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.oLE ROUGE ET lE NOIR DE STENDHAL:
.
. ,R1ItAN D'APPRENTISSAGE
,ET
D'INITI~.'
· r
by \
Jonathan KAPLANSKY
,
A thes1s subm1ttéci to the
Fa~ul ty of Graduate Studi ~s and Research
in partial fulfi 11 ment of the requ1.rernents for the degree of
Master of Arts
Depa rtment of French '\:anQuage and li terature ,
Mc&il~ Un1ver$1~, Montreal
,
.'
August 1985CS)
Jona1;han Kaplansky, 1985•
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LE ·ROUGE ET LE NOIR DE ,STENDHAL:
ROMAN D'APPRENTISSAGE ET D' INITIAnON
\
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Le Rouge et le Noir est cer.tes le plus connu des romans de Stendhal
o
• 0
et il a. en consêquence. inspi~ un grand .. nombre d'analyses 1ittêraires.
Ce-11
pendant. les critiques ont souvent nêg1 igê le sens particul ier de la fin du
rAcit. Nous pensons que Le Rouge est un "Bi1dungsroman" comparable 1
Wi 1he1m Mei-ster. le roman de Goethe qui a servi de modèle à tous les "romans
d~'
forynation" du dix-neuviême Siê;le. Mais son or1ginalitfpar~iCU1itr0
consiste dans le fait qu'il est aussi un "roll,lêln d'initiation" c~arab'~
a
Heinrich von Ofterdingen, le roman de Novalis.
Comne "ranan -d'apprentissage" typique, Le Rouge dfcrit Jes multiples
formes de "êducation d'un jeune homme. Mais vers la fin. 'le narrateur
s'attache surtout
a
montr~Y"1'êvei1 spirituel du hêros alors 'qu'il est enprison. Ces deux structures du roman. qui d'ordinaire s'exc1uent~ servent de
base
a
notre analyse thfmatique dJ Rouge •" , ,
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•LE RO(JGE~ET LE NOIR DE STENDHAL:
~ R(J.tAN D'APPRENTISSAGE ET DI INITIATION
". Le Rouge et le Noir i s surely ,the most widely read of Stendhal's
,
, novels and~ has eônsequently b~come the basis of a plethora of literary analysis.
,
Nevertheless, cri tics have frequently overlooked the signifigance of the ending
of the noveL We think that Le Rouge is a "Bi l~ungsroman" comparable to
,
-Wilhelm Meister, the novel by Goethe wh~ch provided the typical "roman de
for-" t'"
mâtion" for the nineteenth century. But the uniqueness of Stendha1's nove1 consists of the fact that it is a1so a "roman d'initiadon" comparable to Heinrich von Ofterdingen, the novel by Novalis.
. ' - .
Like a .typical "roman d'apprentissage", le Rouge'describes the
wordly education of a young man. But as it ends, it also demonstrates the
spiritual awakening of the hero whilst in prison. These two structures of the
,
nove1,rarely seen togethe~serve as a basis for our thematic analysis of this
work. Cl o Jo
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/-/ • bJe tiens A exprimer ma gratitude au Profesàeur G. Pascal-Smith pour ses cQnseils et son encouragement
dans
l'§laboration ae ce travail.~. . " ,
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TABLE DES MATlERES·
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~. :' t' ~. , 1 NTRODUCT 1 ON ...Il.
1 t -;l : , Verri êres .••.••••••••••••••••,,*CHAPITRE, PREMIER - La dêcouv~rte du monde
a
\
l,
L'acquisition des apparences et la dêcouverte , .
de l'a rgen t .. . -~ .. 1 •• -<.l'~' . . . ' ••• ~ ... ~ ... . '1·
- L'acquisition des maniêres et l'êducatlon,
de l .. 1 af11OU~" • " ... ' ... .... .
.
~
.
( 16
20
• Le dêfi cOlllTle relance de l'apprentissage et la
guerre cOJTl11e a 11 ~go ri e ... ~ ... .
.
.' 25
Lâ sol:j tude et les hauteurs COIIITIe pause
nêcessaire dans l'apprentiss,age ... ' ... . 28 •
,
Le Bleu et le Noir: ûne f,ug-it;ve plênitude ... ... 35
CHAp ITRE DEUX Rêvêlation des rapports de force au sêminaire ... 43
"
.
J,
Enfermement et li bertê ..•...•.••• '. •. • . . • •. . • • • •• . • • • • • . • • • 4S
. "
, • Les nourri tures terrestres au sêmi na ire ... :... 49
).
~.
•
" '. Les interlocuteurs du héros ...••••.•.•.•...•••..••..•...•• 51
~;:..
t
l
La' premiêre "prison heureuse"...
,....
,... .
57CHAPITRE TROIS - Les "échelons du succês
a
Pari s..
,... .
63,"
~'" CHAPITRE QUATRE - L'échec gl ori eux
...
.
, 82 '> i,'.
" Prison et plênitude ... I l . . . I l • • • • • • • • • • I l . . . 88 t. ~! f ....- Le· di scours suicidai re •••••.••••••••.•••••••.•• •••.••••••••.• 91
~' Le bonheur fi l'fa l ,... 92 ~ ~ ~ <$ • i' 1"' r
1
( ~ CON CLUS ION . ... . • • • • • • . • • • • • • . • • • . . . • • • • • . • • • • • • • . . •• • • • . . • • • • • . . • • • • . • • •• 1 01
BI BLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • '.,1 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 112
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" 1 N, T R 0 \ , U C· T ION'C
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J--1
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\ ' f ."En 1985, la rêputation 1 ittêraire de Stendhal est plus grande que
jama1S. Son bicentenaire. en 1983, a suscitê de três nombreux colloques dans
1 e monde enUer. Depui s pr~s de tren te ans. une revue mens ue 11 e. 1 eT,
1
"Stendhal Clubll
, dirigêe par) 'êminentstendhal1en Vittorio de1 Utto, se
consacre exclus i vement
a
1 a recherche s tendha li enne. Au li eu de perdr~ deson actualitê, cette oeuvre a provoquê des lectures de plus en p1ùs
pas-sionnées, et parfois sur des textes laissês longtemps dans l'ombre, comme le ,
1'-'prouve 1 a rêcente "Pub 1 i ca ti on chez Sedes de Le plus mêconnu des romans de
,
Stendhal:" "Lucien Leuwen", (1).
Henry Beyle, qui est nê
a
Grenoble en 1783. illustre dans son premierchef-d'oeuvre; Le Rouge et le Noir paru en 1830, une vision tout
a
fait nou-\velle du roman. En effet, ill e milieu où les persOnnages êvoluent est p"lus
concret, est rendu avec plus de dêta1ls" (2). A ce rêalisme, slajoutent des
, , , "
ê1êments liês !""'a thêll)8tique ranantique. Un autre\ êlêment, qui est en soi
~.. \
três moderne, c'est' le ton
.
st~ndha1ien, souve~t
ironique; et impl iquant une\
comp1ic1tê avec le lecteur. Stendhal lui-nêrne n'ignorait pas que ses êcrits
• 0 •
o
trouveraient dans l'avenir leur vêritable public. Co~e l'observe Harry Levin:
o , \
IIVigny was conce; ving his poems as bott1es ta be cast' into the sea; Stendhal
.
conceived his novels, in an equally chara_cteristic image" "as ticke'ts fbr a
1
pos.tttumous lotteryll. (3). Stendhal croyait en effet qu 1 il,' sera; t apprêciê
surtout après sa mort. Et les nombreux êcrits qui font ress()rtir l'ac.tualitê
..
de son oeuvre. fourni ssent la preuve qu 1 il ne se trompai t..pas.
1
\
, J' ~', .... ...-.l''~-'''''---1'; , .11--..---,
'
-- 2
Le Rouge et le Noir
se.mr~
être/le roman le plus lu et leplu{appr~
ci! de StendhaL Prel'ni er de ses trois chef:d' o~uvres, i 1 préc~de 11 ênonne .
11 • •
.. roman ~nachevê qu'est Lucien Leuw#!n et La çjl.artreus~ d~ Panne, êcrits
re:pec-.
.
tfvement en 1835 'et 1838. Stendhal n'~tait pas cependant inconnu en 1830.
Avant le Rouge, il.avait reçu un accueil favorable de la critique pour son
essai, D~ llAmour (1822), qui fut p'ar ailleurs un insucc~s de librairie. ~
Rouge, souvent appe1ê le rQman de ,Iênergie, a pour, héros un jE.!une individua-liste plébêi,en qui se sent isolé dans une société confonniste. Convne le dit
Alain, "le hêros stendhal i en est seul devant 1 ui, seul
a
rêpondre à soi, 'COrm1eStendhal fut,seu1" {4}. Si ce roman est centr!' sur ,un Mros qui -joue un rôle
.
es.sentiel dans)lintrigue, il est aussi par ailleurs une peinture de ,moeurs,
.
,et nous rappellons' qu'il est sous-titré "Chronique du XIKe siècle"
,...Je
qui-
.
{ ...t1qu,ivaut
?
en faire une . sorte de roman socio1.ogique, avant le tenne./
.
..
,Le Rouge est aussi un
..
, d~s.
premiers véritables romans psycho~o9iques.les émotions des personnages, masculins et féminins, sonfd!cr,ites d1. une façon
\
tris rêal i,ste et particuHêrement atten~ive. Nous ana lyserons ce texte en le
l'
rapprochant successivement de deux genres
1ittérai~~s
'tYPiques' au dix-neuviêmesitcle: le roman d'apprentis~age et le roman d'initiation • . Dan$ les deux cas,.
toJ.fte' l' intrigue .tournant autour du personnage prinçipal, 'Ju'l ie~ S'orel, je~ne
plébéien révolté, se 'trouve au coeur de notre ~tude.
.
,1< • • 1 , ,
Le Rouge a suscite! .des jugements souvent contradic~dires, ~js c'est
.
la fin dw roman qui senille avoir invité "les plûs vives contestations. N'bu-\
'. '
bl10ns pas que d'ailleurs tous les d~nouements stendhaliens son~ problématiqu~s,
, '
.'
.,
- , A": : " \•
"co~ le p~cise três bien Peter Brooks:, l'la Chartreuse de Parme collaps~s so
, 1
. ' >
, fast tha~ three of the four major characters' ~ àre done away wf
t.h ;
n few1
sentences,
and
two of Stendhal's import~nt ruivè.ls. Lucien Leuwén .. and(..:;;.;;;;;..,;.;.~..
-
" , ".
,.
" .' <. "..
, ~~ l , ' ,.
,
.
~ .... • l'" " ,....
.
\ , " , ,•
) -,,' , ,never manage to'ge'ffinished atall" (5}.
, '
,Leon B14m, qu1 fut l'un ~e~ premier;;A~mentionne~ ce qu'a d'unique
.
.
Le Rouge semble a\toir compris"'son auteur.mieuxcque personne. I10êcrit en
, q f .
" 1914: ilLe vrai Stendhal, c'est celui de l't'!Veil à la vie, des premières
ambi-'"
... tions, des premières émotions, des premi~res souffrances Il (6). Toutefoi s, s·n1
onn---.---\ '
l " ,
, .
avoue: "Fut-on'pénétrt'! pour Le Rouge e~ le Noir de l'admi.ration la plus
ar-dente, il 'est impôssible d'en accepter ;le dénouement" (7). Ce que Blum trouve
particulièrement invra1semblable' c'est q\ue Julien,' dans °un état de "demi-~'
folie" '(8) tire deux
cou~s d~
fUS'il su;~
de Renal, son anbtenne maTtresse,/
pendant la messe, et qu'il soit gùillotiné'.
- j , ~
( -La vra i s'emb lance de ce dénpuemen;t a été três~ souvent di scutée;
pour-. tant, nous lui trouvons une certaine logi~ue:, JUlien. emp~rté par la passion,
'. "
se. venge qe l~ lettre maligne que r.ne, dè, Rêna1 a éc~i~e ~
M
..
de La Mole et cela 'lIf 1 ;. • .,' 1
sous le coup de, l'humiliation. ~ous ne troyons pas ~ , 'opinion ~êvêre de Peter
• i , " • • ~', ! ' J, ~ • • _
'Brook.s qui ne' vo1t dans cette, fin qu'une 'résurgence
9U'
fai.t 'd~vers dont s'est\
1 . ' 1 .. ' , - ~. , ... \ •
inspiré le narrateur: "Sten9hal'~ èt1dings, constit~te'~ -chronic. scandal.... "
~ulieri ,~~
handed over- to the'9uill~tine b~cause
the novel 1'sçon~~osed bac~
... , , g . 1\ 1 . .. . . ' '1 . , 1 j - ~ <:1
into the anecclOte, the fait-divers, .in wbich, it origi~~ti!d "and from which" it
~ _ ' , , ~ \ 1 \ , . " . . . , J '4,~ ~
has dive,rgedtl
(9).' LI "anecdote", dO~~ parle' Brooks ~fêre 'au proc~s Berthet
tl .r, of'" ' f
tel'qu" il ,èst décrit dans· la Gazette des Tr,1bunaux (l'a): Ce, prQ.~et est en
"f • .. "-: .. ~
effet la' source de ll,intrigue du Rouge. Là ,v~rit(! ,de,~ ·'séntt!fM!n.ts des
'perso,n-, ' . '\ ~ , ! . . ~ ' . . J , ' . •
'n~ges;dll~Rouge es,t
en
fait la ,force princiPal~ de ce récit, et l.e :fait què, ,
'l'intrigue so'it ~dap~e ne nuit1aQso'lument:pa$ à la graJldeur'~u roman. Parr
t :. 'r , l' . ' . " . ' " " ~ ,l" ...
. ailleurs, nous démontrerons que cette fin impr!vue, lMn d'être invraisemblable;,' , .
.
-, ~,
, s~rt le' projet'de S.tendha1. f '~
'!l '" '1 \
.
, , ., -r '..
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' . "0- \ . \" , " ' , •. >-,i .... - "'A-_~~1",,~ T". "'-""--"~-,-: -~---- t • • ... j t '? f. ,..
) ., ,"'" ..n
'. l " 5 (;' ,-,~ , " ' ---~.r_---~---~,~, ~ ~-" , fI , '
•
,.
- 4
, , (Aux critiques de Blum et de Brooks slopposent d'ailleurs les re- .
, , ~
, marques pertinentes faites dans un article récent par Greshoff qUl préc::ise:
.
.
"le Mnouement J1lest nullement postiche, il
.
'est tout àu 'Contraire el\l"aciné,
...
, ' ,dans le roman'et lui ·donne sa vraie signification" .(11.). Nous sonrnes de son
avi s et pensons gue cette 'fjJJ.,est présente
i l
espri~.su
narrateur dêjà A la,
.
"fin du cinquième chapitre: quand Julie~', étant allé ,à l'église avant de .. se
~
, ' '
présenter cOl1lT1e précepteur chez les Rênal, est montré corn:ne 1isant "
, '
.
,
un morceau de papier imprimé, étalé lt tomme po~r
1 ~tre lu.
Il.
y porta ses yeux et vit.: ~ Détails del'exécution et des derniers moments de Louis Jenrel,
'exéçutê à Besançon, le ••• ' - ,
Le papier était déchiré.'
Au
révers ou' lisait lesdeux premiers mots d'une ligne, c'êtaie'nt:, L'e
premier pas. (12) " '
,,1
, '
1 . '
Ce nom de 'louis Jénrel est uri ~agrarnme de Junen Sorel et ce texte pr!Sagé en'
quelque
sor~éQsa
prQpre condamnat'ion a.~o'rt
et ·la~in
du roman; 'Peut-oritr()'~-'1 QI #'... •
ver un enracinement p1t{s évident? Par ailleurs, nous
p~nsons que,.c~tte'J1~',
.. · "i ? Jo. 1 • • ~ . . .
" 'don~e un s~ns absolument nouv~au ,au destiFl du' héro~: . ce"sera l 1 objet' prhlc~p~l
"
, , \
de notre t,h~se que de ,la démontrer.'
,
.
Jean Prévost Signale la double fin d!J Rouge' e'n dis'ant:~ ilLe Rouge et
Te Noir.
T1nit
deu'x fois" (13). Et Greshoff, insiste et pr~cise: ilLe. roman se,~' 'termine bel et bi'en deux fois: une première fois a,vec Ju1 ien au faîte de ses o • 1
, '
. àmbitipris, et une seconde fois avec Julien' marchant ve~s l'êchafaud, . Il Y a
donc, une fausse fin, dans le sens d'une fausse s~rtie, et un~ vra'1~ fin~' (14~. 1
, Si certains critiqiles dêplorent ouvertement la fin du roma,,"'et en particulier la mor'!! de son ,héros, Harry Le'vin, .lui, trouve la mort de JulHm
honorable: "In a world where everytning else is for sale, t~ere is one-
deco-• >#
ration that di stinguishes, one honor, that cannot be boug~t: 1 t i s' the death
1
.~
(
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,.
~...--~' . ," - ' - : = ' ~,-" ,-,r:
i
, ( , 1 ;,
; !'"
(
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•
5
-sentence" (15). On remarquera qu'il prend à son compte le sombre idéal de
Mathilde ainsi présenté par le narrateur: "Je ne' vois que la condamnation!
'mort qui .. distingue un honrné, pensa Mathilde: c'est la seule chose Qui ne
'li
li s'achete pas" (16). Julien par ailleurs se révolte en sonrnom mais aussi pour
\
toute' une classe: "[ ••• ] Vous voyez en moi un paysan qui s'est révolt~ contre
la bassesse de sa fortune" (17). ,Ce ~isant, il témoigne en faveur de la
1;-béra~ion du peuple,
Revenons aux d~ux notions que nous avons mentionnées prêcédenment,
a
t
savoir cell~ du roman d'~pprentissage et celle de roman d'initiation.
Défi-ni ssons et prée i sons ces termes. Le roman d J apprentisspge» ou "13 il dungs roman Il ,
a
ses origines en All emagne au dix-huitième si ècle. Son modèle est les annéesd'apprentissage de Wilhelm Meister, de Goethe, paru en 1795. Ce roman trace
le développement d'un jeune homne. Conme le décrit Goethve: "11
~t'j.eune
etneuf sur la terre, et pour s'élancer dans le vaste monde A la recher6he du
b,onheur et du succès, l'amour exaltait son courage" (18). Ainsi, le désir
prin-cipal du héros de ce roman d' apPNmti ssage de Goethe, est-il montré comme étant
c:Je trouver le succès mais avec lui le bo~heur. Notons que c'est ex'actement dans
cette pe..rspecti ve que Stendhal place d'abord "et pour longtemps le héros du
Rouge. Et il est intéressant
~de
noter que' le titre~u
ChapitreviI.
"Lesl
affinités électives') est celui d'un' roman ~e Goethe. Dans le récit de Goethe,
r
'
.
le héros ira de "innecence de , '.enfance jusqu'a la connaissance que donne
l'ex-périence., l'auteur nous décrit leLéH!mellts qui, participent ~ la "formati on Il
du jeune homme: sa famille, qu'il quitte; ses
êt~des ~insi
que le's choix qu'il• ~!
fait concernant ,sa carrière et ses amours. Goethe -'montre dans ce ronian qu'il
,
croit au~pouvoir de l'hollIIIe d'agir sur son.cJestin: "Chacun a son propre bonheur
1
f)
entre les mains, conme l'artiste la matière brute! laquelle il veut"(Ion~ne
...
--fohnè
ll (19)., " <. . , ' 1.
~ , " "~_ _
i
- --'--,-~---;, - - - , . _ - -- ' - - ' - -- - - ,
6
-Le IBl1'èJungsroman"-type nous prêsente donc un jeune homme plein
d'é-nergie qui désire conquérir le monde. Le lecteur est témoin
a
travers sesaventures de sa formation intellectuelle. mondaine et sentimentale. C'est bien ainsi que nous apparaît Julien Sorel. d'abord gauche et maladroit, et
fi-nalement brillant à Paris dans un des meilleurs salons du faubourg Saint-Germ~
Il a bien en effet parcour~ les étapes de son apprentissage. Or, toute la
notion d'apprentissage repose sur la croyance en une cel!'taine apti tude de
l'@tre A @tre modifié par les expériences. Goethe l'exprime ainsi: IITout ce
qui ,nous advient laisse des traces. tout concourt, sans 'que l'on s'en doute, l
n<?tre fonnation" (20).
A la fin de son roman, Goethe présente son héros mOri et devenu adulte. ' Et c1est ici que Le Rouge se différencie radicalement du roman d'apprentissage
type. Au lieu de se termi,ner par l'insertion du h'~ros dans le monde qu'il a
,
conqui,s - but ul,time du roman. de Goethe - Le Rouge fait éclater soudainement
toute' la vanité de-cette ambition. En effet, al' intégration de Julien de la
Vernaye~ 1 ieutenant des hussards. dans l'année et dans l'aristocratie. Stendhal semble préfêrer la mêdi tation du pri sonnier sur les vraies valeurs et sur sa
, C-.J
vie. Dès lors. le rom~n quitte la scêne mondaine, pour acquérir une dimension
spi'rituelle. On passe ainsi, et presque sans transition, de l'action du roman
,
d'apprentissage l la description de l'intériorité .du héros 'et 3 sa quête
spiri-tuelle, ce qui caractérise \.CP autre genre 1 i ttérài re, le roman d'initiation.
~
.
Le roman d'initiation, s'il a fleuri A la ml!me époque que le
"Bildungs-, roman Il , se différencie complêtement de celui -ci. Le modêle de ce second genre
est aussi un-roman allemanct: il s'agit de Heinrich 'von Ofterdi-ngen de Novalis.
écrit en 1801. Novalis donne. unef
'définit1on des deux genres qui nous
1ntéres-sent quand il définit deux types d'expérience~:
..
.
"
,
i
.'
.
.1---.--._-_.
-_ ...._--:---rI
, ;7
-Je crois voir deux chemins pour parYenir ~ la science
humaine. L'un, pl!nible et intenninable, avec d'innom-brab les' dl!tours, le chem; n de l' expéri ence; l'autre qui n'agit que par bonds; celui de la contemplation
intê-rieure" (21). - .
Dans ce récit pOétique et non-chronologique, Heinrich, id~aliste et ri!veur,
\
~découvre le monde
a
travers une série de symboles: une fleur bleue symbol isepar exemple pour 1 ui le bonheur supreme. Son éducation est d'ordre intêrieur
et son mOri ssement spiri tuel est montré conme beau~oup plus important que sa
progression mondaine.
Dans cette pers,pecti ve i dêa 11 s te, 1 e.s rêves du héros prennent une ; m-portance très grande et deviennent une source de connaissance. Par ses rêves,
le héros peut fuir , la banalité quotidienne. Prisonnier du monde par son corps,
l'homne peut cependant se libérer spirituellement, corme l'exprime le héros de Novalis:
'"
Pour moi, le rhe est une sauvegarde contre la mono-tonie et la médiocri té de l'existence, le 1 ibre dé-lassement de l'imagination captive, "grâce auquel celle-ci peut entrem§ler toutes les images de la vie et rompre, par un joyeux jeu d'enfant, la perpétuelle
solennitl! ~~ l'adulte. (22)
Certains épi sOd,es du Rouge que nous ana lyserons dans notre premier chapi tre, en
.
...
particuli er celui où Jul ien est seul sur la montagne, mettent en scêne cét é,tat
de libre reverie. Mais pour Heinrich il s'agit du rêve Qui s'anime pendant le
sommeil et tout le roman de Noval is n'est qu'un 100g songe .
• >
En effet. Heinrich a le désir de comprendre le sens de la vie
plutôt que d' y parti ciper. Quelle meilleure description de Julien Sorel ~ la
fin du roman que celle-ci? JlJl ien
.
s~ abandonne ~ l'erllprisonnement COIIIIIe à un'
... ~
"
,telq)S de rêfl,exion et de dêcouverte intérieure: il finit par atteindre ainsi
"
.
; r "
..
11
.
,'.
'J. 8-.
la s~r~nité. Prisonnier de sa cellule, Julien ne peut plus se rn@ler au monde
-of '"
/
.
.
et c'est alors que son voyage spirituel conmence. Le dêstr de se coima1tre
d ' I<-'Ç')...-oo
qu'exprime Julien en prison est·'caractéristique du roman d'initiation. Ce type de récit se termine en effet par l'accompliss'ement métaphysique du héros. Il arrrve A trouver une parfaite adéquation avec soi-m@me.
Nous croyons 'que Le Rouge es t un rOOlan d'apprenti ssage qui devient
ultimement un roman d'initiation. Dans cette perspective, nous.pouv~ns
accep-ter ce dénouement qui troublait tant Léon Blum. Dans un simple roman d'appren-tissage, l'intrigue se terminerait lorsque Jul ien est "arrivé", c'est-a-di re
quand il devient 1 ieutenant des hussards, futur époux dl une aristocrate, et
ennobli lui-ml!me par le nom de la Vemaye.,"" D'lail1eurs le narrateur nous le
montre souriant et cont~nt de lui-rn!me, déclarant: nApr~s tout... mon roman
~
e~t fini, et ~ moi seu~out le mérite" (23).
En-nous montrant le héros qui s'abandonne ici n! l'ambition la 'plus
effrenêe" (2~), le narrateur nous Signale ses limités 'morales et il'nous le
décrit dês lors, accédant gr3ce à sa chute
a
une totale lucidhé sur- .. lui-mêmequi 1 ui pennet de dépasser ses ambi tions. En décri vant le dépassement spi ri
-tuel de son héros, le narrateur passe du roman ~'app~ntissage. qu'; 1 tennine
par !Jn échec,
a
un récit dans lequel l'objectif"c;tevient celui des romansinitia..-,
.
tiques. Pour aY)ticuler ce passage délicat d'un genre à l'autre. le narrateur
utilise une image inspirêe du mythe de la mêtamorphose: "L'ambition !tait morte ,
~
dans son coeur, une autre passion y êtai t sortie. de ces cendres". (25). Corrrne le
. précise Gabrielle Pascal: "De l'échec clôturant l'intrigue réaliste naH,
pa-rallêlement, un succès au.tre: celui d'une initiation" (26). Cet épisode
lIiniti atique" e!)t montré come inspirant à Julien la surprise d' avoi r vêcu si
f ! (
longtemps dans le séul, univers de l'ambition. En effet, 11 avoue en prison:
----..
o
l '
- 9
1111 est singulier pourtant que je n'aie 'connu l'art de jouir de la vie que depuis que j'en vois'le tenne si pr!s de roil! (27). '
Nous sonmes loin du jeune Mros cynique 'qui se f~lici tait d'être sf
bien "arrivé". Julien se trouve désormais dans un etat d'esprit 00 tout p'rend
un sens nouveau. Contraint physiquement par l'emprisonnement, il deviendra
4l
absolument 1 ibre spirituellement. Dans cette perspective, tout visiteur de
l'extérieur est pour lui une intrusion. Seule la prêsence de Mme de R@nal lui
.
est douce .. Il s'êpanouit spirituellement dans la solitiftle et: conme le dit Jean Prévost; IIc'est en prison que la partie noble du caract!re de Julien'se
-revêle:' (28). Cette tMmatique de "la prison heureuse" (29}, conme l'appelle ,
-Gilbert Durand, est uri élément essentiel de ce qui devient la re'traite
spiri-~uelle de Julien dans les derni!res pages du roman.
Le Rouge est sans doute une'chronique de l'époque et une peinture de ,
moeurs, et dans ce cadre le narrateur peint, incontestablement la "formationlt
de ,Julien; Mais ce Julien "arr'ivé" serait un hêros moralement et spirituellement
vide aux yeux de Stendhal. C'est par le dénouement qui amêne sa métamorphose
que Julien arrive enfin ~Ise connaTtre et ! s'accepter. Il n'est pas étonnant,
nêanmoins, que ce ch~ngèment radical d'objectif de la part du narrateur en ait
surpris plusieurs. Mais qui lit Stendhal attentivement doit s'attendre! de
tels revire~nts,.,jamai% ~ratuits cependant mais au contraire toujours
si9n1fi-cati fs. .Ii
Nous anatyserons le Rouge sous la forme du roman de formation qu'il illustre dans le "livre premier" tout èntier et le "livre second" jusqu'au cha-pitre XXXV.
Nous commenterons les modalités et les formes de cet apprentissage qui
1 1
•
----~Fr---
~-.,
,
o
- 10'-..
conduit le héros
a passer de son origine obscure
a la classe dominante. Puis,
nous observerons le changement d'objectif du narrateur qui s'incarne dans un
changement de genre
litt~raire.Nous commenterons les dix derniers chapitres
\.
,
du roman qui
pr~sententcertaines
caract~ristiques~du roman d'initiation.
Notre approche sera thématique pour la
d~monstrationdu sujet,
c'est-a-dire la coexistence dans Le Rouge d'un roman de formation et d'un
r~citde
type initiatique. Elle sera par ailleurs psychanaiytique pour l'analyse du
Mros. Notre
~tudetextuelle suivra la chronologie du roman, ainsi que l'exige
notre sujet.
'. ~.
,.
.
" Q , (, ! , . , ~ , ' l l l ' ~ ! )i
lii
---1
{
~r}
..
"~ (1) (2) (3) (4) ~ 11 -. NOT E S ~Le ~lUS m~corihu des romans de Stendhal: Lucien Leuwen. Paris, Soc été des Etudes romantiques, Sëdes, 1983.
Kenneth McWatters. Stendhal - Lecture des romanciers an lais'.
Lausanne, Editions du rand Chêne, 68, p. 1 .
Harry Levin. 1963, p. 84.
The'Gates of Horn.
,
London, Oxford.UniversitAlain. Stendhal, Paris, Ed,itions Rieder, 1935; p. 53.
'(5) Peter Brooks. "The nove1 and the guillotine: or fathers and sons
in Le Rouge et le NOl rIt dans Publ i cations of the Modern Language
Association,
1982,
p. 357. . _(6) ___ L~on B1 um. Stendhal et le Beylisme. Paris, Edi tians Albin Michel,
1947, p. 6 .
. ( 7)
!.!lli!.:..,
p. 86.r(8) Stendhal. te Rouge et le Noir. Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 452.
(9) Peter Brooks. Op. cit., pp. 357-358.
-(10) ;' (11) (12) {13} (14) {1S} (16) (17) {l8}
Gazette 'des Tri'bunaux, numéros 28, 29, 30 et 31. d~cembre 1827, Par'Ps,
Editions Henri Martineau, P1!i qde, 1952, p. 197. Martineau inclut le
compte rendu du proc~s Berthet, pp. 715-730.
C.J. Greshoff. "Ju1ianus Bifrons ou le double d!nouerœnt du RouTe et
Noir" ~ans Revue d'Histoire littêraire de la France, mars-avril
984,
'j5":"260 •
Stendhal.
Op.
cit., pp. 53-54.Jean Pr~vost.
1951, p. 269.
~
C.J. Greshoff. Harry Levin.
La Crêation cÀez Stendhal.
, '
Op.
cit., pp. 258-2S~.Op. ci t., p. 127.
Stendhal.
Op.
cit., p. 296.. Ibid., p. 476.
Paris, Mercure
deFra~~
W.J. Goethe. Les ann~es d'apprentissage de Wilhelm Meister dans
Romans. Paris, Gallimard, P1~iade, 1954, p. 398.
'.
-
"(27) - 12 Ibid .• p. 428. t Ibid., p. 761.
.
.
, 1 "Novalis. Hein'Hch von Ofterdin~en dans Romantiques allemands. par-is.
Gallimard, PMiade, 1963~ p. 39 . Ibid., p. 387. , Stendhal.
02·
cit. , p: 442. Ibid .• p. 445. Ibid., p. 446. ~Gabrielle Pascal. "Rires, sourires et lannes dans Le Rou~e et le
Noir: une voie initiatique" dans Stendhal Club, no
106,
Janvier~, p.' 125.
Stendhal. 'Op. cit., p. 469.
,
..
'-{28) Jean Pr~vost. Op. cit., pp. 269-270.
(29) Gilbert Durand. Le
d~cor
mythique de "la Chartreuse de Parme".~
Paris,
Jos~
Corti,1961,
p.167.
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" \CHAPITRE PREMIER
La dêcouverte du monde! Verriêres
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Les premi~res ~tapes de la formation de Julien Sorel ont lieu
a
•
•
Verriêres et ~ Vergy. C'est dans l'acquisition de certa1ne~ connaissances.'
,souvent triviales en apparence et li~es
a
la vie 'quotidienne que le narrateur'
-d~crit Julien comme subissant un a~prentissage. Il s'agit parfois de cnoses aussi simples que le choix de vêtements appropriés, la défense de son salaire,
un certain savoir-vivre qu'anime le rituel des r~pas ou des r~ceptions. Ces
éléments sont montrés comme s'accompagnant très vite d'une compréhe~sion plus
théorique des rapports sociaux par le héros du Rouge. Ainsi quand il quitte
Verri~res pour Besançon, Julien apparaTt déjA comme un @tre transformé.
Avant que l'action du roman ne commence, nous avons une sorte de
pré-sentation du héros par le narrateur. Stendhal croit ~ l'influence décisive de
l'enfance sur la vie de l'individu. Il est donc intéressant dl analyser tous
,
les détails qu'il hous donne au sujet de l'enfance de Julien. En effet. dans La vie de Henry Brulard nous sommes témoins de l'importance des impressions de
"
.jeunesse sur Stendhal lui-même, et Paul Valéry a noté avec raison
,
à ce propos:,"Stendhal est un des honmes que leurs impressions d'enfance ont le plus claire-ment formés, armés. définitiveclaire-ment marqués. Il jugera toute sa vie selon les
souvenirs du jeune Beyle" (1). CollTile son créateur. Julien semble être tl'~S
marqué par sa jeunesse. Il n'a pas de mère, ses ,frères et son père le
bruta-lisent et ce dernier est montr~ comme étant "fort m~content de Julien" (2).
-../
La violence du père Sorel est mise en valeur par le narrateur quand il est . montré frappant Ju 1 i en et 1 e 1 a issant "étourdi pa r 1 a force du coup et tout sanglant" (3).
1)
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.. 1
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•
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(
i...
' 14 /Une phrase de Goethe, .dans Wilhelm Meister pourrait servir
,a
encadrërle portrait de ce héros: "Nul ne saurait prétendre vaincre jamais'les impres ..
.
\. ~~s10l1s de la jeunesse" (4). Comne Goe~he. Stendnal croit -A l'action définitive
sur la conscience des expériences 1iêes ! l·enf~nce. Mais en ~me temps, il
veut montrer son héros comme surmontant l'handicap exceptionnel de sa
nais-sance. Unè humble orig1ne, l'absenc~ d'amour maternel et les violences d'un
père brutal sont les obstacles symbolique's que le narrateur fait franchir' au
héros du Rouge.
,
la premi~re image que nous avons de dulien nous le montre absorbé
par la lecture du Mémorial de Sainte Hélêne, qui dêcrit les exploits de son héros. Napoléon. Un vieux chirurg,ien-major, connaissance de 1a famille, a'
.
légué "trente ou quarante volumes" (5) ! Julien •. Les Confessions de Rousseau
sdnt un autre texte 1 u par 1 ui . Nous apprenons de Stendhal dans son "'Projet d'article" du Rouge et Noir que Julien "dévore ces ouvrage.s qui développent-son
ame"
(6). Par définition, un personnage qui lit possède déj~ une certai~e" d
connaissance hors celle'"de la petite société dans laquelle il vit', el, dans
r
ses écrits, Stendhal distingue toujours attentivement entre les gens qui lisent et les. gens qui ne lisent pas. le fait que .Julien est un lecteur passionné est
valoris~ par le narrateur qui le ~ontre,s'élevant au-dessus de son milieu par
la culture liv.resque. Observons la double valeur des livres signalée par le
~
texte stendhalien. Ils sont montrés comme introduisant. ~ l'occasion, le
fa,ux-semblant. Mme de R@nal, qui ne lit pas, est montrée comme échappant aux
arti-f1ces qu'enseignent les romans et gardant mieux, ainsi son naturel: "Conme Mme
.
de Renal n'avait jamais lu de romans, toutes les nuances _de son bonheur êtaient neuves pour e 11 e " ( 7) .
. ' la première ima~e que le texte nous. off~ de Julien nou,s le p,-êsente'
.
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, r t15
-sUf!rie~r
a
sa famill,e physiquement a~ssi ~ien qu'intellectuel1ement~ Col1llJé- ,
" 1 e dU Vi ctor Br Dmbert:
1 •
When we first see Julien Sorel in the shed of
t~e sawmi1l which he is supposed to supervise,
he 1 s sitting
C..1
astride one of the rafters ofthe roof.' The, attitude i~ physic,al [. .)but
intellectual(; .. Jand emotional as we1.1. (8)
"
,
Julien ignore la scie qu'il,est cens! surveiller, et son pêre le bat avec
vi~-..
1ence. Ce n'est pas la preml~re
.
fois, conme le précise le ,narrateur: "Objet ,, ,
ces mépris de tous! la maison, il haTs.sait ses f~res et son père; dans 1es:.
jeux du dimanche, sur la place publique, il êtai~ toujQurs battu", (9),.
Sa
~i tuati,~n
change fimnédi atementap~s
cette présentati on; Gr!èe!'sa
~uta
t i on de bon 1 a ti ni s4.
il dev; en t. en effet; prêcepteû. de$en;
an ts ' , ,du maire de la ville,
M.
de R@nal. Grace! l'abbé Chê1an, le pr~mtér d'unesérie de personnages qui agissent dans le texte comme pères sy~ol~ques de
Julien, il quitte pour
tci~ours
Sa famille. Devant cette circonstance assez 1-1
,
.
heureuse, le souci principal de Julien'est exprimé ainsi: "Je ne veux pas " \ - l
Itre.domestique .•. ~vec qui mangerai-je?" (10). Ainsi nous est révê1ê par' ~e
" , .
narrateur-Pun des traits principaux de ce Mros qui va avoir dix-neuf jlns: , c,.... \ la ,
.
,~iert!. Et il est intêressant 'de voir que d~s les. premièr~s pa'ges le
narra-• 1 "
"
, '
:
. teur révèle au leçteur, l'esprit compliqué et plein de éontradi.ctions de Jù1ien. ~:'
,
Le;a~rriteur
i ns 1 ste pour Ile 1 al rer ces tra'its';" son héros etn~us ;nfo~
avec ce ~Semb)e
bi en etre un souri re de co~p1 i cit~' 'qua~d il prée; se: ,",CettehO~~~·
ryô~r
mangerav~,c
b des. domestiques n:€tait. pas7Ui~e-He-~'
JuUen', i l eut..fait 'pour.'arrive~, ! la fortune des choses bien autrement pêniblés.' . l'~ ,pui~ait. "
cett~ répugnance' dans 'les Confessions de Rousseau" ri1). Cette explication du :
narrilteùr. que,Georges BÙn nonne ".les
inter~entions
d'auteur" (12), est la ",pre~l~re
d'une' se!r·ie qui~érise
l'attitude' du narràteur'stendha1i~n.'
•
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l' > ~ , ~ ' "1-!P~~er ~pêre
S:ymbOÙque de' son' hê-ros .. ilihte~vient a'i~si
dans' le texte pour./ ' " , . . , \' .. l . , .
, rêvl!ler ses ~raiès motivations
et
le protl!ger de' la sl!vêr.itê possible du . ,i ft , l ~ " . . .. ~ ~, " '
lecteur~ , ~àr.l ailleufh il ~êveÜ~ a1nsi les obligations qUe',se crêe lui-Rême , "
')
~ ' . 1 ~ -' • I~
59" .hêrps et 'étlë{trè ses actes ,en. e)(pl.h,uant leurs cau~es profond~,s qui sont
, ,. '~" • CIo l, , ' , . . . . , . "';.
sou-vent 1 i êe5 aux 'modèles qu'il :se , dorme. ' ,', •
.' \
.
" ', ,
, ~ ,
.
~.
Il est' aussi
a·
noter âan$ 'ce'tte' perspective que ·Julten ,est "fou de.:' ~... ..' f'
l, ' êtat mili,taire" (13): '.Il se passionne 'pOur les "récits de b~taiJles<et rêve·
"'d'être.'ht1rO~que l~i .;;~~
Dans son's~~s ~-e ~Pl u~
;imple, le .ti tred~
roman ..se rê;êre d'
~i
lfeurs 3l'OP~osition
'.entre 'l' 'àrmêe (le r.ouge) etl~lergê
( le'! ' • ,
, , '
noir):
a
cEitte'"êpoque, ~eule ~a carr.i~e religieuse est ouvertea
un paysan 't l ' • •
. qui désire sor~i::"d~ ion milieu •. Nous ,apprenons que pou~ Ju.~ieri, faire' fort~ne,
é'ést d'abord "sortir de Verri~r.es" (14). Mais c',est avant de quitter sa
.;' • ,.,!' :.. • ~ r " r " . . . 1 _
_ pairi,è 'dqnt n",eSlt dit qu'il l"'abhorrait"~qül! cOl1lTlence sa vrai'e êducation.
....,.. " ~ d~_ ,t ~ ~ 1'" "" .. ' • • , l
,,-
", b.
\ l ' .'... , , '.,
~a tran~fo.rma~1'on
'çie'J~~i~ e~t ~nd~ ~nif~stèpar
lesn1odif~cations,
":. • . ' 1 • 1 1 • a; t
de son ~pparence e~ en pll.rtî culi~r de se~ 'v!tements'~ , 'Lorsqu' i l rencontre ~
. "
• 1. 1 r,. ~.. • ,/' r
de Rena 1 elle ,'e prend pour une, jeune
,fi'
ne,
et,d"
es t Il presque' en 'cnemfse Il (15).l' ! l' : ,\ ' , . . . ~. •
~fant
d'envoyer'sonp~êcePteur'ach~ter ~e
nouveauXh~.~.:de
R@nal·dêfend"' l' .. ~"j • 1 • )
" ,1"JuUen de ~ir;ses parents~:o,/J leur.s·amis: ",:'leur to;p'né peuti'col1venir ~ mes
l ' . 'il \ . : '" • 1 a " r ... f ~ ~ '. • '
.~' e'nfants". n~).· ,Ceci ·taractêrise u'1'des àspeFts du "Bi1qungs-roman~' qui .con~i ste
~. . .,
..a. ç . ,
• ... ~ . ' 1 • . ' f • • ..
.1 montrèr'~e hêros qUl s'iso~e d! sa famllle pour ,accomp11r .~on app~eAt15sage
, de ia
vi~. Mais,·po~r
le' h4!rosste"ndtrali~n;
cette restri'ction nep~sente
pas~ . " ~
l-l ' " , 0
• , '" t lé $acrific~ habitùel: ' !E!lle, appara1t p1 1
utOt cOI1I11Ei une l1bêration. M. de Rena'
. ~ J .
, dêclare ;ar
~ail.l~urs· 'qU!~t
n.'est"'~as c~l'!venable
que ses'~nfants
"voientle~;
. . . ' , .. , ' l 1 /. .."
, prêCep1eur.,ert
\ve's~è;
JU)1;en,~vien<
donc,. deche~
le marchand· de drap ".toutJ , ~ .fI \ . ,
.
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" w, _ ... , ... _'- _ __ 10 1-l , " . 'e, • t ' "...
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. " " , " f,
'.
' ,-~.,~--~- 17
...habillé en noirll (17) et sa joie' est précisêe par le narrateur:
Mais le sentiment d'orgueil que lûi 'donn'ait le
contact d'habits si différents de ceux ~u'jJ'
o avait coutume de porter le mettait tellement hors
de lui -m@me et il avai t tant d'envi e de cacher sa' joie, que tous ses mouvements avaient quelque chose'
de bru~que et de fou. (18) ~
..
, Déjà Julien se sent différent: "Il lui semblait avoir'ovécu des
, 0
années de'puis l'instant où, .trois heures>'''auparavant, il étai t tremblant daos
l'ég1ise" (19).' Co~ un enfant, Sorel s'enfenne dans sa chambre d'oO il ne
sprt qu'une' heure après. La discipline qu'il s'impose est évidente quand,
')5.tendhal précise: "C'êtait la gravité 'incarnéell
(?O). Ir s'agit là en effet,
Jo
du prèmier rôle que joue Jlflien.' Lorsqu'il rencontre les enfa'nts du maire, on
•
dirait qu'il est précepteur d~p,uis des années: ~me·M. , . de Rênal en est , ~tonné.
Ces ·~tements distinguent Julien en accentu~nt, en p,articulier" T~
-
.
\diffé~nce entre lui et ses frères. Lorsqû' ~:;.l les rencontre par ha~ard ;d\~n.~
,
un'petit bois nous apprenons: ,
..
~
La jalousie de tes ouvriers grossie~ait été
tel-lement provoquée par le bel habit noir, par l'~ir
extrêmement propre de leur frère, par le mépri,s .;.
. "
.sinéère qu'il avait pour eux, qu'ils l'a-vaient.battu
au point de le lais~er évanoui et· tout sangl ante . (21) :
o ;
C'est Mme de R~ha1 qui 'le trouve. Plus tard, celle-ci offre 'à JUïie~ . "
Qù
...
e.1que.
• !. 0_·louis pour [s~J 'fàire du 'linge" (22), mais hu"!.ilié"il refuse ~veé na,utéÎJ~t . , ,
'.
Tandis que
le~
v@tements de Jul ien servent .s.urtout à refléter ·1es'avantages' de sa nouvell)'SitUation, les discussions qu'il a sur le
sal~ite
et·,.
l'arg~nt en général reflêtent les sentiments de Stendhal envers les moe~rs.pro-" \ " •• l " _,
Le noble M. de, R@na1 est 'rnont~f .
,
vinciales en France. sous l~ Restauration.
r . . . . . • • •
conme ,xtr@mement avare t'et le lecteur apprend qu'on ne pewt pa.s dJner :.ch~z
.: " •
.
'" ' -.' ~ \ . .. ~. ,.'
.
•
, -, "j
1
- 18
l~? Valenod, bourgeois arriv~s, sans savojr le prix des meubles et du yin.
Stendhal a Silns doute 11 intention de créét des pe.rsonnages représ~ntati fs de
• , d
.
,son époque; tout l~cteur de son "Projet dl Arti c1e" s 1 ~n aJ)erçoi t car il .y
pré-cise: ~ liCes deux honmes sont les portraits de la .moitié d!=!s gens ai sés en
France vers 11 an 1825," "(23).
, f
1 .
1
/~an Prév~t montre les limites de cette ambition socio-historique de /
,-~---Sten~hal en révélant ,1lhosti1it~ qui prési4e ~ cEltte repr~sentation: "Les nobles
et les riches, dans Le Rouge, ne'sont vus que du deh~rs~ et avec ironie" (24).",
t ,
Quand il s'~git du salaire que recevra Ju1"ien, son père et M. d,e Rênal en
dis-cutent avec gravité et "la
fi~esse
du paysanD
I~~porte]
sur la finesse de" l'hol11l1e riche, qui nlen a pas besoin pour vivrell
(25). Clest le-charpentier
qui" réussira ~ faire le meilleur arrangement possible. Le'narrateur nous a
déja appris que dans le passé Sorel a vendu sa terre au maire et qu'il
est
sortivainqueur de cette transaction .
.
.A 11 opposé de son p~re, Jul ien est montré corrme totalement ïndifférent
,
~ l'argent. Frederick Herranings OBserve ce manque d'intérêt: "For a po or peasant
.
boy who knows he will have ta struggle for' hi~ bare live1ihood, he is shawn as
"
~
extraordi narily unconcerned about ,questions of money" (26). Ce tr~ait de
carac-"
têre SEmble élever le personnage, coouœ ce sera
1.
cas pour Mme de .Rena1,en-particulier dans la persp'eetive du
fait'qu~
clest son imaginatiop, dont Herrmingsdit qu'elle la purifie IOOralement, qui prend le dessus sur la réalité de 1 largent .
•
â
Hellll1ings prêei se A ce sujet:·
."
.
. When later Valenod offers· him a salary of eight hundred francs, two Iwndred more than Renal pays him, it never occurs to him to accept. When he leaves the mayor l s household he prefers ta borrow
--..
s \ " , ' - 19a small SlIJI from his friend Fouqu~ than te accept
a gr~tuity' from
t-tne
de Rênalls husband. (27) ",
.
,L'avarice de"M .. de Renal (qui est honnêt~;'tantlis q~ Valenod ne l"est~pas)
èst montrée, ironiquement" comme ne lui" servant qu'a perdre son argent.
! ,
D~,èrit coÎmle qbs~dé par ses afTair~s, l~ maire de Varriêres nia pas
l < " , ..
, ~
d' autres préoccu~atiçns que l'argent •. Ainsi quand l'orgueil de Jul ien
e5..,t
b"ressé et qu'il dit.~ s'on p'âtron qu'il pour~ait partir, M. de Rênal 'flle trouve
, ,
~u~une r~ponse: "il augmente Son s'ataire: Julien ne lui parle jamais d'argent l \ ,
mais il, est mon,tré comme hitbile, par exemple 'quand il refuse~de signer un
"
.
contrat de deux'
'a~s,
et obtient un ,ceng~
de trois 'jours. 'La passion de M. ·de'
, ... • 1 ~
Rên,a'l, pour
l'
argent~st
synt,héti'sée pa r le narrateur quand" il montre le mai ryi!'entouré par la beauté de Vergy et ne voyant cepen~~nt que des,.chiffres:
J'Chaoun de, ces fllauaits nQ.:yer~, disait, M. de ·'Rênal A,"sa femme,
nw
~oûte 'la-ré-co1te,d'un demi-a,rpent, ~e blé ne peut 'Vénir~ous leur ombre" (28).
.... " , l,
.
M'ne
de Rénal e'st .~crite com~ un être: ass~z naff quj ne penS;e tjamais'sé~iéusement
a
l t'argent' . . Le narrat~ur ins,;ste sur le fait qu'elle appartient à .'" , ,
.
un aàtre
tlniv~rs
que ce lu~
tie "son~ari ~t
de ses ami s: \ "Aprês :de .... 1ongu~i
années,,
.
fotne de
R~nal
n'était pas encoreaccputu~ée ~
.. cesgen~
à argent au 'lI1ilieudesquel~
_il falla,it vivre" (29). Ainsi,.la fernne du lna,ire"'ne s'inquiête pas sur la pos ..
si
b il ité d'être ;priv~e
detà~te
saf9rtu~è.
Or c'est )ustement ..u,.ne partie de.
.
" ,
,cette fortune,qu'elle a hérltée:Q'une 'tante riche ~ Besançon, qui convaincra
~ • Q;
M,. de,Renal de rester,aveç sa fenuœ,
malg~é
le f<âit qu·on soupçonne'son infidê'-'• 1 ~ 0 l '
lité, apr~s avoir ,reçu l'a· lettre anonyme.;', Le fait que Mme de R~naî. 'comme
' \ ' ; .... -A :"" , Julien, est la' séparer , ,
.
• b ,.
'indiffêre~te·· ~·'l'arg.ent
sert à êjever moralement cette h,êro'neÂ.a
absolument des
pré~ccupa:tions' mesqu~n'es
de son mari. Ul ttmement, ceci~ - t , _ , '"'t 0 " ;. " '0
.
.-r, ,',.
" -.,. ... ...,"-; -_..:.-..-- - . -'.
, ," \ i -, ' l " 1 1 , 1 f' " , , ' .. » "'1 20 -, ). A,
jUstyfie qu'elle le
tr~pe.
Ainsi Stendhal'parvi~-il
a
la montrer commecédant l la passi,on sans en ê1Z're moins ·e~imab1e.
.
L'offre de Fouqu~, qui donnerai t ~ So:~ une vie confortable
matériel-lement, tente un moment le Mros,. non pas tant à cause de l'argent, mai s par
...
le fait qu'i.' serai t i'ndêpendant et travai llerait avec son' ami. Gilbert Durand
, t(
parle ainsi du ~le que joue' dans le roman le personnage de Fouqué. COIJIIIe l'
a
, noté Prévost, "Fouqu~ joue déj~ le rôle d'un confident opposé, ~tant la seule
~ . ' ' ' '
'résistance' au monplogue ambitieux de Julienl ét la seule résistance
amica-lement respectée" (30). Finalement, Ju1iehrefuse son offre; l'argent 'est une
commodité qui ne lui' est n~cessaire que pour' échapper à la pauvreté. Il n'est
pas une passion 'essentielle. Ce qu'il désire c',est toujours la gloire, qu'il
trouve personnifiée par Napoléon. Cette vraie passion de Julien, est décrite
comme' un idéal par Philippe Berthier: "50n esprit est ailleurs, dans un lieu
,
d'amour et de gloire" (31). ·Julien sait qu'il ne restera pas toujours
a
Verri~res, il est conscient qu'il n'est pas un-enfant bien né COIJIIIe ses élêves
\'
et que, pour avancer, il va lui fa 11 oir beaucoup apprendre.
'1
L'acquisition des manières et .l'éducation de, l'amour
La gloire que recherche Julien est montrée COOllle inséparable d'une'
sort'e d~ perfec.tion monda in~. Les maladresses fréquentes du jeune précepteur
sont décrites avec soin par le narrateur et vont en diminuant. D,' abord quand
il' est seul avec fttne de Rênal "le silence le plus singulier s'êtablissai,t entre
euxll (32). Alors Julien adopte un air s4!vère. Et la premiêre fois qu'il ,
Q , . ' ,
. , '
'touche Ta main de fttne de Renal, c'est par une sorte de malâd~sse: "Julien
,~ \ .il 1
pa~lait avec action [.. ~ en gesticulant, i l to~cha l,a main de f.\ne de lU~nalll (33).
(
l
._--'---,
... \ ;---~---;...-'" '
21
-,
!
,
Stendhal ap,pèlle plus tard "une tentative gauche" (34) l'effort de'Julien pour
1
jouer avec le pied de Mme de Rênal. Finalement, aprê~ être rentré de sa
pr~-"
miêre nuit d'aroour avec sa ma'ttresse~ Julien est décrit par le narrateur conme
ayant fait preuve d'une "adresse si maladroitell (35). Stendhal n'essaie pas de
cacher les maladresses de son ht'!ros, car ses gaucheries fournissent une occasion
~
heureuse A
totne
de. Rêna l pour lui ensei.gner le savoi r-vi vre. Grâce! l a ~re' deses élèves, Julien parvient progressivement
a
êtrea
l'aise dans presque toutesles situations sociales A Verri~res. Et, v.ers la
;in
de la ~remière partie duromim, i l reçoi t plusieurs invitations !' d'tner lors de son succês mondai
n
chezValenod. 'fobe de Renal en rit de bon coeur et conclut: "Vous'êtes donc A la
mode" (36),
L'apprentissage des manières ne tarde pas
a
suivre. C'est Mne deR@nal qui est montrée conme son êducatri ce en me ttant fi n
a
"l a rudesse de se~façons qu'elle parvient à corriger" (37). En lai ssant de côté toute considé-1
ration affective, on voit que fttne de Rênal joue un rôle essentiel dans la
for-,
mation de Sorel.. Cependant, le narrateur précise que Julién n'éprouve "que
haine et horreur pour la haute soc1été où il (est) admis,
a
la vérité au basbout de la tablell
(3a). Alors il éprouve un sentiment 'd'aliénation, une sorte
de détestation sec~te, pour les êtres qui l'entourent. René Andrieux voit
dans'Le Rouge un roman très politisé, "sans dout~ le premier roman où le
pro-\
blême de classe soit posé ave-ç ynè telle netteté, où il constitue la trame meme
de l'action" (39).
En
·meme
temps, Julien désire savoir co~nt se tenir dans cetteso-ciété qu'il ha; t. Coome Stendhal 1 ui -mI!me, Jul ien est décrit COIlll1e toujours
asensible aux opinions des autres et il déteste qu'on se moque de lui. les
pre-mières fois 01)' il'appara1't seul avec ftne de R!nal, Julien ne sait conment se
..
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tenir, et il commence un jour
a
par1er d'opêrat1ons chirurgicales, ce qU1 !l'êpoque ne se faisait pas devant une dame: Stendhal insiste sur ce malaise doulour:eux de son hêros: IlDês qu'on se taisait dans un lieu oil il se trouvait
avec une femme,' Julien se sentait humiliê
C
..
~ cette sensâtion êtait cent foisplus pênib1e dans 'le t@te-!-t@tell
.{40}. On sent tout l'embarras du jeune
honme timide et Lêon 'Blum a bièn vu qu'il s'agit l~ d'une confidence
autobiogra-ph~que. Ce~te image de Ju1 ien est syntMtisêe ainsi par le narrateur: "Son ai r
sêv~re pendant ses longues promenades avec
Mme
de R@nal et les enfants, êtaitaugmentê par les souffrances les pl us cruelles. Il se mêpri sai,t horriblement" (41).
Ce portrait du jeune homme embarrassê est remarquable p~ur ~~racitê. Le
.~-narrateur montre parfaitement que Julien est hUm;liê parce qu'il sent son igno-rance et qu'il ne s'en mêprise que plus.
Pour ~ de Rênal, apprendre 71 Jul ien les man!ères en sociêtê est un
,passe-temps plaisant. Nous savons que "jusqu'! l'arrivêe de Julien, elle
nlavait r~llement d'attention que pour ses enfantsll
(42). Stendhal insiste
sur le fait que ~'c'êtait prêcisêment COl1lTle jeune ouvrier, rougiss'ant jusqu'au.
,
blanc des yeux, arr@tê
a
la porte de la maison et nlosant sonner~ que Mme de\
R@nal se le figurait avec le p1us de charmeil (42). Toutefois, Julien est dêcrit,
r
lui, c~ ignorant ceS pensêes et dêsirant effacer 71 jamaiS cette image qu'elle
a eue de lui:' .0
\ (B
Il ,s'aperçut qu 1 il aura i t beaucoup mi eux aimê
faire la cour A Mme Dervi11e; ce n'est pas qu'elle
fÛt plus agrêable, mai s toujours elle l'avait vu prêcepteur honorê pour sa sèience, et non pas
ouvrier charpentier, avec une veste de ratine pli!e
sous le bras comme il êtait apparu
a Mme
de Rênal. (43)\
Dans des instants pareils, nous voyons la force de la vanitê de Julien.
'·Son.affection pour ftt1e de Rê-nal est.nêe et pourtantïl pense qu'il prêfêrerait sa
,
.
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,
r Jcousine qui ne l~a jamais vu en sa situation d'infêriorit~. Chose unique.
Mme
Cerville est montr~e come celle qui critique Julien le plus sévèrement.
Ainsi elle d~clare li r.tne' de R@na1: "Ton petit précepteur m'inspire beaucoup de
mê-fiance. Je lui trouve l'air de penser toujours et de n'agir qu"avec politi.que.
C'est un sournois" (44). Nous trouvons dans ·le texte les causes de cette ,
~-fi ance. Au 1 ecteur. qui connaît les démarches intérieures du hêros, 1 a
mê-fiance
a
l'êgard de Julien para1t parfois injuste mais t1ne Derville n'est pas.dans le secret de la natut'e contradictoire de Julien. Toutefois, elle a
l'oc-casion de discerner le calcul.dans certaines actions du precepteur. Julien,
. ')
. qui d'habitude peut charmer même les servantes, conme le prouve la scêne de
l'exploit ota il démontre la qu'alité de sa mémoire et sa connaissance du latin,
ne réussit guère ~ plaire f.\ne Derville. la nuit où il prend la main de Mne .de
Rl!nal, on apprend: "Heureusement pour lui, ce soir-l~, ses di scours ·touchants
et e~phatiques trôuvêrent gr~ce devant Mme Derville, qui très souvent le trou-vait gauche comne un enfant, et peu amusant" (45). Plus tard dans le roman,
lorsque Jul ien "avance sa botte et presse le joli pied de
r-ne
de, Rênal" ,{46},fotne Derville pense: "~e joli garçon a bien de sottes manières" (47). Cependant,
chez Mme de Renal la ~aladresse de Julien fait nattre l'indulgence: "Il fut
. gauche et exagéra
sa/gauch~r;e.
Mne de Rênal la lui pardqnna bien vite. Elley vit l'effet d'une·candeur channante" (48). Doit-on penser que Mme Derville est montrée ainsi comme plus sophist,iquée que sa cous ine? C lest peut-ê!tre
le-cas. Mais le narra~eur veut plus probablement nous montrer que si Julien est
t'''''
parfois un peu sot et, ~ l'occasi'on, habile, ~e de R@nal ne le remarque pas car
elle est dêj~ amoureuse de lui. "
On constate en tout cas que c'est surtout aprèS le départ de Vergy de
"\
J.be Derville qui a cru deviner ce qui se passe entre Julien et son amie. que
comnence la vraie ~duca·tion de Julien par sa mattresse: