Frédéric MARTHALER Ecole d'ingénieurs, Bienne (Suisse)
MOTS·CLEFS : ENERGIE SOLAIRE RECHAUD SOLAIRE FOUR SOLAIRE AFRIQUE -CUISSON - EFFET DE SERRE
RESUME: Plusieurs modèles de RECHAUD SOLAIRE ou FOUR A EFFET DE SERRE ont été expérimentés en Suisse et en Espagne par l'auteur. Malgré un froid piquant, mais grâce au soleil de Chamonix, une démonstration avec dégustation de riz et de légumes a pu être faite en présence des participants, en collaboration avec E. Probst, l'un des artisans de cette réalisation.Lelecteur trouvera des explications techniques surle fonctionnement et la construction de l'appareil. Il est aussi question de l'impact éducationnel de cette recherche à caractère aussi utilitaire que didactique.
SUMMARY : Several models of SOLAR STOVES or GREENHOUSE EFFECT STOVES have been tested in Switzerland and Spain by the author. In spite of very cold weather, a cooking demonstration, after which rice and vegetables were tested, was possible in collaboration with
MrProbst, one of the creators of this project and thanks to the sun of Chamonix. The reader will find technical explications as to the construction and working of the device as weil as remarks about the educational impact of this pragmaticanddidactic field of research.
1.Utilisation directe de l'énergie solaire
1.1 Nécessité du solaire...
Il est judicieux de sensibiliser tout un chacun à la réalité de l'énergie solaire. Energie qui sera, dans un avenir plus ou moins lointain, non plus l'énergie alternative, mais bien la principale que les hommes aurontà utiliser.
Les habitants de la Mauritanie consomment dix fois plus de bois que n'en produit la forêt. Inquiet des risques de désertification qui en résultent, le gouvernement de ce pays a mandaté un bureau d'ingénieurs-conseils romands pour effectuer une expertise sur la mise en valeur des énergies renouvelables. Réponse des experts: faites du solaire! (1)
La situation énergétique est donc extrêmement précaire et, pourtant, le pays dispose d'importantes ressources en énergies renouvelables, principalement solaire et éoliennes. On recense plus de 3000 heures d'ensoleillement par an et l'énergie reçue quotidiennement dépasse en moyenne 6 kWh par mètre carré! Beaucoup d'institutions s'intéressent à ces problèmes. Par exemple,l'oeuvre entreprise au Burkina Faso par le Centre Ecologique Albert Schweitzer (CH 2000 Neuchâtel), notamment dans le domaine des Energies Nouvelles et Renouvelables, est d'Un intérêt capital pour un pays menacé par la sécheresse depuis une dizaine d'années et dont la principale source d'énergie domestique est le bois de chauffe".(2)
1.2 mais pas trop d'illusions
Que peut apporter, en valeurs mesurables, cette énergie solaire dont on parle tant? Au sol, dans de bonnes conditions, son intensité peut être estimée, dans nos régions,à1130W/m2. En comptant environ 10% de pertes par réflexion et par convection de l'air ambiant, on pourrait compter sur 900 watts pour chaque mètre carré. A travers une section vitrée d'un four solaire de 1/6 mètre carré, il passe donc environ 150 watts. Mais d'autres pertes (ré-émission en infra-rouge, défauts d'isolation, etc.) ne permettent guère d'escompter plus de la moitié de cette valeur pour les faibles températures, le tiers pour les températures moyennes et le quart seulement si l'on souhaite obtenir des températures élevées. Cela signifie qu'il faut beaucoup de patience pour cuisiner solaire et que le système fonctionne, au point de vue des méthodes de cuisson, de façon assez proche de l'autocuiseur de nos grand-mères,(')
Pour l'instant, les vrais obstacles àla diffusion du réchaud solaire ne sont pas d'ordre technologique. C'est avant tout un problème socio·culturel. Dans les pays du Tiers-monde, la confection d'un repas doit passer traditionnellement par le feu, et l'un des problèmes quotidiens semblent consisteràse procurer du bois, même dans les grandes villes d'Afrique, fût-ce au marché noir. Ainsi, malgré toutes les interdictions, la forêt africaine est en constante régression (les satellites
(*) Il faudrait aussi mesurer exactement la conservation des vitamines après une longue cuissonà des températures relativement basses, et contrôler le maintien de toutes les qualités alimentaires en comparaison avec la cuisine traditionnelle. Nous avons en projet des recherches dans ce sens, qui vont commencer l'année prochaine.
(fig. 1) Four solaire (modèle" Afrique") d'observation le montrent) et même, ce qui est pire, elle recule devant le désert plus vite que toutes les prévisions qui avaient été faites ilya quelques années.(2)
2. Construction, description et schémas d'un réchaud solaire
2.1 Tout le monde peut le construire
Il fallait que cet appareil fût facileàconstruire, bon marché, efficace et robuste en même temps. Si l'application d'un phénomène physique bien connu, l'effet de serre, allait de soi pour envisager une telle construction, un certain nombre de problèmes comme l'isolation thermique ou la fragilité du verre, ainsi que la nécessité de faire réaliser ces fours par des personnes non qualifiées, étaient incontournables. De bonne solutions ont été proposées par MM. Oehler et Probst, de Bâle. Un réchaud solaire est constitué d'une boîte en bois léger, tapissée à l'intérieur d'une isolation de laine de verre contre laquelle s'appuie une autre boîte plus petite, composée de feuilles d'aluminium peintes en noir (matrices offset de récupération).Lehaut de la caisse n'est rien d'autre qu'un double-vitrage de verre surmonté d'un couvercle réflecteur.
Lemodèle" Afrique" (voir fig. 1)est une caisse parallélipipédique ressemblant à une grosse valise, facile à transporter. Un clapet attaché au fond arrière par des charnières permet, le cas échéant, une légère inclinaison correspondant aux latitudes voisines de l'équateur.
Pour compenser l'inclinaison du fond, le constructeur a prévu une pièce en forme de "trois-coins" qui rétablit l'horizontalité.
Le modèle "Europe" (voir fig. 2), construit nous-même, est de forme biseautée telle que la vitre transparente forme avec l'horizontale un angle voisin de 45°, ce qui correspond mieux à nos latitudes.
Pour les participants aux Journées de Chamonix, une démonstration effective a été menée devant le réfectoire, par M. et Mme Probst qui, après expérience sur le terrain, en Afrique et en Amérique latine, ont joué un rôle essentiel dans la (fig.2) Four solaire (modèle" Europe") mise au point du réchaud.
Des institutions d'aide humanitaire comme "Helvetas" ont également apporté leur soutien, par exemple dans l'édition de recettes de cuisine solaire(3),de plans de montage du réchaud (Voir schéma, fig. 3).
fO 3. Fonctionnement
Le fonctionnement de ce four est très simple. On utilise directement la chaleur solaire grâce à l'effet de serre. Les rayons du soleil entrent dans le four à travers la fenêtre de verre et sont en quelque sorte piégés. Absorbés par la couleur noire des parois d'aluminium et par la marmite (noire aussi), ils ne peuvent plus ressortir. En effet les radiations infra-rouges émises par les corps chauds (parois et marmite) ne sont pas visibles, car elles ont des longueurs d'onde plus grandes que celles de la lumière et ne peuvent plus traverser le verre. Ainsi la chaleur reste emprisonnée àl'intérieur de la boîte, la température de l'air s'élève et peut atteindre 150aC.
4. Expériences et mesures
Nous avons testé deux foursàeffet (fig. 3) Four solaire (schéma éclaté)
~
de serre en plusieurs endroits de Suisse,de France et d'Espagne. Dans chacun des fours, et en variant les conditions, nous avons tenté différentes applications de cuisson alimentaire (pommes de terre, légumes, viandes, pain, stérilisation de l'eau), ainsi que de simple réchauffements d'eau afin de mesurer l'énergie utilisable.
Ainsià l'Ampolla (Province de Tarragone), où les journées de soleil sont nombreuses, nous avons pu faire des estimations(4)de la puissance globale des fours. (Voir tableaux ci-dessous)
5. Calculs de puissance et de rendement (P, 11). Déceptions.
Accessoires: Marmite noire ou jerrican contenant 5 ou 10 litres d'eau.
Thermomètres anéroïdes livrés avec les appareils, échelle 50 à 300 oC, posés à l'intérieur des fours. Montre ordinaire pour mesurer le tempst.
1er janvier 1991 Modèle" Afrique" 1) 2) Puissance maximale P Puissance moyenne "15 h" Pm 2 janvier 1991 Puissance moyenne: P=
II h 30 10 litres d'eau à 15 degrés
13 h 30 id. 30 degrés
16 h 30 id. 45 degrés
1 ) 88 watts
2)
60 wattsIl h 30 5 litres d'eau à II degrés 15 h 30 5 litres d'eauà 51 degrés
5 . 4190 . 40
58 - 60 watts 4.3600
Remarque: Nous avons constaté qu'à cette saison le rendement11des fours solaires testés variait entre20 % et 50 % approximativement, sur la base d'une puissance d'entrée de 150 watts environ. Une amélioration ne justifierait pas les frais additionnels considérables occasionnés!
3 janvier 91 Modèle "Europe" 12 h 45
13h45 14h 45 15 h 45
9 petits pains de 110 g (env. 1 kg pâte) températures du four: 100 oC
100°C 100°C
Je retire les pains, qui sont bien cuits! On peut donc admettre une durée de cuisson comprise entre 2 et 3 heures. Si les résultats pratiques montrent la possibilité de faire de la bonne cuisine solaire avec un peu de patience, les résultats numériques accusent un rendement assez mauvais de ces appareils. Soulignons que le rendement va en diminuant (fonction exponentielle) au fur et à mesure que la température de l'eau ou des mets s'élève!
6. Expériences sur le terrain dans d'autres pays
Ceci nous amène tout naturellement à envisager quelques expériences tentées en Afrique. Dans le "Rapport annuel 1990"(2)du Centre Ecologique Albert Schweitzer, on lit:"Les transferts
technologiques effectués depuis 30 ans sous forme d'usines "clefs en mains" ou de grands domaines agro-industriels par exemple, par les puissances industrielles dans le Tiers-Monde, SOllt l'une des causes principales des 1400 milliards de$ de dette du Tiers-Monde (en 1989). Le service de cette
dette non seulement appauvrit le Tiers-Monde mais conduitàune exploitation forcenée des ressources naturelles agricoles et minérales. Cette exploitation entraîne la rupture des équilibres écologiques fragiles des régions tropicales forestières humides (Amazonie) ou sèches et en particulier des pays
C'est dans l'un des pays du Sahel, le Burkina Faso, que le CEAS a installé, avec des partenaires du pays, une base africaine de son action. Dans son Rapport de fin de Contrat, une collaboratrice du CEAS, Mme HoUis CHATELAIN, s'exprime ainsi: "Le but de mon travail au Burkina Faso était d'essayer d'adapter les plats de la cuisine Burkinabé, traditionnellement préparés sur le feu de bois,à
un cuiseur solaire, comme une femme Burkinabé le ferait si elle n'avait que ce moyenàdisposition.
(. ..) Nos essais se limitèrent cependant au riz, aux pâtes, aux sauces et au chauffage de l'eau." (5)
Vaincre l'habitude de cuisiner au bois et changer l'horaire de la journée de la cuisinière sont des obstacles majeurs. Mais il y a aussi la méfiance:"Elles s'approchent du four et mettent les mains dedans. Quelques unes se mettentàgenoux pour chercher le feu sous la boîte. Après les explications, elles acquiescent, goûtent la nourriture, admettent que c'est bon, mais on sent bien qu'au fond d'elles-mêmes, el/es se disent qu'on ne peut pas cuire sans feu! (.. .) La plupart des femmes cuisinent une fois par jour,àmidi, assez de nourriture pour deux repas, ceci afin d'économiser le bois. (. .. ) Les femmes préparent le repas entre 10 h et 10 h 30, après avoir été au marché et passé environ deux heures à acheter leurs provisions journalières, mais aussi à bavarder et échanger les nouvelles du quartier. Le repas de midi doit être prêt enn'e 12 h 30 et 13 h, lorsque le mari et les enfants rentrentà
la maison. En cuisinant solaire, la femme doit être de retour du marchéà8 h 30, afin de mettre la
nourriture dans son cuiseur assez tôt. Cela signifie un changement important dans sa vie sociale."
7. CONCLUSIONS
Nous sommes pourtant convaincus qu'il faut promouvoir à tout prix l'usage de tels appareils dans les pays où la forêt est menacée et où, en même temps, le soleil est abondant. Nous espérons l'intérêt du plus grand nombre possible d'enseignants, dans le Nord comme dans le Sud. Ce sera la meilleure garantie pour la diffusion de ces méthodes nouvelles. Il faudra veiller aussià une meilleure connaissance des possibilités d'utilisation de ces appareils, comme aussi des obstacles évoqués, dont les principaux relèvent des habitudes de la vie sociale et des présupposés d'ordre socio-culturels! Mais ne sommes-nous pas, nous autres Occidentaux, tout aussi attachésà nos habitudes, et serions-nous capables de renoncer à nos voitures pour sauver nos propres forêts?
8. BIBLIOGRAPHIE
(1)(CPS), 1982, -Contre la désertification. Journal du Jura, 16 septembre 1982 (2)de PURY (Pascal), 1990. -Rapport annuel 1990. C.EAS., Neuchâtel.
(3)ITIN-SULZER (Johanna), 1988. -Wir kochen mit Sonnen-Energie. Helvetas, Bâle.
(4)KUHNKE (Klaus) et autres, 1990. -Solar Cookers in the Third World, Ed. Vieweg, Braunschweig (0)
(5)CHATELAIN (Hollis), 1990. -Recherche et expérimentation sur la cuisine solaire au Burkina
