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Jouer le jeu : vers une mise en scène interactive

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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UNIVERSITE DU QUEBEC A CHICOUTIMI

MEMOIRE ACCOMPAGNANT L'ŒUVRE PRÉSENTÉE À

L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À CHICOUTIMI COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE ES ARTS

PAR

PIERRE TOUSIGNANT

JOUER LE JEU:

VERS UNE MISE EN SCÈNE INTERACTIVE

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Ce travail de recherche a été réalisé à l'Université du Québec à Chicoutimi

dans le cadre du programme

de la Maîtrise es arts

CONCENTRATION : CRÉATION

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RÉSUMÉ

Dans le cadre actuel du jeu vidéo, le joueur est invité à participer, à différents niveaux, à des œuvres interactives ayant un volet narratif plus ou moins présent, plus ou moins imposé. La participation du joueur à la narration est celle d'un catalyseur : il favorise la réaction sans pour autant être transformé. Le joueur est sollicité au niveau du jeu, du défi, de la performance et, par un effet de balancier, le jeu développe la narration en fonction de la performance du joueur. Mais le joueur, même par l'action de son avatar, reste toujours séparé de l'histoire, cantonné à son rôle de catalyseur.

Cette relation entre le joueur et l'histoire joue un rôle central dans une industrie en plein développement, en expansion. Chaque année, de nouveaux jeux proposent de nouvelles variations, de nouvelles explorations de cette relation. Dans le cadre de ce projet, nous proposons d'explorer une avenue possible où le joueur serait amené à participer à la narration sur une base différente des propositions traditionnelles.

Par le biais d'une création (un ou plusieurs mini-jeux, niveau partiel ou microscénario), nous voulons amener le participant à prendre des décisions basées sur la psychologie de son personnage et non pas sur des critères de performance définis par un système de récompenses et punitions (points).

La construction narrative de l'avatar ne saurait restreindre les stratégies du joueur face à la situation dramatique présentée par le jeu. Ces deux facettes de la narration sont reliées entre elles par un lien ludique plutôt que narratif. Des jeux comme Indigo Prophecy (Cage, 2005 ; Pajitnov, 1984) ou Heavenly Sword (Hibon et Kristensen, 2007) sont des exemples illustrant bien ce point : au cours de l'histoire, le jeu impose au joueur de changer d'avatar. Dans le cas du jeu Indigo Prophecy, le joueur incarnera tour à tour un policier

afro-américain du Bronx, une policière issue du ghetto italien et le suspect principal. Dans le jeu Heavenly Sword, le joueur alterne entre deux sœurs, la première à l'allure classique est l'archétype de l'héroïne, l'autre, plus novatrice, montre des signes de déficience intellectuelle. Ces changements de rôles n'influencent pas le joueur au-delà des possibilités mathématiques de l'avatar. Le fait déjouer la simple d'esprit: Kai, dans

Heavenly Sword, n'influence en aucun cas notre compréhension de la narration, notre façon d'appréhender l'environnement, et finalement nos choix finaux de stratégies.

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Nous voulons, dans le cadre de ce projet, proposer au joueur un lien différent avec son avatar. Un lien qui explore le rôle de ce dernier dans le jeu, une relation qui permet au joueur d'explorer le personnage dans un contexte narratif. En modifiant le design de l'avatar, le contexte, les environnements et les buts possibles, nous essayerons d'influencer l'approche du joueur, ses tactiques, ses stratégies. Dans le cadre de ce projet, nous voulons démontrer que l'avatar est principalement un vecteur ludique et tenter d'établir les bases d'une proposition de version narrative dans le contexte du jeu vidéo.

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Remerciements

Michael La Chance, directeur de ce projet

L'équipe de production : • Maxime Masse • Mathieu Goulet • Adam Harvey • Vanessa Fillion-Tremblay • Félix-Antoine Lauzon • Pierre Fouilloux • Jean-Richard Beaudry Un ensemble de professeurs inspirants :

• Sébastien Primeau, • Oliver Sykes, • Alexandre Sabourin, • Hau Nghiep Phan, • Dave Hawey

• Jacques-Bernard Roumanes "What's bred in the bone "

• Nancy Nadeau • Claude Giguère • Daniel Bissonnette

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 3

TABLE DES MATIÈRES 6 LISTES DES FIGURES 8 INTRODUCTION 9 CHAPITRE 1 12 RÉFLEXIONS 12 1.0 L'homme qui voulait savoir 12 1.1 L'avatar comme point de départ 13 1.2 Positionnement du créateur, du destinataire et du média dans un contexte interactif. 13 1.3 Le conflit entre l ' auteur et le j oueur, entre la narrativité et l ' interactivité 17 1.4 Types d'émotion que le jeu vidéo peut susciter 19 1.5 Fondations d'une expérience 22 CHAPITRE 2 24 INFLUENCES D'UNE INDUSTRIE 24 2.0 Le second âge d'or du jeu vidéo 24 2.1 Le «jeu »dans le jeu vidéo 25 2.2 Équilibre entre la narrativité et l'interactivité 27 2.2.1 Narrativité, environnement narratif 28 2.2.1.1 Avancement audio-visuel 33 2.2.2 L'interactivité 34 2.2.3 Jouabilité 36 2.3 Le joueur 37 2.4 Le joueur versus le non-joueur 37 2.5 Conclusion du positionnement 39

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CHAPITRE 3 41 CRÉATION ET PRODUCTION 41 3.0 Choix finaux de design et motivations 41 3.1 Public cible,persona 42 3.2 L'histoire et le moment narratif 42 3.3 Contraintes et limitations 43 3.4 Choix rejetés 43 3.5 La bible : conception et développement 45 3.5.1 Traitement narratif. 45 3.5.2 Traitement visuel 46 3.5.3 Développement des personnages 47 3.5.4 Développement des environnements 49 3.5.4.1 Montréal comme toile de fond 51 3.5.4.2 L'espace de l'interacteur 52 3.5.5 Principales mécaniques de jeu 54 3.5.5.1 Le contrôle du joueur 54 3.5.5.2 Environnement physique du niveau 54 3.5.5.3 Intelligence artificielle 55 3.5.6 Interface et navigation 55 3.5.7 Sauvegarde 56 3.5.8 Une production qui n'en est pas une 56 CONCLUSION 57 BIBLIOGRAPHIE 61

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LISTES DES FIGURES

Figure 1 : Tableau comparatif de la jouabilité et de la narrativité 11 Figure 2: La vision de la matrice par Neo (Wachowski et Wachowski, 1999) 30 Figure 3 : Gordon Freeman dans le jeu Half-Life II ((Speyrer, 2004) 31 Figure 4: Nariko et Kai (Hibon et Kristensen, 2007) 32 Figure 5 : exemples de dessin de Bruce Timm (2012) et d'Yves Chaland (2003) 46 Figure 6 : Évolution visuel de Louis-Joseph, l'avatar 47 Figure 7: Louis-Joseph Montferrand 48 Figure 8: Environnement typique 50

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INTRODUCTION

All the world's a stage, And all the men and women merely players: William Shakespeare

The world is a stage The stage is a world of entertainment Howard Dietz

Narrativité, interactivité et jouabilité. Ces trois mots, à l'image du mythique serpent Jormungand qui se mord la queue dans une boucle sans fin, entourent de leur unique anneau le monde du jeu vidéo. Nous voulons conter des histoires par le jeu vidéo, l'utiliser comme une forme d'art, fasciner notre public, l'ensorceler, le charmer, l'amener à réfléchir, toutes ces choses que le cinéma, la littérature et les médias classiques s'emploient à faire. Pour y arriver, le jeu vidéo emprunte à la littérature, au cinéma, aux jeux, à la télévision, à la poésie, à la peinture, à la musique et possiblement à tous les autres médias. Il emprunte autant les codes de ces derniers que leur contenu. Mais réussir cet exercice, c'est réussir à conter une histoire d'une manière différente, unique, propre à l'univers du jeu vidéo, conter une histoire d'une manière différente des médias classiques et ne pouvant être reproduite par ces derniers.

La narrativité doit être définie pour le jeu vidéo, elle peut emprunter au cinéma, à la télévision, au théâtre, mais elle doit être intégrée à l'interactivité. Chris Crawford (2003:263), dans son article « Interactive Storytelling » circonscrit bien la place que doit occuper une narration interactive, il définit bien ce qu'elle devrait être : « L'usager doit être capable de faire des choix dramatiques intéressants ». L'interactivité doit être au cœur de la création. C'est l'essence même du jeu vidéo : une requête constante de l'auteur à son destinataire. Lee Manovich (2003:14) décrit ainsi la relation entre l'usager et l'auteur : « Une pluralité infinie d'états différents de la même œuvre, la symbiose de l'auteur et de l'usager- l'usager pouvant modifier l'œuvre par l'interactivité ». L'intégration de ces deux paramètres, leur fusion, définit la jouabilité de

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l'œuvre.

Si nous plaçons à un extrême du spectre un jeu sans narration, une œuvre abstraite visuellement, mais parfaitement ensorcelante, comme Tetris (Pajitnov, 1984)par exemple, nous avons un jeu parfait, interactif, qui répond aux critères proposés par Roger Caillois (1967) de Y agon et du ludus. Pourquoi ne pas nous en satisfaire ?

À l'autre extrême, nous pouvons placer un film comme Ryan de Chris Landreth (2004), qui utilise le plein potentiel des images de synthèse, en s'éloignant des poncifs imposés par l'animation traditionnelle, en créant un langage nouveau, puisant dans le potentiel des images de synthèses - mais sans l'interactivité. Pourquoi ne pas nous en satisfaire ?

Pourquoi vouloir à tout prix une œuvre réclamant de son public une constante approbation tant par son ludisme que par son art? Pour Tetris, cela veut dire sacrifier le pur plaisir de jouer. Pour Ryan, cela veut dire sacrifier la création pure. Si nous voulons charmer, séduire et provoquer par ce nouveau média qu'est le jeu vidéo, alors nous devons composer avec les extrémités de mon spectre afin de satisfaire à ce légitime objectif.

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A "I'" Axe de la concialiation A ^ e t a l G e a r Solid IV A HeavyRatn • * Incfrgo prophecy .Tangente de la complémentarité k l A. Noir» A *>"' Esther A The Path Ik Passage The Grave Yard laM-Ufe II

Grind Theft Auto IV

Aeioshock

A WincCommander A Cithern

AG-an

A Echecs (version électronique)

A Soduku (version électronique)

kAnjrv Birds

A Super Meat Boy A Pacman

A Tetris

Jouabilité

Figure 1 : Tableau comparatif de la jouabilité et de la narrativité

II est possible d'imaginer un graphique qui opposerait sur deux axes la jouabilité et la narrativité, en évaluant les parts de jouabilité et de narrativité de divers jeux. Comme la plupart des jeux s'inscrivent dans des courants forts de commercialisation et sont élaborés dans un milieu presque hermétique, il est facile de les placer sur une médiane entre les deux pôles. Seulement des jeux faisant le choix conscient de s'éloigner de ces deux paradigmes peuvent aussi s'éloigner de cet axe. Les jeux se retrouvant sous cette médiane seront des jeux qui auront échoué ou qui reposent sur des bases simplement autres.

Un second axe peut être imaginé. Sur cet axe, nous retrouvons des jeux qui proposent un équilibre nouveau entre la jouabilité et la narration. Ces jeux sont expérimentaux et explorent justement une balance différente entre ces deux paramètres.

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CHAPITRE 1 RÉFLEXIONS

1.0 L'homme qui voulait savoir

Nous aimerions proposer une anecdote qui illustre bien notre propos. En 1990, nous étions quelques amis à regarder ensemble le film néerlandais Spoorloos, en français L'homme qui voulait savoir, de George Sluizer (1988). Signe des temps, nous regardions le film sur un magnétoscope.

Brève description du film : Saskia et Rex, jeune couple en vacances en France, s'arrêtent à une station-service. La jeune femme va chercher des rafraîchissements. Elle ne reviendra jamais. Rex passera

désespérément les trois années suivantes à sa recherche.

Raymond a une femme et deux filles. Il mène une vie bourgeoise qui semble normale en tout point. Mais c'est lui qui a enlevé Saskia. Fasciné par la détermination de Rex, il l'observe. Trois ans vont passer. Un jour, Raymond écrit à Rex, le rencontre et propose de lui apprendre ce qui s'est passé. Pour ce faire, Rex doit

boire une tasse de café. Rex demande alors à Raymond si le café est empoisonné. Le silence de Raymond est éloquent : il ne fait aucun doute que le café est empoisonné. Pour avancer dans l'histoire, Rex n'a qu'un choix : boire le café.

C'est à ce moment du film qu'un de nos amis décide d'interrompre le film. Considérons cette

intervention comme une interaction. Une interactivité simple sur la temporalité du film, sur la narration. Puis l'ami nous pose une question : que ferions-nous à la place de Rex? Nous avons tous à peu près répondu la même chose : nous ne boirions pas le café puisque nous le savons empoisonné. Une réponse logique et sensée. Puis un autre de nos amis a demandé : que fera Rex? Est-il prêt à boire le café? A-t-il le profil psychologique nécessaire pour faire ce geste? Est-ce que le film (le réalisateur, le scénariste, l'auteur) a bien campé le personnage pour qu'il agisse ainsi ? Allons-nous y croire? Allons-nous accepter ce geste qui est, au regard de notre première réponse, une aberration pour nous?

Cette pause durant le film a donc forcé une réflexion sur le film, nous amenant à nous poser des questions sur notre perception, notre compréhension et notre interprétation de plusieurs scènes, mais surtout du personnage. Et nous n'aurions jamais fait cet exercice de déconstruction sans cette forme minimale

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d'interactivité : la possibilité de suspendre le récit en forme de question.

Transposée dans le contexte interactif du jeu vidéo, notre première réponse est celle du joueur qui applique sa logique à la diégèse proposée, la deuxième est celle du protagoniste, l'avatar. C'est cet espace, cette différence entre l'un et l'autre qui nous intrigue et que nous nous proposons d'explorer.

1.1 L'avatar comme point de départ

L'avatar se veut le porte-parole du joueur dans le jeu, son héraut. C'est le portail par lequel le joueur s'insère dans le continuum narratif du jeu et l'influence. À travers son avatar, le joueur s'exprime dans l'œuvre — c'est à tout le moins le but recherché par le créateur de jeux vidéo. À cause de la relation inédite joueur|avatar -^histoire, le joueur occupe un espace nouveau dans le contexte de l'œuvre. Un espace ambigu, à définir dans le contexte actuel de l'interactivité et de la narrativité. Portée par un vecteur technologique possiblement sans précédent, la relation joueur|avatar diffère de la relation empathique classique entre le personnage principal et le destinataire puisque l'avatar, et par extension le joueur vont influencer le déroulement de l'histoire. Et cette proposition met l'auteur en porte-à-faux avec à sa propre création.

Dans le cas de Spoorloos, que faudrait-il proposer au joueur pour qu'il arrive à la conclusion que son doppelgànger doit boire la tasse de café? Quelles conditions semblent les plus intéressantes, d'un point de vue narratif? D'un point de vue interactif? Mais surtout, du point de vue de l'élusive jouabilité? Que faut-il proposer au joueur — et que pouvons-nous attendre de ce joueur? Est-ce que cette situation dramatique est aussi intéressante dans un média interactif que dans le film? La réinterprétation de cette question dans un nouveau contexte est-elle pertinente? Qu'avons-nous à gagner à suivre cette piste?

En 1962, SpaceWar (1962), possiblement le premier jeu vidéo, voit le jour. La même année, à une question posée en 1958, Umberto Eco (1965) aborde le thème de l'œuvre ouverte. Eco propose dans son essai que « l'œuvre d'art est d'un côté un objet dont on peut retrouver la forme originale, tel qu'elle a été conçue par l'auteur » - p . 17. Si le créateur ouvre la porte à l'avatar, le jeu vidéo est-il résolument une œuvre ouverte ?

1.2 Positionnement du créateur, du destinataire et du média dans un contexte interactif

II y a une distance entre l'écrivain et le lecteur, entre le réalisateur et le spectateur, entre tout créateur et

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quatre cents ans séparent les lecteurs actuels du Don Quichotte de son auteur, Cervantes. Plusieurs milliers de kilomètres et un fossé culturel séparent le mangaka et ses lecteurs belges, reconvertis de Tintin à Death Note. Le sens de la lecture, la traduction, les symboles graphiques, etc. viennent interférer entre le mangaka et le bédéphile. Cet espace entre le créateur et le consommateur est rempli d'une matière noire, une substance hypothétique qui remplit l'univers, qu'Umberto Eco (1985:95) définit comme l'encyclopédie, n'est pas une constante, mais une variable dans l'équation.

Nous pouvons aisément concevoir que cette distance n'est ni immuable ni fixe. Le lecteur a toujours la possibilité d'apprendre le japonais et de s'imprégner de la culture nippone, peut-être de vivre quelques semaines ou quelques mois au Japon pour réduire l'écart et ainsi mieux appréhender l'œuvre. Le créateur peut ne vouloir créer une œuvre que pour l'initié. L'initié pourra apprécier une œuvre offrant un défi à son érudition, l'investissement de l'un et de l'autre comblant ainsi la distance.

Certains éléments peuvent être ajustés pour réduire cette distance : le destinataire peut être éduqué, préparé, voire manipulé à recevoir l'œuvre. Une campagne de marketing, par exemple, peut préparer le terrain pour le nouvel opus d'un auteur. Par le style de l'auteur, son approche, sa manière, cet écart, à l'inverse, peut être figé. Romain Gary, voulant altérer ce lien intrinsèque, s'était créé un alter ego : Emile Ajar. Bernard Perron (2007a:24), pour le cinéma de genre, présente ainsi la situation « Avant même qu'ils soient assis dans la salle de cinéma, des intermédiaires culturels (bandes annonces, publicités, promotion et les critiques de film) vont permettre aux destinataires d'inférer l'histoire. » [je traduis]. Cette distance peut être ajustée aussi a posteriori de l'acte de création. Par exemple, au théâtre, en fait pour tous les arts de la scène, le metteur en scène pourra adapter l'œuvre à l'époque actuelle, transposer Vérone et les conflits familiaux de Roméo et Juliette dans le contexte urbain des guerres de gangs de rue, ajoutant à l'œuvre et modifiant cette relation entre Shakespeare et le spectateur. L'acteur peut encore ajuster l'espace relationnel en adaptant son jeu au public, d'une manière globale, mais aussi, d'une manière spécifique, soir après soir en fonction de la réaction du public qui peut applaudir, chahuter, huer ou simplement ne pas être convaincu.

Cette chaîne de transformation de l'œuvre est à retenir: l'œuvre voyage, se transmute, se modifie constamment avant d'être, comme le dit Umberto Eco (1965), consommée par son destinataire.

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Lancée sur cette distance entre un créateur et son auditoire, nous retrouvons l'œuvre, transformée par le média. Ce média transporte l'idée du créateur vers le destinataire, porte l'œuvre, établit un pont entre l'un et l'autre, et définit largement l'expérience. Le média impose des règles, certains codes sont entendus, certains signes sont attendus. Ainsi chaque média a ses propres contraintes et limitations techniques, son histoire, une portée sociale, définit une forme spécifique de narrativité et ainsi de suite. Jay Bolter et Richard Grusin (1999:65) proposent une définition simple du média : un média est ce qui transforme (remediates).

L'arrivée des jeux vidéo, mais surtout l'arrivée de l'hyperfiction, ajoute une composante à l'équation : l'interaction, une relation bidirectionnelle : le destinataire doit maintenant réagir à l'œuvre ; il doit répondre à des questions, des demandes du créateur - le créateur peut donc, par ces mécaniques établir une réciprocité avec le destinataire.

Le destinataire a toujours eu une certaine liberté de manipuler le média et, par conséquent, le message. Le livre est presque immuable comme média; de sa corporalité, le lecteur ne peut tirer que très peu

d'information sinon sa position approximative dans l'histoire. Ainsi, le lecteur chevronné devine qu'il doit attendre un rebondissement s'il reste encore quelques chapitres1 dabs ce récit. Le lecteur peut aussi sauter

directement à la fin, relire un passage, corner une page pour y revenir, faire des annotations. Roland Barthes (1973), dans Le plaisir du texte, dira:

Nous ne lisons pas tout avec la même intensité de lecture; un rythme s'établit, désinvolte, peu respectueux à l'égard de l'intégrité du texte; l'avidité même de la connaissance nous entraîne à survoler ou à enjamber certains passages (pressentis « ennuyeux ») pour retrouver au plus vite les lieux brûlants de l'anecdote, -p. 18 et 19.

La tmèse affaiblie de Barthes et le plaisir du lecteur s'opposent à l'intégrité de la diégèse. Arturo

Perez-Reverte (1994) fait dire ceci à son personnage :

Le cinéma est une affaire de masses: collectif, généreux, avec ses enfants qui applaudissent quand arrive le septième régiment de cavalerie. Et il s'améliore à la télévision: les films se regardent à deux, ils se commentent. Par contre, tes livres sont égoïstes. Solitaires, -p.258.

Le film qui à l'origine a été conçu pour être vu dans une salle noire est, dans cette forme, presque

hermétique. Il sera édité, editable dans le contexte du cinéma-maison postmoderne : le spectateur peut faire

1 Le lecteur utilise une somme d'informations extradiégétique : sa connaissance de l'auteur, de son style, du genre de littérature, possiblement d'éléments grappillés ici et là comme des critiques et des analyses du livre.

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un arrêt et un retour pour revoir une scène, un détail, comprendre une ligne de dialogue en la rejouant, etc. Il peut même - grâce aux nouvelles technologies - accéder à des informations supplémentaires : sous-titres, commentaires du réalisateur, de l'auteur, traduction, etc. Toujours dans Le plaisir du texte, Roland Barthes (1973) réclamait l'autonomie sémiotique de l'œuvre. Dans le contexte actuel, avec la surenchère

d'information et de possibilités, il semble presque impossible de définir la forme initiale de l'œuvre telle que conçue par le créateur.

Un paradoxe, un clivage, s'installe : d'une part, les technologies qui sous-tendent l'œuvre en

fragmentent l'essence : si le réalisateur peut facilement anticiper l'expérience du cinéphile dans la salle noire, le film explose dans sa forme domestique. Mais les technologies qui s'inscrivent dans l'œuvre - depuis l'arrivée de l'hypertexte - renforcent son intégrité structurelle.

Avec l'arrivée de l'hypertexte, cette flexibilité n'est plus une caractéristique du média, mais une condition. Pour avancer dans l'histoire, Phyperlecteur doit constamment répondre aux requêtes de l'auteur-créateur. L'auteur sollicite constamment le lecteur, directement. Il le questionne, l'éduque, le teste et

finalement le dirige. L'auteur peut bloquer le joueur et s'assurer qu'il a bien assimilé une notion précise avant de lui permettre de progresser.

Si le créateur exerce sur son destinataire un contrôle croissant et dans une mesure physique, il peut imposer des contraintes de temps, de performance, il peut obliger le joueur à regarder une scène; il doit en revanche offrir à ce dernier une pluralité de possible, ouvrir l'œuvre et laisser au destinataire un nouvel espace.

Si Umberto Eco (1965), nous l'avons mentionné plus tôt, demande que l'œuvre puisse être retrouvée dans sa forme originale. Dans le cas des jeux vidéo, cette forme n'existe pas. L'œuvre n'existe qu'une fois jouée et aucune version ne sera la forme originale. Le destinataire, par ses décisions et sa manière déjouer,

change le jeu, sa structure, sa durée, son contenu et même sa fin. Il est un facteur incontournable de la forme finale de l'œuvre.

Janet Murray (1997) positionne la créativité du joueur, de l'interacteur, comme ceci :

L'auteur procédural d'une narration électronique est comme un chorégraphe qui fournit les rythmes, le contexte et les pas pour la performance. L'interacteur, qu'il soit un navigateur, un protagoniste, un explorateur ou un constructeur, utilise ce répertoire d'éléments pour improviser une danse particulière parmi les variations

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possibles envisagées par l'auteur. Nous pouvons dire que l'interacteur est l'auteur d'une performance particulière à l'intérieur du système, ou l'architecte d'une zone donnée d'un monde, mais nous devons distinguer entre une paternité dérivée et la paternité originale dudit système, —p. 153 [je traduis].

Sandy Louchait et Ruth Aylett (2004) exposent ainsi le paradoxe :

Le rôle du joueur est un élément clé du conte interactif, si le joueur est considéré comme un auteur ou un participant à l'histoire ayant un impact majeur. La contradiction entre «être un auteur» et «être un participant » est un élément important du paradoxe narratif mentionné précédemment. D'un côté, l'auteur recherche le contrôle narratif pour donner au récit une structure acceptable. De l'autre côté, le participant demande une autonomie pour agir et réagir sans subir des contraintes créatives explicites, -p.2 [je traduis]

Murray voit le joueur comme une variable de l'équation, donnant une variation possible de l'œuvre procédurale. En réponse, Louchart et Aylett balisent les demandes de l'auteur et du participant.

Dans le jeu Bioshock (Hellquist, 2007), les joueurs rivalisent d'imagination pour se débarrasser des « big daddies», utilisant simultanément les divers mécanismes fournis à cette fin par les concepteurs du jeu. L'internet regorge de recettes pour achever ces derniers. Les créateurs du jeu Bioshock n'avaient

possiblement pas anticipé cet engouement ni cette créativité de la part des joueurs. Lors d'une baladodiffusion, un des programmeurs du jeu, Jordan Thomas (2009) admet que certains mécanismes n'étaient pas planifiés à l'origine, mais qu'ils ont émergé d'eux-mêmes. Dans le cadre du jeu d'échecs, nous parlerions d'une parade ou d'une défense en lui donnant le nom de son auteur. Mais dans le cas de Bioshock, il y a les éléments dramatiques du jeu, l'ambiance, etc. Si un joueur abat un « big daddy » avec une

combinaison novatrice de méthodes, qu'il exécute ses mouvements avec la précision et la bravoure du toréador, qu'il choisit un endroit précis dans la mégapole, qu'il en réalise une vidéo, ne vient-il pas de créer un film, une œuvre unique, une création que les créateurs du jeu n'avaient pas imaginée? Ce n'est plus juste une variation de l'œuvre originale, n'est-ce pas plutôt une nouvelle œuvre ? Et qui en est l'auteur ?

Il est aisé de voir l'interacteur de Murray comme un acteur, un artiste qui vient compléter l'œuvre initiée par le créateur originel. Le jeu n'existe pas tant qu'il n'est pas joué — comme une pièce de théâtre avec son metteur en scène et ses acteurs.

1.3 Le conflit entre l'auteur et le joueur, entre la narrativité et l'interactivité

Le joueur est invité à participer, à interagir à un niveau ludique/compétitif et à un niveau narratif. Dans le cadre du jeu ou du jeu vidéo, nous donnons au joueur des instructions très précises. Un sous-ensemble

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de ces instructions donne au joueur les paramètres nécessaires pour compléter le jeu, un second sous-ensemble de ces règles détermine les paramètres pour gagner. Un sous-ensemble supplémentaire d'instructions, sans être complémentaire aux premières, mais pouvant y être greffé, définit comment le jeu s'intègre dans une fiction.

La majorité des jeux classiques, non vidéo, donne un contexte narratif global: les pièces du jeu d'échecs proposent un monde médiéval, le jeu de Monopoly, une ère industrielle et ainsi de suite. Le contexte se veut narratif et s'ancre dans une fiction. Le jeu Bataille navale, par sa simplicité, n'a aucun besoin de la fiction pour être joué ou compris, mais la fiction, l'enrobage narratif, aide à donner une prise au jeu dans notre imaginaire. Nous donnons un contexte narratif, mais l'histoire n'a pas besoin de se développer

dramatiquement. La reine du jeu d'échecs ne trahira pas le roi des blancs par amour du cavalier en B1. Une fois le contexte donné, le joueur peut simplement le sublimer.

Le jeu vidéo propose une relation souvent similaire à celle du jeu traditionnel. Par exemple, toujours dans le jeu Bioshock, il sera expliqué au joueur qu'il peut recueillir des magnétophones personnels laissés en arrière par les différents personnages du jeu. Le jeu peut facilement être terminé sans avoir collecté

l'ensemble des magnétophones, l'aspect narratif du jeu ne devant, idéalement, jamais empiéter sur son aspect ludique. Nous y reviendrons plus loin. Dans Bioshock, ce sont des magnétophones, dans Amnesia, the Dark Descent (Grip, Nilsson et Hedberg, 2010), les pages d'un journal personnel, etc. Nous cacherons quelques fois un code secret, une information nécessaire pour faire avancer le jeu et valoriser l'artifice, mais cette information sera facilement accessible, à un moment opportun, sans conséquence sur le déroulement du jeu. Ces artifices narratifs, la scénographie des niveaux et les cinématiques sont les outils narratifs disponibles pour guider le joueur à travers l'histoire, faire avancer la trame dramatique.

Nous proposons donc au joueur deux ensembles distincts de règles: l'un régissant l'interaction, l'autre la narrativité. Comme le jeu ne peut être complété que par l'application des premières, le créateur du jeu aura tendance à favoriser celles-ci et aura tendance à négliger la narrativité. Il en ira de même pour le joueur qui veut compléter le jeu et voir la fin l'histoire. Le jeu est considéré comme complété lorsque le joueur a gagné et non pas lorsque l'histoire est terminée. Les deux coïncident uniquement par un artifice : comme le jeu est

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complété, le système amorce la cinématique finale, basée sur un ensemble de règles prédéterminées basées sur des éléments de la performance du joueur et de ses choix.

Jasper Juul (2005) fait ressortir le prix que la créativité paie à l'interactivité : abandonner au joueur le contrôle de certains paramètres de l'histoire, sinon d'éléments complets de celle-ci. Plus l'interactivité est complète, plus l'abandon du contrôle est total, moins la proposition originale du créateur transparaîtra. Le jeu vidéo parfait serait l'équivalent d'un éditeur de texte: le joueur pourra imaginer sans fin son univers sans contraintes aucunes. L'exemple de l'holodeck de Star Trek, repris par Janet Murray (1997), est l'exemple parfait de ce problème : l'holodeck est un environnement ludique futuriste qui propose une immersion totale et une interactivité complète, mais les programmes proposés, les jeux, sont toujours à la merci de l'utilisateur. Le modèle de l'holodeck, modèle préconisé par Janet Murray, passe par une interaction totale — sans considération pour l'histoire. Le modèle narratif est alors clairement asservi à l'interactivité.

Aujourd'hui, cet équilibre est perdu par l'utilisation de cinématiques, où la narration du récit n'est pas intégrée au ludisme de l'œuvre : nous enlevons le contrôle au joueur, pour lui conter une partie essentielle du récit en revenant à une approche cinématographique.

La balance entre la narrativité et l'interactivité - que nous avons définie en introduction comme la jouabilité — penche presque toujours vers l'interactivité — nous verrons plus loin les raisons possibles de cette

tendance, mais ce modèle est celui qui prédomine actuellement. Cette approche propose une relation entre le joueur et le jeu, où l'avatar semble principalement devoir simplement fournir au joueur un espace physique,

un «placeholder ». L'extrapolation de ce résultat peut être entrevue, toujours dans l'exemple de l'holodeck de Janet Murray où le joueur sera totalement immergé dans le jeu et n'aura plus besoin d'un avatar. Les

prémisses de ce continuum commencent dès aujourd'hui avec des technologies comme la Kinect de Microsoft, la captation de nos mouvements et l'utilisation d'un avatar que nous avons adapté et qui nous représente.

1.4 Types d'émotion que le jeu vidéo peut susciter

Nous voulons d'emblé émettre l'hypothèse que le jeu vidéo peut générer un éventail d'émotions similaire à celui qu'engendrent les médias classiques tels que le cinéma, la littérature, le théâtre, sinon dès

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aujourd'hui, certainement dans un futur rapproché. Il est vrai que le jeu vidéo peut certainement faire peur, créer chez le joueur un sentiment d'euphorie dans la réussite, de frustration dans l'échec; toutefois, le jeu vidéo n'a pas encore prouvé qu'il pouvait générer des émotions complexes telles que le ressentiment, la culpabilité, la jalousie, etc.

Si nous pouvons discerner des informations diégétiques et extradiégétiques, nous pouvons faire une différence similaire en ce qui a trait aux émotions. La victoire du joueur peut être considérée comme extérieure à l'œuvre : l'impression d'avoir terminé un jeu en ayant bien performé sera semblable d'un jeu à l'autre et principalement relié à la difficulté perçue du jeu. Il en est de même de la frustration d'échouer à un niveau. Mais de ressentir un malaise devant le désarroi du père dans le premier chapitre de Heavy Rain (Cage, 2010) peut être considéré comme est une émotion diégétique, interne à la structure du jeu et modulée par un lien empathique avec le contexte proposé. Toujours dans Heavy Rain, dans un des exemples les plus pertinents à ce jour, le joueur/avatar doit se couper un doigt pour satisfaire à une des demandes du « tueur aux origamis ». Le jeu offre au joueur plusieurs outils possibles pour accomplir cet acte : scie, couteau, hachette, etc. Les émotions ressenties par le joueur appartiennent à l'univers du jeu: les choix proposés et les réactions suscitées, et ultimement le succès de la scène proviennent de la relation établie entre l'auteur et son

destinataire.

En ce moment, l'interactivité s'oriente vers le résultat. Cette base de réflexion, pensons-nous, aliène nécessairement le joueur du développement dramatique de l'histoire et présuppose un argumentaire narratif axé sur un principe interactif dichotomique échec/réussite. Chaque jeu est une machine à états, quelle que soit la granularité de chaque résolution de problème. L'œuvre existe alors dans un nombre fini de formes que le joueur peut approcher systématiquement. L'œuvre est interactive, mais elle n'est pas ouverte au sens

qu'Umberto Eco l'envisage. De plus, cette relation interaction/jeux et narration/récit repose sur une réciprocité causale et conduit à une coupure entre le joueur et le spectateur de l'œuvre.

Dans son film Spoorloos, George Sluizer prend plus d'une heure et demie pour établir son personnage, élaborer, devant le spectateur, sa structure psychologique pour permettre finalement à ce dernier d'accepter le dernier geste du protagoniste. Boire le café empoisonné est une décision extrême dans une situation tout aussi

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extrême. Dans ce scénario, il est plus que probable que le destinataire/spectateur n'a aucune référence -aucun lien « encyclopédique » avec ce que vit le personnage. Sluizer doit donc, en grande partie, bâtir ce lien sinon il court le risque de perdre le spectateur au tout dernier moment. Il doit,pour cela exposer certains aspects de la vie du personnage, insister sur certains points, éduquer le spectateur. C'est un processus complexe, comportant un haut risque d'échec.

David Cage propose une expérience tout aussi complexe dans son jeu Heavy Rain, mais dans un média interactif, le destinataire devant maintenant participer et suivre des règles du jeu plutôt que celles de la dramaturgie. Emilie Short, dans son article sur la toile Analysis: Heavy Rain's Storytelling Gaps (2010), résume bien le paradoxe résultant de la rencontre des deux contextes :

Ceci ne veut pas dire qu'un mécanisme ludique ne pourra jamais représenter le choix du protagoniste. Comme je l'ai écrit précédemment, certains mécanismes sont efficaces pour mesurer la ténacité du protagoniste. Le labyrinthe des pylônes électriques démontre à tout le moins la place idéale pour ce type de mécanismes. Le problème de ce défi narratif comme mesure de la détermination fonctionne seulement si le joueur est prêt (et encouragé) à jouer la scène encore et encore jusqu'à ce qu'il réussisse. Heavy Rain

décourage plutôt le joueur d'approcher les défis de cette façon. J'ai recommencé le puzzle plusieurs fois avant de réussir, mais en ayant l'impression de briser la fluidité du jeu plutôt que de faire un usage efficace de l'interactivité afin de vivre une fusion efficace de l'expérience du protagoniste et de celle du joueur, [je traduis]

Les choix narratifs ici viennent trahir la relation joueur-avatar, dans le but avoué de ne pas trahir la relation avatar-histoire. Nous retrouvons ces choix tout au long de l'histoire alors que l'avatar échappe au contrôle du joueur ou que le jeu n'offre pas au joueur le contrôle désiré. Toujours dans Heavy Rain, dans une séquence classique de polar, le joueur doit fouiller l'appartement d'un probable complice du tueur aux origamis. Deux lignes narratives seront présentées au joueur :

a) boire le vin drogué offert par le complice;

b) fouiller la maison alors que le complice est parti chercher de la drogue.

La complexité du scénario et de la situation permet des déclinaisons de possibles alternatifs comme de sortir de la maison, de brandir une arme (que l'avatar possède) ou de fouiller la maison à un autre moment, mais ce ne sont pas des scénarios proposés. Cela place le joueur dans une situation ambiguë face à l'œuvre

interactive : d'une part il est sollicité et impliqué dans la structure narrative, mais d'autre part, l'auteur le force à choisir entre deux scénarios prédéterminés réduisant l'interactivité à un choix dramatique dichotomique. Cet exemple met bien en évidence le rapport faussé entre l'auteur, le joueur et l'avatar dans le cadre narratif.

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1.5 Fondations d'une expérience

Tout au long de notre réflexion, nous avons démontré que le rapport entre le créateur et le destinataire est totalement redéfini lors de l'introduction de l'interactivité comme paramètre narratif. L'interaction ouvre la porte au destinataire dans la diégèse. Ses actions un impact sur le déroulement de l'histoire. Cette corrélation a une conséquence double sur l'œuvre :

• d'une part, elle dissocie le destinataire de son avatar, le destinataire étant principalement un intervenant ludique dans le contexte global du jeu alors que l'avatar participe comme élément narratif;

• d'autre part, elle crée une tension narrative entre le récit structuré du créateur et la restructuration idéalisée du destinataire.

Un premier constat s'impose ici : si nous voulons explorer une nouvelle relation entre le joueur et son avatar, nous devons réévaluer le rapport entre l'interactivité et la narration. Si nous voulons que le joueur participe au récit, nous devons lui créer un nouvel espace narratif.

Nous pouvons représenter la relation entre le réalisateur et le spectateur au moyen du personnage comme ceci:

Réalisateur -> Personnage principal -^ Spectateur

Cependant dans l'univers des jeux vidéo, il faut composer avec l'interactivité. Le concepteur doit créer son histoire pour donner au joueur un espace pour interagir: espace physique, espace narratif. Le joueur est libre d'un certain nombre de choix : choix de caméra, choix de trajets à travers l'environnement, choix d'actions. La relation, dans le contexte du jeu vidéo, pourrait donc s'inscrire ainsi:

Créateur du Jeu -> Avatar <- Joueur

Un conflit apparaît donc entre le créateur et le joueur. L'avatar est contrôlé par deux entités n'ayant pas nécessairement les mêmes buts: parmi ces buts, le créateur du jeu tente de raconter une histoire alors que le joueur, au-delà de l'histoire, tente principalement de gagner, de terminer le jeu.

Revenons à Spoorloos. Si c'était un jeu, Rex devrait donc prendre le café, mais c'est le joueur ici qui devra prendre cette décision. Pour le moment, elle est prise en fonction d'une volonté de gagner, de terminer

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la partie et non pas basée sur une juste compréhension du personnage et de l'histoire. Dans les jeux vidéo courants, la décision du joueur est prise en parallèle de l'environnement narratif. Nous voulons proposer un scénario différent où le joueur devient cocréateur de l'histoire ayant le même but que le créateur. Nous voulons donc réécrire la relation ainsi :

Créateur du jeu -^ Avatar/personnage principal ^—^ Joueur

II faut enfin comprendre que le créateur aura comme contrainte de créer l'histoire en fonction de la compréhension que s'en donnera le joueur. Cette nouvelle proposition suppose une relation accentuée entre l'auteur et le joueur. Si le réalisateur peut compter sur l'empathie du spectateur dans la salle obscure, dans le cas de notre jeu vidéo, il faut plutôt imaginer la relation entre un metteur en scène et son acteur, relation où le metteur en scène dirige l'acteur à chaque pas, à travers sa construction de l'histoire. La relation devient donc :

Créateur du jeu/réalisateur -> Avatar/personnage principal <--> Joueur/acteur

Dans ce scénario, le joueur est partie prenante de l'histoire, de la narration, mais son implication n'est pas de nature compétitive, mais, idéalement, de nature narrative. L'avatar[joueur et l'acteur|personnage partagent le même espace dans l'œuvre.

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CHAPITRE 2

INFLUENCES D'UNE INDUSTRIE

En ce début de millénaire, le jeu vidéo est un immense laboratoire. Structure de réflexion s'étendant dans ce qui semble toutes les directions : le jeu vidéo a ouvert la boîte de Pandore de l'interactivité, revisite la notion d'immersion, la notion de jeu et force une réflexion sur la narrativité. Il se retrouve au cœur des débats sociaux, remplaçant la télévision comme agent de dissolution du tissu social : il fait grossir nos enfants, mais aussi les éveillent, les rend plus rapides, plus assurés. Il est « sérieux », « occasionnel », « indépendant » et plus encore. Il est le renouveau du cinéma, mais aussi sa mort. C'est un champ d'exploration où il y a plus d'hypothèses, de théories que de réponses.

Le jeu vidéo peut être certainement défini comme une industrie, tout autant qu'une forme de

divertissement, et le débat continue ad nauseam alimenté par des commentaires comme celui de Roger Ebert en 2007 à savoir si c'est, aujourd'hui, une forme d'art. Caillois (1967), tout au long de son essai sur le jeu, même lorsqu'il aborde le mimicry ou Vilinx ne s'approche jamais du débat sur l'art: le derviche tourneur tourne pour l'extase et non pas pour son art. L'acteur, lui, joue à croire. Ian Bogost (2011), Brenda Brathwaite et Ian Schreiber (2009), pour ne nommer qu'eux, consacrent chacun un chapitre de leur livre et font un recensement des ténors de cet argumentaire.

Dans ce chapitre-ci, nous allons nous efforcer de circonscrire le champ de notre réflexion à cet univers et voir comment notre projet s'insère dans le contexte actuel du jeu vidéo.

2.0 Le second âge d'or du jeu vidéo

Le jeu vidéo peut être considéré comme un produit, généré par une industrie, une industrie en santé qui plus est. L'industrie du jeu vidéo est en plein essor. Elle est en rapide évolution, soucieuse de produire des revenus, 67 milliards en 2012 (Gaudiosi, 2012). Les statistiques dans le monde du jeu vidéo sont, depuis un quart de siècle, toujours incroyables: un marché en pleine expansion, des percées technologiques à chaque détour, une industrie florissante résistant aux pires crises économiques. Rien dans le jeu vidéo, au tournant du millénaire, n'est modeste. C'est un monde en constante révolution, en constante recherche tant à ce qui à trait

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à la technologie, de l'audiovisuel et aux principes de la jouabilité.

Il est facile de comparer la vitalité de cette industrie à celle du cinéma des années 1920 et 1930. Et, à l'instar du cinéma, c'est aussi un nouveau média qui cherche encore ses artistes2. Sur un sujet similaire, l'une

des racines du jeu vidéo, l'image de synthèse, Edmond et Norbert Hillaire (2003) ont dit:

Les images de synthèse, dans un premier temps, sont peu employées par les artistes (du fait de leur technicité même). Celles que l'on peut voir sont essentiellement des images produites par des laboratoires de recherche scientifiques ou industriels, à l'occasion de quelques grandes manifestations internationales annuelles dédiées

aux nouvelles images - p . 128.

Le jeu vidéo traverse, dans ce sens, une période similaire de son évolution. Étant encore dans son enfance, hanté par les technologies et victime des paradigmes qui ont fait son succès économique. De ce point de vue, il semble que les études et les réflexions sur et par cette industrie sont teintées par ce succès. Brenda Brathwaite, lors du GDC 2011 (2011), fait remarquer que les jeux sont faits pour le profit

-simplement parce que le système semble construit autour de cette idée, que les recherches actuelles tendent à explorer ce qui fonctionne, ce qui rend le jeu attrayant pour un public le plus large possible.

2.1 Le « jeu » dans le jeu vidéo

Roger Caillois, dans son livre Les jeux et les hommes (1967), recense quatre grandes familles ou catégories du jeu: Y agon, Yilinx, Y aléa et la mimicry. La majorité des jeux vidéo peuvent se classer

facilement dans Y agon : les jeux basés sur la compétition. Et nous retrouvons aussi des jeux se classant dans Yilinx (la recherche d'un vertige), la mimicry (l'acceptation temporaire d'un univers fictif, d'une illusion ) ou Y aléa (les jeux de hasard, de chance). En ce sens, le jeu vidéo peut être facilement intégré dans la continuité du jeu en général comme une forme primaire d'activité humaine.

Toutefois, le syntagme « jeu vidéo » est sur le point de devenir un terme fourre-tout couvrant un champ tellement vaste de créations, de sujets, de technologies qu'il semble presque désuet à utiliser en terme de

2 Les compagnies de jeux vidéo utilisent une armée d'artistes, très souvent recyclés, en provenance d'autres domaines comme le cinéma, le dessin animé, la bande dessinée. Ces artistes s'inscrivent dans les courants de pensée de leur propre domaine sans réfléchir aux impacts et conséquences de leur implication sur et par le média que pourrait avoir le jeu vidéo. Le média ne compte encore que quelques penseurs, souvent d'heureux accidents de parcours, et les réflexions sur l'état de la question se résument souvent à demander une réflexion justement sur l'état de la question.

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signifiant.

Il est presque impossible de bien décrire ce média tant il est diversifié par sa forme et sa finalité. Le jeu vidéo peut être joué en ligne, sur une console, sur un ordinateur personnel, sur un téléphone intelligent, sur une tablette, joueur contre joueur, en équipe, en réalité augmentée, etc. De plus, les technologies et les techniques propres au jeu vidéo sont utilisées de plus en plus dans des domaines variés: le jeu sérieux, les simulations, le jeu occasionnel, l'éducation, etc.

Jasper Juul propose, dans la prémisse de son livre Half-Real (Juul, 2005), six règles pour circonscrire ce qu'est un jeu :

1- un système basé sur un ensemble de règles; 2- ayant une série de fins possibles quantifiables; 3- où une valeur est attribuée à chaque fin possible; 4- où le joueur doit exercer un effort pour modifier la fin; 5- où le joueur est émotivement attaché à la fin;

6- et les conséquences du jeu sont optionnelles et peuvent être négociées. -P.36 [je traduis]

Cette approche permet de discriminer des segments de marché émergent comme le serious gaming où le joueur n'a pas d'investissement émotif et dont les conséquences sont non optionnelles ni négociables3.

Jasper Juul ne considère pas que l'interactivité soit un critère, mais il implique que « le joueur doit exercer un effort ». De même, il n'inclut pas la narrativité, toutefois le joueur « doit être émotivement attaché à la fin ».

Et si nous comparons la liste de Jasper Juul à la catégorisation de Roger Callois, nous verrons qu'elle exclut, à tout le moins, deux des quatre catégories de ce dernier: le mimicry et Yilinx qui ne présume pas de fins possibles quantifiables4. Juui prend position sur le jeu dans le contexte du jeu vidéo. Roger Callois prend

position sur le jeu dans sa globalité.

3 L'utilisation de mécanismes de jeu pour une certification serait un exemple de fin non optionnelle et ne pouvant être négociée. 4 h'alea est aussi contestable, si nous considérons la règle 4 : celle de l'effort.

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2.2 Équilibre entre la narrativité et l'interactivité

Si nous considérons le jeu vidéo comme un média qui se développe sur deux axes, la narrativité et l'interactivité, il appert que les deux n'ont pas besoin d'être équilibrés, mais semble nécessaire, même sous une forme minimale de l'une ou de l'autre.

Comme nous l'avons mentionné dans le chapitre précédent, des jeux comme Tetris (Pajitnov, 1984), Pac-man (Iwatani et Funaki, 1980), Q-bert (Davis et Lee, 1982) ou les plus récents Auditorium (Stallwood et Saint, 2008) et Tiny Wings (Illiger, 2011) n'utilisent qu'une narration minimale. Cette narration permet toutefois au joueur d'intégrer la fictionalité du jeu et ses règles.

Le jeu Wing Commander IV (Roberts, 1996) présente au joueur un film de science-fiction avec des acteurs de cinéma, entrecoupé de séquences de jeu. Le joueur devait réussir une mission donnée pour avoir accès au chapitre suivant. Après avoir terminé le jeu, c'est le film que le joueur raconte et non pas les séquences d'interaction. L'intégration de l'interaction et du contexte narratif est minimale, mais donne au joueur la satisfaction d'avoir réussi le jeu puisqu'il a pu voir l'ensemble du film.

La combinaison de ces deux axes sous-tend un concept propre au jeu vidéo: la jouabilité (gameplay). La jouabilité peut être vue comme un état ou une forme de l'interactivité. Dans la plupart des ouvrages dédiés au jeu vidéo, la jouabilité se définit comme le plaisir que le joueur en retire. In extenso : le terme plaisir dénote une recherche exclusivement positive de l'expérience. Si le joueur ne retire pas de plaisir, le jeu est considéré comme un échec. En ce sens, les joueurs (gamers) forment un bloc relativement homogène. Ce n'est pas tant qu'ils ont un profil societal similaire, loin de là, mais ils ont certainement une attente du jeu comparable.

Bernard Perron (2007a) propose une dynamique similaire dans son article Horror Video Games: Essays on the Fusion of Fear and Play :

Le spectateur, se rendant voir un film comme Anaconda, adopte conséquemment une attitude réceptive, comprenant que le film confirmera son plaisir dans le genre, respectera les règles du film d'horreur et jouera avec ses attentes. Et c'est l'essentiel du « plaisir» -p.22 [je traduis]

Mais le cinéma et l'ensemble des médias classiques permettent, admettent et encouragent aussi des œuvres où la recherche du plaisir n'est pas un but. Les œuvres de Peter Greenaway ou de Lars von Trier n'ont rien à voir avec le plaisir, il s'agit d'autre chose.

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Depuis quelques années, plusieurs membres de l'intelligentsia du jeu vidéo demandent à l'industrie de réfléchir, de s'éloigner du plaisir comme finalité et d'explorer de nouvelles avenues. Parmi les ténors de ce réquisitoire, nous trouvons Warren Spector au Sommet du jeu de Montréal, en 2004 (vision qu'il révisera en 2008), Ernest Adams (2006) dans un pamphlet sur le web, Jonathan Blow encore au Sommet du jeu de Montréal en 2008. La requête sera encore répétée par Jason Rohrer, toujours au Sommet du jeu de Montréal, en 2011.

Si le concept de narrativité est commun à tous les médias, l'interactivité est le paramètre différenciateur qui permet de suivre et de comprendre le développement des jeux vidéo. C'est par l'interactivité que le jeu vidéo réécrit même ses modes narratifs.

Toutes les composantes du média : l'interface, la technologie, le graphisme, la musique, les effets sonores, le méta-gaming, la fluidité du jeu sont influencés par ces deux axes et influent sur eux.

2.2.1 Narrativité, environnement narratif

Lire un livre ou une bande dessinée, regarder un film ou une pièce de théâtre, jouer à un jeu vidéo : une histoire, pour exister, doit être transposée dans un média. Une histoire peut être créée pour un média

particulier ou être adaptée pour être transférée dans un nouveau média; dans ce cas, elle sera radicalement modifiée, ce que Jay Bolter et Richard Grusin appellent remédiatisation (1999). De la littérature au ballet, à l'opéra, au théâtre, au cinéma et maintenant au jeu vidéo, chaque transfert apporte, modifie, enlève des éléments clés : éléments visuels, éléments sonores, éléments dramatiques, etc. La narration est tributaire de ces éléments. Les médias que nous pourrions qualifier de plus traditionnels peuvent composer avec un ensemble de règles, de conventions sinon clairement établies; du moins longuement débattues, explorées et éprouvées.

Dans le cas d'une transposition vers le jeu vidéo, un média encore dans son enfance, l'exploration et la compréhension des impacts d'une remédiatisation en sont encore à leurs balbutiements. Dans les dernières années, l'interaction et les graphiques connaissent des poussées spectaculaires, l'histoire, ou d'une manière plus large, l'environnement narratif, soumis à la dictature de la jouabilité, semblent immanquablement souffrir dans ce ménage à trois. L'environnement narratif doit répondre à plusieurs contraintes créatives telles que

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permettre la construction de plusieurs espaces (levels) intéressants tant par leur qualité visuelle que par leur potentiel ludique et narratif, procurer un nombre d'heures de jeu adéquat, etc. Dans un jeu comme Grand Theft Auto /F(Garbut, Fowler et Roger, 2008), l'environnement narratif doit supporter plusieurs sous-histoires et offrir au joueur une ouverture sans précédent, ce qui est communément appelé un jeu « sandbox ». Jay Bolter et Richard Grusin proposent que «la réalité virtuelle soit immersive, ce qui veut dire que c 'est un média dont le but est de disparaître». Ce n'est plus une histoire qui se passe à Liberty City (New York); Liberty City est l'histoire. Le jeu offre au joueur un minimum d'indications et un environnement : les bas-fonds sordides d'une ville. Dans cet environnement, le joueur choisit ses missions, gagne de l'argent et avance dans le monde interlope. Le jeu se veut une simulation plus qu'une narration.

Nous avons vu que, dans le cadre du jeu Bioshock, 2K Games ont pris le parti de donner au joueur un avatar sans personnalité : son rôle est celui d'un amnésique5 qui se voit dirigé, piloté dans l'histoire par des

personnages périphériques. Cette option convient très bien à une optique où le joueur pilote l'avatar à travers l'histoire et où nous laissons le joueur être, somme toute, lui-même et décider de son rôle dans l'histoire. Mais qu'arrive-t-il si nous voulons créer un personnage étoffé ayant une psychologie complexe ancrée dans un passé trouble et truffé d'événements sordides? Ou si nous voulons que ce personnage lié à notre

environnement narratif prenne une décision à la fois liée au personnage et à l'environnement?

Cette relation entre le joueur et le jeu, par le biais de l'avatar, peut prendre de multiples formes et a déjà donné lieu à de nombreuses expérimentations par le passé. Marie-Laure Ryan (2009) décrit ainsi la relation du joueur au jeu :

Un jeu ludus, par ailleurs, est strictement contrôlé par des règles acceptées par les joueurs comme une partie prenante du contrat du jeu. Ces règles mènent à un état clairement défini : le joueur a perdu ou gagné et son plaisir se trouve dans l'excitation de la compétition et la satisfaction de résoudre les problèmes, -p.46. [je traduis].

L'avatar est absent de cette définition, de même que la narration dans son ensemble, ce sont les règles et la relation du joueur à ces dernières qui priment. Sur les fondations de cette règle, il est aisé de comprendre que si le joueur est représenté par un avatar, cet avatar n'influence jamais l'approche et les stratégies du joueur

5 Cet artifice est fréquent dans le jeu vidéo, donnant ainsi un réceptacle vide au joueur. Les jeux Mass Effect 2, Amnesia the Dark

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face à la situation présentée par le jeu. L'avatar peut être considéré de façon abstraite comme un ensemble numérique précis de force et de faiblesse, une formule mathématique complexe, invisible, mais prévisible. Quelque chose qui pourrait ressembler à cela:

AVATAR = Si ( 10 points de vie * 100 points d'énergie / nombre de coups reçus) > X alors ceci arrive sinon cela arrive.. C'est ce que Perron et Wolf (2003) décrivent dans leur introduction à une théorie du jeu vidéo :

Finalement, au cœur de chaque jeu vidéo se trouve l'algorithme, le programme qui contient les procédures contrôlant les graphiques et les sons, les entrées et les résultats qui interfacent avec le joueur.

-p. 15 Lie traduis].

L'utilisation narrative de l'avatar peut être ignorée dans le contexte du jeu ou bien sublimée par le jeu : par exemple si le joueur perd un certain nombre de points de vie, d'énergie, le jeu représentera cet état en mettant

l'avatar en état de dépression. C'est aussi la métaphore proposée par les frères Wachowski dans le film The Matrix (1999) : Neo voit finalement la matrice pour ce qu'elle est : des lignes de code. Le joueur, lui. ne s'est jamais laissé berner.

Figure 2: La vision de la matrice par Neo (Wachowski et Wachowski, 1999)

L'avatar/formule mathématique peut être inséré dans un système encore plus complexe. Le jeu vidéo est donc une somme d'équations complexes et sophistiquées que le joueur doit résoudre pour gagner. À l'heure actuelle, pour réussir un jeu vidéo, il faut absolument gagner en cumulant soit un maximum de points soit un minimum de dommages, dans un temps imparti, etc. Ce concept peut être camouflé de différentes manières: points de vie, points d'énergie, etc. Au Tic-Tac-Toe, créer une ligne suffit : maximum de

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points/minimum de dommages. Au Monopoly, il faut avoir enlevé tout l'argent de ses compétiteurs. Comme le Monopoly est infiniment plus complexe que le Tic-Tac-Toe, un jeu vidéo peut être plus complexe que le Monopoly. Mais si l'abstraction entre le jeu et son objectif est de plus en plus complexe, le résultat est essentiellement le même : gagner selon les règles proposées et imposées.

Certains jeux n'ont pas cette règle pour gagner. Par exemple, les simulations, qui ont des règles pour perdre (votre avion peut s'écraser, votre ville brûler), mais aucune pour gagner.

Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'objectif, omniprésent, teinte complètement l'expérience du joueur et le contraint à une relation unidimensionnelle avec son avatar et. par extension, à la narration de l'histoire.

Par exemple, dans le jeu Half-Life (Pichford, 1998) et Half-Life II (Speyrer, 2004) le joueur tient le rôle de Gordon Freeman, scientifique particulièrement futé qui doit déjouer une conspiration interplanétaire. Publié en 2004, Half-Life II a révolutionné le jeu vidéo à bien des égards et est considéré, encore aujourd'hui, comme une de ces oeuvres les plus achevées. Il est joué à la première personne (caméra subjective - First Person Shooter). Le joueur ne se voit donc jamais. Il n'est jamais rappelé qu'il tient le rôle d'un professeur binoclard avec une barbichette tel que l'on voit sur la boîte ou dans la publicité. Le site web du jeu présente plusieurs images du jeu, mais aucune du personnage principal (Valve, 2009).

Figure 3 : Gordon Freeman dans le jeu Half-Life II «Speyrer, 2004)

L'intelligence de Freeman est celle du joueur, l'adresse de Freeman, l'adresse du joueur. Par souci de ne pas briser ce postulat, le jeu ne demandera jamais à Freeman-joueur de résoudre une équation de formule

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quantique, même si Freeman-avatar est, sur le plan narratif, capable de le faire. La vaste majorité des joueurs en seraient, eux, incapables.

Un autre exemple: certains jeux vont offrir au joueur un ou plusieurs rôles tout au long du jeu. Il faut noter le travail admirable du jeu Heavenly Sword(Hibon et Kristensen, 2007) qui a su créer deux personnages distincts et intéressants: Naruko et Kai. Si Naruko tend vers le stéréotype de l'héroïne sculpturale mythique au destin tragique, Kai offre une vision inattendue de la « folle du village » très rafraîchissante. Une situation similaire est proposée dans le jeu Indigo Prophecy (Cage, 2005). Ici, nous devons être alternativement une détective de descendance italienne, un détective du Bronx et le tueur possédé, chaque chapitre étant joué par l'un ou l'autre des personnages.

Dans ces deux cas, la transition d'un personnage à l'autre se fait sans charge émotive, sans réelle conséquence narrative ou autre. Ce jeu nous force à changer de personnage, de la façon dont un autre jeu nous proposerait des armes différentes en fonction du niveau et des objectifs. Si le design des personnages est prometteur, il n'a aucun impact sur le destinataire. Que nous jouions Kai ou Naruko, notre tactique reste essentiellement la même - tuer les soldats ennemis, terminer le niveau, terminer le jeu.

Figure 4: Nariko et Kai (Hibon et Kristensen, 2007)

Remarquons au passage que d'autres médias ont utilisé ce mécanisme. Le Dracula de Bram Stoker, des films comme L'appartement de Gilles Mimouni (1996), par exemple, Z de Costa Gavras (1969) et Rashomon du réalisateur Kurosawa (1950) utilisent aussi cette technique des multiples points de vue. Dans

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ces films, le passage d'un personnage à un autre permet de changer l'histoire, amenant le spectateur sur de fausses pistes, à changer son opinion en fonction d'éléments révélés par des points de vue différents. Nous ne retrouvons rien de cela dans des jeux comme Heavenly Sword, Indigo Prophecy ou Heavy Rain, le joueur restant toujours en contrôle de l'avatar qu'il habite, même s'il change d'avatar.

2.2.1.1 Avancement audio-visuel

Un des principaux vecteurs qui permet au jeu vidéo d'être narratif est le développement de sa composante audiovisuelle. Les plates-formes de plus en plus puissantes permettent de générer des images et des animations de plus en plus complexes, des graphiques et des ambiances sonores de plus en plus raffinés.

Au gré de cette avancée, le jeu vidéo devient progressivement une forme d'art. Des artistes et des designers sont de plus en plus attirés vers ce média. Pour l'instant, le jeu vidéo semble entrer dans son âge néoclassique. Il est encore confronté à ses démons, à l'obligation de présenter un réalisme amédiatisé6.

Les avancées graphiques permettent d'explorer des avenues, d'ouvrir des chemins qui auront des conséquences sur divers aspects du jeu. La recherche de réalisme n'est pas une finalité ou même une nécessité - on peut penser au jeu Passage de Jason Rohrer (2007) - mais les outils et les méthodes de travail élaborés dans son sillage permettent de pousser divers champs et donnent aux artistes l'occasionde s'exprimer librement.

Cette pression constante que l'industrie exerce sur la technologie, le graphisme, les environnements demande des outils plus performants et bien adaptés aux artistes. Couchot et Hillaire (2003) annoncent l'arrivée d'une vague de technologues irrémédiablement suivie par une vague d'artistes. Au début, les artistes auront les mêmes buts, les mêmes préoccupations que les technologues : résoudre des problèmes artistiques par une technologie. Éventuellement, une fois les problèmes résolus ou en travaillant sur un autre problème, l'artiste s'émancipera de la gangue technologique comme finalité pour l'utiliser comme un outil harnaché à sa créativité.

6 Le terme « unmediated presentation » traduit librement par « représentation amédiatisée » a été emprunté à Jay Bolter et Richard Grusin Boiter et Grusin, Remediation: Understanding new media. Ce terme est préféré à photoréalisme pour décrire la présentation de la réalité.

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Des jeux indépendants comme Facade (Mateas et Stern, 2005,), The Path (Harvey et Samyn, 2009,) ou The Graveyard (Harvey et Samyn, 2008,) sont autant d'exemples de projets libérés des demandes

technologiques de l'industrie, mais utilisant l'ensemble des outils développés dans la poussée phénoménale de cette recherche d'une représentation amédiatisée7.

2.2.2 L'interactivité

Marida Di Crosta (2006) positionne ainsi l'interactivité :

...car, sur le plan de l'expression artistique et de la narration, l'interactivité doit être prise en compte non seulement en tant que nouvelle dimension organisant ce qui se joue entre le contenu et ses destinataires, mais aussi en tant qu'élément interne à ce contenu, à la fois forme et matière de l'expression, principe constitutif et qualité esthétique intrinsèque de l'œuvre audiovisuelle elle-même. —p.l

Le jeu vidéo est interactif : il renvoie au joueur une variation de la création basée sur son effort. Ce qui distingue ce nouveau média des médias classiques. Il est aussi concevable que l'interactivité soit l'un des plus grands bouleversements qui ait affecté la narrativité. L'interactivité doit déterminer l'essence de l'œuvre et être au centre de la relation entre l'auteur et le destinataire. L'interaction peut être vue comme une forme de sollicitation du créateur qui attend une réponse précise, prévisible et quantifiable du joueur. Et, en retour, cette interaction a un impact sur l'œuvre : le joueur en influence le scénario, la durée du jeu. Comme suite des événements, le joueur pourra visiter certaines sections, certains passages secrets et en ignorer d'autres — selon son humeur et son inspiration.

Il est donc pertinent d'examiner en quoi les dispositifs interactifs différencient le jeu vidéo des médias classiques ou préinteractifs et voir comment cela peut influencer le joueur ou le spectateur, l'histoire, la narration et ultimement l'œuvre.

Le concept de sauvegarde, par exemple, influence aussi notre relation à l'histoire: il est ainsi possible de rejouer une scène pour en modifier le dénouement, essayer des variations et en évaluer les conséquences. Cette liberté accordée au joueur est unique au jeu vidéo (même le jeu n'offre pas cette flexibilité). Gonzalo

7 Le réalisme graphique vient en tête de liste, mais en termes d'interactivité et de jouabilité, l'idée de réalisme s'étend aussi à l'environnement sonore, à la précision de la physique, de l'interaction entre le joueur, son avatar et son environnement. Le réalisme demande une fluidité, une quantité de détails qui doivent être créées puis gérés.

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Frasca (2000) formule l'hypothèse, dans son texte « Ephemeral games: Is it Barbaric to Design Videogames After Auschwitz? » qu'un jeu ne saurait être dramatique sans un mécanisme de sauvegarde revu.

Dans le même ordre d'idées, la relation à la mort est absolument faussée dans le contexte du jeu vidéo, alors que le joueur possède plusieurs vies, peut sauver sa partie et revenir en arrière. Ce schisme face aux médias classiques est majeur. Premièrement d'un point de vue dramatique, le joueur n'aura pas le même investissement émotif, sachant que son avatar est pour ainsi dire immortel et, deuxièmement, d'un point de vue systémique, puisque la seule façon de tuer un personnage dans le contexte d'un jeu est de l'extraire du contexte interactif et de l'isoler dans le contexte narratif, il est mis hors de portée des mécaniques du jeu et du joueur. Le personnage meurt lors d'une cinématique par exemple et le joueur n'y pourra rien : le jeu n'est plus interactif.

La forme finale de l'interactivité est encore à définir. Janet Murray suppose que sa forme parfaite sera le holodeck de Star Trek : une expérience sensorielle immersive amédiatisée. Une expérience totale requérant une implication complète du participant (physiquement et intellectuellement). La technologie actuelle ne permet pas encore d'entrevoir une telle interface homme/machine, mais même si cela était possible, nous n'avons pas encore les outils narratifs pour supporter cette interactivité.

Il est très facile d'imaginer un écrivain se disant que son roman plongera le lecteur dans l'univers de la mafia, de la police, de l'armée, de la banlieue misérable. Son roman nous placera au milieu de l'action, dans la peau du personnage. Par ses descriptions, nous comprendrons ce monde de l'intérieur. Plusieurs romans, films, photos et dessins réussissent ce tour de force, sur les sujets les plus divers, des plus banals aux plus exotiques. Le réalisateur contrôle ses choix narratifs tout au long du film. Il décide ce qu'il révèle au spectateur versus ce qu'il lui cache, dans quel ordre les événements arrivent, se succèdent. Ce privilège appartient aussi aux metteurs en scène, aux photographes et aux peintres qui ont eux aussi ce contrôle par leur choix de cadrages, de lumière, etc. Ces choix sont primordiaux pour raconter une histoire, façonner des personnages marquants, provoquer des émotions. Ils constituent le point de vue unique de l'artiste. Cette relation est, dans une large part, à sens unique. Elle part du réalisateur (du photographe, du peintre, du metteur en scène). Le personnage agit uniquement comme catalyseur: le personnage n'est pas modifié, mais

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idéalement, il modifiera le spectateur. Le point de vue de l'artiste est unique et sa narration est une séquence prédéterminée d'événements.

Et, dans une large mesure, le créateur d'un jeu vidéo profite du même contrôle par un vaste éventail d'outils: par la scénographie des niveaux, le choix et la mise en scène des séquences interstitielles par exemple.

Cette relation change radicalement quand l'interactivité est introduite dans l'équation. L'œuvre doit alors être composée pour permettre au destinataire d'y jouer un rôle prépondérant. De la forme de l'interactivité, du contrôle donné au joueur dépend dès lors l'expérience du joueur. Cette intégration interactivité/narrativité est définie comme la jouabilité.

2.2.3 Jouabilité

La narration permet de comparer le jeu vidéo aux autres médias et l'interactivité de la différencier. La jouabilité définit la qualité intrinsèque du jeu.

Nicole Lazzaro (2009) demande : « Pourquoi jouons-nous? L'expérience du jeu n'est pas une expérience de travail... Nous jouons par pur plaisir. ». Elle continue ensuite en décrivant quatre grands axes de plaisir. Cet impérialisme de la jouabilité, ce souci du joueur et de son plaisir contraignent et limitent le champ des expériences que le créateur peut proposer au joueur. C'est cette contrainte qui, dans une grande mesure, sépare les joueurs des non-joueurs.

Samuelle Ducrocq (2011) dira : « La motivation se tend alors comme un flux qui favorise l'expérience optimale en matière de défi, mais aussi comme la satisfaction d'un plaisir de voir une compétence s'établir, laquelle supporte la notion de «fun », si souvent citée par les joueurs. » —p. 343

Lors d'une discussion pendant un de mes cours de design, en réponse à la question : Pourquoi le jeu vidéo n'a pas encore son monstre icône, son Dracula, son Frankenstein, son Alien ayant frappé l'imaginaire collectif, voici ce qu'un étudiant avait à dire : « Dans le jeu vidéo, nous finissons par tuer le monstre — aussi méchant soit-il. Les monstres des jeux vidéo ne reviendront pas nous hanter, ils ne sont pas implacables. ». Dans le jeu vidéo, les monstres ne sont pas des fléaux divins, impitoyables. Ils ne sont pas les métaphores cathartiques d'un environnement qui ne pardonne pas. Ils ne sont qu'un obstacle de plus à franchir.

Figure

Figure 1 : Tableau comparatif de la jouabilité et de la narrativité
Figure 2: La vision de la matrice par Neo (Wachowski et Wachowski, 1999)
Figure 3 : Gordon Freeman dans le jeu Half-Life II «Speyrer, 2004)
Figure 4: Nariko et Kai (Hibon et Kristensen, 2007)
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