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De l'Islam populaire à l'islamisme : les défis de l'identité politique de l'Algérie contemporaine

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Academic year: 2021

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®

UMI

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(3)

De l'Islam populaire

à

l'islamisme: les défis de l'identité

politique de l'Algérie contemporaine

Laurence Morrissette Institute of Islamic Studies McGilI University, Montréal

Suhmitted August 2003

A thesis suhmitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements of the degree ofMaster of Arts

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1+1

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Résumé

L'histoire socio-religieuse de l'Algérie est caractérisée par une série de crises identitaires, dont la guerre civile de la fm du 20e siècle représente le paroxysme. Depuis la suppression des instances marabouts aux 1ge et 20e siècles, la population n'est jamais parvenue à trouver le juste rôle de la religion dans la société. La« deuxième guerre d'Algérie» ne représente pas uniquement le point culminant d'une série de crises identitaires, mais aussi le résultat, la conséquence, de toutes celles qui l'ont précédée. Les années 1980, soit celles qui ont précédée la guerre civile, ont été propices à la croissance de la protestation sociale en Algérie. L'Islam, comme dans la grande majorité des crises sociales qu'a connu l'Algérie, fut alors le principal véhicule de la protestation sociale.

Ce mémoire entend faire ressortir les éléments historiques qui ont mené à la guerre civile, opposant des groupes religieux et le régime au pouvoir. À travers quatre époques de

l'histoire de l'Islam algérien, nous tenterons de saisir l'évolution de la religiosité algérienne. Un lien entre ces quatre époques ressort: celui d'une quête d'identité nationale, à laquelle une attention particulière sera portée. Le but de ce mémoire est donc de faire ressortir les principaux faits de l'histoire de l'Islam algérien, afm de comprendre comment un Islam dogmatique et personnel est devenu cet Islam idéologique. et politique des années 1980 et 1990.

Par conséquent, ce travail focalisera sur l'Islam en tant qu'instrument de mobilisation, de contestation et de résistance de la société civile algérienne. Plus particulièrement, ce mémoire analysera comment et pourquoi l'Islam algérien fut « instrumentalisé» à la fois

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Abstract

The socio-religious history of Algeria is characterised by a series of identity crises, to which the end of 20th century' s civil war represents the paroxysm. Since the suppression of the marabout instances in the 19th and 20th centuries, the population was never able to

find the right role of religion in society. The "second war of Algeria" does not only represent the climax of a series of identity crises, but also the result, the consequence, of aIl the ones which preceded it. The 1980 decade, which had preceded the civil war, was propitious to the growth of social prote st in Algeria. Like in most of the social crises that Algeria had known, Islam was then the main vehicle for social protest.

This thesis intends to bring out the historical elements which had led to the civil war opposing religious groups and the government. Through four periods of the Algerian Islamic history, we will attempt to understand the evolution of the Algerian religiosity. A link between the se four periods emerges: the quest for the national identity, to which a particular attention will be given. The goal of this thesis is then to bring out the principal events of the Algerian Islamic history in order to understand how a personal and dogmatic Islam became an ideological and political Islam in the 1980's and 1990's.

Therefore, this thesis will focus on Islam as a mobilisation, protestation and resistance agent for the Algerian civil society. More precisely this thesis will analyse how and why the Algerian Islam has been "instrumentalised" either by the government and the religious leaders of the society.

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Remerciements

Mes études à l'Institut des Études Islamiques furent, pour moi, l'un des défis les plus difficiles à relever. Bien que mon attrait pour la civilisation islamique n'ait pas été un événement soudain, mes connaissances en la matière étaient relativement limitées. De plus, cette incursion dans le monde anglophone, moi qui n'était qu'unilingue francophone, fut en quelques sorte un choc brntal. Ceci n'était rien pour réduire lme timidité déjà présente chez moi, mais a fait de mon passage à l'Institut l'une des périodes les plus enrichissantes de ma vie.

Mes premiers remerciements vont à mon dirécteur de thèse, le Professeur Eric Ormsby. Professeur Onnsby, je vous remercie de votre humanité, de votre délicatesse et, évidemment, pour votre aide judicieuse et sincère.

Je tiens égaiement à remercier le Professeur et Directeur de l'Institut A. Üner Turgay que j'ai eu la chance d'avoir en tant que professeur tout au long de mes études et dont les cours m'ont fait voyager dans le monde islamique.

Je ne pourrais passer sous silence le chaleureux et réconfortant sourire de Dawn Richard et le dévouement exemplaire d'Ann Axley pour ses étudiants. Je leur transmets mes plus sincères remerciements.

L'étudiant, quelque peu égaré que j'étais, ne s'en serait peut-être pas sorti dans ses

recherches à la bibliothèque sans le secours et l'aide de SaIwa Ferahian et de Wayne St. Tomas qui ont su me diriger vers ce que je ne cherchais même pas, mais dont j'avais pourtant besoin. Je leur en suis très reconnaissant.

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Je veux également remercier mes amis, particulièrement ma grande amie Hind, qui ont su combler mon passage à l'Institut de rires et de bonheurs. Ces moments de plaisirs ont allégé le stress que je vivais parfois.

Pour ces milliers de sourires que j'ai croisés au cours de mes études et pour cette aide que je n'ai jamais eu à demander deux fois, à vous tous qui constituent l'âme de l'Institut, milles merci. Puisse le jour venir où je pourrai remettre une fraction de ce que j'ai reçu à l'Institut.

(9)

Table des matières

Résumé ... '" ...

2

Abstract ... 3

Remerciements ... 4

Translitération ... ; .. '" ... '" ... 6

Table des matières ... '" ... '" ... 7

Introduction ... '" ... 9

1) Contexte historique ... , ... , .. .16

A. Du Maraboutisme au Réformisme : Vers une centralisation de l'Islam ... 17

.1 le maraboutisme .2 la colonisation française et la résistance des taii~as .3 la cooptation de la religion par le régime colonial . 4le réfonnisme B. L'Islam et l'État. ... " ... '" ... 28 .1 le nationalisme .2 l'Algérie en guerre .3 le socialisme musulman .4 Al-Qiyam al-Islamiyya .5 la nationalisation de l'Islam .6 l'arabisation .71'islamisme des années 1970 2) L'Islam et la crise sociale algérienne ... .42

A. Les tendances islatniques ... 44

.lladjaz'ara .2 la tendance « orientaliste» .3 les prédicateurs B. La convergence de l'islatnisme ... 50

.1 octobre noir .2 le Front islamique du salut (F.I.S.) C. La tentative démocratique ... 57

(10)

3) L'Islamisme et la guerre civile ... , ... '" ... , ... '" ... '" .. 65 A. Les Djihadistes ... 65 .1 l'islamisme radical .2 les Afghans B. La guerre civile .... , .. , ... , ... , ... 68 .1 1992-1993 .2 1994-1995 .3 1995-1996 .4 1997-1999 Conclusion ... ... , ... '" ... 83 Bibliographie .. ... 93

(11)

Introduction

Dans les pays musulmans, l'Islam est un puissant instrument de mobilisation pour la protestation sociale. Lorsqu'il est ainsi, l'Islam n'est plus un phénomène dogmatique et personnel, mais devient plutôt un phénomène politique. Durant le dernier quart du 20e siècle, l'Islam a défini l'agenda politique de nombreux pays musulmans, tel que l'Algérie.

Les années 1980 ont été propices à la croissance de la protestation sociale en Algérie. La crise du pétrole, l'explosion démographique et un régime corrompu ont plongé le pays dans une profonde crise sociale, dont les coûts économiques et humains furent énormes. En 1988, des manifestations sévèrement réprimandées par les forces de l'ordre, tournèrent à l'émeute. Un climat d'insurrection se propagea à toute l'Algérie. Cet événement, connu sous le nom

«

Octobre noir», fut le point de non-retour dans les relations entre la société civile et le régime au pouvoir. Craignant l'insurrection, l'élite politique décida de « jouer» la carte d'une élection démocratique «multi-partistes », croyant qu'elle pourrait gérer le processus de façon à s'assurer la victoire. Mais les événements ne se sont pas déroulés selon leurs attentes. À la veille d'une victoire prévisible d'un parti islamiste, le

régime décide d'interrompre le processus électoral. Cette interférence gouvernementale dans le processus démocratique a provoqué une réaction violente des groupes islamistes et l'Algérie se retrouva en guerre civile. Entre 1992 et 1997, le pays fut la scène de violences extrêmes, causant la mort de plus de 100 000 personnes.

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Dans cet épisode, l'Islam a été le principal véhicule de la protestation sociale et c'est donc la place et le rôle de l'Islam dans la société et dans le système politique que le régime au pouvoir devait redéfinir.

Dans ce mémoire, nous allons tenter de ressortir les éléments historiques qui ont tracé la voie à la guerre civile, opposant des groupes religieux et le régime au pouvoir. Pour mener à bien cette étude, nous avons divisé l'histoire de l'Islam algérien en quatre périodes. Celles-ci nous permettront de saisir l'évolution de l'Islam en tant que phénomène religieux, vers l'Islam en tant qu'idéologie politique: l'islamisme. Le choix de ces quatre périodes est fondé sur le fait qu'elles représentent des tournants majeurs dans le développement de l'islamisme algérien. Nous en reparlerons un peu plus loin dans cette introduction. TI y a entre ces quatre périodes un même phénomène : celui d'une quête d'identité nationale.

il est facile de catégoriser de « nationalisme» la lutte d'un peuple pour se libérer du joug

d'une puissance étrangère. Ainsi, on associe aisément, pour ce qui est de l'Algérie, le nationalisme et la guerre d'indépendance, mais est-ce là l'unique expression nationaliste qu'a connue l'Algérie?

Pour ce mémoire, nous nous accorderons deux définitions du concept de «nationalisme ».

La première, la plus simple, est «la doctrine politique qui revendique pour une nationalité le droit de former une nation ». l La deuxième constitue plus un concept

(13)

prend son origine dans la nation d'appartenance. Cette dernière est en fait un niveau de conscience: la conscience du groupe et la conscience de l'unité de ce groupe. De là l'importance de s'attarder, dans une recherche sur le développement de l'islamisme et de la guerre civile des années 1990 en Algérie, sur les questions d'identité nationale.

Lorsque les pays d'Europe ont investi d'autres horizons et colonisé différentes régions du monde, les politiques qui en découlèrent furent appelées « impérialisme ». C'est à cet impérialisme que nous devons la transposition à d'autres sphères culturelles d'une vision très européenne de la nation. C'est donc en terrain culturel différent que l'impérialisme et le nationalisme se retrouveront. Thèse et antithèse : ces deux forces politiques domineront le monde colonisé durant les siècles qui suivront.

En Algérie, l'empire ottoman et la France ont tracé les frontières d'une nouvelle nation habitée par une population .qui n'avait pas encore acquis de sentiment national. Ainsi, contrairement aux nations européennes, dans plusieurs pays arabes, tels que l'Algérie, les « doctrines nationales» ont précédé la prise de conscience nationale. Ceci aura de considérables répercussions sur l'Algérie, notamment sur la formation de mouvements islamiques.

François Burgat qualifie l'islamisme (idéologie politique de l'Islam) de troisième étape de la décolonisation.2 TI s'agit ici de la décolonisation idéologique, suivant la décolonisation politico-militaire et la décolonisation économique. Burgat élargit ainsi la notion

l Le Petit Robert, p.l471

(14)

d'impérialisme (par opposition à décolonisation) tant au niveau culturel que politique ou économique. Sous cette lumière, le nationalisme devient une résistance à tout élément exogène au sentiment national et donc une résistance à l'impérialisme sous toutes ses formes.

Cette dialectique est à la base des grands débats intellectuels du monde arabe du 20e siècle lorsque les élites arabes, souvent. éduquées à l'européennes, tentent d'exploiter le nationalisme. Mais doit-on parler de nationalisme arabe, de pan-arabisme ou d'un nationalisme «classique» intégré dans les frontières dessinées par les puissances européennes? Nous devons alors nous poser la question suivante: lorsque nous parlons de nationalisme des pays arabes, et dans le cas qui nous intéresse de l'Algérie, de quelle variante nationaliste parle-t-on?

La recherche de l'identité nationale en Algérie a aussi enfanté des mouvements à tendances plus religieuses, telles que le réformisme, le salafisme et l'islamisme et il nous est permis de voir celles-ci comme des variantes nationalistes.

C'est ici que nous retrouvons la distinction de la culture arabo-musulmane et des développements socio-politiques particuliers lorsque nous parlons de nationalisme en Algérie. Dans notre recherche, il est donc primordial de tenir compte des perceptions inhérentes à la culturearabo-musulmane. N'est-il pas écrit dans le Coran « Dieu ne

(15)

Serait-il juste alors de considérer les mouvements socio-religieux ou politico-religieux de l'Algérie, comme des mouvements nationalistes?

Toutes ces doctrines, sociales ou politiques, seront alors nationalistes si elles sont fondées sur le sentiment national. Nous tenterons de démontrer dans ce mémoire qu'entre le

maraboutisme et l'islamisme, tous les mouvements sociaux et politiques à orientation religieuse ont constitué différentes formes de l'expression du nationalisme algérien.

Dans ce mémoire, nous prendrons en considération les fondements de l'identité nationale algérienne, c'est-à-dire l'Islam et les événements socio-politiques constructifs de l'identité algérienne, afm de faire ressortir les éléments historiques qui ont tracé la voie à la guerre civile. Comme nous l'avons dit, pour mener à bien cette étude, nous avons divisé l'histoire de l'Islam algérien en quatre périodes qui sont définies comme suit: L'Islam des marabouts; L'Algérie française; L'Algérie indépendante; L'Algérie et les mouvements islamiques.

Les deux premières périodes seront traitées dans le premier chapitre. Nous verrons dans ce chapitre le contexte historique duquel est surgi l'Algérie indépendante. Nous verrons comment un Islam populaire et hétérogène (maraboutisme) est devenu une orthodoxie sunnite, relativement homogène. En d'autres mots, nous discuterons des éléments qui ont mené à la centralisation de la pratique religieuse en Algérie.

(16)

Le second chapitre focalisera sur la place de la religion et de ses représentants dans le nouvel État indépendant de l'Algérie. Nous verrons comment une politique de cooptation de certaines thèses de l'Islam par l'État a mené, dans un premier temps, à une neutralisation des aspirations des autorités religieuses et, dans un deuxième temps, à la création d'une base propice au développement de l'islamisme.

Le troisième chapitre sera consacré à la compréhension des actions des différents acteurs islamistes qui ont marqué la deuxième guerre d; Algérie. La pression exercée par les leaders religieux sur le pouvoir, a forcé ce dernier à faire de grandes modifications constitutionnelles. Parmi elles, se trouvent la reconnaissance des autres partis politiques et l'ouverture à un processus démocratique réel. Ce chapitre va également explorer les tentatives démocratiques lancées par le gouvernement et, plus particulièrement, le rôle que les partis religieux ont joué dans ce processus. Suite à l'interruption du processus électoral, l'Algérie tomba dans la guerre civile. La dernière partie du chapitre étudiera les principaux groupes islamiques de cette guerre civile.

L'un des caractères particuliers du Maghreb est sa min~rité berbère. L'histoire sociale de l'Algérie est un mélange de deux principales traditions, l'une arabe, l'autre berbère. Sans sous-estimer l'impact de la composante berbère sur la société algérienne, cet ouvrage va délibérément se limiter à la tradition arabo-islamique. La question de l'influence de la religion sur la politique algérienne est fort complexe et l'élément berbère y sera donc traité uniquement en fonction de son impact sur la tradition arabo-islamique de l'Algérie.

(17)

Par conséquent, ce travail focalisera sur l'Islam en tant instrument de mobilisation, de contestation et de résistance de la société civile algérienne. Plus particulièrement, nous regarderons, à travers les quatre périodes de l'histoire de l'Algérie, définies précédemment, comment et pourquoi l'Islam algérien fut « instrumentalisé » à la fois par les élites au pouvoir et par les leaders de la société civile.

Le but de ce mémoire est donc de faire ressortir les principaux faits de l'histoire de l'Islam algérien, afin de comprendre comment l'Islam dogmatique et personnel est devenu cet Islam idéologique et politique des années 1980 et 1990.

(18)

Chapitre 1

Le contexte historique

Le Maghreb fut conquis par les Arabes entre la deuxième moitié du 7e siècle et le début du ge siècle ap. J.~C .. En 693 ap. J.-C., Carthage fut prise par les Arabes écartant ainsi les Byzantins de la région. Cet événement représente la fm de la résistance chrétienne organisée au Maghreb. Les Arabes répandirent la foi musulmane avec zèle et parfois même avec fanatisme. L'islamisation du Maghreb se fit en une période relativement courte, mais son arabisation fut un long processus et n'est encore aujourd'hui que partielle. Cette arabisation débuta avec les Kharidjites (7e siècle ap. J.-C.) dont certains vinrent trouver refuge au Maghreb suite à leur dilemme avec Ali, cousin et gendre du Prophète. Par contre, ce sont les migrations des Banü Hilal et des BanI Sulaym qui, trois siècles plus tard, furent les plus marquantes. 3 Depuis, deux populations musulmanes, c'est~à~dire les Berbères et les Arabes, vivent côte à côte et se partagent le Maghreb.

Ainsi, bien qu'une partie des Berbères fut assimilée à la population arabe, beaucoup, surtout dans les coins les plus reclus de la «Berbèrie », sont demeurés Berbères. De plus, plus nous pénétrons dans le Maghreb en partance du Machrek, plus la proportion de Berbères est forte. C'est au Maroc que nous retrouvons la plus forte proportion de Berbères et en Libye qu'elle est la plus faible. De même en est~il pour ce qui est du maraboutisme (islam populaire maghrébien ): plus l'on s'éloigne du Machrek, plus la vitalité du maraboutisme est forte.

(19)

Le maraboutisme

Première partie

Du Maraboutisme au Réformisme:

vers une centralisation de l'Islam

Le maraboutisme, ou le culte des saints, est l'une des principales représentations de l'islam au Maghreb. À l'origine, le terme marabout s'appliquait exclusivement aux

saints. Avec le temps, nous en sommes venus à appliquer le nom de marabout autant aux saints vivants qu'aux saints morts, aux monuments qui abritent leurs tombes, aux successeurs d'un saint, à certains objets et même à certains animaux considérés comme plus ou moins sacrés. Ceci amène Dermenghem à affirmer qu'au Maghreb ce terme s'applique à toutes les catégories du sacré.4 Ce dernier catégorise les saints en deux classes, soit les saints « populaires » et les saints « sérieux ». Les premiers seraient plutôt folkloriques: ils volent, font tomber la pluie, provoquent des tremblements de terre, etc. Les saints populaires ne sont habituellement que de simples célébrités locales. Les seconds, quant à eux, se distinguent par leurs vertus. Ils se lancent dans une guerre sainte, forment un ordre religieux, ouvrent un monastère école, font de bonnes œuvres, etc. Ils deviennent souvent des sujets hagiographiques et leurs popularité peut s'étendre sur un vaste territoire. 5

Peu importe l'objet de la sainteté d'un marabout, celui-ci est porteur de la baraka (chance divine) dont tous et chacun tentent de profiter en vénérant un marabout. Les sanctuaires marabouts que l'on nomme l}ubba deviennent des lieux de culte où l'on se rend en

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pèlerinage pour prier ou faire des offrandes dans le but de profiter de la baraka du saint. Ces ~ubbas se retrouvent partout au Maghreb, chaque localité possédant le ou les siens.

Les anthropologues croient que le phénomène du maraboutisme a comme origine l'héritage païen des Berbères. Montet nous réfère à l'ancien historien Procope qui, dans ses écrits, nous fait part de l'anthropolatrié des peuples du Maghreb et de leurs profondes vénérations des sorciers et devins. 7 Dermenghem voit également dans le maraboutisme une continuité du sacré avec les sociétés berbères pré-islamiques.8

Les tarl~as sont des confréries religieuses et représentent une des formes du maraboutisme. Elles constituent des ordres soufis mystiques centrés autour d'un réseau de monastères écoles. Contrairement au Moyen-Orient, où l'islam est lié au rituel légaliste orthodoxe sunnite, en Afrique du Nord, le soufisme était un mode d'expression religieuse très étendu et très bien accepté.9 Ruedy fait la comparaison entre le soufisme du Moyen-Orient et celui du Maghreb en ces termes :

"Early Middle Eastern sufism had represented an intensely personal search for the Divine Reality and may have survived the hostility of official Islam precisely because its followers withdrew from the world more than they tried to change it. Maghribi sufism, however, while continuing to provide mysticalanswers to the personal quest, was aImost always activist to some degree, involving itself intimately in

major social and political issues." 10

4 Emile Dermenghem, Le culte des saints dans l'islam maghrébin, page 34

5 Ibid., pp. 34-36

6 Terme utilisé en anthropologie signifiant la vénération de l'homme par l'homme. 7 Édouard Montet, Le culte des saints musulmans dans l'Afrique du nord, p. 9 8 Dermenghem, op. cit., p.34

9 Ibid., p.36

(21)

Si le rôle social du marabout11 était circonscrit plus localement (agissant souvent comme le sage ou comme l'instance supra-tribale), les confréries avaient un bien plus grand impact social. Par leurs réseaux: de zawiyya (monastères-écoles-refuges), les tarlJfas étaient capables de mobiliser une population, d'organiser une résistance ou de faire pression sur une instance politique. Le rôle des zawiyyas étaient d'entraîner des soldats, donner une éducation islamique aux: jeunes hommes, offrir un refuge aux: voyageurs et de prendre soin des malades et des pauvres. 12

L'agitation religieuse, suite aux: reconquêtes chrétiennes de la péninsule ibérique au ISe siècle ap. J.-C., aura été un facteur favorisant le développement politique des tanJfas. Ces dernières ont déterminé et dirigé les révolutions maghrébines qui firent suite à la reconquista espagnole. Montet relève que« dans cette révolution toutes les dynasties du Maghreb sombrèrent. Elles furent remplacées par des pouvoirs nouveaux établis sous l'influence des

taillfas

ou des marabouts »,13 Montet ajoute qu'il en fut ainsi pour les deux pouvoirs politiques qui ont régnés en Afrique du Nord depuis la fin du ISe siècle et jusqu'en 1830: les dynasties Chérifiennes et les TurcS.14 Vers la fm du 18e siècle, en Algérie, cette politisation des tarl~as s'exprima contre les Turcs dont la présence commença à être contestée.15

11 Les marabouts sont parfois appelés cheikh par leurs fidèles. Les cercles académiques occidentaux

utilisent ce terme pour désigner un chef d'une confrérie religieuse.

12 Le nombre et la diversité des confréries religieuses sont impressionnants au Maghreb, mais aussi en

Algérie, terrain de notre étude. En général, les auteurs se limitent à décrire les quatre ou cinq plus importantes laii~as à l'époque de l'Algérie coloniale française. Elles sont les: R~m3niyya, J$:.adiriyya, Eayibiyya, Tijaniyya et Dar~aWiyya.

Montet, op. cit., p.45

14 Idem

15 Les Chaldeliyya, prédécesseur linéaire des Dar~iiwlyya, furent les premiers à se révolter contre les

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Selon John Ruedy, le tenne de nation ne peut pas s'appliquer à l'Algérie de 1830, l'année du débarquement français en Algérie. L'auteur parle plutôt d'un processus « d'algérianisation », né en grande partie de l'époque ottomane.16

n

suggère également que sans l'intervention française, l'office de dey (monarque ottoman en Algérie) aurait pu se transfonner en pure monarchie capable d'agir comme élément centrifuge. Pour utiliser les mots de Ruedy : « Three kinds of Algerian institutions at different levels might have given concrete political expression to the emerging sense of identity. These are the institution of dey, that of the beyliks17 and purely indigenous tribal or religious element ».18

Sans pouvoir parler de nation à ce stade-ci, l'époque ottomane aura eu comme principale conséquence de créer un espace, un cadre géographique nécessaire à la fonnation d'une nation. Le genne de l'identité algérienne, opposée aux identités tribales, a donc été la domination politique ottomane et la compétition territoriale entre cette dernière et les autres puissances périphériques.

La colonisation française

et

la résistance des

tarl~as

L'époque coloniale française débute en 1830 avec le débarquement des troupes françaises à Alger. Sitôt, un régime colonial s'établit avec comme principal objectif d'étendre sa domination sur tout le territoire d'Algérie. Outre la résistance des Ottomans, certaines

une seconde rébellion. Une troisième eue lieu de 1822 à 1827, menée cette fois par les Tijaniyya. Aucune des ces rébellions n'eurent les résultats escomptés.

16 Ruedy, op. cit, p. 43

17 Le terme de « dey» est employé en Algérie pour désigner le monarque et le terme beyliks comme

division administrative

(23)

tar1l}as ont commencé très tôt à s'organiser pour résister à l'expansion française. Le régime colonial a très tôt fait de considérer les zawiyyas comme étant des foyers propices à la mobilisation politique et militaire des indigènes.19 Le régime avait dès lors tenté de manipuler ou d'écraser ces zawiyyas.

Les premiers signes de résistance sont venus de l'Ouest des zawiyyas ~adiriyya20 et Tayibiyya de la région d'Oran. En 1832, Abd EI-Kader,21 chef des ~adiriyya, fait appel au djihad contre les Français au nom d'une plus grande justice sociale et de l'établissement de la loi islamique. La légitimité politique d'Abd El-Kader lui vint d'une idéologie dont l'essence était profondément déterminée par les fondements de l'islam?2 Pour former une coalition tribale, il impose la charia contre le droit coutumier, faisant passer ainsi la confrérie ~adiriyya du maraboutisme au fondamentalisme. L'appel au djihad trouva un large écho au sein de la population. La résistance débuta en 1832 et se termina en 1847 par la reddition d'Abd El-Kader. Bien que la résistance fut un échec, les ~adiriyyas représentent le plus fort exemple du militantisme soufi de l'Algérie du 1ge

siècle. Au 20e siècle, Abd EI-Kadir sera, quant à lui, transformé en héros national par des mouvements nationalistes en quête de modèle, certains de ceux-ci allant même jusqu'à

19 Ricardo René Laremont, Islam and the politique ofresistance in Aigeria, p. 36

20 La branche algérienne des ~adiriyyas fut fondée par Mustafa bin Muhammad à la fin du ISe siècle.

Muhammad fonda cette taii~a après avoir séjourné à Baghdad, siège de cette confrérie. Son fils, Mul).yi al-Din puis son petit-fils, Abd El-Kader ont assuré tour à tour le leadership de cette confrérie, Laremont, op.

cit.p.34

21 Abd El-Kader, a été un grand soufi mystique dans la tradition d'Ibn Al-Arabi, Rafael Danziger, 'Abd

al-Qadir and the Algerians .. Resistance to the French and the internai consolidation, 1977.

(24)

tenter de démontrer que la résistance des ~adiriyyas est la preuve de l'existence d'une nation algérienne avant l'arrivée des Français.23

En 1871, eut lieu la dernière de ce que Laremont appelle les «rébellions soufis ». C'est Muhammad bin Ahmed al-Hadj, supporté par la confrérie RaQ.maniyya, qui lança le djihad.24 Rapidement écrasée par une artillerie française beaucoup plus puissante, cette révolte a marqué le début de la fin d'un Islam populaire fondé sur la branche mystique de

l'Islam maghrébin qu'est le maraboutisme.

La cooptation de la religion par le régime colonial

Entre 1871 et 1919, l'Islam algérien fut en période de latence. La mouvance religieuse contestataire oscille alors entre le fondamentalisme des «vieux turbans », et le modernisme des algériens urbains et francophiles. Mais leurs rôles restent passifs, les deux groupes ayant compris qu'il était inutile et dangereux d'affronter un· empire colonial triomphant et contrôlant.

Durant cette période, l'administration coloniale française soucieuse de se protéger, a étendu son autorité sur les institutions religieuses parce que celles-ci représentaient le plus puissant élément mobilisateur à la contestation. Une politique de cooptation des institutions religieuses par le régime fut mis de l'avant. Pour ce faire~ le régime a crée un clergé «officiel », où les Ulémas étaient nommés par l'état et subordonnés à celui-ci. D'autre part, le régime colonial a saisi les propriétés des ordres religieux dans le but de

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prIver ceux-ci de revenus, il a renforcé la surveillance des cheikhs et contrôlé les pèlerinages à la Mecque pour isoler l'islam algérien de l'influence Moyen-Orientale.25 Cette régulation du religieux par le régime eut un impact important dans la création d'une identité algérienne. S'il est vrai que la principale menace du régime venait des confréries soufis, la faiblesse de ces dernières provenait de ses divisions tant sur le plan géographique qu'idéologique. Comme le soulève Laremont : «an organized clergy had never existed before in Algeria ».26 Donc, pour se débarrasser des confréries, le régime a crée une institution capable de promouvoir un sens de l'unité comme il n'yen avait jamais eu auparavant.

Le Réformisme

Durant la première moitié du 20e siècle, trois mouvements politiques ont émergés en Algérie. Le premier était de gauche et se référait à un mouvement international socialiste. Le deuxième était religieux et issu de la branche réfonnatrice du clergé d'État. Le troisième provenait de la petite bourgeoisie musulmane et, sans revendiquer l'indépendance, s'efforçait d'acquérir une plus grande justice sociale pour les musulmans. Chacun de ces groupes prirent fonne en organisations. Elles étaient dans l'ordre: «l'Étoile du nord africaine », «l'Association des Ulémas musulmans d'Algérie» (AUMA) et les «Jeunes Algériens »27. Tous trois ont légitimé leurs actions par un

24 Laremont, op. cit., p 39

25lbib., p. 47

26 Laremont, op. cit., p. 47

27 Les « Jeunes Algériens» étaient la première génération de musulmans éduqués et fonctionnant à

l'intérieur de la sphère francophone. Les « évolués », tel qu'on les nommait, étaient pour la majorité des assimilationistes. lis n'eurent que peu d'influence dans la société algérienne, voir Ruedy, op. cit., p. 106

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discours centré sur l'Islam.28 Nous devons la culture politique de l'Algérie indépendante aux deux premiers de ces mouvements.

L'Association des Ulémas musulmans d'Algérie (AUMA) a été fondée le 5 mai 1931, soit trois ans après les Frères Musulmans d'Égypte, par Hamid Ben Badis (l889-1940i9. Malgré les efforts fournis par l'administration coloniale pour isoler l'Islam algérien, l'AUMA s'est engagée dans un rôle de critique social et culturel et dans une mission d'Éducation inspirée des courants moyens-orientaux. L' AUMA représentait, au départ, un parti religieux et social explicitement apolitique.3o Il se situait, du moins durant ses premières années, en continuité avec les réformistes moyens-orientaux tels que Muhammad Abduh et Rashid Rida, fondateurs d'un mouvement que les auteurs francophones appellent le salafIsme?l

Pour Severine Labat, l'AUMA a donné naIssance à un «nationalisme musulman» algérien. C'est-à-dire que c'est à l'AUMA que revient la création d'une conSCIence nationale centrée sur l'Islam et plaçant celui-ci comme étant l'expression et la personnalité de la nationalité algérienne. 32 Ce mouvement donnera une dimension politico-religieuse au nationalisme populiste algérien et fInira par produire, après

28 Laremont op. cit. p 57

29 Hamid Ben Baciis est né à Constantine d'une famille de petits bourgeois francophiles. Badis a suivi une

autre route : il a eu une éducation traditionnelle à Alger puis à la Zitouna, mosquée-université de Tunis. Par la suite, il fit hadj puis visita les principales villes du Moyen-Orient. Un homme de profondes convictions religieuses retourna en Algérie où il dédia sa vie à la renaissance et à la purification de l'Islam algérien. Ben Badis a été jusqu'à sa mort le chef incontesté des réformistes musulmans.

30 Laremont op. cit. p. 80

31 Le Salafisme se résume par la volonté de repenser la modernité, mais contrairement au premiers

réformistes, il revendique le droit d'interpréter (ijtihâd) les textes fondateurs sans respect pour les travaux antérieurs. Le salafisme laisse un espace à la laïcité: la sphère du politique. C'est l'inclusion de cette espace dans la religiosité qui distinguera l'islamisme du salafisme. Voir Olivier Roy, L'échec de l'Islam politique, pp. 48-51

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l'indépendance, ce que Labat appelle «l'arabo-nationalisme », courant qill se développera dans l'Algérie indépendante.

La première action des AUMA se situait dans la critique socio-culturelle. En 1924, Ben Badis et d'autres Ulémas réformistes se sont rencontrés pour défInir un plan d'action qui se traduisit par la parution, en juillet 1925, d'un périodique. Cet organe fut fermé par le régime colonial et l'AUMA dut le remplacer par un autre. La critique de l'AUMA était surtout dirigée contre les francophiles musulmans. Selon l'AUMA, ils représentaient la conséquence perverse de l'administration française parce que ces derniers voulaient occidentaliser les musulmans d'Algérie, plutôt que d'affrrmer et de valoriser leur nature propre arabo-musulmane. Laremont situe la critique sociale de l'AUMA en citant les paroles de Ben Badis: «The muslim of Algerian nation is not France. It cannot be France. It does not want to be France. And even if it wanted to, it couldn't

»?3

Le deuxième élément de l'action de l'AUMA fut la création d'un réseau d'écoles administré par l'Association. L'enseignement y était fait en arabe et visait à réaliser une reconquête culturelle de l'Algérie par les Algériens. Le but était ainsi d'offrir à la société les outils nécessaires pour qu'elle puisse se redéfInir en termes non importés de France. Indirectement, grâce à leurs périodiques et à leur réseau d'écoles, l'AUMA a favorisé les efforts de poètes, d'historiens et d'autres intellectuels soucieux de restaurer la culture algérienne. En réécrivant l'histoire de l'Algérie de façon non eurocentrique, des historiens, tels que Mubarak al-Mili et Ahmad TawfIk al-Madani, ont constitué les

32 Séverine Labat, Les islamistes Algériens: entre les urnes et le maquis, p. 60 33 Laremont, op. cit. p. 82

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fondements intellectuels du nationalisme algérien, notamment en évoquant la mémoire de l'Émir Abd El-Kader en tant que mythe fondateur de la nation algérienne.34 Pour Ruedy, ces historiens ne furent pas des mémoires du passé, mais plutôt les créateurs du présent. 35 C'est à l'auteur Madani que l'on doit le slogan de l'AUMA: L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue et l'Algérie mon pays. 36

L'AUMA concentrait son action sur un troisième niveau que nous pourrions appeler la guerre des religions. Les Ulémas réfonnistes voyaient dans le soufisme et dans le maraboutisme des accrétions culturelles impropres à l'Islam. Entre les années 1930 et 1950, l'Islam algérien a subi un changement au niveau de sa religiosité passant de l'hétérogénéité du maraboutisme vers une orthodoxie sunnite. Concrètement, ceci a permis aux Ulémas de remplacer, petit à petit, les cheikhs soufi. Laremont détermine trois facteurs qui ont pennis aux Ulémas d'acquérir le leadership de la communauté religieuse. Premièrement, les journaux de l'Association ont servi d'outils de propagande. Deuxièmement, les deux autres organismes nationalistes, c'est-à-dire l'Étoile du nord et les Jeunes Algériens ont fait, avec l'AUMA, front commun contre pour éliminer le maraboutisme. Troisièmement, un large réseau d'écoles a été en mesure de favoriser un recrutement national aux idées réformistes de l' AUMA.37 Ce déplacement de religiosité

vers les Ulémas s'est concrétisé par une centralisation de la pratique de l'Islam et il devint alors plus facile pour les groupes politiques d'utiliser ce véhicule pour défier l'autorité coloniale. L'AUMA aura donc, en transcendant les particularismes tribaux et religieux, développé les bases idéologiques pour l'établissement d'un état algérien islamique ou,

34 Ibid., p. 83

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autrement dit, les bases symboliques nécessaires à la constitution de l'islamisme des années 1980. 38

36 Paul Balta, L'Algérie, Coll. Les essentiels Milan, p. 50 37 Laremont, op. cit., p. 86

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Le Nationalisme

Deuxième partie

L'Islam et l'État

Ben Badis et les Ulémas de l'Association ont longtemps hésité au sujet de l'indépendance de l'Algérie. Séverine Labat explique la subtilité du nationalisme de Badis en ces termes: « La pensée de Ben Badis [est caractérisée] par une subtile distinction entre nationalité politique (renvoyant au statut politique d'une communauté) et nationalité ethnique (renvoyant aux caractéristiques sociales et culturelles) ».39 En fait, la pensée de Badis est, tout comme les salafistes, plus influencée par le concept de l' oumma et même de la réhabilitation du califat,40 que par l'établissement d'une nation sous les frontières définies par des puissances étrangères.

Les premières revendications de l'AUMA faites à l'autorité coloniale n'aspiraient qu'à une réforme du concept de citoyen dans la colonie algérienne. C'est en 1939, suite à une série d'impasses que l'Association a finalement opté pour l'indépendance, voyant celle-ci comme la seule solution possible à leurs revendications. En 1940, Ben Badis meurt. L'AUMA lui a survécu, mais elle a perdu, avec sa mort, beaucoup d'influence.

39 Labat, op. cil p. 60

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À la veille de la guerre de l'indépendance, soit en 1954, l'Association prétendra avoir

plus de 10 000 membres.41 Malgré ce nombre, l'impact de l'AUMA est resté limité aux cercles lettrés urbains sans réussir à atteindre la populace.

Un deuxième mouvement a joué un rôle important dans l'Algérie de l'entre deux guerres et dans la guerre d'indépendance. Contrairement à L'AUMA, celui-ci se voulait tout d'abord politique et appliquait la notion de nationalisme en tant que doctrine ~t non pas en tant que valeur collective.

L'Étoile Nord-Africaine, fondée par Messali Hadj,42 est cette autre organisation qill donna au futur État indépendant sa culture politique. Messali Hadj fonde en France un journal nationaliste algérien puis, un an plus tard, en 1925, un parti politique. Tous deux avaient comme nom: L'Étoile Nord-Africaine. Ces deux organes seront dissous quelques années plus tard. En 1937, Hadj fera renaître en Algérie le Parti nationaliste sous le nom de Parti du Peuple Algérien (PPA). Le journal renaîtra aussi en terre algérienne et conservera son nom d'origine, soit L'Étoile Nord-Africaine. En 1939, le Parti politique sera encore une fois dissout, cette fois-ci par le régime colonial. En 1945, suite à des émeutes très sévèrement réprimées par le régime colonial, Hadj fera renaître le PP A sous une forme plus radicale, sous le nom de Mouvement pour le Triom~he des Libertés Démocratiques (MTLD). Ce parti sera supporté par une organisation terroriste

41 Martin Stone, The Agony of Algeria, p. 148

42 Messali Hadj (1898-1974) est né à Tlemcen. TI a étudié à l'école coranique puis s'est joint à la confrérie

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clandestine, l'Organisation Spéciale (OS), menée par Hocine Ait Ahmed et Ahmed Ben Bella.43

Hadj fut arrêté puis déporté en France en 1952. Néanmoins, en 1954, cinq membres du MTLD se sont rencontrés pour établir un Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action, le CRUA.44 Les membres du CRUA ont organisé la rébellion contre les Français. Le 1er novembre 1954, le CRUA deviendra le Fond de Libération Nationale (FLN) avec son aile armée, l'Année de Libération Nationale (ALN).

L'Algérie en guerre

C'est à minuit, le 1er novembre 1954, dans les Aurès que furent donné les premiers coups de feu de l'insurrection. Dès 1956, l'insurrection avait gagné tout le nord de l'Algérie et mobilisait une force de 20 000 hommes.

Au début de la guerre, l'Association des Ulémas musulmans d'Algérie, alors dirigée par Bachir Ibrahimi, opta pour une position statu quo. Sans dénoncer la révolte, Ibrahimi ne l'appuie pas. Par contraste, l'un des membres de l'Association, l'historien Tawfik Madani, a vigoureusement défendu l'insurrection armée. En 1956, ce dernier annonce son adhésion au FLN. Avec la croissance du conflit, de plus en plus d'Ulémas ont opté' pour la ligne dure et, graduellement, tous les membres de l' AUMA suivirent Madani et

43 Martin Stone, op. cit., p. 36

44 Ces cinq membres, soit Mohamed Boudiaf, Mohamed Larbi Ben M'Hidi, Moustafa Ben Boulaid, Mourad

Didouche et Rabah Bitat. Ils furent rejoints dans les deux années qui suivirent par Krim Belkacem, Ben Bella, Mohamed Khider et Aiï Ahmed. Ils sont ceux que

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on nomme communément les « neuf chefs historiques ».

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adhérèrent au FLN. La fusion de l'AUMA avec le FLN, a donné à ce dernier toute la légitimité religieuse qui lUi était nécessaire.45

Même les leaders laïques du FLN ont

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en l'Islam un puissant outil mobilisateur pour la cause nationaliste. L'absorption des thèses islamiques par le FLN a réduit le rôle de l'AUMA, si bien que cette dernière a formellement cessé d'exister en 1957. Le FLN devient ainsi l'héritier du réformisme musulman mis de l'avant par l'AUMA.46 Cependant, cet héritage fut la cause de tiraillements à l'intérieur du FLN. D'un côté, l'aile marxisante affirmait la vocation laïque du parti et son objectif de construire un état nation sur le modèle européen. De l'autre, la tendance islamique dénonçait le remise en cause du caractère islamique des futures institutions nationales. Selon Séverine Labat, l'influence la plus importante du réformisme réside «dans la conjùsion entretenue par le nationalisme radical entre nations et communautés, confusion synthétisée dans le concept d'algérianité ».47 Elle explique le concept « d'algérianité» ainsi: « à la dimension

arabo-berbère de l'Algérie, le mythe de l'algérianité substitua un arabo-islamisme opposé à toutes formes de particularisme ».48 Cette substitution de l'arabo-berbère p'ar l'arabo-islamisme, exprimée par le FLN, a eu comme principale conséquence de s'aliéner la population berbère algérienne.

C'est le 18 mars 1962, après huit années de guerre, que fut signé entre les chefs du FLN et le gouvernement français, un accord mettant fin à 130 années de domination française.

45 Michael Willis, The Islamist Challenge in Algeria, p. 23 46 Labat, op. cit., p. 62

47 Ibid., p. 63 . 48 Idem.

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L'Accord d'Évian reconnaissait l'Indépendance de l'Algérie et le FLN comme le seul représentant légal du peuple algérien.

La guerre aura eu comme effet d'unir sous une même bannière, celle du FLN, les principales forces politiques (laïques ou religieuses) de l'Algérie. Le FLN représente, en quelque sorte, la naissance d'une culture politique algérienne dans laquelle on doit à l'AUMA sa teinte islamique et au mouvement de Messali Hadj son penchant socialiste. L'objectif premier du FLN explique bien cette fusion des partis politiques et de l'AUMA. Ruedy explique cet objectif dans les termes suivants : « the restoration of the sovereign, democratic, and social Algerian state within the framework of Islamic princip/es ». 49 Cependant, les dissensions au sein du FLN demeurent et portent sur ce que devrait être la culture politique de l'Algérie et donc de ce que devrait devenir l'Algérie.

Les Ulémas auront perdu la direction du mouvement nationaliste et du nouvel État, mais leurs thèses auront cependant triomphées. 50 Le caractère national de l'Algérie, tant politique que social, sera désormais toujours grandement redevable à l'Islam.

Le socialisme musulman

L'Algérie indépendante s'est créée dans la confusion. L'État était acquis, mais il fallait

créer les institutions. Au plan économique, le pays était à reconstruire et avec la fuite des techniciens et ingénieurs pieds-noirs ou français, l'industrie algérienne était en panne. S'ajoutait à cette situation la crise sociale, où rivalités et règlements de compte

49 Ruedy, op. cit., p. 159 50 Labat, op. cit., p. 61

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dominaient la scène. Bien que le FLN ait promis au gouvernement français, dans l'Accord d'Évian, de protéger les pieds-noirs, les militaires étant débordés par le chaos général, perdirent le contrôle. Les pieds-noirs, terrorisés, ont fui par dizaine de milliers. Sur une population chrétienne de 1 million d'individus, près de 90% d'entre eux, s'exileront dans l'année qui suivit.51 Les autres chrétiens les rejoindront plus tard, si bien qu'aujourd'hui plus de 99% de la population algérienne est de religion musulmane. Cet exode a eu comme conséquence, entre autres, de créer une homogénéité religieuse en Algérie. Cette homogénéité religieuse sera un obstacle de moins pour un État qui s'est donné comme objectif de défmir l'identité nationale.

Au sein des sphères influentes, la rivalité est grande quant au choix du chef de la nation. C'est Ben Bella et son clan de Tlemcen, qui gagnera cette guerre fractionnelle et qui deviendra le premier Président (1962-1965) de la nouvelle République.

L'Algérie est à l'heure de faire des choix idéologiques. Malgré le fait que Ben Bella ait décidé de faire du slogan de la défunte AUMA « L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue et l'Algérie est mon pays}) celui de la nouvelle république,52 la culture politique du nouveau président est imprégnée des idéaux socialistes de la lignée de Messali Hadj et du MTLD. La« nationalisation du progrès» par un socialisme d'état est, selon lui, la meilleure façon de décoloniser l'Algérie.53 Bien que Ben Bella n'ait pas donné de

définition claire de ce qu'il entendait par socialisme, des groupes religieux voient dans ces thèses marxistes, une opposition à l'idéologie réformiste algérien.

51 Stone, op. cit., p. 41

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Conscient du support populaire dont joui le réformisme au sein de la population arabe et soucieux de légitimer sa présidence, Ben Bella va tenter de fusionner socialisme et réformisme musulman. Il s'inspirera des concepts du socialisme dans l'Islam de Gamal Abdul Nasser en Égypte.54 Il ira même plus loin en développant le concept de socialisme islamique ou socialisme musulman. Le nouvel État adopta et s'appropria donc la tendance réformiste de l'Islam. La fusion de ces deux idéologies qui ont dominé le FLN durant la guerre d'indépendance, a donc donné à l'Algérie sa philosophie du « socialisme

musulman », dans laquelle le socialisme devait être le support économique et l'Islam réformiste le support psychologique. Pour Ben Bella, Islam et socialisme étaient compatibles et c'est autour de ces thèmes qu'il a forgé la Charte d'Alger de 1964 qui avait pour objectif de clarifier l'organisation du nouvel État. 55

Le socialisme musulman semble être la voie du juste milieu, mais l'opposition entre les forces marxistes et réformistes au sein du pouvoir n'en est pas moins évidente. Quelques figures de premier rang élèvent la voix pour contester la direction que prend le nouvel État. L'ancien président de l'AUMA, Bashir Ibrahimi, qui s'était tenu au silence durant la guerre, ne se gêne plus pour dénoncer le gouvernement: « this ha ur is grave. Our cauntry

is sliding nearer and nearer ta hapeless civil war ».56 Il ajoute que ceux qui gouvernent ne semblent pas comprendre que ce à quoi aspire la population est enraciné dans la doctrine arabo-islamique. D'autres du FLN, de l'armée et de la société suivent Ibrahimi

53 Willis, op. cit., p. 37 54 Ibib. p. 38

55 Idem.

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dans une revendication d'un État islamique, si bien qu'en 1963 la tendance réformiste fonde l'Association Al-Qiyam al-Islamiyya (les valeurs islamiques).

AI-Qiyam al-Islamiyya

Dirigée par Hachémi Tedjini, intellectuel francophone et Secrétaire général de l'Université d'Alger, et comprenant des membres aussi influents que Mohamed Khider, l'un des chefs historiques, l'association Al-Qiyam al-Islamiyya s'affaire à défendre les valeurs islamiques, à lutter contre l'occidentalisation et à protester contre le projet détourné du FLN qui aurait dû être, selon elle, la création d'un État islamique. 57 Al-Qiyam se dit être l'héritier de Ben Badis. Du point de vue philosophique, Tedjani, son organisation et leur organe, le Journal «Humanisme musulman» promeuvent les mêmes valeurs que leurs prédécesseurs de l'AUMA. Par contre, Tedjani donne une facette plus radicale au mouvement, facette qu'il emprunte à certains activistes égyptiens comme Al-Banna et Sayyid Qutb.58 Ce nouveau mouvement est plus politique que les réformistes de l'AUMA et annonce déjà une politisation de la tendance réformiste. Comme le souligne Labat:

«Contrairement aux réformistes, benbadissiens, l'association AI-Qiyam donne un contenu idéologique au retour aux sources de l'Islam qu'elle appelle de ses vœux et c'est bien un projet de société, dont il demande à l'État d'assurer la mise en œuvre en usant de son pouvoir de

. . 59

coerCItion ».

L'association aura mis une pression considérable sur Ben Bella. Pour Hugh Robert, l'émergence d'Al-Qiyam est l'évidence que le régime a perdu le contrôle des importantes

57 Labat, op. cit., p. 64

58 WiIlis, op. cit., p. 42 59 Labat, op. cit., p. 64

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sphères religieuses.6o L'association sera dissoute en 1966 (par Boumedienne) suite aux protestations qu'elle émettra lors de l'exécution en Égypte de Sayyid Qutb. Ses membres auront cependant réussi à infiltrer les cercles du pouvoir politique et, de l'intérieur, pousseront vers l'islamisation des politiques d'état.

La nationalisation de l'Islam

Ben Bella et sa faction, avec une orientation trop marxiste pour les uns, trop islamique pour les autres, se sont vus confrontés à des groupes rivaux incontrôlables. Le plus important de ceux-ci fut le clan Oujda avec leur chef Houari Boumedienne.

Boumedienne préparait un coup d'état depuis 1964 contre Ben Bella qu'il avait pourtant soutenu en 1962.61 Le coup eut lieu le 19 juin 1965. Bien orchestrées, les troupes de Boumedienne prirent le contrôle des édifices clés de l'état et arrêtèrent Ben Bella. Ce dernier se retrouva en résidence surveillée jusqu'en 1979, année où il sera libéré par le Président Chadli.

Boumedienne (1965-1978) adopte une nouvelle stratégie concernant les mouvements islamiques, résumée par Hugh Robert autour de deux éléments : combiner la suppression des instances islamiques comme Al-Qiyam et incorporer certains éléments islamiques dans le programme du parti.62 Cette incorporation sélective avait comme objectif de

60 Cité dans Willis, op. cit., p.43 61 Stone, op. oit., p. 50

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construire une image islamique pour le régime. Par exemple, le régime a fait concorder une campagne de répression des institutions islamiques avec une campagne sur la dégradation des mœurs et de la morale; C'est par cette suppression-incorporation que Boumedienne est arrivé à fermer Al-Qiyam en 1966. De plus, des troubles avec la confrérie soufie Alouiyya en 1968 ont donnés l'occasion à Boumedienne d'absorber la rhétorique des réformistes en présentant sa répression comme une lutte au paganisme et à l'obscurantisme des marabouts et des confréries.63

Par contre, cette institutionnalisation de l'Islam, pour emprunter les mots de Séverine Labat, aura des effets majeurs à long terme. L'incorporation de l'agenda islamique par Boumedienne permettra aux Ulémas ou à leurs héritiers d'investir les rouages de l'état. Alors, si l'association Al-Qiyam s'était donnée comme credo de gérer le lègue culturel de Ben Badis, les «néoréformistes » ont profité de leur position au sein du gouyefJement pour récupérer la symbolique léguée par Ben Badis afin d'assurer leur hégémonie sur le plan politique. 64

Ces néoréformistes sont des intellectuels arabophones ou bilingues formés dans les écoles de l'AUMA. Leurs« pères» réformistes ont été exclus du FLN. Les néoréformistes profitent, quant à eux, de l'orientation arabo-islamique pour intégrer le parti au pouvoir. ils vont investir le ministère de l'éducation et c'est par l'éducation que seront véhiculées leurs thèses.65

63 Willis, op. cit., p. 47 64 Labat, op. cit., p. 65

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L'Arabisation

Depuis l'indépendance, l'Algérie s'est lancée dans une conquête culturelle. Cette conquête avait pour objectif de forger l'identité algérienne et de nettoyer celle-ci de l'empreinte laissée par 130 ans de colonisation française. Cette nécessaire révolution culturelle trouva écho dans la sphère politique dans ce que l'on a appelé « les politiques d'arabisation ».

Cette arabisation débuta avec une politique de Ben Bella qui arabisa l'école primaire et qui Y introduisit l'instruction religieuse: Néanmoins, c'est sous Boumedienne que ces politiques arabisantes eurent le plus d'impact. Pour combler le manque d'enseignants qualifiés, l'État recruta en Égypte des instituteurs chargés de défranciser l'Algérie. Parmi ces instituteurs égyptiens se trouvait de nombreux Frères Musulmans qui fuyaient la répression qu'ils subissaient alors en Égypte.66 En plus de former un large réseau de diffusion des idées islamiques, ces instituteurs formeront l'intelligentsia de la future tendance islamiste.

Cette arabisation eut deux conséquences principales. La première fut de créer une dichotomie à l'intérieur de la société entre un système éducatif arabe et un système administratif francophone (ce dernier n'ayant pu suivre la cadence d'arabisation scolaire). La deuxième conséquence fut de créer un large « bassin de recrutement» pour les futures

élites islamistes. Ces deux conséquences constitueront les ingrédients explosifs de la crise sociale des années '80.

65 Labat, op. cit, p. 65

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L'islamismes des années '70

L'islamisme des années '70 est marquée par l'intellectuel Malek Bennabi.67 L'œuvre de Bennabi, qui domine le réseau universitaire d'alors, tourne autour du concept de « colonisabilité » de la cité musulmane, détournée de sa mission première de faire le bien et de réprimer le mal.68 Malek Bennabi prône un réarmement moral collectif porteur d'un élan civilisateur, pour« rénover les cadres de pensée traditionnels légués par les périodes précédentes ».69 En ce sens, il est moins conservateur que ses confrères Ulémas réformistes. Sous Boumedienne, Bennabi dénoncera autant les «nationalistes» que les «fondamentalistes d'état» associés au FLN. Il juge que l'Algérie ne s'est pas débarrassée du colonialisme, mais que celui-ci n'a fait que changer de vêtement et s'incarner dans le gouvernement algérien.70

Bennabi mourra en 1973. Il consacre les dernières années de sa vie à faire des séminaiies dans le réseau universitaire.

li

y enseigne que l'islam est le principal outil que possède l'Algérie pour rattraper le retard teclmologique tout en résistant au «matérialisme occidental ».71 Il ne prône pas pour autant un état islamique.

Bennabi a transmis ses idées aux futures élites islamistes issues des cercles universitaires. Par contre, la valeur intellectuelle de sa pensée sera responsable de la faIblesse du

67 Malek Bennabi est né à Constantine en 1905. TI fera ses études à la fois à récole française et arabe. C'est à cette dernière qu'il sera marqué par la pensée réformiste et par le nationalisme arabe. Vers le milieu des années '30, Bennabi prendra ses distances face à l'AUMA qu'il accuse d'opportunisme golitique. C'est à partir de 1946 qu'il commence à publier ses projets littéraires.

8 Labat, op. cit., p. 77

69 François Burgat, L'Islamisme au Maghreb. p. 142 70 Labat, op. cit., p. 77

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rayonnement de son œuvre au sein du peuple qui était plutôt rejoint par le message des prédicateurs.

Sous Boumedienne, l'Algérie s'est affirmée au niveau international. Le tiers-mondisme, le non-alignement et des coupures culturelles à l'intérieur du Maghreb ont donné aux Algériens un référentiel identitaire duquel ils pouvaient être fiers: l'Algérie. Ainsi l'Algérie, durant l'ère Boumedienne, devenait non plus le rêve d'une élite, mais la fierté de tout un peuple. Boumedienne mourut subitement en 1978. Le FLN se réunit alors en session extraordinaire afin d'élire un successeur. Deux clans s'opposent: l'un appuyant Abdelaziz Boutéflika, l'autre Salah Yahiaoui. À la surprise générale, c'est le colonel

Chadli Bendjedid qui sera élu. Le nouveau président aura un défi de taille, celui de gérer la place, non défmie, de l'Islam au sein de la société algérienne.

De la colonisation française jusqu'aux années 1980, la contestation sociale provenait principalement des groupes religieux francisants, c'est-à-dire issus de l'éducation francophone. Certaines politiques de l'Algérie indépendante auront résultées en la formation d'une nouvelle classe religieuse et éduquée: les arabisants. C'est avec eux, au début des années 1980, que s'effectuera un transfert de l'Islam contestataire, soit du réformisme salafisme à l'islamisme.

Les mouvements religieux ne se contenteront plus de revendiquer ou de contester, mais voudront conquérir le pouvoir et investir les sphères politiques, car seul un dirigeant qui craint Dieu sera juste. TI se développera alors une idéologie politique de l'Islam:

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l'islamisme. Chadli Bendjedid fera alors face à un mouvement plus populiste qu'intellectuel et c'est ce mouvement de masse qui engendra la seconde révolution algérienne.

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Chapitre 2

L'Islam et la crise sociale algérienne

Chadli Bendjedid hérite d'une Algérie dans laquelle commence à émerger de graves problèmes socio-économiques. La création d'une économie socialiste, sous l'ère Boumedienne, a résulté en une lourde dette extérieure, dette que le pays n'arrive plus à financer à cause de la chute drastique des prix du pétrole dont l'Algérie est dépendante.

À la décroissance économique, s'ajoutent des changements démographiques majeurs.

Entre 1965 et 1988, la population de l'Algérie a pratiquement doublé, passant de 12 millions à 23,6 millions de personnes.72 Le résultat de cet ensemble de facteurs est facile à déduire: la nouvelle jeunesse arrive dans un marché du travail où l'emploi n'existe pas. Selon les chiffres officiels de l'État de 1989, sur 845 0000 chômeurs, 66% d'entre eux étaient des jeunes entre 15 et 24 ans.73 On estime à 100 000 le nombre d'emplois crées par année à la fin des années '80, alors que le nombre de nouveaux travailleurs arrivant

sur le marché du travail à cette même époque se situait entre 200000 et 300000.74 Il ne reste plus que deux possibilités pour cette jeunesse en mal de vivre : émigrer ou résister au régime.

Le militantisme islamique commence à bouillonner dans les premières années de la présidence de Chadli Bendjedid. En Iran, en 1978, soit à la même année que Bendjedid

72 Ricardo René Laremont Islam and the politique of resistance in Algeria, p. 177

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prit le pouvoir, le Shah est renversé par la mouvance islamique. Ceci aura des répercussions en Algérie, comme partout ailleurs dans le monde arabe. Pour les militants islamistes, la révolution iranienne est venue réactiver la mémoire de la révolution algérienne, détournée par une élite occidentalisée. L'agitation islamiste s'accroît et Bendjedid, ayant observé les méthodes musclées de Reza Shah contre les islamistes iraniens, décide d'adopter une méthode plus conciliante. La présidence de Chadli Bendjedid se caractérise donc par de croissantes concessions aux thèses islamiques. Il va opérer un recentrage de l'État autour des valeurs islamiques de façon encore plus nette que ses prédécesseurs. L'influence des néoréformistes dans le gouvernement Chadli trouve son expression tant dans l'étalement de l'éducation religieuse à tous les niveaux que dans le lancement de nouvelles campagnes contre la dégradation des mœurs et dans une réforme du code de la famille.

En octobre 1988, une révolution s'est mise en marche en Algérie. Elle fut l'œuvre de la jeunesse algérienne. Par leurs réseaux de mosquées et par leur proximité avec cette jeunesse, les islamistes sont apparus comme étant les seuls à pouvoir incadrer cette jeunesse revendicatrice. De son côté, un État paniqué s'est mis à la recherche de représentants de cette population à qui il pourrait s'adresser. Ainsi, les islamistes se sont

retrouvés porte-parole de cette jeunesse insurgée. L'Algérie des années 1970 et 1980 à connu plusieurs composantes islamistes, mais une seu1e s'est traduite en un mouvement de masse, celle qui est née d'octobre 1988, le FIS.

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Première partie

Les tendance islamique

n

est difficile de cerner, de façon précise, les différentes tendances de la mouvance islamique algérienne, chaque auteur y allant de ses propres définitions et conceptualisations. Aux différentes tendances de cette mouvance islamique, s'ajoutent certaines distinctions méthodologiques.

Pour le bien de ce travail, nous allons conceptualiser la mouvance islamiste algérienne du début des années '80, en trois tendances:

• La tendance« djaz'ariste» (algérianiste), d'orientation Islamo-Nationaliste.

• La tendance «orientaliste », composée de ceux qui se réfèrent aux Frères Musulmans égyptiens et à un international islamiste.

• La tendance des prédicateurs, regroupant des imams indépendants qui drainent une large partie de la population.

La Djaz'ara (l'algérianisme)

La mosquée de la faculté centrale d'Alger est, depuis la fin des années '60, un centre de

«formation des élites islamistes ». En 1982, suite à des affrontements entre islamistes et gauchistes (majoritairement Berbères), les autorités prennent la décision de fermer la mosquée. En réponse à cette fermeture, Abassi Madani75, Cheikh Sahnoun76 et Cheikh

75 Abassi Madani est né le 28 février 1931 à Sidi Okba. Fils d'un imam, Abassi reçoit de son père un

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