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L'humour noir; suivi de , Les lits clos

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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J.'humour noir suivi de Le~1:.s clos

by

Gaëlle Trébaol

A thesis submitted to the

Faculty of Graduate studies and Resarch in partial fulfillment of the requirements

Department of French Language and Literature McGill University, Montréal

July 1989

(2)

A mon père et à ma mère,

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l

PREMIERE PARTIE. TEXTE CRITIQUE:

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- Au professeur qui a dlrigé ce mémoire, pour sa collaboration et pour son soutien contiHU.

- A mes parents qui m'ont grandement encouragée et auxquels De dois beaucoup.

- A Louis Houle qui m'a soutenu tout au long de la rédaction de ce mémoire et qui m'a donné beaucoup de son temps pour la réalisution "technique" de ce mémoire.

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Abstract

This master's thesis in creative work is divided in two parts: a compilation of novels and a critical study. The

creativt~ work is entitled "~~~i!.ts_çl9Ji". It is a compilation

of nine novels imprint with black humor. This creative work tends ta demonstrate that daily routine i5 a source of black humor and that reality 1S nothing but t~e perception that everyone makes of it. Cherished by th, illusion of a certain control over its destiny, Han is in fact nothing but its puppet. The pridcipal character, Hr Dupont, is becoming the rnaster of his own life when he's choosing the time of his death.

"Les lits clos" will be preceded by a c:ritical study which intends to explain what is black humor by following the same way as did André Breton, founder of that term. First of aIl we will discuss of Jacques Vaché who, 1n his correspondence with André Breton, was interested to what he called "Umour". Then we will see how Breton, using Freud's theory, has r~fined objective humor created by Hegel. Black humor is at first a. search for freedom, moreover the desire to overcome death. Like a certain poetry which encourage the "nonsense of senses", black humor is nourrished by the imagination to recover the origin of image. The black humorist lies between the subjective and the objective and tends to stay in balance within each other. The rare

pleasure given by black humor should be flashing but short since it allows oneself to withdraw from pain, the return to reality is necessary. It's a copy of madness but the black humor remains a successful experience, a triumph over anguish.

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TABLE DES MATIERES

PREMIERE PARTIE: TEXTE CRITIQUE:

L'HUMOUR NOIR.

1 NTRODUCT ION . . . • . . . . • . . .

CHAPITRE 1: ~a_ cri tj,_g!t~L.!I~ Hegel_ . . . . CHAPITRE 2: Le~ théories __ Freugj ennes ... - .. . CHAPITRE 3:Recherche _et usa~ de la liberté ... . - Humour noir et poésie . . . . - Humour noir et folie . . . .

CONCLUSION . . . , • . . . • . . . • . . .

DEUXIEME PARTIE: TEXTE DE CREATION: LES LITS CLOS.

pages 2 5 10 18 19 26 31 33

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Ce mémoire de maîtrise en création est divisé en deux parties: un recueil de nouvelles et un texte critique. Le texte de création s'inti tul e t..~~ JJ t!l ~tQ~. Il s'agi t d'un recueil de neuf nouvelles empreintes d'humour noir. Cette partie création vise à démontrer que l'ennui quotidien est source d'humour noir, que toute réalité n'est que la perception que chacun en a. Bercé par l'illusion d'un quelconque contrôle sur son destin, l'Homme n'en ~st, en fait, que le jouet. Le personnage principal, M. Dupont se rend maître de son existence seulement lorsqu'il choisit l'heure de sa mort.

L~~i~ clos sera précédé d'un texte critique qui tente de cerner ce qu'est l'humour noir et ce, ~n suivant

l'itinéraire emprunté par André Breton, créateur du terme. Il est tout d'abord question de Jacques Vaché qui, dans sa

correspondance avec André Breton, s'intéressait à ce qu'il nommait "l'Umour". Nous verrons ensuite comment Breton en

faisant appel aux thèses de Freud, a redéfini l'humour objectif créé par Hegel. L'humour noir est avant tout une recherche de liberté, en quelque sorte le désir de vaincre la mort. Tout comme une certaine poésie qui favoriSE! 1 e "déraisonnement des sens", l 'humour noir use de l' imagination pour retrouver

l'origine de l'image. L'humoriste noir se tient en équilibre entre le subjectif et l'objectif et tente de ne pas verser dans l'un ou dans l'autre. Le plaisir rare procuré par l'humour noir doit être fulgurant mais court car, s'il permet de se soustraire

à la douleur, le retour à la réal1té est nécessaire. C'est le calque de la folie mais l'humour noir demeure une expérience réussie, un pied-de-nez à l'angoisse.

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sans succès, de répondre à cette question. En 1921, Paul Valéry dans la revue "Aventure" affirmait: "Le mot humour est

in-traduisibl e. '" Cet te mani ère de voi r est partagée par Robert Escarpi t qui, dans JL_h~mQ_IJ_~ paru en 1967, inti tul e son premi er chapi t re: "I~' impossibl e défini tion. " Cerner ce qu 9 es t l ' humour

noir cause encore plus de problèmes. André Breton, créateur du terme en 1939, n'en donne aucune définition. Il nous laisse plutôt tirer nos propres conclusions à partir des textes

rassemblés dans l 'Antholo.5l!~g~ __ l'humour;: __ l1oir. Bref, l'humour noir existe et constitue un genre littéraire.

Nous tenterons de cerner le concept d'humour noir en

littérature en faisant l'historique du genre dans la perspective du mouvemelilt surréal iste. L' humour objecti f de Hegel sembl e être la pr,emière source à laquelle est allé puiser André Breton qui y a cependant découvert certaines failles. La lecture des théories freudiennes lui a fait découvrir une nouvelle dimension de

l'homme. Dès lors, le pape du surréalisme s'est mis à la recherche d'une nouvelle compréhension de l'humour, ce qui l'a amené à se démarquer et à créer un concept personnel. Ainsi, l 'humour de l' écol e surréaliste sera désormais appel é "humour nO:l.r" .

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1

2 En 1917, André Breton dans sa correspondance avec Jacques Vaché s'interroge sur le sens du mot humour. " ... Et puis vous me demandez une défInItion de l'Umour comme cela!" écrIra Vaché et il poursuivra plus loin: "Je crois que c'est une sensation--J'allais presque dire un SENS--aussi--de l'inutIlIté théâtrale (sans joie) de tout l ." Le mouvement Dada s'approprl€'ra ces paroles et les traduira par "le spectacle pour le spectacle" et Umour deviendra synonyme de Dada. Le véritable sens de la

réflexion du jeune homme aura été dévié, le mouvement en ayant disposé comme bon lui semblaIt. Breton y déçouvre, quant à lui, un caractère profond qui ne peut être perçu par Dada.

"Le fondateur du Surréalisme ... savait fort bIen ce qu'il faisait, il savait, ayant entendu les paroles de Vaché que Dada était avant tout dans la forme, Dada était une <façade sans rien

derrière>2." "L'inutilité théâtrale de tout" signIfierait plutôt une volonté de nier le spectacle même, l'affirmation de la

négation de tout afin de rendre 1 'homme inattaquable, afIn qu'aucune émotion négative ne puisse plus l'entarr 'r. c'est

l'humour qui donnera à Vaché la force d'affronte! la guerre jusqu'au bout. Breton est littéralement fasciné par Jacques Vaché qui s'est forgé en quelque sorte une philosophie de vie alors que son existence était menacée. Jacques Vaché marquera

Jacques Vaché, Let tl'J~_L-de _.9.~!._r.~, 29 avri 1 1917, Paris, Losfeld, 1970, p. 69.

Noël Arnaud et Pierre Prigioni, Entretiens __ ~u!"_ t~

surréalisme sous la direction de Ferdinand Alquié, Paris, Mouton la haye, 1978, p. 367.

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3

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- - - ,

4

Les pre~ières véritables assises de l'humour noir se

mettront en place dans les années 30. C'est probablement quand il suit le ~ours de MonSIeur A. Kojeve sur Hegel entre 193J et 1939 qu'Andr~ Breton est mIS en contact avec le concept d'humour

ob ject i f déf ini ainsi dans 1 e second tome d' E.!?J:hétlql,te: ilL' art romantique avait pour principe fondament~l la concentratlon de l'âme en elle-même, qui, ne trouvant pas que le monde ré~l

répondit parfaitement à sa nature Intime, restait indifférente en face de lui. Cette opposition s'est développée dans la pérIode de l'art romantique, au point que nous avons vu l'intérêt se

fixer tantôt sur les accidents du monde extérieur, et qu'en même temps l'humour, tout en conservant son caractère subj~ctif et réfléchi, se laisse captiver par l'objet et sa forme r~elle, nous obtenons dans cette pénétration intime un humour en quelque sorte objectif3." Hegel dévelC"')pe sa thèse en opérant une suite de déductions. L'art romantique est décroché du réel puisC'u'il n'y a pas corrélation entre la réalité et le désir. Cette conscience malheureuse incite à se pencher sur les accidents qui intervien-nent dans la réalité castratrice. Il semble qu'un blocage

survient entre le hasard objectif pur et simple et le hasard

objectif de la personnalité intérieure ou, SI l'on préfère, entre les accidents du réel et ceux du monde intérieur. Si la pensée

3 G.W.F. Hegel, ~sthétique, Montaigne, 1964, p. 152.

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Aubier-5

se concentre sur la réalité extérieure et que, de la même façon, l'humour demeure "subjectif et réfléchi" en portant toute son attention sur l'objet, on obtiendra un humour objectif. C'est donc la distorsion de la réalité par la pensée réfléchie de

l 'homme qui consti tuera cet humour. Il est important de

remarquer que la synthèse est factice dans la théorie de Hegel, puisque partielle elle suscitera de nouveau une antithèse et ainsi de suite. André Breton, au cours de son intervention à un colloque sur "la position surréaliste de l'objet" à Prague en

1935, explique qu'il considère que Hegel a véritablement fait évoluer la connaissance de l 'humour mais que l'humour objectif est trop restrictif et donc insuffisant. Malgré cela, le terme demeurera jusqu'en 1940, année où parait l'Anthologie de l'humour no~. L'analyse de Hegel s'imbrique dans sa pensée philosophique qui se joue sur un mode de contradictions. Cette thèse ne

satisfait pas tout à fait les postulats surréalistes puisqu'elle brime les pulsions imaginaires. Le surréalisme se définit comme suit: "Automatisme psychique pur par lequel on se propose

d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la

pensée, en l'absence de tout contLôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou moral e 4. " En 1937,

André Breton dans "Limites non frontières du Surréalisme" dit que l'humour objectif est une thèse parfaitement surréaliste. Après

André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallima~d, coll. Idées, 1969, p. 37.

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\

6 avoir affirmé que l'humour objectif est insuffisant et deux ans avant d'avoir terminé d'écrire son anthologie, Br~ton se

contredit donc il ne perçoit pas encore vraiment les fissures "anti-surréalistes". I1 croit encore que l 'humour objectif sera appelé à fusionner avec l'humour noir. La présence d'un certain statisme dans la définition de Hegel en ce qui concerne l'humour objectif incitera Breton à s'en démarquer et à aller puiser à

d'autres sources. c'est ce qui lui permettra d'éliminer toutes barrières au monde du merveilleux en se laissant malgré tout contaminer par la réalité et en permettant au hasard objectif de "tenir son rôle". Il s'agira d'opérer une déréalisation du réel en confrontant deux réalités entièrement indépendantes l'une de l'autre afin que jaillisse un "monde autre". En quelque sorte, il faut créer une "crise de l'objet" en manipulant le langage de façon subjective et automatique. La paranoïa-critique conçue par Dali opère d'ailleurs de cette façon: "C'est vers 1929 que j'ai conçu la formule experimentale de la paranoïa-critique. Selon l'exploitation courante, le terme de paranoïa se rapporte au phénomène de délire qui se traduit par une série d'associations interprétatives et systématiques. Ma méthode consiste à

expliquer de façon spontanée la connaissance irrationnelle qui nait des associations délirantes en donnant une interprétation cri tique du phénomèneS." Lucienne Rochon, dans son arti cl e

5 Salvador Dali, Comment on devient Dali. _Les aveux

inoubl iabl es de SaI vador DaI i, réci t présenté par A. parinaud, Paris, Laffont, 1973, p. 173.

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intitulé "Humour noir et Surréalisme", associe d'ailleurs systématiquement humour noir à paranoïa-critique. Les thèses surréalistes sont très "serrées", elles forment une longue chaîne indivisible. En se laissant envahir par une certaine euphorie associative, l'humoriste laissera s'immiscer un automatisme psychique libérateur qui fera naître une nouvelle réalité. Un peintre impressionniste ou expressionniste, par exemple,

reproduisant la réalité telle qu'il la perçoit pourrait représenter l'humorist~ objectif tandis que le peintre

surréaliste opérant un collage psychique à partir de différentes réalités se rapprocherait plutôt de l'humoriste noir. Il est clair que le surréalisme refuse de s'immerger dans la

subjectivité. L'objectivité doit croiser celle-ci et les deux axes former une synthèse. De toute façon, ceci est inévitable: "le sphinx noir de l'humour objectif ne pouvait manquer de

rencontrer sur la route qui poudroie la route de l'avenir le sphinx blanc du hasard objectif et que toute création humaine ultérieure serait le fruit de leur étreinte6." Comme la réunion d'une charge négative et d'une charge positive, les pôles

contraires s'attire~~ ~t se rencontrent. En ce sens, le hasard objectif comme force de libération et ayant "ses entrées" au pays du merveilleux est nécessaire à l'humour. C'est bel et bien

cette liberté qu'introduit le hasard objectif dont avait besoin l'humour pour entrouvrir les barrières qui le maintenaient aux

6 André Breton, Anthologie de l'humour noir, Paris, Editions Pauvert, 1979, p. 14.

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frontières du merveilleux. Le terme "objectif" qualifiant le hasard et l 'humour n'est pas porteur de la même charge

sémantique. Pour cette raison et aussi afin de se démarquer de la pensée hégélienne, Breton parlera à partir de 1939 d'humour noir. Le choix de la couleur noire si teintée de symbolisme n'est bien sûr pas sans raison. "Il est un mot - clé, mot-force qui polarise négativement par rapport à "attraction

<luciférien .. e> tous les champs magnétiques par lesquels flotte le drapeau de Breton: c'est le mot noir7." Le noir, dans son

essence, est surréaliste. Il est celui qui permet l'abolition des différences, la résolution des contraires8. On peut aussi y

voir une référence à l'anarchie caractérisée par le drapeau noir qui traduit lui-même une volonté de se démarquer.

7

8

Julien Gracq, André Breton, Paris, José Corti, 1954, p.

39.

Silvestre Clancier fait remarquer, à la suite de l'exposé de Annie Le Brun sur l 'humour noir, que le "noir" permet de renverser les valeurs.

(16)

LES THEORIES F~EUDIENNES

c'est bel et bien quand Breton se tourne vers Freud que le terme "humour objectif" fait place à celui "d'humour noir". Les recherches du psychanalyste proposent une vision nouvelle qui enrichit la réflexion incomplète de Hegel. Les topiques

freudiennes appliquées à l'humour lui donneront, aux yeux des surréal istes, un caractère pl us "scienti fique". Il est important de bien comprendre que l 'humour noir, comme thèse surréaliste, n'est pas simplement un groupement de mots gratuits mais bien une opération complexe de la pensée. Breton rejoint Freud quand il affirme que "1 'humour a non seulement quelque chose de libérateur mais encore quelque chose de sublime et d'élevé9." La sublimité n'a pas le caractère qu'on lui donne habituellement puisqu'elle tient à l'invulnérabilité du Moi et donc au triomphe du

narcissisme. L'humoriste noir lO rejette sur le Surmoi ce -lui pourrai t porter atteinte au Moi. Comme "c'est le Moi qui prend en charge les mécanismes inconscients de défense et de

protectionU" et qu'il appréhende une difficile confrontation avec la réalité, le Surmoi prend le relais. ". .. 1 a bonté du Surmoi

9

la

11

Sigmund Freud, Le mot d' espri t et ses rapports avec l'inconscient, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1971, p. 369.

Pour les auteurs surréalistes, dans son article intitulé "Humour", Freud trai te non pas de l' humour en général mais pl utôt des caractéristiques propres à l 'humour noir. Jean Le Gall i ot et Simone Lecoint re, Psychanal yse et langages littéraire.ê .. : théorie et pratique, Paris, Nathan,

(17)

1

1

10

rentre dans le cadre de l'humour noir 12 ." C'est un refus des atteintes affectives qui pourrait mettre le Moi en position d'infériorité et donc de vulnérabilité. Il est évident que l'apparition de l 'humour repose sur le fait que l'on désire s'épargner les affects qu'occasionnerait telle ou telle

situation. La thèse de Freud enrichit l 'humour d'une dimension ignorée dans celle de Hegel: le côté affectif. Le Surmoi fait office de tutelle parentale et protège le Moi face à la réalité castratrice. Alors, si le Surmoi prend la place prépondérante, le Moi se retire. L'émotion que craint l'humoriste noir sera étouffée et, selon Freud, l'énergie sela répartie différemment. Le Surmoi procède comme un illusionniste, Il annule la réalité et fait naître une "surréalité". Il déréalise le réel, cela a pour effet de dédramatiser la situation et le Moi est ainsi protégé. Cette volonté d'être "hors d'atteinte" ne signifie pas pour autant que l'humoriste noir est un homme faible. C'est un écorché vif parce que lucide et réfléchi. Tout en refusant la souffrance, il est conscient de sa capacité à la transformer en une sensation de plaisir et sait c~pendant que sa victoire sur la réalité n'est qu'illusoire et ne dure qu'un instant. Plutôt que de s'accomoder de son sort, il se révolte. La réaction

contradictoire de l'humoriste noir est le fruit de la prise de

12 Michel Fain, Quelques remargues sur l' humo_ur, In "La

Revue Française de Psychanal yse", tome XXXVII, Paris, P.U.F., juillet 1973, p. 532.

(18)

I l

conscience de l'absence d'espoir d'une quelconque amélioration dans son rapport avec 1 a réa 1 i té. Il insensibil ise son Moi et, grâce au Surmoi, fait jaillir par la confrontation de deux

réalités une autre réalité autrement plus satisfaisante.

L'humour noir diffère de l'humour objectif par cette lucidité exacerbée. "L'humour noir ... peut se placer par rapport à

l'humour objectif comme la conscience même de cette insuffisance

à appréhender le monde, comme la prise exacte du principe contradictoire auquel se heurte toujours toute conscience de vieI3 • " L'humoriste noir constate qu'il ne communie pas avec ce qui l'entoure, il cherche par conséquent une façon d'y remédier.

Il se sent aliéné dans le monde "civilisé", il disloque donc la réalité, la rend incohérente. Il ressent une révolte viscérale car la dichotomie est trop radicale entre la réalité et son

désir. Digne "fils" du surréalisme, en opérant une distorsion du réel, il dénonce ce qui l'empêche de vivre en harmonie avec elle. "Le surréalisme est avant tout un mouvement de révolte... Il est né d'un immense désespoir devant la condition à laquelle l'homme est réduit sur la terre et d'une espérance. [Dans Les pas

perdus, André Breton se dit:] absolument incapable de prendre parti du sort qui [lui] est fait... Je me garde d'adapter mon exi:stence aux conditions dérisoires de toute existence

[affirme-13 Anni e Le Brun, "L' humour noi r , "

surréalisme sous la direction op.cit., p. 109.

in Entretiens sur le de Ferdinand Alquié,

(19)

12

L'humoriste noir s'emploie à transformer les rapports qu'il entretient avec la réalité, il éprouve un profond désespoir mais aussi l'espoir en une possible transformation. lisent que cet état d'incompa~ibilité demeurer~ tant que le niveau sur

lequel il affronte la réalité demeurera le même. L'humoriste noir ne désire rien autant que de s'intégrer à la société; il n'est pas révolutionnaire pour l'être. Ses manifestat .ons

rendent compte des différences trop marquées qui existent entre la société qu'on lui offre et celle dont il rêve, autrement dit, entre le principe de réalité et le principe de plaisir. Par la dénonciation de cette impossibilité de fusion, toutes les

répressions sociales se trouveront désamorcées car, en

dédramatisant la situation qu'il refuse d'affronter, l'humoriste noir dénonce la réalité en état de crise. La transformation de

l'échelle des valeurs ne traduit aucunement de l'indifférence de sa part. En renversant une situation intenable, il se forme une "carapace" et, ainsi protégé, l'affronte. La déception guide

l'humoriste noir qui se défend du mieux qu'il peut contre la réalité intenable. " si [1 'humoriste] futilise le gtave et aggrave le futile, c'est qu'il est au plus haut point sensible lui, à la gravité de ce qui est grave, à la futilité du futile 15 ."

14 Michel Carrouges, André Breton et les données

fondamentales du surréalisme, Paris, Gallimard, 1950, p. 10.

15 Dominique Noguez, L'humour ou la derpièr~ __ q~A­

triste~ses, "Etudes françaises", vol. 5, 1969, p.141.

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Le surréalisme et 1 'humour noir surviennent lorsqu'il y a un état de crise, lorsque l'existence même de l'homme est en danger.

Rolande Diot cite avec raison Northop Frye qui, dans Anatomy of

~ritiçjs~, affirme que l'oeuvre d'art en général n'est pas

seulement la réalisation du désir mais surtout la dénonciation de ce ~ui l'empêche de se réaliser. Dans l'humour objectif, le

principe de plaisir triomphe du principe de réalité mais n'agit pas comme résolution des contradictions. L'humoriste noir se laisse plutôt guider par son désir, de sorte que la réalité

devient dérisoire et qu'il survient un "choc" entre la réalité et l'irréel d'où nait une "illumination": tout ce qui empêche

l'homme de se bien sentir dans la société, toutes les

contradictions de la vie s'annulent. "Pour le Surréalisme ... tout aura été bon pour réduire ces oppositions présentées à tort comme insurmontables, creusées déplorablement au cours des âges et qui sont les vrais alambics de la souffrance: opposition de la folie et de la prétendue "raison" qui se refuse à faire la part de

l'irrationnel, opposition du rêve et de l'action qui croit pouvoir frapper le rêve d'inanité, opposition de la

représentation mentale et de la perception physique16 ." Le "noir"de l'humour, comme nous avons pu le constater plus tat, peut symboliser cette abolition des contraires. L'idéal

surréaliste est aussi celui de l'humour noir: la réalité fondue

16 Michel Carrouges, cité par Rolande Diot, in Humour et

surréalisme chez trois humoristes du New-Yorker, tome l,

(21)

1

14

avec l'irrtel pour former une surréalité. Cette résolution mènera au point suprême, le point sublime surréaliste, et de

celui-ci naîtra un plaisir rare. Cette dimension manque dans le raisonnement de Hegel puisque selon lui les contradictions

n'amènent que d'autres contradictions et qu'il n'existe jamais de synthèse parfaite. Le point supLême permet d'annihiler la

réalité au profit d'une surréalité qui répond mieux au désir de l'humoriste noir. Si "sublime" signifie victoire du narcissisme dans la phrase de Freud, le terme "élevé", quant à lui, tient dans le point suprême. L'humoriste noir a le don d'opérer une soustraction émotionnelle et d'éprouver un véritable détachement devant une situation dramatique et même de ressentir un certain plaisir. Citons l'exemple choisi par Freud mettant en scène un condamné à mort amené à 1 a potence ~m 1 undi et qui s' écr ie : "La semaine commence bienl7 ." Cet homme rend sa situation dramatique génératrice d'humour en s'y so~strayant, comme si cela ne le concernait nullement. La rencontre de sa remarque avec la situation fait naître un plaisir rare mais seulement l'espace d'un instant "car l'humour n'est délégué à l'image que pour un petit temps et dès qu'il a enfourché sa motocyclette, le mur commence à se dégrader l8 ."

17

18

Sigmund rï.eud, op.cit., p. 367.

Louis Aragon, Traité du s~, Paris, Gallimard, coll. L'imaginaire, 1980, p. 139.

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Précédemment, nous avons expliqué comment l'humoriste noir lors de situations difficiles retirait son Moi en donnant le relais au Surmoi. En quelque sorte, "l'autre lui-même"

affrontera la situation à sa place. L'humoriste noir est donc celui qui, à son gré, se dédouble. Cette opération permet de se retrancher et de garder ainsi toute liberté en ne se laissant entamer par rien. Cette liberté constitue la bannière du

mouvement créé par André Breton: "Je souhai te avant tout qu' il soit retenu de mon propos que la cause surréaliste étant celle de la liberté, le surréallsme entend revendiquer cette hauteur de ce qui est tenu hors de lui pour l'impossible19." L'humoriste noir vise à reprendre possession de son être profond, à se domlner 1 ui -même. ilL' aut re" 1 ne subi.ssant pas 1 es press i ons social es,

favorisera toujours la réalisation de son désir. Puisque "je est un autre", l'affirmation de soi deviendra plus facile. Ce

dédoublement agit comme moyen de défense. Si l 'humoriste noir se prend comme objet d'humour, il ne souffrira d'aucune sorte. La

liberté conservée par le condamné à mort, dans l'exemple de Freud, lui permet de faire intrusion dans le monde du

merveilleux. C'est l'affirmation révolutionnaire de la complète possession de son être, de l'impossibilité d'une quelconque

aliénation. D'un non-plaisir manifeste, l'humoriste noir y

19 Jean Schuster, Entretiens sur le surréalisme sous la

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16 découvrira une source de plaisir qui ne sera toutefoIS pas

couronnée d'un rire satisfait. Ii ressentira plutôt un certaIn soulagement, un sentiment de victoire mais son rire provoquant sera teinté de désespoir puisque l 'humoriste noir sait que les contradictions évanouies pour l'heure renaîtront. "Le rire et probablement le sourire peuvent être considérés comme des

mécanismes moteurs accompagnant la résolution des conflits qui ont tenu plus ou moins longtemps l'individu enfermé dans un dilemme ... Le rire est un fonctionnement moteur réussi au service du Moi~." Si le rire se manifeste, il traduira la victoire du plaisir sur le non-plaisir.

20 BI atz 1 ci té par Jacquel ine Cosnier 1 in Humour __ et narcissisme, "Revue Française de Psychanal yse", .QP.. ci t. ,

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RECHERCHE ET US~GE DE LA LIBERTE

L'humoriste noir s'attaque directement à la source, c'est-à-dire aux forces qui s'opposent à la liberté. La mort représente

la répression par excellence puisqu'elle si~nifie la fin de tout et donc une barrière inexorable. Le condamné à mort tourne en dérision sa situation, il vainc la mort non en la refusant mais plutôt en l'ignorant. La liberté de l'humoriste noir est totale. Rolande Diot, dans Ijumour et surréalisme chez trois humoristes du New-Y.Q~~er, par le même de carnavalisation, de "la mort joyeuse" comme l'appelle Mikhail Bakhtine dans Rabelais. En opérant la résolution de deux contradictions (plaisir et mort), l'humoriste noir prend la liberté de changer les valeurs. La voilà sa quête ultime, il n'est pas traqueur de macabre mais révolutionnaire dans sa recherche de liberté. Sa révolte se traduit par le plaisir, la mort est son jouet et non l'inverse, l'humoriste s'institue Dieu. C'est aussi pourquoi les humoristes noirs

croient que la plus grande négation de la mort est le suicide, la négation par l'affirmation. "Kirillov pré[tend] qu'en se tuant

11 proclamera sa liberté21 ." En choisissant l'heure de sa mort, il rejette toute influe~ce extérieure et se réapproprie son

existence. "L'humour en tant qu'attitude vitale est intenable 22 ."

22

Michel Carrouges, op. cit, p. 126.

Durozoi, Gérard et Bernard Lecherbonnier, Le Surréal isme: .tjl~...9r~-L..jJ~~me~ teqj1nigues. Paris, Larousse, 1972 , p. 213.

(25)

18

En niant la raison d'être de toute chose et sachant qu'il fait partie du "Tout" qu'il dénonce, l'humoriste noir n'a plus raison d'être. Il est la négation de "Tout" et de sa propre négatIon et

il est par ce fait acculé au suicide. Jacques Vaché, Jacques Rigaut ainsi que d'autres ayant flirté avec le surréalisme ont choisi cette solution. D'autres alternatives s'offrent cependant

à l'homme. Un nouveau système de valeurs mis en place qui

consisterait à récupérer la puissance que l'homme a prêtée à Dieu (ligne de pensée de Nietzsche) permettrait à l'humoriste

d'atteindre un haut niveau de liberté. Dans un autre ordre d'idées, en déplaçant les valeurs et en instituant un plaisir dans la douleur (ligne de pensée de Sade), l'humoriste noir devra détruire pour reconstruire. Celui qui choisira cette solution trouvera la source de son oeuvre dans l'élan créateur,

l'imagination.

- Humour noir et poésie

L'humoriste noir doit se mettre dans un état de totale

réception et demeurer attentif aux images qui surgissent dans son esprit. L'automatisme psychique stimule un certain souffle de

liberté recelé dans les méandres de la pensée et qui n'attend que le moment de se manifester. Plus les deux réalités seront

éloignées, plus le résultat "surréel" sera Intéressant. Michel Carrouges croit que l'on pourrait dire du surréalisme qu'il est

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une tentative "médiumnique spontanée et généralisée" qui se

manifest~ dans l'écritur~ automatique ainsi que dans le hasard objectif et qui ressemblerait à l~ paranoïa-critique. La même remarque pourrait se faire en ce qui concerne l'humour noir. Le surréalisme et l'humour noir tentent tous deux 1e réhabiliter

l'a ... 'tomatisme. "L'abandon à l'automatisme permet cette descente en sui-même vers le domaine des instinc~s, des désirs refoulés qui est celui de la Surréalité23 ." L'imagination restructure le Moi et, par-là même, l'humour noir permet à l'homme de se

retrouver lui-même. Le premjer manifeste d'André Breton

revendique d'ailleurs ce droit à l'imagination. Lieu propice à

l'humour et à la création en général, elle affirme l'existence de l'homme. La satisfaction du désir grâce à l'imaginaire permet la réunion de la réalité et du plaisir; les contradictions existent mais pour devenir résolution un court instant, le temps du point suprême. L'imagination fait f1gure de soupape, l'humoriste noir en use afin de s'échapper de la réalité. Elle lui donne toutes les libertés, la pensée cartésienne s'évanouit et il modèle le monde à ses désirs. Le monde imaginaire, c'est aussi le rêve.

Reverdy, dans Le rêveur parmi les murailles, dit: "Du moment que je ne dors pas d'un sommeil sans rêve, il m'est impossible d'oublier que j'existe, qu'~n jour je n'existerai plus. Mais entre les deux montants de cette porte ouverte sur le vide, je peux fuir, gagner l'autre côté du mur, pour exploiter les champs

23 Yvonne Duplessis, Le Surréalisme, Paris, P.U.F" 1974, p. 5.

(27)

20

illimités du rêve qui est la forme particulière que mon esprit donne à la réalité~." Le rêve est la source de la poésie, il fait naître les désirs, la poésie les réalise. L'imagination emprunte divers véhicules dont l'humour noir et la poésie. La

récupération de la réalité objective ignore les barrières castratrices de la société dite civilisée et l 'humour et la poésie se rejoignent dans leur but commun, c'est-à-dire la réalisation du désir. Ce sont des moyens de revendiquer la liberté au nom du plaisir et, grâce à eux, l'homme reprend le "drapeau de l'imagination laissé en berne par la réalité". Bien que l'humour noir n'ait aucune intention poétique, il ne peut que

rencontrer son double: une certaine poésie qui vise le

"déraisonnement des sens", le désor.dre mental. "Entre les faits de la vie intérieure el ceux de la vie extérieure, des rencontres ont lieu; une harmonie se trahit entre le dedans et le dehors, des signes répondent aux signes; une unité cachée, où

s'anéantiraient tous les objets et tous les êtr.es, se laisse peu

à peu appréhender au-delà des phénomènes qui sollicitent les sens et au-delà des images qui composent les songes. Suspendu entre les deux mondes, le poète, dans une demi-extase, s'avancera au coeur de 1 a réa 1 i té2S • " Les surréal istes reconnaissent volontiers Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont et quelques autres comme les

24

2S

in "Révolution Surréaliste", no 1, décembre 1924, p. 19.

Marcel Raymond, De Baudelaire au Surréalisme, Paris, Librairie José Corti, 1940, p. 224.

(28)

21

précurseurs de leur mouvement puisque ceux-ci pratiquent une poésie voulant que "l'image [soit] une création pure de

l'esprit 26 ." L'humour noir a comme soeur cette poésie qui traduit une révolte et qui exprime sa soif de liberté en procédant par associations libres. Cette poésie qui tente, elle aussi, de retrouver l'origine de l'image en usant d'automatismes

psychiques. Toutefois, c'est un rire libérateur qui, en ce qui concerne l'humour noir, couronnera "l'acte" créatif et non une émotion poétique. "Il faut errer entre [la poésie et l'humour noir] et verser, en les laissant, de temps à autre, se réunir et se sublimer27 ." A cause des relations très intimes

qu'entretiennent ces deux "véhicules" créateurs, de la phrase d'un humoriste noir jaillira parfois une étincelle poétique de même que d'un poème un rire "insultant" remplacera l'émotion attendue. Si, comme l'affirme Michel Carrouges, l'humour

objectif est la source noire de la poésie, humour noir et poésie marchent côte à côte et s'enlacent. Les deux, en confrontant le Réel avec l'Irréel forment un Surréel. Par la négation de la réalité, ils tentent de dénoncer l'impossible accomodation de l'homme avec la Nature. Comme dans l'humour noir, la poésie opère une négation qui se transforme en une affirmation de cette négation qui donne à voir la réalité sous un nouvel angle. "Le

26

27

Pierre Reverdy, cité par Marcel Raymond, Ibid., p. 286.

Alfred Sauvy, Aux sources de l'humour, Paris, Ed. Odile Jacob, 1988, p. 300.

(29)

22

Je du poète et singulièrement du poète surréaliste veut atteindre le Point suprême. Qu'est-ce que cela veut dire, sinon qu'il

aspire à devenir le Tout en lui imposant sa propre domination? Mais comment deviendrait-il le Tout, sans se briser d'abord lui-même? Comment ne pas rompre d'abord la coquille de l'oeuf qui

l 'enferme28 ." La poési e et l' humour noi r osci 11 ent sans cesse entre le subjectif et l'objectif et le créateur se confronte alors à un dilemme. Il lui est impossible de se contenter de la réalité puisqu'elle ne correspond pas à son désir et brime son élan imaginatif mais, par contre, 11 se trouverait confronté à une complète irrationalité s'il se tournait vers son monde

intérieur. Ces deux pôles doivent léces:3airement se rencontrer car la pensée en liberté produit l'outil mais la pensée objective ordonne les idées autrement condamnées au néant. La pensée

objective est nécessaire car elle permet d'opérer un

ralentissement dans le flot ininterrompu d'idées afin de les canaliser en influx créatif. Plus les "termes" en présence seront éloignés, plus l'image poétique ou noire sera intense. Les produits issus de la "mise-à-mort" du réel provoque un

éclatement du langage. Le poète, en quelque sorte subjugué par une force négative, se laisse attirer par le désespoir, la

révolte et le chaos qui l 'habitent, et les images foudroyantes dont il peuple sa création ne laissent rien à envier à

l'humoriste noir. "La poésie ne peut donner du monde une image

(30)

"saine", ni l'apprécier d'une façon "pondérée". Les images qu'elle projette ne peuvent être que hagardes, extasiées ou ironiques, boul eversées et boul eversantes 29 . " La "capaci té négative" du poète, c'est-à-dire l'inspiration intuitive qui l'amène à choisir une voie différente de celle commandée par le bon sens, devient création mais risque aussi de le plonger dans une complète attitude négative qui se répercutera bien entendu dans sa poésie mais aussi, plus généralement, dans sa vie

personnelle (le suicide et la folie). Il doit se tenir sur le fil de l'imaginaire afin de retrouver l'émotion originelle de l'homme. La poésie emprunte donc les mêmes chemins tortueux que l'humour noir et les images surréalistes peuplent l'un et

l'autre. Le résultat obtenu par ces deux moyens d'expressions pourra avoir un caractère hermétique et le créateur se gardera bien d'en dévoiler le code. Mais peu importe, "la participation d'autrui n'ajoute rien", remarque Freud. La poésie ainsi que l'humour noir sont des actes individuels, narcissiques. Le créateur, puisqu'il ne réussit pas à s'intégrer à la société où il vit, se laisse emporter par les images et les mots. Le

surréalisme désire désaliéner l'homme et le langage; l'humour noir et la poésie sont des outils qui déroutent et permettent à

l'homme de descendre au fond de lui-même. Leur commune révolte se traduit par une violence dans le discours mais surtout par l'intrusion dans les principes du langage. Le but est de

(31)

24

décontenancer, de bousculer la réalité afin de créer une débâcle qui ouvrira la porte à une réalité "autre". Si le doute

s'introduit, cela laisse place à une nouvelle vérité. Ces poètes qui pratiquent leur art en usant d'images arbil ,::,aires dans le but d'atteindre une "beauté convulsive" opèrent, t.out comme les

humoristes noirs, une rupture pour créer de nouvelles

associat.ions. rIs aiment à se griser de mots et rejettent les codes en place en les rendant désuets; l'usage habituel des termes s'annule et ils se servent du langage de façon

non-préméditée. Beaucoup d'images "en noir et blanc" surgissent par automatisme jusqu'à ce qu'une image "en couleur" s'allume. Le langage est "dépoussiéré", de nouveaux sens surgissent. Comme le poète et l'humoriste noir s'immiscent dans des horizons

inexplorés, ils désirent se démarquer de ce "Tout" qu'ils dénoncent et plutôt que de choisir la mort ils créent. Dans t~ pensée allemande, Breton soutient que "sans chaos préalable, point de création." Plus que par une simple volonté de se

démarquer, le créateur s'attaque directement aux fondements de la société. Subrepticement, l'humoriste noir bouleverse le langage en le désarticulant et les mots vidés de sens "cimentent" de nouveaux signifiés: le péril dans lequel est plongé le langage produi t des im~ges surréell es. D'ai Il eurs, "1 e 1 angage a été

(32)

donné à l' homme pour qu' i 1 en fasse un usage surréal iste 30 . " lIa donc la "permission" et même le devoir de destructurer le langage en détachant le signifié du signifiant. Les mots deviennent

objet, sujet même et le~ associations "contre-nature" (l'oxymore, par exemple) sont source de beauté poétique. L'humoriste noir en marchant main dans la main avec sa capacité négative brisera la chaine des codes dalls un but ultime de libération. L'image ainsi obtenue suscitera un sentiment contradictoire de plaisir et

d'angoisse, le rire agira comme catalyseur et transformera la dépense affective négative en plaisir.

Dans J,.~~mou..r_fou, André Breton spécifie "[qu' lil ne fut jamais question [pour lui] de [s'] établir à demeure en ce

point." S'établir dans le point suprême, ce serait accéder à la folie où l'imagination est reine mais où l'absence d'un

quelconque contrôle de la pensée interdit la création. Le point suprême ne doit donc être que le couronnement d'un acte d'humour noir et ne durer qu'un très court moment car le calque de la folie peut être dangereux. " ... démenti à la réalité,

30 André Breton, Mani festes du surréal isme, Gallimard, coll. Idées, 1969, p. 46.

(33)

26 affirmation du principe de plaisir, rapprochent l'humour des

processus régressifs ou "réactionnaires" qui nous ont tellement occupés en psychopathologie. En tant que moyen de défense contre

la douleur, il prend place dans la grande série des méthodes que la vie psychique de l 'homme a édifiées en vue de se soustraire à la contrainte de la douleur, série qui s'ouvre par la névrose et la folie 31 ." Le génie de l'humoriste noir est d'emprunter les mécanismes de la folie en gardant le contrôle de la pensée

jusqu'à un certain point puisqu'une fois le point suprême atteint, il retrouve la réalité et l'assume. La

paranoïa-critique, traitée plus tôt, révélait déjà le rapport évident qui existe entre les deux. L'imagination, tout en libérant

l'humoriste noir de certaines contraintes, permettra aussi à des forces négatives et non-créatrices d'intervenir. L'irrationnel, la confusion pourront venir nuire à la bonne marche de sa pensée et la rendre prisonnière de nouvelles contraintes remplaçant celles que la vie civilisée imposent et contre lesquelles

l'humoriste noir se heurte. Le surréalisme tente de réhabilite! la folie car cet état redonne à l'homme sa liberté, élimine les contraintes qui castrent son imagination. Cependant, la folie dans le sens surréaliste du terme n'est pas névrose. La folie est un outil qui aide l'homme à retrouver la situation primitive de la pensee. "Ce à quoi prétendent Breton et les siens, c'est établir la réalité supérieure d'associations jusqu'à eux

(34)

dédaignées, la toute-puissance du rêve et la rêverie une qualité de la folie32 ." C'est le privilège de la folie, la liberté

suprême. L'humoriste noir opère un renversement des va~~urs et favorise l'absence de contrôle de la pensée. "Tollte société a besoin de la folie. Dans la société industriella développée, le fou n'a pas de place. Parce qu'il est en marge de la culture et de l'ordre économique, on l'enferme; on le sépare de la vie. L3

persistance de l'asile prouve combien la folie continue d'étendre ses pouvoirs d'inquiétude sur toute certi tUde33 ." La simulation de la psychopathologie a pour but de parvenir à un état élevé de perception. La folie et la "raison" ne doi·:~nt pas s'opposer mais se compléter. De la même façon, dans l'humour noir, la

folie permettra l'atteinte du point suprême; l'espace d'un

instant, l'humoriste noir sera "fou" et atteindra la plénitude. La "crise de l'objet" dont il a été question plus tôt,

l'hostilité radicale à l'égard du monde extérieur (c'est-à-dire par rapport aux objets, aux mots etc.) mènera à un monde "autre". Le monde extérieur perdra sa réalité pour permettre au monde intérieur de prendre le pas. Le "raisonné dérèglement des sens", assise du surréalisme, donn~ra libre cours à l'humour par le

biais de la folie. La même situation dramatique pourra avoir comme résultat la folie ou l'humour. Pour l'un et l'autre, le

32

33

André Blavier, Les fous littéraires, Paris, Henri Veyrier, 1982, p. 30.

Tahar Ben Jelloun, Mort les fous en Afrique, in "Le Monde", 19-07-1974.

(35)

28

retrait du Moi traduit la peur de la destruction, la mort. Le constat de l'incapacité de l'homme à se fondre à la société telle qu'elle est provoque l'éclatement, le choc entre le princlpe de réalité et le principe de plaisir. Le "fou" perd le contact avec le réel qu'il refuse et s'en invente un autre qui répond plus à

ses désirs; ce détachement est total et dure. Le lieu commun entre l'humour noir et la folie s'inscrit dans une recherche de plaisir et la différence réside dans la "qualité" inspirée par le retrait du Moi protégé. Le "fou" n'examine ni ne contrôle les processus qui le mènent à un état psychopathologique tandis que,

justement, la démarche de l'humoriste noir en sera une de

constat. Le résultat obtenu, tant par l'un que par l'autre, est issu d'un délire associatif qui répond à leurs désirs et qui permet l'évasion du monde réel. L'humoriste noir reconstruit donc un "autre" monde. Les apparentes contradictions se

complètent et appuient une des thèses fondamentales du

surréalisme. Freud est le premier à comparer le mécanisme de l'humour à celui de la folie et à constater leurs communs rapports avec le principe de réalité et celui de plaisir. Le bien-ètre personnel prime, l'humour et la folie sont des actes individuels et les créateurs des êtres introvertis. "Le

sublime, [dont parle Freud], tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l'invulnérabilité du moi qui s'affirme

victorieusement34 ." En se centrant sur leurs désirs propres, le

34 André Breton, Anthologie de l'humour noi~, Paris, Livre de poche, 1970, p. 16.

(36)

fou et 1 'humoriste noir bannissent tout référent extérieur et leurs réactions sont en porte-à-faux par rapport à la réalité. Ils déplacent le seuil de la douleur et, de plus, expriment leurs sentiments de façon d1scordante, ce qui a pour effet d'annuler l'angoisse et de la transformer en source de plaisir. C'est à cette douleur émotionnelle que le fou devra son état mais ~'est

aussi grâce à elle que 1 'humoriste noir "créera": "Seule la douleur engendre la conscience; seul le désespoir précipite la conscience au fond du gouffre intérieur qu'elle doit

inexorablement traverser avant de remonter d'un bond vers les hautes zones de l' i Il umination35 ." La société juge marginal e 1 eur attitude; on ne sait comment réagir devant la manifestation de l'humour noir et de la folie. En se démarquant du "modèle archétype", leur révolte contr6lée ou non fait naitre un sentiment d'inconfort chez le récepteur s'il y en a un. La

société réprouve les actes individuels car ils traduisent un refus de s'intégrer. Le monde imaginaire semble être un lieu interdit où l'homme ne doit pas s'établir ni même accéder un instant puisqu'il s'agit d'un plaisir narcissique.

"[L'humoriste] garde pour lui toute la jubilation que lui procure la résurrection de son moi profond~." Ce plaisir salvateur est absent chez le fou qui éprouve du plaisir à déréaliser le réel et

à se créer un monde répondant à ses désirs mais qui n'a pas de

35 Michel Carrouges, op. cit., p. Il. 36 Rolande Diot, op. cit., p. 754.

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30 contrôle sur lui-même et dont le Moi demeure emprisonné dans le point suprême. L'humour noir se caractérise par la maîtrise gardée par l'homme sur son être ~t, pour cette raison, 011

l'utilise comme thérapie dans certains types de psychopathologie. Cela consiste à apprendre au fou à reprendre possession de sa pensée, à quitter son état stagnant et à réintégrer à loisir la réalité. L'humour noir est en quelque sorte l'expérience

réussie, un pied de nez à l'angoisse, une façon de voyager entr.e le chaos et la réalité.

(38)

CONCLUSION

André Breton n'a offert aucune définition de l'humour noir et personne n'en a depuis proposé une. Mais malgré l'absence de

jalons plus précis que ceux qu'il a posés, aucun humoriste noir n'a démenti le rôle de Breton et des surréalistes.

D'une façon ou d'une autre l'humour doit aux surréalistes une fière chandelle et l'essentielle de ses lettres de noblesse. Ce sont eux qui ont sorti l'humour du ghetto littéraire où il reposait et qui, les premiers, ont osé affirmer que l'humoriste était un auteur plus fascinant que

le romancier psychologique ou le distingué analyste de sa petite âme. On leur doit notamment la réhabilitation de Swift, Sade, Lichtenberg, de Quincey, Pétrus Borel,

Forneret, Charles Cros, Germain Nouveau, Lautréamont,

Corbière, Allais, O'Henry, Jarry, et celle du grand Raymond

Roussel . . . .

C'est dire que la parution en 1940 de l'Anthologie de

l'humour noir d'André Breton peu~ passer pour l'événement le plus important de l'avant guerre.

L'humour est souvent boudé par les littéraires car on lui attribue des caractéristiques à connotations négatives. Dès

lors, être qualifie d'humoriste devient une position peu

enviable. " ... nos écrivains les plus illustres - essayistes, romanciers ou poètes - font preuve d'un humour de qualité encore qu'ils s'estimeraient diffamés par qui les traiterait

d'humoristes 38 ." Pour ce qui est des humoristes noirs, c'est encore pire puisqu'ils sont taxés de mauvais goût et d'un manque

37

38

Jacques Sternb~rg, L'humour: franc-tireur du maquis littéraire, in "}oo:agazine Littéraire", no 63, avril 1972,

p. 10.

Georges Elgozy, De l'humour, Paris, Denoei, 1979,

(39)

de moralité.

Si on ne peut dénigrer des auteurs tels Boris Via. ou Raymond Queneau qui ont usé d'humour noir et qui ont écrit des textes chargés oe poésie, on hésite à reconnaître des auteurs comme Pierre Dac, San Antonio, Roland Topor ou la revu~ Hara Kiri. Pourtant, ceux-ci mettent en pratique un humour décapant qu'André Breton n'aurait sûrement pas désavoué. Comme quoi la parution de l'Anthologie de ~humo~~oi~ n'a pas aboli

complètement ce dont parle Sternberg.

Cette situation s'explique peut-être par le fait qu'on a tendance à associer l'humour noir à l'humour pur et simple.

32

Cette erreur résulte de l'usage du terme "humour" qui, accompagné du mot "noir", prend un sens extrêmement sérieux, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Il est non plus question de réjouir un

public de bons mots mais bien de se protéger soi-même contre une situation intenable. L'humour noir est la réponse à un état d'urgence mais il est malgré tout empreint de beauté. "Le sens de la formule, l'originalité, le badinage, l'insolite ou la satire font l'humoriste. Quand domine l'accent de la poésie, c'est à un humoriste de talent ou un génie que L'on a affaire39 ." L'humoriste de talent, c'est l'humoriste noir: le frère du poète.

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DEUXIEMZ PARTIE . TEXTE DE CREATION:

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1

34

Le coup de vent qui vint caresser avec tendresse la feuille vierge incita M. Dupont à lever les yeux. C'était l'été et le soleil plombait. Tout en grignotant le bout de sa plume, M. Dupont perdait son regard dans le lointain. Soudain, un chat sauta sur le rebord de la fenêtre, s'~s&it et ferma les yeux, l'air recueilli. M. Dupont esquissa un sourire et

s'accouda à la table. Le chat noir ramassa un peu plus ses pattes sous lui. M. Dupont se le rappela, deux ans auparavant, minuscule entre ses quatre frères et soeurs et tout contre sa mère qui tentait de satisfaire toute sa marmaille. La petite

famille reposait dans une boîte en bois posées dans l'entrée du placard de M. Dupont. Mme Dupont, sa mère, était passée faire l'inspection et, en comptant cinq chatons, s'était exclamée: "Il va falloir s'en débarrasser maintenant!" M. Dupont, qui se tenait derrière elle, fit une moue mais se reprenant aussitôt, dit en empruntant un ton assuré: "Non." Sa mère, petite femme très mince aux cheveux encore couleur de jais, tourna les

talons et sourit gentiment à M. Dupont qui tenait les mains derrière son dos afin d'en cacher le tremblement.

- Alors nous devrons tuer la vieille chatte! laissa tomber Mme Dupont comme une évidence.

Heureux comme un roi, M. Dupont prêt à toutes les concessions, dit: "Et le chien même si tu veux!"

- La chatte partira mais Ulysse, lui, restera, répondit Mme Dupont en sortant de la chambre.

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35

dut partir pour son dernier voyage, M. Dupont se souvint avoir demandé à son père s'il croyait que les Chinois mangeaient vraiment du chat. L'incompréhension qui se lisait dans les yeux de son père tenant la boite où reposait la chatte fit sourire M. Dupont qui partit nourrir les petits orphelins. En retrouvant trois des chats qui miaulaient avec insistance près de leur assiette, M. Dupont ressentit un certain apaisement. La rage qui l'avait habité quand il avait vu la chatte morte

l'avait déjà quitté. Il avait même souri en pensant à ses

parents occupés sans doute à trouver un moyen de se débarrasser du cadavre encombrant.

M. Dupont chassa ses souvenirs et appela ses chats en pianotant sur le bord de la table. Le gros matou noir, d'un bond, rejoignit son maitre tandis que, un peu moins pressés, deux autres s'approchaient. Le premier arrivé prit la

meilleure place en s'asseyant sur la feuille qui crissa. Les frères et soeur se placèrent de part et d'autre de celui-ci et baillèrent. M. Dupont déposa sa plume et les chats la fixèrent avec attention. Il frotta ses yeux avec lassitude et soupira. Le chat noir vint frôler son maître amoureusement tandis qu'un autre, taché de blanc, ne résistait plus à son désir et

poussait habilement la plume qui tomba par terre en

rebondissant et en perdant son encre. M. Dupont garda les yeux fermés et respira la fraîche odeur qui imprégnait le pelage du chat qui passait et repassait inlassablement contre les mains qu'il appuyait sur son visage. C'était doux, doux comme les

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36

vagues qui frôlaient le sable et que, plus jeune, il reluquait avec envie. Cette eau qu'il aurait tant désiré sentir

ruisseler sur ses cuisses, caresser ses pieds et voir se

retirer, le laissait encore ébloui. Assis entre sa grand-mère qui tricotait et sa mère qui faisait mine de lire, M. Dupont ne quittait pas la mer des yeux. Tous les étés, ils s'asseyaient

à la même place et seul la couleur du tricot de sa grand-mère variait; sa mère ne prenait même plus la peine de changer de livre et les yeux dans le vague elle partait bien loin alors que M. Dupont jouait à compter des grains de sable qu'il

gardait dans un petit verre. La saison était longue et quand, les journées de pluie, on lui "permettait de s'ennuyer seul dans sa chambre", comme disait sa mère, M. Dupont s'allongeait par terre et la joue contre le carrelage goütait la fraîcheur et croyait entendre le ressac. La mer c'était cela, un frisson et un bruit craquant. Il ne manquait dans cette chambre que l'odeur salée et obsédant de ce monde interdit. Quand le temps se faisait frisquet et que la mère et la grand-mère jetaient un oeil indécis sur le pas de la porte en serrant leur gilet sur leurs épaules, M. Dupont souriait et, d'un air anodin,

remarquait qu'il ferait froid sur la grève ce jour-là. Les deux femmes, contentes, acquiescaient et rentraient vite

s'asseoir près du feu et M. Dupont en profitait pour partir à

l'aventure non sans avoir préalablement reçu les avertissements d'usage. Comme il lui était interdit de s'aventurer jusqu'à la mer, M. Dupont allait tout à l'opposé comme craignant de céder

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à la tentation. Il était un enfant obéissant mais surtout savait bien que sa mère et sa grand-mère iraient tout de même faire quelques pas sur la grève et risquaient de le surprendre. Ces jours-là, il se mettait tout d'abord à courir à en perdre haleine et ne s'arrêtait qu'une fois bien loin de la maison de ses grands-parents. La figure écarlate et le souffle court, il s'asseyait sur le bord de la route et, pendant quelques

minutes, n'écoutait que le battement trop rapide de son coeur. Un vide l'envahissait et il marchait droit devant lui peu

soucieux de la direction qu'il prenait. Il levait le nez au ciel, ne pensait plus à rien, ne ressentant même plus le vent froid qui se faufilait entre les mailles de son pull. Il se concentrait sur le bruit de ses pieds frappant les cailloux et errait ainsi plusieurs heures; parfois la nuit le surprenait.

Perdu dans ses pensées, M. Dupont bougea brusquement un bras et le chat noir émit un miaulement de protestation.

M. Dupont s'excusa tout haut et tendit la main vers le chat qui accepta de se rasseoir. Le jeune homme se pencha, ramassa sa plume et la tourna entre ses doigts. Une goutte s'en échappa et roula entre son pouce et son index. Il chercha un li~u pour abandonner la plume suintante et la reposa finalement par

terre. Il se rappela les nombreux reproches qu'il avait

essuyés à l'école pour la malpropreté de ses copies. Au moins le quart de l'encre se retrouvait toujours, Dieu sait pourquoi, sur ses mains. M. Dupont détestait les dictées. Quand la

(45)

1

38

sachant quelle attitude prendre, il secouait nerveusement sa plume et aspergeait sa feuille et son pupitre. Le professeur reprenait bien vite sa vitesse de croisière et M. Dupont

essuyait à petits coups nerveux sa feuille maculée afin de ne point perdre un mot. Il ressentait depuis un certain dégoüt pour les plumes et quand, forcé d'en user, il s'appliquait à ne laisser couler aucune goutte d'encre, le travail se révélait bientôt un boulot de forçat. Il s'entêtait malgré tout à

écrire à l'aide de celles-ci, convaincu qu'il finirait par vaincre cette aversion. Il aimait pourtant bien l'école et reconnaissait volontiers qu'il y avait eu du bon temps. Même encore aujourd'hui, il appréciait les moments où un silence de tombe habitait une salle remplie de jeunes gens qui se

concentraient. Il régnait à ce moment-là une ambiance rare. Un chat jaune entra par l'embrasure de la fenêtre et sauta par terre. M. Dupont sursauta et, apercevant le minou, lui sourit. Celui-ci lestement vint rejoindre ses frères et soeurs qui ne bougèrent pas d'un poil.

- Alors Chat, tout va comme tu veux?

Le chat se contenta de bailler et le maitre fit de même.

M. Dupont lisait beaucoup et quand un texte lui plaisait tout particulièrement, il s'en imprégnait jusqu'à en connaître par coeur de longs extraits. C'est ainsi que quelques années auparavant il avait découvert don Quichotte et que depuis il lui arrivait d'en déclamer certains passages. Il regarda le chat jaune droit dans les yeux et dit: "Finalement, pour tout

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renfermer en peu de paroles, ou même en une seule, je dis que je suis le chevalier don Quichotte de la ~anche, appelé par surnom le chevalier de la Triste-Figure. Et bien que les

louanges propres avilissent force m'est quelquefois de dire les miennes, j'entends lorsqu'il n'y a personne d'autre pour les dire.

Ainsi donc, seigneur gentilhomme, ni ce cheval, ni cette lance, ni cet écu, ni cet écuyer, ni toutes ces armes ensemble, ni la pâleur de mon visage, ni la maigreur de mon corps ne pourront plus vous surprendre désormais, puisque vous savez qui je suis et la profession que j'exerce." M. Dupont savoura la fin de sa tirade préférée en fermant les yeux. Quand il les rouvrit, il s'aperçut avec contentement que les quatre chats le couvaient d'un regard bienveillant. M. Dupont tira sa chaise, s'étira et se leva, posant son pied gauche à quelques centimètres de la plume. Les chats, conune un seul, :..cautérent en bas de table et deux par deux suivirent leur maitre qui se dirigeait vers la porte. Ils descendirent l'escalier quatre à quatre en miaulant

à qui mieux w\eux.

On chat blanc sauta sur le rebord de la fenêtre et jeta un regard étonné dans la chambre silencieuse ...

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M. Dupont n'était jamais entré dans une galerie et à vrai dire cela ne lui disait trop rien. Il fallait qu'il fît bien froid ce matin-là pour qu'il poussa la porte de la galerie Lacombe. Il avait oublié son cache-col et vêtu d'une veste légère il grelottait. Pas assez pressé pour tout simplement redoubler le pas et trop ennuyé à l'idée de retourner en

arrière, M. Dupont entra. Il ne put réprimer un frisson quand la chaleur le frappa. Il était glacé jusqu'aux os. Un jeune homme à peu près de son âge vint l'accueillir - Entrez, entrez, il fait si froid dehors, vous allez attraper la mort!

- Je l'ai déjà, c'est un peu tard ... répondit M. Dupont, sur un ton neutre qui dérouta un peu son interlocuteur.

Le jeune homme feignit tout de même ne pas avoir entendu et lui proposa du café. M. Dupont acquiesça et se dirigea vers la table où tr6nait une cafetière. Il remplit presqu'à ras bord sa tasse, y ajouta deux sucres et très peu de lait. Il ne but pas tout de suite, se contentant d'enserrer sa tasse de ses mains afin de se réchauffer. Sous la chaleur qui envahissait peu à peu ses paumes, il sentit encore le froid qui ne semblait pas vouloir céder la place. Il resta ainsi plusieurs minutes, indifférent à ce qui se passait autour de lui. Quand le jeune homme toussa derrière son dos, M. Dupont sursauta et répandit

la moitié de son café sur lui. Confus, le responsable lui donna plusi~urs serviettes de papier et s'excusa. M. Dupont sourit de son attitude contrite et fit un geste rassurant de la main. Voyant que le jeune homme rougissait, M. Dupont lui

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