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André Malraux, ou, La métamorphose de l'autobiographie

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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ANVRÉ MALRAUX by " ,Mado CURMONT

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thes;s submitted to

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the Facu1ty of Graduate Studies and Research

ir\ parti al full fillment of the requi rements

of the .degree of 1 Master of Arts . McGil1 University , ( .c " v ! , 1 1 ',~ " .~ ~

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Le Miroir des limbes pub1i~ en 1976 dans la Bibliothèque de la Pléiade

de Gallimard est fonné de deux tomes dont les ti~res sont: Antimêmoires et

"

La Corde et les souris. C'est une oéuvre difficile

a

ranger dans un genre

précis en raison de la complexité de sa composition, de la variété de son con-tenu ainsi que du traitement particulier qu'y reçoivent le temps et l'espace.

Dans cette oeuv,re, André Malraux se ~;vre ~ l'êvocation de son passê

a

travers

,ses souvenirs, r~els ou fictifs, ses rencontres avec l'art ,ou des M,ras de

\

l'Histoire. Cependant ce que la rechèrche et l'analyse des éléments autobio-graphiques dîssêminês tout'au long de l'oeuvre révèlent n'est pas la vie de

l'écrivain telle que vécue dans la r~,alité, mais plutOt la métamorphose de

cette vie par l'imaginaire et l'écriture.

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ANVRE MALRAUX

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mUamoJr.pho.6 e. de

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rudob.<.ogJr.a.plUe.

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Le Miroir des 1imb"es pub1ished in 1976 in Gallimard's La P1~iade

is composed of two volumes entitled: Antimêmoires and La Corde et les ... , s·ouris. It is difficult ta assign this work- ta a specific genre on account

,

of its complex structure, the variety of its contents and the constant leap' through time and space. In that work, Andrê Malraux evokes his past through memori es 1 li ved or 'fi ct; ti ous 1 .encounters wi th art or Hi s tory heroes. Yet

~hat the resea-rch and :~~sis of autobiograph~cal elements scattered all

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through the work revea 1, i s not the rea l ity of the a\:Jthor 1 s l He, !!lut rather > ' "

the metamorphosis of this life by the imaginary and the 'writing.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUC~y.N •••

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'PREMIÈRE PARTIE Ç) Antimêmoires

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Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapi,tre DEUXIÈME PARTIE Chapltre

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La Cà rde et l es souri s I - Dakar, mars 1966 0 • 0

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IV - Co 1 ombey-, jeudi 11 d~cembre 196~ •• 0 • •

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Chap;~re VI CONCLUSION ••• 81 ,

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TABLEAU l .85 TABLEAU Il .86 BIBlIOGRAPHIE ••

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La parution des Antimémoires en 1967 dans la collect1on Blanche de Gal-limard fut entourée d'une grande publicité. L'écrivain-ministre, qui depuis quelques années n'écrivait plus que des discours politiques, revenait ~ la littérature. Lui qui dans la Condition humaine faisait dire â Gar,ine: IIQuels livres va 1 ent d' i!tre écri ts hormi s' 1 es Mémoi res? Il, voil â qu'il pub 1 i a it un

li~re intitulé Aïltimémoires. Ce livre obtint un 5uccês immédiat. On

s'atten-dai t, mal grs 1 e

préfixe

.

du titre, non pas A des confi dences, ma'i s au moi ns

-

,

a

quélques revétations biogra'Phiques de l a part d'un homme dont la 'vie êta; t déjA teint~e de légend~/ Cependant, interrogeant son pass~, Malraux écarte dès le départ l'évocation de l'enfance chêre

a

tous les mémorialistes, l'ana-lyse intérieure traquant les secrets cachés au fond

cre

l'~tre et la chronolo-gie d'une vie qui ne la ressuscite que ·dans son dêroul~ment finéaire. Il cher-chera (utOt da'ns sa mémoire. lui dont la vie s'accorde au IIlivret d'une musi-que inco~ell, ce qui d'une façon ou d'une autre reéoupe le Destin.

Un e note ; i mi na

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re dans 1 es An ti

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res déèri.v a it

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1';' 'Te COI1lli!! }a

premi êTe partie d'une oeuvre devant comprendre vrai semb 1 abl emen~ quatre autres

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tomes ~ êtr~ pub 1 i és aprês En 1972, Gallimard

l a mort de l' aïteur.

publia une nouJelle édition revue et augmentêe des

.

Antimémoires. mais cette fois dans la collection FoliO,/~t q,Ui portait toujours le même averti ssement 9U sujet de 1 a suite

a

veni r.

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En 1976, toujours dans la collection Folio, parut la Corde et les

l

(7)

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2

-souris qU'i regroupait quatre: volumes édités pour la premiêre fois dans la

col-lection Blanche. Ces oeuvres avaient pour titre les Çbênes qu'on abat (1971") \ . .4J .r

dont Malraux écri t dans l a préface qu' ils sont un fragment du' second tome des

J

Antimémoires; la Tête dJobsidignne (1974) qui contient 'une note' disant:

"Co~

les Chênes guJon

ab;t~et

Roi, je t'attends A Babylone l, ce livre est . un fragment du Temps' des limbes dont la premiêre partie a été publiée/sous le

titre Antimêmoires et dont la se,conde le-sera sous-le titre Métamorphoses. "; Lazare (1974) où i.l Hait indiqué qu'il "figurera dans le second tome du .. " Miroir des limbes dont le'Bremier fut publié sous le titre Antimémoires" et

enfin HOtes de passage (197.5) dont la note liminaire s~ lisait comme suit:

Avec Lazare, la plus grande partie des textes qui

(

forment le tome II du Miroi r des 1 imbes' - dont 1 es

Antimémoires forment le tome

1 --

se trouve publiée,

a

l'exception des trois premiers chapitres. les',·

voici. afin que les lecteurs qui v ulent bien

s'in-téresser

a

ce livre puissent

d~s

m:intenant en

pos-séder le texte complet.

ha Corde et les souris constituait donc la suite annoncée d~s 1967

\

\

aux Antimémoires et,se présentai~? sans aucune note liminaire, comme le

se-cond tome du Miroir des limbes.

Finalement, peu avant la mort d'A~Malraux;en 1976, Gallimard

pu-bliait dans la bi'bliothêque de la Pléiade une édition' définitive, revue', corri-gée et compl étée du Mi roi r des 1 imbes sui vi des Orai sons funèbres en appendi.c;e.

1- Roi. je t'attends 3 Babylone n'est pas devenu un fragment du M;roi~

des 1 imbès , mais a été publié aux Editions Skira en 1973.

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V Toutes ces beuvres, sauf HOtes de passage'int subi

'diver~es transfor~

mations avant de para'ftre dans, la version de ,la Pléiade. Au ni veau du contenu, ils 1 agit parti cal i êremeJ ajouts bu de coupures"' prati qués par rapport aux

tex tes a ri gi "aux. Ces changelfe"ts on t surtout "té faits en t,:"

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des

c~llections Blanch~

et Folio. Ils sont beaucoup moins nombreux entre les

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sion~ Folio et La Pléiade. Quant

a

la'nature des ajouts, ils relêvent de

dif-férent~ ordres: dia16gue, description, souvenir, etc., et il est par consé-quent difficile d'y trouver des constantes.

Viennent ensui te des modifi cations touchant l'organisati on même de

!

l'oeuvre 2. Pour ce qui est du premier tome, Antimêmoires (Tableau 1), il

,

était d'abord divisé en cinq parties, dont quatre reprenaient des titres. de romans de l' auteur, mai s ceux-ci seront supprimés et remplacés par ,des'

chif-1

fres romains. \

~es titres orig;rraux des quatre volumes ~~mposant le deuxjême 'tome

;

dispara'ftront également, deviendront chapitres d' un même ouvrage et seront coiffés du titre énigmatique de la Corde et les souris.

Enfin, un dernier remaniement concarne l'agencement chronologique des

-oeuvres qui forment'le deuxième tOfT!e du Miroir des limbes (Tableau II). Én

effet, 1 'a4teur ne tiendra pas compte de l'ordre de leur publication, plac~ra

en tête H~tes de passage, la derniêre oeuvre pubfiée, et c'est avec Lazare que se termi nera 1 e 1 ivre.

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Tout ce processus de réorgani sation de 1 1 oeuvre crêe de nouveaux

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.-2- V,oir les deux 'tableaux, pp. 85-86.

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rapports èntre 1 es di vers fragments qui composent 1 e i~i roi r des li mbes et il

est diffi{ile de ne pas y voir une' intention, ~e la part d~ Malraux, de construife unEf oeuvre possêdant une unite i"ntrjnSèque en relation avec le but poursuivi par 1 1 auteur qui est, écrit-ii dans 1~ prologuè, de.donner l'image

de l'hOl11T!equ'il est; c'est-~-direde l'celui qùi s'accorde aux questions que 1 a mort pose

a'

1 a si gni fi cati on du mondell

,Cependant, en dépit de l'unité que lui confê'rent' sa sttucture et

l'in-\. l ,

.;

tention de l'auteur, cette oeuvre n'en reste pas moins complexe et il e.st

dif-.fi cile pour le lecteur Qe la ranger dans un genre précis. La première di

ffi-cu1té

a

laquelle il se heurte tient·au contenu varié de l'oeuvre, contenu qui passe des souvenirs

a

la fiction, des commentaires sur l'art

a

la philosophie

~entale.

des rencontres avec des

horrm~s

de l'Histoire ou avec la mort q' ué

.

- )

l'écrivain croise

a

la Salpêtri~re en 1972.

De plus. le temps et l'espace y reçoivent un traitement particulier .

.

la dimension temporelle de l'oeuvre fusionne le temps, passé

r

présent .. L'espace est êgal,ement court-circuité, le rê~;t prenant place eri divers po;'nts

du globe. (

,. - Devançant 1 es, questi0'1s que, ~ e, lecteur ne manqUe~ai t pa\ de se poser devant çette oeuvre déroutante,

l'a~teur,

dans les

premi~res page~

de son texte, fait une ~~cl.aration 'dl intention sur ce qu'il yeut entreprendre ~an~

ce 1ivre et comment il entend rêaliser SO!! projet. Son livre neosera -ni

Con-fessions, parce qu'il ne croit pas

a

l'introspection-aveu, ni Mêmo; res, parce

"-que ce genre ne le retient qu'! demi, mais -il sera Antimêmoires, livre ai) il

.

s'appliquera cependant 11 se soU'Venir, A travers l'imaginaire, la guerre, la culture, l'histoire, des rOOments où "ênigme fondamentale de la vie, de sa

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"vi e sangl ante et vainell

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est apparue.

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Qu' est-ce donc qUé cette oeuvre qui bouscule t~utes' 1 es conventions du récit et de sa"" cbmpos; tion? Que'\.s

1

iens ent.retient-elle avec 1 a v+e de son auteur? En est-elle la source, le complé~nt ou l'achêvement? Telles sont les questions que ce mémoire tentera de çemer et de résou.dre •

..

Pour attei ndre ce but,' une recherche des êléments autobiographiques disséminés tout au long de lloeuvre sera faite au'fil des chapitres tels qu'on les trouve dans l a verSion de La Pléiade. Viendra ensuite une description ~ voire un résumé, de la fonne souS laquelle ces éléments sont .enchassés dans l'oeuvre. Enfin une analyse ou un commentaire mettra en lùmiêre la corres-pondance qui existe entre le texte et la vie de l'auteur. •

Abordant'ce livre

a

la structupe complexe et au style par moments

~t·

éblouissant le lecteur fasciné

y

trou.v.e plus que les souvenirs d'une vie.

Il y découvre une vie et une oeuvre toutes deux construites comme une oeuvre.

d/art. • 1

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CHAPITRE 1

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1- Al sace 1913 ; r ,,'r

La premiêre page des Antimémoi res porte en exergue lIau large de la Crêtë". En 1965, sur le conseil de"ses mêdecins, Malraux entrepreRd un long

~'

,

voyage

èn

mer. Le paqueb0:tsur lequel il s'est embarqué s'appelle Le Cambod~e

et

11

fait route vers l'Asie. Dans ses bagages, un cahier d'écolier.

Le voyage que je refai sais par bateau, Cl Hait

celui de mon adolescence. C'~tait les mêmes esca-les ( ... ) c' êta; t toute mon ado 1 escence, qui de, ville e~ ville, repassait complètement

métamorphO-sée. 1 '

Ce voyag~' espace s' accompl i t para llê1ement

a

un voyage dans le temps. Par conséquent, l'axe principal du livre que I~alraux commence au cours de ce voyage sera 1 a confrontati on de l'auteur avec son passé, que chaque escale", ui permettra d ' évoquer.

Cependant les Antimémoires ne s'organisent pas seulement autour de cet axe spàtio-temporel~cfy~voyage de 1965. Sur le réei t du voyage réel se gref-,'

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fent, en ,partreulier, trOis passages entiers de fiction donnés comme tels par l'auteur., C',st par l'un d'eux que s'ouvrent les Antimémoires. ,\Ce premier morceau de fiction est un extrait du dernier roman de Malraux, les Noyers de

1- Michel Droit. "~lalraux parle" in Le Figaro l;tt~raire, 2-8 octobre

1967, p. 7.

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(13)

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l'Altenburg, publié A Lausanne en 1943. Ce livre Hait le tome l d'une oeuvre qui- devait s'appeler -la, lutte avec l'ange. La, suite. nous dit l'auteur, a ~té

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détruite par la Gestapo en 1942.

Ce li\tre ét~t construit comme un triptyque. Un prologue et un épilo-gue encadraient la s~c\ion .centrale, elle-m~me divisée en trois parties qui . étaient le rêc;t des aventures de Vincent Berger èn Asie ~entra1e, en Alsace

et sur le front russe pendant la guerre de 1914-'1918.

Le narrateur

étaH\~le

fils de

,n~

Berger. Il devenait

a

son tour

le personnage principal du prologue et de l'épilogue 00 il relatait ses expé-riences dans' un camp de prisonniers, au cours de la guerre de 1939-1945. Il y

"

confrontait en quelque sorte son expérience avec celle de son père.

L'extrait repris au d~but des Antimémoires est tiré de la deuxiême .partie du corps du livre/consacrée au colloque de l'Altenburg sur le thême:

"Permanence et métamptphose de l' homme".

Pourquoi Malraux a-t-; 1 choi s; de reprendre des passages de ce roman dan~ les Antimémoires?" Parce que, dit-il dans une entrevue accordée

a

Michel Oroi t 2,. ce roman contenait des éléments autobi ographiques transposés et qu'un certain nombre de choses qu'il voulait "poser fortement dans les Ântimémoires étaient posées-plus fortement

a

travers la fiction dans les Noyers de l'Alten-burg". Quels sont donc ces ~léments autobiographiques transposés auxquels Malraux fait allusion?

ç-Le narra~eur

,

des Noyers de " Altenburg." Berger fi 1s, est prisonnier en

2- Michel' Droit. "Malraux parle" in Le Figaro littéraire, 2-8 octobre

1967, p. 7.

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(14)

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1940 au camp de Chartres. C'est un écrivain qui a fait la guerre dans les chars. Or, ces détails de la 'vie personnelle de Nalraux sont é9alement de notoriété publique et exacts à un détail près: André

~lalraux

a été détenu dans un can$] près de ,Sens. Donc, comme l'écrit Je,an Carduner: "L'identification de

Be~ger-fils-Nalraux es~

clai're, d'autant plus que les Antimémoires commem::ent par cette phrase: 'Je me~suis évad~ en 1940 ..

,..':,.1.

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Peu après son évasion, Malraux se rend à Roquebrune, dans le sud de ,la France, où il rédige: les Noyers de l'Altenburg. Alors, à 'travers la fiction, perce l'autobiographie. D'abord, sa généalogie: famille 'paternelle alsacienne

/

p.lutôt que flamande; Berger au lieu de t1alraux parce que ce nom, selon sa pro-

,

nonciation, peut être français ou germanique et qu'il avait besoio d'un person-,nage qui sèrvit en 1914 dans l)armée allemande. insuite, quelques passages du

roman, le suicide et le portrait du grand-père qui, reliés à l'histoire fami-liale des Malraux-Berger ou

a

l1

expérience personnelle d'André Malraux, per-mettent de poser la question du mystère de l~aventure humaine.

liCe suicide est celui de mon père, ce· grand-père est le mien" 4 Le père d'Andr§ Malraux s'est suicidé"en 1930. Son grand-père, Flamartd de

Dun-•

kerque, mi-tonnelier, mi-armateur, personnage haut en couleurs et qui se serait ouvert le crâne d1

un coup de hache à double tranchant lui sert de modèle pour le personnage de Dietrich Berger, le grand-père des Noyers de l'Altenbur[~

suici de. tous 1 es

3-

4-La mort de Dietric,r Berger permet à Malraux d'aborder la question du

"

Elle amène une réflexion sur le destin d'un individu, sur celui de hommes et, par conséqu,ent, sur le secret de la vie humaine. -Méditant

v~

Jean R. Carduner. "Les Antimémoires dans l'oeuvre de Malraux" in KertuCKY Romance .Quarterly. XVI:l, 1969, p. 10.

André Malraux. Le t1iroir des limbes. 1976, p. 19.

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Paris, Gallimard, La Pléiade.

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sur le suicide de son père, Vincent Berger songe que le secret de l'homme est "bien moin~ celui de la mort que celui de la vie, un secret qui n'eût pas, été moins poignant si l'homme" eut été i!M1ortel'; 5. Et puis, à peine voilée sous

l'

,1

le masque de la fiction, cette confidence: "Je n'avais jamais vu mourir un homme auquel je tenais" (;.

.

Fin rtlars 1944. Malraux passe'à la Résistance. Dans la clandestinit~ du maquis de Corrèze, il devient le "colonel Bergerll

• En quatre mois, ce

dou-ble du chaman Berger s'irnpose~ par son courage et sa t~mérité, comme chef de

, :

file d'un'certain groupe de maqùisards. ,

Le 22 juillet 1944, sur la route de Gramat, il est blessé et captur~

par les Allemands et soumis

a

un simulacre d'exécution. Incarcéré à la prison Saint-Michel de Toulouse, il est interrogé par la Gestapo mais non torturé. Cet épisode marq~ant de sa vie sera raconté dans un des chapitre des Antimé-moi res. '

Peu après sa libération, un groupe d'Alsaciens, anciens maquisards, propose

a

Berger-t1alraux le commandement de la brig~de Alsace-Lorraine. Lui qui, quatre ans plus tôt, s'était fait Alsacien dans les Noyers de , 1 Altenburg sous les noms de Vincent Berger et de son fils, libérera Dannemarie, reprendra Sainte-Odile, défendra Strasbourg. Et puis, c'est aussi le colonel Berger qui récupérera le merveilleux rétable de GrUnewald, caché d~ns les caves du

Haut-'<,

Koeni gsburg.

5- André'Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, ~allimard., La

P1~iade, 1976, p. 28. \

(16)

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10

-Où s'arrête la fiction,- où comlllence la réalité? Malraux, croft aussi

,)

que la fiction "qui est si'souvent liée au souvenir par des liens enchevêtrés" peut égale'!1ent l'être et, de façon plus troublante,. à l'avenir. 7

Dans les Noyers de l' Altenburg, le ti tre initi al du colloque étai t "Les éléments éternels de l'art". Dans les AntimémoiresJù il es'tJ1avenu "Perma-nence et métamorphose de l'honnne", la discussion des intellectuels (Rabaud, Thirard et Stiegl itz) sur l'art a donc été supprimée. Il ne subsiste que le point de vue de l'ethnologue MtHlberg qui conc.lut à la disparition des civili-sations.. Il ajoute cependant une restriction à cette conclusion en e>tprimant que "p'eut-être l'aventure humaine ne se maintient-elle qu'au prix d'une

impla-8

cable métamorphose" .

Pour sa part, Vincent Berger, qui a assisté 'au- colloque 9 "mipar cour-toisie, mi par curiosité", trouve plutôt vaines les discussions philosophiques, des intellectuel s et leur préfère les découvel'tes intuitives. Il part donc pour une promenade à travers les champs. Il rejoint la forêt des grands arbres où les plus beaux sont deux noyers qui lui rappellent les statues_ sculptées de la bibliothèque du prieuré où s'est tenu le colloque. C'est la contemplation de ces arbres au soleil couchant qui apporte cl Vincent Berger la révélation fa-meuse du mystère de 'l'aventure humaine. Ces arbres séculaires imposent "à la fois l'idée d'une volonté et d'une métamorphose sans finI! 10.

7- André Mal raux. Le Miroir de's limbes. Pléiade, 1976, p.

11.

Paris, GallJmard, La

8- Ibid., p. 34. ,

9- Inspiré sans aucun doute par les' décades de Pontigny. 10- André Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La

Pléiade, 1976, p. 38.

(17)

1 •

t

, " , 11

-• n Comne Vincent de\iant' les noyers, Malraux devant le Sphinx, à l' heure

crépuscula!re, heure que le,li dieux choisissent pour parler aux h,ommes,

rece-,

vra la révéla'tion que le"lI monde de l'art n'est pas celui de l'immortalité ...

(mais}.~.

celui de la

méta~orphose"

11.

Et voilll Vincent-Mairaux prêt-

a

aborder, dans les Antimémoires, le 1

domaine de-l'art, à réfléchir sur l'art et la mort.

2- 1934 - 1950 - 1965

L'art a toujours intéressé Mal raux. Des sa vingtièrne annêe, il

po"ssé-dait déjà un système d'év\a~uation personnelle qu'il avait acquis par ses

flCi-neries dans les galer,ies et ~usées parisiens, par ses contacts avec les jeu-nes 'peintres des années vingt: Gris. Braque, Léger, Picasso. Et puis, il y

eut les musées d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne. IINous ne pouvon's sentir que

par comparaison", "écrivait-il déjel en 1922.

t

Le Cambodge. fait s~ première escale 11. Suez. I~alraux se remémore deux '"

voyages (1934- - 1950) q,u'il fit en Egypte et au cours desquels s'effectua pour lui une "rencontre", celle du Sphi nx, rencontre qui or; entera pour des années

..,

toute sa réflexion sur l'art: Il cherchait ce qu'il y avait de commun entre les formes qui, dans le passé, ont capté une part d'insaisissable, qu'il s'agisse d'une cathédrale médiévale ou d'une pyramide égyptienne.

C'est alors qu'il découvrit deux langages de l'art: celui de

11-

.

'

André Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La

Pléiade, 1976: p. 53. i 1 l ' \ 1

-\

~ ,1

(18)

Il

1 - 12

t}

l 1 éphémère, c'est-~-dire ce'"ui de l'apparence, de .la" foule anonyme, de ses

\

(

~

.

maisons, de ses meubles, art par conséquent voué au tombeau, et celui du sacré

~ . ou ,de l'éternel, art qui s'oppose à la mort parce qu1jJ est l'expression de la

{'

l'

valeur suprême d'une civilisation, de sa Véritéo

Pui~ la réflexion de Malraux sur l'art et la mort se -continue, jalon-née par les d.ates qui ressuscitent des souvenirs: les pyramides d'Egypte foryt resurgi r celles du Mexique et évoquent le stade de Nu~emberg dont les pil iers et le couloir monumental ont été inspirés par le templ~ de Granit. La chambre funéraire de la Grande Pyramide rappelle celle de Nuremberg oD Hitler se re-cuei11ait'avant ses disc~urs.

Pour sa part le musée du Cai~e rappelle le souvenir de visites

a

~'au-tres musées: petit musée gaulois a.u nom oublié, musée étrusque de Volterra, puis ceux de Téhéran, de r~exico et

du

Trocadéro, villas siciliennes, tous rem-pljs d'objets d'art de différen~es époques et qui, un jour, ont eu une signi-fication sacrée. Cependant, l'esprit de l'art IIsacréll d'une civilisation, inspiré par des religions disparues, ne peut être transmissible "parce que

11 âme d' un~ rel i 9ion ne se transmet que par ses survivantsll l~

fvlalraux. rejoignant llethnologue r·mllberg, conclut qu'il n'y a pas d'i"mmortalité de l'art, mais qulil y a une métamorphose des formes et des va-leurs. IIAuJourd'hui. la méta~orphose est la vie même de 1 'oeuvre dlal~t." 13

12- André t~alraux. Le ~liroir des limbes. Paris, Gallimard, La Pléiade, 1976, p. 44;

13- Ibid., p. 53.

l

"

(19)

13

-Toutes ces idées sur l lart que Malraux expose ici ne sont pas nouvel-les et se retrouvent dans ses divers ouvrages sur l'art. Les Antimémoires. en leur fOlJrnissant un cadre différent, permettent au lecteur dl assister ~ leur élaboration au fil de la vie et des sou~enirs de l'auteur.

\

3- 1934, Saba - 1965, Aden

Lorsque, quittant l'Asie Centrale, ses sables du Sud.et ses villes couleur dtossuaire, Vincent Berger retrouve la civilisation occidentale ct

IVlarseille, la foule lui apparaît insolite et bizarre .• Le sentiment d'être

"étrang~l'?t la terre et surpris par elle" lui dpporte comme une libération du temps et dt l'espace. Cependant " ... en retrouvant Narseille ( ... ) il avait

'~écouve-rt ~ue

11 Europe, c'était des vitnnes de magasins ... " 14

André Malraux, qui place ce troisiême chapitre sous le signe de l'a-venture et du farfelu,'y raconte sa première expérience de "retoU!' sur terrell

apr~s que l'aviori. dans lequel il était parti de Djibouti en mars 1934 avec Corniglion-Molinier

a

la recherche de la capitale des sables de la reine de Saba, eut affronté une violente tempête au-dessus de l'Aurès.

"Ces, terres légendai res appellent les farfe l usll

• Mal raux part donc sur

,

les traces d'Arnaud, "pharmacien provençal arabisant" 15. explorateur du Yémen au XIXe.jf~ècle et qui aurait découvert, accompagné de son âne hermaphrodite,

'"

14- André Malraux. Le t4iroir des limbes •• Paris, Gallimard, La Pléiade, 197~, p. 36.

(20)

14

-C!

la capitale de Balkis, reine de Saba. Et puis, sur ces régions désertiques flottent les fantômes des légions romaines d'Aétius Gallus, de Gobineau, de

!

Rimbaud et de Lawrence accompagnés de l'écho "Ris donc bel ermitell de la

Ten-tation de Saint-Antoine de Flaubert, que Malraux a beaucoup aimé dans sa jeu-nesse.

L lauteur de la Condition humaine vient de recevoir le Goncourt. Etran->r

ge expédition pour un écrivain célèbre. presque riche, qui va tenter le destin en risquant sa vie

a

la recherche de l'ancienne Saba ou ... du royaume Farfelu?

r

A l 'époque, sept articles publiés par le quotidien parisien ~'Intran­

sigeant (3-13 mai) raconteront la découverte de ~a capitale de la reine de

Saba. Cette découverte fut, dès -ce moment et atssi pl us tard, sérieusemen t

mise en doute par des explorateurs et des orien alistes. La Î,1areb quI avait cru voir r~alraux était probablement une oasis formée de divers sites, les uns habités, les autres en ruines.

De Djibouti. cap sur Addis-Abéba où 1 1 Empereur d'Ethlopie, descendant

de la reine de Saba, lui accorde une entrevue, la prennèt'c d'une série future avec des chefs d'Etat.

Interrogé peu apr~s par Nino Frank sur les rai~ons de l'aventure. Malraux lui confiait: IIQuand je reviens d'une entreprise un tant SOlt peu

pê-rilleuse, je me sens entièrellient homme.1I

16

la description du voyage de retour en France, par Corn~glion-Holinier

(21)

- 15

tient

'en~f~ues

lignes:

)

Nous eûmes par Massaouah et Port-Soudan) par Tri-poli, Tunis, Bône, Alger, Fez, Barcelone et Lyon un retour difficile où le, vent, la grêle, la neige, la brume et· la pluie se disputèrent l'honneur de nous fai re escorte •.. 17

Sous la plume de Malraux, ce bref compte-rendu deviendra le três beau r~cit du cyclone au-dess~s des montagnes de l'Aurès, publié llannée suivante dans

le Temps du mépris et qui i 1 reprend presque sans retouches dans les Antimémo;-res. Ce texte raconte deux moments importants de la vie de MalraGx, celui de

---.-- (

.

"la rencontre avec le cosmostl

et celui IIdu retour sur la terre", moments qu'il reprendra sous d'autres formes dans d'autres chapitres du r'liroir des limbes .

.

'

Le retour en France devait m'apporter" dans un domaine plus banal mais plus profond que celui de Saba, une expérience millénaire: pour la première

fois, j'allais rencontrer le cosmos de l'Iliade et du Râmayana. 18

En d'autres termes il allait saisir la différence entrè la pensée orientale

axée sur l'abandon rt la fatalité et au destin et la pensée occidentale fondl!e sur l'1ndividu et son moi: lI~lais les forces cosmiques ébranlent en nous tout le passé de l'humdll1té." 19 Au cours de la tempête, t'lalra,ux a l'impression "d'échapper

a

la gravitation"~ d'être suspendu dans le cosmos, éloignG de la terre pour toujours. Alors que le peti t avion est submergé pal' un ouragan de

17- Clté par Pierre Galante, Malraux. Paris, Presses de la Clté,

Paris-Natch, 1971.

18- André ~Ialraux. Le Miroir des limbes,. Paris, Ga11imard, La Pléiade. 1976, p. 70.

(22)

!

l' ! ! " 1 1

(

- 16

grêle. I~lraux, pour empêcher la vitre de la carlingu~' de sauter, la maintient

~' {

de toutes ses force~ avec sa main droite, pendant que, <tous,moteurs coupés, l'avion descend A cinquante mètres au-dessus des crêtes. Lorsque sa main

,

quitte enfin la vitre, il se souvient /lque sa ligne de vie était très longue".·

.

1

1 .. '~

o

1

La terre lui apparaît al;rs et ses rLtes, rivières et -canaux lui semblent. 0';

comme le "réseau de rides peu ~ peu effacé d'une main irrmense". Clest alors que r·1a 1 raux évoque 1 a vi sion de l a main de sa mère morte peu a van t son départ pour l'expédition de Saba! " ... la mort embusquée H-haut dans ses steppes d'astres, ,qui me fit apparaître le lacis des veines de la terre des vivants \ coume les lignes de la main de ma mère morte" 20. Ultime et unique confidence

dans une oeuvre sans mère.

...

André f-1alraux est définitivement orphelin .

"CI

est il Bône que je retrouvai cette foi s la terrefl

• Après la

confron-tation avec la mort, le retour ~ l~ vie, sous l'énorme main rouge qui étajt

a lors l' ensei gnc des gant; e rs. Comme Vi ncent il. Marsei 11 e; lf'la l raux ressen t dans le sflir qui tombe, 1 1 étonnement, l'étrangeté devant la vie,

l'inconceva-ble de la mort:

Le théâtre de la terre commençait la grande douceur du début ge l a nuit, l es' femmes autour des ,vitri nes avec leur parfum de flânerie: .. Ne reviendrai-je pas par une heure semblable, pour voi r la vie humaine'

sourdl~e comme l a buée et 1 es gouttes recouvrent 1 es verres gJacé"s - lorsque j'aurai été vraiment tué? 21

l'évo·cation des souvenirs terminée, Nalraux revi'ent au présent à Aden. Dans la ville transformée par le temp-s, il découvre, dans le musée traditionnel

20- André Ma l l'aux. Le Hi roi r de 5 limbes. Paris, Gallimard, La

Pléiade, 1976, p. 79.

(23)

l '

~. 17

des colonies anglaises~ la plus importante collection des scu'lptures de Saba. Dans l'entrevue accordée à Michel Droit 22, Malraux décl,are ,qu'il a chOisi d'inclure cette histoire de la Reine de Saba dans ses Antimémoires non

.

, )

pas parce ,qu'elle avait correspondu à uneorévélation d'ordre presque cosmique, mais' parce qu'il voulait mettre dans ce livre des éléments farfelus. Et puis Ille voyage e,n bateau .. a joué un grand rôle. Or, je passais par Aden ... "

Mrès avo.ir affirmé dans le prologue son opposition à toute b;o~raphie

,

et

a

la chronologie qu'elle suppose, Malraux, qui veut quand n~me se souvenir,

.,

choisit de le faire dans ces trois premiers chapitres des Antimémoires â tra~

vers l a fi ct; on, l'art et l'aventure. Toute sa vi e il a cherché réponse à ses questions dans l'action comme dans l'art. Cependant, comme il crui~ qu'il est

~ \

possible que "dans le domaine du destin, l'homme vùille plus- par ses questions

.

~

.

que par ses réponses", il retrouve dans son~ passé des moments où des questions {celles des Noyers de l'AltenburQ., de sa rencontre avec le Sphinx, de Saba) se sont pt'lsées à lui. Dans son article "Rôle et importance des Noyers de l'Alten ' burg dans les Antimémoires dè.~lalraux", Hadeleine Rousseau Raaphorst so.uligne que pour I~alr~x "se remémorer c'est donner des coups de, sonde pour ramener et lier ensemôle, souve'n!J'0lontairement, ce qui correspo~d au sens actuel de sc.s interrogations" 23 .. Les souvenirs évoqués clans ces chap'i'tre{ servent donc en quelque sorte de point de départ aux Antimémoires. dans lesquels l'énigme de la vi e 'ne cessera de s'affronter au mystère de la lIlort.

Il l'

\

22- I~ichel Droit. "Nalraux parle" in Le Figaro littéraire 2-8 octobre

23-oètobre 1967, p. 8

Madelèine Rousseau Raaphorst. "Rôle et importance des Noyers de l'Al-tenburg dans lés Antimémoires de Malraux" in Rice University

Studies, LVII:l, 1971, p. 76. ~

(24)

l, ...

c.:

.lIo. CHAPITRE II , , 1- 1923-1945

"Je 1 ai sse de cOté l es pays où je ne sui s pas retourné. Il Il nly

" aura donc n'i Indochine" ni Espagne dans les Antim~moires ni, par conséquent',

de portr.ait du Malraux anticolonialiste, antifasciste et intellectuel

....

de

gau-~

,

che de ces années. .Ce fossé de vingt années franchi, ,nous 'retrouverons Malraux aux côtés 'du général de Gaulle.

Ce second chapitre des Antimémoires, qui nlest pâ~ié

a

l'axe du

...,.

voyage ni de la fiction, sera donc principalement consacré

a

décrire et

a

'

..

expliquer 1 1 engagement gaulliste de Malraux. Il comprend six parties dont les

~ titre sont formés de deux dates. La première partie, três brêve, 1923-1,945,

sert dl introduction aux cinq autres. ' Quelques pages évoquent 1 ~nd~

pittores-que et exotique que Malraux a connue en 1923 et 1929 et annoncent la rencont~ de Malraux et de Nehru, le !Ide

Gaull~

Indien" 2. Les autres pages rappelleJ les premiers contacts de Malraux avec le gaullisme, lors d'un discours pronon-cé au congrès du Mouvement de Libération Nationale, et introduisent les quatre

.

\

'

(

autres parties toutes liées, de p~s ou de loin, au présent gaullistè du minis-tre Malraux.

1- Miche

r

Oroi t. 1967, p. 8.

,

Malraux parle" in Le Figaro littéraire, 2-8 octobre 2- L 'expression eM de Jean Carduner.

18

\

f

(25)

,

.

• 1

...

",,' 19

-..."

ilLe Mouvement de Libération Nationalé m' avait appel~ ~ son comité

di-recteur. En janvier 1945, j'assistai" donc

a

son Congrês." 3 Et voila ~1a1raû'x,

~e 26 janvier 1945, ~ntant encore une fois sur la tribune çe la salle de la

l~utua1;tê. Ce n'est plus le Malraux.des années trente, l'écrivain interna-tionaliste, le retour ,de Berlin et de Moscou, le militant.des valeurs communis-tes, sinon du Parti, qui prenait la parole pour plaider la caus~ de Thaelmann, de Dimitrov ou de l'Espagne communiste. Il s'agit cette fois d'un autre

,

Malraux, celui en qui se réunissent

a

la fois le maquisard; le prisonnier de la Gestapo

et

le colonel Berger, et qui, animé d'une nouvelle con~cience pa-triotique, vient défendre la cause de la France,"' Il va donc s'élever contre l'unificatfon des divers mouvements de la, Résistance par la fusion avec le "' ... ' Front National dirigé par des con:munistes français, parce qiîe le stalinisme ' • r

1

signifie tout le contrai re- de çe pourquoi les Résistants ont combattu. S' ils .< do; veftlr' se joindre à un parti, que ce soit le parti gaull i ste, "parce que seul le ;inéral

\.o.~lait·

réellement opposer

a

l'Etat communiste un Etat, et \lne

. 4

. France; ndépendante. Il

Plusieurs orateurs se succêdent ,

q

la ,tribune mais c'est l'intervention de Màlraux qui l'emporte, -Afin qu'ils retrouvent l'unit~ d'action, Malraux

convie ses camarades 3. une "nouvelle r~sistance".

3-La rupture n'empêche pas les souvenirs, surtout c~Ux de la fraternité •.• Mais pendant mon retour au front,

a

travers la

Cham-pagne couverte de neige, je pensais ~ mes camarades com-munistes d'Espagne,

a

l'~popée de la cr~ation soviétique,

André Aalraux. Le 'Miroir des limbes. Paris, ~,allimard, La Pléiade, 1976, p. 88.'

4- Ibid., p. 90.

{

(26)

" !

(

, ... 20

-malgr~ la Guêpêou; ~ l'armée rouge, aux fermiers com-munistes de Corrêze toujours prets

a

nous accueillir malgré la milice, pour ce Parti qui semblait ne plus croire

a

d'autres victoires que celle du camouflage. 5

2 - 1945 - 1965 3- 1958 - 1965

~

Le général de Gaull e vous fait demander, au nom de 1 a, France, si vous voulez l'aider.

,

La question ne se pose évidemment pas, répondis-je. 6

C'est le 10 aoQt 1945, six mois aprês le discours au congrès du ~lLN, geste auquel de Gaull en' a pu demeurer indifférent, que Ma 1 raux rencontre celui-ci pour la première fois. N'ayant Ju

Général qu'une photo en buste, (\ parachutée dans le maquis en 1943, il ne savait pas I~que le général était très

, 1 1 1 1 ,1 1 ( 1 l\ ... grand".

D'abord le passé, me dit-il.

Pour l'auteur des Mémoires de guerre 00, dit Malraux, "Charles ne pa-raft jamais", il ne peut s'agir du "ce qui n'importe qu'a moiu de l'auteur des

,

Antimêmoi res.

5-C'est assez simple, répondis-je. •

Je me suis engagé dans un combat pour, dispns, la justice sociale ( ... )

J'ai été président du Comité mondial antifasciste ( ... ) Puis il y a eu la guerre d'Espagne et je suis allé me battre en Espagne ( ... )

André Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La Pléiade, 1976, p.

90.

6- ~, p. 94.

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_ M ~_ . . _ _ \ _ _ _ _ _ ~ _ _ ~ _ _ ~ ... _ ~ • _ _ _ .... ""~ .~_..,>'~'"_ ... _._ ... _ _ ~ ... _~-,.,, _ _ ... ~ ___ ~ .. _ ,,-,,,"_~ ~

(27)

{

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--'- 21

Puis il Y a eu la guerre, la vraie. Enfin est

arr;~

la défaite et, comme beaucoup d'autres, j'ai épousé la France. 7

Le point

~tant

fait sur un passé qui lei divise, ils peuvent

mainten~i

établir les bases dlune future alliance.

Dans le domaine de l'histoire~ 1e premier fait capital des vingt dernières années, ~ mes yeux, clest le primat de la nation. ( ... ) Dans ce domaine, ce n'est pas Marx qui a été proph~te, clest N'ietzsche qui avait écrit: ilLe XXe siècle sera le siècle des guerres nationales".

La politique, pour moi, ( ... ) implique la création, puis l'-action dl un Etat. 8

Et, revenant

a

ses marques. c'est-a-dire

a

sa prise de position au congrès du MLN, Malraux ajoutera: les membres de 1a Résistance Usont contre cé qulil y

.a

de russè dans le communisme françaisll 9.

L'épreuve, non la confession, est terminée et réussie . . Quelques jours

1

plus tard, Malraux devient conseiller technique au cabinet de de Ga/ulle et, en

1

novembre, il est promu ministre de 11

Information, poste qulil occupera de no-vembre 1945 A janvier 1946.

De Gaulle ne sera au pouvoi r que deux moi s. En butte aux confl its qui l'opposent l!. son gouvernement tripartite (col111luniste, socialiste, MRP). il dé-missionne le 20 janvie'r 1946, persuadé qu Ion le rappellera bientôt.' Le rappel se faisant désirer, de Gaulle, qui ne veut pas attendre "que la France soit

7- André Mal raux. Le Mi roi r des 1 imbes. P a ri s, Ga 11 i ma rd , La

Pléiade, 1976, p.

95.

.

8- ]ilih.. p. 97.

.,

" 9- Ibid. , p. 98.

~~

"

(28)

(

,

22

-morte pour la sauverll

, fonde, en avril 1947,' le Rassemblement du peuple

fran-çais. Chargé de la propagande du RPF, Malraux remonte sur les tribunes, haran-gue les foules ~ travers tout le pays. Après l'échec de 1951, c'est, selon l'expression de /4alraux. "la traversée du désert", qui durera sept ans, pendant lesquels Malraux se consacre

a

ses études sur l'art.

Jean Lacouture, dans son r~lalrauxt une vie dans le siêc1e. expli-que ainsi l'entente qui les unit et qui n'est pas uniexpli-quement fondée sur

l'anti-('

cOlT1T1un i sme:

Le couple de Gaull e-Mal raux ne se fo,nne pas sur un thème négatif ou défensif, mais sur la base de con-ceptions voisines de l'histoire, d'une éthique et plus encore d'une esth~tique commune de la vie publique, d'une estime venue de solitudes également impatientes d'une "grande querelle" 'A soutenir. la

Le 13 mai 1958, c'est le soulèvement d'Alger. La IVe République appel-le alors de Gaulappel-le au pouvoir. Comme en 1945, appel-le général prend en main appel-le des-tin de la France. Jusqu'en 1969, ~lalraux sera ministre d'Etat, d'abord

a

l'Information, puis aux Affaires culturelles.

,Quitt')ant de Gaulle, après leur première entrevue, r~a1raux s'avoue sur-pris par le personnage. L'ayant vu aux Actualitês, c'était "le rythme de sa

pa-,

role" et de ses discours qui " avait frappé. Mal raux, pour qui l'homme se défi-nit "dans les questions qu' i 1 pose", vient de rencontrer "un homme qui

interro-~

geait", non par l'interrogatoire, mais par la "distance singulière (qui)

10- Jean Lacouture. Malraux, une vie dans le siècle. Paris, Seuil, coll. Points-Fiistoire, 1973, p. 330.

(29)

- 23

n'apparaissait pas seulement entre son interlocuteur et lui, mais encore entre ce qu'il disait et ce qu'il était" 11 I1 évoque chez Malraux le souvenir des mystiques. Il le-trouve "êgal'a son mythe, mais par quoi?" Cet honme res-ponsable du destin de la France appelle dans sa mémoire, linon par ressemblance mais par opposition,

a.

la façon dont -Ingres appelle Delacroix", le personnage de Trotsky.

1

GaétaJ1 Picon dans son Malraux par

lui-~me

12 dit que Trotsky était pour Mal raux III 'incarnation mythique" d'un certain asît de la révolution. De même de Gaulle inca~nera pour Malraux une image mythique de la France et aussi de la nation.

En 1975, dans la dernière conversation qu'ils eurent, Malraux disait

a

Claude MauriaC:

Le gaullisme, ce n'est pas une idéologie, ce n'est pas une doctrine. Le changement des institutions, ce nlest pas rien,'mais personne n'a été gaulliste pour cela. La comparaison est'possible avec le m~thologi­ que, elle ne l'est pas avec le politique. l

Tout au long du ~jroir des limbes, Malraux peindra des grands hommes de l'Histoire:

a

part de Gaulle, qui occupe la plus grande place, il y aura aussi Nehru, Mao, Senghor et quelques autres. Il ne cache pas la

..

s~duction et

11- André Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La Pléiade, 1976, p. 103.

12- GaHan Picon. Malraux. Paris, Seuil, coll. Ecrivains de toujours.,

13-1953, p. 32.

Claude Mauriac. Malraux. Paris, Hachette, coll. Génies et Réalités,

(30)

( J

0;

(

24

-

.,.-la fascination qu'exercent sur lui les héros. Identification ou projection?

~

Si, dans ces chapitres consacrés

a

de Gaulle, rOdent les ombres

d'A-.

lexandre, de César et de Napoléon, c'est'd'un "éclair shakesp~arien" que surgit celle du général de Gaulle reprenant le pouvoir par une nuit de mai en 1958.

4- 1958 - 1965

Guadeloupe, Martiniqu~. Guyane, une certaine France d'outre-mer. En 1958. Malraux, ministre de l ~lnformation, y est délégué par le général

de Gaulle pour présenter le referendum sur la nouvelle constitution. Une ma-, ' jorité de oui, et c'est l 'intégra~ion ~ la communauté française, le contraire signifiant l'indépendance. Les préfets, dont Aimé Césaire, étaient pessimfs-tes.

"Je parlais pour la premiêre fois devant une foule noire, et je sentais son 1 irmnobi lité frémi,ssante s'accorder au rythme du di scours COIl1lle sa danse

. l , ·

s'accorde

a

la musique.

,i

·14 A Pointe-a-Pitre et

a

Fort-de-France vi vats, fleurs e~ Marseillaise.

A Cayenne. les hauts-parleurs ne fonctionnaient pas. "Je commençai à

hurler, très lentement, comme je l'avais fait avant le t~s des micros ... 11

Puis dés banderoles se déploient: c.;.;,A...;b_a;.;;.s...;l_e_f;..;:a:;.:;s.;;.c.;..;is~me:;:." A bas de Gaulle, A bas la France. "Si c'est l'indépendance que vous voulez, prenez-la le 28! Et

14- Andrê Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La Plêiade, 1976, p.

124.

(31)

1 • Il

Il

.

1 j 1 1 1 j

i

1 , '

(

- 25 -'

qui, avant de Gaulle, vous avait donné le droit de la prendre! Il 15 Des batons

hérissés de clous commencent

a,

pleuvoir sur la tribune. Malraux se souvient alors de la rêvol te des esclaves de ll11e de France, dans le premier roman

qu'il a lu: Georges d'Alexandre Dumas.

Révocation du préfet par le ministre. Réception farfelue, 00

"huis-sier, suprêmement distingué, est un relégué, "un simple passionnel" qui avait égorgé sa felT111e, si tuation qui ravit le crêateur de

q

appique. Et Malraux pense: "Et dire que j'avais été romancier."

Ce quatr-iême poi.nt nous présente donc en surimpression un Malraux des ' années passées: le militant des meetings ,politiques, l'éloquent propa9a~diste -du RPF ainsi que le romancier cé1êbre dl avant-guerre, métamorpnosé en ministre

gaull i ste convaincant: 80% de oui au referendum. Adi eu madras, adieu foul ards!

5- 1958 - 1965

mente:

..

15-"Ainsi vous voilà ministrell

. . . dit Nehru

a

Malraux. Et Malraux

com-La phrase ne signifiait pas du tout: vous faites partie du gouvernement français. Un peu balzacienne, et surtout hindoue, elle signifiait: voilA votre demiêre incarnation ••. 16

André Malraux. ' Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La Pléiade, 1976, p. 134.

(32)

26

-~

En 1958, /1alraux est officiellerœnt chargé par de Gaulle de

tTncon-~~r~'~

trer quelques chefs d'Etats asiatiques I1dont les relations avec la France n.'é-taient plus que de 'convention" 17. De plus, entre la France du général" dè Gaulle et 11 Inde du pandit Nehru, il y avait l'Indochine et

'1

Algér~e.

La première rencontre Malraux-Nehru remontait aux années trente, alors que Malra,ux, blessé en Espagne, sortait de llhôpital et Nehru, de prison. Elle avait eu lieu

a

Bruxelles au cours d'une session de la Ligue Internationale Antifasciste. Nehru n'était ~ cette époque qu'un sujet d'une colonie britan-nique. Il est maintenant premier ministre de l'Inde. En façe de lui, le mi-nistre des Affaires culturelles de France, qui lui expose, "assez vite", comment il conçoit 11 exposition d!art indien qul~l souhaite accueillir! Pari s.

C Et pu; s, "séparés par une rose", pl us que Mal raux et un horrrne de 11 Hi

s-toire. Le souvenir de l'Empire britannique, mais aussi de Gandhi, flotte par-tout. Le combat de Gandhi pour la purification de l'Inde ayant eu ~our consé-quence capitale l'Indépendance, l'objectif de Nehru est maintenant de "faire un Etat juste avec des moyens justes" et peut-être aussi "faire l'Etat la'que d'un pays'religieux". Nehru, comrœ Gandhi, est pour Malraux le gourou de la nation indienne.

Dans cet "intellectuel patricien", Malraux trouve un alter ego avec qui il peut échanger sur ,la politique, ie communisme, la révolution, le marxi?-me, la j~stice sociale, la non-violence et la culture hindoue. Et d'ailleurs,

17- André t"'a traux. Le Mi roi r des limbes. Pa ri s, Gall; ma rd, La Pléiade. 1976, p. 143.

(33)

(

27

-n'ont-ils pas en commun des souvenirs de prison? Prisons anglaises dloO 'Ion peut sortir pour aller voir lOOurir son pêre, prisons allemandes où, pendant que lion torture des prisonniers, \Iles gens de la Gestapo jouent

a.

saute-mouton ... rt

5

"Pour lui, comme pour moi, la prison avait été le mur qui sêpare des événements et pour lui, derriêre ce mur, il y avàit eu - pendant treize ans - le destin de l' Inde. Il 18. Comme' ce qui intéresse Mal raux dans un grand hol'l1T1e lice 'sont

les moyens et la nature de sa grandeurll

, il pense que la vie personnelle de

Nehru "le pei gnai~ beaucoup moins que l' acdon indi recte qui il avait exercée sur le monde. et que l'action directe qulil exerçait sur son pays." 19 Conme

de Gaulle.

6- 1944 - 1965 :.,

,

Mes prisons conmencent dans un champ. Je revenais ~ moi dans une civière êtendue sur llherbe, que deux soldats allemands empoignaient. Sous mes jambes, elle était couverte de sang. ( ..• ) les porteurs de ma

ci-vière parti rent vers Gramat. 20

Le 22 juillet 1944. après une inspection de maquis, le colonel Berger et quatre de ses compagnons roulent dans une vieille traction-avant sur la Natiohale 677 en direction de Gramat (lot). Ils croisent une colonne allemande motorisée et la fusillade éclate. Le chauffeur est tué. le garde du corps et

18-

19-

20-André Malraux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La .

Pléiade, 1976, p. 164.

Ibid ..

-Ibid., p. 167.

(34)

\

.

28

-l'officier français s'~ctrappent. l'officier anglais est laissé pour mort. Malraux tente de fuir mais il est blessé aux jambes. Il est capturé puis. sans interrogatoire, soumis

a

un simulacre d'exécution. Il est ensuite trans-porté ~ l'HOtel de France de Gramat. devenu Kommandatur, où on le questionne sur 1 es maqui s. On l'assure que 1 a Wehnnach t ne torture pas.

Puis Toulouse. A la prison Sa1nt-Miche1, où il est incarcéré, ses compagnons de chambrée lui affi nnent que la Gestapo, elle. torture.

Interrogé par 1 a Gestapo. Mal raux échappe de peu il. 1 a torture: le dos-sier envoyé de Paris est celui de son frère Roland, prisonnier lui aussi. Il croit que c'est partie remise. Ce qu'il ne sait pas ~ l'époque et qu'il ne dit pas non plus dans les Antimémoires, c'est que ses amis ont agi: si Berger-Malraux est passé par les armes, quarante-huit prisonniers allemands aux mains de l'AS-Corrèze le,seront aussi. De plus, une sOll111e de quatre millions "avait été versée pour la libération du colonel Berger pour 'arroser' miliciens ou agents de la Gestapo sensibles à ce genre d'initiatives" 21 Puis c'est le reflux des troupes d'occupation du Nid; vers Paris et la libération êpique de la prison Saint-Michel sous le corrmandernent du colonel Berger.

"J'ai beaucoup écrit sur la torture, alors qu'on ne s'en occupait guè-re; et je suis passé bien près d'elle." 22 Malraux n'a pas fini d'ecrire sur ce sujet; le dernier chapitre des Antimémoi res sera consacré en grande partie

A des dialogues avec des rescapés des camps de concentration. Si la mort pose la question de la signific~t;on deJa vie, la torture la pose également, et

21-

22-Jean Lacouture, Op. cit.. p. 291. An'dré Malraux. Le Miroir des limbes.

Pléiade, 1976, p.

13.

.~

~.

Paris, Gallimard. La

(35)

29

-peut-être même plus profondêment~ dira-t~i1 plus loin. 00 trouver une ré- • ponse? 11 relit l'évangile selon saint Jean. Mais pour Malraux, "amputé de

l'éternel", le souvenir de saint Jean "est plus fort contre le malheur que sa presence contre 1 a mort" 23.

Devant la mort, quels souvenirs émergent

d~S

sa mémoire?

Mon passé, ma vie biographique, n'avaient aucune "impor-tance. Je ne pensais pas

a

mon enfance. Je ne pensais pas aux mi ens. ( ... ) 11 ne restait dans ma mémo; re que

la fraternitê.

24

.

Su;-le chemin qui lia conduit de Gramat

a

Toulouse, il revoit tous les gestes fraternels qui llont accompagné: la patronne de l'H~tel de France qui

,

lui apporte un petit dêj~ner qu'elle -refuse aux Allemands; le paysan de Figeac qui lui offre une canne; la supérieure du couvent qui lui prête une Bible; l'Allemand qui lui rend la

~hoto

de sa felJ1lle et de son fils ou qui pose, sur son assiette, une cigarette et une allumette.

A la question de la torture et de la mort, Malraux répond par la fra-tern i té humaine.

Cette dernière partie êtablit le lien qui existe entre le résistant que fut le cQef de maquis Berger et le Malraux de 1965. Si Malraux est devenu gaulliste, c'est par fidélité

a

son choix de 1945, alors que de Gaulle incar-nait la Résistance non communiste.

Le présent du ministre gaulliste étant éclairci, ce dernier peut main-tenant continuer son voyage 3 la recherche de son passé.

23 et 24- André Malraux.

Le

Miroir des limbes. Paris, Gallimard,

La

(36)

CHAPITRE III

1- 1958 - 1965

Malraux fait maintenant escale en Inde. Dans la premiêre édition des Antimémoires, cette partie s'intitulait la Tentation de l'Occident, COI11ll~ son roman paru en 1926

oa

il décrivait, sous la forme d'un échange de lettres entre un jeune Chinois et un jeune Français,

..

l J antagonisme entre l'Orient et

1 ' Occi den t.

Clest en quelque sorte ce dialogue que Malraux reprend dans cette partie des Antimémoi res qui est composée de troi s chapitres. Deux Chapitres sur 11 Inde e!1cadrent un extrait des Noyers de 11 Altenburg. Pour Mal raux,

clest ~ travers l'art sacré, la tradition hindoue et le bouddhisme que l'Orient trouve une réponse! l'énigme de l'holTll1e. Par contraste, les compagnons de Berger, emprisonnés dans une fosse aù cours d'une attaque de chars en 1940,

se battent et meurent sans savoir pourquoi.

Comme en Egypte où Mal raux rappel ait que sa rencontre avec le Sphinx

avait orienté pendant des années sa réflexion sur l'art, Malraux se remémore

i ci sa découverte de la ci vil isation orientale:

La passion que m'ont inspirée naguêre l'Asie. les ci-vilisations disparues. l'ethnographie, tenait II une

sur-prise essentielle devant les formes qu'a pu prendre l'hom-me, mais aussi

a

l'éclairage que cette civilisation Hran-gêre projetait sur la mienne,

a

la singularité ou ~ l'ar-bitrai re qu'il rêvél ait en tel de ses aspects. Je venai s

(37)

-1 l' ,1 1 1 - 1 1 31

-de retrouver " 1 une des plus profondes rencontres de ma

jeunesse. 1

Clest sur 11 incitation de Nehru qu'en 1958 Malraux va visiter "les

1

grottes sacr~es". Il passe d'abord par Bénar~s qu'il avait dêj! visitêe en 1929. Malgré les changements appor~r les années, "la tache blanche de l'hôpital et les réclames ênonnes", Malraux est encore~fasciné par,Bênarês et par le Gange, Il ce grancl. Canal funêbre et hantéll;

La foule, éclair~e par les feux des bOehers, psalmodie toujours les mêmes priêres, et les m~mes crémations br01ent "négligemment ee que 11 Occident appelle l~ vieil.

De, même qu'on rej ette des v~tements usés, De même, ce qui est vêtu d'un corps, rejette Les corps usês ... Il 2

Malraux se rappelle une visite qu'il fit en 1914, avec les élèves de sa classe, aux champs de l~ Marne peu après la bataille. A midi, on leur distribua du pain. Le vent le couvrit sayda;n de la cendre 1ég~re des morts amoncelée un peu loin. Epouyantés, .i1s le lâchèrent.

La mort est détachement pour' 'Oriental, tandis qu'elle est angoisse pour l' Occidenta 1. 'Le temps cosmique de l'Inde est opposé al'

l!~té

chré-tienne "canme la transmigration est oplfosée

a

la résurrection" 3.

----1- Paris, Gallimard, La

/

André Malraux. Le Niro;r des limbes,. Pléiade, 1976, p. 229.

2-

-

Ibid., p. 209.

3- Ibid" p. 210.

(38)

- l

( 1

1

'1

32

-Puis Mal raux continue, son pêle-rinage vers les grottes sacr~es. Au

tem-.

ple de Madura, dans 'une atmosphêre d' irréef, il rencontre les dieux de ),a my-'thologie hindoue. Deux jeunes mari~s, ~ qui il souhaite "bonne chancel! en

sanscrit, se prosternent devant lui, le prenant pour un avatar de

V;~hnou.

A Ellora, le .temple du Kailasa, qui n'est pas construit mais creusé, lui fait penser

a.

Lascaux. Le,s dieux sculpt~s dans le roc l'émerveillent.

"

Nulle 'part je n'avais éprouvé A ce point combien

tout art sacré suppose que ceux auxquels il s'adresse tiennent pour assurée l'existence d'un secret du

monde, que l'art transmet sans 1 e dévoi 1er, et

auquel il les fait participe'r. J'étais dans le

jar-di n nocturne aes grands rêves de l'Inde. 4

;

Dans les grottes de l'ne d'Elephantâ, il va contempler "la célêbre Majesté, la triple tête 'de Civa" dont le masque aux yeux fermés \se,mble méditer

"

sur l'éternité et le temps. Pour Malraux, cette triple tête gigantesque est plus qu'un chef-d'oeuvre de la sculpture: elle est aussi un symbole du sacré

/

particulier ~ l'Inde, elle est le "symbole de l'Inde",

Malraux n~ a fait que de courts séjours en Inde. Il en connaissait

ce-~

pendant les arts, la pensée et llhistoire. Il n'avait pas la présomption, dit-il, "de connaftre au passage une pensée qui avait résisté

a

dix-sept conquêtes

"

et il deux millénaires; j'essayais de saisir les grandes rumeùrs dont ~l1e mlobsêdaitU 5. Pour Malra-ux ,1 'agnostique, ces rumeurs suggèrent Ille chemin

dlun inépuisable Absolu qui transcenderait jusqul~ 11 Etre".

4-

5-André Malra'ux. Le Miroir des limbes. Paris, Gallimard, La Pl éi ade, 1976, p. 221. lb; d. , p. 230. 1 1 " ,

Figure

TABLE  DES  MATIÈRES
TABLEAU  II

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