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Occuper l’espace. L’appropriation territoriale du Négoce languedocien, 1900-1939

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Stéphane Le Bras

To cite this version:

Stéphane Le Bras. Occuper l’espace. L’appropriation territoriale du Négoce languedocien, 1900-1939 . L’Harmattan; TADDEI J.-C. Les Territoires du Vin, p. 53-79, 2014. �hal-01325344�

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O

CCUPER L

ESPACE

.

L’

APPROPRIATION TERRITORIALE DU NÉGOCE LANGUEDOCIEN

1900-1939

Stéphane LE BRAS

À l’aube du XXe siècle, le Midi viticole vient d’être frappé par une crise sans précédent et traumatisante, qui a dévasté à la fois le vignoble languedocien et l’économie méridionale.

Apparues au tournant des années 1850, les maladies cryptogamiques déstabilisent un vignoble qui connaît au XIXe siècle une croissance phénoménale à la suite de la révolution industrielle et de la révolution des transports1. Si l’oïdium est relativement bien et rapidement combattu au milieu des années 1850, le phylloxera, qui est décelé pour la première fois dans le Gard au début des années 1860, s’étend rapidement à l’ensemble de la France méridionale. En quelques années, le Midi est colonisé par l’insecte qui détruit les ceps un à un et plonge la région dans la désolation et la misère. La découverte de la solution par le Pr. E. Planchon en 1878 et la reconstitution post-phylloxérique2 rendent à la région son titre de « plus vaste vignoble du monde ». Mais ce renouveau se fait à un prix coûteux3.

En effet, le marché des vins a été particulièrement désorganisé par la crise phylloxérique et la reconstitution. Pour répondre à une demande qui ne faiblissait pas alors que les surfaces exploitées et les rendements chutaient drastiquement, producteurs et négociants se sont lancés dans une vaste entreprise de production de marchandises de mauvaise qualité, de vins artificiels, à base de marcs de raisins frais additionnés de sucre et d’eau, autorisés par la loi de 1880 et de vins fraudés, enrichis de produits chimiques de toutes sortes ou de vins vinés, mouillés, sucrés. Si la loi tente de réguler ces pratiques4, le marché n’en demeure pas moins encombré au début du siècle.

C’est d’autant plus inquiétant que la région, dans le cadre de la reconstitution, a fait le choix de la production de masse5, notamment en privilégiant l’Aramon, gros producteur et

1 Lachiver M., Vins, vignes et vignerons, Paris, Fayard, 1988, p. 410-411.

2 Sur ce sujet, voir Garrier G., Le Phylloxéra, une guerre de trente ans, 1870-1900, Paris, Albin Michel, 1989. 3 Sur ce point et pour replacer cette étude dans son contexte viticole, voir la remarquable synthèse de Gavignaud-Fontaine G., Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (XXe), Montpellier, UPV, 2006,

p.42-122.

4 Loi Griffe en 1889 sur les qualités naturelles du vin, loi Brousse en 1891 sur le contrôle des sucres, loi de 1900 sur le régime des vins, loi de 1905 sur les fraudes et les falsifications.

5 Cela est analysé dans la thèse pionnière de Galtier G., Le vignoble du Languedoc méditerranéen et du Roussillon,

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résistant, capable de rendement de 100 à 200 hectolitres par hectare6. « La course aux rendements est engagée au service du "gros rouge" »7 et la production bat des records. Pour les trois départements plus gros producteurs nationaux que sont l’Aude, le Gard et l’Hérault, la moyenne annuelle pour la décennie 1890 atteint les treize millions d’hectolitres et dépasse les dix-neuf millions pour les années 19008. À cette situation purement statistique, s’ajoutent les investissements nombreux et lourds effectués par le monde viti-vinicole pour assurer une transition parfois longue entre l’arrachage et les premières récoltes9.

Dans ce contexte particulièrement trouble et tendu, les négociants en vin cherchent à assurer la pérennité de leur profession. Si le premier réflexe est un réflexe purement individuel sur un marché où la concurrence, dans une situation de compétition particulièrement acharnée, se fait de plus en plus rude, la profession cherche à se structurer à travers des organisations syndicales qui voient le jour dans les années 1870 et 1880. À partir des années 1900, l’effort du « Commerce10 », comme on l’appelle dans la région, devient plus dynamique et, dans un double objectif de contrôle de la filière et de légitimation de la profession, plus efficace.

Personnage clé de la filière viti-vinicole, le négociant est l’interface entre deux mondes, celui de la consommation et celui de la production. Il est un rouage essentiel entre des viticulteurs dont il connaît et maîtrise les stocks et des consommateurs qu’il approvisionne et dont il estime les besoins. Fort de cette position, il cherche à dicter la conduite d’un marché difficilement maîtrisable entre 1900 et 1939 et dont il cherche à limiter au maximum les irrégularités. Cette inclinaison à vouloir édicter des pratiques normatives, qu’elles soient techniques, commerciales ou financières, est, tout au long de son histoire, une constante. C’est primordial dans une période qui est notamment marquée par des crises de mévente cycliques (1903, 1907, 1914-18, 1926, 1935). Ceci est d’autant plus important que face à lui se dressent des concurrents directs : coopératives11, négociants extérieurs12 ou magasins à succursales multiples13.

6 Garrier G., Histoire sociale et culturelle du vin, suivi des Mots de la vigne et du vin, Paris, Larousse, 1998, p. 481.

7 Gavignaud-Fontaine G., op. cit., p. 52. 8 Lachiver M., op. cit., p. 608.

9 Quatre ans en moyenne.

10 Dans ce premier XXe siècle, le Commerce (avec une majuscule) est le nom que l’on donne aux négociants régionaux. Nous reprenons ici cette expression.

11 La coopérative de Maraussan, première du genre dans la région, est créée en 1905, rapidement suivie par celles de Siran en 1907 et de Lézignan-Corbières en 1909. À ce sujet, voir Gavignaud-Fontaine G. (et al.), Caves

coopératives en Languedoc-Roussillon, Lyon, Lieux-dits, 2010.

12 Ils viennent essentiellement des grands centres de consommation qui se développent au début du siècle : Région parisienne, lyonnaise ou Est de la France.

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Ainsi, afin d’assurer l’écoulement de la première richesse de la région et, de la sorte, de s’affirmer en champion de la société languedocienne, le Commerce cherche à imposer sa présence à travers une double stratégie. C’est tout d’abord en occupant l’espace visible, notamment en marquant par sa présence physique (I) l’ensemble de l’univers viticole languedocien. Mais c’est également, en pratiquant une activité particulièrement visible et structurante connue et reconnue par tous (II) qu’il s’affiche comme un acteur incontournable du monde viti-vinicole languedocien.

1 - Le négoce des vins du Midi : une visibilité marquée et évolutive

Agents incontournables de la filière, le négociant et ses auxiliaires, les courtiers, sont omniprésents dans le paysage viticole languedocien. On les retrouve aussi bien dans les campagnes méridionales que dans les villes avec, dans les deux cas, des stratégies d’occupation de l’espace bien différentes mais également des évolutions différenciées.

1.1 - La polarisation rurale

Chaque village languedocien (voir annexe 1 pour les localisations) dispose de son réseau commercial lui permettant d’écouler son stock de production. Il n’existe pas de logique préétablie mais sur l’ensemble de la période, aucun village n’est laissé à l’écart par les réseaux du négoce.

Ainsi, si l’on prend l’arrondissement de Béziers dans l’Hérault en 192514, le commerce des vins est présent par le biais des courtiers, des forfaitaires et des négociants-commissionnaires. Chacun a un rôle bien précis. Le courtier est chargé de mettre en relation les négociants et les producteurs. Généralement issu du même milieu que les producteurs, il tisse avec eux des liens de confiance qui sont généralement réciproques15. Payé « à la taxe », son but est de faire réaliser les affaires les plus importantes et les plus rentables possibles, et ce, pour les deux parties. Le négociant-forfaitaire est le commerçant en gros qui achète des quantités plus ou moins importantes de vin aux vignerons, les stocke dans ses chais où il leur fait subir de nombreuses manipulations afin de faire correspondre le vin aux attentes de sa clientèle. Le négociant-commissionnaire est, quant à lui, chargé d’expédier directement les vins depuis la

14 Archives départementales de l’Hérault [désormais : ADH], PAR 1600, Annuaire de l’Hérault, 1925.

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propriété jusqu’aux clients. Il ne dispose jamais de stocks, achetant au gré de la demande. Enfin, jusqu’aux années 1930, certains courtiers sont également des commissionnaires16.

En 1925, il y a dans l’arrondissement de Béziers, 76 villages de 2000 habitants ou moins17 (annex. 2). Dans ces 76 villages, on retrouve 146 courtiers, 43 négociants-forfaitaires, 15 commissionnaires et 19 courtiers-commissionnaires. Si l’on monte dans la hiérarchie villageoise, on retrouve dans les gros villages que sont Cazouls-les-Béziers (3830 habitants) : 4 négociants, 5 courtiers ; Florensac (3600 hab.) : 4 négociants, 8 courtiers ; Montagnac (3770 hab.) : 4 négociants, 6 courtiers et Sérignan (3680 hab.) : 5 négociants, 6 courtiers. Certains villages ne disposent d’aucun courtier ou négociant mais ils sont très proches, et donc sous le rayonnement commercial direct, des villes ou villages voisins comme Cers à côté de Béziers ou Roquessels dans le canton de Roujan18. Le Commerce est donc bien présent et affirmé dans les villages (annex. 3).

Si le nombre de négociants et le nombre de courtiers tend à augmenter dans certains terroirs de la région, notamment dans la plaine languedocienne où sont concentrées les exploitations produisant les plus forts rendements, il n’existe pas réellement de corrélation entre la production villageoise et la structure commerciale. Ainsi, si l’on prend en considération l’année 1930 et deux villages sensiblement semblables, la situation commerciale est différente. À Saint-Pargoire, il y a en 1930, 960 hectares de vignes pour 71 propriétaires et une récolte annuelle d’environ 70.000 hectolitres. On y recense 7 courtiers et aucun négociant. À Paulhan, on compte 887 hectares pour une production de 55.000 hectolitres fournis par 59 propriétaires. Dans le village cohabitent seulement 2 courtiers mais 9 négociants (commissionnaires et forfaitaires). Le plus souvent, les seules logiques qui existent sont des logiques familiales. Ainsi, à Neffiès toujours pour la même année, la famille Mazet compte dans ses rangs un négociant, un courtier, un propriétaire. C’est dans tous les cas de figure, l’assurance de pouvoir expédier sa production mais également de diversifier ses activités dans un contexte des plus incertains. En définitive, comme dans le cas de « C. Granier » à Magalas (annex. 4), le rayonnement de la maison dépasse largement le cadre de la commune et couvre jusqu’à une cinquantaine de km d’est en ouest.

C’est donc toute une armée de commerçants et de leurs auxiliaires qui parcourt la campagne viticole languedocienne afin de répondre du mieux possible à une demande qui se fait, sur la période, irrégulière mais toujours importante19. Ils agissent ici dans une logique de

16 Ces derniers les « courtiers-commissionnaires » disparaissent sous l’impulsion du Syndicat régional des vins qui cherche, durant cette période, à rationaliser et à structurer au maximum la profession.

17 ADH PAR 1600, Annuaire de l’Hérault, 1925.

18 Village de 2000 habitants dans lequel on retrouve 4 négociants-forfaitaires et 3 commissionnaires. 19 Autour de 50 à 70 millions d’hectolitres selon les différentes études.

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structuration et de polarisation de l’espace afin de quadriller au maximum un territoire viticole abondant et de maitriser au maximum les stocks, le tout dans une logique de régulation du marché.

1.2 - La sectorisation urbaine

Les villes méridionales regroupent également un nombre conséquent de négociants et de courtiers. En tant qu’interface commerciale avec l’extérieur et dans une région dont l’économie est quasi-exclusivement tournée vers la monoculture viticole20, il est logique qu’une grande partie de la profession cherche à asseoir son commerce dans les villes. Néanmoins, au contraire de la dispersion rurale commerciale, les négociants dans les villes du Midi tendent à se concentrer dans des lieux bien précis. Cette dynamique repose ici sur une volonté d’accaparement d’un espace commercial stratégique comme la gare, le port ou la proximité du marché. On est là en présence d’une double logique de concentration spatiale : une logique externe d’attraction vers les villes et une logique interne de concentration dans des espaces bien identifiés.

Ainsi, toujours en 1925 dans l’Hérault21 (annex. 5), la ville de Béziers qui est considérée comme la « capitale du vin », compte 162 courtiers, 148 commissionnaires et 105 négociants. À Sète, le « port du vin », on recense 91 maisons de commerce. Enfin, à Montpellier, la capitale de la région, on dénombre 123 négociants, 74 commissionnaires et 72 courtiers. Dans les centres secondaires que sont Frontignan, Lunel ou Pézenas, les chiffres additionnés atteignent respectivement 94, 37 et 32 unités22. Ici, l’attractivité urbaine s’explique de plusieurs manières. Béziers est le cœur du monde viticole languedocien, c’est elle qui donne le ton sur le marché des vins de consommation courante. Montpellier est la capitale régionale et on y retrouve tous les interlocuteurs de premier plan depuis le préfet jusqu’au directeur des contributions indirectes. C’est également le centre commercial de la région où se déroule une foire internationale des vins et où descendent tous les grands négociants de l’extérieur. Sète est le port par lequel transitent les vins en provenance de l’étranger, notamment d’Espagne, d’Italie, de Grèce ou le vin en provenance d’Algérie. Frontignan, Lunel et Pézenas sont des centres secondaires mais de renommée nationale, notamment en ce qui concerne les Muscats pour les deux premiers et les vins doux pour le troisième. Les maisons de négoce ont donc tout intérêt à développer leurs réseaux commerciaux dans l’un de ces centres de commercialisation.

20 Dugrand R., Villes et campagnes en Bas-Languedoc, Paris, PUF, 1963, p. 167. 21 ADH, PAR 1600, Annuaire de l’Hérault, 1925.

22 Soit à Frontignan : 14 courtiers, 1 commissionnaire, 79 négociants ; à Lunel : 14 courtiers, 14 commissionnaires, 9 négociants ; à Pézenas : 16 courtiers, 5 commissionnaires, 11 négociants.

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De plus, dans les villes, les maisons de commerce tendent à se concentrer dans des lieux bien spécifiques, engendrant ainsi une véritable emprise spatiale. À Béziers, les maisons de commerce se situent sur les Allées Paul-Riquet où se tient le marché aux vins ou dans les rues, boulevards et avenues adjacentes qui descendent jusqu’à la Gare. Ainsi, les maisons les plus renommées se situent Avenue du Président Wilson, Boulevard de Verdun ou Boulevard de la Liberté. Le cœur de la ville, dans un rayon de 500 mètres au sud des allées Paul-Riquet est de fait colonisé par les maisons de commerce. À Montpellier, la concentration est moins marquée, très certainement en raison d’un éventail commercial plus développé et à l’attention des autorités de ne pas favoriser une profession plutôt qu’une autre. Elles se retrouvent le plus souvent proches de la Gare du Rondelet qui est la gare d’expédition des marchandises (rue de Bercy, rue de Saint-Denis, Rue Durand, Cours Gambetta), près de la place de la Comédie où se tient le marché (rue de l’Aiguillerie par exemple) ou bien sur les grands axes de sortie de la ville (Avenue de Toulouse, Route de Palavas, Avenue de Lodève). À Sète, on les trouve surtout le long des quais où appareillent les voiliers puis les vapeurs (Quai de Bosc, Quai Aspirant Herbert, Quai Vauban) ou sur la principale route sortant de la ville, la Route de Montpellier (annex. 6). Dans les plus petits centres, on les retrouve essentiellement sur les grands axes des villes comme à Pézenas (Route de Béziers) ou à Frontignan, le long de l’axe principal traversant la ville de Sète à Montpellier.

Les logiques de localisation des réseaux commerciaux dans le Midi sont donc assez évidentes. Elles visent à assurer l’approvisionnement dans les campagnes en s’appropriant l’espace viticole par un contrôle accru à travers les nombreux courtiers et les maisons de commerce qui polarisent une surface plus ou moins étendue. Elles cherchent également à permettre l’écoulement des stocks en occupant les espaces de sortie des villes, les grands axes ou la proximité des infrastructures d’expédition.

1.3 - Des évolutions significatives

Dans une période profondément marquée par les brusques renversements conjoncturels économiques, qu’ils soient généraux (Première Guerre mondiale, crises des années 1930) ou liés à la filière (1907, 1921, 1934), le marché connaît de nombreux accès de fièvre. Ces derniers se traduisent par des ralentissements de l’activité voire de fortes périodes de récession qui sont immédiatement suivis par des périodes de prospérité23. L’alternance de ces deux phénomènes a pour conséquence une évolution notable des effectifs commerciaux dans la région (annex. 5).

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Ainsi, si au début du siècle24, on compte 141 maisons de négoce à Béziers, ce chiffre se situe autour de 110 en 193825, preuve d’un relatif affaiblissement. À Sète, la tendance est la même, le chiffre passant de 136 à 84. À Montpellier, toutefois, la baisse est beaucoup plus significative, le chiffre chutant drastiquement de 180 à 93. En réalité, les trois villes connaissent des mutations structurelles différentes. Béziers conserve une certaine stabilité en raison de la prééminence de l’activité viti-vinicole dans la région biterroise et son statut de capitale du vin, encore fort jusqu’aux années 1960. Pourtant, la nomenclature évolue. Si le nombre de maisons de commerce est relativement stable, il y a une inversion des rapports entre forfaitaires et commissionnaires qui s’explique essentiellement par l’incertitude qui règne sur le marché des vins mais également par le peu de surface financière dont disposent les maisons de commerce languedociennes. Être commissionnaire nécessite en effet moins de fonds et d’investissements, et de facto, moins de risques que le métier de forfaitaire, bien plus rémunérateur mais plus risqué et moins apprécié par les négociants « de l’Extérieur »26. À Sète, l’évolution s’explique en partie par la transformation de l’interface portuaire qui, après les années 1910, devient simplement un port d’importation et non plus d’importation-exportation, réduisant ainsi les activités et donc les possibilités de profit. Dans l’île singulière, seules les maisons ayant les réseaux les plus développés survivent27. En outre, la ville fait face à des mouvements revendicatifs nombreux – et parfois violents – qui paralysent et affaiblissent le Commerce sétois28. À Montpellier enfin, la ville prend dans les années 1930 véritablement son indépendance vis-à-vis de l’économie viticole, devenant une vraie ville de services diversifiés29. Si les négociants y conservent une place privilégiée, ils perdent de leur influence et leur présence se fait moins sentir dans une ville qui se développe grâce à une armature commerciale de plus en plus étoffée.

Néanmoins, dans certaines places, l’évolution est très nettement positive, comme à Frontignan (on passe de 30 maisons à 87 sur la période), à Clermont-l’Hérault (12 à 21) ou à Saint-Chinian (2 à 7). Ce sont là des exemples significatifs et révélateurs car il s’agit de territoires qui ont développé très tôt une politique de qualité et de rayonnement commercial autour d’une réputation positive qui contraste avec l’image des vins du Midi à l’époque. À Frontignan, c’est le Muscat qui est reconnu comme AOC dès 1935, à Clermont, ce sont les vins

24 ADH, PAR 1600, Annuaire de l’Hérault, 1902. 25 ADH, PAR 1600, Annuaire de l’Hérault, 1938.

26 ADH 6 U 2/753 : Faillite Augé, correspondance 1933. Un client fait remarquer à Augé, négociant héraultais, que s’il continue à le faire payer au forfait et non à la commission, il rompra toute relation commerciale.

27 Cazalet J.-L., Cette et son commerce des vins de 1880 à 1920, Montpellier, Impr. Firmin et Montane, 1920. 28 ADH, 10 M 230 et 235, Travail : Conflits.

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blancs venant de l’arrière-pays héraultais et à Saint-Chinian, des rouges de consommation courante mais recherchés pour leurs qualités gustatives30.

Sur la période, seuls les petits villages de la plaine enregistrent une baisse nette de la présence du négoce. Ainsi, à Poussan, le nombre de négociants passe de 6 à 2 alors qu’à Saint-Pons-de-Monchiens, le seul négociant présent disparaît dans les années 1920. Dans ces villages, le Commerce est dorénavant représenté par les courtiers dont les chiffres restent relativement stables et qui travaillent pour les maisons de commerce des villes ou des grandes bourgades.

Enfin, dans une logique de dilution spatiale et d’élargissement de la puissance de rayonnement, certaines maisons cherchent à étendre leurs activités dans plusieurs villes à la fois. Ainsi, la maison « Parlier et Kruger », d’abord installée à Montpellier31 s’installe au début du siècle à Béziers puis dans les années 1920 à Sète. La maison « Warnery et Cie », originellement montpelliéraine, effectue le même parcours. En ouvrant une succursale à Sète dans les années 1910, elle cherche à limiter les intermédiaires et à s’assurer la maitrise de ses circuits de commercialisation, notamment ici l’importation de vins algériens. Quelques années plus tard, cette activité d’importation devient tellement prépondérante que, dans les années 1930, la maison « Warnery et Cie » est alors reconnue comme une maison sétoise et non plus montpelliéraine. Enfin, d’autres maisons de premier plan, comme la maison sétoise « J. Euzet », ouvrent des succursales dans les villes environnantes, notamment Frontignan, dans le cadre d’un redéploiement vers un nouveau type de production, ici de qualité, à travers les Vins doux naturels au début de la même époque. Dans le cadre interne d’une même ville, il n’est pas rare de voir enfin des maisons dissocier leurs bureaux et leurs magasins comme les maisons « Cairel et Daudé » à Montpellier ou de diviser les maisons entre membres de la famille comme les Leroy d’Audéric à Narbonne ou les Anthérieu à Frontignan. La logique ici est de couvrir le maximum de surface commerciale afin de faire connaître la maison et de monopoliser une partie du marché32.

Si l’évolution générale peut ainsi sembler constante, les évolutions internes font état des difficultés ou des stratégies pour surmonter ces difficultés qui modifient le visage de la région pendant ces quatre décennies. Ce visage régional est également profondément modelé par l’activité commerciale elle-même.

30 ADH 6 U 2/746 : Faillite Augé, correspondance 1929. Le négociant vante dans une de ses lettres les qualités des vins de Saint-Chinian, « appréciés dans toute la France ».

31 Selon un schéma réticulaire qui semble être lié à l’appartenance religieuse, ici, protestante. À ce sujet, voir Rames A.-M., Milieux dirigeants et intérêts locaux à Montpellier, 1870-1914, Thèse de doctorat, Montpellier, 1983.

32 Dans le même ordre d’idée, les maisons peuvent parfois multiplier les « contre-marques » comme la maison « Clarac Frères & Chauvain » de Sète qui commercialise des vins sous son propre nom et sous les nom « Ets COC » ou « Ets Fer ».

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2 - Vendre et transporter les vins du Midi : manifestations de l’activité du négoce languedocien

Si le négoce et son réseau sont bien implantés dans les villes et les villages languedociens au cours de ce XXe siècle par le biais des maisons de commerce ou de courtage, sa présence est également marquée à travers son activité. Cette dernière se manifeste de trois manières : par les marchés aux vins hebdomadaires, par de nouveaux outils de commercialisation bien visibles et par l’expédition des vins languedociens.

2.1 - Un point de convergence : le marché

Incontestablement, le marché est le lieu de convergence de l’activité viti-vinicole languedocienne. Dans la région, les grands marchés se tiennent tous les jours de la semaine, selon un roulement bien défini et quasi-immuable. Le lundi se tient le marché des vins à Nîmes, le mardi à Montpellier (annex. 8), le mercredi à Sète, le jeudi à Narbonne, le vendredi à Béziers, le samedi à Pézenas33. À cela s’ajoutent des marchés secondaires comme les marchés de Lunel, de Saint-Chinian, de Clermont ou de Carcassonne. Ce sont des lieux primordiaux dans l’économie viti-vinicole régionale car ils permettent l’écoulement de la plus grosse production de vins de la nation. Interface de sortie symbolique34, ils permettent la rencontre entre l’offre et la demande et leur rôle dans l’armature commerciale est fondamental.

En effet, les marchés permettent la rencontre des propriétaires, des courtiers, des négociants locaux, régionaux et extrarégionaux. Lieux de contacts et d’échanges, les marchés sont la manifestation physique de la transaction sans pour autant que les marchandises n’y soient toujours présentes, d’où la dimension symbolique du lieu. Les acteurs de la filière s’y rendent tout autant pour faire des affaires que pour surveiller les tendances, connaître les cours pour la semaine à venir, être à l’écoute des rumeurs dans un milieu où l’informel et son contrôle sont capitaux. Il faut s’y méfier d’une atmosphère souvent trompeuse, où l’on y voit « l’optimisme le plus exagéré céder brusquement le pas à un pessimisme que rien ne justifie »35. Généralement, dans les grandes villes, le marché a lieu sur une place centrale ou sur des boulevards, où voisinent les terrasses de café. Les négociants, les propriétaires et les courtiers se retrouvent pour s’entendre sur un contrat ou pour goûter les vins apportés dans des fioles, les

33 Annuaire général du Commerce en gros des Vins, cidres, vinaigres, spiritueux et liqueurs, Paris, [s.n.], 1936. 34 Car aucune marchandise n’y est réellement échangée

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« échantillons », qui serviront à l’agréage qui marque l’accord d’une transaction. À Montpellier, le marché aux vins est Place de la Comédie, la plus grande place de la ville alors qu’à Béziers, il se déroule sur les Allées Paul-Riquet qui sont le cœur de la ville. Dans les plus petites villes, il a lieu sur la place du marché qui est parfois réduite comme à Saint-Chinian ou à Olonzac.

Le marché est un endroit très animé, une « tumultueuse assemblée »36, dont il est difficile de connaître les tendances qui s’en dégagent, notamment pour les non-initiés qui bien souvent y sont impressionnés par le « tohu-bohu »37 ambiant. Si les propriétaires annoncent que les récoltes ont été mauvaises, si un gros négociant de l’extérieur ou un de ses représentants est en visite, alors la rumeur enfle parmi les quelques milliers de personnes présentes et le rythme s’accélère et, « dans une fièvre qui s’empare de toute cette foule (…), les caves de 5, 10, 15, 20.000 hectos passent de main en main comme des noix de muscade»38. Cette frénésie et ces mouvements sont d’autant plus possibles que sans marchandise, les acteurs du marché peuvent se rendre librement d’un endroit à l’autre du marché, d’une table à une autre du café, à la recherche de confidences ou de renseignements.

Béziers est le marché le plus important de la région et peu de négociants et de propriétaires manquent celui du vendredi. On y compte près de quatre mille personnes au moment de son plein39, au milieu du mois d’octobre et les négociants sont regroupés autour du Café du Commerce et de la Chambre de commerce où sont calculées les cotes en fin de matinée depuis 190640. C’est un marché d’autant plus important que, par sa visibilité et la puissance commerciale qui y est exposée, il sert de référence aux décisions juridiques dans le cadre de contentieux sur les cours. C’est également sur les marchés que sont établis les « usages de la place » qui servent de base à l’établissement des contrats dans la région. C’est donc un lieu de rencontre, de visibilité mais également de rationalisation de la filière.

2.2 - Des outils de commercialisation ouverts vers l’extérieur

La visibilité des activités du négoce est également assurée par des outils de commercialisation modernes et surtout tournés vers l’extérieur. Ces outils touchent à la fois les méthodes de vinification mais également les méthodes de commercialisation elles-mêmes.

L’élément le plus marquant de l’activité des maisons de commerce est la présence des chais. Cela ne concerne bien évidemment uniquement que les négociants forfaitaires qui y

36 Bergé, Ibid., p. 26. 37 Idem.

38 Vivarès L., « Les grands marchés vinicoles du Midi », Bulletin de la Société languedocienne de géographie, Montpellier, 1918, p. 23.

39 Ibid.

40 Pech R., « L’organisation du marché du vin en Languedoc-Roussillon aux XIXe et XXe s. », Études Rurales, av-dec 1980, 78-80, p. 103.

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réalisent des manipulations nombreuses depuis les soins classiques pour conserver les vins (tartriquage, plâtrage, sulfitage) jusqu’aux opérations plus complexes (oxygénation, congélation) mais également les opérations visant à assembler les vins (collage, coupage, caramélisage par exemple)41. Les négociants et leurs instances, tout comme les sources, relatent l’affaiblissement des négociants-forfaitaires sur la période42 mais ceux qui restent en place gagnent en visibilité par l’extension de leurs outils de vinification, notamment leurs chais (annex. 11). Ainsi, au début du siècle, en 1911, la maison Jeanjean à Saint-Felix-de-Lodez achète un terrain de 700 m² sur lequel elle fait bâtir dans un premier temps un cellier pour entreposer les marchandises. Les Jeanjean y font ensuite installer des cuves et des foudres en chêne afin d’y confectionner les vins qu’ils expédient dans le Centre de la France essentiellement43. De petite maison quasi-invisible, spécialisée dans la « barricaille »44, la maison Jeanjean devient une véritable entreprise, bien plus présente sur le marché des vins de l’arrière-pays héraultais et cette visibilité se traduit par cette identification physique que sont les chais. Elle est renforcée dans les années suivantes par une petite flotte de camions-citernes qui portent le nom de l’entreprise, puis par l’installation de bureaux et d’un laboratoire45. Ils visent à afficher, en même temps que la rigueur, le sérieux et la réussite de la maison Jeanjean, sa notabilité à travers des infrastructures – ici symboles de modernité – bien identifiés et visibles. Dans le même ordre d’idées mais à une autre échelle, à Sète, de nouveaux chais sont construits, notamment Quai des Moulins : des bâtiments pouvant stocker 170.000 hl y sont élevés au début des années 1920 pour la maison parisienne « Dubonnet »46. C’est là un phénomène généralisé dans le port héraultais à cette période47.

Un second élément de visibilité est l’effort publicitaire qui est produit par les négociants régionaux (annex. 10). Les négociants cherchent à promouvoir leur maison à travers leur spécialisation ou, pour les plus ambitieux, à travers leurs marques. Ainsi, la maison « Cazalis & Prats » de Sète, dans ses publicités, insiste sur ses diverses activités et la puissance de rayonnement de la maison. Dans une publicité de 193748, la maison souligne sa spécialisation dans les vins d’apéritifs, Vermouths, Quinquinas ou vins de liqueur mais surtout sur sa marque

41 Manuel législatif et règlementaire du vin, 1941. « Traitements et manipulations », Montpellier, la Journée vinicole, p. 168-169.

42 Tirat R., Évolution comparée de la viticulture méridionale de 1907 à 1953, [s.n.], 1953, p. 6.

43 Jeanjean M., Vigne et vin en Languedoc-Roussillon. L’histoire de la famille Jeanjean, 1850-2006, Toulouse, Privat, 2006, p. 62.

44 C'est-à-dire l’expédition en petite quantité. 45 Jeanjean M., op. cit., p. 70.

46 Siguret E., « La manutention mécanique des vins dans les grands chais modernes », La Science et la vie, n° 57, tome XX, juin-juillet, 1921, p. 32-46.

47 La maison « Cazalis & Prats » voit la contenance de ses chais passer de 35.000 hl au début du siècle à 250.000 hl à la fin des années 1930.

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« Vermouth Soleil » que la maison développe, avec succès, depuis le début du siècle. Ce succès – et donc sa notoriété – est renforcé dans la publicité par la mention faite aux participations « aux principales expositions universelles » en tant que membres du Jury et en tant que vainqueur de médailles (dix-neuf ici en 1937). Une autre publicité du début des années 1930 signale le rayonnement de la maison à travers la liste des expositions universelles où la marque « Vermouth Soleil » a été primée49. Cette puissance qui dépasse les limites de la région est rappelée en 1937 par la mention faite à une succursale à Rouen, d’où sont réexpédiés les vins algériens dans laquelle la maison s’est également fait une spécialité50. Déjà au début du siècle, J. Voisin avait investi le champ publicitaire pour sa marque « Mignon », s’appuyant sur des supports variés tels que cartes postales, porte-timbres, buvards, affiches ou calendriers. C’est une pratique qui se généralise à l’ensemble des maisons de commerce de premier ordre dans les années 1920.

Cette question de la marque, qui concerne donc à la fois le produit vendu et la maison elle-même, n’est pas une problématique réservée uniquement aux vins fins ni aux grandes maisons puisqu’on la retrouve également dans les vins de consommation courante comme la marque « Pelure d’Oignon » déposée en 1924 par la maison « P. Bertouy » de Marseillan51. Elle démontre en tout cas une dimension entrepreneuriale fondamentale dans le cas des maisons de négoce languedociennes : la nécessaire bonne gestion de la société à travers une visibilité et une notoriété marquées.

2.3 - Le charroi, le rail et l’eau : traces et trajets des vins méridionaux

Une des manifestations de l’activité commerciale du négoce viticole dans la région est la cannibalisation spatiale en marche dans les infrastructures de transport et les moyens de communication de la région jusqu’aux années 1930.

La production régionale est, nous l’avons dit, largement dominée par les vins de consommation courante et les millions d’hectolitres produits sur la période ne sont consommés que marginalement dans la région. Il est donc nécessaire d’exporter cette production vers

49 ADH 8 M 638, Correspondance Chambre de commerce de Montpellier. Il y est fait état de la participation aux expositions suivantes : Paris 1900, Saint-Louis 1904, Liège 1905, Milan 1906, Bordeaux 1907, Londres 1908, Bruxelles 1910, Turin 1911, Gand 1913, San Francisco 1914, Strasbourg 1918, Monaco 1920, Rio de Janeiro 1922, Copenhague 1924, Londres 1925, Rotterdam 1928, Barcelone 1929, Liège 1930, Paris 1931.

50 Au détriment de la région notons-le car Rouen est le grand port concurrent de Sète dans l’acheminement des vins algériens vers Paris.

51 ADH 2 W 1164, Préfecture : 4e division économique et sociale, prix, Vins - Comptes rendus de réunions des commissions viticoles, arrêtés préfectoraux, correspondance, 1940-1941.

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« l’extérieur », c'est-à-dire essentiellement vers trois types de régions dont les deux premières sont largement dominantes52 (annex. 9):

- Les régions traditionnelles d’achat du Languedoc : Massif Central, Limousin, Centre qui consomment le vin languedocien directement ou s’en servent pour remonter le degré alcoolique et la couleur des vins produits dans leur région ; - Les bassins de consommation où les débits de boissons pullulent à l’unisson du

gonflement de la population ouvrière : Régions parisienne et lyonnaise, Nord et Est de la France ;

- Un troisième type de région, bien plus limité, recouvre des régions déjà fortement productrices (Bourgogne, Bordelais) ou lointaines (Bretagne).

Les vins languedociens parcourent donc un nombre de kilomètres conséquent depuis la production jusqu’à la consommation en passant par un, deux, trois, quatre voire cinq intermédiaires (commissionnaires, forfaitaires, transitaires, demi-grossistes, débitants), régionaux ou non. Ils enregistrent donc un nombre de mouvements importants, qui sont bien connus car parfaitement encadrés par la législation et la fiscalité, notamment à travers les « titres de mouvement » : acquits à caution, congés, laissez-passer qui sont régulièrement visés par la Régie53.

Depuis la production, les vins se rendent soit vers la gare pour être directement expédiés, soit vers les chais des négociants pour y être stockés. Jusqu’aux années 1920, les vins sont transportés dans des contenants qui portent le nom de « demi-muids » et qui contiennent environ 300 à 350 litres de vin54. Les demi-muids sont retirés à la propriété, hissés à l’aide d’un « poulain »55 sur des charrettes tirées par un, deux voire trois chevaux. Ces charrois, parcourent par milliers les routes languedociennes où leurs titres de mouvement sont visés par les employés de la Régie soit en cours de route, soit aux postes d’octroi dans les villes qui en disposent56. Ils sont l’un des symboles visibles du Commerce mais dans les années 1920, ils sont petit-à-petit remplacés par des camions. Dans un premier temps, ils disposent de plates-formes pour entreposer les fûts puis de citernes qui sont remplies à l’aide de compresseurs.

52 Voir ADH, Archives des tribunaux de commerce : faillites des négociants Augé (6U2), Dourlan (6U5) ou Raissiguier (3U4).

53 Nom donné à l’administration des Contribution Indirectes qui gère la gestion des stocks des négociants et donc enregistre tous les mouvements.

54 La véritable unité de mesure est le muid jusqu’aux années 1930 puis l’hectolitre. Un muid correspond environ à 700 litres mais il varie selon les régions et les périodes.

55 Madriers servant à charger et à décharger les barriques à l’aide d’un cheval. 56 Il y a par exemple vingt bureaux d’octroi à Montpellier en 1920.

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Ces charrettes ou ces camions, en provenance des propriétés ou des chais des négociants, se rendent ensuite à la gare. Là, s’accumulent, souvent au grand regret des négociants qui le font amèrement remarquer aux chefs de gare57, les fûts sur les quais ou à proximité, dans des conditions souvent fâcheuses pour la qualité des vins58. Avec la modernisation des infrastructures et le développement des citernes, les plus grandes maisons se font aménager des embranchements spéciaux par les compagnies de chemins de fer qui permettent dès lors d’expédier directement depuis les chais. Dans les gares, les fûts, les wagons-plates-formes, les wagons-foudres ou les wagons-réservoirs portent le nom ou les initiales des maisons de commerce ou des entreprises de location de futaille ou de matériel. C’est là encore la preuve d’une appropriation de l’espace par le Commerce languedocien à travers la présence physique de la marchandise, les camions, les charrois ou les wagons les transportant, mais également à travers le nom des maisons. C’est indéniablement une présence multidimensionnelle témoignant de l’activité florissante du Commerce languedocien.

Enfin, les berges et les docks des canaux, cours d’eau ou des ports sont eux aussi monopolisés par l’activité commerciale viticole. C’est particulièrement éloquent à Sète où les quais sont remplis des milliers de fûts qui viennent d’être déchargés par des centaines de dockers ou qui attendent d’être réexpédiés par l’Étang de Thau ou le Canal du Midi par les bateliers59 (annex. 7). Sur les quais sétois, s’alignent de concert les chais des maisons les plus prestigieuses, « Noilly-Prat », « Cazalis & Prats », « Euzet SARL », « J. Herber et Cie », « J. Alby », face au port et aux voiliers puis aux vapeurs à partir des années 193060 qui déversent un flot continu de vin venu d’Algérie ou de l’étranger. Il en va de même à Pézenas, le long de l’Hérault où la maison « Riquet » installe ses chais à proximité dans les années 1920, à Carcassonne avec les maisons « Auzias » et « Estaplet » sur les quais du Canal du Midi ou la célèbre maison « J. Génie » dans la rue Antoine Marty, entre le Canal et l’Aude.

Ainsi, dans une logique de commercialisation rendue nécessaire par la nature même du vin qui est un « produit essentiellement marchand »61, les négociants visent à matérialiser leur activité par une présence accrue dans l’espace languedocien, notamment à travers des stratégies d’appropriation de l’espace économique local et des infrastructures de transport.

57 ADH, PAR 2043, Bulletin mensuel du Syndicat de Commerce des vins du Midi, oct.-nov. 1908.

58 Ainsi la gare de Rondelet d’où sont expédiés les vins montpelliérains n’est que partiellement couverte, entraînant surchauffe des fûts lors des journées de grande chaleur ou gonflement de ces derniers lors des fortes pluies. 59 Sanchez J.-C., La vie sur le canal du Midi de Riquet à nos jours, Pau, CAIRN, 2009.

60 Le premier vapeur-citerne, Le Bacchus, appareille à Sète en 1935 - Cf. Préau M., « Souvenirs du négociant M. Préau », Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, 2006-2007, p. 69-76.

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Conclusion

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il est évident qu’au cours des quatre décennies précédentes, le négoce régional a réussi à s’affirmer comme un acteur majeur de la filière viti-vinicole et donc de la société languedocienne.

Confronté à une concurrence multiple (négociants extrarégionaux, coopératives de production et de consommation, sociétés à succursales multiples) qui perturbe son désir de domination sur le marché des vins, il s’inscrit dans des logiques d’occupation spatiales qui vont se révéler particulièrement efficaces. Depuis la polarisation de l’espace languedocien par un réseau commercial dense et structuré autour des petites maisons de commerce rurales, des courtiers ruraux et des entreprises urbaines, jusqu’à la propagande corporatiste, il s’affirme à travers une visibilité et une crédibilité qui renforcent son poids dans la société régionale mais également face aux pouvoirs publics. À la conquête d’un territoire, il revendique et consolide son positionnement dans la sociabilité méridionale par des réseaux particulièrement actifs et par des modes de gouvernance entrepreneuriale modernes et performants.

Ainsi, dans un contexte économique secoué par les crises multiples et cycliques, les négociants ont su affermir leur position face à des producteurs dont ils sont les principaux partenaires. Alliés objectifs, ils cherchent ainsi à partir des années 1920 à s’affirmer sur le marché comme leurs égaux dans une triple démarche de rationalisation du marché, de structuration de la filière et de légitimation de la profession62.

C’est un pari en partie réussi en 1939, qui trouve sa concrétisation dans l’omniprésence du Commerce dans la région et dans son importance dans l’espace et le paysage languedociens. Et, en dépit de la désorganisation économique dont est responsable le conflit à partir de 1940, le négoce régional tire son épingle du jeu en étant l’interlocuteur privilégié du nouveau régime et de l’Occupant.

62 C’est d’autant plus important que les producteurs ont acquis, par le biais de la Confédération Générale des Vignerons fondée en 1907, une écoute attentive de la part des pouvoirs publics. À ce sujet, voir Gavignaud-Fontaine G., Terroirs et marchés des vins dans un siècle de crises. 1907-2007 en Languedoc-Roussillon, Montpellier, PUM, 2012, p. 103-123.

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Annexes

Annexe 1 : Principales localités héraultaises citées dans cette étude (Source : auteur)

Annexe 2 : La présence rurale (Source : Annuaire de l’Hérault, 1925) Arrondissement de Béziers - 1925 Courtiers Négociants forfaitaires Négociants Commissionnaires Production (hl) Villages de moins de 2000 hab. (total : 76) 146 43 34 Florensac 8 4 230.000 Cazouls 5 4 240.000 Montagnac 6 4 180.000 Sérignan 6 4 130.000

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Annexe 3 : Une maison de commerce rurale – Corneilhan, début du XXe siècle (Source :

Lavau P. et Triaire M., Mémoires d’hier : Béziers et ses environs, Ed. du Mont, Cazouls, 2010, p. 26)

Annexe 4 : La polarisation rurale (Source : auteur)

Zone d’approvisionnement de la maison rurale C. Granier (Magalas) au début du siècle

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Annexe 5 : Le négoce urbain (Source : Annuaire de l’Hérault, 1925)

Hérault en 1925

Courtiers Forfaitaires Commissionnaires

Frontignan 14 79 1 Lunel 14 9 14 Pézenas 16 11 5 Béziers 162 105 148 Sète 70 91 Montpellier 72 123 74

L’évolution du négoce urbain dans les grands centres expéditeurs (Source : Annuaire de

l’Hérault, 1900-1939)

Évolution du rapport forfaitaires-commissionnaires (1900-1939) Forfaitaires Commissionnaires

Béziers - 1900 131 10

Béziers - 1939 52 58

Montpellier - 1900 157 23 Montpellier - 1939 70 23

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Annexe 6 : La localisation des maisons de commerce à Sète au début du siècle (Source : auteur)

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20

Annexe 8 : Le marché aux vins à Montpellier, début du siècle (Source : ADH, 2 Fi CP4258/44)

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21

Annexe 10 : La publicité

Publicité « B. Euzet », Sète, 1914 (Source : Annuaire

Hérault)

Porte-timbres, « Vins Mignon », Marseillan, années 1900 (Source : Collection privée) Affiche Bècle-Combette, Frontignan,

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22

Annexe 11 : Les chais

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