• Aucun résultat trouvé

Les pratiques de formation des salariés dans les entreprises artisanales du BTP : proposition d’une typologie

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les pratiques de formation des salariés dans les entreprises artisanales du BTP : proposition d’une typologie"

Copied!
18
0
0

Texte intégral

(1)

LES PRATIQUES DE FORMATION DES SALARIES DANS LES ENTREPRISES

ARTISANALES DU BTP : PROPOSITION D’UNE TYPOLOGIE

Par :

David ABONNEAU

Maître de conférences, DRM, université Paris Dauphine &


Jean-François GAGNE


Professeur, Institut Supérieur de Gestion, Paris

XVème Congrès de l’AGRH Chester – Grande-Bretagne 6-7 novembre 2014

Résumé :

Les dirigeants des entreprises artisanales font face à des contraintes fortes liées à la structure des entreprises, à la nécessaire polyvalence du chef d’entreprise à la fois « homme de métier » et gestionnaire, à la rareté et la volatilité des savoir-faire des métiers artisanaux, à l’ancrage territorial des organisations concernées ainsi qu’aux transformations rapides et profondes de leur environnement. Ces contraintes font des TPE de l’artisanat des organisations singulières en termes de gestion des emplois et des compétences.

Dans le cadre de cette communication, nous proposons de répondre à la question suivante : comment les dirigeants des entreprises artisanales du BTP s’approprient-ils la formation ?

Pour répondre à cette question, nous proposons une typologie des appropriations de la formation des salariés au sein des entreprises artisanales du BTP en nous appuyant sur les résultats d’une étude conduite en partenariat avec Constructys, l’OPCA de la Construction (35 dirigeants rencontrés fin 2013 dans le cadre de focus groups). Cette typologie s’appuie sur l’identification des profils des dirigeants, de leurs représentations de l’entreprise et de la formation des salariés, des types d’entreprises artisanales ainsi que de leurs besoins en compétences. 6 types d’appropriation de la formation sont présentés : la formation

d’opportunité et de flexibilité, la formation de rentabilité et de sécurité, la formation d’apprentissage collectif, la formation d’extension et de diversification, la formation de développement et la formation planifiée et intégrée

Les résultats de cette étude, au-delà de la spécificité de l’environnement institutionnel français (plan de formation, accompagnement et conseil par les Organismes Paritaires Collecteurs Agréés…), pourraient alimenter une réflexion plus globale autour d’un champ de recherche peu exploré : la GRH dans les entreprises de moins de 10 salariés.

(2)

Introduction :

Les entreprises artisanales sont relativement méconnues en particulier par les chercheurs en sciences de gestion. Cette méconnaissance s’exprime, le plus souvent, par des représentations biaisées du monde artisan conçu implicitement comme un ensemble homogène à la fois en termes d’activité (« l’artisanat »), de modes de gestion (« l’entreprise artisanale ») et d’entreprenariat (« l’artisan »).

Sur le plan de la GRH, nous savons peu de choses sur les pratiques et les besoins de ces entreprises atypiques qui représentent pourtant environ 3 millions d’actifs, plus de 500 activités pour un million d’entreprises (d’après les Chambres de Métiers et de l’Artisanat).

Les entreprises artisanales ne sont pas des entreprises comme les autres. Elles se distinguent en particulier par leur taille – il s’agit généralement d’entreprises de moins de 10 salariés ou Très Petites Entreprises (TPE) –, par leur organisation dominée par la figure du chef d’entreprise qui assure un contrôle étroit sur l’ensemble des process (de la gestion à la production) et par leur activité centrée sur l’exercice de métiers dit manuels.

Ces entreprises sont confrontées à des problématiques de gestion de l’emploi et des compétences spécifiques dans la mesure où :

- leur activité est centrée autour de l’exercice d’un métier ou « capitalisation de savoir-faire spécifiques » selon le critère de l’Assemblée Permanente des Chambres de métiers (APCM) ;

- le chef d’entreprise y assure un rôle de premier plan ; il cumule en effet la détention des compétences propres au métier, la responsabilité personnelle et la maîtrise de l’ensemble du processus de production (APCM). À ce titre, il exerce implicitement une fonction de direction des ressources humaines en prenant les décisions relatives au recrutement et à la formation professionnelle de ses collaborateurs ;

- leur activité repose sur la maîtrise de savoir-faire à la fois très spécialisés, diversifiés et en constante évolution qui sont parfois difficilement accessibles sur le marché de la formation, ce qui se traduit par un recours privilégié à des pratiques de formation informelles, « sur le tas », « en situation de travail accompagné » (Fredy-Planchot, 2007). Le recours massif aux dispositifs de formation en alternance – en particulier le contrat d’apprentissage – témoigne de cette volonté, au sein du monde artisan, de former directement à partir de l’expérience de travail ;

- ces entreprises sont soumises à une forte contrainte territoriale dans la mesure où elles sont ancrées dans un espace géographique circonscrit où l’accès à une main d’œuvre qualifiée est relativement réduit (Cognie, Aballéa, 2009) ;

- elles font face à une pénurie structurelle de compétences voire de main d’œuvre en particulier dans le secteur du BTP (sur ce sujet voir les études menées par la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment) ;

- cette pénurie – révélatrice de besoins vitaux en termes d’emplois et de compétences – est redoublée par les évolutions rapides de l’environnement (règlementaire, culturel, social…) qui transforment les métiers, les organisations et leur activités, les savoir-faire individuels.

Dans le cadre de cette communication, nous souhaitons, à partir des résultats d’une étude conduite en partenariat avec Constructys (OPCA de la Construction), éclairer les pratiques de gestion des compétencesdans les entreprises artisanales du secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) en répondant aux questions suivantes :

(3)

Comment les dirigeants des entreprises artisanales du BTP s’approprient-ilsla formation1

? Dans quelle mesureles modes d’appropriation de la formation sont-ilsconditionnés par 2 facteurs de contingence : le profil du chef d’entreprise et, dans une moindre mesure, la stratégie de l’entreprise qu’il dirige ?

Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questions, nous proposons d’identifier : a/ les profils des dirigeants à partir de critères objectifs (éléments biographiques) et subjectifs (représentations de l’entreprise) – ce premier facteur de contingence constituant le cœur de notre étude – et b/ les stratégies des entreprises de l’artisanat du BTP – ce second facteur de contingence apportant des éléments complémentaires pour appréhender les appropriations de la formation par les chefs d’entreprises. Au terme de cette démarche, nous présenterons une typologie combinant ces 2 éléments d’analyse.

1. Revue de littérature : le profil du dirigeant, un élément décisif pour

appréhender la diversité des modalités de GRH dans les entreprises

artisanales du BTP

L’entreprise artisanale est centrée sur son dirigeant à la fois sur le plan géographique, social, organisationnel et managérial. Elle est en effet ancrée sur un territoire aux frontières géographiques étroites correspondant généralement à l’espace de vie du chef d’entreprise. Elle est positionnée sur un marché de taille très réduite, à proximité de son lieu de vie et souvent de son lieu de naissance. On estime que 80% de sa clientèle est située dans un rayon de 20 kilomètres du siège social (Cognie, Aballéa, 2009). Cette clientèle fait partie du réseau personnel de l’entrepreneur et de sa famille qui en ont souvent une connaissance « biographique ». Cette proximité spatiale et sociale constitue un atout décisif tant la réputation d’un artisan est cruciale pour obtenir un chantier et attirer des clients. Il n’y a ainsi pas de « découplage entre échange marchand et relations sociales » (Cognie, Aballéa, 2009). Par ailleurs, la TPE est souvent une affaire de famille. L’épouse du dirigeant participe à la gestion de l’entreprise (même si on observe une autonomisation croissante des conjoints). De plus, selon une logique patrimoniale, la TPE fait très fréquemment l’objet d’une succession de père en fils. À ce titre, Moreau (2003, 2006) – parmi les trois modes d’appropriation de l’apprentissage – souligne l’efficacité de la pré-socialisation dans les familles d’indépendants qui constitue une voie d’entrée beaucoup plus favorable, du fait de l’existence de prédispositions ou habitus, que les autres modes d’appropriation (« anti-intellectualisme populaire » et « réappropriation du modèle lycéen »).

1.1. Organisation des TPE artisanales :

Sur le plan organisationnel, les entreprises artisanales correspondent à la configuration simple mise en évidence par Henry Mintzberg (1989) :

- la coordination y est essentiellement assurée par la supervision directe du dirigeant (mécanisme de coordination), le pouvoir étant concentré au niveau du sommet hiérarchique de l’organisation (localisation du pouvoir). Le chef d’entreprise contrôle en effet étroitement l’ensemble des activités de l’organisation de la conduite des travaux (sur le chantier ou dans l’atelier) à la relation avec les clients (démarchage, négociation, établissement des devis et contrats) en passant par la gestion de

1 Les « appropriations de la formation » par les dirigeants des TPE artisanales renvoient

aux représentations (ce qu’ils en pensent), aux modalités de mise en œuvre (comment ils la mettent en œuvre) ainsi qu’aux pratiques (ce qu’ils en font).

(4)

l’entreprise (recrutement, formation, comptabilité). Le dirigeant de l’entreprise artisanale est à la fois un homme de métier (savoir-faire), un chef de chantier coordonnant les activités des ouvriers sur le terrain (leadership), un gestionnaire monopolisant l’ensemble des fonctions de gestion (parfois en collaboration avec son conjoint) et un stratège formulant les décisions relatives à l’avenir de l’organisation (choix des activités, des clients...) ;

- la taille limitée de l’entreprise implique une forte polyvalence des opérateurs (division

horizontale faible) qui sont généralement – à l’exception des salariés de confiance ou

« bras droits » du chef d’entreprise – exclus du processus de décision (division

verticale forte).

1.2. La GRH dans les TPE artisanales :

Sur le plan de la GRH, les entreprises artisanales correspondent au modèle arbitraire (Pichault et Nizet, 2000) ou à la convention discrétionnaire (Pichault et Nizet, 2013) :

- l’ensemble des process RH (recrutement, formation, rémunération...) sont informels et centralisés au niveau du sommet hiérarchique de l’organisation c’est à dire monopolisés de façon discrétionnaire par le chef d’entreprise ;

- la gestion des entrées constitue le « domaine réservé du dirigeant » qui sélectionne et recrute le plus souvent selon des critères peu objectivables. L’enjeu central du recrutement est moins la compétence que la confiance, le dirigeant ayant souvent, par contrainte ou par choix, recours au réseau de proximité pour attirer des candidats et à la réputation pour sélectionner ;

- la formation est essentiellement informelle et strictement basée sur les savoir-faire (Pichault, Nizet, 2000). Les chefs d’entreprise de l’artisanat du BTP mobilisent essentiellement des dispositifs de formation « en situation de travail accompagné » (Fredy-Planchot, 2007) en particulier l’apprentissage à la fois pour transmettre des compétences spécifiques voire rares et pour présélectionner les collaborateurs2 (Abonneau, 2012) ;

- la culture de l’entreprise est centrée sur l’ « esprit-maison ». Le temps de travail y est très flexible avec une indifférenciation relative entre temps libre et temps de travail. Les TPE artisanales, et dans une moindre mesure les PME, constituent en effet de véritables « entreprises communautés » au sens de Sainsaulieu (2012) dont les membres sont liés par un fort sentiment d’appartenance à « la maison », à « la boîte », le fait d’exercer un même métier renforçant cette cohésion. Cette identification explique en partie la forte implication dans le travail des salariés des TPE artisanales qui se traduit par l’acceptation d’horaires très flexibles et de tâches pénibles voire, dans certains cas, la participation à des chantiers « au noir » sous la supervision du « patron » y compris le weekend ou durant les vacances.

Ces attributs de la TPE sont parfaitement résumés par Florence Cognie et François Aballéa (2010) : « S’il y a bien un type d’entreprise qui puisse mettre en avant sinon une

culture spécifique susceptible de mobiliser ses membres pour la défendre, en tout cas une

2 Selon une étude l’ACFCI (2011), à partir d’un panel de 1500 entreprises, 57% des

employeurs interrogés déclarent que l’apprentissage représente un supplément de main d’œuvre, 46% une modalité de pré-recrutement. Une étude du CEREQ (2010) reporte 13% d’entreprises déclarant accueillir des apprentis pour le supplément de main d’œuvre qu’ils représentent et 6% pour les avantages financiers du dispositif. Parallèlement, près d’un quart des jeunes (24%) espèrent être embauchés par leur entreprise de formation (CREDOC, 2007).

(5)

dimension communautaire, c’est sans doute l’entreprise artisanale. La taille de l’entreprise, son mode de recrutement, la durée de l’apprentissage interne, la solidarité « mécanique » entre ses membres du fait de leur proximité sociale, culturelle et spatiale facilitent sa transparence et la prise de conscience des interdépendances objectives. Le fait d’être proche de ses collaborateurs géographiquement, mais surtout de travailler avec eux, autour d’un même métier, de partager leurs préoccupations, d’être proche du concret, de tenir compte des capacités opérationnelles propres à chaque personne ne peut que renforcer ce sentiment de cohésion ».

1.3. La centralité de la figure du dirigeant :

Le diagnostic organisationnel des entreprises artisanales, en particulier dans le secteur du BTP, révèle donc la centralité du chef d’entreprise, figure omniprésente (sur le chantier, dans l’atelier) et omnipotente (contrôle de l’ensemble des process de production et de gestion). Le poids du dirigeant au sein de ces entreprises se traduit par un monopole sur les décisions relatives à la gestion des emplois et des compétences (recrutement et formation) qui illustreassez fidèlement la convention discrétionnaire (Pichault et Nizet, 2013). Pour cette raison, il nous paraît important, avant de proposer notre propre approche des profils des chefs d’entreprises des TPE du BTP, de présenter brièvement les typologies existantes (principalement développées dans le cadre des travaux de l’Institut Supérieur des Métiers).

La trajectoire professionnelle des dirigeants des TPE artisanales est assez homogène dans la mesure où l’univers des TPE est relativement cloisonné. Ainsi 60% des créateurs d’entreprise et 70% des repreneurs ont acquis leur expérience au sein d’une TPE (enquête SINE, 2007). L’âge moyen d’installation est compris entre 34 et 39 ans (pour une expérience d’ouvrier de 11 à 14 ans). La décision de créer une entreprise artisanale repose sur 7 types de motivations : « être indépendant, saisir une opportunité, créer son propre emploi, évoluer,

gagner de l’argent, continuer l’entreprise familiale et vivre ses rêves et ses passions »

(Allard, Amans, Bravo-Bouyssy, Descargues, Loup, 2010).

Au-delà de ces caractéristiques génériques, plusieurs définitions et typologies des entrepreneurs-artisans ont été élaborées. Selon Picard (2000), l’entrepreneur-artisan est à l’intersection entre les représentations de a/ son métier et son savoir-faire, b/ son projet d’entreprendre et de sa stratégie et c/ son environnement. Dans la lignée de cette définition, Abballéa et Cognie (2010) proposent trois traits distinctifs : le métier, la petite entreprise et l’inscription locale.

Plusieurs typologies ont également été élaborées afin de rendre compte de la relative diversité des modes d’entrepreneuriat dans le secteur de l’artisanat.

Marchesnay (2004) distingue 4 modèles d’entrepreneur-artisan : - l’artisan par obligation (créer son entreprise pour créer son emploi) ;

- l’artisan moderne (logique patrimoniale de transmission de l’affaire familiale) ; - l’artisan post-moderne (primauté de la logique gestionnaire sur la logique de métier) ; - l’artisan hyper-moderne (entrepreneuriat déconnecté du métier).

Allard et al. (2010) élaborent une typologie en s’appuyant sur une grille d’analyse des profils comprenant quatre éléments (issus de la définition de Picard mentionnée plus haut): les compétences techniques et les savoir-faire, la stratégie et le projet d’entreprendre, les représentations du métier et de l’artisanat, les représentations de l’environnement. À partir de cette grille, les auteurs font émerger 4 profils d’entrepreneurs-artisans en fonction des combinaisons dominantes :

(6)

- l’artisan (dominantes : compétences techniques et représentations du métier) ; - l’entrepreneur (dominantes : stratégie et environnement) ;

- le manager d’entreprise artisanale (dominantes: stratégie et représentations du métier). Enfin Boutillier (2009) distingue 3 profils d’entrepreneurs en fonction de leur secteur technologique et de leur intégration territoriale :

Entrepreneur Secteur d’activité Intégration territoriale

Entrepreneur artisan traditionnel

Technologie banalisée pour une clientèle d’entreprises et les consommateurs locaux

« Petit patron » parfois « notable local ». Vocation de patron inscrite dans une histoire familiale (héritage de l’entreprise) ; sens des affaires souvent affirmé ; forte intégration territoriale

Entrepreneur artisan technologique

Technologie nouvelle pour une demande à créer

« Entrepreneur socialisé » ; création d’entreprise pour valoriser des opportunités offertes par les politiques

d’externalisation des grandes entreprises ; faible intégration

territoriale

Entrepreneur artisan de proximité

Service à la personne pour une clientèle locale de

particuliers

« Entrepreneur par défaut » ; devenir patron pour créer son emploi ; entrepreneuriat très instable qui cherche à tirer profit des mesures d’aide à la création d’entreprises ; forte

intégration territoriale

Ces typologies mettent en évidence l’hétérogénéité des profils d’entrepreneurs-artisans et laissent donc supposer l’existence de différents modèles de dirigeants de TPE. Elles soulignent la nécessité de nuancer l’idée d’un monde artisan homogène.

Dans la continuité de ces travaux, nous proposons d’explorer la diversité des profils de dirigeants dans le secteur de l’artisanat du BTP. L’hypothèse implicite sur laquelle repose notre travail est le la suivante : si la gestion, en particulier la GRH, des entreprises artisanales est étroitement contrôlée par le dirigeant (convention discrétionnaire) alors le profil du dirigeant représente un élément déterminant pour appréhender la diversité des pratiques de formation au sein des ces entreprises.

1.4. Les approches de la formation dans les entreprises de moins de 10 salariés du BTP

Avant de mettre en perspective la singularité des appropriations de la formation par les dirigeants des TPE artisanales, il nous paraît utile de revenir sur les principales typologies existantes(Meignant, 1986 ; Hauser et al., 1985) tout en soulignant leurs limites dans le contexte de notre étude.

Alain Meignant (1986), dans sa célèbre typologie, distingue 4 paradigmes formant un continuum (vers une fonction formation autonome) :

(7)

- la formation impôt : les entreprises se contentent de se conformer à la loi mais utilisent très peu les fonds disponibles (sauf peut-être pour retenir les collaborateurs de confiance). Beaucoup d’entreprises de moins de 10 salariés du BTP – peu formatrices – correspondent à ce paradigme ;

- la formation pactole : les entreprises saisissent des opportunités sous la forme d’aides financières. Nous avons pu observer, à la marge, des pratiques assimilables à ce paradigme dans le cadre de notre étude ;

- la formation sécurité : l’objectif est d’assurer via la formation une forme de « paix sociale ». À notre connaissance, les entreprises de moins de 10 salariés du BTP – où le taux de syndicalisation des salariés est faible, a contrario de celui des chefs d’entreprise – ne correspondent pas à ce paradigme ;

- la formation de développement : la formation est cohérente avec la politique générale de l’organisation et vise à contribuer à l’atteinte d’objectifs à moyen-long terme. Peu d’entreprises, dans le cadre de cette étude, mobilisent la formation pour servir un projet stratégique (il existe cependant des exceptions notables).

Hauser et al. (1985) identifient quant à eux 5 stades :

- le stade fiscal : les entreprises, en particulier les PME, jugent, selon une forme de calcul avantages/coûts, que la formation nuit à l’activité de l’organisation. De nombreuses TPE du BTP souscrivent à cette conception, les dirigeants considérant que les absences de salariés en formation sont trop coûteuses en termes de production ; - le stade du catalogue : les individus sont invités à choisir parmi des contenus de

formation à partir d’une liste mise à leur disposition. À notre connaissance, cette approche est très peu répandue parmi les TPE du BTP ;

- le stade légal : les entreprises ajustent leurs efforts de formation au plafond de financement externe disponible. Cette approche ne correspond pas aux entreprises ciblées dans le cadre de cette étude ; en effet, pour les entreprises de moins de 10 salariés du BTP, les fonds collectés par l’OPCA sont mutualisés et aucun plafond de financement n’est prévu (selon un principe d’ « enveloppe ouverte ») ;

- le stade du recensement : les entreprises recueillent les besoins de formations au sein de chaque entité de l’organisation. La structure (simple) des TPE n’est pas adaptée à ce type d’approche de la formation ;

- le stade de l’investissement (relativement similaire à la formation de développement évoquée précédemment) est rarement observable au sein des entreprises de moins de 10 salariés du BTP.

Même s’il existe des points de convergence avec les typologies existantes, les TPE du BTP semblent mobiliser la formation selon des modes singuliers (cf. Encadré 1).

2. Recueil des données :

Dans le cadre d’un contrat de recherche en partenariat avec Constructys, OPCA de la Construction, 8 focus groups ont été conduits auprès de chefs d’entreprises artisanales de moins de 10 salariés. 35 dirigeants ont ainsi partagé, courant septembre 2013, leurs représentations, pratiques, besoins et attentes en termes de formation continue. L’objectif initial du projet était de construire une segmentation des entreprises de moins de 10 salariés du secteur du BTP à partir de l’identification des différents profils de dirigeants, types d’activités et appropriations de la formation.

(8)

Pour refléter le plus fidèlement possible la diversité des TPE du BTP, nous avons choisi nos interlocuteurs en fonction des critères suivants (identifiés à partir de l’examen de la base des adhérents transmise par Constructys) :

- les métiers : travaux publics (8%), plomberie-chauffage (14%), couverture (17%), peinture (14%), maçonnerie (8%), menuiserie (8%), électricité (8%), isolation (6%), autres métiers (17%) (cette répartition étant relativement cohérente avec les statistiques de l’INSEE) ;

- la taille de l’entreprise : de 2 salariés à 10 salariés ;

- la localisation de l’entreprise : entreprises localisées en zone rurale, urbaine et péri-urbaine ;

- le taux de formation : entreprises recourant faiblement aux dispositifs de formation financés par l’OPCA (1 focus group dédié), entreprises recourant irrégulièrement aux dispositifs (1 focus group dédié), entreprises recourant régulièrement aux dispositifs (1

focus group dédié).

Les focus groups se sont déroulés à Rennes, Paris, Strasbourg, Marseille, Bordeaux, Lille, Lyon et Nantes. Les échanges (d’une durée moyenne de 2h15) ont été intégralement retranscrits et codés.

Encadré 1. Analyse des données

Le codage des données a été réalisé à partir des champs thématiques suivants :

1. la trajectoire professionnelle des dirigeants : formation initiale (niveau de formation, spécialité de formation), expérience antérieure (diversité et taille des entreprises de passage) ;

2. la condition d’installation : reprise ou création d’entreprise, inscription du dirigeant dans l’organisation (avec un focus sur l’entreprise familiale) ;

3. l’organisation de l’entreprise : chaîne de commandement (existence de « managers » intermédiaires versus contrôle direct du dirigeant sur l’ensemble des activités de production), diversité des activités (mono-activité versus poly-activité), métiers mobilisés (organisations centrées sur un métier versusorganisations centrées sur une activité mobilisant des métiers connexes), inscription dans un réseau (entreprises pilotes, sous-traitantes et/ou indépendantes), activités tertiaires (externalisées, assurées par le dirigeant, son conjoint ou un salarié tiers), le turnover(fort versus faible) ;

4. l’orientation stratégique du chef d’entreprise : développement des activités (diversification, extension) et croissance des effectifsversus stabilité des activités et des effectifs ;

5. les représentations de la formation : atout, investissement, contrainte, risque (…) pour l’entreprise ;

6. les modalités de mise en œuvre de la formation : degré d’individualisation de la formation (formations collectives versus formations personnalisées) ;

7. la nature des freins à la formation : coût financier, contraintes de production, difficultés à identifier les contenus et/ou les organismes de formation…

8. les champs de formation dominants : formations règlementaires et obligatoires, formations techniques et produits, formations tertiaires, formations au management des équipes (conducteur de travaux, chef de chantier) ;

9. l’orientation temporelle de la formation : court terme (urgente si le besoin fait suite à la suspension d’un chantier par l’Inspection du travail, immédiate si le besoin correspond au contenu d’un appel d’offre) versus long terme (liée à la « vision » du

(9)

dirigeant) ;

10. les modalités d’identification des besoins : centrées sur les salariés (sur la base d’entretiens annuels d’évaluation plus ou moins formalisés) versus centrées sur l’activité de l’entreprise (sur la base de l’analyse du contenu des appels d’offre, des évolutions des marchés et de l’environnement).

L’analyse thématique des données a permis de faire émerger :

- des types ou profils de dirigeants présentant des similarités « objectives » en termes de trajectoires, d’expériences antérieures, de conditions d’installation ainsi que des points de convergence « subjectifs » en termes de représentations et de freins à la formation ;

- des types d’entreprises – assimilables, dans une certaine mesure, à des configurations organisationnelles – partageant des traits communs en termes d’activités et de stratégies ;

- des pratiques de formation qui peuvent être regroupées dans 6 ensembles :formation

sous-contrainte, formation de main d’œuvre, formation de fidélisation, formation de consolidation, formation de développement et formation de transition3.

L’analyse des données a mis en évidence l’influence centrale du profil du dirigeant sur les modes d’appropriation de la formationmême si la stratégie de l’entreprise représente également un élément non négligeable pour appréhender la fréquence, les modalités et objectifs de la formation.

3. Résultats :

3.1. Les profils des dirigeants :

À partir des entretiens, 6 profils de dirigeants (ou « modèles ») ont été identifiés en fonction de la formation initiale des chefs d’entreprise, de leurs expériences antérieures à la création ou la reprise de l’entreprise (critères objectifs). À ces 6 portraits-types correspondent 6 visions de l’entreprise et de sa gestion (critères subjectifs).

Le premier profil est le modèle personnel ou paternaliste. Ces dirigeants ont suivi une trajectoire relativement classique : formation initiale dans le métier (CAP ou BEP) suivie d’une expérience plus ou moins longue en tant qu’ouvrier dans une TPE artisanale avant l’installation soit par création soit par reprise. Pour ces dirigeants, l’entreprise est un

patrimoine personnel.

Le second profil correspond au modèle clanique. L’entreprise est organisée autour d’un noyau dur de salariés de confiance unis par des liens de parenté plus ou moins étroits (conjoint, fils, frères, cousins). Pour ces dirigeants, l’entreprise est un capital familial.

Le troisième profil correspond au modèle collégial et renvoie à des entreprises dont la direction est partagée. Le plus souvent il s’agit d’un duo comprenant un homme de métier et un profil gestionnaire (avec une formation et une expérience dans le domaine du commerce). On trouve également des entreprises pilotées par 3 ou 4 associés (voire plus, pour les entreprises organisées en SCOP). Pour ces dirigeants, l’entreprise est un investissement

collectif.

3 Chacun de ces types de formation renvoie à des modalités d’évaluation des besoins

(centrées sur les individus versus centrées sur l’activité de l’entreprise) et à des orientations temporelles différentes (court terme versus long terme).

(10)

Le quatrième profil correspond au modèle participatif. Le dirigeant est un homme de métier disposant d’une expertise très poussée acquise durant une longue période de formation et d’expérience d’ouvrier dans diverses entreprises (PME et/ou grandes entreprises). Il peut être un compagnon issu d’un des 3 mouvements du compagnonnage ; son entreprise est alors, dans une certaine mesure, organisée comme une communauté. Pour ces dirigeants, l’entreprise représente une équipe.

Le cinquième profil correspond au modèle délégatif. Le dirigeant n’est pas un homme de métier et n’est pas secondé – comme dans le modèle collégial – pour un homme de métier. Il est issu de la grande entreprise eta souvent suivi une formation initiale dans le domaine de la gestion (avec un niveau de formation assez élevé – Licence voire DESS). Il délègue les « fonctions métier » à des salariés au sein de son entreprise et ne cherche pas à se substituer à eux. Pour lui l’entreprise est avant tout une organisation à piloter.

Le sixième profil correspond au modèle industriel. Il s’agit de chefs d’entreprise aux niveaux de formation initiale très variables (on y trouve aussi bien des autodidactes que des hommes de métier disposant d’un niveau de formation initiale élevé). Ils ont en commun une longue expérience dans les grandes entreprises, en particulier au sein des grands groupes du BTP où ils ont exercé des fonctions d’encadrement et de suivi de chantier. Ils ont quitté ces groupes pour « monter leur affaire » et tendent à mettre en place des procédures issues de la grande entreprise. Pour eux, la TPE est une grande entreprise en miniature.

Ces 6 profils ont des points communs qui permettent d’identifier 3 rapports à la formation.

Les modèles personnel(ou paternaliste) et clanique partagent une même vision de la formation des salariés. Pour ces dirigeants, la formation représente un investissement risqué car, d’une part, la formation est un coût pour l’entreprise (et donc pour le dirigeant qui la considère comme un capital personnel ou familial) et, d’autre part, les salariés formés peuvent partir avec les compétences acquises (risque de turnover). Autrement dit, le dirigeant risque de former – c’est du moins son point de vue – les entreprises concurrentes chez qui le salarié formé partira. Ces dirigeants ont tendance, pour minimiser le risque perçu de formation, à auto-centrer la formation c’est à dire à se former eux-mêmes ou les membres de la famille et à éviter la formation des salariés n’appartenant pas au noyau dur des collaborateurs de confiance (formation auto-centrée)4.

Les modèles collégial et participatif partagent une même approche de la formation d’une part parce que la formation est nécessairement négociée en interne par les associés (pour le modèle collégial) ou par le dirigeant et ses salariés (pour le modèle participatif) mais également, d’autre part, parce que ces dirigeants considèrent la formation comme un levier pour se différencier, pour être plus compétitif sur leurs marchés. Ils privilégient une démarche collective en recourant notamment à des plans de formation dits collectifs (formation

collective)5.

4 « Le risque énorme, c’est de voir le salarié qui s’en va ; et quand on se dit : ben moi, je vais

avoir la formation et puis au moins je suis tranquille, je vais garder cette expérience-là, et puis comme je suis sûr de rester au sein de mon entreprise, au moins je vais être tranquille. Je ne vais pas donner ma démission ou alors il faudra que je recrée une autre entreprise, mais je n’ai aucune raison de le faire. Donc je reste au sein de mon entreprise, donc la personne compétente reste au sein de l’entreprise »

5 « Pour une petite entreprise de trois personnes dans ces cas-là quand je prends une

(11)

Enfin les modèles délégatif et industriel sont relativement proches dans la mesure où ces 2 profils de dirigeants sont non seulement convaincus mais aussi habitués à former les salariés en adoptant une approche personnalisée (avec notamment l’identification des besoins

via les entretiens annuels d’évaluation). Dans la mesure où la TPE est structurée comme une

grande entreprise où chaque collaborateur a ses compétences, ses attributions et sa place, la formation est nécessairement centrée sur les besoins d’un individu et secondairement sur le collectif.Ils sont habitués et consomment de la formation à des taux élevés. Pour eux la formation est une routine (formation personnalisée)6.

Tableau 1. Les modèles de dirigeant

ça on a tous les trois les mêmes données et au moins on est calés tous les trois d'un seul coup »

6 « On a fait l’année dernière. On a fait un bilan de compétence justement, j’ai dit { mon

chef de chantier, puisque c’est lui qui gère en direct ces troupes, comme ça, ça me laisse un peu le temps de ne pas gérer le quotidien, que je sois libre. Et il a commencé à faire les entretiens avec eux directement et puis qu’il me dise après sur quoi il faudrait les former »

(12)

3.2. Les stratégies des entreprises artisanales du BTP :

Si le profil du dirigeant exerce une influence de premier ordre sur les pratiques de formation des salariés, la stratégie des TPE est également un facteur déterminant pour comprendre les appropriations de la formation par les chefs d’entreprise.

À partir d’une grille à 5 critères (cf. Encadré 1, 3.), 6 organisations-typespartageant des caractéristiques communesont été identifiées :

1. l’entreprise autonome qui intervient seule sur les chantiers quitte à refuser des marchés s’ils exigent de la coordination avec d’autres entreprises/corps de métier ;

2. l’entreprise pilote qui fait appel à des co-traitants appartenant généralement à un réseau de partenaires de confiance. Ces entreprises font appel à des partenaires pour éviter d’intégrer des compétences diversifiées, préférant se concentrer sur le cœur de métier plutôt que de se diversifier ;

3. l’entreprise dépendante qui intervient sur des chantiers sur demande de donneurs d’ordre. L’activité dépend de l’entretien d’un réseau stable de donneurs d’ordre ; 4. l’entreprise indépendante : comme l’entreprise autonome, cette entreprise intervient

seule sur le chantier. Il s’agit d’entreprises positionnées sur une activité qui nécessite plusieurs corps de métier. Dans ces entreprises, on observe une forte tendance à intégrer des métiers connexes au cœur de métier pour éviter les coûts de coordination avec des partenaires extérieurs. Cette entreprise comprend donc différents métiers avec une tendance vers le « tout corps d’état ». Sur les plans techniques, produits et habilitations, on y forme donc à différents métiers ;

5. l’entreprise poly-activités : il s’agit d’entreprises organisées en pôles d’activités indépendants, chaque pôle correspondant à un marché (particuliers, marchés publics, sous-traitance…) ou à un type de prestation (travaux de réparation et d’installation par exemple). Ces entreprises polycentriques tendent à se scinder, si la croissance de l’activité le permet, en TPE distinctes avec la constitution de véritables micro-groupes. En matière de formation, les dirigeants de ces TPE réfléchissent en termes de pôle d’activité et évaluent les besoins en formation à partir de cette unité de raisonnement ; 6. l’entreprise adaptatrice : il s’agit d’entreprises sous-traitantes pour des grands groupes

du BTP ou de l’industrie. Leur activité repose sur la réponse à des appels d’offre spécifiques ce qui nécessite une adaptation permanente. Ces entreprises se forment principalement en fonction des « appels d’offre ».

Ces 6 types d’entreprises correspondent à 2 approches de la stratégie de l’entreprise: - les entreprises autonomes, pilotes et dépendantes souhaitent rester stables c’est à dire

rester sur des marchés qu’elles connaissent et sur des activités maîtrisées ;

- tandis que les entreprises poly-activités, indépendantes et adaptatrices souhaitent grossir, se développer, aller vers des marchés qu’elles ne connaissent pas et vers des activités qu’elles ne maîtrisent pas.

Il existe ainsi 2 grands types de stratégies qui exercent une influence – au-delà du profil du dirigeant – sur les besoins en termes de formation. Les entreprises de croissance (formation de développement) et les entreprises de stabilité (formation de stabilité) n’ont logiquement pas la même approche des questions relatives aux compétences.

3.3. La typologie finale :

L’analyse des données nous a permis de constater qu’il existait une correspondance forte entre, d’une part, les 2 facteurs de contingence que nous avons mis en évidence et, d’autre part, les appropriations de la formation. Le profil du dirigeant exerce une influence de

(13)

premier ordre (via les représentations sous-jacentes : risque, levier de différenciation, routine) sur les modalités de formation (fréquence, mise en œuvre collective ou individuelle) et d’identification des besoins (centrées sur l’individu ou sur l’activité de l’entreprise) ainsi que sur les objectifset l’orientation temporelle de la formation (poursuivre une stratégie à long terme ou répondre à des enjeux immédiats). Si le profil du dirigeant émerge, à partir des entretiens, comme le facteur le plus influent, la stratégie de l’entreprise permet néanmoins de distinguer au sein de chacune des 3 grandes « familles » de dirigeants (risque, différenciation et routine) 2 cadres organisationnels relativement déterminants en termes de formation : un contexte de développement et un contexte de stabilité.

Le croisement de ces 2 facteurs de contingence – profil et stratégie – nous a permis de faire émerger la typologie suivante.

Tableau 2. Typologie des appropriations de la formation

3.3.1. La formation d’opportunité et de flexibilité

Les dirigeants de ces TPE souhaitent conserver des effectifs faibles (pour « rester stable »), ils ont ainsi recours à de la formation de main d’œuvre en particulier viales contrats de professionnalisation et les contrats aidés7. Ils ont des comportements de maximisation des avantages et optent pour les dispositifs les plus avantageux sur le plan financier.

7 « Moi Constructys j'en ai aussi consommé, par le biais de formation sur le long terme. En prenant des salariés, j'ai eu deux salariés (...) Tout ça pour dire que moi en tant qu'artisan, je n'ai pas forcément envie de grandir ou d'avoir du personnel, parce que ça je ne sais pas faire. Moi ce que je sais faire je le fais avec mes mains et j'en reste là. Mais j'ai besoin de gens de temps à autre et l'avantage de Constructys c'est que ça me permet de financer des salaires que je ne pourrais pas prendre à part entière, sur mon activité parce que j'ai une activité où j'ai des flux qui sont en dents de scie. Des fois j'ai besoin de monde, des fois j'ai besoin d'être tout seul »

(14)

Le recrutement d’un nouveau collaborateur « permanent » représente un risque important pour ces dirigeants, ils utilisent donc également les contrats aidés – contrat d’apprentissage ou contrat de professionnalisation – pour pré-recruter, sélectionner sur une période longue des salariés de confiance8.

Les dirigeants de ces TPE s’appuient souvent sur un salarié de confiance qui fait office de bras droit (de « second » pour assurer le suivi des chantiers, la coordination avec les intervenants extérieurs), ces entreprises sont donc sensibles aux actions de formation permettant de fidéliser ces salariés de confiance. La plupart du temps, les dirigeants saisiront une opportunité qui peut être une proposition de formation (par exemple « chef de chantier ») par un prescripteur de formation (OPCA, organisme de formation, organisation professionnelle ou fournisseur)9.

3.3.2. La formation de rentabilité et de sécurité

Il s’agit d’entreprises qui sont soucieuses de se protéger du risque lié à un défaut de formation obligatoire souvent parce qu’elles ont fait l’expérience d’un problème sur le chantier (par exemple la suspension de travaux par l’Inspection du travail), ils souhaitent mettre en œuvre une démarche de formation de prévention des risques a minima10

.

Ces entreprises mobilisent la formation pour être plus rentables. Elles chercheront par exemple à se former au montage d’échafaudage pour éviter de payer une prestation externe. De la même façon elles cherchent à se positionner sur des techniques, des produits plus rentables au regard des évolutions du marché. À ce titre, elles consomment des formations techniques et produits.

3.3.3. La formation d’apprentissage collectif

Ces entreprises souhaitent se différencier de la concurrence (ce qui n’est pas forcément le cas des types 1 et 2 qui ont une activité relativement générique) en développant une expertise collective sans que pour autant une stratégie soit clairement définie. Les dirigeants de ces TPE procèdent par expérimentation en tenant compte dans une certaine mesure des souhaits des salariés. Contrairement aux 2 précédents types, la prévention des risques ne procède pas uniquement de contraintes externes. Ces dirigeants sont souvent très fortement

8« Effectivement quand on a un premier salarié, on sait jamais trop où on met les pieds.

Donc j’étais passé par le biais effectivement d’un salarié en formation en alternance tout simplement »

9 « Donc ensuite, on a Carlos qui est là à temps plein, qui lui est quand même très polyvalent et sûr et de confiance, d’où le fait qu’on lui fait faire quand même cette formation de conducteur de travaux. Puisqu’après, on a des équipes de personnes avec qui on a fait des contrats en fait, qui sont là pour refaire de la sous-traitance, et du coup, on a quand même besoin de quelqu’un qui soit l{ en permanence sur les chantiers pour vérifier que tout est fait dans la conformité, qu’il n’y a pas d’erreur pour… voil{. Je dirais un peu tout ça, les plannings aussi pour les interventions. Donc voil{, on a besoin d’être, enfin ça serait un bras droit quoi (…) Voil{, parce que bon, conducteur de travaux, pas qu’il n’a pas été capable avant la formation, mais je pense que c’était nécessaire, lui il en avait envie aussi, donc voilà, il y a aussi une reconnaissance vis-à-vis de lui »

10« L’obligation, c’est par exemple les habilitations électriques, c’est par exemple d’être un minimum en conformité avec ce qu’on fait pour se préserver si jamais il y avait un accident de travail ou autre chose ; que les gars soient quand même au minimum formés et ça suffit. »

(15)

sensibilisés aux questions de sécurité et adoptent une posture de prévention en intégrant l’ensemble des salariés à la réflexion sur les risques professionnels.

Tant sur le plan de la sécurité que des techniques, ces entreprises sont engagées dans une démarche de progression11 : sécurité, techniques, produits, qualité – pour se différencier de la concurrence mais également parce que les dirigeants assurent la promotion d’une culture du « travail bien fait » voire de l’excellence.

3.3.4. La formation d’extension et de diversification

Ces entreprises en développement rapide souhaitent autonomiser la gestion de chacun des pôles de l’organisation parfois avec pour objectif de créer un micro-groupe de 2 ou 3 structures de moins de 10 salariés. Pour répondre à la croissance de l’entreprise, les dirigeants souhaitent professionnaliser la fonction de gestion et sont ainsi consommateurs de formation

tertiaire.

Parce-que le dirigeant a défini un plan stratégique, qu’il a la vision de ce que sera son entreprise à moyen terme, il met en œuvre un programme de formation stratégique qui touche à la fois le management des équipes (pour autonomiser les équipes en termes de suivi de chantier), les techniques et le niveau de qualité des prestations. Ce plan stratégique passe dans ces organisations comprenant plusieurs pôles d’activités par des formations techniques et produits12.

3.3.5. La formation de développement

Ces entreprisessont positionnées sur des marchés spécifiques souvent en sous-traitance mais, à leur stade de développement, ne sont pas encore identifiées comme des partenaires de confiance par les donneurs d’ordre (groupes du BTP et de l’industrie). Leur activité est avant tout liée à des réponses à des appels d’offre très variés : c’est pourquoi ils ont besoin de s’adapter rapidement avant ou pendant les travaux. Ils sont consommateurs de formations « juste à temps », les besoins étant identifiés à partir de l’examen des contenus des appels d’offre.

Les dirigeants de ces entreprises sont également des expérimentateurs et procèdent par essais et erreurs (en examinant les opportunités du marché)13.

11 « Ben, chez moi, j’essaie de mettre en place une politique comme ça de progression de… Il y a tellement de choses {améliorer que… C’est bon, il y a la production de tous les jours mais de temps en temps, je dis : ben tiens je vais essayer d’améliorer ci ou d’améliorer ça » 12 «(un des associés) s’est dit, « ben on va passer monument historique » d’une part, parce que, en fait, ça va lui plaire de travailler (sur ce type de chantier) et on a des ouvriers en fait, un certain nombre d’ouvriers qui eux, (ça va) leur plaire aussi… Ils préfèreront aller travailler sur ces matériaux-l{. Et d’autre part en fait, on va valoriser aussi la société. Parce qu’en fait, aujourd’hui, si vous avez une qualification MH, votre société n’a plus la même envergure (…) Ça fait déj{, nous, ça fait sept ans que…, ouais, sept ans qu’on est dessus » (vers Qualibat Monuments Historiques)

13 « C’est jamais : stop. On développe des affaires, des… On déniche des activités, des trucs, etc., et on tombe… Et après, entrepreneur c’est aussi tenter des choses. Et il y a des moments où on va développer d’autres choses et l{ il va falloir faire de la formation, essayer, rechercher, développer, créer et puis peut-être à un moment dire « stop », c’est pas du tout… C’est pas du tout notre métier ou on se perd l{-dedans et revenir à quelque chose »

(16)

Les dirigeants de ces entreprises sont souvent issus de grands groupes du BTP mais pas uniquement ce qui leur a donné une vision de la fonction formation spécifique. Pour eux, la TPE est une GE en miniature et, à ce titre, la formation représente un moyen de récompenser et de fidéliser les salariés (forte individualisation de la formation).

3.3.6. La formation intégrée et planifiée

Ces TPE ne sont presque plus des TPE sur le plan de la structure tant elles sont organisées comme des grandes entreprises. Il s’agit d’entreprises qui ont acquis une expertise très rare dans un domaine. À ce titre, leur activité est si spécifique qu’il n’existe souvent pas de concurrent direct localement. C’est le cas des entreprises de niche ou des entreprises sous-traitantes de confiance qui interviennent sur des chantiers trop complexes pour être traités en interne par les grands groupes14.

Elles se forment « juste à temps » pour répondre à des contraintes de chantier spécifiques (souvent pendant le chantier lui-même)15.

Pour être des sous-traitants de confiance, les dirigeants sont attentifs à former les salariés pour renforcer l’image de marque auprès des donneurs d’ordre (habilitations, sécurité, mise à jour des formations renouvelables…).

On trouve également ici des entreprises autonomes du bâtiment qui sont positionnées sur des marchés très spécifiques nécessitant de combiner plusieurs corps de métier (d’où un fort recours à la formation aux métiers connexes).

4. Discussion

Sur le plan théorique, la présente étude permet d’alimenter les recherches autour d’un objet relativement méconnu – l’entreprise artisanale – en apportant des éléments d’analyse relatifs :

- aux profils des dirigeants ou artisans : 6 modèles (personnel ou paternaliste, clanique,

collégial, participatif, délégatif et industriel) ont été identifiés à partir de critères

objectifs (biographie du dirigeant) et subjectifs (représentations de l’entreprise et de la formation des salariés) ;

- aux activités des entreprises artisanales : une grille à multicritères a été élaborée et a permis de faire émerger 6 grands types d’entreprises –autonome, dépendante, pilote,

poly-activités, indépendante et adaptatrice – ainsi que 2 orientations stratégiques

correspondantes – entreprises de stabilité et entreprises de croissance ;

- aux pratiques de GRH, en particulier les pratiques de formation des salariés, mises en œuvre au sein de ces TPE : les entretiens que nous avons conduits auprès de chefs d’entreprise de l’artisanat soulignent l’influence décisive du profil du dirigeant sur les modalités de mise en œuvre de la formation (formation auto-centrée, formation

collective et formation personnalisée) et, dans une moindre mesure, de l’orientation

14 « Donc c’est la souplesse que nous avons, donc je forme mes équipes { ça et puis euh… ça permet de développer des marchés qui sont délaissés ou qui peuvent pas être suivis par les grands groupes parce qu’ils ont trop de frais fixes, trop de structure, pas assez de… Donc, bon, on essaie de se positionner là où les clients nous demandent aussi donc… »

15 « En fait, on est des chasseurs, et il faut se former { ce qu’on chasse » ; « Les formations, ça se planifie difficilement longtemps { l’avance. On l’a dit, souvent c’est des formations qui sont générées par un marché à prendre ou une affaire qui se profile, des compétences qui sont à acquérir »

(17)

stratégique de l’entreprise (formation de stabilité et formation de développement). Ces 2 facteurs ont permis de faire émerger une typologie comprenant 6 comportements de formation (formation d’opportunité et de flexibilité, formation de rentabilité et

sécurité, formation d’apprentissage collectif, formation d’extension et de diversification, formation de développement et formation intégrée et planifiée).

Nos résultats soulignent la grande hétérogénéité du monde de l’artisanat dans le secteur du BTP, cette diversité étant largement liée à la multiplicité des profils de dirigeants. Un faisceau d’indices nous laisse supposer qu’une partie de nos conclusions, notamment concernant l’influence du profil du dirigeant sur les comportements de formation, pourraient être généralisées à l’ensemble de l’artisanat en particulier aux métiers de l’alimentation et de la restauration. Pour confirmer cette intuition, des études complémentaires devront être réalisées dans les autres secteurs-clés de l’artisanat.

Sur le plan pratique, les résultats de cette étude menée en partenariat avec Constructys, OPCA de la Construction, ont permis d’élaborer une segmentation des entreprises de moins de 10 salariés du BTP à partir de laquelle les conseillers des Organisations Paritaires Délégataires16(CAPEB, FFB, FNTP et SCOP BTP) pourront,d’une part, formaliser une démarche de diagnostic des besoins en formation et en compétences et, d’autre part, formuler un discours adapté à chaque profil de dirigeant. L’opérationnalisation de cette segmentation par le réseau délégataire de Constructys est en cours, les principaux éléments de la démarche proposée dans cette étude faisant actuellement l’objet d’un travail de déclinaison en outils auxquels seront formés prochainement les conseillers en prise avec le terrain.

Bibliographie :

Aballéa F., Cognie F. (2009), « La proximité : De la rhétorique à l’opérationnalité », in

Annales du réseau Artisanat-Université 2008-2009.

Abonneau D. (2012), Retenir les apprentis dans l’entreprise et dans le métier : enjeux du

mentorat dans le secteur de l’artisanat, Thèse de Doctorat, Université Paris Dauphine.

Allard F., Amans P., Bravo-Bouyssy K., Descargues R., Loup S. (2010), « Les nouveaux visages de l’artisanat », in Annales du réseau Artisanat-Université 2009-2010.

Allard F., Amans P., Bravo-Bouyssy K., Descargues R., Loup S. (2009), «Partage et transmission du savoir artisanal », in Annales du réseau Artisanat-Université 2008-2009. Boutillier S. (2009), « Entrepreneuriat, territoire et réseaux sociaux de proximité », in Annales

du réseau Artisanat-Université 2008-2009.

Cognie F., Aballéa F. (2010), « L’artisan : Anticipation d’une nouvelles figure de l’entrepreneur », in Annales du réseau Artisanat-Université 2009-2010.

De Blignières-Légeraud A., (avec la collaboration de Botha S.), Groupe de travail sur l’apprentissage dans l’Artisanat (2012), Étude Apprentissage, Synthèse de la phase de

consultation, État au 18 juin 2012, 26 juin 2012.

Fredy-Planchot A. (2007), « Reconnaître le tutorat en entreprise », Revue Française de

Gestion, 175, p.23-32.

16 Le conseil et l’accompagnement des entreprises de moins de 10 salariés ont été

délégués par l’OPCA Constructys aux organisations professionnelles (dites « délégataires ») dans le cadre de Conventions Techniques et Financières signés en 2012.

(18)

Hauser G., Masingue B., Maître F., Vidal F. (1985), L’investissement formation, Éditions d’Organisation.

Meignant A. (1986), La formation atout stratégique pour l’entreprise, Éditions d’Organisation.

Mintzberg H. (1989), « Le management, Voyage au centre des organisations », Éditions d’Organisation.

Moreau G. (2003), Le monde apprenti, La Dispute, Paris.

Moreau G. (2006), « Qui choisit l’apprentissage ? », in Les dossiers Insertion, Éducation et Société, Actes du colloque « Points de vue sur l’apprentissage du 28 novembre 2006 », 191, novembre 2007, p.37-50.

Pichault F., Nizet J. (2000& 2013), Les pratiques de gestion des ressources humaines, Éditions du Seuil.

Sainsaulieu R. (2012), « La construction des identités au travail », in J.-M. Saussois (dir.), Les

Figure

Tableau 1. Les modèles de dirigeant
Tableau 2. Typologie des appropriations de la formation

Références

Documents relatifs

Si, en plus du régime de prévoyance conventionnelle, les salariés ne bénéficient pas encore d’une couverture santé obligatoire respectant les obligations des contrats «

Ceux travaillant à temps partiel sont comptés au prorata du rapport entre la durée inscrite dans leur contrat de travail et la durée légale de travail au cours du trimestre

Aussi, peut-on s’interroger pour savoir dans quelle mesure, com- ment, sous quelles formes et à quel prix, la formation pourrait contribuer à construire des profils polycom-

Les artisans du second groupe (artisanat de production de biens) sont des femmes, relativement âgées (35 à 44 ans), ayant suivi une formation

Là il faudrait eut être une meilleure communication auprès des entreprises de l’intérêt qu’elles ont à le faire » Il poursuit en soulignant que

Travail du cuir; Fabrication d'articles de voyage et de chaussure Travail du bois et fabrication d'articles en bois ( hors meubles) Imprimerie et reproduction d'enregistrements.

L L a première fonction d’une entreprise étant de produire un a première fonction d’une entreprise étant de produire un bien ou un service destiné à satisfaire un besoin, il

Les salariés des entreprises connaissant une croissance modérée ou une baisse modérée de leur activité sont plutôt dans la moyenne, à la fois en termes d’accès et de durée de