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L'ethos des modes de regulation sociale : la societe civile, l'etat et le passage a la regulation providentialiste au Quebec, 1944-1960

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300 North Zeeb Raad. Ann Arbor, MI 481()6.1346USA aOO-S21.Q600

(2)
(3)

L'ethos des modes de régulation sociale:

la société civile, l'État et le passage

à la régulation

providentialiste au Québec, 1944-1960

Luc Turgeon

Department of Political Science McGill University

Montré~Québec July 2000

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial

fll1filment of the requirements of the degree ofMasterof Arts.

C

copyright Luc Turgeo~2000

(4)

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canada Bibliothèque nationale du Canada Acquisitions et services bibliographiques 395.rueWellington Ottawa ON Kl AON4 canada

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(5)

Rêsumé

La littérature sur la Révolution tranquille tend habituellementà affirmer que cet événement important dans 1'histoire du Québec contemporain fut rendu possible par l'action d'une classe éclairée, la nouvelle classe moyenne, qui souhaitait faire du Québec une société moderne. Ce texte a pour objectif de critiquer, dans un premier temps, cette interprétation élitiste et essentialiste du changement social.

n

propose par la suite une nouvelle approche conceptuelle qui prend en considération la mutation profonde dans les relations entre l'État et la société civile québécoise entre 1944 et 1960, mutation qui rendit possible le passageàl'État.providence au Québec. En se basant sur une théorie de la société civile comme espace d'interaction entre l'État et l'individu, il s'agit de démonter que la Révolution tranquille fut le fruit de la mise en place, sous l'impulsion de la société civile, d'un ethos particulier qui, en favorisant les notions de justicesociale~ de participation et d'égalité, sapait les fondements du pouvoir politique duplessiste.

Abstract

The literature on the Quiet Revolution tends to present this important moment in the history of contemporary Quebec as resulting from the actions of an enIightened class, the new middle class, who wished to make Quebec a modem society. The objective of this thesis is to criticise this elitist and essentialist interpretation of social change. It proposes a conceptual alternative that could take into consideration the profound mutation in state and society relations between 1944 and 1960, a mutation that facilitated the advent of the welfare state in Quebec. Based on a theory of civil society as a sphere of interaction between the state and the individual, the thesis demonstrates that the Quiet Revolution was the result of the development of a new ethos that favoured the values of social justice, panicipation and equality which contributed to undermining the foundations of the Duplessis regime.

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Remerciements

Ce texte est le fruit d'un processus de rechercheetde réflexion amorcé lors de ma dernière année de baccalauréat dans un séminaire dirigé par le Professeur Alain-G Gagnon. Cette réflexion s'est par la suite poursuivie à l'Institut d'études politiques de Paris oùj'aientrepris mes études de maîtrise grâce au support financier du département de science politique de l'Université McGill (Bourse Guy Drummond). À Sciences Po,

j'ai pu compter

sur

l'aide d'Élisabeth Crémieuxetde Sylvie Strudelquin'ont pas ménagé leurscritiqueset leurs encouragements alors que je rédigeaisun article surlathématique de ce travail, texte qui fut publié dans Globe (Luc Turgeon, «La grande absente. La société civile au coeur des changements de la Révolution tranquille», Globe. Revue internationale d'études Québécoises 2 :1 (1999), 35-56) et dont certains éléments sont reproduits, avec l'aimable autorisation de la direction de la revue, danscemémoire (lntro, chapitre 3 et 4). En particulier, Madame Stnldel m'a initié à l'un des

aspects

les plus riches et les plus féconds de la science politique française, à savoir la littérature sur la socialisation politique. Toujours à Paris, j'ai pu bénéficier à la Maison des étudiants canadiens d'un environnement intellectuel fon stimulant. Je tiens à remercier tous les résidents qui m'ont encouragé dans mes recherches, eten particulier Céline Lafontaineet Pascal Bastien.

De retouràMcGill, le Professeur Alain-G Gagnon, le superviseur du travail, m'a donné, commetoujours,le temps, l'appui, les indications, etenfin de parcoursunbureau isolé, me permettant d'améliorer certains aspects de ma réflexion. Je le remercie sincèrement pour la confiance qu'il a toujours su témoigner à mon endroit depuis 1996. Je tiens également à mentionner le support du Professeur Filippo Sabetti qui m'a poussé à raffiner ma conception de la société civile à l'occasion d'un séminaire en politique comparée.

En terminant, j'aimerais remercier les membres de ma famille, Gilles, Madeleine et Marie-Claude, de même que mes amis Olivier, Nicolas et Jean-Sébastien qui ont supporté au cours des dernières années un fils, un fière ou un ami ayant ta tête dans les nuages. S'ils avouaient parfois ne pas comprendre la nature de mes recherches, ils ont toujours su m'encourager dans les moments difficiles. Je voudrais remercier en particulier Madeleine et Gilles de m'avoir offert il y a plusieurs années ce cadeau merveilleux : une bibliothèque familiale contenant de vieux livres de Karl Marx, de Fernand Dumont, de Marcel Rioux... etdes Paris Match.

(7)

Table des matières

, ,

RES"lJ~.ABSTRA.CT ••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••i

REl\IER~NTS•••.•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••ii

..

T.ABLE DES~TIERES••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••iii

INTRODUCTION .••••••••••••••••.•.•..••••.•••.••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••1

CHAPITRE 1 :

.

LES LIMITES D'UNE CONCEPTION ESSENTIALISTE ET

ELITISTE DESCHANGE~"NTSSOCIA.U'X. •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••7

1.1 LAPERSPECTIVEDICHOTO~QUE 9

1.2 LAPERSPECTIVE CONllNUISTE 17

1.3 CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOOIQUES: ESSENTIALISME ET ÉLITISME 20 1.4 LA RÉVOLUTION TRANQUILLE: L'INSnTUTIONNALISATION POLITIQUE DE LA

RÉGULATION PROVIDEN'fIAl.ISTE 23

CHAPITRER: UNE PERSPECTIVE RELATIONNELLE DES

TRANSFORMATIONS SOCIALES: ESSAI DE DÉFINITION ET

D''IN'TE'RPRÉTATlON•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••• 26

2.1 SocIÉTÉCIVILE, ÉTAT ET DISCOURS SOCIAL 27

2.2LES ENVIRONNEMENTSDE LAsocIÉTÉCIvn.E ETL'ETHOS DES MODES DE RÉGULATION

SOClALE 33

2.3 LES FACTEURS DE TRANSFORMATION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DE SES

elVIR.ONNaŒN1'S D'INSCRIPllON 37

CHAPITRE m: L'ETHOS DE LA RÉGULAnON LIBÉRALE DUPLESSISTE. 44

3.1 L'EN'VIR.O~ SCJCIAl.-S1"RUC~ 4S

3.2 L'~o~ctJI..~ 48

(8)

CHAPITRE IV: DE LA RÉGULATION LIBÉRALE À LA RÉGULATION

PROVIDENTIALISTE: LA MUTATION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

QU~B*COISEET LA CRISE DE LÉGITIMATION DE L'ÉTAT LIBÉRAL

Q'UEBECOIS .••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•.••55 4.1 SocIÉTÉCIVILE : UNE NOUVELLE APPROCHE DE L' ACnON SOCIALE ET LA MISE EN

PLACE D'UNE NOtNELLE CULroRErounQl.JE S6

4.1.1 Larecherche lU / 'autonomie institutionnelle et la consolidationde la société

civile 56

4.1.2 De nouvelles revendications, de nouveata modes d'action, une nouvelle

socialisation politique 60

4.2 POUTIQUES PUBLIQUES, ORIENTATIONS GOUVERNEMENTALES ET APPRENTISSAGE

POUTIQl.JE 68

4.2.1 La mise en place graduelle lU la régulation providentialiste fédérale 68 4.2.2L'autonomie provinciale, le patronage et /aperceptiontk l'État 71

4.2.3L'apprentissage politique et le grand virageck 1957 74 4.3. UNNOUVEL E'TIiOS DE LA RÉGULATION SOCIALEALA VEILLE DES ÉLECTIONS DE1960 ... 78

CONCLUSION•••.••.•••••••••..•••.•.•••.•••••••••••.•••••.•••••••••••••.•••••.••.•.••••••••.•.•••••••••.••••..•.••.•.•.• 14

(9)

Introduction

Ni les sociologues. ni les historiens n 'ont encore trouvéde",odèle satisfaisant pour rendre compte

dupassé québécois récent. Les modèles élaborés laissent échapper un résidu: la spécificité de la mutationdela société québécoise 1.

Jean HamelinetJean-Paul Montminy

Dans l'avant-propos à l'Ancien régime et la Révolution, Tocqueville jugeait que 1Jampleur du séisme que fut la Révolution française avait nui àl'examen minutieux de

l'Ancien régime qui l'avait précédée.

n

regrettait en particulier la disposition de plusieurs de ses contemporains à ne retenir de cette dernière période que ce qui «brillait à sa surface», occultant par le fait même les «racines» de la société qui devait naître de la Révolution2. Bien que plus modeste dans sa portée, la Révolution tranquille semble avoir eu au Québec les mêmes effets que la Révolution française sur l'imaginaire collectif. L'importance accordée à la Révolution tranquille comme moment fondateur d'une nouvelle société québécoise nuit en effet à l'étude détaillée de cette "grande noirceur", sorte d'Ancien régime pour plusieurs analystes, dont on ne retient trop souvent que les éléments qui brillaient à la surface.

En insistant sur la rupture que représente la Révolution tranquille plutôt que sur les liens qui l'unit à la période précédente, la collectivité québécoise a privilégié ce que Jocelyn Létourneau qualifie de «grand récit de la technocratie))3. Elle s'est ainsi privée

d'une interprétation de cette période charnière de l'histoire du Québec qui favoriserait l'étude de la transformation des rapports entre l'État et la société, pour privilégier l'histoire événementielle ou encore la simplification théoriqueà caractère normatif qu'est la division entre tradition et modernité. Critiquant l'interprétation du Québec des années

l Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy,«La mutation de la société québécoise, 1939-1976. Temps, ruptures, continuités», dans Fernand Dumont, Jean Hamelin et lean-Paul Montminy

(dïr.),Idéologies au Canada francais, 1940-76. Tome 1er (Québec: Pressesdel'Université Laval, 1981),35-36.

2Alexis de Tocqueville, L'Ancien régime et la Révolution (paris: OF-Flammarion, 1988),88-90. 3 Jocelyn Létourneau, « Québec d'après-guerre et mémoire coUective de la technocratie »,

(10)

cinquante mise de l'avant par certains intellectuels de sa génération, Léon Dion affirmeà la manière de Tocqueville :

Rivés à la critique, trop de nouveaux intellectuels consacrent la portion congrue à l'analyse d'une société pourtant en pleine évolution. fise trouve bien peu de traces dans leurs écrit-; d'une consciem:e deceUCévolution. LeurespritscfixeaillelD'S, là où tout croupit dans l'immobilisme. Pourtant, qued'expériences authentiquement démocratiques furent vécues durant les années cinquante, depuis les institutions coopératives, le Mouvement Desjardins, les syndicats, les professions, les associations d'affaires et les chambres de commerce, jusque dans des facultés universitaires4.

n

semble ainsi essentiel de renouveler les outils conceptuels qui puissent nous permettre de saisir ce qui a rendu possible cette Révolution tranquille.

n

nous importe plus particulièrement d'intégrer définitivement dans cette ttame de l'histoire du Québec cette grande absente qu'est la société civile. La modification des coalitions tout comme des oppositions de même que la création de nouvelles représentations du monde au sein de différentes couches de la société civile ont en effet été longtemps ignorées dans l'analyse du passage de la régulation libérale sous Duplessis à la régulation providentialiste s'amorçant au début des années 1960 au niveau provincial. La plupart des spécialistes de la Révolution tranquille ont principalement insisté sur les pressions d'une nouvelle classe moyenne pour expliquer la modification de la régulation politique et sociale ou encore sur le rôle d'une avant-garde intellectuelle dans la décléricalisation de la société et dans la transformation des contours de l'exercice démocratique. La Révolution tranquille se présente, dans les deux cas, sous les traits d'une action de l'État (contrôlé par une classe technocratique) sur la société civile afin de modifier les fondements de la solidarité sociale etd'une culture politique jugée conservatrice, voire passéiste. C'est en opposition avec cette conception stato-centrée et essentialiste du changement social que s'inscrit ce texte.

Objectifs du mémoire

Dans la préface de son ouvrage magistral et fort influentÉtats et révolutions

sociales,

la politologue américaine Theda Skocpol affirme qu'il y a deux types d'ouvrages: ceux qui présentent de nouvelles hypothèses, d'autres qui invitent plutôt à

4Léon Dion, Québec. 1945-2000. Tome 2. Les intellectuels et le temps de Dyp1essis (Québec:

(11)

envisager les problèmes sous un autre angles. Ce texte se situe résolument dans la deuxième catégorie.

n

n'a guère la prétention de proposer une façon originale de saisir la nature profonde de ce que constitue la Révolution tranquille ou encore d'apporter des faits empiriques nouveaux. Trois générations de spécialistes des sciences sociales se sont penchées sur la question et chacune d'entre elles, à travers différentes interprétations, a permis de saisir un ou plusieurs aspects de ce moment capital de l'histoire du Québec.

n

ne s'agit donc pas de donner un sens nouveau à la Révolution tranquille, mais plutôt de saisir ce qui a rendu sa réalisation possible. Comme nous l'avons mentionné auparavant, nous croyons que les spécialistes de cette période se sont trop souvent contentés de donner un sens aux discours, aux actions des classes dirigeantes sans se soucier de comprendre pourquoi de tels discours ou de telles actions pouvaient susciter l'adhésion des Québécois de cette époque. Dans cette perspective, ce mémoire a pour ultime objectif de favoriser la relecture de la Révolution tranquille sous un autre angle: celui de la légitimation d'un nouveau discours social au sein de la population.

La question qui nous anime est donc la suivante: pourquoi et comment une population enfermée dans les affres d'un traditionalisme soi-disant unique en Occident en vint-elle à accepter le discours réfonnateur des libéraux de Jean Lesage? L'hypothèse du travail est que le passage à l'État-providence au Québec fut rendu possible grâce à une mutation graduelle de la nature des interactions au sein de la société civile québécoise; plus précisément par la mise en place d'un ethos particulier, fruit d'une transformation des environnements social-structurel, cultureletsocial-psychologique qui avaient permis la reproduction de la régulation libérale.

Au plan théorique, il ne s'agit pas simplement d'un arsument visantàdémontrer que la société civile est un élément essentielàla mise en place de la Révolution tranquille (sous le mode«civil society matters »), mais plutôt d'affirmer que l'avènement du mode de régulation providentialiste nécessitait la restructuration de cette société civile sous un mode associatif et discursif particulier, permettant de légitimer des politiques publiques de type collectiviste.

n

s'agit donc de décortiquer le concept trop souvent vague de société civile et de proposer un modèle relationnel qui prend en considération

(12)

l'interaction de cette dernière avec l'Étatetles mécanismes d'une telle interaction dans le contexte d'une lutte pour le maintien ou non d'une forme particulière de régulation sociale.

Au plan empirique, il ne s'agit pas de faire le décompte des organismes promouvant le passage àl'État-providence dans les années 1940 et 1950 \cette obsession de la recherche des traces de modernisation). fi s'agit plutôt de proposer une narration de cette période, basée sur un cadre conceptuel, qui démontre le combat au sein de la société civile entre deux conceptions du rôle de l'État et les mécanismes qui ont permis àla conception« providentialiste» ou réformatrice de l'État de s'imposer légitimement, dans un premier temps durant les courts mandats de Paul Sauvéetd'Antonio Barrette, etplus fonnellement àla suite de la victoire des libéraux provinciaux.

Plan et Méthodologie

La première partie de cet essai consiste en une revue de la littérature sur la nature de la Révolution tranquille, telle qu'elle a été développée par trois générations de spécialistes des sciences sociales au Québec et à l'étranger. L'originalité de notre approche ne peut être comprise qu'à la suite d'une discussion approfondie des limites théoriques des thèses existantes. Nous chercherons à faire ressortir que les sciences sociales au Québec, malgré leur diversité, ont tout de même été animées par une conception essentialiste et élitiste des changements sociaux. Une telle perspective ne permet guère de comprendre la formation des préférences de la classe technocratique et la légitimité que pouvait avoir le projet réformateur des libéraux pour une partie substantielle de la population québécoise. fi s'agira là de la thèse mineure de notre texte.

Nous analyserons également la littérature récente sur la société civile ou différentes composantes de la société civile en démontrant que la recherche d'éléments progressistes dans la période duplessiste ne Peut, sans appareil conceptuel du changement social, que reconduire cette vision d'éléments brillant à la surface d'une grande noirceur etdonc, de maintenir en bout de ligne l'image de la Révolution tranquille comme rupture ou rattrapage. La littérature sur cette période est vasteetdiversifiée. C'est pourquoi nous limiterons dans ce texte notre critique aux textes les plus représentatifs des différentes interprétations de la Révolution tranquille.

(13)

La deuxième partie proposera un appareil conceptuel permettant de comprendre le passage d'un mode de régulation à un autre en prenant pour appui une théorie de la société civile comme espace public d'interaction entre l'individu etl'État.

n

s'agira ainsi de démontrer à la fois en quoi cette conception de la société civile est différente des approches habituelles et en quoi une telle conception de la société civile, de sa structuration, des activités et des discours qui y ont cours, permet d'expliquer le passage d'une forme de régulation socio-économiqueàune autre. Nous insisterons en particulier sur les quatre piliers au coeur de la structuration de la société civile: les politiques publiques, la socialisation politique, les manifestations/actions politiques et l'apprentissage politique (policy leaming). Nous insisterons également sur le fait que ces quatre piliers de la société civile contribuent en retour àmodifier ou à reproduire un contexte culturel, social-structureletsocial-psychologique particulier dans lequel s'inscrit

unmode de régulation.

La troisième partie s'attardera àmettre de l'avant les bases des environnements qui ont permis au pouvoir duplessiste et àla régulation libérale qu'il véhiculait de se reproduire pendant plus de quinze ans au Québec.

n

s'agira de faire ressortir la spécificité de la régulation libérale québécoise au cours de cette période, tant au plan de la structuration de la société civile que du discours de légitimation, ainsi que la nature des liensqui unissent le premier ministre et son parti àla population québécoise.

La dernière partie du travail tentera d'expliquer comment cette société particulière qu'est le Québec a historiquement cheminéàla suite de la Deuxième Guerre mondiale de la régulation libérale vers l'État-providence. Nous reprendrons pour ce faire les quatre piliers de notre modèle des transformations sociales afin de donneruntout cohérent à la narration proposée. Y seront analysés en particulier la modification des modes d'action des regroupements associatifs de la société civile, la mise en place de nouvelles valeurs dominantes, etl'impact et la transformation graduelle des politiques publiquesàla fois du gouvernement duplessiste et du gouvernement fédéral6. La chronologie utilisée dans ce texte s'étend du retour de l'UDion nationale au pouvoir en 1944 à la victoire des libéraux

6 Notons que, compte tenudel'espacelimitédont nous disposons pour la rédaction de cet essai,il s'agira avant tout d'un survol des éléments les plus significatifs de cette période, plutôt qu'une recherche empirique poussée.

(14)

en 1960. Cette période de l'histoire du Québec est d'une importance capitale dans la mesure où elle en est une d'intenses luttes quant au rôle de l'Étatet aux valeurs devant guider la collectivité québécoise.

Ce mémoire constitue donc essentiellement un travail de conceptualisation des changements sociaux permettant d'expliquer l'évolution du Québec de 1944à 1960.

n

ne s'agit pas tant d'imposer une théorie particulière au cas québécois que de démontrer comment la production historique passée et récente peut s'intégrer dans un cadre conceptuel souple permettant de mieux comprendre l'évolution de ces deux entités macro-sociologiques que sont l'État québécois et la société civile québécoise, et plus particulièrement les mécanismes de passage àl'État-providence au Québec. La partie empirique sera ainsi essentiellement basée sur des sources secondaires, l'objectif du mémoire étant avant tout de proposer un cadre conceptuel qui puisse nous permettre de saisir cette spécificité de la mutation québécoise dont parlaient Jean Hamelin etJean-Paul Montminy. Pour étayer les contextes de l'environnement social et ses modifications au Québec au cours de cette période, nous avons tout de même intégré dans notre partie empirique les écrits de certains intellectuels de cette époque, certains documents d'orientation politique ou sociale des organisations de la société civile, de même que des extraits de journaux (en paniculier pour les années 1959 et 1960) afin de mesurer l'évolution de la société civile québécoise.

(15)

Chapitre 1

Les limites d'une conception essentialiste et élitiste des changements sociaux

Not, then, men and their moments. Rather moments and their men7. Erving Goffinan Affirmer aujourd'hui que la Révolution tranquille ne fut pas une rupture marquée, mais plutôt le fruit d'une longue mutation de la société québécoise, peut sembler banal. Certains s'étonneront bien à l'occasion de retrouver, dans les ouvrages de philosophes politiques s'intéressant au Québec ou encore chez certains intellectuels de la génération de l' après-guerre, des visions fortement dichotomiques de l'avant et de l'après Révolution tranquille8. Dans l'ensemble, on peut tout de même affirmer que la plupart des auteurs s'étant penchés sur la période affirment que la Révolution tranquille constitue l'aboutissement d'un long processus de transformations sociales.

Au détour d'un paragraphe ou encore pour nuancer une argumentation à l'allure parfois trop statique ou déterministe, on trouvera dans les écrits des spécialistes des sciences sociales des années 1960 et 1970 certaines allusions aux efforts de différents regroupements sociaux pour transformer les discours et les valeurs guidant la société québécoise ou la nation canadienne-française. Fernand Dumont et Guy Rocher, sans doute deux des intellectuels qui ont le plus célébré les effets bénéfiques de la tin de la grande noirceur, - à défaut de célébrer les réalisations économiques et sociales de la Révolution tranquille-, affinnent d'ailleurs respectivement, d'une façon qui n'est pas sans rappeler la citation de Léon Dion présentée en introduction:

Le mouvement coopératif, les syndicats, Cité libre, les sessions annuelles de l'Institut canadien des affairespubliques, des émissions de Radio-Canada, tant d'autres lieux et de moyens d'influence faisant appe~ en marge ou à Pencontre des partis, à la préscnce

7 Erving Goffman cité dans Mustafa Emirbayer, «Manifesta for a Relational Sociology»,

American Journal ofSociology 103 (1997),296.

8Linda Cardinal, Claude Couture et Claude Denis, «La RévolutioD tranqui1leà l'épreuve dela 'nouvelle' historiographie etdel'approchepost~olooiale. Une déman:be exploratoire )), ~ Reweintemationale d'étudesqye'bécoi

ses

2 : 1 (1999), 75-95.

(16)

quotidienne des citoyens dans la politique. LePartilibéral quiprit le pouvoir en 1960 a largemententériné ces courants d'opÏDion9.

Il faut cependant ajouter - ne fût-cc que pour le noter au passage- qu'en réalité le changement n'a pas été aussi subit qu'on a pu le dire et le croire. (. .. ) Certains mouvements d'Action catholique, la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, legroupeduRefia Global, larewe Cité Libre, laC.T.C.C, l'Institut canadiendes affaires

publiques - pour ne nommer que les principaux- ont été les germoirs où, durant les

années 1940et 1950, la«révolutiontranquille» atrouvéses premièresvoix (... )10.

Doit-on pour autant rejeter la thèse de Linda Cardinal etde ses collègues, à savoir que la littérature sur la Révolution tranquille est basée sur une fausse dichotomie entre une société pré-révolutionnaire embourbée dans des référents au monde inadéquats compte tenu des enjeux liés à la mise en place d'une nouvelle socio...c:conomie, et une société révolutionnaire en mouvement découvrant de nouvelles façons de s'inscrire dans le monde« moderne »1 Cette thèse pourrait être rejetée s'il ne s'agissait simplement que d'une question empirique. La plupart des spécialistes s'entendent en effet sur les principaux acteurs de cette période: les nouveaux intellectuels et le mouvement ouvrier chez les contestataires du régime; la petite bourgeoisie traditionnelleetle haut clergé en ce qui a trait aux défenseurs du duplessisme.

Les discussions empiriques des Rioux, Guindon ou Rocher s'inscrivent cependant dans des appareils théoriques qui tendent, comme nous le démontrerons par la suite, à

maintenir cette idée de la Révolution tranquille comme rupture et genèse d'une nouvelle société: rupture au plan des valeurs, des classes dirigeantes; genèse d'une nouvelle société sécularisée en transformation sous l'effet de politiques publiques mises en place par le nouvel État du Québec. Ces auteurs laissent ainsi bien peu de place conceptuellementàl'évolution de la société québécoise àcette époque. L'expression de Rocher citée antérieurement (<< ne rot-ce que pourle noter au passage») représente bien cette place somme toute mineure qu'occupe une société en pleine évolution dans leur conceptualisation des transformations sociales. Ces appareils conceptuels ne s'inscrivent

9FernandDumont,« UneRévolution culturelle?», dansFernand Dumont, Jean Hamelin et

Jean-Paul Montminy (dit.), Idéologies au Canada Francais, 194()"1976.Tomc 1 (Québec: Presses de l'Université Laval, 1981), IS .

(17)

pas, pour reprendre l'affirmation de Daniel Saléeàpropos des travaux d'Hubert Guindon, dans« une conceptualisation adéquate du mouvement historique et de la transition d'un ordre socio-économiqueàun autre11». Les travaux sur le passage de la grande noirceur

àla Révolution tranquille, des premiers travaux d'Hubert GuindonàKenneth McRoberts, s'inscrivent eneffetdans une conception monologiqueetessentialiste des transformations historiques (par l'accent mis sur un facteur explicatif précis ou sur une classe sociale comme moteur du changement historique)etdans une approche stato-centréeetélitiste du changement social

0

'État comme moteur de la transformation de la société) qui laissent peu de placeàl'explication des processus détaillésetinteractifs de mise en place d'une nouvelle forme de régulation sociale comme le fut la Révolution tranquille. Cette dernière affirmation sera précisée en nous attardant à l'étude de ce qui apparaît comme étant les deux principales thèses ou perspectives sur la nature de la Révolution tranquille: la perspective dichotomique etla perspective continuistel2.

n

s'agira de s'attarder sur ce que représente la Révolution tranquille dans les écrits des analystes de cet événement et d'en démontrer les limites théoriques. Dans une partie subséquente, nous critiquerons globalement le caractère essentialiste et élitiste des deux principales perspectives.

1.1 La perspective dichotomique

Le passage de la société traditionnelle à la société moderne constitue sans doute la thèse qui fut la plus répandue chez les spécialistes des sciences sociales au Québec dans les années 1960 et 197013. Cette perspective dichotomique entre l'avant et l'après de la

11 Daniel Salée, «Reposer la question du Québec? Notes critiques sur l'imagination sociologique», Politique 18 (1990), 88.

12 Nous reprenons ici la distinction mise de l'avant dans Gilles Bourqucs, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin, La société libérale duplessiste (Monttéal : Presses de l'Université de Montréal, 1994),312.

13 Parmi les études représentatives de ce courant, voir Rocher, Le

Québec

en mutation: Fernand Dumont, La vigile du Ouébec (Montréal: Hurtubisc HMH, 1971); Hubert Guindon, Ouébec

Societr· Tradition. Modemitr and Nationhood (Toronto: University of Toronto Press, 1988); Marcel Rioux, «Sur l'évolution des idéologies au QuébeC», reproduit dans Gérard Boismenu, Laurent MailhotctJacques Rouillard (dir.),

Le

Québec en

texte.

1940-1980 (Montréal: Boréal Express, 1980), 128-13; et Fernand Ouelle~ «La révolution tranquille, un tournant

(18)

Révolution tranquille demeure également l'image la plus répandue de la Révolution tranquille au sein de la population québécoise et canadienne14. Cette interprétation, inspirée de cadres théoriques dominants aux États-Unis dans les années 1950 et 1960

(modernisatio~ ratrappage, adaptation fonctionnelle), n'en a pas moins été vivement contestée depuis quelques années.

L'interprétation que les spécialistes des sciences sociales des années 1960 et 1970 ont faite de cette période se présente habituellement sous la fonne d'une pièce en trois actes. Dans un premier temps, la société canadienne-française de la période « pré-révolutionnaire» se caractérise par un net déphasage entre des structures sociales en bouleversements sous l'effet de l'industrialisation et de l'urbanisation, et une représentation du monde marquée par des valeurs traditionnelles véhiculées par un nationalisme canadien-français (la défense de la langue, de la religion catholique, de la terre des ancêtres). Cette inadéquation contribue dans un deuxième temps àralentir la dynamique de la société industrielle et démocratique, contribuant au retard du Québec dans«presque tous les domaines de l'activité humaine»15. Au nombre de ces retards, on mentionnera la trop lente évolution de l'urbanisation et de l'industrialisation, la faiblesse du taux de scolarisation, la faible combativité des organisations ouvrières et des associations de femmes ainsi que l'intervention limitée de l'État dans le domaine social16. Finalement, cet ensemble de valeurs archaïques s'effondre lors de la Révolution tranquille, moment de l'entrée dans la modernité du Québec. Prenant en mains les rênes de l'État, une nouvelle élite sociale et politique, la nouvelle classe moyennel7, poursuit révolutionnaire?»,dansThomas S. Axwortby et Pierre Elliott Trudeau(dir.), Les années Trudeau: la recherche d'une sociétéjuste(Montréal:LeJour, 1990), 333·62.

14Voir à cet effet Jocelyn Létourneau, «L'imaginaire historique des jeunes Québécois», ~

d'histoire de l'Américpfrancaise41:4(printemps 1989),553-574. 15Rioux, «Sur eévolution des idéologies au Québec», 132.

16Oucllet,«Larévolution ttanquille, un tournant révolutionnaire?», 336-62.

17 Au nombre des études ayantà leur base l'émergence de la nouvelle classe moyenne comme facteur permettant d'expliquer la mise en place de la Révolution tranquille, voir Kenneth McRoberts, Ouebec: Social Change and PoliticaJ Crisis. 3niedition ( Toronto: McCleUand and Stewart, 1989 ). Notons que McRoberts, bienque sa perspective soit fort différente de ceDe des premiers théoriciens delaRévolution tranquille, D'en maintient pas moins la dichotomie entre une

(19)

une politique de rattrapage des autres sociétés occidentalesàlaquelle adhère la population en se convertissant à l'idéologie du changementl8. Au moment de la Révolution tranquille, véritable révolution culturelle, «l'ancienne société traditionnelle, cléricale, repliée sur el1e..même, cède le pas à une société post..industrielle, laïque, appartenant de plus en plus à la civilisation nord-américaine»19.

L'historiographie et la sociographie des années 1980 et 1990 ont démontré les nombreuses failles de ce type d'interprétation. Elles nous ont appris en particulier que le Québec de la période qui précède la Révolution tranquille, loin d'être enfermé dans les affres d'un traditionalisme unique en Occident, est une société moderne - suivant les développements socio-économiques et même culturels du reste de l'Amérique du Nord ou des collectivités neuves20 - où s'affrontent différentes représentations du monde21. D'autres spécialistes de la période ont remis en question l'importance à cette époque de la nouvelle classe moyenne22, l'absence d'organisations populaires en mesure de

société traditionnelle et une société moderne. Parmi les autres études ayant à la base la montée d'une nouvelle classe moyenne, voir Man: Renaud, «New Middle Class in Search of Social Hegemony», dans Alain·G Gagnon (dir.), Ouébec: State and Society (Toronto: Metbeun, 1984), 150-185; Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates (Montréal: Albert Saint-Martin, 1979); etAlain-G Gagnon et Mary Beth Montcalm, Québec : au-delàde la Révolution tranqyille (Montréal: VLBÉditeur, 1992).

18Marcel Rioux,Unpeuple dans le siècle(Montré~Boréal,1990),71. 19Rocher,LeOuébecenmutation. Il .

20 Voir entte auttes les travaux de Gérard Bouchard, Ouelques arpents d'Amérique (Montréal: Boréal, 1996); Gérard Bouchard,

Genèse

des nations et

cultures

du nouveau monde (Montréal : Boréal, 2000); ct Pierre Corbeil, «L' agriculturalisme: le ruralisme québécois dans une perspective multi-confessionnelle et nord-américaine»,Les Cahiersd'histoiredu

Québec

au XXc

siècle 5 (1996), 115-24.

21 Voiren particulierBourque, Duchastel etBeauchemin, LaSOC1té libérale dgplessiste; Claude

Couture, Le mythe de lamodernisation duQuébec (MOI1tréal: ditions duMéridien, 1991); et

les études classiques de Philippe Gagigue, «Évolution et continuité dans la société rurale canadienne-française», et «Le système de parenté en milieu urbain canadien-français», dans Marcel Rioux ct YvesMartin(dit.), LasociétéçanAdienne-fhmçaise (Montréal: Hurtubise HMH, 1971) 137-48et 363-76.

22 Voir William Coleman, The Independence Movement in Ouebec (Toronto: University of TorontoPress, 1984).

(20)

transformer les mentalités coUeetives23 ou encore le soi-disant consensus des intellectuels dans leur opposition à l'idéologie de conservation24. Bourque, Duchastel et Beauchemin ont en particulier démontré que le discours duplessiste est marqué des grands idéaux de la modemité25 que sont le progrès, le droit et la justice. En s'inspirant des travaux de Weber sur l'État moderne, ils ont démontré de plus qu'il n'y a pas de distinction entre un

discours politique soi-disant traditionnel et une socio-économie en mutation : le discours participant nécessairementà la légitimationet à la production d'unmode de régulation particulier de la socio-économie. Trois autres notions associées à la thèse dichotomique méritent également d'être critiquées dans la perspective de cet essai: la notion d'idéologie de blocage, celle de retard/modernisation et finalement la nature volontariste et stato-centrée des transformations sociales.

La notion d'idéologie de blocage est habituellement attribuée au nationalisme canadien-français. Idéologie rétrograde et traditionnelle,axée surla défense de la religion et des traditions des francophones d'Amérique,

ce

nationalisme n'aurait pas permis aux Canadiens français d'accueillir dans leur nation les lumières de la modernité.

n

aurait en particulier constitué un frein au développement d'un État québécois mobilisateur et interventionniste.

Que le nationalisme canadien-français n'ait pasétéunvecteur propiceàla mise en place de l'État-providence tient de l'évidence: il est basé sur une définition non-territoriale de l'identité axée sur la défense de traditions, alors qu~l'État-providence pose en son sein la mise en place d'une nouvelle solidarité sociale sur un territoire clairement

23 lean-Pierre Collin, La ligue ouvrière catholiQue canadienne. 1938-54 (Montréal: Boréal., 1996).

24 Xavier Gélinas, «La droite intellectuelle et la Révolution tranquille: le cas de la Rewe

Tradition et Progrès, 1957·1962», The CmadianHistoricalReyiew77: 3 (1996),353-387.

2S Notons ici que nous entendonspar modernitélafindeshiénrçhiessocialesimposées selon une conception divine de l'ordre social. Bien que l'Église et l'État tentent à l'époque moderne de promouvoir la stabilité sociale,iln'endemeure pasmoins quela mobilité sociale, contrairement auxsociétéstraditionnelles, existe.

(21)

défini26. Un nationalisme ethnique de cetype

se

construità l'extérieur de l'État (bien que ceux qui occupent des fonctions au sein de l'État peuvent s'en inspirer). Cependant, il

n'est pas pour autant ce qui maintient le Québec dans les affres du tradionalisme dans la mesure où le nationalisme constitue une idéologie qui n'a de sens que dans la période moderne et qui s'adapte aux configurations institutionnelles, aux rapports de forces au sein d'une société donnée27.

Le nationalisme ne pouvait en effet exister dans la période traditionnelle dans la mesure où, attaché par la tradition à son univers local et à une fonction particulière,

«l'habitant» traditionnel ne pouvait s'imaginer comme possédant une identité commune avec des gens de classes différentes ou résidant dans une région éloignée. Les moyens de communicationet de transport étant inexistants ou peu développés, il n'était guère en mesure de s'imaginer (pour reprendre l'expression de Benedict Anderson) comme étant membre d'une collectivité qui dépasse les frontières de sa vie immédiate.

Qui

plus est, la relation entre les individus au sein d'une collectivité n'était pas basée sur une identité partagée, mais plutôt sur un ordre social d'inspiration divine. Loin d'être un frein à la modernité, le nationalisme, de par l'égalité identitaire qu'il véhicule, en est donc l'une des incarnations les plus flagrantes. Ce nationalisme pourra bien tenter de se réclamer d'une tradition lointaine (comme l'ensemble des nationalismes d'ailleurs28),il n'en demeure pas

26 Voir Jacques Donzelot, L'invention du social: essai sur le déclin des passions politiemes (paris : Éditions du Seuil, 1994) et Pierre Rosanvallon, La crise de l'État-providence (paris: Éditions du Seuil, 1981).

27 Sur le caractère moderne du nationalisme, voir Liah Greenfel~ Nationalism :Five Raad to Modemi\Y (Boston, Harvard University Press, 1992); Benedict AndersoD, Imagined

Communities (London: Verso, 1991); et Ernest Gellner, Nations and Nationalism (Londres: Basil BlackweU, 1983). Sur l'adaptation du nationalisme à la configuration de la société civile, voir Christine Straehle, «The Impact of Civil Society in Quebec's National Project: Toward New Definitions», texte présenté à la conférence Ouebec-$çotland: an evolvins comparisoo' Edinburgh, 5et 6 mai 2000. Notons qu'il est pour le moins paradoxal que l'un des principaux analystes de la dichotomie tradition-modernité en soit dernièrement venu àféliciter les sciences politiques anglo-saxonnes pour leur acceptation du caractère moderne du nationalisme, tout en faisant référence dans le même texte au nationalisme dans le Québec traditionnel. Voir Guy

Rocher,«Laculture politiqueauQuébec»,L'ActiODnationale 87 :2(février1997), 17-37.

28 Voiràcet effet Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dit.), The Invention of Tradition (New York:Cambridge University Press, 1984).

(22)

moins qu'il opère dans un cadre institutionnel etselon des valeurs qui sont propres àla modernité.

S'inscrivant dans un cadre institutionnel et identitaire qui est moderne, il n'est pas approprié dans cette optique de«quantifier» le caractère moderne du Québec comme le fait Fernand Ouellet29. fi y a plusieurs façons de vivre la modernitéetelle ne saurait se limiter seulement àses aspects émancipateurs. De nombreux auteurs, de Karl Polanyi à Jürgen Habermas, ont d'ailleurs démontré que la modernité n'est pas dépourvue d'aspects répressifs ou disciplinaires visant essentiellementà limiter le potentiel révolutionnaire des grands idéaux de la modernité que sont la libertéetl'égalitéJO. La modernité étant avant tout un cadre de référence plutôt qu'une carte fidèlement tracée quant au parcoursà suivre en vue de la réalisation totale du sujet, on ne peut, comme l'affirme brillamment Liah Greenfeld, catégoriser ou quantifier les éléments qui seraient modernes ou traditionnels dans une société dont le cadre institutionnel est, lui, moderne:

Ta claim that one nation - say, an economically successful, libcral, democratic one- is more modem than another (economically unsuccessful and a dictatorship) is as little justified as ta insist that a university professor, for instance, is more human than an illiteratefarmer ora new-barn infant Modemity - like humanity - is a qualitative, nota

quantitative concept; it denotes a species of social being, heterogencousas most spccies

areandradicallydifferentfromothers31 .

Quant au concept de modernisation, il est tout aussi problématique. D s'inscrit dans une perspective évolutionniste qui poseQ

posteriori

ce que constituerait le parcours

normal d'une société normale, le plus souvent inspiré du cheminement de sociétés

29 Notons que plusieurs analystes remettent en cause le soi..disant retard du Québec ou des Canadiens français, en terme d'urbanisation, lorsque comparé au reste du Canada. Voir entre autres pour une démonstration fan instructive, Jacques Rouillard, (cLa Révolution tranquille:

ruptureou tournant 1»,

Rcwe

d'études canadiennçs 32: 4 (Avril,1998),23-S1.

30Voir Karl Polanyi, Lagrandetransformation :

aux

origines politiqyes et économip:s deDotre temps (paris: Gallimard, 1983) et Jürgen Habermas, Raison et légitimité. problèmes de légitimationdans le capitalisme avancé (paris: Payot, 1978).

31 Liah Greenfeld, «Nationalism and Modemity», Social Bcsearch 63:1 (1996), 33-4. Irving

Louis Horowitz affirme quantà luiqu'il n'y a pas de çontradiction entre l'utilisationciela religion et le développement de lamodernité. Ilinsisted'ailleurssur lefait qu'au 1ge siècle, le discoW'S

religieux était utilisé pourlégitimeretaugmenter le pouvoirdel'État et l'accélération capitaliste. VoirIrvingLouis Horowitz, «The NewFundamentalism», SQÇielY 20 :1 (1982),42.

(23)

dominantes (États-Unis ou Grande-Bretagne)32.

n

laisse bien peu de place aux dynamiques localesetaux rapports de forces propres à une société donnée au profit d'un modèle normatif imposé de l'extérieur.

L'élément le plus problématique de la perspective dichotomique, dans le cadre du présent essai, constitue cependant sa conception volontariste des transfonnations sociales. Enfermée dans son schéma tradition/modernité, elle est en etTet incapable de penser le passage d'une forme de régulation à une autre sans avoir recours à l'idée d'une élite éclairée, agissantàpartir de l'État dans l'optique de faire du Québec une société moderne, ou encore afin de satisfaire ses propres intérêts de classe. Une telle approche ne permet guère de comprendre pourquoi une population, dont on affirmait qu'elle était enfermée dans une mentalité d'Ancien régime33, en vint à appuyer le projet du gouvernement Lesage d'intégrer le secteur social à la mission de l'État. Comme l'affirme Gérard Bouchard, «on ne s'est pas assez étonné peut-être de ce que la Révolution tranquille ait été acceptée aussi instantanémentetaussi massivement par la société québécoise»34.

Rejetant cette idée que la Révolution tranquille ait été le fruit d'un mouvement populaire, Kenneth McRoberts affirme dans son ouvrage sur les changements sociaux, à la lumière des voix obtenues par le Parti libéral en 1960, 1962 et 1966, que le gouvernement Lesage n'a jamais obtenu l'appui de la majorité des Canadiens français et que, par conséquent, il n'y aurait eu qu'un appui limité, voire faible, au programme réformateur de la Révolution tranquille, projet essentiellement porté par la nouvelle classe

32Voiràcet effet le texte de Claude Couture,«Discours sur la modernisation sœiale auCanada

français: effets pervers et transmission de la culture anglo-américaine», Études canadiennes 41

(1996), 129·144.

33 Onretrouve en effet de nombreuses références à lamentalité d'Ancien régime ou du moyen·

âge dans lequel auraitbaigné leQuébec àcette époque, en particulierdans les travauxde Guy

Rocher et de Léon Dion. Guy Rocher afitrme entre autres que le goût d'indépendance individuelle et collective a longtemps été «sous la couverture d'institutions et de modes de

penséedestyle médiévale»).Dans Rocher,LeOuébecen mutation. 28.

34Gérard Bouchard, «Une nation, deuxcultures», dans Gérard Bouchard(dir), La construction d'une culture. Le Ouébec et l'Amérique francaise (Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval,

(24)

moyenne35. Cette façon de mesurer l'appui au programme social de la Révolution tranquille est fort discutable dans la mesure où un pourcentage exprimé dans une consultation électorale ne saurait mesurer toute la complexité des opinions36. L'opinion exprimée de surcroît lors d'une consultation électorale, sans être dépourvue d'une légitimité permettant l'action politique, ne vise pastant à mesurer l'étendue de l'adhésion

àl'ensemble d'un programme, mais l'appuià un parti proposant certaines réformes ou à un candidat possédant certaines qualités jugées essentielles. Un électeur pourrait avoir ainsi voté pour l'Union nationale pour différents motifs (la qualité du député, du chef ou par tradition) sans pour autant être opposé aux grandes réformes de la Révolution tranquille. Roch Denis affirme ainsi à propos du pourcentage d'appui relativement faible des libéraux en 1960:

Mais il y a aussi l'expression de la distance et du scepticisme de larges couches de l'électorat vis-à-vis du Parti libéral dont les promesses réformatrices n'ont pas complètement réussi à effacer les performances du passé. C'est dans cette direction qu'il faut chercher à rendre compte de la faiblesse de la majorité que gagnent les libéraux à l'Assemblée plutôt que dans une résistance conservatrice au changement dont aurait témoigné l'électorat. (... ) En 1960, puisque l'alternative n'est représentée que par le deuxième parti«traditionnel»,connupour cequ'il promet, une bonne part de l'électorat de l'Union nationalegardeson allégeance à ce dernierparti37.

L'appui de la population doit plutôt se mesurer dans ses actions au sein de différentes organisations de la société civile, actions qui permettaient de créerou non un rapport de forces favorable au passage à l'État-providence et à la légitimation de ce mode de régulation.

3SMcRoberts,Ouebcc: SocialChangeandPolitical Crisis. 169-72. Cette perspective est d'autant plus discutable que l'Union nationale n'obtient que 400./ctdes voix en 1966 contre 47% pour le Parti libéral. Rien nepermetdevoirdansla défaite de l'équipedeJean Lesage, comme l'affirme McRoberts,unrejet des politiques réformistesdugouvernementlibéral.

36Pierre Bourdieu affirme avec justesse que la question de l'opinion pubüque est«un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l'état de l'opinion à un moment donné du temps est unsystème de forces, de tensionsetqu'il n'estrien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage». Dans Pierre Bourdieu, «L'opinion publique n'existe

pas», dansOuestions de sociologie (paris: Éditions deminuits1984),224.

37 Roch Denis, Luttesdeclasse etgpestiOllnationale auQuébec. 1948-1968(Montréal :Presses socialistes internationales,1979),225.

(25)

Dans la même perspective, l'accent que met cette sociographie sur l'importance d'une nouvelle élite volontariste ne peut guère nous permettre de comprendre cet aspect essentiel dans le cadre d'un État démocratique moderne qu'est la légitimité: celle que pouvait posséder le gouvernement duplessiste en regard de larges secteurs de la population ou encore celle qu'allait obtenir le gouvernement libéral dans sa tentative de transformer l'État québécois. Elle ne permet guère, conceptuellement, d'expliquer la formation des préférences de cette classe technocratique. Or, comme l'affirme Claus Offe, le pouvoir politique ne peut s'exercer que si son titulaire prend en considération la nature du tissu social auquelil est redevable:

Le champ potentiel de décisions des élites politiques est en effet déterminé par des forces sociales qui influencent, à un niveau beaucoup moins visible, les opinions et les perceptions de la réalité des dirigeants politiques - et donc les alternatives qui sont possibles lors des prises de décisions politiqueset les conséquences à attendre de chacune de ces alternatives. C'est à ce niveau que se déterminent l'ordre du jour politique ainsi que la priorité relative accordée aux différentes questions politiques et aux différentes solutions àyapporter,ouque sedécide lasolidité des allianceset des compromis38.

En insistant presque uniquement sur les actions d'une nouvelle classe intellectuelle ettechnocratique, les spécialistes des sciences sociales de cette époque ont banalisé par le fait même l'importance du discours et des actions de fractions importantes de la société civile québécoise qui, de façon consciente ou non, conttibuaientà modifier les rapports de forces etle discours social qui avaient permis au régime duplessiste de se maintenir en place. C'est ce discours et ces actions qu'ont en partie tenté de réintégrer

dansleur cadre conceptuelles tenants d'une perspective continuiste.

1.2La penpective continuiste

Rejetant le caractère tranché des analystes de la perspective dichotomique, en paniculier leur incapacité à intégrer une société en pleine mutation dans leur cadre conceptuel, des sociologues et des politologues ont suggéré de penser la Révolution tranquille comme le fruit d'une longue germination, d'une société hésitant entre le mode

38 Claus Offc, «De quelques contradictions de l'État-providence moderne», dans Claus Otfc,

Yves Sintomcr et Didier Le Saout (dir), Les démocraties modernes à l'épreuve (paris: L'Harmattan, 1997), 94-5.

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traditionnel etle mode moderne. Cette période serait en quelque sorte une ère«d'entrée dans la modernité» pour reprendre le titre d'un ouvrage d'un des représentants de cette perspective39. Le passage à la Révolution tranquille se serait ainsi fait en trois mouvements: ventilation, rétrécissement, germination (et explosion) pour reprendre la trilogie de Gérard Bergeron40. La Deuxième Guerre mondiale constitue dans un premier temps une période d'ouverture au monde, le regard se portant sur l'Europe et les États-Unis (le Québec entrant en partie dans la modernité) pour vérifier le cheminement de ces sociétésety trouver des modèles appropriés. Le pouvoir politique, quant à lui, impose des rétrécissements, en tentant de freiner ce processus d'ouverture par des politiques publiques et des actions àcaractère autoritaire. Finalement, une longue germination sociale s'installe dans différentes couches de la société (le plus souvent chez les intellectuels), germination qui éclate au grand jour alors que les libéraux prennent le pouvoir en 1960 et imposent les réformes réclamées par les forces dynamiques de la société civile.

Cette perspective constitue une avancée importante par rapport à la perspective précédente dans la mesure où elle s'inscrit dans une vision somme toute plus dynamique des changements sociaux. Elle n'en demeure pas moins problématique à plusieurs égards. Dans un premier temps, une telle perspective maintient dans un état d'extériorité deux mondes: l'un moderne, progressiste et ouvert, mené par de nouveaux intellectuels; l'autre traditionnel et rétrograde, associé au haut clergé et au monde rural.

n

est ainsi impossible d'aborder la relation entre ces deux mondes àl'extérieur d'un rapport de confrontation, comme si les deux camps maintenaient leurs positions tout au long des années 1940 et 1950 sans évoluer. Or, comme nous l'avons aftinné précédemment, que l'on se réclame de la tradition ou du progrès, il n'en demeure pas moins que ces

39Marcel Fournier,L'entrée dans la modernité. Science.

culture

etsociété auOuébec (Montréal : Éditions Saint-Martin, 1986).

40 Gérard Bcrgero~«Lestransformations socio-économiquesentre 1945et 1960», dans Gérard

Bergeron et Réjean Pelletier (dir.)~ L'État du Québec en devenir (Montréal: Boréal Express,

1980),21-36. Voir également pour une perspective similaire lesouvragesdeDion, Québec. 1945-2000. Tome 2; et Léon Dion, La RéVolution déroutée (Montréal: Boréal, 1996), de Réjean

PeUetier~Partis politipsetsociété qyébécoise (Montréal :Québcc:-Amérique~ 1989)et de Louis

(27)

revendications s'effectuent dans un cadre sociétal quiest moderne, ouvert aux idéologies, aux combats politiquesetaux échanges.

n

est pratiquement impossible dans un deuxième temps, en prenant appui sur la perspective continuiste, de comprendre comment ce monde dit traditionnel en vint à évoluer, à transformer ses discours et ses actions vers une représentation moderne de la société, ou plutôt vers une représentation permettant le passage à l'État-providence (dans la mesure où certaines couches de ce monde dit traditionnel et rural ont modifié, comme nous le verrons plus tard, leurs comportements politiques et sociaux), si ce n'est, encore une fois, que par l'action d'une nouvelle classe d'intellectuels à l'occasion de la Révolution tranquille41.

n

est important de noter d'ailleurs que tant Marcel Fournier que Léon Dion affirment que l'essentiel de cette pénétration des lumières de la modernité est le résultat de l'action de ces nouveaux intellectuels. Léon Dion affirme à cet effet que

«l'examen du changement social exige de concentrer l'attention sur les intellectuels contestataires» 42, niant ainsi conceptuellement le fait que ce changement social est pu être également le fruit d'une modification substantielle de la relation entre l'État et la société civile.

n

ne s'agit pas d'affirmer ici que la nouvelle classe moyenne n'a pas joué un rôle important, voire primordial dans la mise en place de la Révolution tranquille.

n

s'agit simplement de ne pas en faire, conceptuellement parlant, le centre, le moteur de toute l'histoire récente du Québec. Elle n'a pu jouer un rôle important que dans la mesure où son action s'inscrivait dans des contextes particuliers (social, économiqueetculturel) qui lui permirent d'être à l'avant-garde du passage d'une forme de régulation à une autre. Seule la mise en perspective des contextes ou desenvironnementsde son action peut nous

41 Jocelyn Létourneau affirme: «Celadit,cesnuancesquel'()!l apporteaurécit classiquene font que renforcer sa trame centrale, àsavoirquele peuple franco-québécois D'a pusortir iDextremis

de sa condition(tüt-eUeparticulièreetpas aussidéfavorablequ'ODne l'auraitcru,ellen'étaitpas idéale) que parce qu'un nouvelle classe éclairée (... ) l'a éveillé, l'aguidéetl'a entraîné vers un renouveau dontilprofite encore." Dans Jocelyn Létoumeau, "LaprodœtiODhistorienne courante

portant sur le Québec et ses rapports avec la construction des figures identitaires d'une communauté communicationœlle",Recherchessociogmphiques36:1 (1995),28.

(28)

permettre d'aller au-delà d'une vision essentialiste, voire prédestinée de son rôle dans l'histoire du Québec43 .

1.3 ConsidératioDs méthodologiques: essentialisme

et

élitisme

Les deux perspectives discutées précédemment ont en commun à notre avis de reposer sur une vision essentialiste et élitiste (ou stato-centrée) du mouvement historique. Essentialiste dans la mesure où les différents acteurs de cette période ont nécessairement des comportements prédestinés: les intellectuels de la nouvelle classe moyenne seront nécessairement en faveur du passage à l'État-providence, l'Église et le monderoral seront nécessairement des éléments de blocageetla société ne pourra être que traditionnelle ou moderne. Une telle perspective laisse ainsi bien peu de place à la mutation des rapports au sein de la société civile et à l'effet que peut avoir une telle mutation sur les attitudes et les comportements des individus. Sans tenir compte de ces transactions entre les différentes composantes de la société québécoise de l'époque, la Révolution tranquille ne peut être vue seulement sous l'angle d'une rupture, d'un jeu à somme nulle, avec ses gagnants et ses perdants. Elle laisse bien peu de placeà l'évolution des comportements individuels durant les années 1940 et 195044: elle fige la société québécoise dans des rapports statiques, cette dernière n'évoluant réellement qu'à la suite de la mon de Duplessis et à l'arrivée au pouvoir de l'équipe du tonnerre. Bien que cette perspective admette empiriquement l'existence de la société civile, cette dernière est submergée analytiquement (on pourrait même affirmer qu'elle est absente) par un conceptualisation du changement social qui n'en a que pour les intérêts d'une classe sociale en émergence

43 Bien qu'absents de notre critique, ceux qui se réclament de la ccnouvellc sensibilité historique», principalement réunis autour dc la rewe Argument, tendcot égalcment • n'insister que sur le projet des nouveaux intellcctucls pour cxpliquer l'avènement de la Révolution tranquille.Voirentre autres Stéphane Kelly, «Une ambition (abiennc»,

Le

Devoir (30mars2000), AS ct E·Martin Meunier et Jean-Philippe Warren, «L'horizon personnaliste de la Révolution tranquillc»,Société 20/21(été1999),347-448.

44À titre d'exemple, commc nous le verrons plus loin, cette perspective évite de discuter de la transformation du discours d'intellectuels, commc le Père Richard Arès, qui en sont venus à

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(que cette classe cherche à combler ses intérêts matériels ou ceux de la nouvelle nation québécoise).

Élitiste et stato-centré, le politique est perçu dans cette perspective que dans sa dimension étatique: le changement politique ne survient que suivant des modifications à la structure étatique grâce à l'action d'une classe éclairée. Bien qu'on nie que la Révolution tranquille ait apporté des changements de structure importants (on parlera plutôt de Révolution culturelle), il n'en demeure pas moins que les transformations politiques et culturelles n'arrivent seulement qu'en 1960 à la suite de l'arrivée d'un nouveau gouvernement. Avant 1960, on parlera ainsi du caractère apolitique des Canadiens français45.

Dans la mesure où le politique constitue la luttevisant àmodifier les rapports de forcesau sein d'une société donnée, à assurer l'autonomieetla participation des membres d'un groupe constitué, il ne saurait être limité à la modification des formes de l'État. Cette perspective est d'autant plus importante dans le cas des petites nations où le politique prend plus souvent qu'autrement la forme d'une luttepourla sauvegarde de leur autonomie par rapport au groupe dominant46. Le politique englobe également l'action des groupes sociaux dans une logique non seulement de production ou de reproduction d'une forme particulière de gestion étatique du développement économique et social, mais également dans une logique de transformation des espaces d'autonomie, de liberté, de vertu dansuncadre tenitorial donné.

Le politique étant ainsi de l'ordre de la participation et de la transformation progressive des valeurs, le changement social ne peut être que graduel plutôt que de l'ordre de la rupture: il survient en fait bien avant le changement étatiqueet

son

combat

se

poursuit également après ce même changement étatique. Le passage à l'État-providence s'officialise ainsi

au

Québec

en

1960 avec l'arrivée au pouvoir des libéraux.

n

n'en est

45Kenneth McRobcrts, Ouebec : social change and politicaicrisis. 88.

46 Voir Linda Cardinal et Gilles Paquet, «The Other Atlantic World: History and Politics in

Quebec, with reference to Scodand and Ireland», texte présenté à la conférence

Quebeç-xodand : an evolving comparison, Edinburgh, Set 6 mai 2000 et également l'ouvrage novateur de Lindsay Paterson, Autonomy in Modem Scotiand (Edinburgh: Edinburgh University Press,

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pas moins l'institutionnalisation d'un courant de pensée qui traverse le Québec depuis les années 193047, mais qui ne pouvait occuper une position hégémonique à cause de la relation entre les environnements culturel, politique et social de cette période; environnements qui permettaient plutôt le maintien d'une régulation de type libéral etta reproduction d'un pouvoir peu soucieux de la mise en place de politiques publiques garantissant un meilleur partage collectif de la richesse.

Rejetant cette perspective essentialiste et élitiste, il nous apparaît essentiel de privilégier une approche relationnelle du mouvement historique. Une telle perspective insiste sur les différentes inscriptions des acteurs sociaux dans des environnements relationnels qui contribuent à reproduire ou à modifier à la fois leur perception de l'univers social, de leurs intérêts et des différents contextes institutionnels dans lesquels ils s'inscrivent48. Ellepennetainsi de dépasser l'analyse catégorielle des transformations sociales qui tend à banaliser la multiplicité des conjonctures permettant le passage àune nouvelle forme de régulation sociale. Elle vise également à aller au-delà des approches néo-marxistes qui tendentà limiter l' étude des transformations sociales à la seule question des rapports de forces entre classes, ou à la constitution d'alliances de classes, occultant par le fait même les luttes sociales visant l'élargissement du cadre démocratique et la transformation de l'environnement culturel ou social-psychologique permettant la reproduction d'un mode de régulation particulier49. Avant de développer cette perspective nous permettant ultérieurement d'expliquer le passage du duplessisme àla 47Voir Bernard Vigod, «La politique sociale au Québec avant la Deuxième Guerre», dans Jean-François Léonard (00), Georges-Emile Lapalme (Sillery: Presses de l'Université du Québec, 1988), 73-80.

48 Voir pour une perspective similaire Jane Jcnson, «Les réformes des services de garde pour jeunes enfants en France et au Québec : une analyse historico-institutionnalistc,» Politique ct

sociétés 17 : 1-2 (1998), 182-216.

49 Il De s'agit ici pas tant de rejeter ces analyses que d'affirmer que la question des rapports de forces ou ceDe des modes de développement capitaliste oc sont que l'un des aspects permettant la transformation ou la reproduction d'un mode derégulationsociale. Parmi les principales analyses

de classes sur le passage du duplessisme à la Révolution tranquille, voir Gérard Boismcnu, !& duplessisme : politieme économique et raPROrts de force. 1944-1960 (Montréal : Presses de l'Universitéde Montréal, 1981) ; Dorval Brunelle, La désillusion tranyyille (Montréal: Hurtubisc HMH, 1978); et Gilles Bourque et Anne Légaré,

Le

Québec. La question nationale (paris: Maspero,1979).

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Révolution tranquille, il importe en conclusion de ce chapitre de décrire, en opposition aux perspectives mentionnées précédemment, ce que signifie dans le contexte decetessai la Révolution tranquille.

1.4 La Révolution tranquille: l'institutionnalisation politique de la régulation providentialiste

Dans la mesure où la société québécoise sous Duplessis constituait une société moderne, qui s'auto-représentait dans un discours véhiculant des idéologies essentiellement propres àla modernité (nationalisme, valeur de progrès, de justice), il ne saurait être question de ne voir dans la Révolution tranquille qu'une révolution culturelle (le passage d'une représentation traditionnelle à une représentation moderne). Puisque cette Révolution tranquille fut le résultat d'une longue mutation de la société québécoise, elle ne peut constituer que le projet de ses plus ardents promoteurs (la nouvelle classe moyenneetson projet de modernisation politique). TI faut dans cette optique comprendre la Révolution tranquille dans ce qui l'opposeàla période précédente.

La période duplessiste se caractérisait principalement par un mode de régulation libérale. Un mode de régulation étant ici entendu comme une articulation particulière entre la sphère privée et la sphère publique (nousy reviendrons). La régulation libérale se caractérise par une stricte différenciation entre la sphère privée et la sphère publique, les charges sociales étant échues aux organisations caritatives ou religieuses de la sphère privée. Le discours social qui accompagne ce mode de régulation est basé sur la notion de renoncement de l'acteur àses appétits émancipateurs; sur la valorisation des valeurs de travail, de discipline; sur l'idée que l'individu est redevable envers sa sociétéSO. Ce mode de régulation est ainsi fort austère, s'appuyant sur un rigorisme moralSl et

50 Jacques Beauchemin, «Les formes de l'État et la production de l'éthique sociale dans la perspective de la sociologie politique», Politiemeetsociétés 16: 2 (1997), 76-80.

51 Il n'est pas inutile de mentionner que la pensée de Keynes, et plus généralement celle du Groupe de Bloomsbury, qui permit la mise en chantier d'une alternative àla régulation libérale économique, s'articulait non seulement en opposition au laisser-faire économique, mais également contre la morale jugée contraignante de la société victorienne britannique. Il n'y a donc pas d'opposition entre une société moderne, industrialisée et la présence d'une morale contraignante. Keynes écrit ainsi :«To suggest social action for the public good te the city of

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