autres récits d’apothéoses. Le feu est à nouveau doté de sa fonction séparatrice : on retrouve ici l’image d’une division de l’être entre sa part mortelle et cette part meilleure, vouée à l’éternité, à laquelle Ovide donne pour la première fois un nom : animam. Cette part immortelle qui se dégage spontanément du corps semble fragile, puisque Vénus, de crainte qu’elle ne se dissolve dans les airs, choisit de l’apporter elle-même au ciel ; mais cette initiative demeurera inutile, car c’est seule que l’âme de César doit entreprendre son voyage céleste. Le feu préside à cet envol : Vénus, voyant l’âme de César s’illuminer et s’embraser, comprend que sa métamorphose est déjà à l’œuvre et la libère. Ce qui s’enflamme n’est plus ici une chevelure, mais une âme, c’est-à-dire l’immatériel par excellence ; et, alors que les cheveux en flammes de Phaéthon le faisaient ressembler, dans sa chute, à une étoile filante, l’âme de César, est véritablement devenue, au terme de son voyage fantastique, une étoile, qui traîne dans son sillage quelque chose ressemblant, nous dit Ovide, à une chevelure… On est donc passé d’une chevelure en flammes qui pouvait être prise pour une comète à une comète dont les flammes se prolongent en chevelure, et d’une comparaison cosmique et dramatique à une métaphore apaisée.

Les épisodes d’Ariane, d’Hercule et de César illustrent toutes les contradictions du feu ; ces passages baignés de lumière racontent l’avènement, au terme d’un voyage aérien, d’un autre être, à la fois semblable et différent, car plus subtil, plus noble et promis à l’éternité. Cet avènement constitue le sujet même de l’épilogue des Métamorphoses, où nous

21 « Elle enlève du corps de son cher César l’âme qui vient de s’en séparer et, pour l’empêcher de se dissiper

dans les airs, elle la porte au milieu des astres du ciel. Cependant elle s’aperçoit que cette âme s’illumine et s’embrase ; elle la laisse échapper de son sein ; l’âme s’envole au-dessus de la lune et, traînant après soi, à travers l’espace, une chevelure de flamme, elle prend la forme d’une étoile brillante. » (XV, 844-850).

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voyons le poète monter au ciel, divinisé par son œuvre ; une troublante association se dessine alors entre le symbolisme du feu et le sens de l’acte poétique pour Ovide.

Au début des Métamorphoses, le mystérieux « architecte du monde » (mundi

fabricator22) qui sépare les uns des autres les quatre éléments prolonge ce geste inaugural en assignant à chaque composante de l’univers une place déterminée. Or, l’espace qui revient alors aux divinités et aux étoiles est l’éther, cette zone supérieure que son nom même définit comme le domaine du feu. On est donc tenté de penser qu’apothéoses et catastérismes, dans les Métamorphoses, sont dominés par l’élément feu, l’apparition des corps divins et sidéraux ne pouvant se faire que dans une explosion de lumière et de chaleur. Mais ce n’est pas le cas : le poème d’Ovide n’est pas réductible à la « doctrine tétravalente des tempéraments poétiques » définie par Bachelard dans La Psychanalyse du feu23, car il constitue une expérience poétique totale où s’entremêlent, en un jeu constant, les « quatre pointes »24 de la rêverie poétique. Reste que l’élément feu occupe dans cette quadruple orientation une place d’autant plus remarquable qu’elle est, à tous points de vue, paradoxale. Le feu est l’élément transformateur par excellence : comme l’écrit Bachelard, « le feu suggère le désir de changer » et « seuls les changements par le feu sont des changements profonds, frappants, merveilleux, définitifs »25 ; pourtant, il n’intervient que dans un très petit nombre de métamorphoses, et les épisodes de Phaéthon et de Méléagre, poèmes du feu dans le poème, se caractérisent précisément par le fait que le personnage central n’est pas métamorphosé. Élément de mort, le feu représente aussi « l’ultra-vivant »26, car la consomption des corps

donne toujours naissance à d’autres êtres, directement (les Memnonides), indirectement (les Héliades, les Méléagrides) ou métaphoriquement (l’étoile filante à laquelle ressemble, dans sa chute, le corps de Phaéthon). Les images ovidiennes du feu ne cessent, au fil du poème, de gagner en profondeur et en intensité, au fur et à mesure qu’elle ne portent plus en elles la mort, mais la vie et qu’elles construisent, peu à peu, une définition de l’écriture comme une tension de l’être vers sa « part meilleure », seule susceptible de lui donner l’immortalité. Cette double évolution du motif, vers un apaisement euphorique et vers le dégagement d’une signification métapoétique, n’est pas le moindre des échos que l’on peut déceler, malgré Bachelard lui-même, entre le feu des métamorphoses ovidiennes et le feu bachelardien.

22 I, 57. 23 Op. cit., p. 154. 24 Ibid. 25 Ibid., p. 39 et 102. 26 Ibid., p. 23.

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