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Le recit amoureux feminin actuel ; suivi de Si tes rèves m'étaient contes

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(2)

LE RECIT AMOUREUX FEMININ ACTUEL suivi de

SI TES REVES M'ETAIENT CONTES

par

JOANE PAPINEAU

Faculté des études supérieures et de la rechercheMémoire de maitrise soumis à la en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise· ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl, Montréal

Novembre 1994 • (Cl Joane Papineau, 1994

(3)

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ISBN

0-612-05412-8

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(4)

RESUME

Ce mémoire de maîtrise en création littéraire est composé de deux parties: un texte critique traitant du récit amoureux féminin actuel et un récit amoureux inlitulé Si tes rèves m'étaient contés...

Dans notre étude sur Le récit amoureux féminin actuel, nous tenterons de cerner le langage de l'amour, ses particularités, son esthétique et sa signification et de mettre en lumière la relation privilégiée que l'écrivaine entretient avec le récit. Comment les femmes écrivent l'amour, comment parlent-elles des hommes, quelles sont devenues leurs préoccupations amoureuses au cours des dernières années? Si tes rêves m'étaient contés... mconte l'histoire de Catherine qui,àl'aube de la quamntaine, est forcée de reconnaître que son mari n'est plus le même homme, qu'il est devenu un étranger.

(5)

ABSTRAcr

This l1laSlerS thesis in creativc writing is cOl1lpriscd or two secti.ms. a critical review of contel1lpomry love stories written hy wOl1len in the narmtiw mode and a novel entitled Si tes rèves m'étaient contés.

ln our study of Le récit amoureux féminin actuel, we attcmpt to explain women's preference for the narrative mode, to describe the new vocabulary or 10Y<' and highlight its specific meaning and style. How do women write about love, how do they portray men, what have become their amorous preoccupations in the recent years?

Si tes rèves m'étaient contés is the story of Catherine who, rast approaching her l'orties, reflects upon her life and her marriage. She is forced to conclude that her husband, whom she thought she knew so intimately, is no longer the man she married. He has become a stranger to her.

(6)

REMERCIEMENTS

Je tiens il remercier les personnes snivantes, sans qui la rédaction de ce mémoire n'aunlit pas été possible:

Monsieur le professeur Yvon Rivard qui a si aimablement partagé sa passion de la lecture et de l'écriture avec moi et qui m'a conseillée avec délicatesse et générosité tout au long de la rédaction de ce mémoire.

Mll mère, Jellnnine Brossard, qui a toujours encouragé ses filles à réllliser leurs rèves et il croire en leurs capacités. Mon père, Louis-Joseph Papineau qui m'li transmis son lImour pour III Iittémture, lui qui a toujours rêvé, un jour, de troquer le sClllpel pour III plume.

(7)

,\ l\Iark. Alexandre et Julien.

avec qui je cuntinue tuus les juurs de h:itir Ines rêves.

A la mémuire de G ru:t.iella

n.

et de

Gru:t.iella R. (lui uut suuvent été deux mères puur lIIoi et qui lII'unt apllris la bonté du cueur hunmin.

A man cannot speak but he judges aud reveals himse1f. With his will. or against his will. he draws a portrait to the eyes of others in every word he utlers.

(8)

TABLE DES MATIERES

PREMlERE PARTIE: 1. INTRODUCTION

2. LE POINT DE VUE NARRATIF LE JE-NARRA TEUR

p.1

p.

3

3. LA STRUCTURE DU RECIT

LES TEMPS DU RECIT p. 10

L'ESTHETIQUE DU FRAGMENT p. 13

4. LE NOUVEAU DISCOURS AMOUREUX p. 17

L'OBSESSION p. 19 L'ATTENTE p.21 LA REVERIE p. 23 LA SEXUALITE p. 24

5. CONCLUSION i. BIBLIOGRAPHIE DEUXIEME PARTIE:

SI TES REVES M'ETAIENT CONTES

p.27

p.

30

(9)

PREMIERE PARTIE - TEXTE CRITIQUE

(10)

PREMIERE PARTIE - TEXTE CRITIQUE

(11)

1. INTRODUCTION

Dans L'art du roman, Virginia Woolf explique qUl' la lilll'raturl' rc'tuininl' :1 ,'"olul' ,'n

vertu d'un changement d'attitude de la part des fenuues: d'une parI, "'k's n'l'l'riwnt plus pour protester, plaider ou dénoncer, d'autre part, leurs textes sont de moins en moins sOluuis il d,'s influences extérieures. Sebn cHe, les écrivaines sont maintl'nant capah"'s dl' Sl' concl'ntll'r davantage sur leur vision, sur leur style sans se laisser distraire ou dicter leur conduill'. Ikplus, eHes ont réussi à adapter la langue à leur propres valeurs, à trouver les mots pour l'xprinll'r k'm pensée à leur façon.

A mesure que l'écrivaine se débamlsse de ses anciennes hahitudes el se l"'.!tlche de l'emprise des critiques, sa préférence passe du roman au récit qui correspond mieux ù~l quêle d'identité. Elle délaisse le "nous" ou le "il-eHe" traditionnel pour privilégier le "je". Ce "je" n'l$l toutefois pas l'expression de son "moi" réel mais plutôt un personnage qn'elle inve.nle, un personnage nécessairement féminin qui lui permet de véhiculer librement ses nouvelles valeurs sans directement s'engager. Grâce au récit, l'écrivaine trouve le courage d'exposer ouvertemenl ses sentiments, d'accorder de l'importance aux gestes du quotidien, aux impressions trop souvent refoulées et de faire la lumière sur ce qui reste habituellement dans l'omhre.

Cette étude critique portera précisément sur le récit féminin alin d'illustrer il qnel point il reflète les aspirations des femmes et lui permet de traiter d'un sujel qui lui lient il coenr, l'amour; l'amour pour un homme, bien sûr, mais aussi comme nous le montrerons plus amplement au quatrième chapitre, l'amour de la vie, des objets, des sensation:; et nltimeml~nl, l'amour de l'amour. En suivant ce fil conducteur, nous verrons la relation privilégiée que l'écrivaine établit

(12)

avec le monde lorsqu'elle est amoureuse et parallèlement, la relation amoureuse qu'elle entretient avec l'écriture.

En raison des contraintes du présent travail, nous avons choisi de limiter notre étude à un genre et à un thème à travers quelques oeuvres littéraires qui nous semblent particulièrement représentatives de l'écriture contemporaine des femmes. Les titres qui constituent le corpus ont été sélectionnés de façon empirique, en fonction de certains traits qui leur sont communs et qui nous semblaient correspondre à des qualités dites féminines, que nous tenterons de mettre en relief tout au long de notre étude. Nous désirons souligner que nous ne procéderons toutefois pas à une analyse comparative du récit féminin et du récit masculin, notre intention étant plutôt de relever les signes distinctifs de la littérature féminine par le biais des récits amoureux.

Notre travail sera divisé en trois chapitres qui traiteront des principaux aspects du récit amoureux féminin, soit en premier lieu, le point de vue narratif, deuxièmement, la structure du récit, structure "orgasmique" selon certains, et enfm, le nouveau discours amoureux. Nous tenterons d'illustrer brièvement le rapport "amoureux" qu'entretiennent les écrivaines avec l'écriture puisque celle-d leur permet non seulement de mettre en scène leurs passions mais aussi de libérer le désir amoureux de ses limites habituelles. La femme qui écrit se laisse séduire par son désir de séduction, imagine diverses relations amOureuses tout en restant fidèle à ses passions. Elle s'éloigne définitivement de l'amour réducteur et cherche

à

reprendre le contrôle de son territoire amoureux.

(13)

2. LE POINT DE VUE NARRATIF

LE JE-NARRATEUR

Le récit écrit à la première personne est l'une des formes narratives qui dominent la production romanesque depuis déjà plusieurs décennies et, pour celle raison, de nombrells~s études y ont été consacrées. L'utilisation du "je-narrateur" a également été analysée à maillles reprises sous différents aspects puisqu'elle constitue la première marque d'un récit. Pour les fins du présent travail, nous nous contenterons de démontrer l'utilisation qu'en font généralement les écrivaines et d'expliquer leur préférence pour cette forme de fiction.

Les récits ont comme principal dénominateur commun une séparation entre le destinataire et l'lùstoire. Celui-ci ne peut la connaître quepar l'intermédiaire d'un "personnage-point de vue", d'un auteur abstrait1, d'un héros, d'un "je-narrateur" ou d'un "je-auteur-narrateur". Le lecteur n'a donc pas une perception directe des événements qui lui sont relatés car l'intrigue est présentée d'un point de vue précis, qui peut être unique ou multiple selon les cas. Nous suivons le déroulement de l'action de façon indirecte à travers la perception du narrateur qui filtre àson gré l'information.

Le récit peut se présenter sous divers aspects selon l'effet recherché par l'auteur. 11 peUl être narré sur un mode objectif par un narrateur qui est supérieur à ses personnages, qui n'est pas impliqué dans l'lùstoire, qui connaît à fond la pensée de tous les personnages et leurs désirs .. intime~ puisqu'il a une vi~ion externe de leurs activités un peu comme s'il était Dieu. Le récit

"',,-.peut aussi être exposé sur un mode plus intinùste, en focalisation interne, comme lorsque le "je"

(14)

devient personnage-point de vue, héros et narrateur figuré. Celle dernière perspective tend à éliminer toute distanciation entre le niveau du monde narré et le niveau de la narration, créant l'illusion d'un écrit personnel se rapprochant de l'autobiographie. Cet aspect de confidence de la narration est souvent utilisé dans les récits féminins contemporains. Les écrivaines se servent volontairement du "je-auteur-narrateur" en simulant un oiscours personnel puisque ce genre requiert normalement un investissement émotif, une révélation de soi qui correspond exactement

à

leur propre exploration et

à

leur prise en charge.

Elles ont ainsi recours à des procédés narratifs mimétiques pour rendre le récit réaliste, pour se distancer de l'illusion romanesque, imitant la forme autobiographique que le récit à la première personne suggère. Dans plusieurs récits, la narratrice semble également être l'auteur et l'héroïne à la fois comme dans Passion simple d'Annie Emaux, effaçant quelque peu la délimitation entre la fiction et le réel:

Tout ce temps, j'ai eu l'impression de vivre ma passion sur le mode romanesque. mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode je l'écris, si c'est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu'elle se pratique dans le journaux féminins, celui du manifeste ou du procès verbal, ou même du commentaire de . texte.2

Dans la même perspective, Benoite Groult déclaredansl'avant-propos de Les vaisseaux du coeur: "D'abord, comment yais-je l'appeler pour que sa femme ne sache jamais?"3, comme si le héros avait vraiment existé, qu'elle racontait sa propre histoire d'amour. Pourtant, quelques pages plus loin, elle vaà l'encontre de l'effet réaliste qu'elle vient de créer et parle du couple au centre de son récit en les appellant "mes héros".

2 Emaux, Annie, Passion simple, Paris, Editions Gallimard,

1991,

pp.

30-31

(15)

TI faut donc comprendre que le "je" si populaire actuellement chez les écrivaines est un élément qui sert la fiction et qui n'est pas employé à des fins autobiographiques. Denise Boucher explique à ce sujet:

Quand j'écris unje, le je que j'écris est plus libre que moi et va plus loin. II me tire par en avant et s'installe. TI devient le "je" de Rimbaud. "Je est un autre". Et lorsque je me relis, je perçois la distance. Même si je colle le plus possible au réel, je touche absolument à la fiction, à cause de la distance:

Anne Hébert avoue aussi avoir pris ses distances en écrivant: "Je n'ai jamais eu l'idée d'engager le "je" à unniveau autobiographique; j'ai toujours pris assez de distance. Par exemple, le "je" du Torrent était

un

garçon,

un

personnage à part entière,"s Cet exemple est pourtant une exception. le "je" du récit féminin étant bien plus souvent une femme puisque c'est sur son univers qu'elle veut faire la lumière.

Conséquemment, le récit féminin en règle générale est davantage centré sur l'intériorité des personnages que sur l'iutrigue, surtout lorsqu'il est question d'amour. C'est une écriture de l'intérieur; intérieur de la tête, du coeur, de la maison. L'utilisation du "je-narrateur" facilite l'introspection, permet de jeter un regard féminin sur le monde environnant et de commenter sans intermédiaire,

sans

artifices. Par contre, l'écrivaine ne propose pas de modèle idéal au lecteur pas plus qu'elle ne suggère de solutions aux situations qu'elle raconte. Dans La littérature intime du Québec, Van Roey-Roux explique cette quête:

Aussi ne faut-il pas s'attendre à trouver dans les écrits intimes des remèdes

à

tous nos

maux,

car l'intimisteestlui aussi

à

la recherche de son être véritable qu';\lui faut dégager de la gangue du quotidien.

n

peut cependant se proposer comme co~pagnon de route

4Citée par Bertrand, Claudine et Bonneville, Josée, inLapassion au féminin, Montréal,XYZ

Editeur,

1994,

p.

89

.

(16)

dans lc questionncmcnt (...

J.

Ce~1 donc la recherchc de soi qui fonde en tout premier l'écrit intimc."

L'écrivaine dépeint son mpport avec son environnement, elle tente d'aller au-delà des apparenccs, de penser à ce qu'on ne prend pas le temps de penser, de s'interroger sur ce qui souvent reste en arrière plan. Fmnce Huser décrit ainsi cette envie qu'elle a de découvrir ce qui sc cache dcrrière chaque être, ce désir d'explorer l'univers intime:

Je trouve douloureux de voir que, dans la vie, on ne s'arrête jamais assez sur ce qu'on ressent très fugacement. Il y li une possibilité de bonhenr dans tous les gestes du corps. Je l'ai éprouvé une fois, dumnt un cours de danse. Cela correspondait à une vérité du corps. Ainsi, dans la littérature, j'aime ce qui correspond à une vérité d'être. Non pas ce qui est exclusivement autobiographique mais ce qui, dans le mensonge de l'écriture, découvre une autre vérité plus vraie.' On remarque donc dans les écrits féminins une préférence marquée pour l'esthétisme du • texte et pour le discours à tendance psychologique qui découle de la recherche d'identité, de ce "je" qni raconte ses expériences. Par ses récits en focalisation interne, l'écrivaine prend position sur des snjets qu'elle n'avait pas le loisir d'aborder autrefois. Le "je" en vient à servir sa cause, à transmettre sa vraie parole et même à prendre toute la place. Les autres personnages ne sont là qne pour alimenter l'amour, la rêverie ou le désir. Le"moi-narré" contient en lui toute l'action. Les récits féminins contemporains paraissent modernes dans la mesure oil le point de vue est entièrement nouveau. C'est l'écriture du corps et du coeur féminin tels que vus de l'intérieur et non plus à travers des yeux d'hommes. Il n'y a plus d'interdit ni de sujets tabous. Dans les récits amoureux, on assiste en plus à l'explosion des sensations, à l'articulation des fantasmes et à la

6Van Roey:Roux Françoise,

p. 9

Lalittérature intime du Québec, Montréal, Boréal Express, 1983, 7 Le Devoir, 25 octobre 1986, C04 11

(17)

7 confession d'émotions érotiques jusque-là tues. Le "je" permet d'introduire le laugage du corps et le langage du désir, comme l'explique Carole Massé dans La passion au féminin:

Le sens d'un corps, c'est le désir qui le meut et ne pas récupérer son désir équivaut à déambuler en mort vivant. (...) Je crois que la parole du désir domine la "parole du corps" dans l'écriture. La parole du désir est la parole du sujet, du "je". Se considérer à lu première personne, et articuler son nom propre, nous abstrait du corp~ insensé et 1I0US

permet enfin d'habiter un corps singulier. De toute façon, la parole en tant que commUIÙcation de soi à l'autre est toujours déjà désir, prise de conscience d'une animllce vers ce qui n'est pas moi. Je peux dire que mon désir de l'autre préside à ma ver.ue à l'écriture.8

Par l'entremise d'une narratrice, l'écrivaille donne enfm pleins pouvoirs à la femme pour qu'elle puisse exprimer ses désirs. Elle n'est donc plus l'objet amoureux mais bien le sujet qui pense, qui rêve, qui aime et qui décrit, en ses propres mots, l'émotion du coeur et du corps. Lu narratrice de Passion Simple avoue qu'elle relate le plus honnêtement possible l'histoire de su • relation amoureuse, sans en modifier le récit afm de parvenir à cerner ce qui s'est réellement

passé:

Je ne fais pas le récit d'une liaison, je ne raconte pas une histoire (qui m'échappe pour la moitié) avec une chronologie précise, "il vint le Il novembre", ou approximative, "des semaines passèrent". (...) J'accumule seulement les signe~

d'une passion, oscillant sans cesse entre "toujours" et "un jour", comme si cel inventaire allait me permettre d'atteindre"la réalité de cette passion. 11 n'nu naturellement ici,

dans

l'énumération et la description des faits, ni ironie pi dérision, qui sont des façons de raconter les choses aux autres ou

à

soi-même après les avoir vécues, non de les éprouver sur le moment.°

Le récit que les femmes relatent concrétise leurs attentes, le "je-narrateur" qui est au centre de l'action étant à mi-chemin entre leur "moi réel" et leur "moi rêvé". Ce personnage féminin est alors pleinement un "ego expérimental" (Kundera) qui dénonce le mensonge amoureux imposé

8 Lapassion au féminin, op. cit., p.Sl

(18)

à

la femme par l'image que l'homme a fabriquée de ses mécanismes et de ses motivations. Bref. la femme veut se réapproprier son imaginaire amoureux et son droit à l'érotisme.

On pourrait pousser plus loin notre interprétation de l'attrait des écrivaines pour le "je-narrateur", en affirmant que le "je-narré" devient l'objet même du désir. Dans Histoires d'amour, Julia Kristeva analyse ce phénomène répandu chez les femmes de vouloir communier intimement avec l'être aimé, de s'unir et de se donner au risque de perdre leur vraie identité et d'adopter par amour celle de l'autre:

En effet, dans le transport amoureux, les limites des identités propres se perdent, en même temps que s'estompe la précision de la référence et du sens du discours amoureux... L'épreuve amoureuse est une mise à l'épreuve du langage: de son univocité,

de

son pouvoir référentiel et communicatif.10

Ce transfert d'identité s'apparente en quelque sorte à larelation que l'écrivaine entretient avec le • "je-narré". Elle emprunte ainsi une nouvelle personnalité, endosse un persOlmage fictif par amour, celle fois, de l'écriture. La relation amoureuse décrite par Kristeva peut facilement rendre compte de la relation de l'écrivaine

à

l'écriture:

(...) l'amow .;~ nous habite jamais sans nous brûler. En parler, fût-ce après coup, n'est probablement possible qu'à partir de celle brûlure. (...) les mots sont brutaux, qui approchent de cet état de fragilité vivace, de force sereine émergeant du torrent amoureux, ou que le torrent amoureux a abandonnée, mais qui recèle toujours sous ses airs de souveraineté reconquise, un point de douleur psychique autant que physique. Ce point sel1:lible m'indique -

par

la menace et le plaisir dont

il

me guette, et avant que je ne me referme, provisoirement sans doute, dans l'attente d'un autre amour pour l'instant imaginé impossible - que dans l'amour "je" a été un autre. Cette formule, qui nous conduit

à

la poésie ou à l'ha1lucination délirante, suggère un instant d'instabilité où l'individu cesse d'être indivisible et accepte de se

perdre

dans l'autre, pour l'autre. Avec l'amour, ce risque.

par

ailleurs tragique, est admis, norntalisé, sécurisé au

maximwn.

lI

10Kristeva, Julia, Histoires d'amour, Paris, Editions Denoël,

1983,

p.

10

(19)

l) Dans les récits de notre corpus, les personnages dont le point de vue oriente la perspectivt' narrative ont plusieurs points en COnunWl, entre autres, le fait de vivre une double relation anlOureuse ou plutôt un triangle amoureux dont les pôles sont la narratrice. un homme el l'écriture. On note également que l'héroïne a souvent un rapport particulier avet' le temps comme si elle en contrôlait volontairement le passage. Parfois, le temps ralentit au poiut de se suspendre età d'autres moments, il se déroule en accéléré tel que noilS le verrons au chapitre suivant.

(20)

3. LA STRUCTURE DU RECIT

A. LES TEMPS DU RECIT

La deuxième marque principale du récit est la double actualisation temporelle créée par l'absence du lecteur au moment où les faits relatés se sont passés. Le récit est écrit en majeure partie au passé puisque l'action a déjà eu lieu. L'auteur a donc recours à une temporalité à deux temps, le présent d'action ou de narr&tion et le passé sous toutes ses formes, pour tenter de reproduire le rytlune de la vie. Un autre aspect du temps dans le récit s'ajoute aux modes de conjugaison puisque le temps du discours est en quelque sorte linéaire alors que le temps de l'histoire t;st pluridimensionnel.

Le récit exige donc une organisation stricte du discours pour reconstruire la suite des événements, les présenter dans un ordre qui n'est pas nécessairement chronologique mais plutôt élaboré pour alimenter la structure et le déroulement de l'intrigue. Dans la plupart des textes, l'auteur ne suit pas la succession normale de l'action et a recours à différents procédés pour briser l'unité temporelle, passant par exemple du passé au présent puis du présent au passé, ou encore allant d'un passé plus lointain à un passé récent pour ajouter du relief et mettre certaines scènes en évidence. Certains récits débutent au passé pour ensuite se poursuivre au présent, d'autres se déroulent au passé et certaines scènes intercalées sont écrites au présent. Plusieurs procédés narratifs servent par contre à orchestrer les épisodes pour que la continuité temporelle puisse être aisément suivie par le lecteur. Dans Passion simple, la narratrice justifie elle-même le choix du temps employé:

L'imparfait que j'ai employé spontanément dès les premières lignes est celui d'une durée que je ne voulais pas fmie, celui de "en ce temps-là la vie était plus belle",

(21)

11 d'une répétition éternelle.l>

Elle se permet même, en plein coeur du développement de l'action, de s'arrêter pour prt'ciser. après coup, l'ordre chronologique réel des événements:

J'ai commencé de raconter "à partir du mois de septembre je n'ai plus rien titit qu'attendre un homme", etc., deux mois environ après le départ de A.,je ne sais plus quel jour. (00') Letemps de l'écriture n'a rien à voir avec celui de la passion.'"

On remarque également des épisodes de durée variable dans la chronologie narrative, c'est-à-dire que l'auteur peut s'épandre avec force détails sur une période relativement courte, puis se projeter dix ans plus tard en faisant abstraction des événements qui se sont déroulés dans l'intervalle commedansLes vaisseaux du coeur. Letemps peut aussi devenir un élément stylistique lorsque l'auteur s'applique à l'inscrire dans le déroulement de l'intrigue et en tient compte dans son récit.

A ce chevauchement du temps qui relève de l'action, se greffent deux autres temps qui appartiennent à un autre niveau du discours, soit le temps de l'énonciation et le temps de lu perception. Le premier ressort de la trame à partir du moment où le narrateur nous parle de l'écriture même de son récit, de son expérience littéraire. On retrouve fréquemment cet aspect chez les écrivaines car leurs narratrices font souvent des métiers reliés

à

l'écriture, soit qu'elles soient écrivaines (Passion simple), professeurs (Les vaisseaUX du coeur et Caravane), étudiantes en lettres (Coms de jeune fillel ou qu'elles exercent une autre profession qui fait appel

à

la création. Quant au deuxième, le temps delaperception,ildétermine notre perception de l'oeuvre et peut lui aussi devenir élément de style si, une fois de plus, l'auteur y fait référence

12Pa'sslon slmp e, op. Clt., p.. 1 . 61

(22)

périodiquement. Ce procédé est moins utilisé par les femmes mais on le retrouve, entre autres, chez Annie Emaux:

1... ) Continuer, c'est aussi repousser l'angoisse de donner ceci à lire aux autres. Tant que j'étais dans la nécessité d'écrire, je ne me souciais pas de cette éventualité. 1...) Quand je commencerai à taper ce texte à la machine, qu'il m'apparaitra dans les caractères publics, mon innocence sera finie."

En somme, le récit est un des genres qui répond le mieux aux aspirations littéraires des femmes puisque ce ne sont pas tant les événements rapportés. qui priment mais bien la façon dont elles nous les font connaitre. Les écrivaines y voient donc Wlchamp de création de prédilection

qui leur permet de transgresser le modèle établi et d'expérimenter un nouvel imaginaire, un nouveau rapport au temps, à la langue et à l'organisation du texte ainsi que de redonner une signification moderne à l'intimité et aux émotions.

Dans L'ère du soupeon, Nathalie Sarraute commente son expérience personnelle

à

ce sujet, ce désir commun aux femmes de simuler le déroulement d'une histoire, de recréer le temps passé ou encore de suspendre son cours pour revivre l'intensité de sentiments fugaces:

J'ai commencé à écrire Tropismes en 1932. Les textes qui composaient ce premier ouvrage étaient l'expression spontanée d'impressions très vives, et leur forme était aussi spontanée et naturelle que les impressions auxquelles elle donnait vie. Je me suis aperçue en travaillant que ces impressions étaient produites

par

certains mouvements, certaines actions intérieures sur lesquelles mon attention s'étaIt fixée depuis longtemps. (...) Comme, tandis que nous accomplissons ces mouvements, aucun mot - pas même ceux du monologue intérieur - ne les exprime, car ils se développent en nous et s'évanouissent avec une rapidité extrême, sans que nous percevions clairement ce qu'ils sont, produisant en nous des sensations souvent très intenses, mais brèves, il n'était

pas

possible de les communiquer au lecteur que

par

des images qui en donnent des équivalents et lui fassent éprouver des senS!ltions analogues. fi fallait aussi décomposer ces mouvements et les faire déployer dans laconscience du lecteur à la manière d'un film au ralenti. Le temps

(23)

n'était plus celui de la vie réelle, mais celui d'un présent démesurément agrandi.l'

En ayant recours aux divers procédés que nous avons mentionnés, les écrivaines parviennent il

créer une sorte d'intemporalité narrative, un temps en-<!ehors du temps réel où se succèdelll souvenirs et rêves. Lafragmentation du temps et du texte vise à reproduire, comme nous l'avons dit, le flot des pensées qui occupent les narratrices et àillustrer le désordre de leur vie.

B. L'ESTHETIQUE DU FRAGMENT

Au cours des années 80 et 90, les écrivaines ont contribué àla naissance d'un nouveuu style, d'une nouvelle écriture que l'on pourrait qualifier de post-féministe. Libérées du carcan qui les cantonnait dans des genres bien précis, elles se sont lancées à la conquête du monde qui s'ouvrait à elles et se sont dépêchées de sortir des sentiers battus d'une certaine écriture féminine. Auparavant, l'écriture féminine avait souvent été apparentée au langage oral en raison, disait-on, d'une certaine absence de rigueur, de la discontinuité du discours, de l'illo-pect intimiste et de lu recherche d'émotion propre à cette écriture. Le rythme variable des récits contribuait aussi il

simuler l'oralité par la présence d'épisodes de durées variables qui se présentaient sous forme de mini-récits enchainés, alternés ou enchâssés. On retrouvait souvent des développements multiples imbriqués dans l'intrigue principale, des séquences accessoires, des expansions textuelles souvent de nature exclusivement esthétique. Pourtant, selon Barthes, c'est la nature du discours amoureux, plutôt que du discours féminin d'être décousu:

Dis-cursus, c'est originellement, l'action de courir

çà

et là, ce sont des allées et des venues, des "démarches", des "intrigues". L'amoureux ne cesse en effet de courir dans sa tête, d'entreprendre de nouvelles démarches et d'intriguer contre lui-même.

(24)

Son discours n'existe jamais que par bouffées de langage, qui lui viennent au gré de circonstances infimes, aléatoires.16

En effet, on reconnaît maintenant que le discontinu de l'écriture relève .1'une écriture moderne qui n'est pas propre aux femmes mais qui sert bien à exprimer les élans et les impulsions amoureuses aussi bien qu'un certain désarroi de la pensée contemporaine. Le discours amoureux des femmes est tissé de rêverie, d'attente, de sexualité et de désir comme autant d'empreintes laissées par l'homme sur son passage. Certaines caractéristiques particulières sont considérées comme étant révélatrices de l'écriture de la femme. Entre autres, comme nous le mentionnions plus tôt, il est fréquent de retrouver de nombreux passages de déchronologie ou de rétro-récit, de retour en arrière pour expliquer plus en détail le comportement ou l'émotion des personnages.Ondénote également l'utilisation de rappels, c'est-à-dire de déchronologie remontant

• à un épisode antérieur, pour souligner des sentiments ou une attnosphère particulière. Les

démarches des écrivaines pour trouver un style s'approchant davantage de leurs émotions les ont conduites vers une nouvelle organisation structurelle du texte. Elles ont expérimenté la construction fragmentaire, fait fi des règles de ponctuation et d'orthographe, innové quant à la longueur des pages et des chapitres, exploité les dédoublements de l'auteur-narrateur. Ces phénomènes ne sont pas exclusifs aux femmes ou même à notre époque (pensons à Alexandre Jardin dans Le Petit Sauvage pour la construction fragmentée et à Diderot dans Jacques le fataliste et son maître pour l'éclatement du récît) mais il sont plus présents et prononcés chez elles surtout dans les récits amoureux.

Certains récits présentent les caractéristiques des romans-tiroirs où des mini-histoires

(25)

I~ s'imbriquent les unes dans les autres. Les parties du récit s'emboitellt nlors pour bri~erln liuénrité et accentuer le réalisme de la narration. Les rapports s'établisselll par associatioll~ ou juxtapositions d'idées ou d'émotions. Le fond et la forme se nourrissent mutuellement sans ordre apparent mais procédant tout de même d'une alliance intime au niveau des sentiments. des images et des mots. Cette alliance rappelle la liaison dont parlait Diderot:

TI Y a une liaison nécessaire entre les deux pensées les plus disparates: celle liaison est dans la sensation, ou dans les mots, ou dans la mémoire, ou au-dedans. ou au-dehors de l'homme. Cest une règle

à

laquelle les fous m8me sontassujelli~

dans le plus grand désordre de raison. Si nous avions l'histoire complète de ce qui se passe en eux, nous verrions que tout s'y tient, ainsi que dans l'homme le plus sage et le plus sensé. 17

Avons-nous besoin de rappeler que c'est précisément le but que les écrivaines se sont tixé, de raconter l'histoire complète, de recréer le quotidien jusque dans ses moindres détails, de • reconstituer les multiples événements du passé, du plus insignifiant au plus glorieux. Leurs textes sont des instantanés, des éclairs sensoriels qui s'appellent, se répondent et se complètent pour former un tout. Ce sont des morceaux d'un miroir fragmenté, qui, une fois réunis, nous renvoient une image passionnée, intriguante et sensuelle de la femme.

Dans La maison du désir, ce décousu de l'écriture est particulièrement représentatif. Le seulfilconducteur qui parvientàrelier paragraphes, chapitres ou parties du récit est la sensualité. le rapport des sens avec l'univers environnant, toute la vie psychologique de la narratrice étant présentée par des descriptions physiques. La structure du texte est complètement désarticulée comme si l'écrivaille tentait pièce par pièce de rassembler les morceaux d'un casse-tête. Les pages se suivent mais ne se ressemblent guère, seule l'expression du désir y est constante, menant le

(26)

lecteur d'un souvenir à ~autre et établissant entre la forme du récit et les thèmes explorés une correspondance nécessaire que nous allons maintenant étudier.

1

(27)

17

4. LE NOUVEAU DISCOURS AMOUREUX

Le trait le plus marquant commun à tous les récits de notre corpus est le rôle de lout premier plan que les écrivaines accordent à l'amour. Autant les narratrices mènent l'action, autant. àleur tour, elles semblent menées par l'amour. Pour elles, tout est amour. Elles vivent et écrivent par amour, comme elles l'expliquent elles-mêmes. Dans Quand tu aimes. il faut panir, la narratrice raconte:

Autant que je me souvienne, j'ai toujours écrit pour dire que j'aimais. [...1 Au point de ne plus très bien savoir si j'écris pour mieux aimer, ou si j'aime pour mieux écrire.18

En effet, la frontière est souvent bien mince entre l'écriture .et l'amour. Lors d'une conférence intitulée "Ecrire l'amour", Régine Deforges expliquait:

Tous les romans parlent d'amour, même s'il n'en est pas le thème principal, pour la raison qu'il s'inscrit dans la vie et que toute vie est dominée par le désir d'aimer et d'être aimé"·

Par le truchement de l'écriture, les écrivaines tentent de recréer leur passion amoureuse, de transcrire l'ardeur de leurs sentiments, de re ndre sensible ce qui est invisible. Leurs oeuvres regorgent d'émotions, de sensations qui dépassent les limites de l'amour usuel et traitent de leurs préoccupations actuelles telles la recherche de la vérité de leur corps et du désir qui le fait vibrer. A travers leurs relations amoureuses, elles parviennent à découvrir leur essence, à distinguer l'authenticité de leurs sentiments, à faire la part des choses entre désir, plaisir, amour, passion, émotions trop souvent confondues.

18 Reyes, Alina, Quand tu aimes. il faut partir, Paris, Editions Gallimard, 1993, p. 63

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Le récit convient parfaitementàla représentation de l'amour. En fait, Denis de Rougemont prétendait que:

La passion amoureuse est, de toutes, celle qui se prête le mieux au récit. (Sexualité et charité ne sçnt elles vraies qu'en actes).Lapassion de l'Eros est vraie d'abord en rêve, et n'existe peut-être jamais mieux que dans l'élan lyrique de son récit.'o

Toutefois, si la passion est toujours aussi intense, celle décrite dansles récits modernes diffère grandement de l'image que nous présentaient les récits traditionnels ou les romans "roses". La passion n'a plus la même fonction et l'être Ilimé ne joue plus le même rôle qu'auparavant. Les héroïnes ont considérablement évolué et se sont distancées de l'idéal amoureux romantique, de "l'amour pour toujours". 11 n'y a plus de rêve de mariage ou d'union éternelle avec l'être aimé ni de vie familiale idéalisée. La narratrice ne considère plus l'homme comme son avenir pas plus • que le mariage comme sa planche de salut. Maintenant, elle rêve d'aimer et non plus d'être aimée. Elle est fidèle, non pas à un homme ou un autre, mais à son seul désir. Elle accorde toujours une place essentielleàl'amour parce que sa passion ne l'a pas quittée, seulement elle veut, autant que possible, contrôler la situation.

L'héroÜle a souvent été endurcie par des amours antérieures qui l'ont déçue. Elle cherche donc d'abord

à

se satisfaire,

à

se faire plaisir même si parfois elle doit souffrir pour y arriver. Cest pourquoi elle invente l'amour autant qu'elle le vit, cherche un nouveau modèle de relation qui saura combiner amour de soi autant que de l'autre tout en répondantà ses diverses attentes,

bien résumées

par

la narratrice de Quandtu aimes. il faut partir:

Et ce que je

~eux;

c'est l'amoor; l'amour insouciant et celui qui remet tout en question, celui qui fait renaitre, l'amour-passion, l'amour de loin, lefinamor, celui

(29)

19

qui vous force a vous dépasser, l'amour platonique, l'amour sexuel, l'amour lég~r,

l'amour sombre, l'amour lumineux, l'amour-tendresse, [...l, p!llce qu'il n'y a pasd~

modèle, parce qu'il faut inventer ses amours, inventer sa vie.z,

A la lumière de cette "révolution" amoureuse tributaire du cheminement dt: la femm~. il

est intéressant d'isoler les principaux thèmes qui se retrouvent dans les récits féminins modt:mes et qui résument en eux-mêmes la vision qu'a la femme de l'amour. Les thèmes les plus révélateurs sont certainement la passion ou l'obsession, l'attente ou le désir, la rêverie et la sexualité. En raison des contraintes du présent travail, nous ne pourrons faire qu'une ana1ys~

sommaire de ces composantes que nous illustrerons par des passages significatifs des oeuvresÙ

l'étude.

A. L'OBSESSION

TI se dégage des récits amoureux féminins une atmosphère de découverte, une alacrité sensorielle inusitée comme si la femme cherchait à revêtir la peau de l'homme pour arriver ùle connaitre davantage. Dans la nouvelle d'Elise Turcolle, intitulée "Qu'y a-t-il àl'intérieur?", la narratrice illustre bien celle idée:

Quand je posais mes mains sur lui, je me demandais toujours ce qu'il y avait

à

l'intérieur de sa tête. Est-ce que je remplissais àmoi seule toutes ses pensées?22

'''y,

On retrouve également ce questionnement chez Annie Emaux:

Quelquefois, je me disais qu'il passait peut-être une joumée sans penser une seconde à moi. Je le voyais se lever, prendre son café, parler, rire, comme si je n'existais pas.Cedécalage avec ma propre obsession me remplissait d'étonnement. Comment était-ce possible. Mais lui-même aurait été stupéfait d'apprendre qu'il ne

21 Ouand tu aimes, il faut partir, op. cit., pp. 65-66

(30)

quittait pas ma tête du matin au soir.23

L'amour demeure toujours la priorité au coeur de l'univers de la femme mais il revêt des significations différentes et variées.

n

est devenu une obsession, un passe-temps et une activité mentale autant que physique. L'héroine semble aimer être obsédée, habitée par ce désir constant de l'autre. Cest une obsession qui agit comme catalyseur, qui lui permet de se découvrir en se projetant sur l'homme qu'elle aime. Elle se sent revivre, animée par une pulsion qui lui apporte plaisir et volupté et qui donne un nouveau sens à sa vie.

J'essayais, devant les gens que je fréquente, de ne pas laisser transparaitre mon obsession dans mes paroles, bien que cela réclame une vigilance difficile

à

maintenir constamment. [...] Pourtant, quand je me trouvais à la caisse du supermarché, àL.banque, je me demandais si elles avaient comme moi un homme

dansla tête, sinon, comment elles faisaient pour vivre ainsi, c'est-à-dire - d'après mon existence d'avant - en n'ayant comme attente que le week-end, une sortie au restaurant, la séance de gym ou les résultats scolaires des enfants: tout ce qui m'était maintenant ou pénible ou indifférent.:lA

On remarque toutefois que cette passion persiste et progresse indépendamment du succès amoureux; elle peut très bien exister sans union avec l'autre tout comme le désir peut exister en dehors de tout sentiment. Une femme peut avoir une passion pour un homme sans même désirer avoir une relation avec lui ou bien entretenir des rapports amoureux avec plusieurs amants mais ne ressentir une telle passion que pour l'un d'entre eux. L'obsession peut durer toute une vie ou quelques jours, elle peut demeurer latente puis surgir sans prévenir au moindre souvenir:

Et je pouvais passer l'après-midi ou plusieurs mois avec un autre, bâtir avec lui des projets pour toute une vie, me réjouir en l'embrassant - dès que je l'avais quitté, à quelques

pas

de lui, je retrouvais, intacte mon attente. Un' jour, j'interrompis mon geste, saisie brusquement

par

cette question: cet avide besoin

23 Passion simple, op. cit., p. 40

(31)

21

de toi, était-ce de l'amour?25

La femme n'a plus de définition type de l'amour. La société a accepté la transfonnation et l'évolution des femmes et elles n'ont plus de chemin tout tracé imposé par leur ~1utul. Lu femme peut décider d'avoir une carrière ou de rester au foyer, de se marier, cohabiter ou rester célibataire, avoir des enfants ou non, préférer les femmes au."( hommes (ou les deux) sans ':tre brimée par ses choix de vie. L'obsession amoureuse est au centre de cette quête et, comme l'explique la narratrice de Passion simple, la femme est prête à tout pour pouvoir la ressentir pleinement:

[...] j'évitais les occasions qui pouvaient m'arracher à mon obsession, lectures. sorties et toute activité dont j'avais le goût avant. J'aspirais au désoeuvrement complet. J'ai refusé avec violence une charge supplémentaire de travail que mon directeur me réclamait, l'insultant presque au téléphone. Il me semblait que j'étais dans mon bon droit en m'opposant

à

ce qui m'empêchait de m'adonner sans limites aux sensations et aux récits imaginaires de ma passion.26

B.

L'ATrENTE

Autrefois synomyme d'amour pour la femme, l'attente n'est maintenant plus un mal inévitable mais bien un plaisir nécessaire. Dans Fragments amoureux, Roland Barthes rappelle que:

Historiquement, le discours de l'absence est tenu par la Femme: la Femme est sédentaire, l'Homme est chasseur, voyageur; la Femme est fidèle (elle attend), l'Homme est coureur (il navigue, il drague). C'est la Femme qui donne fonne

à

l'absence, en élabore la fiction, car elle en a le temps [...].27

25 Huser, France, La maison du désir, Paris, Editions du Seuil,

1982,

p.

87

26 Passion simple, op. cil., p. 41

(32)

Dans les récits amoureux contemporains, l'attente n'est plus imposée à la femme mais bien volontairement recherchée par elle. Cest un moment qui correspond à une période de plaisir intense qui stimuleàla fois sa rêverie et son obsession amoureuse. Comme le mentionne Barthes. l'absence alimente le désir de la présence :

(Quoi, le désir n'est-il pas toujours le même, que l'objet soit présent ou absent? L'objet n'est-il pas toujours absent? - Ce n'est pas la même langueur: il y a deux mots (en grec): Pothos, pour le désir de l'être absent, et Himéros, plus brillant, pour le désir de l'être présent.)28

Parfois douloureuse et longue, l'attente représente aussi la promesse d'un botÙleur futur. La

femme craint le moment où elle n'aura plus à attendre parce qu'elle sait alors que son désir ou l'homme l'aura quittée:

Une fois prête, maquillée, coiffée, la maison rangée, j'étais, s'il me restait du temps, incapable de lire ou de corriger des copies. D'une certaine façon, aussi, je ne voulais pas détourner mon esprit vers autre chose que l'attente de A.: ne pas gâcher celle-ci.19

L'attente prend une place de plus en plus significative dans l'amour des femmes car elles entretiennent souvent des relations vouées à l'échec, compliquées ou multiples. Ainsi, les héroines sont amoureuses d'hommes mariés, vivent des ménages

à

trois ou des relations bi-sexuelles, ou encore ont de nombreux amants en plus de l'homme qu'elles aiment.

Partimidité, parce que je t'aimais et n'osais te le dire, j'allai chercher sur le lit d'un autre homme, dans ses bras, dans

ses

baisers, le courage de te parler. Ainsi, encore humide de son plaisir, je dé:rochai enfin le téléphone et t'avouai mon amour.JO

Pour les femmes, l'attente passe par le rêve amoureux, qui se dessine en s'inspirant de l'absence

28 Fragments amoureux, op. cil., p. 21

19Pa'sslon slmp e, op. cn., p.. 1 . 18

(33)

2.' de l'autre et qui suspend son cours, à mi-chemin entre le souvenir vivant de !a présence de]'êlrt'

aimé et l'espoir de son retour. L'attente représente alors l'éternel espoir, l'indestructible confiance en la passion que nourrissent les femmes.

C. LA REVERIE

La rêverie joue un rôle de premièr plan dans le récit amoureux féminin peut-être parce qu'elle parvient efficacement à meubler l'attente ou devient un moyen d'écouler le temps entre deux rencontres. La femme amoureuse vit dans une bulle en dehors du temps et du réel, dans un univers imaginaire parallèle où elle peut penser librementàcelui qu'elle aime. La rêverie est une composante de l'amour, source inftnie de plaisir puisque la femme créeà sa guise des situations

à

son avantage:

Dans le R.E.R., le métro, les salles d'attente, tous les lieux oùilest autorisé de ne se livrer à aucune occupation, sitôt assise, j'entrais dans une rêverie de A. A la seconde juste où je tombais dans cet état, il se produisait dans ma tête un spasme de bonheur. J'avais l'impression de m'abandonner à un plaisir phys:<jue, comme si le cerveau, sous l'afflux répété des mêmes images, des mêmes souvenirs, pouvait jouir, qu'il soit un organe sexuel pareil aux autres?'

La rêverie se présente également sous le couvert des fantasmes amoureux ou sexuels ou tout simplement d'événements imaginaires du quotidien qui permettent

à

la femme de l"dviver son désir et de relancer le récit.

J'entrais dans toutes les églises ouvertes, faisais trois voeux (à cause de la croyance que l'un des trois sera exaucé - ils avaient tous trait à A. naturellement), et je restais assise dansla fraîcheur et le silence, à poursuivre l'un des multiples scénarios (un séjour ensemble à Florence, nos retrouvailles dans dix ans sur un

(34)

aéroport, etc.) qui me venaient continuellement, partout, du matin au soir.n

La rêverie prolonge la relation amoureuse en l'élevant à un niveau supérieur, libre de toute pression extérieure, détachée de la vie et affranchie des règles qui pourraient l'entraver. En imaginant les déroulements possibles d'une situation donnée, la femme domine la relation, c'est elle qui dirige les personnages et qui guide l'intrigue. La rêverie amoureuse devient même, à certains .noments, une sorte de fiction d'écriture, ce qui explique pourquoi l'amour et l'écriture se confondent si souvent dans les récits amoureux féminins. Julia Kristeva décrit ce phénomème de rapprochement en donnant la signification du mot "flash":

Instant du temps ou du rêve sans temps; atomes démesurément enflés d'un lien. d'une vision, d'un frisson, d'un embryon encore informe, innommable. Epiphanies. Photos de ce qui n'est pas encore visible et que le langage forcément survole de très haut, allusivement. Mots toujours trop lointains, trop abstraits pour ce grouillement souterrain de secondes qui se plient en espaces inimaginables. Les écrire est une épreuve du discours, comme l'est l'amour. Qu'est-ee aimer, pour une femme, la même chose qu'écrire. 33

D. LA SEXUALITÉ

Depuis une dizaine d'années, les femmes ont envahi le domaine de la littérature érotique en partie pour pénétrer un sanctuaire réservé aux hommes mais également pour répondre au besoin d'exprimer avec plus de justesse leurs rapports avec les hommes. Dans les récits contemporains, l'expression de la sensualité occupe une place prépondérante. Les oeuvres féminines foisonnent d'imagerie voluptueuse, d'épisodes érotiques et d'explorations amoureuses ou comme l'explique Julia Kristeva, "de description psycho-pornographique"34. A travers leur

J2Pa'sslon slrnp e, op. Clt., p.. 1 . 49 33Histoires d'amour, op. cit., p.296 34 Ibid, p. 9

(35)

25

sexualité, les femmes cherchent

à

découvrir leurs limites,

à

mieux comprendre leur fonctiolUlement interne puisque les deux sont intimement liés. En écrivant La maison du dc:sir. France Huser s'est aperçue qu'elle ne pouvait pas parler de la vie sans toucher à la sexualité:

Je voulais parler des sensations en général. Faire une sorte d'inventaire de tontes les sensations. Même anodines, c'est autant la vie. Ça tisse toute la vie. Au bont d'un moment, je me suis rendue compte qu'on ne peut parler du corps sans aborder la sexualité.3s

L'amour traditiolUlel, les sentiments de tendresse, d'affection, d'admiration et de respect mutuel ont cédé le pas au désir de vivre intensément chaque relation, de ne plus se limiter

à

un homme. à une vie. Cette volonté de vivre de multiples expériences, de ressentir pleinement les impressions des sens et d'exploiter sa sexualité représente également pour la femme le besoin de se réapproprier son érotisme, d'aller au-delà de l'image créée par l'homme. Elle veut dire an • féminin ce qu'est le désir, le plaisir, le rêve pour cesser d'être l'objet de désir du discours

masculin.

Pour la femme, l'érotisme n'est pas un monde à part, c'est un filconducteur tissé à même son oeuvre, apparaissant sporadiquement ou demeurant à fleur de texte, prêt à surgir. Elle nepeUl

parler d'amour sans parler d'attrait sexuel, de désir:

Et pourtant l'histoire que je voudrais raconter n'existe pas sans la description du "péché de turelure". Cest en se livrant au péché de turelure que mes héros se sont séduits; c'est pour faire turelure qu'ils se sont poursuivis

à

travers le monde;

à

cause de turelure qu'ils n'ont jamais pu se déprendre l'un de l'autre, bien que lout les séparât.36

Par contre, l'érotistne féminin ne se limite pas au plaisir sexuel mais s'étend aussi à celui

.

.

3S Huser in La Presse, 11 octobre 1986, EOI 22

(36)

de tous les sens. L'écrivaine peut dépeindre un objet usuel comme objet érotique parce qu'il est autant source de désir et de plaisir. France Huser parle des fruits, des animaux ou de la nature comme elle parlerait du corps de l'homme. On peut constater cette tendance dans le passage suivant où elle décrit une pomme:

La fme enveloppe tendue crisse immédiatement sous les dents avec le bruit sec d'un jupon ôté ou d'un bas qui se déchire. Puis: avec hardiesse on enfonce les dents au plus vif d'une chair blanche et poreuse, serrée comme la craie. Le plaisir consiste justement à croquer la pomme, à lui extirper le plus de craquements possibles [...) A pleine main, paume lovée autour de la pomme, doigts semi-arrondis, tenaces: c'est alors qu'on s'émeut de la sentir si lisse, entièrement préhensible - l'instant est venu de l'entamer, d'un seul trait.37

Benoite Groult souligne la difficulté d'écrire la passion amoureuse, de coucher sur papier les sentiments et les sensations de l'amour physique, de décrire le corps en proie au désir sans réduire l'extase et sans plonger dans la pornographie:

Ce n'est pas sans appréhension pourtant que je vais me mêler

à

la cohorte des écrivains qui ont tenté de piéger sur une feuille blanche ces plaisirs que l'on dit charnels mais qui vous serrent si fort le coeur parfois. Et découvrir [...) que le langage ne me viendra pas en aide pour exprimer le transport amoureux, cet extrême plaisir qui recule les limites de la vie et met au monde en nous des corps que nous n'imaginions pas.J8

Malgré cette difficulté, ily a peu d'écrivaines qui excluent l'érotisme de leurs récits puisqu'elles ne peuvent pas parler d'amour et encore moins de passion sans parler d'amour physique.

J7 La maison du désir, op. cil., p. 134

(37)

27

5. CONCLUSION

Au début de ce travail, nous nous proposions d'étudier la spécificité de l'écriture féminine en analysant le thème de l'amour dans les récits féminins. Dans la première partie, consacrée au point de vue narratif, nous avons tenté de montrer les ressources propres à l'utilisation du "je-narrateur" et le caractère intimiste qui en découle. Nous avons ensuite présenté la structure temporelle du récit et dépeint l'aspect fragmentaire de sa construction. Dans la troisième panie. nous avons pu constater que l'amour est un thème dominant dans les récits féminin~

contemporains et qu'il reflète étroitement les préoccupations de la femme d'aujourd'hui, entre autres, la recherche de l'amour, la quête de son identité profonde, l'exploration de ses désirs. l'articulation de ses pensées et le besoin de se distancier de la fausse image créée par le~

hommes.

Lerécit demeure un des genres qui correspond le mieux à l'écriture féminine puisqu'il lui permet un rapport direct avec les personnages et offre un climat de confidence nécessaire propice à l'introspection. Mais en continuant à chercher de nouveaux modes d'expression, les écrivailles renouvellent ce genre pour ne pas que se perpétue l'image réductrice de la littérature féminine comme d'une littérature marginale. Virginia Woolf dépeignait, déjà en 1929, cette attitude de la critique face à la littérature des femmes:

Toutefois, il est probable que danslavie comme dans l'art les valeurs ne sont pas pour une femme ce qu'elles sont pour un homme. Quand une lemme se met

à

écrir~ un roman, elle constate sans cesse qu'elle a envie de changer les valeurs étllblies - rendre sérieux ce qui semble insignifiant à un homme, rendre quelconque ce qui lui semble important. Et naturellement, le critique l'en blâmerd; car le critique de sexe opposé sera sincèrement étonné, embarrassé devant celte tentative pour changer l'échelle courante des valeurs; il verra là non simplement une vue différente mais une vue faible ou banale ou sentimentale, parce qu'elle

(38)

diffère de la sienne.J7

Par leur prose langoureuse et intimiste, les écrivaines nous dévoilent, souvent sous le couvert de l'autobiographie, les sentiments des personnages féminins, la vérité de leur corps et des envies qui les animent.

Le portrait qu'elles tracent de la femme diffère grandement de celui que dépeignent les écrivains. Par contre, les personnages masculins des récits contenus dans notre corpus son. toujours représentés à coups de pinceaux rapides et n'oilt qu'une présence accessoire; les écrivaines parlent des hommes mais ils ne sont pas vraiment là, ils n'ont pas droit de parole. En fait, on pourrait croire que les écrivaines tentent de ne pas s'immiscer dans l'univers masculin. de ne pas interpréter leurs réactions et leur comportement, bref de ne pas répéter l'erreur des écrivains. Plutôt que de leur prêter des pensées erronnées, elles préfèrent les placer en retrait• sans expliquer clairement leur point de vue, laissant ainsi au lecteur une latitude d'interprétation.

Les personnages féminins, par contre, sont exploités au maximum et on apprend aufil de l'histoire tout ce qui les concerne. Ils sont au coeur de l'action et la perspective de l'histoire se limite à leur point de vue, à leur interprétation des événements. Cette préférence marquée des écrivaines pour les personnages féminins, pour elles-mêmes en tant que personnages correspond sans doute à une phase particulière de l'évolution de la femme, celle de l'introspection.

Comme nous l'avons mentionné plus tôt, cette phase procède d'une recherche d'identité et vise un réajustement, une libération de l'imaginaire féminin. L'écrivaine remet donc tout en question et procède par coups de coeur, par impulsions. Son récit progresse au filde ses pensées, la fiction et la réalité s'inspirant tour à tour l'une de l'autre. Le récit n'est donc plus tout

à

fait

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récit etl'wnour n'est plus toutàfait amour. Les limites s'estompent pour lilire pince àun nouwau genre et àune nouvelle femme.

L'image de l'wnour présentée dans les récits est en fait très loin de l'image romuntiqnt', Les femmes ne veulent plus de l'wnour trnditionnel dont enes ne retiraient rien mais elles n'ont toujours pas établi de nouveau modèle d'wnour heureux. Dans l'intervalle, elles s'interrogent. s'enflamment, se passionnent pour fmalement se rendre compte que la passion peut être aussi décevante que l'amour et que le plaisir c'est d'avoir en quelque sorte devancé et créé cellt' déception par l'écriture.

J'avais le privilège de vivre depuis le début, constarnnlent, en toute conscience, ce qu'on fmit toujours par découvrir dans la stupeur et le désarroi: 1110mme qu'on aime est un étranger.38

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i. BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages mentionnés ont été consultés et/ou cités. Sources primaires

Barillé, Elisabeth, Coms de jeune fille, Paris, Editions Gallimard, 1986, 175 p. Emaux, Annie, Passion simple, Paris, Editions Gallimard, 1991, 77 p.

Groult, Benoite, Les vaisseaux du coeur, Paris, Editions Grasset et Fasquelle, 1988, 249 p. Huser, France, La maison du désir, Paris, Editions du Seuil, 1982, 185 p.

Huser, France, Les lèvres nues, Paris, Editions du Seuil, 1988, 188 p. Reyes, Alina, Le Boucher, Paris, Editions du Seuil, 1988, 90 p.

Reyes, Alina, Ouand tu aimes. il faut partir, Paris, Editions Gallimard, 1993, 96 p. Reyes, Alina, Derrière la porte, Paris, Robert Laffont, 1994

Turcolte, Elise, Caravane, Montréal, Leméac Editeur, 1994, 167 p. Sources secondaires

Barthes, Roland, Fragments d'un discours amoureux, Paris, Editions du Seuil, 1977, 279 p. Bertrand, Claudine et Bonneville, Jasée, La passion au féminin, Montréal, XYZ Editeur, 1994,

127

p.

Communications de la onzième rencontre québécoise internationale des écrivains tenue

à

Québec du 15 au 19 avril 1983, Ecrire l'amour, Montréal, Editions de l'Hexagone, 1984, 195 p. Communications, 8, L'analyse structurale du récit, Paris, Editions du Seuil, Col. Points-Essais,

1981, 178 p.

De Rougemont, Denis,

!&1.mvth

es

de l'amour, Paris, Editions Gallimard, Collection Idées, 1967. 320 p.

(41)

i. BIBLIOGRAPHIE (suite)

31

Sources secondaires (suite)

Didier, Béatrice, L'écriture-femme, Paris, Presses universitaires de France, 1981,286 p.

Dupriez, Bernard, GRADUS. Dictionnaire des procédés littéraires, Montréal, Presses de la Cit~.

19H1, 541 p.

Kristeva, Julia, Histoires d'amour, Paris, Editions Denoël, Collection Folio/Essais. 1983. 476 p. Lintvelt, J., Modèle discursif du récit encadré, Poétique, 35, 1978

Sarraute, Nathalie, L'ère du soupçon, Paris, Editions Gallimard, Collection Folio/Essais, 1956. 151 p.

Smart, Patricia, Ecrire dans la maison du père - L'émergence du féminin dans la tradition littéraire du Québec, Montréal, Editions Québec/Amérique, Collection Littérature d'Amérique, 1988,337 p.

Stewart, Daniel N., Le "je"- narrateur: la nouvelle esthétique du roman québécois, mémoire de maîtrise ès arts, Université McGiII, 1991, 110 p.

Van Roey-Roux, Françoise, Lalittérature intime du Ouébec, Montréal, Boréal Express, 1983, 254 p.

Woolf, Virginia, L'art du roman, Paris, Editions du Seuil, 1962, 205 p.

Yaguello, Marina,

Les

mots et les femmes - Essai d'approche socio-Iinguistique de la condition féminine, Paris, Editions Payot, 1978, 194 p.

Zeraffa, Michel, LeRécit amoureux, Paris, Editions du Champ Valeon, Presses universitaires de France, 1984, 315 p.

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DEUXIEME PARTIE - TEXTE DE CREATION

SI TES REVES M'ETAIENT CONTES

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.'

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1

Cette nuit, j'ai encore rêvé à Lui. Je dis Lui parce que cet homme je ne le commis pas vraiment. Je l'ai vu pour la première fois l'autre jour chez Bilboquet, le glacier de la rue Bernard. Je m'y étais rendue, comme d'habitude, pour me remonter le moral après une journée pénible à l'agence. Rien de mieux qu'une cure de glace pour chasser le stress. Un remède instantané qu'on prend plaisir

à

avaler, une cryothérapie de l'âme àpeu de frais .

J'avais découvert l'effet thérapeutique des glaces lors d'un séjour d'études à Paris,

il y avait déjà bien longtemps. J'avais le mal du pays, je m'ennuyais de la nourriture américaine, du fast-food. J'en avais assez des bons petits plats fignolés et de la cuisine légère. J'aurais donné n'importe quoi pour des biscuits Oreo, du sucre à la crème ou des grosses crêpes nappées de sirop d'érable. J'ai arpenté Paris, arrondissementpararrondissement, pour trouver des substituts mais rien n'y faisait. J'aurais vendu mon âme au diable contre une baguette pour passer cinq minutes

dans

un de ces supermarchés américains oÙ:'l'on trouve de tout à toute heure. Des allées sansfin de biscuits tous plus riches les uns que les autres, des

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comptoirs de friandises, des repas-minute en conserve. Tout un festin pour manger sa peine.

Un jour où cette faim me dévorait, en fouinant dans les boutiques de l'île Saint-Louis, j'ai découvert Bertil1hon, le maître glacier. A l'époque, ce salon de glaces n'était en fait qu'une fenêtre dans un mur. Une fenêtre par laquelle on pouvait entrevoir la confection des nectars et des essences rares qui entraient dans la composition de mon paradis artificiel. Une fenêtre qui recelait maints délices et qui les exhibait fièrement; des parfums exotiques, des pâtes crémeuses et lisses aux couleurs vibrantes, des contenants alignésdansla petite vitrine comme autant d'invitations au désir. Chocolat blanc, litchi, groseille, marron, griotte, goyave, cassis, autant de saveurs, autant d'espoirs. Des coupes givrées, des cornets gaufrés, des crèmes Chantilly, des bombes glacées, autant de tentations, autant de bonheurs. De retour à Montréal, faute de Bertil1hon, je mangeais du Bilboquet.

L'attrait n'était toutefois pasle même. J'avais perdu mon goût d'aventure. J'avais bien fait quelques infidélités, passant de l'abricot au moka sans remords, mais maintenant le rituel s'était installé. J'étais devenue une femme fidèle, fidèle jusqu'à ma glace.

La

propriétaire du Bilboquet me connaissait depuis quelques années et prenait plaisir à essayer de me corrompre en ajoutant régulièrement de nouvelles

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compositions à son menu. Je résistais à la tentation par superstition. de peur de dissiper l'effet euphorique. Je ne me contentais pas d'une seule saveur, il me fallait mon propre mélange. un peu comme ces gens qui s'attardent devant les étalages de café au marché. soupesant des poignées de grains de différentes provenances pour reproduire exactement leur recette habituelle. Avant. j'avais toujours cm qu'ils manquaient d'originalité, qu'ils manquaient l'Occasion de faire le tour du monde à bon marché. des montagnes de la Jamaïque aux plateaux du Yemen. qu'un peu d'aventure. une nouvelle mouture ou quelques grains plus corsés auraient pu changer le cours de leur journée. Maintenant. je comprenais leurs gestes pleins de ferveur, leur attachement solennel puisque j'avais moi-même peur de me porter malheur en changeant quoi que ce soit à mon rituel. Ma combinaison était devenue sacrée. Aussi étrange qu'elle puisse paraitre. elle était, àmon avis. le mariage exquis, la symbiose parfaite du doux-amer, l'union du sorbet au fruit de la passion et de la glace à la tire d'érable. La saveur râpeuse du fmit de la passion consumait d'abord mes lèvres et ma gorge, son goût si âpre, chaudement rehaussé ensuite par le velours doucereux de la tire d'érable. L'alliance du sud et du nord, de l'exotique et du terroir. Un voyage du bout de la langue, un plaisir qui s'attache au palais puis qui ~ dissipe lentement comme nos tourments.

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Cest donc par habitude que je me suis retrouvée faisant la queue chez Bilboquet, l'ancien Robil de ma jeunesse où j'allais m'acheter un cornet à la pistache, chaque vendredi, après avoir clùpé 25 cents dans le sac de ma grand-mère. Le décor inspiré d'un "diner" américain avec ses comptoirs rutilants et ses tabourets recouverts de vinyle rouge avait maintenant fait place à un salon de glace sans cachet. Malgré le manque d'atmosphère, il y avait inmanquablement foule pendant toute la saison chaude et on devait attendre à la file indienne sur le trottoir avant de franchir la porte de ce lieu de concupiscence à la mode. Trop à la mode. Trop de clients. Mais tous plus intéressants les uns que les autres. Intéressants, plus pour ce qu'ils m'inspiraient que pour ce qu'ils racontaient.

La saison des glaces tirait à sa fin. Avec les derniers beaux jours, la queue, comme une longue dégoulinade, s'étirait devant la vitrine du barbier voisin. En attendant mon tour, je me distrayais en écoutant les conversations des autres. A partir de bribes attrapées au vol ou de phrases interrompues, je reconstituais des discours imaginaires et composais des répliques que ces gens n'auraient sans doute jamais prononcées. Ce moment d'attente était en fait le prélude au bien-être. J'aimais autant observer la clientèle bigarrée d'Qutremont que déguster ma glace. Un mélange éclectique de jeunes m'as-tu-vu de bonnes familles, de nouveaux

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36 artistes parvenus, de couples avec enfants et chiens en laisse, de cêlibataires tape-à-l'oeil et de boulimiques en manque.

Lui m'avait attirê parce qu'il détonait, il avait l'air pressé, indifférentà tout ce qui se passait. De toute évidence, il n'était pas là pour s'afficher comme tant d'autres.

n

portait un complet marine, une cravate à rayures et des chaussures en cuir noir. Tout ce qu'il y a de plus neutre à part ses yeux et son sourire. Un sourire comme seuls les enfants ou les vieillards en ont encore. J'avais apprécié qu'il ne tente pas d'engager la conversation pour meubler l'attente. Ainsi, j'avais le loisir de choisir le ton de sa voix, de lui imaginer une voix rauque mais chantante, une voix qu'il ferait bon entendre au réveil, une voix qui me soufflerait des mots d'inspiration à l'agence et qui me chanterait des berceuses le soir pour m'endormir quand Julien était de garde.

Alors est-ce qu'il est

là?

Anne me regardait en cherchant

à

lire dans mes yeux ce qui me trottait dans la tête, essayant de deviner à qui je devais bien rêver cette fois. Avec elle, j'avais beau essayer de mentir, elle me connaissait trop. Elle était venue me rejoindre après le travail en promenant son chien et avait dû déceler mon humeur au premier coup d'oeil

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