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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Arts, sciences et technicités : un mariage à trois controversé

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Academic year: 2021

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ARTS, SCIENCES ET TECHNICITÉS :

UN MARIAGE À TROIS CONTROVERSÉ

Éric TRIQUET

Secrétaire général des JIEST, UMR STEF ENSC/INRP UniverSud Paris & IUFM Université Joseph-Fourier, Grenoble

Le thème « Arts, sciences et technicités » est un thème très vaste, impossible à traiter de façon exhaustive. Il est tellement vaste que mis au pied du mur, on ne sait, comme le confie le physicien Étienne Klein par quel bout démarre l’affaire. Et de renvoyer à une métaphore montagnarde, celle d’alpinistes pris dans une passe difficile et qui essaient plusieurs prises différentes, les jaugent, les testent, jusqu’à trouver celle qui leur paraît la plus sûre.

Celles que nous utilisons ici sont empruntées à Étienne Klein, Jean-Marc Levy-Leblond, Éliane Strosberg et Jean-Claude Risset.

En préambule, pour le premier, on peut s’interroger sur la nature du lien – éventuel – qui existe entre la pratique de la physique et la pratique d’un art, bien qu’il s’agisse d’une prise fragile. Dès lors, à sa suite, on peut se demander pourquoi tous les pères fondateurs de la physique quantique étaient à la fois musiciens et mélomanes (à l’exception d’Erwin Schrödinger). Simple coïncidence ? Mise en résonance de cette activité artistique avec leur travail de physicien ? Simple écho à leurs préoccupations ? À moins qu’il ne s’agisse d’un effet partagé d’une éducation en définitive très semblable ?

Plus largement, Éliane Strosberg (1991) rappelle que des savants comme Nicolas Copernic ou Louis Pasteur étaient doués d’un savoir-faire artistique. Les correspondances ne se limitant d’ailleurs pas aux arts visuels, le nombre de scientifiques musiciens étant un fait encore plus remarquable (Euler, Schweitzer, Einstein). Mais réciproquement, souligne-t-elle, malgré l’exigence de leur art, de

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nombreux artistes parmi les plus éminents tels Léonard de Vinci et Albrecht Dürer ont démontré une compétence scientifique. Elle note au passage que pour un artiste d’aujourd’hui, devenir un scientifique est un pari difficile à tenir ; mais que le contraire n’est pas plus facile.

Une seconde prise à peine plus sûre consisterait, toujours selon Étienne Klein (2009), à examiner les « jeux de miroirs » (souvent déformants), « les échos mutuels », qui s’organisent entre les sciences et l’art. Eliane Strosberg rappelle à ce propos que depuis toujours, art et science suivent des chemins parallèles. Parfois l’un devance l’autre : la peinture, par exemple, aurait anticipé certains concepts scientifiques. C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, rappelle-t-elle le précubisme semble avoir annoncé la théorie de la relativité. À l’inverse, note Étienne Klein, la nouvelle conception de l’espace et du temps introduite par la réalité d’Einstein a inspiré un artiste comme Marcel Ducham (Nu dans un escalier), de même que la physique atomique a semble-t-il poussé un peintre comme Kandinsky vers l’abstraction.

Dans son rapport sur le thème Art-science-technologie commandé par le ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie Jean-Claude Risset (1998) donne plusieurs exemples de ce parcours croisés.

Les arts comme source d’inspiration des sciences :

- La notation musicale occidentale a inspiré les systèmes de coordonnées cartésiennes (selon l'historien britannique Geoffroy Hindley).

- Les machines à musique sont les premiers exemples connus de programmes enregistrés. - Les facteurs d'orgue ont mis en œuvre la synthèse additive de timbres musicaux des siècles

avant Fourier.

- Le concept d'intelligence artificielle a été énoncé pour la première fois vers 1840 par Lady Lovelace à propos de la composition musicale automatisée.

Les sciences comme source d’inspiration des artistes

- La chambre noire a déterminé l'usage de la perspective chez Alberti, Brunelleschi et les peintres de la Renaissance.

- La photographie a détourné les peintres des fonctions de représentation, ouvrant la voie à l'impressionnisme, au cubisme, à l'art abstrait et à l'hyperréalisme. Les nouveaux matériaux ont donné lieu à de nouvelles architectures.

- L'électroacoustique et le son numérique jouent un rôle important dans la création musicale d'aujourd'hui. L'enjeu proprement artistique est hautement significatif.

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De ce bref inventaire il conclut que la confrontation entre l'exigence et la capacité créatrice d’une part, la puissance analytique et technique d’autre part peuvent naître des possibilités neuves et riches.

Mais Jean-Marc Levy-Leblond (2001) nous met ici en garde contre toute tentative d’assimilation des champs en présence.

« Que le big-bang ou la non séparabilité quantique alimentent l’imaginaire d’un peintre ou d’un musicien, soit : il faut reconnaître aux créateurs le droit le plus absolu à puiser dans la recherche scientifique ce qui les intéresse, et même d’en détourner à leur gré les idées ou les images » concède-t-il. Mais d’ajouter immédiatement : « que l’on ne se demande pas à la science d’en avaliser le résultat et de garantir par son autorité la valeur ou simplement l’intérêt esthétique des œuvres ainsi conçues ».

Pour lui, si la technoscience veut se faire culture, « ce n’est pas en récupérant en arraisonnant la création artistique qu’elle y parviendra » ; et si les arts veulent avoir prise sur un monde dominé par la technoscience, « ce ne sera pas en la piagiant ou en s’y inféodant ».

Dès lors, en rupture avec une pensée souvent hâtive il milite pour la diversification de ces champs d’activité et leur autonomisation. À son sens, le projet de « réunification œcuménique », des « grandes retrouvailles de l’art et de la science », paraît relever d’une « nostalgie naïve plus que d’un projet informé ». Il en conclut que les rapports les plus intéressants entre arts et sciences sont de « l’ordre de la (brève) rencontre, de la confrontation, peut-être même du conflit – non de la (con)fusion ou d’une « nouvelle alliance ».

Il rejoint sur ce chemin Étienne Klein aux yeux duquel les rapports entre sciences et arts sont avant tout de l’ordre de « la rencontre », de la « confrontation », voire du « conflit » et nullement « d’une nouvelle alliance qu’il s’agirait de bâtir ». Car, rappelle-t-il ces liens sont toujours de nature dialectique.

ARTS, SCIENCES ET TECHNICITÉS : LA QUESTION DE L’ESTHÉTIQUE

Pour Étienne Klein, la quête éperdue de convergences entre art(s) et science(s) repose sur une conviction vite transformée en argument : il y aurait du Beau dans la science, ce qui la rapprocherait ipso facto de l’art. Innombrables sont les énoncés d’une telle idée, en général dus aux scientifiques eux-mêmes. Nombreux sont les savants, confirme Éliane Strosberg, qui décrivent la science comme une quête du beau ; des textes fondamentaux, tels que la Physique d’Aristote et L’optique de Newton séduisent d’abord par l’élégance du raisonnement.

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Jean-Marc Levy-Leblond (2009) nous propose quelques exemples de ce florilège : « Je suis de ceux qui pensent que la science a une grande beauté. » Marie Curie

« On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un véritable sentiment esthétique que tous les mathématiciens connaissent. » Henri Poincaré

« Quand Einstein travaillait à sa théorie de la gravitation, il ne tentait pas d’expliquer des résultats d’observation. Loin de là. Son seul but était de chercher une belle théorie (…). Il n’était guidé que par la beauté de ses équations. » Paul Adrien Marie Dirac

Puisqu’il y a une Académie des Beaux-Arts et une des Belles-Lettres, on finirait par se demander, souligne avec ici malice Levy-Leblond, pourquoi leur homologue scientifique ne porterait pas le nom d’Académie des Belles-Sciences ? Et de reconnaître que la généralité et l’emphase de telles déclarations, confinant au poncif, posent question. De quelle beauté s’agit-il donc ? s’interroge-t-il.

Belle comme l’antique ?

Sans doute aucun, c’est selon lui la beauté des temples grecs (des cités idéales de la Renaissance, de Versailles qui tient lieu de référence Les comparaisons architecturales, comme il le souligne, sont d’ailleurs fréquentes, assimilant les grandes théories scientifiques à des édifices majestueux. Mais d’après lui, c’est fameux tableau de Raphaël, L’École d’Athènes, avec son cadre monumental et son agencement scientifique des personnages et des espaces, qui illustre le plus parfaitement cette conception.

« On y trouve les mathématiciens au premier plan, regroupés autour de Pythagore à gauche et d’Euclide à droite, dans une perspective organisée avec un sens de l’ordre quelque peu écrasant, sous le regard dominateur de la philosophie, qui s’impose au centre, incarnée par Platon et Aristote ».

C’est à ce dernier, ajoute Jean-Marc Levy-Leblond, que l’on doit l’un des énoncés inauguraux de la problématique du Beau en science :

« …Ceux qui assurent que les sciences mathématiques ne traitent en rien ni du beau ni du bien sont dans l’erreur (...). Les formes les plus importantes du beau sont l’ordre, la symétrie, la délimitation, et c’est là ce que font apparaître surtout les sciences mathématiques. » (Aristote)

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Mais d’autres lui ont emboîté le pas.

« Les mathématiques ne possèdent pas seulement la vérité, mais la beauté suprême — la beauté froide et austère de la sculpture. » (Bertrand Russell)

« Dans mon travail, j’ai toujours tenté d’unir le Vrai et le Beau ; et quand il m’a fallu choisir entre l’un et l’autre, j’ai le plus souvent choisi le Beau. » (Hermann Weyl)

Nul doute possible donc pour Jean-Marc Levy-Leblond que c’est de ce Beau à l’antique qu’il s’agit dans la formulation convenue de la beauté scientifique. Et souvent, plus spécifiquement encore, du Beau platonicien — à preuve, l’association constante entre le Beau et le Vrai qui s’exprime dans ces assertions.

S’ouvre ici, pour cet auteur, la question du partage du sentiment esthétique dans la science. Comme il le dit justement, n’y a-t-il pas quelque paradoxe à voir physiciens et mathématiciens proclamer la beauté de leurs équations et tenter d’en convaincre les profanes, alors même que le contenu de leurs théories et la signification des formules qui les expriment restent largement ésotériques ?

Il ajoute, pour appuyer son propos : « vous trouvez qu’il est beau pour le carbone d’être tétravalent et pour l’azote d’être tri ou pentavalent ? Vous trouvez qu’il est beau que, parmi les cotons-poudre, les uns soient solubles dans l’éther et que les autres ne le soient pas ? ».

Qu’en conclure, sinon selon lui, que cette idée classique de la beauté scientifique, aussi noble soit-elle et sans doute féconde ou à tout le moins rassurante pour certains esprits, est « d’un fondement assez fragile et d’une portée plutôt limitée ».

Pourtant, souligne-t-il les milieux scientifiques n’ont guère hésité à suivre, sinon à précéder, les médias sur ce terrain et à livrer au regard profane des clichés sélectionnées plus pour leur intérêt visuel que scientifique, cela en vue provoquer une « fascination visuelle » propre à compenser l’« ésotérisme croissant des contenus scientifiques » source de désaffection. Pour lui donc, les sites d’images des grandes institutions scientifiques — la NASA et le CNES pour l’espace, serimédis pour les sciences médicales, CNRS-Images, etc. — illustrent parfaitement l’ambiguïté de l’iconographie scientifique contemporaine. Et plus encore les nombreuses d’expositions estampillées du label « Art et science » qui invitent le grand public à s’extasier devant les panneaux en fausses couleurs d’images astronomiques ou microscopiques détournées de leur sens.

Mais la persistance de cette revendication laisse finalement à penser à cet auteur que le Beau ici cache d’autres caractéristiques de la science, mal identifiées par ses protagonistes mêmes. Deux

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notions selon lui semblent alors pouvoir rendre compte avec plus de spécificité que celle de beauté de la sensibilité esthétique des scientifiques devant leur travail.

La première est celle de « pertinence ».

Ce que les scientifiques trouvent beau, remarque-t-il, ce sont en général des résultats qui donnent ou ajoutent du sens à des connaissances acquises, en les unifiant, en les hiérarchisant, en les structurant, bref, en les replaçant dans un cadre plus général qui les mette en perspective. Il cite sur ce point précis les propos de Gian-Carlo Rota :

« Nous déclarons un théorème beau quand nous percevons sa juste place, et comment il éclaire le domaine autour de lui (…) ».

Étienne Klein, pour la physique met en avant l’idée quelque peu ambiguë d’« harmonie ».

Il souligne que cette idée, « parfois subjective, mais toujours assise sur des critères esthétiques, a joué un rôle majeur en physique ». Dans l’histoire de la physique, l’harmonie a toujours été perçue comme un gage d’universalité et d’exactitude, ou comme une garantie contre l’incohérence et l’arbitraire. Il donne là quelques exemples fameux :

- Galilée et l’unification du mouvement - Einstein et la relativité générale. Mais surtout :

- Kepler et l’harmonie des sphères, lequel, en rattachant les orbites planétaires dans le système solaire aux solides platoniciens, pensait avoir pénétré les secrets du Créateur.

La seconde notion serait ainsi celle de puissance.

Pour Jean-Marc Levy-Leblond, il s’agirait d’une appréciation, non tant de la subtilité d’une idée que de sa force.

Devenu, ou croyant devenir, « grâce à la science, comme maître et possesseur de la Nature » (Descartes), mais plus ou moins conscient des lourdes responsabilités éthiques qui en découlent, le scientifique, revenant inconsciemment à la trinité platonicienne, produirait le Vrai, mais invoquerait le Beau pour garantir le Bien.

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Synthèse introductive : Éric TRIQUET réalisée à partir de :

- Klein, E. (2009). La physique et l’art, La physique et l’art, (www.groupe-compas.net/wp-content/uploads/.../klein.pdf).

- Levy-Leblond, J.-M. (2001). In N. Witkowski (dir.), Dictionnaire culturel des sciences, édition du Regard.

- Levy-Leblond, J.-M. (2009). Les trois beautés de la science. Alliage, 63, Culture – science – technique.

- Risset, J.-C. (1998). Art-science-technologie. Rapport de mission, Ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

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