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L'espace plein : la compagnie Momentum dans le territoire du théâtre in situ

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Academic year: 2021

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L'ESPACE PLEIN : LA COMPAGNIE MOMENTUM

DANS LE TERRITOIRE DU THÉÂTRE IN SITU

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN THÉÂTRE

PAR

JEAN-FRÉDÉRIC MESSIER

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles

supérieurs (SDU-522- Rév.07-2011). Cette autorisation stipule que ccconformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur) concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses) droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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Je remercie l'École supérieure de théâtre de m'avoir accueilli comme professeur invité en 2011-12. C'est cette expérience d'enseignement qui m'a donné l'idée d'étudier à la maîtrise. Ce cycle d'études m'a permis d'approfondir des questionnements et d'articuler une réflexion théorique, ce que je n'avais jamais eu l'occasion de faire auparavant.

Je remercie Marie-Christine Lesage pour son soutien et sa direction éclairante tout le long de ce processus.

Je remercie tous les professeurs qui m'ont enseigné durant ces deux années. J'ai beaucoup appris avec chacune d'entre elles, ainsi qu'avec M. Hans-Thies Lehmann. Je remercie Stéphane Demers qui a bien voulu passer un après-midi avec moi à refaire le trajet d'une performance déambulatoire qu'il avait créé en 1999.

Je remercie Ariel Beaudoin-Lambert qui a bien voulu jouer le rôle du public cible en me livrant ses commentaires suite à la lecture des versions prélimaires de cette recherche.

Cette recherche porte sur le travail de la compagnie Momentum, dont je fais partie. Je remercie tous celles et ceux qui ont contribué aux créations de la compagnie depuis le début en 1990.

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TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ ... vi INTRODUCilON ... . Origine ... . Objectifs .... . ... . ... .... ... .... . ... .... .. ... . ... ... ... . . .. ... . . ... . ... ... ... ... .... ... .... .... . .. .... 3 Corpus ... 6

La méthode des loci .. ... .. ... ... ... ... ... .... .... .... ... Il CHAPITRE! L'ÉfAT DU TERRITOIRE ... 15 1. 1 L'espace plein ... 15 1. 2 L'expérience cartésienne ... 17 1.3 Site-specifie art ... 18 1. 4 Site-specifie performance ... 21

1. 5 Palimpseste ou espace transitionnel? ... 23

1 . 6 Art contextuel .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... 26

1. 7 Le théâtre et son lieu ... 27

1 . 8 Performance et théâtre .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 30

1. 9 Momentum et le théâtre in situ ... 32

CHAPITRE II FLAIRER LE TERRITOIRE ... 33 2. 1 Expériences de spectateur ... 33 2. 2 Momentum ... 35 2. 3 Approches théoriques ... 38 CHAPITRE III MARQUER LE TERRITOIRE (LIEUX INTÉRIEURS) ... 45

3. 1 L'espace plein de libertés: Helter Skelter (1993) ... 45

3. 1. 1 1124, Marie-Anne Est ... 46

3. 1 . 1. 1 Modus operandi ... 50

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3. 1. 3 Bibliothèque Dawson ... 66

3. 1. 3. 1 Architecture et scénographie ... 68

3. 1. 3. 2 La zone d'autonomie temporaire ... 75

3. 1. 3. 3 L'expérience du spectateur ... . . ... ... . . .. . . ... ... .. . . ... . . .. 77

3. 1. 3. 4 Esthétique relationnelle ... 80

3. 1. 3. 5 Écosystémique ... 84

3. 2 L'espace plein de souffrance: Cholestérol gratuit (1999) ... 86

3. 2. 1 Hôpital Reddy Memorial ... 88

3. 2. 2 Environnement ... 89

3. 2. 3 L'expérience du spectateur ... 92

3. 2. 4 Renversement des rôles ... 94

3. 2. 5 Le réel ambigu ... 96

CHAPITRE IV MARQUER LE TERRITOIRE (LIEUX EXTÉRIEURS) ... 99

4.1 L'espace plein de nature: Les artistes naturels (1999) ... 100

4. 1. 1 Environnement ... 101

4. 1. 2 Dramaturgie du territoire ... ... 109

4. 1. 3 L'expérience du spectateur ... 110

4.2 L'espace plein de capitalisme: The International Montreal Sus-aux-Pauvres Rally (1999) ... 113

4. 2. 1 Environnement ... 114

4. 2. 2 L'expérience du spectateur ... 124

4.3 L'espace plein de fantômes - La fête des Morts (2003) ... 128

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4. 3. 2 L'expérience du spectateur ... 133 CONCLUSION ... · ... 139 La prison du réel ... 140 L'expérience du spectateur ... . . . .. . . ... . .. . . .. . .. .. . .. . .. . . .. . ... . . ... .. . . ... . .. . .. .. . . .... .. ... . 141 Territoire . . ... ... ... . . .. ... .. .. . . .. ... ... . .. . .. . . . .. . . .. . .. . . . ... . . .. .. . ... ... . .. . . .. . ... . .. .. ... . 145 BIBLIOGRAPHIE ... 148

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Skelter, qui s'est révélé par la suite la première d'une série d'oeuvres créées pour

des lieux non théâtraux. Ces aventures de création hors des salles spécialisées ont provoqué des questionnements chez les artistes de la compagnie, ce qui a mené 1 'un d'entre eux à entreprendre cette recherche. En premier lieu, l'objectif de cette analyse est d'opérer une rencontre entre la pensée théorique sur le théâtre in situ et

une pratique qui s'est construite en parallèle. Le corpus d'oeuvres est par ailleurs examiné pour dégager les notions territoriales qui ont pu intervenir dans ces créations.

Chez les anglo-saxons, la réflexion théorique sur le théâtre in situ (site-specifie theatre) s'est enrichie de plusieurs publications au cours des dernières décennies.

Les modèles développés dans cette littérature sont employés ici pour analyser les oeuvres de Momentum dans un esprit de dialogue entre théorie et pratique. En réunissant dans le corpus cinq oeuvres qui ont formulé de manière distincte le lien entre la performance théâtrale et le lieu pour lequel elle a été créée, cette recherche explore différentes approches dans le domaine. Au cours de ce parcours de réflexion, les questions territoriales abordées convoquent des notions anthropologiques, sociologiques et philosophiques. La théorie de la pensée complexe d'Edgar Morin et les écrits de Davide Wiles, apportent une contribution importante à l'analyse.

Cette réflexion auto-ethnographique qui s'étend sur une période de dix ans est aussi l'occasion de porter un regard sur l'évolution d'une démarche de création théâtrale contemporaine.

MOTS CLÉS :théâtre in situ, site-specifie theatre, Momentum, théâtre performatif,

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L

INTRODUCTION

L'instance politique qui commande le théâtre, c'est d'abord l'architecture. Cela ne signifie pas que ce qui se joue dans le théâtre soit sans significations politiques, sans portée. Simplement, ce qui se joue est préalablement commandé par l'architecture - à la lettre, mis en scène par elle. (Guénoun, 1998, p. 11).

La première création de la compagnie Momentum, Le dernier délire permis, a été présentée au Théâtre la Licorne en 1990, et la seconde, Nuits blanches, au Théâtre la Chapelle, deux ans plus tard. Il s'agissait de deux salles de théâtre tout à fait convenables, mais qui ont néanmoins été à la source de quelques frustrations. Il y avait tout d'abord le phénomène bien connu du traumatisme de l'entrée en salle, qui se produit lorsqu'on sort le spectacle du local de répétition et qu'on a peu de temps dans le théâtre avant la première. Dans le local, c'était un chef d'œuvre, mais une fois arrivé au théâtre, c'est une honte. Il manque des éléments difficiles à identifier, liés à l'endroit où la pièce a été travaillée. Dans le local de répétition, le craquement des planchers faisait partie de l'environnement sonore. La lumière du soleil à travers la fenêtre venait parfois éclairer une scène au bon moment. Et la neige qui tombait à travers le vieux puits de lumière, on aurait voulu l'emmener au théâtre avec nous. Nous avions habité un territoire qui avait fini par nous habiter à son tour.

Origine

Au début des années 1990, je faisais plusieurs mises en scène avec d'autres compagnies et la situation décrite dans ce qui précède n'était pas un phénomène nouveau ou lié à Momentum. Mais c'est seulement avec cette compagnie que je dirigeais que je pouvais espérer y remédier. J'avais compris que ce n'était pas seulement une question de temps passé dans le théâtre avant la première, il n'y en avait jamais assez de toute façon. Cette situation maintes fois vécue venait du fait que malgré moi, ma perception des scènes en répétition incluait les lieux dans lesquels on

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les travaillait. Quand j'ai réalisé la source de ma frustration, j'ai commencé à chercher un moyen pour que notre prochaine production soit présentée au même endroit où elle avait été répétée.

Un autre aspect des insatisfactions éprouvées dans les salles de théâtre concernait les rapports avec les spectateurs. La frontière entre la scène et la salle s'imposait comme un mur à abattre. Mais plutôt que de s'adresser directement au spectateur pour briser le quatrième mur, nous cherchions à rendre celui-ci complètement fluide. Nous voulions maintenir un jeu théâtral qui séparait la réalité de la fiction, mais sans être forcés de leur assigner des zones distinctes. Nous voulions travailler dans un endroit où les deux mondes pourraient se superposer et partager le même espace.

Pour toutes ces raisons, Helter Skelter (1993-94), la troisième production de Momentum, a été créée dans un lieu où il nous était possible de répéter, mais aussi de présenter le fruit de notre travail. Le premier atelier public d' Helter Skelter, présenté au Je étage d'un édifice commercial de la rue Marie-Anne à Montréal, a été marquant pour la compagnie et s'est révélé par la suite la première d'une série d'aventures artistiques qui se sont poursuivies jusqu'à aujourd'hui, deux décennies plus tard. Sans le savoir, la compagnie Momentum était entrée dans le territoire de ce qu'on appelle le site-specifie theatre.

Je me souviens d'avoir observé les spectateurs arriver dans l'espace rue Marie-Anne. J'étais fasciné de les voir déambuler dans le décor et s'approcher prudemment des personnages qui étaient clairement plongés dans un autre monde que le leur. Sans parler des gens dans les édifices voisins qui regardaient notre étrange rituel à travers la fenêtre de leur logement. Il y a une pensée qui est entrée dans ma tête à ce moment-là et qui résonne encore aujourd'hui : oui, c'est du théâtre, mais c'est aussi autre chose.

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Objectifs

L'objectif de cette recherche est d'examiner de quoi était faite cette « autre chose » dans cinq cas précis. Au fil du temps, j'ai pu observer plus d'une quinzaine de créations in situ produites par Momentum, incluant celles que j'ai montées moi-même, et j'ai compris que les lieux fournissent une matière à l'expérience théâtrale qui n'a rien de fixe. Les liens possibles entre la performance et l'endroit où elle a poussé sont d'une innombrable variété. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de travailler sur cinq œuvres, créées entre 1993 et 2003, qui formulaient la relation entre le lieu et la performance de manière différente. Le mot performance est employé ici pour décrire la

[ ... ]constellation de tous les évènements, la plupart passant inaperçus, qui se produit parmi les interprètes et les spectateurs entre le moment où le premier spectateur entre dans l'espace de jeu (c'est-à-dire la zone où le théâtre a lieu) et celui où le dernier spectateur en sort (Schechner, 2002 : p. 31).

Dans chacun des cinq cas examinés, j'exposerai de quelle manière Momentum a abordé le lieu et les résültats encourus. Si chaque lieu est un coffre au trésor potentiel, ce travail de recherche se penche sur ce que nous avons trouvé à l'intérieur, lors de nos aventures dans les mondes inexplorés de la création théâtrale. Les espaces .utilisés pour ces cinq productions ont livré un contenu différent dans chaque cas. Qu'est-ce que contenaient ces espaces? De quoi étaient-ils pleins?

On a beaucoup écrit sur le site-specifie theatre depuis le début du siècle. La littérature théorique est abondante du côté des Anglos-Saxons-, mais elle est pratiquement inexistante dans l'espace francophone. Le terme site-specifie theatre est lié à celui de

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sommes quelques-uns à le traduire en français par théâtre in situ. Aorent Siaud utilise l'expression dans un article qu'il a signé pour L'Annuaire théâtral à l'automne 2010: « Né d'une volonté d'extraire l'œuvre d'art de ses habituels lieux de présentation pour les inscrire dans des contextes insolites, le théâtre in situ a d'emblée développé une réflexion sur 1 'écart. » (2010 : p. 99) Patrice Pavis a inclus une définition du site-specifie theatre dans la version anglaise de son Dictionnaire du théâtre, mais dans la version française, il a traduit l'expression par « Mise en scène liée à un lieu donné» (Pavis, 2009: p. 215). On comprendra que je préfère parler de théâtre in situ.

Dans son mémoire de maîtrise intitulé The Reciprocal Process of the Site and the Subject in divising Site-Specifie Performance, déposé à l'Université de Birmingham en 2011, Joanne Gleave conclut en identifiant trois aspects fondamentaux de la performance in situ :

[ ... ] the site/place, the performance piece and the audience. This may appear a fairly simplified definition yet it is a very appropriate starting point in exploring the relationship between these elements in the widening and ever evolving field of site-specifie performance. (p. 30)

Pour chacune des cinq productions du corpus, les trois éléments identifiés par Gleave seront examinés. Les champs de réflexion seront le lieu lui-même, la performance qu'on y a créée et la« mise en scène» du public au cours de cette performance. Tous les spectacles que j'ai choisis ont développé des relations différentes avec les lieux utilisés. Cette recherche examinera les rôles précis qu'ontjoué ces endroits, comment la performance s'en est nourrie, et de quelles manières ils ont pu affecter l'expérience du spectateur.

Momentum a commencé à créer du théâtre in situ sans en être totalement consciente. Le terme nous était inconnu et nous avions 1 'habitude de dire du « théâtre dans des

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lieux non théâtraux », une expression franchement horrible qui nous a sûrement motivés à en trouver une autre. D'un point de vue théorique, au moment où nous avons créé ces œuvres, nous ne savions pas ce que nous faisions. Notre approche

correspondait à ce qui a déjà été observé ailleurs : « Le praticien expérimenté fonctionne avec un principe opposé [au chercheur], souvent implicite, à savoir que l'action précède le savoir[ ... ].» (Bruneau et Burns, 2007: p.105).

La première des œuvres analysées sera Helter Skelter ( 1994-96) et la dernière La fête des Morts (2003), il y a donc un écart de dix ans entre le début de ce travail de

création et le dernier des projets étudiés ici. La présentation chronologique de ces cinq sujets de recherche permettra de suivre l'évolution de notre pratique à mesure que Momentum a acquis un savoir dans le domaine, fondé sur l'expérience.

Globalement, cette recherche vise la théorisation d'une pratique, la mienne, mais aussi celle de mes collègues de Momentum. Une pratique qui s'est transformée à chaque nouvelle création, en fonction des données spécifiques du projet et des expériences du passé. Ce travail comportera une part de théorie descripitive dont l'enjeu est de« [ ... ]décrire la nature des phénomènes observés.» (Bruneau et Burns, 2007 : p.89), et s'aventurera du côté de la théorie explicative qui cherche à « [ ... ] dénouer le sens d'une situation pour mettre en valeur la complexité des phénomènes observés.» (Bruneau et Burns, 2007: p.89)

Je ne suis pas le seul à penser que le théâtre in situ offre des possibilités différentes

que le théâtre en salle. Plusieurs œuvres sont créées chaque année et tout porte à croire que cette pratique a de l'avenir, même s'il s'agira toujours d'une forme marginale vu le petit nombre de spectateurs qu'elle permet d'accueillir à chaque fois. Pour certains créateurs, c'est une façon de faire du théâtre qui évite les impasses que rencontre parfois le théâtre en salle. Comme l'a déjà dit Albert Einstein : « La

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personne intelligente résoud les problèmes. La personne sage les évite ». On peut citer en exemple le fait que le théâtre in situ échappe aux limites géographiques imposées par les équipements culturels puisqu'il permet de faire du théâtre dans des endroits et dans des régions où aucun lieu n'est prévu pour l'accueillir.

Sortir le théâtre du bâtiment qui porte son nom peut parfois nous aider à mieux comprendre ce qui est en jeu quand on est à 1 'intérieur. Ce recul permet de réévaluer certaines choses. Il n'est pas difficile de voir l'édifice théâtral comme une cage et il est parfois constructif d'être témoin du théâtre sauvage, libéré de prison.

Corpus

Les cinq œuvres étudiées ont été choisies parce que chacune d'entre elles permet de fouiller des aspects spécifiques de la création théâtrale in situ. La moitié de la recherche sera consacrée à He/ter Skelter, la première de ces productions. Cette œuvre se distingue des autres parce qu'elle a connu trois versions dans trois lieux différents, une situation qui ne s'est jamais reproduite par la suite. Ces trois versions constituaient les premiers pas de Momentum dans le domaine du théâtre in situ. Elles ont mis en jeu de nombreux éléments fondamentaux de cette pratique, mais en ont ignoré plusieurs autres. Les sujets abordés dans les analyses suivantes viendront compléter le tableau.

He/ter Skelter (1993-94)

Chacune des trois versions de cette œuvre sera étudiée pour voir comment trois lieux ont pu nourrir un même spectacle. Dans les trois cas, nous avons complètement fait abstraction de 1 'usage habituel des endroits où nous avons créé et présenté les performances. Nous avons utilisé l'architecture des lieux maximum, mais sans jamais

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tenir compte du fait que nous étions dans une ancienne bibliothèque ou dans un local commercial.

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La version finale de Helter Skelter fut une espèce d'apothéose, en grande partie grâce

au bâtiment où la production a eu lieu. Il s'agissait de l'ancienne Bibliothèque Dawson, occupée par le Théâtre de L'Opsis qui nous avait loué l'espace. Un endroit exceptionnel qui a littéralement fait exploser le spectacle. L'expérience d'Helter Skelter nous a donné l'impression d'avoir repoussé les limites du possible.

Cholestérol gratuit ( 1999)

Cholestérol gratuit était une performance conçue par Céline Bonnier avec la

collaboration de cinq acteurs - incluant la personne qui écrit ces lignes - créée au 6e étage d'un hôpital désaffecté. Ce spectacle était le deuxième des 12 messes pour le début de la fin des temps, une série de performances in situ que Momentum a

présentées en 1999.

En février, après un accueil au climat de suspense policier, les spectateurs arpentaient les corridors du Reddy Memorial, un hôpital désaffecté où les attendait un groupe d'hôtes inquiétants; ils étaient menés et promenés de salle (de traitement) en salle (de torture), dans lesquelles se déroulaient d'étranges sketches qui n'avaient rien de rassurant. (Lévesque, 2000, p. 13)

L'ambiance d'un hôpital est lourde, surtout, paradoxalement, quand il est vide de présence humaine. Des chambres d'hôpital sans personnel ni patients sont remplies par cette absence peu rassurante. Cholestérol gratuit fournit une matière pertinente

pour étudier la dimension phénoménologique de l'expérience du spectateur dans un pareil contexte.

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Les artistes naturels (1999-2001)

Cette performance qui avait lieu dans un boisé des Basses-Laurentides s'intitulait à l'origine L'incompréhensible vérité du maître et faisait partie elle aussi de la série 12 messes pour le début de la fin des temps. Dans ce qui suit, la journalistes Solange

Lévesque énumère quelques-unes des moment marquants de cette messe du mois de juillet:

Deux scènes, en particulier, étaient très réussies, mais pour les imaginer, il est nécessaire de se représenter la petite pluie accompagnée de brume qui tombait sur la campagne ce soir-là, 1 'heure hésitante entre le jour et le soir, et le calme d'un crépuscule sans vent. Dans la première, on voyait une mezzo-soprano chantant sur un radeau au milieu d'un étang, tandis que deux rameurs faisaient avancer le radeau. Dans la seconde, on assistait à un ballet aquatique dansé très lentement par une dizaine de jeunes filles silencieuses et maquillées d'argile, immergées jusqu'aux aisselles dans un bassin tranquille de la rivière. Au soir tombant, en pleine nature, cette scène d'inspiration romantique se révélait d'une remarquable beauté. La lumière défaillante donnait lieu à toute une panoplie d'éclairages : torches, courants de lumières de Noël, lanternes, etc. (en pleine forêt, l'effet est garanti). (Lévesque, année: p. 16).

La description de Lévesque témoigne bien de l'importante contribution de . l'environnement naturel à l'expérience de ce spectacle. On peut parler d'une

dramaturgie topologique, où les caractéristiques physiques d'un terrain ont entraîné

la création des éléments du scénario.

The International Montreal Sus-aux-pauvres Rally (1999)

La dernière des 12 Messes étudiée ici constituait une proposition tout à fait différente

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En juin, Stéphane Demers signait The International Montréal Sus-aux-Pauvres Rally, une aventure subversive et troublante qui se déroulait dans un autocar de luxe. Pour commencer, les spectateurs avaient rendez-vous au métro St-Henri, invités à se présenter habillés en tenue de soirée. Parmi le groupe réuni sous les arbres, un majordome choisissait quelques élus parmi les plus chics, qui allaient recevoir, plus tard, un traitement de première classe. Les quelques quarante spectateurs montaient donc dans le gros car, et le chauffeur, le cynique monsieur Albert, aidé d'un guide, les promenait à travers les rues les plus pauvres de Pointe-Saint-Charles (et peut-être de Côte-Saint-Paul). (Lévesque, p.IS)

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Ce divertissement haut de gamme qui rappelait, à certains égards, Montréal Série Noire, un tour d'autocar guidé aux allures d'intrigue policière créée par le Théâtre Zoopsie en 1987, servira, dans le cadre de cette recherche, à ouvrir de nouveaux champs d'analyse. Dans ce cas-ci on ne peut plus parler d'un seul lieu, il y en avait plusieurs, et ceux-ci étaient devenus le sujet principal de la performance. Le tout prenait la forme d'une dramaturgie du territoire ou de ce que Wrights & Sites appellent « mythogeography » :

( ... ) by which we mean to imply not only the individual's experience of space, but the shared mythologies of space that are also part of its significance. Our guidebook places that persona), fictional, and mythical on an equal footing with factual, municipal history. (C. Turner, 2004 : p. 385).

Dans le cas de cette messe du mois de juin, la performance était construite à partir de la « mythologie partagée de 1 'espace » que représente la répartition des classes sociales sur le territoire montréalais. Les spectateurs étaient confrontés à 1 'incarnation contemporaine de la hiérarchie sociale qui réserve le haut de la montagne aux mieux nantis et aménage des unités d'habitation en bas de la côte pour les gens défavorisés.

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Dirigée par Céline Bonnier et Nathalie Claude, cette performance a été créée puis présentée dans un cimetière.

Momentum nous a donné goût aux spectacles ambulatoires. Cette fois, le succès de la fête des Morts dépendait de la relation que chacun entretient avec cet endroit envoûtant qu'est le cimetière : lieu de tristesse et de deuil, lieu de recueillement et de poésie, de la peur et de l'inconnu. (Wickham, 2003 : p. 18)

Des cinq œuvres incluses dans le corpus de cette recherche, c'est la seule où les données historiques de l'endroit ont été utilisées dans la création du spectacle. Comme Diane Godin le fait remarquer dès le début de sa chronique portant sur La

fête des Morts, « Les cimetières ont quelque chose du site archéologique. » (2003 : p. 7) Son commentaire pointe vers une approche courante en théâtre in situ qui consiste à mettre en scène le passé d'un lieu.

From the early 1990s, [Mike Pearson] and the archeologist Michael Shanks have established a link between site-specifie performance and archeology that goes beyond analogy. Archeology is posited as performative (an enactment of the past in the present) and site-specifie performance is viewed as an archaelogical investigation of place. (C. Turner, année : p. 376).

Cette approche archéologique a mené les acteurs à créer leurs personnages à partir d'informations recueillies sur différentes tombes dans le cimetière.

Ce survol des cinq œuvres étudiées permet déjà de constater qu'au fil du temps, les créations in situ de Momentum ont évolué vers un rapport de plus en plus étroit entre l'œuvre et le lieu, jusqu'à La fête des Morts, performance pour laquelle quelques locataires du cimetière ont contribué post-mortem à la création.

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La méthode des loci!

J'ai des liens intimes avec les cinq productions du corpus de recherche. Elles sont toutes des créations de Momentum, la compagnie que j'ai fondée en 1990 et que je dirige depuis en collaboration avec les huit collègues qui en font partie. Le premier élément du corpus qui sera examiné, Helter Skelter, est une création dont j'ai dirigé

l'écriture et assuré la mise en scène. J'ai collaboré au second cas étudié, Cholestérol gratuit, en tant que comédien. Et même si je n'ai pas participé directement à la

création des trois dernières œuvres examinées, celles-ci ont été produites par ma compagnie et mon regard sur elles n'est pas celui d'un spectateur extérieur. Mes liens avec les œuvres sont de degrés variables, mais d'une manière ou d'une autre, je faisais partie de la pratique culturelle que je m'apprête à étudier. Ce qui situe cette recherche dans le domaine de l'auto-ethnographie.

Autoethnography is an autobiographical genre of wntmg and research that displays multiple layers of consciousness, connecting the personnal to the cultural. Back and forth autoethnographers gaze, first through an ethnographie wide-angle lens, focusing outward on social and cultural aspects of their personal experience ; then, they look inward, exposing a vulnerable self that is moved by and may move through, refract, and resist cultural interpretations (see Deck, 1990; Neumann, 1996; Reed-Danaday, 1997). (Ellis and Bochner, 2000: p. 739)

1 Dans The Art of Memory, Francis Yates résume ainsi la méthode des loci (aussi appelée « art de mémoire » ) «The first step was to imprint on the memory a series of loci or places. The commonest, though not the only, type of mnemonic place system used was the architectural type. The dearest description of the process is that given by Quintilian. In order to form a series of places in memory, he says, a building is to be remembered, as spacious and varied a one as possible, the forecourt, the living room, bedrooms, and parlours, not omitting statues and other omaments with which the rooms are decorated. The images by which the speech is to be remembered-as an example of these Quintilian says one may use an anchor or a weapon-are then placed in imagination on the places which have been memorised in the building. This done, as soon as the memory of the facts requires to be revived, ali these places are visited in tum and the various deposits demanded of their custodians. » (Yates,

1966: p. 3)

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Il y a de nombreuses traces des productions de Momentum : plusieurs textes publiés, un site internet rétrospectif, des archives vidéo et de nombreuses musiques composées pour les spectacles. Et si quelques-uns d'entre nous ont gardé des archives du travail de création, la plupart des neuf membres de la compagnie ne possèdent aucun vestige matériel du travail avec Momentum. En ce qui concerne le corpus d'œuvres étudié ici, il n'y a que He/ter Skelter dont le texte existe encore. Si les autres performances contenaient des parties écrites, il n'en reste plus de trace aujourd'hui. D'une certaine manière, le peu d'intérêt que nous démontrons à conserver les textes des performances illustre 1 'importance que nous apportons à cet aspect de l'œuvre. Dans bien des cas, Momentum traite la matière écrite comme une entité provisoire dont la fonction principale est de rassembler et retenir 1 'information le temps qu'elle soit absorbée par les artistes de la performance. Par la suite, nous y attachons autant d'importance que le papillon accorde aux vestiges de son état antérieur. Pour ces raisons, cette réflexion sur la production passée de Momentum ne sera pas fondée sur des vestiges matériels qu'elle aurait pu laisser derrière mais sur les souvenirs que j'ai de ces cinq oeuvres.

Dans la posture de l'ethnographie postmoderne, selon Richardson (2000), les formes narratives peuvent constituer à la fois une méthode de collecte et d'analyse de données, et de transmission des résultats. (Fortin, Houssa, 2012: p. 57)

Quelques-uns de ces souvenirs seront livrés sous forme de courts récits qui seront identifiés par l'usage du temps présent et de l'italique.

Le matériel de recherche sera tiré des souvenirs de ma propre expérience, mais aussi de ce qui m'a été rapporté par mes collègues ou par quelques spectateurs. Rétrospectivement, je constate que ce~e recherche a débuté en juin 1993, au moment

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où le public est entré dans 1 'espace que nous avions aménagé pour le premier atelier public de He/ter Skelter. C'est à ce moment précis que j'ai commencé à me poser des questions sur la pratique du théâtre in situ. Depuis cette première expérience, à chaque fois que Momentum a entrepris une nouvelle aventure dans un lieu non théâtral, les mêmes questions ont ressurgi tandis que de nouvelles sont apparues pour s'ajouter au lot. Pour cette recherche, je vais décrire les éléments de ces performances qui ont été à la source de ces questionnements et les confronter à des modèles théoriques pour tenter de mieux comprendre les phénomènes observés.

Doesn't this mean that the stories we tell always run the risk of distorting the past ? Of course, it does. After ali, stories rearrange, redescribe, invent, omit, and revise. They can be wrong in numerous ways-tone, detail, substance, etc. Does this attribute of strorytelling threaten the project of persona) narrative? Not at ali, because a story is not a neutra) attempt to mirror the facts of one's life; it does not seek to recover already constituted meanings. (Ellis and Bochner, 2000: 745)

Tous les souvenirs comportent une part de distorsions qui pourraient être problématiques si la vérité factuelle jouait un rôle important dans cette recherche. Mais ce n'est pas le cas.

On ne peut pas juger, comme vrai ou faux, l'expérience que quelqu'un a du monde; on peut tout simplement trouver des échos dans l'expérience des uns et des autres. (Fortin, Houssa, 2012: 65)

La seule vérité sur laquelle se fonde cette démarche est celle de ma présence au sein des productions artistiques qui seront étudiées ici. Ma méthode de recherche peut ressembler à celles employées pour une création théâtrale. Comme pour l'écriture d'un texte destiné à la scène, je vais faire appel à des moments de mes souvenirs qui me semblent porteurs de sens.

(21)

[Cela dit,] les artistes sont bien placés pour explorer 1 'usage des pratiques analytiques créatives en recherche car elles s'apparentent, pourrions-nous dire, à leur processus de travail, c'est-à-dire aux étapes d'exploration et de production de la pratique de l'artiste. (Fortin, Houssa, 2012: 70)

Le premier chapitre de ce mémoire rassemble les réflexions de plusieurs auteurs au sujet du théâtre in situ et du théâtre performatif. Le deuxième expose le contexte dans lequel les œuvres étudiées ont émergé ainsi que les approches théoriques qui seront employées au cours de cette analyse. Les deux chapitres suivants sont consacrés à l'étude des cinq œuvres du corpus.

À l'image de cette méthode des loci qui construit la mémoire d'un discours en associant ses différentes parties à des images de lieux précis, ce mémoire est fondé sur les souvenirs que j'ai des endroits où la compagnie Momentum est passée.

(22)

CHAPITRE!

L'ÉTAT DU TERRITOIRE

Cette recherche examine cinq œuvres théâtrales qui ont été créées et présentées dans des environnements qui n'étaient pas des salles de théâtre. La première de ces œuvres, Helter Skelter, a été présentée en 1993 à une époque où les productions théâtrales in situ étaient plus rares qu'aujourd'hui. Les énoncés qui précèdent peuvent donner à croire que le théâtre in situ est une pratique récente qui consiste à séparer le théâtre du lieu où il appartient. Mais ces deux affirmations sont fausses et les premières parties de ce chapitre exposeront pourquoi le théâtre in situ n'a rien de nouveau; que cette forme d'art cherche plutôt à recoudre le « tissu du réel » (Merleau-Ponty), qu'à défaire quoi que ce soit; que le lien entre le théâtre et son bâtiment n'est peut-être pas aussi naturel qu'on pourrait le croire.

1.1 L'espace plein

[ ... ] site is frequently a scene of plenitude, its inherent characteristics, manifold effects and unruly elements always liable to leak, spill and diffuse into performance. (Pearson, 2010: p. 1)

Le titre de cette recherche, L'Espace plein, renvoie à L'Espace vide, le modèle développé par le metteur en scène Peter Brook dans la monographie du même nom. Les idées de M. Brook ont eu un impact considérable sur le théâtre de la deuxième moitié du XXe siècle, mais en 1997 dans Tragedy in Athens, David Wiles écrivait ceci :

Peter Brook's words have become famous : « 1 can take any empty space and cali it a bare stage. A man walks across this empty space whilst

(23)

someone else is watching him, and this is ali that is needed for an act of theatre to be engaged. » [ ... ] Brook's words provided an ideological underpinning for a generation of black box studio theatres where allegedely anything can happen, any actor-audience relationship can be established. The reality is that these 'neutral' spaces impose their own rigid constraints, and the dream of 1968 that human beings are infinitely adaptable soon faded. (p. 3- 4)

Ma génération et moi avons vu et créé du théâtre dans ces boîtes noires (black-box

studios) qui incarnaient l'idéal de l'espace vide de Peter Brook. Malgré les immenses possibilités offertes par ces environnements, ils finissent inévitablement par révéler leurs limites et trahir leurs promesses de liberté. Quelques années après avoir publié le livre cité ci-haut, Wiles est revenu à la charge dans A Short History of

Western Performance Space (2003):

In my final chapter 1 shall argue that twentieth-century theatre bas been charaterized by the ri se and fall of the 'empty space'. '1 can take any empty space and cali it a bare stage', said Brook in the classic statement of this theory; and again: 'no fresh and new experience is possible if there isn't a pure, virgin space ready to receive it'. Brook's empty space is like the blank canvas of a modemist painter. By the end of the twentieth century it became clear that, just as virgins always have characters, so every canvas has a specifie texure, colour and form, and an invisible label marked 'Art'. (p. 4)

Wiles s'en prenait surtout à cette idée qu'un espace vide soit forcément neutre. Plusieurs décennies plus tôt, dans le domaine scientifique, la physique avait dû elle aussi renoncer au modèle d'un espace vide pour faire place à une conception de l'univers où l'espace contient autre chose que du rien. Fait cocasse : avant ces révolutions scientifiques, la physique théorisée par Newton décrivait l'espace vide comme un« bare stage». Mais depuis le début du XXe siècle, la science physique a dû admettre que Newton avait tort sur ce point et que malgré l'absence de matière, le plateau n'est pas nu, l'espace n'est pas vide.

(24)

Le modèle de l'espace vide évoque un idéal virginal et dépouillé d'artifices, une forme de retour aux sources. Dans Tragedy in Athens (1997), David Wiles a démontré que l'espace vide ne correspond pas aux origines (occidentales) du théâtre.

My theme in this book will be that the Greek theatre was not an empty space. Greek performances were created within and in response to a network of pre-existent spatial relationships. (p. 4)

1 shall argue in this book that Greek tragedy was a spatial construct, organised in relation to spatial oppositions that were rich in association for the Greek audience. The texts presuppose performance in a space that was not neutral or 'empty' but semantically laden. (p. 62)

Le théâtre de l'antiquité grecque ne comportait pas de frontière marquée entre le réel et la fiction comme celle que l'on retrouve généralement dans le théâtre de nos jours.

Le ciel et les montagnes qui entouraient les théâtres de 1 'antiquité faisaient partie de la même réalité que les personnages et le public qui assistait à la performance.

1. 2 L'expérience cartésienne

Dans A short history of Western performance space (2003), Wiles émet l'hypothèse que ~a séparation marquée entre la scène et la salle s'est imposée parallèlement avec la pensée de Descartes.

What Descartes installed in the centre of the skull was effectively a miniature theatre where the self could contemplate reality and decide how to deal with it, before sending appropriate messages down the hydraulic system to the body. This miniature theatre was a secure home for the self or ego to reside in, safe from the Inquisition that nobbled Galileo, but the priee was a certain detachment, reality viewed for ever at one remove. (Wiles, 2003: p. 4)

(25)

Descartes n'est pas le seul responsable de cette frontière marquée entre la scène et la salle caractéristique au théâtre frontal qui continue d'être la forme majoritairement produite aujourd'hui.

Le théâtre à l'italienne was a space that tumed upon competing and contracdictory premisses: the idealist proposition, harking back to Plato, that one can look into the human soul; the materialist proposition, harking back to Aristotle, that reality exists out there to be observed and imitated on a stage (p. 238)

Le théâtre in situ construit des performances en fonction et à partir d'un lieu précis. Cette forme de théâtre crée des contextes où les spectateurs et les acteurs partagent la même réalité. C'est une approche artistique qui ne se contente pas de quitter le bâtiment théâtral, mais qui cherche à échapper à la« Cartesian condition » (Wiles, 2003 : p. 4), à cette séparation entre 1 'art et le réel.

1. 3 Site-specifie art

Analysts of theatre have been slower than analysts of modem art to perceive how far meaning is a function of space, and how performance in the second half of the twentieth century bas been the product of a particular aestheticizing environment. (Wiles, 2003 : p. 258)

La démarche de création théâtrale in situ s'apparente à celle de l'art in situ, une pratique en arts visuels qui consiste elle aussi à créer en fonction d'un lieu précis. David Wiles est professeur à l'Université d'Exeter (Drama), et c'est Nick Kaye, professeur au même endroit (Humanities), qui a publié en 2000 Site-specifie art, un ouvrage qui a marqué la pensée théorique sur le sujet.

This book is concemed with practices which, in one way or another, articulate exchanges between the work of art and the places in which its meanings are defined. (p. 1)

(26)

La recherche de Kaye aborde les œuvres comme des « pratiques », sans préciser à quelle discipline elles appartiennent puisqu'a priori, toutes les formes d'art peuvent « articuler des échanges » avec un lieu. Parmi les œuvres analysées dans son livre, certaines sont issues d'une discipline artistique précise, comme celles des artistes visuels Michelangelo Pistoletto et Daniel Buren, tandis que d'autres sont plus difficiles à classer, comme ces chœurs de Meredith Monk qui se déplaçaient lentement dans les escaliers d'une tour pour accomplir une œuvre qui était à la fois musique, danse, théâtre et architecture.

Cette idée que les lieux définissent le sens de leur contenu est fondée sur des notions de sémiotique :

( ... ) serniotic theory proposes, straighforwardly, that reading implies 'location'. To 'read' the sign is to have located the signifier, to have recognised its place within the semiotic system. (Kaye, 2000: p. 1)

La construction du sens passe par la localisation du signe. L'art in situ n'est pas constitué seulement de signes ou de symboles, mais aussi d'une localisation précise de ceux-ci qui participe à la construction du sens de l'œuvre. Kaye se réfère à maintes reprises aux analyses du sociologue Michel de Certeau :

[. .. ] space is a practiced place. Th us the street geometrically defined by urban planning is transformed into a space by walkers. In the same way, an act of reading is the space produced by the practice of a particular place : a written text, i.e. : a place constituted by a system of signs. (de Certeau 1984: p. 117,cité dans Kaye,2000: p.4)

Kaye poursuit la réflexion du sociologue et en vient à formuler que le lieu est un « ordering system», un système capable de produire de l'ordre.

(27)

In this sense, de Certeau does not read place as an order , but as an ordering system , while spatial practices do not reproduce fragments of a given order, but operate as ordering activities , whether that activity be walking, reading, listening or viewing. (Kaye, 2000: p. 5)

L'usage du lieu fait agir le système d'ordre qu'il contient, ce qui a pour résultat de donner un sens à cet espace. « Thus, different and even incompatible spaces may realise the various possibilities of a single place. » (Kaye, 2000 : p.4) Le système opère de manière différente selon 1 'usage qu'on en fait ce qui permet de produire différents espaces à partir du même lieu.

Pour illustrer quelques aspects fondamentaux de l'art in situ, Kaye utilise comme exemple une œuvre de l'artiste minimaliste Robert Morris. Créée en 1966, Untitled était un cube de bois peint en blanc, d'une dimension trop grande pour être contemplé comme un objet et trop petite pour imposer sa présence comme un monument. La forme et la couleur du cube étaient le reflet explicite des quatre murs blancs de la galerie dans laquelle il était exposé. Un espace présumément neutre qui isole le visiteur avec 1 'œuvre. Morris incluait le visiteur dans 1 'œuvre en le plaçant entre deux formes qui se répondaient. Le visiteur à l'intérieur de l'œuvre n'était plus en mesure de contempler celle-ci avec détachement. Il était à la fois le sujet confronté à l'objet de l'œuvre, et une partie de l'œuvre elle-même.

It was the notion that the object recedes in its self-importance. It

participates in a complex experience that in eludes the object, y our body, the space, and the time of your experience. lt's locked together in these things. (Morris, 1997, cité dans Kaye, 2000, p. 27)

Par la suite, Morris a poussé l'idée un peu plus loin, et pour Untitled (Mirrored

Cubes) (1965), plusieurs cubes étaient installés dans la pièce et leurs surfaces étaient recouvertes de miroirs. Les surfaces reflétaient l'espace autour et les personnes qui

(28)

21

les regardaient. Le reflet des visiteurs dans les miroirs rendait leur participation à

l'œuvre explicite.

Here, theo, the untitled (Mirrored Cubes) direct the viewer's attention

back toward ber own effort, in real space and real time, 'to locate, to place' the sculptural work, exposing and articulating the viewer's

performance. (Kaye, 2000, p. 30)

Les notions qu'illustre Kaye à travers ces exemples se retrouvent au cœur des démarches in situ : l'espace autour de l'œuvre comme partie intégrante de celle-ci;

l'oscillation sujet-objet qui assouplit la distinction entre les deux, et la mise en jeu du visiteur/spectateur.

1. 4 Site-specifie performance

En 2010 est paru Site-specifie performance, une monographie de Mike Pearson qui

réunit des textes qu'il a écrits au sujet de sa propre pratique dans le domaine de la performance in situ. Pearson a fait ses débuts dans les années 1990 avec la

compagnie galloise Brith Gof, où il fait la rencontre du scénographe Clifford McLucas (qui a signé un chapitre dans le Site-specifie art de Nick Kaye). C'est au

cours de leurs collaborations avec Brith Gof que Pearson et McLucas vont développer ensemble le modèle de « 1 'hôte et du fantôme » pour décrire les relations particulières entre le lieu et la performance dans un contexte de création in situ.

McLucas began to characterize site-specifie performance as the coexistence and overlay of two basic sets of architectures, those of the existant building or what he later called the host, that which is at site

and those of the constructed scenography or the ghost, that which is

temporarily brought to site. (Pearson, 2010: p. 36)

·Le lieu est 1 'hôte de la performance qui vient la hanter un certain temps avant de disparaître. L'emploi du mot host a un effet anthropomorphique sur le lieu qui

(29)

apparaît maintenant comme un personnage et, donc, doté d'une identité. L'hôte est celui qui reçoit, il était déjà là avant 1 'arrivée de 1 'invité, et il demeurera sur place une fois que celui-ci aura quitté. Et de son côté, l'image du fantôme nous rappelle que la réalité de la performance n'est pas celle du lieu qu'elle vient hanter. Le public est alors un témoin (witness) du phénomène de ce lieu« hanté» par la performance, plutôt que le spectateur d'une représentation.

En comparaison aux approches exposées dans le livre de Nick Kaye, on remarque que le modèle de Pearson-McLucas déplace l'attention des questions spatiales vers des éléments de narration. Dans Theatre/Archeology (2001), coécrit avec Michael Shanks, Pearson propose la définition suivante :

Site-specifie performances are those conceived for, mounted within and conditionned by the particulars of found spaces ; existing social situations of locations, both used and disused ; places of work, play and worship - cattle-market, chapel, factory, cathedral, railway station, museum. (p. 23)

Le travail artistique de Pearson témoigne de sa formation d'archéologue. Ses performances se nourrissent des évènements qu'un endroit a connus et mettent en scène la mémoire d'un lieu. Pour Pearson, un lieu est un espace stratifié, un palimpseste où l'écriture la plus récente, la plus lisible est susceptible d'en cacher d'autres plus anciennes. De ce point de vue, la performance qu'on crée dans le lieu ajoute une couche au palimpseste et peut faire écho aux récits des strates plus anciennes camouflées sous les usages actuels. Le lieu devient un endroit d'où on peut faire resurgir les fantômes du passé.

(30)

23

1. 5 Palimpseste ou espace transitionnel?

Dans un article publié en 2004 intitulé Palimpsest or Potential Space? : Finding a vocabulary for site-specifie performance, Cathy Turner, une autre professeure de l'université d'Exeter (Drama), fait valoir que les modèles de l'hôte et de son fantôme, ainsi que celui du palimpseste, ne rendent pas compte des relations d'intersubjectivité qui peuvent émerger des contextes de performance in situ. Pour décrire ces phénomènes, elle fait appel à« l'espace transitionnel», un modèle conçu par le psychanalyste D.W. Winnicott pour désigner l'espace imaginaire créé par la mère et l'enfant dans les premières phases de la vie.

This space belongs neither to mother nor to child, but to both simultaneously. It separates them, but it also connects them. lt is both a physical space, the environment of the child's play, and simultaneously, a metaphor for the relationship of mother and child. The child's physical space cannot be a 'potential space' without the bond between them; [ ... ] It is a paradoxical space: objects and identities are both separate and merged, simultaneaously. [ ... ]The distinction between 'inner' and 'outer' worlds need not to be made explicit. (C. Turner, 2004 : p. 379)

Turner fait un parallèle entre l'ambiguïté de l'espace transitionnel de Winnicott et la manière dont la performance in situ peut parfois estomper la frontière entre la réalité et la fiction. Comme le nourrisson qui ne saisit pas clairement la différence entre sa mère et lui, le spectateur d'une œuvre in situ a parfois de la difficulté à départager ce qui appartient au lieu, au « réel »,et ce qui fait partie de l'œuvre. Les frontières d'une œuvre in situ sont parfois difficiles à établir, comme celles de l'espace transitionnel, et le spectateur se demande s'il est vraiment à l'extérieur de l'œuvre, « outer world », où s'il fait partie du « inner world » de celle-ci. Cette ambiguïté rappelle celle que décrivait l'artiste Robert Morris plus haut dans cette section.

(31)

Les aspects intersubjectifs de la performance in situ font partie de ses

caractéristiques fondamentales et les idées de Winnicot semblent utiles pour les analyser. Le public est un peu plus que le témoin que décrit Mike Pearson, il fait partie d'un jeu auquel on le convie, il ne se contente pas de vivre une expérience, il participe, consciemment ou non, à la construction de celle-ci.

La grande quantité de textes parus au sujet de la performance in situ depuis deux

décennies donne l'impression d'un champ d'activité en croissance. Toutes ces publications démontrent également la grande variété des approches, de sorte qu'« aucune méthodologie ou définition claire ne semble possible », comme 1 'a écrit Simon Persighetti en 2000, dans un texte publié par Wrights & Sites. Cette

compagnie, basée, quelle surprise, à Exeter, se décrit comme un « group of artist-researchers with a special relationship to site, city/landscape and walking ». La

compagnie Wrights & Sites a créé des performances in situ dans différentes villes

d'Europe. Leurs œuvres se caractérisent par le recours à des trajets dans la ville et par les liens qu'elles tissent avec la communauté locale. Le sitè internet« http://mis-guide.com » est riche en documentation sur les différents projets de la compagnie depuis quinze ans. Les membres y ont contribué plusieurs textes de réflexion, et Stephen Hodge a produit une échelle qui classe les performances en fonction du type de lien qu'elles entretiennent avec le lieu:

(32)

Sketch for a continuum of site-specifie: perfonnance e.g.~ine.porl ..-..g • . , . , . _ i n . - · pot~ormonce--1or • -or a . -e.g . .,., Pllb"" - . . q paolo potlormonceopocilicolly _ _ _ _ _ _ loyofaole.lle ..

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...

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...

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(2001, Récupéré le 25 août 2015 de http://mis-guide.com/ws/documents/ politics.html)

Ce tableau donne une idée d'une variété de liens qu'il est possible de créer entre une performance et l'endroit où elle a lieu. Par contre, la classification qu'il propose en fonction de différents termes est incomplète et certainement discutable. À ce sujet, Mike Pearson a écrit dans Site-specifie performance :

1 avoid defining a type, be it determined, oriented, site-referenced, site-conscious, site-responsive, site-related. ( ... ) In this book 1 attempt to distinguish practices whose definitions often begins with a negative, as performance using "non-theatre locations". (Pearson, 2010: p. 1)

Pour Pearson, la performance in situ est un vaste champ d'activité dont la principale caractéristique est de se situer à 1 'extérieur des frontières du théâtre. Il semble cohérent qu'il évite de tracer des limites à 1 'intérieur de ce territoire de liberté.

(33)

1. 6 Art contextuel

En dehors des champs de recherches explorés jusqu'à présent dans ce chapitre, on peut associer la performance in situ au domaine de l'art contextuel formulé par Paul Ardenne. Malgré l'extrême variété des pratiques à première vue disparates qu'Ardenne rassemble sous la bannière d'art contextuel,« toutes retrouvent pourtant une cohérence d'ensemble sitôt envisagée sous l'angle de l'attachement au principe qui les fonde : la réalité. » (Ardenne, 2002 : p. 17)

L'étymologie du mot contexte renvoie au latin contextere, tisser avec, de sorte qu'« un art dit "contextuel" regroupe toutes les créations qui s'ancrent dans les circonstances et se révèlent soucieuses de "tisser avec" la réalité ».(Ardenne, 2002 : p. 17). Une performance créée dans un lieu réel constitue une des formes de tissage décrites par Ardenne. Cette interaction avec le réel débouche sur 1 'inévitable question : «qu'est, au juste, la "réalité", cette somme de circonstances?» (Ardenne, 2002: p. 13)

Une des principales caractéristiques de l'art contextuel est de se manifester à

1 'extérieur des lieux spécialisés que sont les musées, les galeries, les théâtres et les salles de concert. Sortir l'art de ses espaces réservés peut avoir toute sorte d'effets et Ardenne a recours à la caverne de Platon pour les décrire :

Sortir l'œuvre de la caverne, c'est en modifier la nature, passer de la forme qui recherche ou produit 1 'effet plastique à une forme qui épouse les faits concrets pour en rendre compte, pour mieux les mettre en perspective ou les soumettre à un examen critique. (Ardenne, 2002 : p.35)

À 1 'image de la caverne, les lieux spécialisés conçus pour la diffusion artistique permettent de contrôler l'espace, de créer la noirceur et le silence, des possibilités

(34)

auxquelles 1 'artiste contextuel doit renoncer. Il ne peut pas contrôler la réalité avec laquelle il interagit ni prévoir les résultats exacts des gestes qu'il va poser.

Pour l'artiste contextuel, on l'a compris, il s'agit moins d'imposer des formes stricto sensu, nouvelles ou non, que d'interagir avec le «texte » que constitue toute société, texte par nature inachevé et qui offre toujours matière à discussion dans le cas de la société démocratique -par excellence celle de la négociation, de l'alternative et du contrat social évolutif. (Ardenne, 2002: p. 35)

27

De la même manière, la performance in situ cherche à interagir avec le monde tel

qu'il est, à éliminer la frontière entre l'art et la société.

1. 7 Le théâtre et son lieu

Dans A Short History of Western Performance Space (2003), David Wiles examine sept types d'espaces utilisés pour la performance théâtrale depuis l'Antiquité. Sa recherche est en partie motivée par les insatisfactions qu'il éprouve vis-à-vis ce qu'il appelle le « commodity theatre »

In professional theatre the show is a commodity subject to constant transposition : it moves from the designer's model box into the rehearsal room, into the theatre just before the tech ; then perhaps it will move from the studio theatre to the main bouse, which may be empty or full, and then transfer to a London venue, or be taken to a festival - yet the show is deemed throughout to be an ontological constant. (Wiles, 2003 :

p.

1)

Selon Wiles, cette autonomie entre la performance et le lieu qui caractérise le

commodity theatre est le résultat d'une pratique théâtrale textocentrique : « The play-as-text can be performed in a space, but the play-as-event belongs to the space, and makes the space perform as much as it makes actors perform. » (2003 : p. 1) L'objectif de son livre est de démontrer qu'il n'en a pas toujours été ainsi et sa brève

(35)

histoire contient sept études distinctes construites autour de sept modèles d'espaces de performance. L'examen de ces différents types d'espaces met en lumière les relations possibles entre la performance théâtrale et l'endroit où elle a lieu. Le premier chapitre du livre, The Sacred Space, rappelle les origines rituelles du théâtre

de la Grèce antique. Le cercle de 1 'agora, dont le théâtre s'est servi pour le chœur, était utilisé à 1 'origine pour les danses circulaires du rite· de Dionysos. La tragédie grecque est apparue dans un espace sacré, chargé d'une valeur spirituelle, tout le contraire de neutre en somme. Par la suite, la notion de sacré s'est peu à peu éloignée du théâtre pour réapparaître au XXe siècle dans le discours de plusieurs artistes. Notamment chez Antonin Artaud, Peter Brook, et Jerzy Grotowski qui a écrit que le théâtre qu'il créait « répond à un besoin que les églises ne remplissent plus. » (Wiles, 2003 : p. 243)

L'espace théâtral de la Grèce antique était aménagé dans un site naturel complètement ouvert sans murs ni plafond pour le séparer du reste du monde. Wiles observe que la transition de 1 'espace théâtral vers des lieux intérieurs a suivi les transformations de 1 'espace spirituel en Occident.

Since Greek theatre was concemed with relations between the human and the divine, it was important to see actors stamping on the beaten earth, gazing into the sky, and standing before a wild and open landscape or seascape. Roman Stoic beliefs to sorne extent anticipated Christianity, regarding the gods as a more generalized presence, and implying that human beings should aim to control nature, not respond to its animate properties. The Romans enclosed their theatrical stages within high walls, and used an awning to shut out the sun, so insulating the restive or tragic world of the play from the natural world and from everyday life. (Wiles, 1997: p.40)

Dans la Grèce antique, le ciel, le soleil, les montagnes faisaient partie de l'espace du sacré, tandis que pour les religions chrétiennes qui ont dominé 1 'Occident par la

(36)

29

suite, la nature est un espace sauvage et hostile et le sacré est un lien privilégié qu'entretiennent les humains avec le créateur. Le sacré a déserté la nature pour s'enfermer dans les églises et quelques siècles plus tard, le théâtre s'est emmuré lui aussi.

Le théâtre extérieur de la Grèce antique créait un espace de performance sans limites visible et le soleil lui-même en faisait partie. La position des spectateurs devait faire face au sud pour que les entrées se fassent à 1 'est, là où le soleil se lève, et pour que la mort se situe à l'ouest, là où le soleil se couche.

For ali peoples in the northem hemisphere, in pre-industrial society, the movement of the sun, moon and stars through the sky off ers reassurance that left-to-right is the natural direction of narrative movement. [ ... ]The south-facing spectator in the Theatre of Dionysys experienced the sun moving from his left to his right in the course of his day in the theatre, and his vision and persona) comfort were determined by the sun's position This perceptible path of the sun suggests the presence of a transhuman force that humans can either go with or go against. (Wiles, 2003: p. 139)

Avant que n'apparaisse l'idée d'un décor représentant un autre lieu que celui partagé par les acteurs et les spectateurs, les performances théâtrales étaient conçues pour des endroits précis qui participaient à la construction de leur sens.

À travers ces sept récits, Wiles explore différentes pratiques théâtrales qui, pour la plupart, étaient fortement liées aux endroits où elles avaient lieu. Pour Wiles, le théâtre en Occident s'est manifesté dans différents types d'espaces, créés à partir de lieux précis, et la pratique du commodity theatre a peu à peu rompu ces liens entre la

performance et l'endroit où elle a lieu. Wiles n'aborde pas directement le sujet du théâtre in situ, mais dès le début de son ouvrage, il cite plusieurs paragraphes d'un

(37)

manifeste que Mike Pearson a écrit en 1998, dans lequel il exprimait ses propres difficultés avec la pratique théâtrale contemporaine :

1 cao no longer sit passively in the dark watching a hole in the wall, pretending that the auditorium is a neutral vessel of representation. lt is a spatial machine that distances us from the spectacle and that allies subsidy, theatre orthodoxy and political conservatism, under the disguise of nobility of purpose, in a way that litteral y 'keeps us in our place'. 1 cao no longer dutifully turn up to see the latest 'brilliant' product of such-and-such in this arts centre, where 1 saw the latest 'brilliant' product of others only yesterday, a field ploughed to exhaustion. (Pearson cité dans Wiles, 2003 : p. 2)

Dans un chapitre intitulé The Cave, Wiles associe ce type de théâtre, complètement

détaché du spectateur, à la métaphore de la caverne de Platon. Pour le philosophe, la vraie nature de la réalité échappe aux humains qui ne peuvent saisir que ce que leur sens leur transmet. Notre perception de la réalité est l'équivalent des ombres projetées sur les murs d'une caverne et nous ne pouvons savoir d'où viennent ces images. Ce modèle d'un écran devant nous qui nous renvoie les images d'un monde inaccessible prépare le terrain pour le « commodity theatre » et son monde d'illusion, prototype du cinéma et de toutes les autres réalités virtuelles d'aujourd'hui et de demain.

1. 8 Performance et théâtre

Dans Site-specifie art, Nick Kaye fait plusieurs fois allusion à la performance du

lieu : « site-specifie practices are identified, here, with a working over of the production, definition and performance of 'place'. » (Kaye, 2000 : p. 4) Dans ce contexte, performer signifie pratiquer, utiliser un lieu. Un type de performance que Kaye rapproche de celle de la lecture. Comme le lieu, le langage est un système d'ordre que le lecteur performe au moment de la lecture.

(38)

Indeed, where the location of the signifier may be read as being performed by the reader, theo the functioning of language provides an initial model for the performance of place. (Kaye, 2000: p. 4)

31

Même si l'œuvre n'inclut aucune présence humaine, le lieu est performé par l'artiste qui utilise son système d'ordre, et il est performé de nouveau par la personne qui le visite. La création in situ met à profit les aspects performatifs des lieux décriés par Michael Fried il y quelques décennies :

In forcing an incursion of the time and space of viewing into the experience of the work, Fried argues, minimalism enters into a realm which 'lies between the arts', where 'art degenerates as it approaches the

condition of theatre' (Fried 1968: 141). In emphasising the transitory and ephemeral act of viewing in the gallery, minimalims enters into the theatrical and performative. (Kaye, 2000: p. 3)

De son côté, Mike Pearson annonce ses couleurs dès la première page de

Site-specifie Performance :

1 prefer 'performance' : to embrace the fullest range of practices originating in theatre and visual art, and to demonstrate affiliations with the academie field of performance studies. (Pearson, 2010: p. 1)

Dans le domaine des arts visuels, le mot performance désigne une activité artistique qui s'oppose à toute forme de théâtralité ou de fiction, mais Pearson ne s'impose pas de telles restrictions puisqu'il reconnaît une double origine au terme. En 2007, Playwrights Canada Press a fait paraître Environmental and Site-Specifie Theatre, un recueil d'articles édité par Andrew Houston et, en 2012, Palgrave MacMillan a publié Performing Site-Specifie Theatre, un ouvrage collectif dirigé par Anna Birch et Joanne Tompkins. Les titres choisis pour ces deux livres et les textes qu'ils

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