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La passion partisane dans l'espace privé : le cas des partisans du Canadien de Montréal

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Patrick Minko, 2019

La passion partisane dans l'espace privé. Le cas des

partisans du Canadien de Montréal

Thèse

Patrick Minko

Doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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LA PASSION PARTISANE DANS L’ESPACE PRIVÉ

Le cas des partisans du Canadien de Montréal

Thèse

Patrick Minko

Doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord

Sous la direction de Martine Roberge

Québec, Canada

© Patrick Minko, 2019

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iii

Résumé

Cette étude propose une ethnographie de la partisannerie, plus particulièrement celle de la passion qui anime les partisans du Canadien de Montréal, à travers la retransmission de matchs de hockey à la télévision, au cours de la saison 2012-2013. Contrairement aux travaux sur la partisannerie qui traitent du spectacle sportif du point de vue des stades (enceintes et estrades) ou de l’ambiance survoltée des bars sportifs, la recherche se focalise sur une catégorie d’amateurs de sport qui, malgré leur grand nombre, ont peu ou pas retenu l’attention des chercheurs. L’objectif poursuivi est double : étudier comment se manifeste et s’exprime la ferveur des partisans envers leur équipe favorite dans un contexte privé, c’est-à-dire celui de leur domicile, et analyser l’engouement des amateurs de sport, ceux qui sont souvent qualifiés de « sportifs de salon », au prisme du spectacle sportif retransmis à la télévision. L’originalité de l’étude repose sur la mise en valeur de ce contexte privé et sur cette majorité de fans qui regardent les matchs de chez eux devant leurs téléviseurs; ce point de vue offre un terrain d’observation privilégié et inédit à l’ethnologue. Afin de mener à bien l’analyse, nous nous sommes employé à décrire l’expression de la passion partisane auprès de quatre participants. Pour ce faire, la démarche ethnographique multisituée s’est révélée une méthodologie appropriée pour appréhender l’espace privé des partisans. Au fil des observations in situ et participantes, nous avons pu saisir les particularités de divers profils de partisannerie dans le contexte de la retransmission de matchs de hockey mettant en vedette le Canadien de Montréal. La « rhétorique du partisan » permet notamment de dégager les manifestations de cette ferveur qui exprime des émotions contrastées selon les faits de jeu et qui oscille entre admiration, ressentiment, humour et pessimisme selon l’issue des matchs, le classement de l’équipe ou celui de l’équipe adverse. Nous nous sommes également intéressé à la mise en scène des participants lors de la retransmission du match de hockey dans l’espace privé. Analysée sous la loupe de la métaphore théâtrale goffmanienne, la ritualisation qui se dégage de chaque « représentation » donnée par le partisan met en jeu les différents rôles des acteurs et leur gestion. Elle met également en scène la dramatisation de la représentation ainsi que la circulation des partisans entre la scène et les coulisses, laissant ainsi entrevoir des sentiments plus ou moins nets et une passion plus ou moins affirmée. Enfin, à travers les liens entre spectacle sportif, loisir passion et loisir festif, nous examinons la mixité des retransmissions du match de hockey vécu à domicile. Ce dernier, tel qu’étudié, apparaît plus qu’un simple divertissement hebdomadaire pour amateur de hockey. La retransmission de spectacles sportifs à la télévision crée une communauté télévisuelle en faisant de chaque match du Canadien un moment unique où tous les partisans vibrent à l’unisson. En somme, le téléspectateur, par sa participation seconde, demeure néanmoins un spectateur à part entière du spectacle sportif. Le partisan se met littéralement en scène et exprime avec passion sa ferveur à chaque retransmission de match, ce qui fait du spectacle sportif un véritable loisir passion aux allures de fête.

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iv

Abstract

This research offers an ethnography of partisanship, more specifically the partisanship of the passion that lights up the Montreal Canadian supporters, through the transmission of hockey games, during the 2012-2013 season. Unlike the diverse researches on partisanship which concentrate on the sports entertainment from the point of view of stadiums (from the stages and within), or of the overexcited atmosphere of the sports bars, this analysis focuses on a group of sporting amateurs who, in spite of their considerable number, have held poor or no attention from researchers. There are two goals to this research: study how supporters express their fervor in a private context within their homes and analyze the enthusiasm of the sporting amateurs often qualified as “living room athletes”. The ingenuity of this research relies on the private context insight as well as on the vast majority of supporters who watch hockey games in their living room; this point of view provides a powerful field of observation for the ethnologist. To lead this analysis successfully, we have chosen to describe the expression of partisanship passion through four participants. To achieve this, the multisite ethnography approach presents itself to be a pertinent methodology to observe the private space of the latter. Through the in situ and participative observations, we have had the opportunity to sense the particularities of various profiles of the Montreal Canadian supporter whilst watching hockey games on television. The “partisan rhetoric” allows us to identify the manifestations of this fervor which expresses contrasted feelings according to the different plays of the game and which oscillate between admiration, resentment, humour and pessimism depending on the results of the match, the rank of the team or the rank of the opposite team. We were also interested in the supporters private setting during the hockey game broadcasts. Analyzed under the magnifying glass of the “Goffmanian” theatrical metaphor, the unlocked ritualization observed from each “representation" offered by the supporter involves diverse performances of actors, as well as the management of these performances. This stages the dramatization of the representation as well as the movements of the supporters between the scene and the backstage, giving a glimpse of unclear feelings and giving way to a more or less assertive passion. Throughout the connections between sports entertainment, passion leisure and festive leisure, we examined the diversity of hockey games broadcasts at home. The latter, it appears, represents more than just a basic weekly entertainment for hockey fans. Broadcast of hockey games on television constructs a televisual community by making every Montreal Canadian hockey game a singular moment where all the supporters share a common thrill. The television fans, by their passive participation, remain however full fans. The supporter literally stages himself and expresses his fervour with passion in every hockey game, which makes the sports entertainment a true passion leisure with a festive atmosphere.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... viii

Liste des acronymes ... ix

Liste des personnalités du monde du hockey citées ... x

Dédicaces ... xiii

Remerciements ... xiv

Introduction ... 1

Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel ... 6

1.1 État de la question ... 7

1.1.1 Sports, loisirs et passion ... 7

1.1.2 L’aspect festif ... 37

1.1.3 Aspect rituel du sport ... 43

1.2 Problématique ... 49

Chapitre 2 Méthodologie : démarche et terrain ... 56

2.1 Le recrutement des participants ... 58

2.1.1 Les phases de recrutement ... 59

2.1.2 Faire connaissance avec les participants ... 71

2.1.3 L’établissement du calendrier des observations ... 77

2.2 L’observation ... 81

2.2.1 Le journal de terrain et la mise en contexte ... 83

2.2.2 L’observation participante in situ ... 86

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vi

Chapitre 3 L’expression de la passion partisane au cours du match de hockey ... 94

3.1 Quatre différentes façons de regarder les matchs ... 96

3.1.1 Stéphane ... 96

3.1.2 Hughes ... 97

3.1.3 Gisèle ... 99

3.1.4 Ismaël ... 100

3.2 Des émotions contrastées ... 102

3.2.1 Quand le Canadien se trouve en position favorable ... 102

3.2.2 Quand le Canadien se trouve en position défavorable ... 104

3.2.3 Les montagnes russes émotionnelles ... 106

3.3 Les spécificités du match à domicile ... 108

3.3.1 Selon les partisans ... 108

3.3.2 De l’importance des commentaires ... 110

3.4 La rhétorique du partisan ... 114

3.4.1 Admiration et ressentiment envers les joueurs ... 115

3.4.2 Humour et pessimisme envers les faits de jeu ... 120

3.4.3 Le traitement de l’adversaire ... 123

3.4.4 L’esprit sportif des participants ... 127

3.4.5 Jeu physique et violence ... 128

3.4.6 Accords et désaccords avec les arbitres et les journalistes ... 131

3.4.7 Une saison très satisfaisante ... 134

Chapitre 4 La mise en scène du match de hockey ... 138

4.1 La gestion des rôles ... 139

4.1.1 Le partisan hôte ... 140

(7)

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4.1.3 Le partisan observé ... 147

4.2 Les représentations et les équipes ... 151

4.2.1 Les participants principaux dans leurs représentations ... 152

4.2.2 Des équipes au service de la représentation ... 154

4.2.3 Les ratés des représentations ... 162

4.3 La circulation des participants ... 167

4.4 Les contradictions entre les gestes et les paroles ... 174

Chapitre 5 Le match de hockey dans l’espace privé entre spectacle sportif, fête et loisir 184 5.1 Les partisans du Canadien acteurs du spectacle sportif ... 184

5.1.1 La typologie du spectacle sportif ... 185

5.1.2 L’importance de la télévision dans le spectacle sportif ... 187

5.1.3 L’exaltation des valeurs sportives et la passion inconditionnelle des participants pour le spectacle sportif ... 193

5.2 Du simple divertissement au loisir passion ... 197

5.2.1 Le temps sacré du match de hockey ... 198

5.2.2 La distinction entre passionné et amateur ... 200

5.3 Du loisir passion au loisir festif ... 203

5.3.1 Le match de hockey du Canadien comme intervalle festif ... 203

5.3.2 Le loisir festif : fête spectacle ou spectacle de la fête? ... 207

Conclusion ... 212

Bibliographie ... 220

Annexes ... 238

Annexe 1 ... 238

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Liste des tableaux

Tableau 1 Classement et parcours du Canadien de 1993 à 2012 ... 51

Tableau 2 Calendrier du Canadien de Montréal saison 2011-2012 ... 62

Tableau 3 Organisation des Associations et Divisions pour la saison 2012-2013 . 66 Tableau 4 Calendrier du Canadien de Montréal pour la saison 2012-2013 ... 67

Tableau 5 Durée de chaque pré-enquête par participant ... 74

Tableau 6 Liste des observations par participant ... 78

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Liste des acronymes

CH : Club de Hockey Canadien

LCF : Ligue Canadienne de football. Équivalent de la NFL pour le Canada qui compte 9 équipes canadiennes, dont les Alouettes de Montréal.

MLB : Major League Baseball. La ligue nord-américaine de baseball qui compte 30 équipes dont une canadienne.

MLS : Major League Soccer. La ligue de soccer nord-américaine qui compte 18 équipes en 2013, dont 3 équipes canadiennes.

NBA : National Basketball Association. La ligue nord-américaine de basketball qui compte 30 équipes dont une canadienne.

NFL : National Football League. La ligue américaine de football (football américain, différent du football européen qui sera appelé ici Soccer pour éviter les méprises) NHL : National Hockey League. La ligue nord-américaine de Hockey qui compte 30 équipes

dont sept canadiennes. (Ici nous utiliserons la traduction française : LNH, Ligue nationale de hockey)

RDS : Réseau Des Sports. Chaîne de télévision sportive québécoise qui a diffusé tous les matchs du Canadien de Montréal en 2013.

TSN : The Sports Network. Chaîne de télévision sportive canadienne qui a diffusé des matchs du Canadien de Montréal en 2013.

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Liste des personnalités du monde du hockey citées

(Les éléments biographiques cités ne sont pas postérieurs à 2013 sauf mention *)

Daniel Alfredson : Ancien joueur suédois de hockey, attaquant, né en 1972. En 2013, il est

le capitaine des Sénateurs d’Ottawa.

Craig Anderson : Joueur américain de hockey, gardien de but, né en 1981. En 2013, il est

le gardien numéro un des Sénateurs d’Ottawa.

Nathan Beaulieu : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1992. Joueur du Canadien

depuis 2012. Il a été repêché par le Canadien.

Michel Bergeron : Ancien entraîneur canadien de hockey, né en 1946. Il a entraîné les

Nordiques de Québec et les Rangers de New York. En 2013, il collabore à l’Antichambre.

Marc Bergevin : Ancien joueur canadien de hockey, défenseur, né en 1965. En 2013, il est

le nouveau directeur général du Canadien.

Martin Brodeur : Ancien joueur canadien de hockey, gardien de but, né en 1972. En 2013,

il est le gardien numéro un des Devils du New Jersey avec lesquels il a remporté trois coupes Stanley en 1995, 2000 et 2003.

Benoit Brunet : Ancien joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1968. Il a joué pour le

Canadien et a fait partie de la dernière équipe du Canadien à avoir gagné la coupe Stanley en 1993. En 2013, il est analyste sur RDS.

Peter Budaj : Joueur de hockey slovaque, gardien de but, né en 1982. Il est le gardien

remplaçant du Canadien depuis 2011.

Clarence Campbell : Président de Ligue nationale de 1947 à 1977. Il était de nationalité

canadienne.

Zdeno Chàra : Joueur slovaque de hockey, défenseur, né en 1977. En 2013, il est capitaine

des Bruins de Boston, avec lesquels il a remporté la coupe Stanley en 2011.

Erik Cole : Joueur de hockey américain, attaquant, né en 1978. Joueur du Canadien de 2011

à 2013, avant d’être échangé contre Michael Ryder en février 2013.

Sidney Crosby : Joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1987. En 2013, il est capitaine

des Penguins de Pittsburgh avec lesquels il a remporté la coupe Stanley en 2009.

Randy Cunneyworth : Ancien joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1961. Il a été

entraîneur du Canadien de Montréal de décembre 2011 à juin 2012.

Marc Denis : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1977. En 2013, il commente les

matchs du Canadien de Montréal à RDS en tandem avec Pierre Houde.

Ken Dryden : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1947. Il a été le gardien de but du

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xi

Lars Eller : Joueur de hockey danois, attaquant, né en 1989. Joueur du Canadien depuis

2010.

Alexei Emelin : Joueur de hockey russe, défenseur, né en 1986. Joueur du Canadien depuis

2011.

Alex Galchenyuk : Joueur américain de hockey, attaquant, né en 1994. En 2013, il joue sa

première saison professionnelle avec le Canadien qui l’a repêché.

Brendan Gallagher : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1992. En 2013, il joue sa

première saison professionnelle avec le Canadien qui l’a repêché.

Brian Gionta : Joueur américain de hockey, attaquant, né en 1979. Joueur du Canadien

depuis 2009, il en est le capitaine depuis 2010. Il a remporté la coupe Stanley avec les Devils du New Jersey en 2003.

Pierre Houde : Commentateur sportif canadien, né en 1957. En 2013, il commente les

matchs du Canadien de Montréal sur RDS.

Claude Julien * : Entraineur canadien de hockey, né en 1960. Ancien entraineur du

Canadien de janvier 2003 à janvier 200, puis réengagé en février 2017.

Georges Laraque : Ancien joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1976. Il a joué pour

le Canadien de 2008 à 2010.

Jacques Martin : Entraîneur canadien de hockey, né en 1952. Il a été entraîneur du Canadien

de 2009 à décembre 2011. Sous son mandat, le Canadien a atteint une première finale de conférence depuis la victoire en coupe Stanley en 1993.

Travis Moen : Ancien joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1982. Joueur du Canadien

depuis 2009, il a remporté la coupe Stanley en 2007 avec les Ducks d’Anaheim.

Alexander Ovechkin : Joueur de hockey russe, attaquant, né en 1985. En 2013, il est

capitaine des Capitals de Washington.

Max Pacioretty : Joueur de hockey américain, attaquant, né en 1988. Joueur du Canadien

depuis 2008. Il a été repêché par le Canadien.

Carey Price : Joueur de hockey canadien, gardien de but, né en 1987. Il est le gardien numéro

un du Canadien depuis 2008. Il a été repêché par le Canadien.

Brandon Prust : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1984. En 2013, il est un

nouveau joueur du Canadien en provenance des Rangers de New York.

Maurice Richard : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1921. Il a joué pour le

Canadien de 1942 à 1960. Il a remporté la Coupe Stanley huit fois avec le Canadien.

Patrick Roy : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1965. Il a été le gardien de but du

Canadien dans les années 1980 et 1990. Il a remporté quatre coupes Stanley dans sa carrière, dont les deux dernières du Canadien en 1986 et 1993.

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xii

Michael Ryder : Joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1980. Joueur du Canadien de

2003 à 2008 puis des Bruins de Boston de 2008 à 2011, avec lesquels il remporte la coupe Stanley en 2011. Il revient à Montréal à Montréal en février 2013 par le biais d’un échange. Il a été repêché par le Canadien.

Philipp Joseph (PJ) Stock : Ancien joueur canadien de hockey, né en 1972. Il a brièvement

joué pour le Canadien en 2000. En 2013, il collabore à l’émission sportive de RDS l’Antichambre.

Pernell Karl (PK) Subban : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1989. Il joue pour

le Canadien de Montréal depuis 2009. Un des rares joueurs Noir de la ligue. Il a été repêché par le Canadien.

Michel Therrien : Entraîneur canadien dans la ligue nationale. En 2013, il est le nouvel

entraîneur du Canadien. Il avait fait un premier passage sur le banc du Canadien de 2000 à 2003.

Shea Weber * : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1985. Acquis par le Canadien

en 2016.

Ryan White : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1988. Joueur du Canadien depuis

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Dédicaces

Cette thèse de Doctorat est dédicacée à deux personnes qui m’ont toujours soutenu tout au long de ma vie.

À Marcelline « Marceau » Minko, qui a su trouver les mots pendant les moments d’abattement; qui m’a toujours encouragé à terminer ce que j’avais commencé.

À Michel « Mitch » Minko, homme de peu de mots mais dont la portée ne s’est jamais démentie. Et qui m’a appuyé dans mes choix d’études depuis le premier jour.

Merci pour votre indéfectible soutien, en espérant que ces quelques pages vous rendront fier de votre fils.

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Remerciements

Au cours de ces années de terrain puis de rédaction de thèse de nombreuses personnes ont tenu une place importante auprès de moi. Je tiens à les remercier à travers ces pages. En premier, je veux remercier Dieu de m’avoir guidé pendant mon cheminement.

Ensuite, ma famille. Sans vous, je ne suis rien. Ma grand-mère, mes deux grandes sœurs, mes deux petits frères, mes neveux et nièces, mes belles sœurs et mon beau-frère. Je n’ai pas besoin d’en dire plus, vous savez que vous contribuez à mon équilibre. Je me dois de nommer ma petite sœur Stéphanie qui a partagé mon quotidien pendant mon Doctorat. Merci pour ton soutien et de m’avoir supporté.

Ma famille de Québec, ma tante Adrienne, ma belle-sœur Géraldine, mes neveux, mes cousins John et surtout Yannick qui m’a incité à venir au Québec qui a toujours été là pour moi.

Mes amis du Gabon, de France et du Québec. Vous m’avez encouragé à finir, vous m’avez supporté. Alors je vous remercie, Teddy OE, Teddy A, Sylvia, Davy, Romain, Gisèle H, Marjolaine, Glwadys, Laure, Polynice, Luce, Marc, Caroline, Eullide. Au-delà de ces personnes chères à mon cœur, je veux aussi remercier celles et ceux qui m’ont soutenu et aidé au cours des dernières années. Vous savez ce que vous avez fait pour moi et je ne l’oublierai pas.

Cette étude n’aurait pas pu voir le jour sans les partisans du Canadien de Montréal qui ont accepté de participer à cette aventure. Gisèle, Stéphane, Hughes et Ismaël, ainsi que vos proches, merci de m’avoir reçu chez vous et de m’avoir laissé vous observer pendant quelques soirées.

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Enfin la dernière personne, et non la moindre, que je souhaite remercier, est ma directrice de recherche, Martine Roberge. Merci infiniment Martine, de m’avoir guidé et orienté dans mon travail de terrain et au cours de ma rédaction de thèse. D’avoir su vous montrer compréhensive face à certaines de mes difficultés. Je vous en suis reconnaissant.

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Introduction

Le sport n’a pas toujours été considéré comme un objet d’étude à part entière au sein des sciences humaines et sociales alors que paradoxalement sa place dans la société est prépondérante depuis le XIXe siècle. Selon la discipline (histoire, sociologie ou ethnologie), il a mis du temps à s’imposer comme objet d’étude. Bien que plusieurs grandes universités aient leurs équipes sportives et encouragent le sport d’excellence, cet objet d’étude a longtemps été considéré comme futile. Le sport est partout aujourd’hui : on en parle entre connaissances, il est pratiqué professionnellement ou pour le plaisir, on l’affiche sur les réseaux sociaux, on le voit à la télévision, on en entend parler à la radio, la presse écrite y consacre plusieurs pages, parfois même la une. En somme, difficile de passer à côté du phénomène sportif. Pour justifier sa pertinence sociale, il est évoqué tantôt pour son potentiel économique (sport professionnel) que pour ses bienfaits sur la santé (pratique d’un sport et loisir amateur). Il est encouragé par l’ensemble de la population au plan mondial et n’échappe à aucune strate sociale. Ainsi aux États-Unis, chaque année le Président des États-Unis reçoit les équipes vainqueurs des quatre grandes ligues sportives du sport américain : le baseball (la MLB), le football américain (la NFL), le basketball (la NBA) et le hockey sur glace (la NHL). Dans le même ordre d’idées, on se souvient du président français Jacques Chirac avec l’équipe de France de soccer après son sacre à la coupe du monde en 1998, dans les jardins de l’Élysée. Ces quelques exemples suffisent pour montrer que même les hommes politiques n’hésitent pas à se muer en fans admirateurs de sport dans leurs fonctions officielles.

Au Canada et au Québec, le sport rime le plus souvent avec hockey. Sport national, il mobilise les individus, quels que soient le sexe et l’âge. Au niveau international, le Canada est considéré comme la meilleure nation dans le domaine. Aux Jeux olympiques, les hommes ont remporté trois des cinq dernières olympiades (en 2002, 2010 et 2014) et les femmes,

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quatre sur cinq (en 2002, 2006, 2010 et 2014). Peu importe la compétition de hockey et la tranche d’âge (Jeux olympiques, Championnat du monde masculin et féminin, Championnat du monde des moins de 18 ans), un échec du Canada pour la victoire finale est quasiment considéré comme une anomalie. Le Canada compte actuellement sept équipes sur un total de 30 dans la Ligue nationale de hockey (LNH) qui regroupe les équipes américaines et canadiennes dans un championnat. Ce championnat nord-américain est le plus relevé du monde. Les sept équipes canadiennes sont les Canucks de Vancouver, les Oilers d’Edmonton, les Flames de Calgary, les Maple Leafs de Toronto, les Jets de Winnipeg, les Sénateurs d’Ottawa et bien sûr le Canadien de Montréal; notons que la province de Québec a déjà compté une deuxième équipe dans la LNH de 1979 à 1995 avec les Nordiques de Québec.

Le Canadien de Montréal fait la fierté de la province et du peuple québécois. Seule équipe francophone dans une ligue anglophone, c’est une véritable institution par son passé et ses nombreuses conquêtes de la coupe Stanley (trophée qui récompense le vainqueur du championnat de la LNH). Si tous les Québécois ne sont pas des fans de hockey ou de cette équipe, il n’en demeure pas moins que le Canadien fait partie de la culture locale. Ses partisans se comptent par millions au Québec, au Canada et en Amérique du Nord. Il n’est pas rare de voir les partisans arborer les chandails aux couleurs du Canadien dans les estrades des patinoires adverses quand ce dernier joue. Les fans du Canadien se déclinent en plusieurs profils : de la personne qui est partisane, car elle a grandi avec cette équipe, mais qui ne regardera pas nécessairement tous les matchs, au partisan qui connaît tous les joueurs, toute l’histoire de son club et qui ne manquera jamais un match tout en se tenant quotidiennement au courant de l’actualité en rapport avec l’équipe. Ce sont là bien sûr les deux extrêmes, car il existe une multitude de profils partisans. Tous partisans confondus, ils ne souhaitent qu’une chose : la victoire finale du Canadien.

Pour l’amateur de sport que nous sommes, Montréal offre une effervescence rare autour de la principale équipe sportive de la ville. Les jours de matchs, les partisans du Canadien envahissent les lignes du métro parés des chandails rouges de leurs favoris. Les

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automobilistes affichent des fanions du Canadien sur leurs voitures. Cette effervescence monte d’un cran au cours des séries d’après saison au mois d’avril. Les drapeaux rouges ornent les devantures des logements et l’ambiance générale est à l’euphorie. Cette ambiance liée au hockey et au Canadien, frappe les personnes qui arrivent à Montréal. Même sans être un fan de hockey, il est difficile de passer à côté de ce phénomène. Amateur de sport, nous ne pouvions qu’apprécier cette ambiance passionnée autour du Canadien de Montréal et surtout y trouver un sujet de thèse inédit.

Le Centre Bell, anciennement nommé Centre Molson, est le domicile du Canadien de Montréal depuis 1996. Avant cette date, l’équipe a évolué au mythique Forum de Montréal. La capacité totale de cet aréna est de 21 287 places pour les matchs de hockey. Match après match, tous les sièges sont occupés par les partisans venus voir leurs favoris. Cependant, les partisans qui se déplacent au Centre Bell ne représentent qu’une minorité parmi l’ensemble des partisans du Canadien de Montréal. Le reste se réunit dans les bars qui diffusent les matchs, chez des amis afin de les regarder en groupe ou s’installe devant les écrans de télévision de leurs domiciles. La plupart des études qui portent sur les partisans d’un sport ont trait à ceux qui se regroupent dans les endroits publics et les foules qui se réunissent dans les stades. Ceux que l’on appelle péjorativement les « sportifs de salon » sont négligés. Or, ils représentent la majorité des partisans du Canadien de Montréal. C’est cette dernière catégorie de partisans qui nous intéresse dans le cadre de la présente étude car elle offre une perspective de recherche renouvelée. Comme chaque équipe de la ligue nationale joue 82 matchs de saison régulière (41 à domicile et 41 sur les patinoires adverses), le calendrier de saison permet donc aux équipes de jouer plusieurs matchs par semaine. Au-delà de la capacité du Centre Bell qui ne peut accueillir tous les partisans de l’équipe, il n’est pas donné à tout le monde de se déplacer 41 fois dans l’année pour soutenir le Canadien, et ce, pour diverses raisons. Étudier les partisans à domicile permet donc de donner une « voix » à la grande majorité qui forme la communauté de fans du Canadien.

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Dans cette étude, ce sont donc les partisans qui regardent les matchs à la télévision qui sont mis en avant. Ces derniers expriment leur passion pour le Canadien dans un cadre privé, celui de leur domicile. Certains partisans témoignent de leur ferveur avec empressement, avec intensité, d’autres avec nuances, avec mesure. Les passions individuelles qui s’expriment entre quatre murs lors des retransmissions des matchs à la télévision se distinguent-elles des passions collectives dans les stades? Comment les partisans du Canadien de Montréal arrivent-ils à démontrer, match après match, leur engouement pour leur équipe favorite? Le soutien est-il régulier à chaque rendez-vous ou s’essouffle-t-il parfois, en quelles circonstances? En effet, suivre un match seul ou le faire en groupe fait-il intervenir des dynamiques semblables ou dissemblables. Nous nous proposons d’analyser l’expression de la passion partisane pour le club du Canadien de Montréal en contexte privé en suivant quelques partisans au cours de plusieurs matchs d’une saison régulière de hockey.

La thèse se divise en cinq chapitres. Le premier se consacre aux aspects théoriques et conceptuels sur lesquels s’appuient les études sur le sport. Une recension des écrits dans trois champs d’études présente un état de la question sur le sport, et par extension, le loisir et la passion. Une brève incursion dans le champ de la fête et celui des rites permettra de dégager des notions rattachées aux dimensions performatives et transgressives du spectacle sportif. Les concepts de ritualisation et de mise en scène de la vie quotidienne, dont la métaphore de la représentation théâtrale, sont parmi les notions clés retenues pour l’analyse. L’ethnologie étant une discipline pour laquelle le terrain tient une place importante, le chapitre 2 expose, de façon détaillée, la méthodologie qui a servi à appréhender l’espace privé des partisans. Il présente non seulement les instruments et la méthode de l’observation in-situ privilégiée ici, mais également les conditions dans lesquelles l’étude a été réalisée et les défis que pose une démarche ethnographique multi-située. Le chapitre 3 s’emploie à décrire l’expression de la passion partisane observée chez quatre participants. Dans ce chapitre, nous entrons au cœur de la thèse en faisant d’abord connaissance avec les partisans à l’étude et prenons acte de la façon dont s’exprime, match après match, leur ferveur, par ce que nous nommons « la rhétorique du partisan ». Après cette mise en perspective de la passion partisane, la mise en scène de la retransmission du match de hockey regardé dans l’espace privé est analysée au

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prisme de la métaphore théâtrale : gestion des rôles des acteurs, dramatisation de la représentation, circulation des partisans entre la scène et les coulisses, mise en scène des sentiments et de la passion. Enfin, le chapitre 5 examine la mixité des retransmissions du match de hockey vécu à domicile à travers les liens entre spectacle sportif et loisir festif. Nous montrons que le match de hockey, tel qu’étudié, se présente pour les partisans comme un temps sacré, qui, à l’instar de la fête, permet un certain nombre de transgressions. Son statut de téléspectateur, donc de participant secondaire, plonge définitivement le partisan passionné dans une représentation où il se met littéralement en scène et exprime sa ferveur à chaque retransmission d’un match, ce qui dépasse largement la passivité habituellement associée au spectacle sportif.

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Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel

La présente étude a pour objectif d’analyser le phénomène de la passion partisane dans un cadre privé, c’est-à-dire autrement que du point de vue des estrades des stades ou encore des ambiances survoltées des bars sportifs où il est souvent étudié. Son originalité réside dans la mise en valeur de ce contexte privé qui offre un terrain d’observation privilégié et inédit à l’ethnologue. En effet, les études sur la partisannerie, à l’image de l’ouvrage de Christian Bromberger, Le Match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, se focalisent sur les lieux dans lesquels se regroupent les partisans (stades, amphithéâtres, bars sportifs) et jamais là où se retrouvent la majorité des partisans de sport, à savoir à leurs domiciles devant leurs téléviseurs. Seuls ou à plusieurs, les partisans qui regardent les évènements sportifs de chez eux se comptent en millions.

L’étude porte sur le cas des partisans du Canadien de Montréal lors de la saison 2012-2013. Cette équipe de hockey est considérée comme une véritable institution dans le monde sportif (tous sports confondus) par son palmarès et son organisation (dirigeants, entraîneurs et joueurs). Le Club de hockey Canadien (CH) rassemble autour de ses couleurs des millions de partisans à Montréal, à travers le Québec, dans tout le Canada et au-delà. Les partisans qui ont participé à cette étude ne représentent qu’un mince échantillon de la communauté des partisans du CH. Il s’agit de porter un regard scientifique sur cette catégorie de partisans qui regardent les matchs de hockey de chez eux, spectateurs trop souvent oubliés dans les études, afin de combler un vide sur le sujet de la partisannerie associée au sport.

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1.1 État de la question

La recension des écrits sur la passion partisane concerne principalement les champs d’études du sport et, par extension, du loisir et de la passion. Les aspects festifs et rituels associés à la pratique d’un sport ou au spectacle sportif sont aussi des notions connexes. Plusieurs travaux d’historiens, de sociologues, d’ethnologues et de géographes notamment ont abordé le sujet selon un angle d’approche spécifique. Nous en dressons ici un bilan critique avant d’énoncer notre question de recherche.

1.1.1 Sports, loisirs et passion

1.1.1.1 Le Sport

Toutes les études sur le sport qui sont présentées dans ce volet concernent soit la dimension de la pratique d’un sport avec le jeu, les joueurs et les autres acteurs, soit elles se placent du côté du spectateur, amateur ou partisan.

Sport moderne ou sport ancien ? La question des origines du sport domine dans la littérature scientifique, tant chez les historiens, les sociologues, les ethnologues, les anthropologues ou les philosophes. Deux thèses se distinguent principalement : soit le sport a toujours existé sous une forme ou une autre et il serait inhérent à la nature humaine, soit le sport, tel que nous le connaissons maintenant, serait né en Angleterre au moment de la révolution industrielle puis se serait diffusé dans le reste du monde. À la continuité historique et naturelle entre les pratiques sportives anciennes et actuelles s’oppose une rupture entre ces mêmes pratiques anciennes et le sport dit moderne né de la révolution industrielle. Cette question divise profondément les chercheurs qui se sont penchés sur le sport comme objet

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d’étude. Les tenants des origines anciennes du sport évoquent le sport à travers différentes périodes comme Jean Paul Thuillier dans Le Sport dans la Rome Antique1, ou encore Bernard Merdrignac dans Le sport au Moyen Âge2. La thèse sur les origines anciennes a d’abord été la plus répandue dans l’historiographie. Mais depuis une cinquantaine d’années, la discipline connaît une tentative de réinterprétation des origines du sport et de son histoire. Le second courant fait remonter le sport tel que nous le connaissons maintenant à l’Angleterre du XIXe siècle. Ce courant est aujourd’hui majoritaire. Le mouvement olympique par l’entremise de Pierre de Coubertin, père des Jeux olympiques modernes, a largement fait la promotion de la continuité historique en prônant la filiation entre les premiers Jeux olympiques de 776 avant Jésus Christ et les premiers jeux de l’ère moderne en 1896 à Athènes. Dans ce courant, si les auteurs comme Jean-Paul Massicotte ou Claude Lessard3 sont d’accord pour reconnaître que

le sport n’est pas né avec le XIXe siècle, ils n’admettent pas tous la pérennité du sport à

travers les époques. Par exemple Laurent Turcot, qui a réaffirmé en 2016 la théorie de la permanence du sport, se refuse « contrairement à d’autres historiens »4 à parler de sport

seulement pour l’Antiquité et à occulter le terme pour le Moyen Âge ou l’époque moderne. Il réfute « le vide temporel de 1400 ans »,5 mais reconnaît « des marqueurs culturels qui permettent de relever des pratiques divertissantes et des formes d’exercices physiques tout au long de l’histoire »6. Cet auteur est une figure marquante de la théorie de la permanence

du sport. Il défend l’idée d’une continuité dans l’histoire du sport et veut « tisser des liens entre les périodes afin de montrer que ce qui éclot au XIXe et au XXe siècle est le fruit d’une maturation et d’un enchevêtrement de pratiques qui s’influencent les unes les autres »7. Dans

son ouvrage synthèse qui s’étend sur sept périodes (de la Grèce antique à aujourd’hui), il expose les pratiques sportives de chaque époque, tout en dégageant les termes et les spécificités propres à chacune d’elle. Ainsi « à Sparte, où règne un État aristocratique, autoritaire et militaire, le sport apparaît au cœur de l’éducation »8. Les pratiques sportives

1. Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Paris, Errance, 1996.

2. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

3. Jean-Paul Massicotte, Claude Lessard, Histoire du sport de l’Antiquité au XIXe siècle, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1984.

4. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 15. 5. Ibid., p. 15.

6. Ibid., p. 15.

7. Ibid., p. 17.

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seraient le fruit de leur époque. Si Laurent Turcot s’est donné comme objectif de rétablir les diverses déclinaisons qui définissent ce qu’on appelle aujourd’hui « sport » à travers toutes les époques, d’autres auteurs se sont concentrés sur le sport à des périodes plus spécifiques. Nous pouvons citer Mark Golden qui analyse le sport dans la Grèce antique et qui démontre comment le sport, à cette époque, accentuait et renforçait la différence entre les individus9. Jean Paul Thuillier étudie le sport dans la Rome antique et fait un parallèle entre les jeux du cirque et ce que l’on appelle aujourd’hui le sport spectacle10. Le médiéviste Bertrand

Merdrignac réhabilite le sport au Moyen Âge, période trop souvent ignorée dans l’historiographie11. L’auteur rappelle que le Moyen Âge a légué le terme « sport » au monde :

« quand apparaît le mot de(s)port-dans la seconde moitié du XIIe siècle […] il désigne donc tout genre de divertissement, toute sorte de distraction »12. Un vaste éventail de sports

pratiqués aujourd’hui l’ont été au cours de cette période : le jeu de paume ancêtre du tennis actuel ou la soule, jeu de balles pratiqué tantôt avec les pieds tantôt avec les mains, qui peut être relié au soccer ou au rugby. Ces quelques auteurs soulignent l’idée de permanence du sport à travers les époques en ce qu’il peut être associé à diverses formes d’exercices physiques, de jeux ou de pratiques divertissantes. Comme le mentionne Laurent Turcot dans son récent ouvrage, les racines du sport que nous connaissons aujourd’hui sont ancrées dans l’histoire. Cette théorie se dissocie de l’idée que le sport moderne soit né au XIXe siècle, qui

est encore largement répandue aujourd’hui.

Le second courant, qui critique la filiation entre pratiques sportives anciennes et sport moderne, repose sur la rupture entre le sport et « les activités physiques qui l’ont précédé »13.

Selon Donald Guay, évoquer les origines anciennes du sport ne serait pas pertinent ; le faire serait « une réalité étrangère à l’histoire […] une évasion hors du temps »14. Norbert Elias et

Eric Dunning établissent une discontinuité entre les pratiques anciennes et le sport moderne.

9. Mark Golden, Sport and society in Ancient Greece, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. 10. Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Paris, Errance, 1996.

11. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002. 12. Ibid., p. 33.

13 . Laurent Turcot, Ibid., p. 12.

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Ils mettent l’accent sur les caractéristiques du sport moderne : une baisse significative de la violence, existence de règles écrites et codifiant les pratiques, émancipation du jeu par rapport aux affrontements guerriers. Avant l’apparition du sport moderne, les jeux traditionnels se pratiquaient principalement au cours des fêtes religieuses, et dans « les espaces ordinaires des activités quotidiennes »15. Or, le sport moderne se pratique dans un temps réglé, « découpé en séquences ordonnées, décompté avec minutie »16 : « un calendrier propre de compétitions dont les dates n’ont pas d’autre raison que les rythmes annuels de chaque discipline »17 et dans des lieux spécifiques précis (stades, gymnases, patinoires) construits à cet effet. Ce type de compétition réglée aurait vu le jour avec l’aristocratie anglaise de la fin du XVIIIe siècle. Ainsi avec l’instauration des règles, une pratique « populaire » se transformerait en un sport où la violence diminue considérablement. Outre les travaux de ces deux auteurs qui ont consolidé cette idée de la naissance du sport moderne en Angleterre et ont influencé de nombreux auteurs comme Michel Caillat18, l’ouvrage d’Allen Guttmann,

From ritual to record : the nature of modern sport, publié en 1978, (traduit en 2006 sous le titre Du rituel au record : la nature des sports modernes) est une véritable référence en histoire du sport. Pour cet historien, « les caractéristiques distinctives des sports modernes, à la différence de celles des périodes précédentes, sont au nombre de sept »19 : sécularisme, égalité des opportunités et des conditions de l’affrontement, spécialisation des rôles, rationalisation, bureaucratisation de l’organisation, quantification et quête des records. « La convergence de ces sept dimensions n’apparaît que dans l’Angleterre du 18e siècle »20 et le

sport émergerait alors au XIXe siècle dans cette même Angleterre.

Pourquoi l’Angleterre ? « Dans le contexte de révolution industrielle et d’un capitalisme émergent »21, ce pays réunissait toutes les conditions pour faire apparaître le sport moderne.

Plusieurs éléments sont à souligner pour expliquer cette émergence. Christian Pociello en

15. Norbert Elias, Eric Dunning, Sport et civilisation : la violence maitrisée, Paris, Fayard, 1994, p. 15. 16. Ibid., p. 15.

17. Ibid., p. 16.

18. Michel Caillat, Le sport, Paris, Le cavalier bleu, 2008.

19. Allen Guttmann, Du rituel au record. La nature des sports modernes, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 38. 20. Ibid., p. 10.

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dresse les phases d’évolution dans Sports et société. Approche socio-culturelle des pratiques. Une première phase d’encouragement des pratiques populaires par le patronage et l’organisation de courses ou de combats assurés par les nobles et les gentlemen dès 1760 conduit à l’appropriation des pratiques par les élèves des collèges, ce qui aboutit à l’invention des sports individuels et collectifs, comme le soccer ou le rugby entre 1820 et 1860. Vient ensuite une période de réglementation des sports et de formation de clubs rendue nécessaire par la mise en place et le développement des rencontres entre établissements entre 1850 et 1870. Ces rencontres ont été rendues possibles par l’extension du réseau de chemins de fer. Enfin, une période de diffusion des sports collectifs vers la classe populaire se dessine dans la dernière décennie du XIXe siècle. À la fin de ce même siècle, les pays les plus industrialisés sont touchés « par une vague sportive dont le point de départ est presque toujours l’influence britannique »22. Nous pouvons citer l’action des étudiants anglais qui fondent dans toute

l’Europe divers clubs ou associations sportives. Dans l’Empire britannique, ce sont les militaires, enseignants, missionnaires, commerçants ou hommes d’affaires anglais qui reconstituent la vie en métropole par le biais des clubs et des pratiques sportives. Ainsi, l’implantation du cricket en Inde ou du rugby en Nouvelle-Zélande sont les parfaits exemples des formes d’adaptation de la culture sportive pérennisés par une adaptation aux valeurs morales et sociales des sociétés locales et prises en charge par les élites locales. Cette seconde théorie sur la naissance du sport en Angleterre au XIXe siècle compte de fervents chercheurs parmi ceux qui écrivent sur le sport. Roger Chartier, Donald Guay, Thierry Terret, Christian Pociello, Georges Vigarello, Jacques Ulmann, Pierre Arnaud, Michel Caillat ou encore Michel Bouet ont défendu, étayé et développé cette thèse dans leurs ouvrages respectifs.

Entre les deux thèses sur les origines du sport, celle défendue par Laurent Turcot, Jean-Paul Thuillier ou Jean-Paul Massicotte nous semble la plus appropriée. Les sports comme le soccer, le rugby, le tennis ou le hockey puisent leurs origines bien avant le XIXe siècle. Bien

sûr, ce siècle, sous l’impulsion des Anglais, a fait beaucoup pour la diffusion et la mise en place de règlements, mais il n’en demeure pas moins que les sports cités n’ont pas été créés

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au cours de ce siècle. La mise en place des règles pour organiser le sport dans des lieux bien déterminés et selon des dates précises est contestée par Bernard Merdrignac qui affirme que « les parties de soule n’ont rien non plus d’improvisé. Le nombre des joueurs, la constitution des équipes (un village contre un autre; mariés contre célibataires) et la périodicité (généralement annuelle) de ce jeu impliquent de toute évidence une organisation prévue de longue date »23. L’idée de canalisation de la violence par le sport peut apparaître décalée pour

des sports physiques comme le hockey où la violence fait partie intégrante des matchs. Le sport est en constante évolution et bien que le XIXe siècle marque un tournant, parler de rupture serait nier l’apport des siècles précédents.

Mais si les origines du sport sont abordées autant par des historiens comme Jean-Paul Thuillier ou Laurent Turcot, des sociologues comme Norbert Elias ou encore des philosophes comme Michel Bouet, l’histoire du sport se décline en quelques études monographiques : par exemple Histoire du sport en France en deux tomes (du Second Empire au régime de Vichy24

et de la Libération à nos jours25) sous la direction de Philippe Tétart. D’autres études sont

axées sur tel ou tel sport comme Histoire du football26 de Paul Dietschy ; sur l’histoire du

mouvement sportif féminin avec les deux tomes de l’Histoire du sport féminin27 sous la direction de Pierre Arnaud et Thierry Terret ; sur l’histoire des Jeux olympiques dans L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques de Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon28 ou

encore sur la façon dont certaines minorités se sont intégrées grâce au sport notamment dans Le sport en France à l’épreuve du racisme du XIXe siècle à nos jours29 sous la direction de Claude Boli, Patrick Clastres et Marianne Lassus.

23. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 38.

24. Philippe Tétart dir., Histoire du sport en France : du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007. 25. Philippe Tétart dir., Histoire du sport en France : de la Libération à nos jours, Paris, Vuibert, 2007.

26. Paul Diestchy, Histoire du football, Saint-Amand-Montrond, Éditions Perrin, 2010.

27. Pierre Arnaud, Thierry Terret, dir., Histoire du sport féminin. Histoire et identité, Paris, L’Harmattan, 2000 et Histoire du sport

féminin. Sport masculin, sport féminin : éducation et société, Paris, L’Harmattan, 2004.

28. Jean-Pierre Augustin, Pascal Gillon, L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques, Paris, Armand Colin, 2004.

29. Claude Boli, Patrick Clastres, Marianne Lassus, dir., Le sport en France à l’épreuve du racisme du XIXe siècle à nos jours, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2015.

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Au Canada, l’histoire a mis du temps avant d’étudier le sport. « Canadians have always been fond of sports, but until about twenty years ago professional historians of the country all but ignored this fact »30 écrit Morris Mott en 1989. Selon lui, l’histoire du sport au Canada n’est devenue respectable qu’avec la multiplication de travaux historiques sur le sport dans les années 1970 et 1980. Ce constat est partagé par de nombreux auteurs, par exemple Jean-Paul Massicote et Claude Lessard. Les ouvrages qui évoquent les origines du sport au Canada mettent tous de l’avant l’influence des colons anglais dans l’apparition du sport dans ce pays : « la première période, de 1800-1850, correspond à celle de la pénétration du sport, notamment par les courses de chevaux, la boxe, les régates, les jeux athlétiques, le cricket et la raquette. Ce moment coïncide avec les vagues successives d’immigration massive en provenance des îles britanniques, surtout après 1815 »31.

Les militaires et les administrateurs anglais qui arrivent au Canada sont pour la plupart recrutés dans l’aristocratie et reproduisent leurs institutions et leur mode de vie. Ils apportent avec eux les activités sportives qu’ils ont pratiquées dans leur pays. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, nous assistons à une période d’expansion du sport :

Les activités sportives, qui se sont amorcées durant la première moitié du siècle, connaissent, bien sûr, un essor remarquable, mais de nouveaux sports font également leur apparition, notamment la crosse, le baseball, le football, le tir, le cyclisme, le hockey, le patinage et la natation. L’élément le plus important de cette expansion est sans aucun doute le développement très rapide des sports d’équipe32.

Des auteurs tels que Donald Guay, Gilles Janson ou Yves Tessier s’accordent sur le fait que c’est à travers les courses de chevaux que les Canadiens prennent contact avec le sport. Et cela dès les années 1760, avec les militaires anglais qui organisent des courses de chevaux

30. Morris Mott, Sports in Canada: historical readings, Toronto, Copp Clark Pitman, 1989, p. 1. 31. Donald Guay, Introduction à l’histoire des sports au Québec, Montréal, VLB, 1987, p. 11. 32. Ibid.

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sur les Plaines d’Abraham à Québec. Ce contact est plutôt informel, car les Canadiens ne participent pas à ces courses et sont seulement spectateurs. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle qu’ils commencent à participer aux courses et que l’histoire du sport au Canada débute véritablement.

La littérature sur l’histoire du hockey est composée de nombreux ouvrages qui présentent des informations de façon factuelle avec des dates, des événements ou des statistiques. En plus de ces ouvrages factuels, des biographies de joueurs sont publiées en grand nombre. Dans cette catégorie nous pouvons citer Les yeux de Maurice Richard33 de Benoît Melançon ou encore Patrick Roy, le guerrier34 de Michel Roy. Nous nous sommes appuyé sur certains ouvrages pour présenter la naissance et l’évolution du hockey. James George Aylwin Creighton est un personnage ayant joué un rôle central dans l’élaboration du hockey, tel que nous le connaissons aujourd’hui, selon Donald Guay ou Gilles Janson ; tandis que pour Michael Mckinley, il est l’homme qui a permis au hockey de se jouer autre part qu’à l’extérieur, en organisant le premier match de hockey sur une patinoire intérieure en 1875 à Montréal à la patinoire Victoria. Le hockey doit ses origines au bandy et à la crosse. Le bandy, qui a été très populaire en Europe notamment dans les territoires britanniques, consistait à des affrontements entre deux équipes se disputant une balle à « l’aide d’un bâton […] à manche rond et à lame recourbée »35, bâton nommé un bandy. Le but du jeu était de

marquer dans les buts de l’équipe adverse. Il était pratiqué sur la glace. La crosse par contre est d’origine amérindienne. Comme pour le bandy, le but est de marquer un but à l’équipe adverse, mais dans ce cas précis à l’aide d’une crosse, un bâton qui se caractérise par le bas lacé comme une raquette. Ici, la balle est en bois. Les Anglais à leur arrivée au Canada vont transformer la crosse en sport à la fin des années 1850. Avant cela, cette pratique corporelle était rarement exercée par les Blancs. Ainsi en plus de s’établir avec leurs sports, les Anglais « appliquent leur mentalité sportive à des pratiques corporelles traditionnelles des autochtones »36. Le hockey commence à se structurer au milieu du XIXe siècle avec la

33. Benoît Melençon, Les yeux de Maurice Richard : une histoire culturelle, Québec, Fides, 2006. 34. Michel Roy, Patrick Roy, Le guerrier, Montréal, Libre Expression, 2007.

35. Yves Tessier, Histoire du hockey et des sports. Camille Henry : une époque, Sillery, Éditions Tessier, 1985, p. 24. 36. Donald Guay, La conquête du sport. Le sport et la société québécoise au XIXe siècle, Outremont, Lanctot, 1997, p 67.

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fixation d’un nombre de joueurs par équipe (neuf, puis sept en 1884 et dix en 1910), un temps déterminé de jeu et l’équipement. Dès les premiers échos du match de 1875 sur une patinoire, le sport prend son essor parmi la population canadienne. Selon Jean-Pierre Augustin37,

l’appropriation du hockey par les Canadiens francophones serait due à deux facteurs. Le premier serait lié au climat. En effet, les longs hivers qui touchent le Québec permettent la pratique du sport, le hockey étant un sport collectif joué pendant la saison morte et froide. Le second facteur serait d’ordre culturel. Le hockey a été créé au Canada et les Canadiens ont pu affirmer leur particularisme face au voisin américain. Par la suite, les Canadiens francophones ont pu s’affirmer face au reste du Canada en faisant du hockey leur sport national. La création du Canadien de Montréal au début du XXe siècle confirmera cette appropriation.

Outre l’histoire, les sciences sociales se sont emparées du sport comme objet d’étude. La sociologie ne pouvait passer à côté de cet objet tant « les fonctions du sport renvoient à des domaines variés de la vie sociale »38. Nous pouvons citer le sport dans le processus de

socialisation des enfants ou comme symbole de renforcement du lien social. À partir des années 1950-1960, le sport a pris une importance croissante dans les études sociologiques d’abord aux États-Unis, puis en Europe, notamment en Angleterre. En France, ce n’est qu’à partir des années 1980 que la production sociologique sur le sport prend véritablement son essor. Comme nous l’avons vu pour les origines du sport, la sociologie du sport a avancé des thèses qui, encore aujourd’hui, sont citées comme références. Nous pouvons notamment faire référence à la thèse de Norbert Elias et d’Eric Dunning sur les formes de violence liées au sport. Dans cette sociologie du sport, un courant d’inspiration marxiste s’est développé en critiquant tout ce qui a trait au sport. Ces sociologues critiques, dont la figure de proue est Jean Marie Brohm, publient abondamment pour dénoncer le sport et ses dérives. Michel Caillat veut ainsi secouer « le cocotier des habitudes et des préjugés »39 en évoquant les

valeurs galvaudées par le sport moderne. Quant à Ronan David, il fustige l’institution

37. Jean-Pierre Augustin, « La culture sportive au Canada : le hockey sur glace comme sport identitaire », Serge Fauché, Jean-Paul Callède, Jean-Louis Gay-Lescot et Jean-Paul Laplagne, dir., Sport et identités, Paris, L’Harmattan, 2000.

38. Pascal Duret, Sociologie du sport, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 3.

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sportive qui empêcherait la libération et l’émancipation des femmes en soumettant les corps à la logique de la compétition. On assisterait alors à une « virilisation » massive des sportives40.

À travers le sport le plus populaire dans le monde, le soccer, les sociologues abordent les sujets les plus variés en rapport avec la société. Ainsi, dans Affreux, riches et méchants ? Un autre regard sur les Bleus, Stéphane Beaud et Philippe Guimard présentent un autre éclairage sur la fracture entre le public français et son équipe nationale de soccer à la suite de la mauvaise image véhiculée par cette dernière lors de la Coupe du monde de football de 2010. Ils apportent une voix discordante dans les analyses qui présentaient certains joueurs de cette équipe comme des êtres immatures, menaçants dont le comportement serait lié à leurs origines (issus de l’immigration) et à leurs provenances géographiques (les banlieues françaises). En utilisant l’opprobre d’un pays contre certains joueurs de son équipe nationale de soccer, les auteurs analysent les crispations qui se jouent dans la France contemporaine autour des jeunes issus de l’immigration et qui viennent généralement des banlieues. Autre exemple, avec Football, religion et politique en Afrique. Sociologie du football africain41, Tado Oumarou et Pierre Chazaud analysent la place que prennent la religion et la politique dans le football africain. Ils présentent le football africain avec ses spécificités nées de son héritage, de son passé colonial et de ses multiples cultures ethniques. Ainsi le poids des nombreux rituels d’avant match, les différents types de gestion (ethnique, présidentiel, communautaire), la présence des sorciers dans l’entourage des équipes permettent de comprendre le fonctionnement de certaines sociétés africaines à travers le sport roi sur ce continent. Les supporters sont également abordés par les sociologues. De ce point de vue, nous pouvons évoquer l’analyse originale de Ludovic Lestrelin42 sur le supportérisme à

distance. À travers le club de l’Olympique de Marseille et certains de ses supporters situés dans la ville de Rouen, il se penche sur un phénomène qui existe pour toutes les équipes sportives, mais qui est peu abordé : le supportérisme à distance, soit les supporters qui

40. Ronan David, Le sport contre les femmes, Lormont, Le bord de l’eau, 2015.

41. Tado Oumarou, Pierre Chazaud, Football, religion et politique en Afrique. Sociologie du football africain, Paris, L’Harmattan, 2010. 42. Ludovic Lestrelin, L’autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l’Olympique de Marseille, Paris,

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prennent fait et cause pour des équipes qui ne sont pas de leur ville. Avec la télévision et Internet, l’élargissement du cercle de recrutement des clubs et la diversification des identifications au territoire, local ou national, représentée par l’équipe de soccer « ne font-ils pas, dès lors, partie intégrante de la culture contemporaine du supportérisme ? »43 s’interroge

l’auteur. L’analyse porte donc sur l’univers de ces partisans qui ne partagent pas le lieu d’implantation de leur équipe favorite. Ici, l’attache locale est supplantée par un besoin d’appartenance à une identité collective plus forte. Cette approche est tout à fait originale dans les études sur les partisans.

Hormis des mentions éparses pour les sports et les jeux dans les travaux anthropologiques classiques, il a véritablement fallu attendre les années 1980 pour que la discipline se penche sur le sport comme objet d’étude à part entière. Ainsi « paradoxalement, même si les sports ont toujours fait partie du paysage intellectuel, l’idée qu’ils puissent représenter d’adéquats objets d’étude pour des recherches anthropologiques systématiques et comparatives a souvent été supplantée par une préférence pour l’exotisme »44. Parmi les premiers travaux

majeurs, nous pouvons citer The anthropology of sport : an introduction45 de Kendall Blanchard et Alyce Cheska, qui, comme son nom l’indique, permet d’appréhender la discipline. L’approche multidisciplinaire est revendiquée par certains anthropologues qui écrivent sur le sport. Nous pouvons citer dans cette tendance The anthropology of sport and modern movement. A biocultural perspective46 sous la direction de Robert et Linda Sands. Dans cet ouvrage collectif, les différents auteurs n’hésitent pas à faire référence aux sciences naturelles, notamment la biologie, dans leurs démonstrations sur le fonctionnement des hommes dans les efforts sportifs. Un autre exemple de multidisciplinarité est illustré dans l’œuvre de Sébastien Darbon. Celle-ci est marquée par l’anthropologie historique. Que ce soit dans l’article « Les pratiques sportives au filtre de l’anthropologie »47 ou dans l’ouvrage

43. Ibid., p. 16.

44. Noel Dyck, « Perspectives anthropologiques sur le sport : Mise en jeu », Anthropologica, vol 46, no 1, 2004, p. 10.

45. Kendall Blanchard, Alyce Cheska, The anthropology of sport: an introduction, Westport, Greenwood Publishing Group, 1995. 46. Robert R. Sands, Linda R. Sands, dir., The anthropology of sport and human movement. A biocultural movement, Lanham, Lexington

Books, 2012.

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Les fondements du système sportif. Essai d’anthropologie historique48, les deux perspectives

se côtoient dans l’argumentation. Dans le premier article, il utilise cette démarche d’anthropologie historique pour tenter d’expliquer le passage des « jeux athlétiques », qu’on pourrait définir par pratiques anciennes, à un système sportif ou sport moderne. Dans son livre, l’approche de l’anthropologie historique est également mise au service de la formation du système sportif dans l’Angleterre du XIXe siècle. Il décrit le système sportif à partir de

cinq critères : l’émergence des règles de jeu, la mise en place de l’égalité entre les adversaires, des institutions bureaucratiques afin de faire respecter les règles, une rationalisation et une quantification de l’activité et la création d’un cadre spatio-temporel spécifique à la pratique sportive. L’auteur reformule ainsi le schéma d’Allen Guttmann, que nous avons vu dans la partie consacrée à l’histoire du sport, en s’appuyant sur de nombreuses études historiques.

Outre ces exemples de multidisciplinarité, l’anthropologie du sport repose également sur des ouvrages ou des articles qui permettent d‘appréhender certains phénomènes liés au sport à travers un regard anthropologique. Anne Saouter en se penchant sur le rugby, sport viril par excellence et qui se veut la vitrine de la masculinité, fait ressortir un monde très masculin où le vestiaire est un sanctuaire interdit aux femmes et dans lequel paradoxalement la camaraderie masculine se traduit par de nombreux contacts physiques entre coéquipiers. Contacts que l’on retrouve d’ailleurs tout au long des matchs dans ce sport très physique. Dans cet espace social, véritable mode de vie, qu’est le rugby, la place des femmes est très hiérarchisée avec la figure maternelle, l’épouse et la groupie49. Eduardo Archetti expose un

exemple de la voie la plus courante de l’adoption des sports, l’appropriation stylistique, en se penchant sur l’Argentine à travers le soccer et le polo locaux. Ces deux sports introduits par les Britanniques en Argentine, ont été complètement appropriés par les Argentins. L’auteur décrit cette créolisation en évoquant la façon dont le soccer et le polo argentins sont marqués par un style typiquement argentin50 . Allen Guttman se penche sur l’intégration des

Noirs dans le sport aux États-Unis. Son constat n’est pas flatteur. En effet, pour un basketteur

48. Sébastien Darbon, Les fondements du système sportif. Essai d’anthropologie historique, Paris, L’Harmattan, 2014. 49. Anne Saouter, « La maman et la putain. Les hommes, les femmes et le rugby », Terrain, no 25, septembre 1995.

50. Eduardo P. Archetti, « Nationalisme, football et polo : tradition et créolisation dans la construction de l’Argentine moderne »,

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comme Michael Jordan ou un joueur de football américain comme O.J. Simpson, il déplore tous les jeunes Noirs qui vont échouer du fait du système universitaire qui privilégierait trop souvent le sport plutôt que l’éducation51. Ces trois exemples à travers le sport mettent en

évidence un monde clos dans lequel la place des femmes est hiérarchisée à l’extrême, une appropriation « indigène » ou créolisation de pratiques importées par les Anglais et l’intégration d’une minorité qui, pour quelques élus, fait beaucoup de déçus.

Les études sur le sport en ethnologie sont marginales ou quasi-absentes avant le début des années 1970, où elles connaissent un regain d’intérêt pour certains ethnologues. En effet, cela ne fait qu’une trentaine d’années qu’une ethnologie tournée vers le sport s’est véritablement développée. Malgré cela, dans sa « double dimension de pratique et de spectacle »52, peu de travaux émergent. La cause principale serait liée aux problèmes de méthode face à la configuration du spectacle sportif constitué de dizaines de milliers de spectateurs. Selon Christian Bromberger, « les activités physiques et futiles constitueraient, au mieux, un domaine d’analyse et de réflexion pour les professeurs de gymnastique et les journalistes sportifs »53. Depuis que le sport est devenu un objet d’étude à part entière en ethnologie, on constate que les pistes d’études ne manquent pas. Ainsi, on étudie le sport en tant que « clé de la connaissance de la société »54, en tant que culture populaire ou en tant qu’opium du peuple55. La voie du sport comme métaphore de la vie est très souvent mise en évidence par les auteurs. Christian Bromberger, par exemple, en s’intéressant au soccer fait ressortir « un mélange d’exaltation du mérite individuel, de la solidarité collective, une insistance sur le rôle de la chance, de la tricherie, d’une justice plus ou moins arbitraire »56. Or, ce sont là les

facteurs de l’échec et de la réussite à l’échelle d’une vie. Les angles d’études sont nombreux et les ethnologues en ont pris conscience avec des travaux comme celui de Marianne

51. Allen Guttman, « Amères victoires. Les sportifs et le rêve américain de mobilité sociale », Terrain, no 25, septembre 1995. 52. Christian Bromberger, « Le spectacle sportif : un objet ethnologique ? », Laurier Turgeon et Anne- Marie Desdouits, dir.,

Ethnologies francophones de l’Amérique et d’ailleurs, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, p. 137.

53. Christian Bromberger, « De quoi parlent les sports », Terrain, no 25, septembre 1995, p. 11. 54. Alain Ehrenberg, « Des stades sans Dieux », Le Débat, vol. 3, no 40, 1986, p. 47.

55. Jean-Marie Brohm, Jacques Ardoino, « Repères et jalons pour une intelligence critique du phénomène sportif contemporain », Jean Marie Brohm, Jacques Ardoino, dir., Anthropologie du sport. Perspectives critiques, Paris, Matrice, 2001, p. 168.

56. Christian Bromberger, « Les pratiques et les spectacles sportifs au miroir de l’ethnologie », Société de sociologie du sport de langue française, dir., Dispositions et pratiques sportives. Débats actuels en sociologie du sport, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16.

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Tableau 1   Classement et parcours du Canadien de 1993 à 2012
Tableau 2   Calendrier du Canadien de Montréal saison 2011-2012
Tableau 3  Organisation des Associations et Divisions pour la saison 2012-2013
Tableau 4  Calendrier du Canadien de Montréal pour la saison 2012-2013
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