• Aucun résultat trouvé

L'absurde comme élément comique dans les contes d'Alphonse Allais

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'absurde comme élément comique dans les contes d'Alphonse Allais"

Copied!
110
0
0

Texte intégral

(1)

,

( t

c

\ •

..

L'ABSURDE COMME É~ÉMENT COMIQUE

. ,

DANS LES CONTES D'ALPHONSE ALLAIS

by

Isabelle DAUNAIS

• A thesis submitted to the

(

Faculty of Graduate Studies and Research in P~ fulfillment of ~e requirements

for the degree of

.

\. Masi:er of Ans

.

Department of French Language and Literature \

'McGill University, Montreal

February 1988 ' ' © Isabelle Daunais, 1988 \ l , 1

..

~ ,

"

(2)

;

,

J Permission' has been granted to the National' Library of Canada to Ilicrofilm this thesis' and to lend or sell copies of the film.

The author (copyright owner)

1\ a s r e s e r v e d o' the r pUblication rights, and neither the thesis nor extensive extracts from it may be printed or otherwise reproduced without his/her written permission.

-L'autorisation a été accordée

à la Bibliothèque nationale ,du Canllda d,e Ilict"qtilmer,

èet te thèse et de prf'ter ou de vendre des exemplaire-. du

film.

L'auteur (titulaire du droit d'auteur) se r6serve les autres droits de publication, ni la th~Be ni de longs extraits de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans 80n autoris~tion écrite.

(3)

,~

-0

o

1 1 , . RÉSUMÉ .,,, , , 'i -,

Ce mémoire porte sur le fonctionhement et les effets des diverses

, .

manifestations de l'absurde dans les contes de l'humoriste AÎpnof\se AUais parus <tans le quotidien parisien Le Journal de 1892 à 1901. L'absurde, qui

, l' :

doit être compri~ comme excentricité et déraison, est l'une des formes d'humour les plus systématiquement pratiquées dans l'œuvre. C'est donc en

~

,

tant que procédé comique que l'absurde est avant, tout étudié dans ce travail. Cependant, puisque son prir:tcipal rôle est' de s:attaquer au bon sens, sa 'II

.

.

fonction de commentaire .sur le raisonnement ét l'imaginâtion fait également

}:

"

l'objet de l'analyse. La premier chapitre du mémoire traite de l'absurde de

",

fânnulation, réflexion sur l'utilisation et les ressources :du . , l~ngage, et de' , l'absurde de raisonnement, où nous étudions les formes de l~gique et

d'ai"gu-,

.

mentation utilisées par Allais. Le second chapitre est .c'pnsacré à l'absurde t

d'invention, qui caricature l'idéal.,de progrès de la fin du siècle, et à l'absurde de mystification, qui se définit par un jeu de mise en scène et de complicité avec le lecteur. L'absurde de mystificati~n sért également de commen~aire sur · l'hu~our et ses procédés. 'Cette dernière partie montre comment

l'extrava-'gance et la déroute pennettent à l'auteur d'entretenir une relation plus étroite ,

avec son public ..

.'

."

(4)

,e

r'

.

" '"

(

,. ,

,

'-"ABST~Acj

.

, . , / . . /

This thesis attempts to better understand the function~g and t~e effeèts

."

of the absurd in'the tales of humouri~t Alphonse Allais. The study is based on

Jthe stories that

~ere

published in the Pârisian daily f."e Jou;nal from lâ92 to

~ ,

1901. Best defihed as a form of excentricity and irrationality, the absurd is principally analysed in this' work as a comic process,' but since its major

.

function is to oppose the common sense it is also' studied as a commentary on

.

.

"

-..:::- ..::: - : ; -= ;;-

--r:ationalit~

and

ima~,e

Urs! chapter of

th~

analysis 'deals witl:t the ..

absurd ofwordi~which can

,,'Bé

considered as an observation on, the ~ses and .. resources of the language, and with the&bsurd o~ reasoning, a critiCÏsm of

\ 1 ~ , : ] •

unimaginative t1\inkil'lg. This part explains how Allais transfom;s the absurd

"

~ ... -.

~to a game of loglc and argumentation. The second chapter looks at ~e absurd of invention, which mocks t~e ideal of progress of the XIXth century, . and at the absur~ of mystificatio~, a blend of deceit and complicity with" the reader which serves as a reflectibn upon the nature of humour. This last part

"

shows how delusion and irrationality can help the author to better commu-,.,. nicate with his readers.

p , ' ./ 1 1 ./ 1 ,fi

(5)

,

.

o

l'

o

, ' '1 .. " <

NOtÎ~ 'tenons à remèrcier notre directeur

d'études, le professeur An.dré Smith, pour ses r conseils et son appui.

~

.

(6)

(

t l , / ..p,

c

" INTRODUCTION

··· .. ··· .. ··· .... ··· .. ···il· .. · .... ··· .. · ..

·~···

.... : ... .

Alla.is et ses lecteurs ... ~ ... .

La science et les discours ... ffi ... .

'L'humour et l'absurde ...

1~

... , .... ..

CHAPITRE 1: L'ABSURDE D'EXPRESSION

....

~

...

~

...

:

... .

L'absurde de formulation ...•... L'analyse du langage ... '1. ... .

Sens propre et sens figuré ... . -Liaisons et incidentes ... L'absurde de raisonnement ... I l ' • • • • • • L'argumentation ...•... La mise en scène ... ~ ... . CHAPITRE Il: L'ABSURDE D'IMAGINATION ..•... ~ ..••.••... ' ...•...•• L'absurde d'invention ...•...•..•..•••... , ... ~ ...•...•...

...

1 -3', 7 12 19 21 22

28

32 39

40

46

53

54 Les val~urs: ingéniosité, simplicité, utilité ... : ... 58

Le scepticisme ... 62

L'absurde: caricature et rêve désillusionné ... 67

L'absurde de 1 mystification ... 76

Fumisme et dérision ... ~~ ... 77

Le personnage absurde ... ... ... ... 82

CONCLUSION

.

...

~

... .

89

(7)

" ()' , ~

.'

,

~O

\

CJ

.' <l • (J }~

.

\

..

tf .P

-INTRODUCTION

j

(8)

(

o

(

\.\

(

i'

... _.' A ..

Si, comme a dit André Breton, «la littéra~re est un des plus tristes chemins

"ft , ) , t

qui mènent à tout»l, de nombreux auteurs ont prouvé, à partir de la: fin du

.

XIXe siècle, qu'en ~êlant à l'humour toutes leurs,amertumes, toutes leurs

fan--

.

taisies et toutes leurs, interrogations, la littérature pouvait, au' contraire, devenir le plus joyeux des discours. Parmi les auteurs de cette époque qui sont passés des fonne~ tracÎi~jonneIles de l'ironie et ete l'esprit à un rire.;plus imaginatif et plus indulgent, l'humoriste Alphonse Allais fait incontestablement figure de maître.

Avec près d'un millier de contes parus en recueils~ et presque le double publiés dans des chroniques journalistiques hebdomadaires, ·Allais a en effet, de ses débuts chez les Hydropathes jusqu'à sa mort en 1905, dominé la ·littérature humoristique de son époque. Célébré par Breton, qui

a

vu en lui l'u~ âtfs plus

\

ingénieux p<?urfendeurs du conformisme et en son œuvre l'une des ent~refris~s . de dérision les plus habilement menées de la fin du XIXe ,siècle, AIl'~is a expérimenté toute la gamme des ressources,humoristiques. Du jeu de mot le \plus simple à l'absurde le plus

déc~pant

il' a pratiqué tous les degrés de l'excentriqité, '

,

.

''''(le l'humour noir et de 'la folie douce. Jules Lemaître décrit d'ailleurs l'œuvre ~ . . \ .

. '

..

~ d'Allais comme la synthèse de l'ensemble des délires et des facéties de cette ,

-'

fébrile fin de siècle: «les écritures bilarres d'Alphonse Allais, par leurs tiCs', ~

. ' ,

clichés et allusions, par le tour indéfinissablè 0 de leur rhétorique et de leur 1 A. Breton, Manifeste du. surréalisme, Gallimard, cQll. Idées, 1983, p. 42.

(9)

'-.

, ,

.

. , '

..

" .. ~

.

,

.

J - '

.

"maboulisme", impliquent toute l'anarehie littérttire de ces quinZe demiètes

..

Or ce'«maboulisme» et ce «tour indéfmissable», que nous

es&aierons'préci-" , . , 1 v

sément d'éClairer, constituentole cœur de l'humour. allai sien. -L'absuFdc joue en ."..-).,.« effet dans son œuvre un rôle de premier plan, tant par la fréquence q~e par ln diversité de ses manifestations. L'utilisation de l'absurde en' vue -d'effets

éQ-' " (1 l '

miqu,es suppose cependant

~b l'e~tra~a·gance

demeure

co~pré.hensible

ilU

lecteur afin.qu'il puisse en s~isir la dérision. A cette 4in, l'àbsurge des contes

, .

d'Allais appar~î~ donc toujirs d~s un déroulement logique rigoureux. Et c'est la nature.et le fonctionpe nt de la rhétorique de l'absurde chez Allais que nous

, ,

nous proposons d'étudi .

--• ' \ . - . t

1

Allajs' et ses lecte

~ '«Je ne f; is de littérature que pour moil public de commis-voyageurs. Toi, un de ces

j6u~s,

tu feras quelque chos.e qui enlèvera tout»3 se serait-il confié à

Jules Relard dans un"moment de désanchantement. Allais et Renard n'ont peut-être

riln

«enlev.é»,

~ais

'si la prophétie s'est, ironiquement, beaucoup plus'

/ ~

. avérie pour Allais que pour l'auteur de Poil de Carolte, c'est précisément

gJee à ce public populaire qui lui a permis de créer un style nouveau où

fan-1 _

/taisie et poésie rencontraient enfin la clarté des descriptions journalistiques. En

-2 J. Lemaître, «Le Chat Noir» dans Les Contemporains, études et portraits liuéraires.

sixième série, Boiviil et Cie, 1903, p. 340. , '

(10)

c

c

4

...

effet, en enserrant l'excentricité et le délire d'imaginaJion

..

à ·l'intérieur d'üne

~ logique rigoureuse, e~ alliant les jeux de mots et de langage à un maniérisme biseIé, il a, «su réconcilier la bourgeoisie et la bohème».~, il a r~ndU)lccessible

-(J

au plus grattd nombre l'esprit fantaisiste habituellement résèrvé fluX seuls înitiés.

Cette diffusion ~e la culture et des idées>constitue d'ailleurs le but-que vise . Fernand Xau lorsqu'il crée Le Journal en septembre 1892. Le quotidien, dont

)

la direction littéraire est assurée par JQsé Maria de Hérédia, doit selon les dires du fondateur devenir «au Figaro et au Gaulois 'ce qu'ils sont eux-mê,mes aux

grandes revues»5. Il s'agit de «lancer un joumallittérafre d'un sou et mettre à la portée des petits commerçants, des ouvriers, des

instituteur~'è.s

employés un peu de littérature ... la table d'hôte à pri~ réduit»5. Le Journal s'ad,~esse à la ~ classe moyenne, fraîchement instruite, qui depuis le début de la seconde moitié

• 0

du siècle forme une clientèle de plus en plus appréciable. Très vite d'ailleurs,

, , \

Le J,ournal atteint de forts tirages: 5qO,OOO exemplaires en 1900, 600,000 en

19046 • Ses principaux rivaux, Le Petit Parisien et Le Petit Journal,

con-naissent le même succès.

Le public dit Journal - et donc d'Allais - est avant tout grand

con-4 J. Lemaître, op. cit., p. 340:

S Bellanger et al., Histoire de la pressefrançaise, t. III, Paris: P.U.F., 1972, p. 314.

,

6 Les chiffres cités par Bellangèr pennettent de mieux apprécier le succès du quotidien. En

1910, Le~Journal tire à 800,000 exemplaires, Le Petit Journal à 835,000. Le Matin à

670,000, Le Figaro à 37,000, Le Temps à 36,000. Seul le tirage du Petit Parisien

(11)

't •

o

J

5

sommateur de feuilletons. La presSe l'en nqurrit cspieusement, entretenant suns fai'llir les habitudes e~ les attentes qu'elle a elle-même créées, ce qui expliqu~/en

- 1

grande partiele- caractère souvent stéréotypé" ou répétitif des contes d'Allais.

1 " . , l

.) Les exigences comrrierci~les imposent constance et uniformité. Il lui faut donc

,

-produire en quantité, dat;1s une chronique régulière, des textes à la formule

(~ - 1

éprouv~e et qui correspondent au goût du jour. Allais s'adresse CIl outre à un

" vaste marché. Il ne s'agit pas pour lui de

dévcloppe~

des idées airêtées qui ne

-

'

, 1

ralNcr~ient qu'une minorité, ni d'écrire une œuvre que des/prét~ntions trc1lJ

/

élevées (rendraient lÏermétique. Il doit plaire avant tout et so,Jl' §Uccès, prouve que i'humour et l'absurde sont appréciés à .l'époque. / -... .

I~

,Le 10urnal n'est d'ailleurs. pas le

~eul organ~o!lllant

droit de parole à

l'humour. On compte uq ~ombre élevé de jouroaux spécialisés à cet effet, nôtamment GU BldS, L'Assiette aù beurre, Le Courrier Français ou Le Rire,

, ~ :

-, sans compt~r, dans le registre poIi~iqiIe, la caustique Lanterne d'Henri'

Ro-o '

chefort (qui fut l'un des premiers à introduire l'humour dans. la presse) . . L'époque s:,intéresse également beaucoup au phénomène l{umoristiqûe

en

s~i

, t

comme t~nd à le prouver la fréquente publication de traités et d'a~lyses - il.

suffit de penser à ceux de Freud et de Bergson - cherchant à comprendre les mécanismes du fÏ:re et le fonctionnemynt de l'humour.

Par la place qui lui est accordée dans la presse «fin de siècle», fhumouf

e \

.peul donc se développer, se dive~sifier, s'étendre et ac~uérir de plus en plus nettement le statut de forme littéraire. L'humoriste y gagrt~ar la même

oé'-..

casion quel~l1es letttes de noblesse et surtout une notoriété qui lui pennet de se poser en personnage et d'ainsi approfondir son art. Certes, les journalistes de la

(12)

(-("

raison à ces derniers. Les feuilles grivoises abondent et même à l'intérieur des

.-journaux de bonne tenue, note Patrick Dumont dans son Etude de la mentalité

, ~

.

de la petite bourgeoisie vue à travers les COnlt:s quotidiens du Journal, menace

toujours une certaine facilité:

Littérature qui peut être qualifiée de semi-popuJaire et par conséquent de

semi-évoluée le conte quotidien hégite, sans être capable de trouver un équilibre

d~nnitif, entre J'un et l'autre registre. C'est un être hybride qui puise la plupart-dé

ses thèmes dans la sensibilité populaire mais qui, néanmoins, se refuse à adopter l'é'criture directe e{ naïve d'une littérature avec laquelle elle ne veut se recpnnaître

aucun. point commun.7

a

Allais n'est cependant pas en mauvaise compagnie. Dans ce siècle de très grand rapport entre j<1urnalisme et littérature, il partage la une avec Jules , Renard, Tristan Bernard, Courteline, OCUlve Mirbeau, Ffançois Coppée, Zola. , , L'un des plus réguliers du Journal - «La Vie drôle»t apparaît une fois la semaine, parfois plus, - il inculque un peu de fantaisie à,ce public que Dumont

._~

dit «écartelé entre deux types de culture: l'une supérieure à laquelle il veut participer et une autre inférieure qui fait toujours partie de son état d'esprit»8.

)

\

"

, ,

7 P. Dumont, Émde'de la m~nlalilé de la petite bourgeoisie vue il travers les co~es qllO- \

lidiens dll JOlunal/894-J895, Paris: Lettres Modernes Minard. 1973. p. 121.

8 Ibjd .• p. 26.

o

(13)

"

o

b

, 7

La science et les discours

-Aux lecteurs du Journal, Allais parle de tout et de rien. De ses rencontres

de café, de l'humeur de sa concierge, de ses mésaventures avec l~ b~reau~ratie, des victimes de ses fumisteries, d'articles glanés dans des journaux de province. TI a, bien sûr, ses thèmes de prédilection, la science occupant à cet effet le tout premier rang. Deux raisons expliquent cette présence. La' science, qui s'entend évidemment ici au sens large et qui englobe a~tant la théollie que la pratique et la

-pensée abstraite que la technologie, constitue d'abord un terrain idéal pour l'hllmour qui utilise souvent un ton sérieux, posé, presque froid. A la suite de Jean-Paul, Bergson fait d'ailleurs remarquer que l'humour «affectionne les termes concrets, les détails techniques, les faits pré~is»9, l'humoriste faisant œuvre de dissection sur tout ce quf l'entoure. En fait la rigueur scientifique fonne un point d'ancrage qui peJ11let de comprendre et de reconnaître toutes les folies. Il s'agit de provoquer un effet de contraste fortementmarqué. L'absurde .

,)

est appliqué à des situations concrètes et, pour accentuer le paradoxe, opposé à

/

ce qui lui semble le plus antinomique: la rigueur et le raisonnement

scien-. "

tifiques. En second lieu, ce domaine des connaissances permet à Allais d'in-téresser ses lecteurs qui participent à l'engouement que connaît l'époque pour.

1

tout ce qui s'appelle progrès et innovation et qui, co-mme le suggère Dumont,

~

.

souhaitent se rel}ausser intellectuellement.

La fm du XIXe siècle connaît en effet un très grand enthousiasme pour la science. Le positivisme, malgré la «faillite de la science» annoncée par

"

9 H. Bergson, Le Rire dans Œuvres compMtes, Paris: Éd. du Centenaire, P.U.F., 1963,

p.448.

, /

(14)

(

(

(

Brunetjère, a donné le goût des explications concrètes et la défaite de 1870 a fait comprendre que la guerre n'était pas seulement affaire d'élan patriotique, qu'elle exigeait également préparation et stratégie. De nombreuses découvertes

,

et inventions, surtout dans les dOq:laines du transport et de l'énergie, contribuent à intensifier cette passion pour le progrçs que viennent concrétiser les exp.Q..-sitions· universelles. En entrant dans la littérature et la pre~~e quotidienne (on

~ ---~-== =---=---pense bien sûr à Zola, mais les féuilletons aux intrigues policières et criminelles

-

.

.

sont eux aussi, d'une certaine manière, scientifiques), la science ne fait que

~

.

,0 pénétrer plus avant dans, l'imaginaire _de l'époque. Même la littérature enfantine,

avec le savant Cosinus du Petit Fran~ais' illustré, place la science au cœur de

ses

préoccupations.

Les idées de l'époque ne sont cependant pas seules à inspirer ,Allais. La langue, le style littéraire et ce qu'on pourrait appeler les discours officiels jouent également un rôle important dans son œuvre d'humoriste. En effet, non seulement Allais utilise-t-illa langue à des fins -intrinsèquement comiques (jeux de mots, archaïsmes, néologismes), mais encore s'appuie-t-il fréquemment sur la pensée devenue discours figé. En fait, comme l'explique Dominique Noguez dans un article sur l'humour considéré comme révolte: «Ce qui pèse à

l'humo-~

&

riste, c'est ce qui est déjà là. C'est tout ce qui sans lui, avant lui, s'est édifié et

désonnais- l'écrase. C'est la lourdeur monolithique du sérieux, l'architecture

.

,

compacte des habitudes et des cohtraintes, les tabous, les rituels, les pudeurs -tout ce qui, de nature ou de coutume, limite et retient» 10. Le fait qu'Allais

/ '

s'intéresse particuliè,rement aux discours mOQtre bien que, pour l~i, toute idée

l~oguez,

«L'humour Qp la

d~mière

des tristesses»

d~s

Études

fr~nça;ses,

vol. 5 no 2, Presses de l'Université dc!Montréal, mai 1969, p. 140. .

(15)

o

,r

o

9

,

est d'abord et avant tout une manière de présenter ,les choses, que tout passe par le stylell . C'est pourquoi Allais «prête» si volontiers sa plume à autrui (faux lecteurs ou personnalités en vue). Cela lui pennet de signaler tout, çe qu~ peut

,

avoir de pétrifié, de mécanique et donc d'absurde l'idéologie faite verbe. Le. mèilleur exemple à ce ~ujet est certainement celui du nationalisme c(Breton l'a d'ailleurs fort bien relevé, dans son Anthologie de /'humour-,noir),

.

question

-d'actualité politique qu'Allais ne développe jamais de manière directement idéo-logique. Des discours patriotiques, Allais ne retient en effet que la formula,tion: phrases ronflantes et envolées consacrées.

_ On pourrait voir, dans ce désintérêt pour le fond des choses une sorte . d'esquive. Ne parler que de l'aspect extérieur d'une question, c'est ne pas vouloir - ou ne pas savoir ...L se prononcer sur l'essentiel. Mais chez Allais,

cette pudeur constitue plutôt \lne 'technique de séduction, une façon d'insQluer sans prqvoqûer et d'ainsi cultiver les bonnes grâces du lecteur qu'effraieraient

---- .

des propos trop agressifs."

Ut.

révolte de Ibumoriste a en effet ceci de particulier

~

qu'elle se fait sans bruit-ni remous, dans un esprit de tolérance et de bienveil-lance. Celui qui a recours à l'humour dans des buts de protestation et de mo-querie choisit d'enserrer sa révolte dans les limites de la conciliation et de la so-ciabilité. L'humour ne peut dépasser un certain degré de violence sans se dénaturer. -C'est pourquoi il ne sauraii'jamais être -ni implacable ironie ni misanthropie irrémédiablement désespérée. L'humour, au contraire, puise sa

\

, force de persu~sion dans son indulgence même, compromission qui pennet de

11

La

pàrorue n'est évidemment pas un genre nouveau, mais semble avoir été particulièrement

exploitée à la fin du XIXe siècle. On pense aux Déliquescence.f d'Adoré Floupeue (1885) _

d'Henri Beauclair et Gabriel Vicaire, caricature du style décadent et symboliste, ou à la

(16)

(

c

" '

10

'"

critiquer, de ridiculiser et de rabattre en toute impunité.

n

forme une sorte de terrain neutre où, d'un accord tacite, tous les discours sont pef!Ilis, justement

~

parce que 1'011 sait que malgré les audaces, le cynisme ou la noirceur l'ordre

établi sera toujours préservé. Dans son Anatomie de l'humour-et du nonsense, ,

Albert Laffay parle de «renonciation à la violence par convention mutuelle»12. ' On pourrait ajouter par souci de préservation, comme l'explique Freud: «l'humour [ ... ] pennet d'atteindre au plaisir en dépit des affects pénibles qui " devraient le ..trouble~, il supplante l'évolution de ces affects, il se met à leur place»13. L'humo~ste ne v.eut pas aggraver son mal. Personnage apparemment inoffensif dans un monde prêt

à

toutes les cruautés, il cherche sans souffrir à

o

séduire jusqu'aux esprits les plus méfiants, à ébranler jusqu'aux éertitudes les plus solides.

(

Allais, de plus, prend"'garde de ne jamais se trop compromettre, de n~

~

jamais «s'engager» dans une voie 'lP.i, en l'étiquetant, deviendrait réductrice. Sauf pour l'humour, qui lui sert de clef à toutes les portes, Allais ne souscrit à aucune idéologie, à aucun genre ni surtout à aucun style comme le montrent ses contes, mélange de symbolisme, de naturalisme, de morale bourgeoise, de compte-rendu scientifique et de roman feuilIçton. Même -dans sa vie de jeune bohème, il évite de devenir un «type» trop identifiable, c'est-à-dire trop pré-visible. Lorsqu'il anime les Hydropathes et les propulse, à coups de refrain&. et

"

de fumisteries, vers la gloire, il conserve suffisamment de recul pour ne pas se

, u

12 A. bafCay, Anatomie de J'humour et du nonsense~ Paris: Masson et Cie, 1970, p. 28.

b

, 13 Freud, Le mot d;esprit et ses rapports avec l'inconscient, Gallimard, coll. Idées, 1974,

p. 385.

(17)

o

..

o

. - ' l' \ Il \

'laisser prendre à son propre jeu. TI est, à l'instar du c,omê~i~n de- Diderot, un observateur froid et lucid~Par ~~emple, lorsque, en 1879, l'adhésion d'un trop grand nombre de ~participants ,menace l'ori&inalité

:.t

la «pureté» des

Hydro-pathes, Allais fait littéralement éclater le groupe ~n fa~§~nt exploser une

bombe, un soir de réuni~n.

n

devient alors officiellement ce qu'il a toujours ~té

-<-en esprit: fumiste. Mais là -<-encore Allais ne s'attarde pas et quitte le quartier latin pour la rive droite où il se joint

à

l'équipe du Chat Noir de Rodolphe Salis. Il partage alors son style de vie entre la bohème et l'embourgeoisement, ne se

/ donnant'e~tièrement ni à l'une ni à l'autre. Il se contente de puiser ce qui dans

- - /

, .

chacun de ces deux mondes lui convient le plus: le divertissement intellectuel d'une part, une existence pais,ible - et sans doute un peu paresseuse - d'autre

.

,

part. Homme d'aucune appartenance, mais également d'aucun sectarismet il est libre de tout inventer, de tout ridiculiser. Et c'est justement ce recul constant, qu'accompagnent une parfaite disponibilité et une absence' totale d'idées préconçues, qui lui a pennis d'~over dans son domaine.

(18)

(

(

c

L 'humour et l'absurde

Il n'est donc pas étonnant qu'Allais ait trouvé dans l'absurde et ses effets de contraste, de déroute et de mystification, un mode d'expression privilégié.

Q ~'

L'absurdel4 en effet n'est pas une source de comique en soi mais une technique

humoristiq!W, une manière de voir et de présenter les choses. Il est très souvent lié à l'humour puisque, comme ce dernier, il consiste le plus souvent à décrire une situation ou très banale ou très loufoque sur un ton sérieux. En mettant . davantage l'accent sur la présentation et l'expression, l'humoriste peut donner à

, ,

c--e qui est décrit une dimension nouvelle. L'humour permet de voir le dessous des choses. Or, l'absurde procède un peu de la même façon. TI donne préséance au langage sur la pensée,. abandonnant l'expression à s,a propre dérive:

[l'absurde] agite les mots dans tous les sens, de manière à faire ressortir ' l'extravagance profonde deso.plus ordinaires. Il vise à nous dépayser de notre propre i<liome.

, C'est pourquoi l'enchaînement des raisons peut aussi bien être correct et banal que paradoxal et saugrenu. En fait la question n'est pas là. L'absurde n'est pas dans les résultats; il est dans le fonctionnement autonome du langage. 15

Les mots n'ont plus à obéir aux rigueurs de la réflexion, ils créent l'idée. En étendant au .processus de pensée ce que Laffay limite au langage, l'absurde

14 Il faut entendr~ le tenne d'absurde dans son sens de «contraire à la raison et au sens commun» eHlt>h dans celui de «contraire à la logique». En effet, comme nous le verrons en cours d'analyse, l'absurde est, en soi, une forme de logique. Il faut donc plutôt parler ici d'extravagance, d'excentricité et de déraison. C'est du reste ail)si que le comprenaient les contemporains d'Allais, comme le sous-entend l'article de Camille Mélinand. «Pourquoi rit-on?», paru dans la Revue des deux Mondes du 1er-février 1895. L'auteur y décrit en ces tennes le fonctionnement de l'humour: «Nous reconnaissons dans un fait insolite, un fait habituel, dans un fait absurde un fait banal. Une même chose nous apparaît comme surprenante et comme familière», «[ ... ] un acte qui nous semblait baroque nous semble naturel» (p. 620). L'association du mot absurde à ceux d'insolite, surprenant et baroque

corrobore notr~ définition.

(19)

01

.l,

o

o

13

pourrait être .défini comme un parti pris de li~rté où la pensée et son expression, seraient v~lontairement libérées des 'contraintes de la logique.

L'aspect intentionriel du recours à l'absurde est ici très, important et

Berg~on l'a bien compris qui prend la peine de différ~ncier ent~e «absurdité

quelconque»16 et «absurdité détenninée»16. La première échappe au contrôle du .sujet, elle découle d'une erreur de jugement. La seconde en revanche' demeure consciente et fait partie du di~c9urs. On peut 'évidemment se demander si l'humour s'adresse principalement à la sensibilité ou à l'intellect. En effet, à

partir du moment où l'on bonsidère l'humour comme une stratégie', ou du moin1i,

~8

comme une mise

en

scène,

Ü

faut, pour en mieux comprendre le

fonction-nement, déterminer ce qu'il atteint avant tout. Baudelaire avair déjà abordé la

questjon en classant le comique ~n deux catégories17 : le «comique absolu»,

auquel'corresp~nd un ri~e «subit», «primitif» et le «comique significatif», clair

et analysable.

Cet~

division détennine deux types de comique: celui de l'instinct<' et celui de l'intelligence. S'il est assez facile de rapprocher le grotesq~

,.

et la farce du premier, le sarcasme et l'esprit du second/la question se résoud moins aisément pour J'humour qui, par ses origines caractérielles et la subtilité de réflexion qu'il exige, se réclame à la fois de la sensibilité et de l'intelligence.

VI

f'f

16 n's'agit d'«une inversio~ toute spéciale du sens commun. Elle consiste à p~tendre modeler les choses sur une idée qu'on .a, et non pas ses idées sur les choses. Elle consiste à voir devant soi ce à quoi l'on pense, au lieu de penser à ce qu'on voit». (Bergson, op. #1.,

p. 475.) '''1

17 «Le rire et la caricature'» dans Esthétique spiritualiste, Va~iltés critiques IL Paris: Éd. G.

(20)

c

\~

'.

(.

c

"

Du reste, l'humour, qùoique généralement associé au comique, ne' pro:" voque pas forcément le rire. Très souvent, il ne suscite tout au plus que le dé

ta-.

-chement ou la froide tranquillité. On pense évidemment à l'hUI9our noir dont la

.

finalité première est de faire contempler la mort sans gêne ni effroi. Mais,

,

comme l'explique Robert Escarpit, «si l'humour fait si souvent rire, c'est simplement que son mécanisme dialectfque est analogue à celui du rire, c'est qu'il crée volontiers la tension par son ironie et que [ ... ] son rebondissement <.... amène la àétente»18. Dans un premier temps l'humour déroute et «agress«» -l'intellect, dans un second, lorsque l'incompréhension fait place à

l'enten-dement, il rassure, devenant ainsi source de plaisir. L;intellect serait d'abord , touché, puis viendrait le tour de la sensibilité. Mais l'inverse est également vrai, -" , l'humour ct:éant un instant de malaise qui ne se dissipe que lorsque l'intelligence reprend le contrôle sur les sens. ,

Quelle que soit la direction de son mouvement, ce res~ort tension/détente est central à l'humour. Il est particulièrement présent dans les effèts comiques

-:1

nés de l'absurde qui procèdent de la même dialectique. L'absurde fait d'abord

1 1

rire par les incongruités, idées ou expressions qu'il présente et donne

~n;uite a~

lecteur Îa satisfaction de savoir qu'il a été assez subtil pour les relever. Ce second rire - il se~it préférable de parler de sourire. - provient d'un étroi~ rapport d'intelligence entre l'auteur et !e lecteur. Celui-ci, dès l'instant où il se rend compte du mécanisme qui l'a fait rire, devient le complice de l'humoriste. L'absurde, qui au départ suscite l'incompréhension et même, dans les cas extrêmes, l'inquiétudé et le trouble, se transforme alors en moyen de

commu-, ... 0 .;

18 R. Escarpit, L'humour, Paris': P.U.F., coll. «Que-sais-je?», 1972, p. 17.

(21)

o

o

o

15

nication et devient pour l'humoriste une façon de conquérir le lecteur. Dans le

c~s, come celui qui nous intéresse, d'une chronique llumoristique régulière, la

connivence est encore plus étroite puisque le lecteur, qui' a goûté < à l'absurde, vient à le pressentir avant même qu'il ne se manifeste. Le bref instant d'éton-nement, essentiel au rire comme l'a montré Bergson, demeure évidemment. Cependant, plus les instants d'étonnement et de compréhension sont rapprochés,

,

p'lus il devient possible à l'auteur d'intensifier la s,ubtilité du propos. L'humour devient alors un jeu d'intelligence où le recours sy~tématique à l'étonnement et à l'insolite engendre paradoxalement une complicité plus étroite et l'absurde un moyen qui, s'adressant tantôt à l'affectivité tantôt à l'intellect, permet à

l'humo-\

riste d'exprimer et de partager, selon le cas, son cynisme, sa bienveillance, ses ecombats.

Allais puise à même les espoirs de son époque et la manière qu'elle a de les exprimèr pour entretenir avec ses lecteurs cette essentielle complicité. Il utilise souvent à cette fin le verre grossissant qu'est l'absurde, mécanique qu'il contrôle avec soin

e~

dont nou's essaierons de. préciser le fonctionnement. Car l'humour allai sien n'est ni accidentel,. comme dans le cas d'un mot amusant né du hasard des conversations, ni inconscient, comme dans le cas d'un propos ou drune

situ-j •

ation dont seul un observateur attentif relèverait l'extravagance. Il n'est pas non plus un exercice pratiqué en solitaire par simple plaisir ou, comme dirai~ Freud, par épargne d'affect. Il fonctionne

à

partir de deux pôles nettement précisés eV toujours en étroite relation: un auteur qui écrit, dans une presse spécifiquement

(22)

(

(

/

(

souriante19, des chroniques humoristiqQes régulières et un public d'habitués

qui

r~trouve

à- chaque

lec~urè

un style marqué, une

~ignature parfaite~--ent

identifiable.

Dans ce cadre déterminé où la préoccupation première de l'auteur est de \ , séduire et de convaincre, l'humour exige calcul et maîtrise de soi. TI ne laisse en effet aucune place auxl excès d'humeur, qui se traduiraient par un insolent persiflage et seraient vite rejetés comme anti-sociaux, ni même à l'aigreur, qui finirait par voiler toute lucidité. Bergson oppose d'ailleurs très justement

o _ ,

l'échauffement auquel conduit l'ironie à la froideUf de l'humour2o• Qu'il serve

à défendre des idées (humour-affirmation) ou à voiler la réalité (humour-protection), l'humour est, par nature, mesure, équilibre et discipline.

Bjen .qu'il apparaisse d'abord irraisonné et détaché de toute logique, l'absurde s'inscrit également dans cette discipline, répondant à une démarche rigoureuse èn ~ue d~effets 'très précis. Son fonctionnement, comme nous le "

\

verrons, est presque toujours le même: dans un premier temps il étonne et déroute, dans un second il rassure et amuse. La source de l'incongruité, ce que nous pourrions appeler l'«argument de départ», varie cependant. Selon qu'il

19 Allais a écrit dans Le Chat No;r, Lè Sourire et Le Journal. Contrairement ,aux CIeux pre-mières publications, Le Journal n'était pas entièrement voué au rire. La chronique qu'y tenait Allais, «La vie drôle», de même que les «Contes gais» d'Annand Sylvestre et la série «Sur le pouce» de Georges Aurio~, ne ]?résentaicwt cependant aucune équivoque quant à leurs intentions.

20 «On accentue l'ironie en se laissant soulever de plus en PIus haut par l'idée du bien qui devrait être: c'est pourquoi l'ironie peut s'échauffer intérieurement jusqu'à devenir, en quelque sorte de l'éloquence sous pression. On accentue l'humour au contraire, en des-cendant de plus eh plus bas à l'int~rieur du mal qui est, pour en noter lès particularités avec une plus froide 6vidence». (H. Bergson, Le Rire, op. cit., p. 448.)

(23)

o

o

17

/"

provient des ressources du langage, des mécanismes de raisonnement ou de la capacité qu'a l'imagination de projeter le réel sur des plans nOuveaux, l'absurde apparaît tantôt comme une logique très rigoureuse, tantôt comme une

excen-~ <> , .. ~

- tricité. C'est pourquoi nous avons divisé l'absJJrde allai sien en d'eux' typès:

J '

l'absurde d'imagination, lié aux idées et à la fantaisie, ~t l'absurde d'expression

A . . . 'i

qui s'appuie sur la langue et les suites logiques. •

,

A travers, l'étude de ces deux fonnes, nous essaierons donc de mieu~ com-prendre la pensée d'Allais dont on a surtout étudié le style et les thèmes sans beaucoup approfondir le potentiel de subversion qu'ils servaierit~ Les p,rinof

cipaux travaux21 consacrés à'cet -auteur abordent en

~ffet ~ssez

peu les aspects didactiques de l'humour allai sien et les effets comiques de l'absurde. Signalons

-Il

. cependant à cet effet l'ouvrage d'Anatole Jakovsky qui en plus de réunir de nombreu\ documents sur l'humoriste s'efforce de comprendre les ,motivations profondes de son humour.

Afin d'analyser l'absurde en fonction des relations auteur/lecteurs, qui nou_s semblent essentie.1les à son utilisation, nous avons regroupé pour ce travail

l~s contes parus dans Le Journal de 1892 à 190122 et ceux des recueils Deux et

deux font cinq, On n'est pas des bœufs etoRose et vert pomme qui en font

partie et qui furent publiés pendant la même période. Nous avons étudié ces

21

L~rraine

E. O. Hartmann, Alphonse Allais. A Sty/istic and

Th~matic

Study of the

«Œuvres anthwnes», thèse de l'Université Princeton, 1975 et Rodolf Zimmer, ASRSkte

der Sprachkomik im Franzosischen, Sludien zur Sprache des Humoristen Alphonse

Allais, Tübingen, 1972.

--

.'

22 Ces contes correspondent aux tomes nI et IV des Œuvres compMles, réunies p~ François -Caradec aux éditions de la Table Ronde. '

(24)

(

c

"

contes en fonction des types d'absurde précisés plus haut: absurde de

for-mula~ion et de raisonnement pour ce qui procède de l'expression,-"absurde

d'~nvention et de mystification pour ce qui provient ,avant tout de l'imagination.

l ,

Cette classification demeure évidemment très large et se prête à de nombreuses possibilités de pennutàtion. Elle permet cependant d'analyser l'absurde à la fois comme argumentation et comme processus de pensée et d'ainsi mieux

corn-p~ndre le fonctionnement de ses effets comiques.

" 1 : ' , , i

~

\

(25)

.0

,

.-A

0

..

...

..

'0

o -.... , ,

..

CHAPITRE 1

"L'ABSURDE D'EXPRESSION

..

... 1 1 f '~, l , l' ,

-o 11 o o

(26)

1 1 1 > ,

.

,

-l, .. 1 i j ./ " o 20

o~ Reut discerner deux types d'absurde d~s les contes d'Alphonse "Allais; l'absurde d'expression et l'absurde d'imagination. Le premier tient dans la façon dont est exposée la pensée. Il provient du choix des,mots, de l'ordre des idées, des suit~s logiques. Ce type d'absurde, bien que s'appuyant au départ sur une idéè non exprimée, n'existe qu'en fonction des mots. Il englobe tout ce qui ressort de la fonnulation en elle-même (jeux de mots, double sens, moquerie des discours) de même que tout ce qui relève du raisonnement, c'est-à-dire l'en-chaînement des idées et l'articulation de la pensée autour des structures de la

o "

langue.

'1'

L'absurde d'imagination repose au contraire sur l'extravagance des idées, sans que soit nécessaire pour la faire ressortir une forme précise d'expression. . On pense notamment aux inventions, aux personnages et aux situations dont le

(.

caractère intrinsèquement loufoque crée l'absurde.

Il faut évidemment se méfier d'une division trop n€tte entre ces deux catégories. Ainsi, l'absurde de raisonnement procède très souvent tout au~nt de l'imagination (nature fantaisiste des arguments) que de la mécanique du langage. ,De la~même façon, la 'plupart des idées excentriques d'Allais gagnent beaucoup. à

,

la présentation. Il s'agit alors de voir si ces idées requièrent, pour que soit

dé-• 0

1 / \ velqppé leur plein potentiel d'absurde, une formulation particulière ou si elles

1

, sont, en soi, suffisamment dérisoires. '

o

(27)

o

21

L'ABSURDE DE FORMULATION

«TI faut distinguer entre le comique que le langage exprime, et celui que le langage crée»1 précise BergsoIWans Le Rire; Le second, explique-t-il, «doit ce q,u'il est à la structure de la phrase et aux choix des mots. Il ne constate pas,

p

! • ~

-. l'aide du latlgage, certaines distractions particulières des hommes ou des événements. Il souligne les distractions du langage lui-même. C'est le langage lui-même, ici, qui devient comique»l. S'il est vrai que le caractère comique d'un jeu de mot provient essentiellement de la fornlulation utilisée (~rdre des mots, figures de style, sono'rité, etc.)~ il n~Jàut cependant pas oublier que «Ir

1

comique que le langage crée» devient "aussitôt un «comique que le langage expnme».

cJ

En effet, un jeu de mot fait rire parce qu'il'pennet d'imaginer ou de mettre , \

en scène une situation comique. On pense notamment au procédé, d'aïi'leurs analysé.par Bergso~, de l'expre~ion utilisée au sens figuré mais comprise au

() . "

sens 'propre où une figure de style devien,t une concrète réalité que l'on parvient

à se représenter. Même les ·jeux de mots purement verbaux, comme les ca-lembours, font appel à une certaine mise en scène, ne serait-ce que par le ton plus a~puyé qu'ils exigent. Jouer avec les mots, c'est au fond jouer avec la parole

~ 0

e,t ses usages, c'est enfreindre l'habituelle logique de réflexion. L'absurdë de formulation repose ainsi beaucoup plus sur ce que le langage reflète de notre manière de penser que sur les mots en eux-mêmes.

\

1 Le Rire, op. cit., p. 436.

(28)

, .

(

..

(

L'analyse du langage

Allais prête une attention toute {particulière au langage et à ses fonne's. En fait, son œuvre peut être considérée comme un vaste commentaire, à la fois ~

.

railleur et apologétique, sur le langage. Lorsqu'enfant, appelé

à

imaginer la réponse de Clovis à l'apostrophe de· St-Rémi, «Courbe-toi, fier Sicambre», il

1 propose simplement: «Cambre-toi, vieux si courbe»2, il annoncè déjà ce

dis-cours. Cet exemple montre bien que le comique ne naît pas de l'absolu mais d'un décalage, d'une comparaison, entre ce qu<;l'on considère no,rmal et ce qui s'en "démarque. Le comique provient ici d'un effet d'exacerbation mutuelle: le sérieux du contexte accentue, par l'~Qée de sacrilège, la dérision qui, elle-même, par confrontation, fait apparaître la gravité initiale comme exagérée. Tout en se I1\oquant des formules, de l'emphase et de la solennité de la langue, Allais en affinne la richesse et le génie. Il ridiculise l'événement, il s'attaque au cliché

,

scolaire et à l'image d'Épi,naI, mais il rend hommage à la force des mots et à la , puissance d'imagination qu'ils procurent. Allais constamment nous montre que

.

les ressources de la langue sont une anne à double tranchant: bien les maîtriser permet de tout dire, et comme on le verra plus loin de tout inventer, mais se laisser dominer - et impressionner - par elles conduit presque invariablement au ridicule et à la bêtise. André Breton ,a bien compris l'aspect essentiel de cette maîtrisè de la langue dans

l'hum~ur

allaisien. Parlant des idées et inventions

(

loufQques de l'auteur, il écrit: «il va sans dire que l'édifi~ation de ce mental

. .

château de cartes exige avant tout "une connaissance approfondie de toutes les

2 Cité par A. Jakovsky, Alphonse Allais, le tueur cl gâgs, Paris: Éd. ~des Quatre Jeudis,

1955, p. 23. - ~ 1

(29)

o

o

-o

23

(

ressources qu'offre le langage', de ses se~rets comme de ses pièges»3, Les jeux, de mots ne sont évidemment pas uniques à l'humour d'Allais qui, en fait, n'a rien inventé tec~iquement. Mais à tous ces procédés qu'il a repris, il a apporté une logique nouvelle, un ton différent: ceux 'de l'absurde. A mi-chemin entre lu fantaisie et la folie, l'absurde apporte un décalage supplémentaire au

dépla-\ ,

cement (pour reprendre la tenninologie de Freud et une définition assez lar-gement acceptée) qu'est déjà l'humour ou le comique. Il permet d'aller encore plus loin dans la moquerie et les jeux, de faire sauter les dernières barrières entre le raisonnable 'et le déraisonnable.

C'est dans ce but qu'AlIai&~pste à l'affût Q'expressions à disséquer ou à

• <: '

transfonn,er. Tout à cet égard l'inspire4, mais on comprend que les discours 'très i~gés d'une part et très sté~opypés d'autre part, aient surtout retenu son attentipn: les premiers en accordant trop d'importance à la fonne et pas assez au propos (alors soumis aux aléas de l'élégance verbale), les seconds parce qu'enserrés dans un carcan qui brime l'imagination et la réflexion personneJle. Deux extrêmes qui se ~ejoignent dans une même conséquenc~ comique et absurde: 'la perte de contrôle sur le langage ,qui, devenu autonome, peut à tout

f. moment se retourner contre celui qui _croit le dominer.

~ 0

3 A. Breton, Anthologie de l'humour noir, Livre de Priche, 1972,

4.23.

4 C'est, selon son propre aveu, à cette passion pour les discours qu'il doit son ri16tier d'écrire: «Jamais je ne consens à me séparer d'un morceau de papier imprimé, même frag· menté, fllême froissé, sans, d'un rapide coup d'œil, y avoir cherché n'importe quoi de\ possiblement intéressant [ ... ] C'est à ce petit exercice quotidien que je contactai Je goOt des belles-Iettrès.» (<<On lit dans les Débats!», Le Journal, 18 f~vrier 1897, Œuvres

(30)

(

..

(

c

9

c' Dans «On lit dans Le Temps»5, Allais essaie ainsi de démontrer qub la

différence entre l'absurde de ses contes et celui que peut contenir les chroniques journalistiques dites séri~uses ne tient souvent que dans les atten'tes du lecteur.

~

En effet, alors que la lecture de ses articles est modelée par l'aifitipation de l'absurde et du comique, celle des textes sérieux se fait de façon machinale et

9 _

distraite. Ces derniers ·pourtant, si on se donne la peine de les regarder de près, comportent un potentiel d'absurde que ne renierait pas Je plus imaginatif des humoristes. En guise d'exemple, Allais relève dans un article du Temps la

relation d'une randonnée en voiture qui, sous sa plume, 'aurait été perçue comme comique, mais qui', parce qu'écrite 9ans un journal réputé sérieux, ne suscite aucune réactiori particl:lIière: «C'était une route médiocre, entre les champs de

céréale. LES MAISONS DES VILLAGES DÉFILAIENT

Au

TROTdevant nous,

toutes construites sur le même modèle, toutes disposées de la même façon [ ... ]

La place ne manque pas. Une cour accompagne chaque habitation».6 Et Allais

de conclure:

Hein! tout de même, mon pauvre Mirbeau! Quand nous racontâmes, et nous l'avions vu, que des concombres se promenaient emmy nos jardins, les gens graves haussèrent les épaules. Aujourd'hui qu'on vient leur conter que des mai-sons entières circulent en liberté [ ... ], les mêmes gens graves gobent pieusement

l'assertion parce qu'ils la lisent dans le journal de M. Adrien Hébrard. 7

Il

5 Le Journal, 19 septembre 1896,.Œ.p., t. III,p. 309.

"

6 Ibid., p. 310. Les italiques et les majuscules sont de l'auteur.

7 Ibid. Les 'concombres auxquels fait allusion Allais avaient été l'objet de plusieurs contes,

notamment celui du Journal du 6 avril 1895, «Les églises, aussi, se baladent comme des

concombres». Il s'agit d'une éponge de mer, vulgairement appelée concombre, dont les

propriétés locomotives étaient mentionnées dans les cours d'histoire naturelle de l'époque.

(Emmy: parmi, J. Plowert, Petit glossaire pour servir à l'intelligence des auteurs

(31)

0,

o

o

25

Cette réflexion laisse déjà voir quelques-uns des procédés pennettant de transformer des propos simplement métaphoriques en idées absurdes. L'un de ceux-cj consiste à décrire la séène de façon à ce que l'on puisse lâ visualiser avec le plus de netteté possible. Afin de préciser l'image et de la rendre plus vivante,

.

Allais y ajoute des détails, grossit le trait. Ainsi, dans ce passage, il ne s'agit pas seulement de maisons mais de maisons «entières» et il ne suffit pas ensuite

-qu'elles circulent, mais bien -qu'elles circulent «en liberté». L'insistance sur la «réalité» de la scène se trouve ici marquée par un deuxième procédé, celui du témoignage. Octave Mirbeau. est apostrophé à cet effet et Allais prend la peine de préciser qu'il a, avec lui, véritablement constaté le phén0mène. Il s'agit donc, pour qu'apparaisse l'absurde, de transformer la métaphore en une scène que

l'on puisse se représenter. \.

Dans ses contes, bien sûr, Allais cultive ouvertement l'équivoque. Il juxtapose sur un même plan les divers sens~n terme, sans apparemment se

- ,

soucier du contexte. L'article du Temps, en revanche, demeure tout au long

'0

métaphorique. Les intentions différant, la comparaison d'Allais ne saurait être entièrement valable, ma-is elle permet de voir comment, à partir du langage courant et d'images prises pour acquis, il est possible de ,créer une logique de l'absurde. Cet exercice demande évidemment un certain effort d'imagination et un minimum de recu'l par r~pport à l'usagè. Ce qui montre bien ainsi que

, ~

l'humour, malgré son apparence de légèreté, exig~ volonté et discipline.

Afin donc de rappeler que l'absurde se côtoie quotidiennement, Allais s'amuse à relever les perles de ses contemporains. Les plus innocentes ne sont généralement dues qù'à la naïveté et à la maladresse. Elles suffisent cependant à

(32)

(

(

montrer les dangers du langage lilissé à lui,:,même comme dans le cas de cette inscription qu'aperçoit un jour Allais sur lès murs de la gare d'Antibes et dont il

n'a même pas besoin de signaler l'extravagance, tant celle-ci est manifeste: «Il est interdit de déposer le long des remparts aucuns matériaux autres que des décombres en bon ·état»8. On pourrait croire ici l'inattention' ~eule coupable, mais l'excès contraire est tout a~si générateur d'excentricités comme le prouve Allais en relevant dans les discours outrageusement pompeux des p~opos égale-ment risibles. Sa victime préférée est à cet effet le général Poilloüe de St-Mars, héros de 1870, qui emporté par le lyrisme guerrier, a cru glorifier sa profèssion en appelant le «fusil, ce sceptre de la reine des batailles»9, et «la guérite, cet écrin de-la sentinelle»10. Quoique l'irQnie procède ici surtout de l'accumulation et du regroupement des exemples. (nous ne

.les

avons pas tous cités), Allais n'a"

, " . '

pas besoin d'insist~r beauco'up pour souligner le Mdicule du discours. Le

. .

décalage entre la préciosité des expressions et 'la gravité du sujet est assez

, ,

éloquent. Il s'agit d'un déplacement de contçxte, de la même façon que l'était l'apostrophe à St-Rémi. Dans cet exemple, le sérieux était transposé dans un re-gistre léger et le jeu de mot consistait 'en une dégradation d'un discours solennel'

~ ~ !

et célébré. Ici, au contraire, l'écrin et le sceptre glorifient de façon excëssive des '

, 0

considérations somme toute terre-a-terre. Mouvement inverse mais résultat

si~iIaire~ l'écart, peu importe sa direction, crée la dérision. \

,) 1

8 «Notes sur la Côte d'AzuI'», Deux et deux font cinq, Paris: Unio~ générale d'Éditions, - __ .

1985, p. 223. - ,

, 9 «Commentaires inacrimonieux», ibid., p. 88.

(33)

o

o

27

Cette analyse du discours se poursuit évidemment au-delà du langage. En taillant Poilloüe, All~is fait plus que simplement rire des malaoresses d'un général excentrique, dont le nom, en pl~s devait l'~muser. Il pointe du doigt l'hypocrisie de l'armée qui, sous le couv~rt d'une pseudo-poésie, cherche à

idéaliser ses activités, et la suffisance de' ceux qui, par l'usage de quelques métaphores, croient y parvenir. Et lorsque Je ridicule de ceux qu'il veut railler n'apparaît pas suffisamment, il n'hésite pas à intervernir, faisant ressortir par qU,e~ques apports personnels tout ce que peuvent avoir d'absurde des paroles trop doctorales, trop dignes ou simplement trop sérieuses. La lettre qu'il écrit à

Paul Déroulède le 19 mars 1894 est tout

à

fait typique à cet égard. Aprè~ avoir annoncé ses intentions moqueuses en saluant Déroulède d'un' ironique (parce qu'exagérément laconique) «vous me plûtes)ll, Allais reprend à son compte les fonnules du patriote:

Comme vous, mon cher Paul, je n'ai rien oubli~. Comme vous je ronge le frein de l'espoir. J'ai les yeux constamment tournés vers l'Est, au point que cela est très ennuyeux quand je dîne en ville [ ... l quand on me place en plein Ouest, me voilà contraint de regarder derrière moi, comme si mes voisins me dégontaient! Il

C'est cette démesure, jointe pour accentuer l'effet de complicité à des intentions préalablement affichées, qui engendre le comique. Afin que l'opé-ration réussisse parfaitement Allais 1I0it en effet s'assurer que la «victime»ireste is,?lée. n'y parvient en mettant dès le début les rieurs de son côté, faisant ainsi subir à Déroulède la moquerie de tous plutôt que la sienne seule.

) Il «Mon cher Paul. Vous permettez, n'est-ce-pas que je vous appelle Mon cher Paul, bien

que je 'n'aie jamais eu l'honneur de vous être présenté, pas plus que vous n'eOtes l'avantage de faire ma connaissance? Je vous ai rencontré plusieurs fois, drapé d'espérance (laissez-moi poétiser ainsi votre longue redingote 'Verte). Les pans de cette redingote claquaient au vent, tel un drapeau et vous me plûtes». (<<Patriotisme économique», Deux el

(34)

(

c

Sens propre et sens figuré

La technique qu'emploie Allais dans le passage cité plus haut compte panni ,

celles qu'il utilise le plus fréquemment lorsqu'il a besoin, à des fins de moquerie

-? ,

ou par manque d'inspiration, de rapidement créer une situation absurde. Elle consiste à prendre au sens propre une expression au sens figuré, opération des plus élémentaires mais qui ne manque jamais son but: souligner l'arbitraire du langage. Le procédé peut parfois sembler gratuit. En effet, il arrive qu'Allais amorce le jeu de mot sans le développer davantage, un peu par réflexe ou par principe: «toutes les fois qu'on a l'occasion de réaliser une métaphore,' doit-on hésiter un instant?»12. Il n'hésite jamais en effet et lorsque la situation amenée par le transfert de sens ouvre de nouvelles voies, il va jusqu'à léL surenchère, transformant l'absurde en un long raisonnement où le premier glissement de sens justifie,et explique les suiyants. On retrouve ce cas dans «Un garçon sen-sible» 13 et «:gncore le garçon sensible»14. Dans le premier conte, Allais nous

décrit un jeune homme qu'une extrême sensibilité empêche de trouver un emploi: le personnage ne peut supporter qu'on fasse «trop de pènes aux serrures» ou «qu'on frappe les carafes», L'accumuiation d'exemples du même type permet de transfo~er ce qui, au départ, n'est qu'un simple jeu de mot en une «réelle» situation. Le deuxième conte poursuit la même logique et le lecteur n'est plus étonné de voir le personnage horrifié à l'idée de «battre les tapis» ou

12 «Une drôle de lettre». Deux et deuxfont cinq, op. cit., p. 187. ~ 13 Le Journal, 30 juin 1895, Œ. a., t.1I, p. 375.

(35)

o

o

o

29

de «dépouiller le courrier». C'est alors qu'Allais introduit une variante dont le

"\/:fI..

fonctionnement repose entièrement sur l'acceptation, comme a priori, du passage du sens figuré au sens. propre: il nous montre le jeune garçon heureux , d'apprendre qu'un gardien d'asile vient d'assommer un fou. La réaction du personnage qui, sans la logique suivie jusqu'ici n'aurait rien d'extraordinaire, semble au lecteur tout à fait inexplicable. Allais a-réussi à transfonner l'absurde d'un jeu de langage en un raisonnement conséquent et autonome où, dans une ironie suprême, tout ce qui nonnalement serait évident et banal apparaît comme incompréhensible et extravagant. Allais n'a plus alors qu'à utiliser l'absurde comme explication logique à l'étrange comportement. Au narrateur (c'est·à-dire Allais) qui lui demande pourquoi ~a cruauté du gardien, loin de rindigner, le réjouit au contraire, le personnage répond: «Oh! les fous! on peut bien taper dessu~ tant qu'on voudra! Ils ne m'intéressent pas du tout, ces gens qui battent la campagne»15. Tout est rentré dans l'ordre. Le lecteur peut se rassurer. L'hu-moriste, même s'il a transgressé les lois du plus élémentaire bon sens, a respecté la cobérence. li est resté cçnséquent avec lui-même. Cette discipline est néces-saire à l'existence même de !,humour, car la logique de l'humoriste, aussi

décapan~

soit-elle, sert de paramètre, de point de repère pennettant de situer

les

chos~s

les unes par rapport aux autres. Si elle disparaît, plus rien ne peut être

..

mesuré et il devient alors impossible de discerner ce qui est dérision et ce qui n'est que fanta~sie.

Le c9mique repose évidemment ici sur le jumelage d'un ton sérieux et présque compassé avec une' impossible réalité. Des jeux de mots plus subtils

(36)

c

(

(

30

,

aùraient exigé dav~ntage de mises en garde: ~ronie plus soulignée, style exa-gérément pompeux, exclamations diverses. Mais l'écart entre l'absurde du propos et la réalité plausible est ici largement suffisant. Allais n'a aucun besoin de semer son conte d'indices et peut se permettre le plus grand sérieux et surtout la plus grande conviction sans crainte d'équivoque. Et c'est précisément l'ab-sence de toute afféterie et de tout clin d'œil superfétatoires qui donne au conte -son effet comique. Le procédé s~ suffit à lui-même. On ne saurait, cependant, négliger le principe d'accumulation qui entretient la surprise - peut-être serait-il plus juste de parler ici de l'éveil - du lecteur. Celui-ci est, en effet,

"

amené à apprécier tout au long du conte l'adresse du narrateur et s'il ne ~ourit que faiblement aux premiers jeux de mots, il sera quand même forcé de con- 0

cé_dêr à l 'hurrtôriste une certaine habileté.

,

Dans le passage du sens figuré au sens propre, l'absurde peut, avant d'ap-paraître comme un argument, prendre ~'aspect d'un mystère à éclaircir. On retrouve ce cas dans les contes construits autour d'un .transfert de sens qui n'est dévoilé qu'à la fin du ré~it. Le procédé demeure le même: ce sont les mots et la

,

manière de les formuler qui servent de logique. Mais, alors que dans les exemples p~écédents la base du raisonnement est exposée dès le début du conte, ·elle n'est ici dévoilée qu'à la toute dernière minute. Le 1?ut consiste évidemment

à faire du lecteur une victime (quand le procédé apparaît dès le début, le lecteur~

au contraire,.dJ~yient complice de l'auteur). Après avoir cherché par habitude et

par instinct une explication rationnelle aux phénomènes mystérieux qu'on lui a présentés, il doit, devant la solution absurde proposée, admettre avoir été leurré. Mais le fait que le dénouement relève de' l'absurde plutôt que ~u bon sens le rassure et l'excuse: son intelligence n'était pas en cause. S'il a été dupé, il n'a

(37)

o

o

o

31

pas été humilié. Aucune faiblesse de sa part: il peut rire sans crainte et sans honte.

La

b~enveillance de l'humour lui épargne le ressentiment.

Le conte «Automobilofumisme» 16 illustre très bien cette technique de l'explication retardée. Une énorme voiture, dans laquelle ont pris place quatre

,

passagers, est tirée par un faible chien. Les passants témoins de la scène crient ù l'horreur: comment pe~t-on faire subir à une si pauvre bête un tel éffort? Le conte détaille ainsi pendant plusieurs paragraphes l'émoi, puis l'indignation, des passants scandalisés. Ce n'est (fu'au moment où ceux-ci s'enquièrent du poids tooo:<fe l'attelage que survient

l'e~plièatif

transfert de sens: «Nous

Pi;~hS

quinze livres et çlemie en tout et pour tout [ ...

l.

n

faut vous dire que mol. ami et moi, nous sommes d'un caractère très léger; ces dames sont de mœurs ~lus légères encore [ ... ]»17, Le chien est alors dételé et on entend ronfler un moteur. La clef .', du mystère donnée, le lecteur comprend qu'il a été berné. Mais afin de s'assurer que ce dernier se range du côté de la plaisanterie (et qu'il accepte l'absurde comme mode de raisonnement), Allais doit encore le démarquer des per-sonnages du conte avec qui il avait été amené

à

s'identifier tout au lon

p

du récit. TI y réussit en présentant les passants comme acceptant fort malle canular. 'Force est alors au lecteur de rire s'il veut affirmer sa supériorité sur~ ces esprits chagrins. Encore -une fois la ~écanique du comique, qui repose ici sur l'~ccep­ tation de l'absurde comme logique, a fonctionné. Si Allais avait dépeint des

per-4

sonnages hilares, le lecteur; toujours par souci de démarcation, aurait pu pré-férer hausser les épaules et regarder la

s~ne

avec distance. L'effet comique

16 On n'est pas des bœufs, Paris: Uoidn

géO~

d'Éditions, 1985, pp. 273-275.

(38)

(

(

(

- "

.

, ,n'aurait eu lieu qu'à l'i~térieur du conte, sans agir sur le tiers p~rti qu'est le '"

,

.

lecteur, c'est-à-dire que le'''Comique aurait été relaté et non pas créé.

Les jeux de complicité déterminent donc l'attitude du lecteur face à

l'absurde .. élément sur lequel repose ici le comique. ,Allais sait en user adroi-tement. Selon les p.ossibilités qu'offre dans ch~que cas l'absurde de fonnulation, il fait du le~teur un complic~\ou une victime. Lorsque le jeu ~e l1Jots permet

,

.

toute ùne série de développements, comme dan~ l'exemple du «jeune garçon

, ~~,"7) a .. ~.

sensible» ou des «yeux tournés vers l'Est», Allais transfonne la lecture en une

-=-,

participation à l'élaboration 'du conte et en explique les rouages au fur et à

mesure qu'ils se présentent. en rev_~che, lorsque le jeu de mot, par faiblesse ou

.., . . . . 1..

trop grande ponctualité, exige d'être-«étof~é» par une certaine mise en scène, <.

Allais recourt' à la mystification, faisant de l'absurde une explicàtion qu'on

.

accueille parce qu'elle guérit du doute. Si la méthode'diffère, le. résultat

l

demeure sensiblement le même: démontrer la possibilité de fonder un

, .

raisoJUlement illusoirement cQhérent sur .br:seùle force des mots.

Liaisons et -incidentes

Tous les types d'absurde de formulation serv,nt du, reste ce dessein.

Certains reposent SU! le sens

d~s

mots, comme nous venons de

te

voir, d'autres

~

sur la construction même de la phrase. Dans ces cas, il suffit très souvent de ,l'introduction d'un seul terme pour convertir un propos t banal en un énoncé

absurde. Les exemples abondent, qu'il s'agisse de la descnption d'un couple âgé:

.

, 1

«Et, parmi eux, un ménage, un vieux ménage composé, comme cela arrive

Références

Documents relatifs

[r]

L’étude d’Astrid Van Assche dans Les « Lumières » du XVII e siècle : Représentation de la femme dans la correspondance galante décrivant la représentation de la femme dans

Rien ne vous empêche de faire des guirlandes fantaisies de coquillages, de matériaux trouvés dans la nature pour les mettre dans votre sapin, ainsi vous vous souviendrez de

Sa sœur, Mme Leroy-Allais, dans une biographie toute pleine d’admiration et de piété fraternelles, nous le montre à vingt ans, après des débuts très modestes au

• 7 adaptations au cinema, 4 films d’animation, 1 émission de radio, 6 téléfilms, 4 séries télés ou animées, 4 bandes dessinées, 5 jeux video, et plusieurs autres

• Travailler rapidement avec la communauté des personnes ayant un handicap sur la consultation du Plan d ’ action pour l ’ inclusion des personnes en situation de handicap

1 – Dans « Le sapin » : pourquoi le sapin est- il coupé et emmené ?. a) Il servira de mât pour

[r]