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Le moi et l'autre : le sujet dans le discours et le recit de soi

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(2)
(3)

le sujet den. le discours et le rléclt de sol

par Isabelle Rivet

Mémoire de maîtrise soumis àla

Faculté des études supérieures et de larecherche en we de l'obtentiondu diplôme de

Maîtriseès Lettres

Département de langueet6ttérature françaises Université McGiU

Montréal, Québec

Novembre 2000

(4)

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(5)

Résumé p. II

Abstract p. III

Remerciements p. IV

Introduction p. 1

Chapitre 1- Charles Taylor et le sujet .. p. 14

Chapitre Il - L'énonciation p.43

Chapitre III - Le récit p. 62

Chapitre IV - L'Autre et la différence p.

84

Conclusion p. 102

(6)

Résumé

Leprésent mémoire veut fairele lien entre différentes problématiques visant ainsi à mieux comprendre le concept de sujet. Celles-ci peuvent sembler de parenté

éloignée,maisleur juxtaposition révèle une possible interaction riche en ouverture. Ces problématiques s'interpellent et le dialogue qui s'engage entre eUes dresse un portrait intéressant du sujet contemporain.

Lapremière idée retenue, celle qui constitue lepoint de départ de laréflexion,

appartient aux théories de l'énonciation.Elleétabüt que lesujetse construit dans et par le discours. Un lien est ensuite fait avec certaines problématiques avancées par Charles Taylor qui inscrit lui aussi le sujet contemporain danslediscours, matériau essentielà sa construction, mais propose de comprendre quels sont les paramètres qui se mettent en place lors de cette construction du sujet. L'élaboration d'une morale personnelle joue le rôle de fondation dans ce qu'il appelle le moi.

L'exploration de ces problématiques soulève des questions qui sont abordées dans les deux derniers chapitres. La première concerne le mode de construction du

sujet qui s'élabore selon une structure propre à notre épistémè, soit le récit. La deuxième cherche à comprendre le rôle de l'Autre dans la construction du sujet. Le contact avec

r

Autre puis la reconnaissance de la différence fonctionne comme le moteur de cette construction.

(7)

This thesis attempts ta address different problems pertainingtethe concept of subject. These problems might appear remote from one another, but their

juxtaposition reveals possible interactions that yield rich avenues of research. The

ensuing dialogue provides an interesting portrait of the contemporary subject.

Enunciation theories are the point of departure ofthis thesis. They contend

that the subject constructs itselfin and bydiscourse. A linkisthen made with certain

problems put foward by Charles Taylor who aise sets the contemporary subject in

discourse, seen as essential material for its construction. The elaboration of a personal

morality isthe foundation of what he caUs the self.

The exploration oftheseproblemsdrawsour attention toward some questions

which are tackled in the two last chapters. The first question concems the mode of

construction of the subject. In accordance with our modem episteme, the subject

constructsitselfas narrative. Thesecond question aims at understanding the role of the

Other in the construction of the subject. Thecontactwiththe Other and the recognition

(8)

Remerciements

Un grand merciàMme Gillian Lane-Mercier pour son appui, sa confiance et sesprécieux conseils.

Merci à M. Yvan Lamonde qui a su dresser de nécessaires balises lors des

premières réflexions.

Mercià Marie-PierreTurcot. Le dia10gismeétantà la fois leferment etle fruit

(9)

r

auraisaiméchez un autre; sera-ce parce que c'est le mien que je devrai faire le difficile? Sur quel ccmoi·. pire n'aurais-je pu tomber! (D'abordjeviset celaestmagnifique.)

Je vous plains si vous sentez en vous de quoi haïr. Je ne hais que cette triste morale; si j'aime mon moi ne croyez pas que j'en aime moins le vôtre, ou que ce soitàcause du plus ou moins de bonheur.

Mais vous vivez aussi, je pense, et cela est magnifique aussi.

André Gide

(10)

Introduction

Plusieurs fortes pistes de réflexion convergent aujourd'hui pour placer au

centre des travaux de maintschercheurs, penseurs et philosophes, la complexe notion

de sujet. On s'intéresse au sujet dans les domaines les plus variés, néanmoins des

raisons semblables expliquent cet engouement. Elles sont intimement liées au fait de

l'implication directe du sujet dans sa réflexion, puisqu'il en devient l'objet même.

La première piste qui fonde l'intérêt pour le sujet est la transformation au

cours des siècles delaperception que

rêtre humain a de

lui-mêmeetde ses semblables. Depuis cinq ou six cents ans, par exemple, se posent les ferments d'une conception de

l'agent humain comme individu, soit une unité différente des autres mais rattachéeà la communauté que fonnent entre elles toutes ces unités distinctes. Cette sensation

profonde de notre individualité a contribuéàlafonnation du sujet que nous sommes

aujourd'hui.

La

caractéristique décisive de ce sujet contemporain se trouve dans la

position centrale qu'if occupe dans son interaction avec le monde, donc dans son activité de connaissance. Il possèdele sentiment d'êtrelaclé du monde et de lui-même.

Cependant, il faut ajouter à la force subjective un élément qui vient la

(11)

cours de l'ère moderne1 et déclenche justement notre intérêt pour le sujet

contemporain. Cette sensibilité està l'origine des multiples recherches qui tentent de

retracer les conceptions que pouvait avoir de lui-même et du monde l'agent humain

des siècles passés. Elle provoque bien évidemment une curiosité à l'égard du sujet

contemporain lui-même, en ce qu'il n'a pas toujours été ainsi et en ce qutil

transformera encore assurément.

Pwcours du présent travail, nous voudrions mieux comprendre comment le

sujet contemporain se constitue et quels sont les mécanismes qui lui permettent

d'interagir avec le monde qui l'entoure. Cette meilleure compréhension viendra de

l'exploration de problèmesliésà lanotion contemporaine du sujet que nous définirons plus loin.

Nous l'avons mentionné plus haut, l'intérêt que suscite le concept de sujet

provient entre autre de la conscience nouvelle de sa transformation au cours des siècles. Bien que nous ne reprendrons pas ici toute l'histoire du sujet, telle que Taylor

ladéploie dans son ouvrageLes

Sources

du moi, laperspective historique doit tout de même se lire en filigrane du présenttravail. Lesujetestce qu'il est aujourd'huià cause de multiples changements dont ila été l'objet dans le temps. Taylor conçoitle sujet

contemporain comme le représentant de la période moderne (des Lumières à nos

1C. Taylor, Les Sourcesdu moi. La formation de l'identité moderne, Montréal, Boréal, 1998

[1989], 712 p.

Nous nous référons aux repèresproposéspasCharles Taylor pour définirla modernité, soit des Lumières à nos jours.

(12)

3 jours). C'est pourquoi dorénavant nous ferons plutôt référence ausujetmoderne pour

parler du sujet contemporain. Ceque nous en dirons correspondra donc exclusivement

au sujet qui porte en lui la tradition des Lumières et du romantisme, comme nous le

verrons plus loin. Il sedifféren~iedes conceptions du sujet antérieures sans pourtant les nier puisqu'il en est issu.

Les différentes théories que nous explorerons dans ce travail posent toutes

una prioriconcernant la constitution du sujet. Si nous désirons comprendre lastructure du sujetetson fonctionnement lavoiela plus fructueuse consisteàl'envisager comme une construction. Un assemblage d'éléments d'abord hétérogènes, qui se trouvent en

relation dans ce üeu qu'est le sujet. Ces éléments le composent, sans pourtant lui

donner une forme définitive et immuable. Lesujet est constitué par le mouvement de

cesmatériaux,ce qui fait de lui un être changeant et multiple dans le temps et l'espace.

Taylor propose, comme thèse principa(e,2 que lesmatériaux de base de la construction du sujet soient ceux de l'élaboration d'une morale personnelle. Lechoix puis l'appropriation de biens moraux (idées, valeurs, idéologies, etc.) par le sujet

contribuent au premier plan à sa fonnation. Il s'agit pour le sujet de la première et

décisive étape dans son rapport réflexif avec le monde.

Taylor ajoute à l'élaboration de la morale personnelle la quasi nécessité de

saformulation parle sujet. Ainsi, l'artiste occuperait dans nos sociétés occidentalesla place importante qu'il a précisément grâce au pouvoir d'expression qu'il détient: ccL'art

(13)

devient un des media paradigmatiques, sinon le medium par excellence, dans lequel

nous nous exprimons, donc nous définissons,etdonc nous réalisons nous-mêmes.n3

Le

discours du sujet devient alors le lieu de sa constitution. Le discours écrit, que nous

privilégierons comme objet d'étude dans ce travail, est la manifestation de la

subjectivité.

D'autres théoriciens considèrent aussi l'idée de la constitution du sujet dans

son discours. Parexemple,ÉmileBenveniste propose que le sujet ne peut être que par et dans son discours: «Est "ego" qui dit uego".n4Mikhail Bakhtine, dans le même sens,

pense retrouver dans le discours une structure dialogique des énoncés, qui révélerait

la construction du sujet de l'énonciation. Pour Michel Foucault, le sujet est d'abordle

lieu du discours, dans lequel des énoncés entretiennent entre eux un rapport

dynamique (un peu à l'image des théories bakhtiniennes): des énoncés itératifs sont

captés par le sujet (qui n'en estpas lasource), mais ces énoncés, momentanémentla

propriété du sujet, se colorent et se teintent de ce contexte subjectif passager.5

Le

sujet, construit de matériaux hétérogènes, inscrit donc cette constitution multiple dans son discours. Cependant,etcela nous est familier, malgré l'hétérogénéité

des matériauxet le caractère changeant et multiple du sujet, ilsemble tout de même qu'une certaine cohérence se développe dans lediscours constitutif du sujet. Malgré

que certains proposent une ponctualité toujours renouvelée du sujet (Locke), que

3C. Taylor,Les Sources du moi, p.594.

4 É.Benveniste,.De lasubjectivité danslelangage-,Problèmes de linguistique générale,lJ.260.

(14)

5

d'autres théoriciens refusent de lui accorder une unitéetune plénitude (Parfit) et que le courant postmodeme proclame un éclatement du sujet (Derrida), il demeure une

réalité sur laquelle nous désirons nous pencher: ilexiste très certainement une faculté-volonté de cohérence, organisatrice de sens lors de l'énonciation du discours par le

sujet. Laconnaissance du monde et de soi semble passer obligatoirement parle récit (une sorte de gnoséologie romanesque, proposée par Marc Angenot).5

Après toutes ces hypothèses, que nous tenterons de vérifier au cours du

travail, une question importante demeure: qu'est-ce qui provoque le sujet à

l'élaboration d'une morale personneUe dont nous retrouvons les traces dans son

discours (écrit, dans le cadre de ce présent travail)? À l'exemple de plusieurs, nous

avons posé comme aprioril'activité spontanée de connaissance réflexive du monde

et de lui-mêmecommecaractéristique définitoire du sujet. Cette activité réflexive mène

à une piste intéressante à suivre: l'Autre comme moteur de l'élaboration de lamorale.

La problématique de ce travail de recherche s'articule en deux volets. D'abord, lapremière partie se veutladécouverteetl'exploration de théories du sujet et de théories de l'énonciation. Cettepartie offre àlafois un état présent des recherches dans ces domaines, la confrontation des hypothèses, leur mise en commun et une connaissance approfondie de certaines hypothèses récentes (celles de Taylor en

particulier). Àla lumière des postulats mis en place,ladeuxième partie pourrait alors

(15)

tenter de comprendre lesdeux problèmes suivan1s: la faculté de cohérence du sujet qui

organisece que l'on peut appeler·'Ie récit de soi"et le rôle de l'Autre dans le processus

de connaissance réflexive (déclencheur de l'élaboration de la morale personnelle sous

forme de récit).

Voici donc commentse présentent les deux problèmes qui nous intéressent

et comment ils s'articulent l'un dans l'autre.

Une des méthodes detravail de Taylor, que nous verrons en détail plus loin,

consiste à nepasnégliger l'expérience intuitive ou factuelle que l'on peut avoir comme

sujet même lorsqu'elle entre en contradiction, parfois directe, avec des concepts

théoriques, qu'ils soient bien établis par la tradition, ou suscitent l'engouement de la

nouveauté. Justement, à la conception du sujet qui sert d'a priori à ce travail de

recherche, soit un sujet construit, composé d'éléments hétérogènes, multiple et

changeant dans le temps et l'espace, on ne peut stempêcher d'opposer l'expérience

intuitive vécue par plusieurs, faisant partie de l'épistémè dans laquelle on baigne.

En

effet, bien quele courant postmcxiemesoittrèsfortettende à imposer l'idée d'un sujet éclaté,jamaispleinement présent à lui-même, le sentiment ou la volonté de cohérence

semble (encore) dominer. Le sujet semble vouloir être le même dans le temps et

développe unefacultéqui organise une liaison cohérente entre la multiplicité des

moi

(récit de soi).

Évidemment, cette problématique que nous explorerons n'est possible que

(16)

7

d'éprouver le sentiment etlavolonté d'être un sujet cohérent tout en étant sensiblesà un morcellement de soi qui nous semble de plus en plus réel.

Maisqu'est<e qui provoque le récit de soi? Ce ne seraitpasseulement cette

volonté de cohérence, si on accepte la thèse de Angenot, qui voit dans le récit une manière culturelle d'appréhender le mondeetdeleconnaître. Surtout si l'on rapproche cette notion de récit de celle deformulation, nécessaire à la construction de soi que

propose Taylor. La formulation-récit pourrait-elle être la conséquence nécessaire de l'élaboration dela morale personnelle provoquée par l'Autre? Il nous semble du moins difficile de trouver chez le sujet lui-même une spontanéité assez forte pour déclencher cette activité complexe de connaissance de soi.

C'est pourquoi nous proposons de voir, dans le choc de ladécouverte de l'Autre comme différence, cette impulsion nécessaireetsuffisante à l'élaboration de la

moraleetà la fonnulation-récit qui en est la conséquence directe. Dans sa connaissance du monde en mode réflexif, le sujet accuse la brisure de ce mouvement de lui au

monde et du monde à lui lors de la rencontre de l'Autre, et ce à cause de la reconnaissance de l'Autre comme sujet lui-même (alter-ego, selon Husserl). L'Autre, perçu en tant que sujet, provoque l'effarement chezlesujet (observant) qui le conçoit commedifférence. Larencontre de l'Autre aborde uneétapedécisive en ce que lesujet

(17)

8 D'où une définitionœvalièredela méthode,qui

tente de prendre en compte ce rapport de

réciprocité: la méthode réside pour l'essentiel

dans l'ensemble desmoyens quele problème exigeduchercheur pour êtTe résolu.

A.Corboz6

La façon d'aborder ce problème de la construction du sujet a déjà été sommairement annoncée. En rapprochant diverses théories de champs d'études

différents, des questions et des problèmes surgissent. Ainsi, en mettant en relation des théoriesdusujettouchantlaphilosophie morale etlaphilosophie politique, et d'autres théories qui traitent aussi du sujet, mais par le biais du langage, soit les théories de l'énonciation, on trouve des poin1s communs et des divergences qui annoncent des pistes de travail intéressantes. En y ajoutant une expérience littéraire comme celle d'André Gide, dont nous parlerons plus loin, les problèmes s'éclairent et se complexifientà lafois.

Siledialogue semble fructueux en questionnements,ilfournit aussi les outils

nécessaires pour à la fois comprendre les problèmes ainsi posés et Y amener des réponses diversifiées et ouvertes. L'organisation du présent travail reflétera cette démarche. Une première partie meten scèneles différentes théories, fait ressortirles points qui génèrent le plus d'intérêt et établit un dialogue critique entre elles. La deuxièmemoitiédutravailveut exploreretrépondrede plusieurs façons aux problèmes (ceux du récit et du rôle de l'Autre) que cette rencontre aura fait fructifier.

(18)

9

Parailleurs,certainsécue~méthodologiques doivent être évités. Lepremier que nous pouvons identifier concernelevocabulaire etles concepts utilisés au cours du

travail. Lalangue usuelleetplusieurs théoriesfortdifférentes ont ajouté sens par-dessus

sensàdes mots comme sujet, soi, ego, je, moi et individu. Ces mots sont parfois reliés

à des concepts plus larges qui viennent à se chevaucheret ainsi leur interprétation

cause problème. C'est pourquoi la première partie du travail se chargera de spécifier lesens etle contexte d'utilisation du vocabulaire choisi.

Lapertinence des problèmesposésetmêmelajustification d'un tel intérêt de recherche doivent évidemment être considérées dans un certain contexte pour éviter une deuxième source de malentendus. Nous avons mentionné plus haut la perspective historique qui sous-tend ce travail, sans en être la préoccupation principale. Le

questionnementà partir duquel est consbuit ce travail n'est pertinent que dans notre

épistémè, ils'agit d'une question historiquement déterminée.7

Un troisième problème que peut susciter la lecture du travail ne sera mentionné ici que succinctement, puisqu'on y reviendra en s'y attardant au cours de lapremière partie. Certains théoriciens que nous aborderons danslesprochaines pages, dont Taylor et Robert Misrahi, soulignent les déconvenues possibles du chercheur qui s'attache à des modèles scientifiques lorsque l'objet d'étude est l'être humain. Ils

invitentà relativiser ce modèle sacro-saint sur lequellessciences humaines tentent de

se modeler, peut-être en vain.

(19)

MJsrahiinvite àune approche phénoménologique, puisqu'elle unit, dans ce contexte de recherche un peu spécial, lesujet-chercheur et son objet, qui est ici le sujet

lui-même: "[... ] la phénoménologie est précisément la doctrine qui partdu sujet et

revient au sujet. Ele est méthodologiquement constituée par laréflexion du sujet sur

lui-même, sur le sujet en général et sur tel ou tel sujet concret.~8 Sans être phénoménologue, Taylor adopte tout de même une méthode qui, d'un fait, d'un sentiment ou d'une intuition observés, cherche à en comprendre lesmécanismes.

Le travail démontrera, dans sa progression, la pertinence du choix des

théorieset destextesquilesavancentetlessoutiennent, puisqu'ils s'interpellentles uns

les autres. Ce qui semble moins évident, cependant, sera l'absence de théories qui pourraient paraître nécessaires ouà toutlemoinsnées aux problématiques invoquées. C'estlecas delapsychanalyse, parexemple. Biectivement, on associe assez facilement le concept de sujet aux théories psychanalytiquesetlerôle du langage y est primordial.

Mais il n'en sera pas question au cours de ce travail, tout simplement parce qu'une certaine approche du concept de sujet a étéchoisie, qui n'estpascompatible avecla conception du sujet courante en psychanalyse. Le moidont parle Taylor (qui sert de base autravailde recherche) n'estpas l'egofreudien.

Le

moi de Taylor s'oriente dans un espace de questions qui correspondent étroitementà son identité,9tandis que l'ego

8R. Misrahi,Qui estl'autre?,p.82.

(20)

Il freudien tente de se libérer des questions morales qui correspondent plutôt au surmoi, image externe qui ne coïncide pas avec lui.

L'ouvrage de Taylor, Les Sources du moi, sert de base au travail de recherche. Il propose différents concepts et un vocabulaire spécifique qui, repris et expliqués, deviennent utiles dans une perspective d'analyse. Onretient aussi certaines hypothèses, qui ouvrent la voie au questionnement, à la confrontation età laliaison avec les idées proposées par d'autres théoriciens. Sans que Taylor soit présenté en auiorité indémontable, ce qui ne saurait être possible dans une perspective dialectique, ce sont tout de même ses hypothèses qui sontlabase première du travail de recherche,

qui sont discutées, soit, mais posées tout de même apriori.

D'André Gide, iln'a été question que rapidement jusqu'à maintenant. Ce

sera d'ailleurs un peu la place qui lui sera réservée dans le présent travail. La juxtaposition de certains écrits de Gide au reste de l'amalgame a nourri la

problématique, oomme touteslesthéories mises en présence les unes des autres. Nous

en parlons ici particulièrement puisqu'il s'agit du seul corpus littéraire.

Il rejointparplusieurs points les différentes dimensions de laproblématique, en provoquantcertainsquestionnements, en lesillustranteten yapportant ses propres réponses. Par ses écrits autobiographiques (le Journal et les récits), il constitue un exemple de l'hypothèse de Taylor sur l'artiste moderne et de la nécessité d'expression

(21)

théoriques dégagés dans Les Sources du moi, lesétapes ou lessignes de ('élaboration d'une morale personnelle, comme premierpas danslaconstruction du moi.

Les oeuvres de Gide que nous avons choisies pour le travail de recherche peuvent aussi être considérées dans la perspective des théories de l'énonciation, en ce que les récits autobiographiques et le Journal constituent le discours d'un sujet (créateur). Ces théories jettent un oeil pragmatique sur ces textes et nous permettent de lesaborder avec des préconstruits conceptuels solides.

Cesontlesoeuvres de Gide qui nous ont d'abord indiqué que laconstitution d'unemoralepersonnelle avait probablementbesoind'une impulsion externe pour se

déclencher. Que la différence constatée chez l'Autre constituait peut-être l'impulsion nécessaire pour mettre en branle cette activité de déchiffrement de soi par la construction et l'élaboration de la morale personnelle.

Deplus, Gide manifeste à travers ses écrits autobiographiques ce sentiment

de cohérence propre au sujet, de sonunité relativedansletemps etl'espace.

Le

lecteur de Gide comprendcesentiment unificateur,

cette

volonté narrative, et surtoutiln'opère pas de distinction formelle entrece récit de vie gidien et la manière dont ilpourrait narrerlui-même sapropre vie.Le récitcommeexpression dusujet, dans une cohérence organisée par lui, semble untraitculturel dominant de notre façon d'appréhender le monde.

Leprésenttravailde recherche s'organise en quatre chapitres bien distincts. Lepremiertraitedesthéoriesethypothèses présentéesparTaylor dans LesSources du

(22)

13

moi; le second fait le tour des théories de l'énonciation les plus pertinentes à notre

travai~ le troisième aborde et discute la question du récit comme modèle de connaissance de soi et le quatrième tente de circonscrire le rôle de l'Autre etde sa différence avec le sujet, comme impu~ion nécessaire etsuffisante pour déclencher l'élaboration du récit de la morale personnelle. Cependant, lescontenus des chapitres

s'interpellent etilaurait fallu, pour bien faire, pouvoir les traiter tous à la fois. C'est

(23)

Charles Taylor

et le sujet

L'ouvrage de Taylor LesSources du moi sert debase àcetravailde recherche de deux manières, l'une et l'autre tout à fait essentielles. La première concerne la

méthodologie privilégiée dans le cadre de la recherche. En effet, les ressources méthodologiques déployées dans Les Sources du moi se sont avérées simples et convaincantes; elles siéent particulièrement bienà la présente entreprise.Ce chapitre nous donnera l'occasion de mettre en place les paramètres retenus.

Ladeuxième dimension de l'ouvrage de Taylor que nous voudrions explorer porte sur une série de concepts élaborés et présentés par l'auteur. Ces concepts tiendront le premier plan théorique au cours du travail.

Avant même de nous pencher sur les considérations méthodologiques, il faudra définir l'objet principal dutravail, soitlesujet. Cechapitre s'ouvrira donc sur les nécessaires précisions concernantlacompréhension que nous avons de ce conceptet l'angle d'approche choisi pour l'aborder.

Ensuite, il sera question des différents éléments et écueils méthodologiques, qui doivent nécessairement être soulignés. Il s'agira de saisirla manière dont Taylor

(24)

15

aborde l'objet d'étude. De bien comprendre aussi sa position de théoricien, parmi

d'autres avenues possibles. Et de discuter du problème particulier à ce travail, pour

éviter certains malentendus, soit l'inévitable position de sujet qu'occupe le

sujet-chercheur à travers une étude sur le sujet.

Le travail de Taylor demeurerait obscur si nous ne nous arrêtions paspour

examinerladYnamique qui sous-tend Les Sources du moi. Une tension féconde anime

l'identité moderne dont Taylor dresse le complexe portrait. Cettetension constitue le noyau du sujet moderne et sa compréhension détermine une partie des conflits contemporains que nous aborderons au cours du travail.

Ladernièrepartiedu chapitre sera consaaéeà lastructure de l'univers moral du sujet que Taylor propose pour en comprendre laconstruction etle fonctionnement.

Sa thèse sur la construction du sujet qui passe par l'élaboration d'une morale

personnelle, est basée sur une série de concepts, qui s'agencent les uns aux autres.

Leprésenttravailportesur le conceptgénéralde sujet. Avant d'aller plus loin,

ilest naturel de définir ce que c'est. Peut~e devrions-nous plutôt dire: duquel des multiples concepts de sujet possiblesest-ilquestion? Évidemment, lemotsujetsupporte

tant bien que mal un poids considérable de sens, de définitions, d'attributs,

d'acceptions et de valeurs. Les époques et les différentes cultures ont laissé leur

marque, si bien que dans un contexte comme le nôtre, on ne saittrop comment le prendre.

(25)

16 On peut le concevoir d'innombrables façons. Dans sa simple opposition à

l'objet, par exemple. Ou dans sa négation, teUe que Hume etlatradition empiriste le conçoivent, car pour ce philosophe, l'idée du moi n'existe tout simplement pas, «[.·.l

le sujet n'est rien que le produit possible de l'imagination, sur fond d'individualité

impressionnelle [...

ln.

11 Sans compter son utilisation dans toutes les disciplines des

sciences humaines, où chaquefois ilapparaît selon des modalités différentes. Une sorte

de passe-partout, de mot-tiroir, que chacun emplit de la définition appropriée à son discours.

Nous n'échappons pas à la règle, ilnous faut expliquer en quoi consiste le sujet dontilsera question dans ces pages et comment on s'yest pris pour le définir. La méthode est celle qui vaut pour tout le travail, c'est-à-dire celle de "l'amalgame

discutatoire". Plusieurs points de vue et conceptions différentes ont été approchés,

soupesésetdiscutés, pour retenir, par la négativeetla positive, les éléments nécessaires à ladéfinition du sujet, telle qu'elle puisse éclairer le mieux possible laperspective du

présent travaiL

S'il sera ardu de démêler les notions de moi, d'ego et de sujet, comme nous

le tenterons plus loin, ilsemble plus évident de dire ce que le sujet, dans le cadre de ce

travail, n'est pas. Le sujet est bien sûr une unité. C'est-à-dire qu'il se distingue sans aucun doute des autres agents humains, eux-mêmes d'autres unités (définition

(26)

17

nettement marquée entre ce quiestmoi et non-moi12}. On pourrait nommer ces unités

individu. Maisle sujetn'est pas(seulement) un individu.Saréalité le dépasse et va bien

au-delà, tantet si bien que l'on ne retrouve plus trace, dans le sujet proprement dit, de

ce qu'avait pu être l'unité de départ - l'individu. Le sujet, lorsqu'on le distingue et l'approche comme tel, n'est déjà plus un individu.

Le concept de monade de Leibniz est souvent sollicité pour comprendre la

notion d'individu et le phénomène d'individualisme, tel que nous le concevons aujourd'hui.13Il nous sert icià saisirla différence considérable qui existe entre individu

et sujet.

L'individu, tel la monade, forme avec les autres unités une collectivité

fortement soudée et cohérente - fonctionnelle. Il n'est individu - monade - que parce

qu'ilestsaisi comme unité dansla collectivité. Il n'y auraitpas lieu de le nommer et de l'envisager comme tel sans son insertion définitoire dans une collectivité de semblables.

Cette réalité de l'individu ne correspond déjà plus au sujet que nous retenons, car ce

sujet n'est pas d'abord un élément d'une collectivité. Il peut l'être a posterioriet de

manière toutà fait contingente.

La monade de Leibniz comprend une autre caractéristique qui permet de

concevoir l'individu mais s'écarte d'autant de notre compréhension du sujet.

La

monade, si ellefait partie d'une collectivité, n'entre pourtantpas en interaction avecles

12A. Renaut,L'ère de l'indiuidu. p.l48.

• A. Renaut reprendla distinction proposée par Manfred Frank dans L'ultime raison du sujet (1988).

13

(27)

autres unités. Blese suffità elle-même, parfaite autonomie, elle ne peut altérer ni être

altérée, mais à la foiselle participe pleinement à la cohésion collective, grâce à une

sorte de mécanisme intérieur qui la fait agir dans le sens de la conservation de la

communauté (ccL'autonomie est une forme d'indépendance qui ne nuit pas à la

cohésionetà la maintenance delacommunauté.»14). Comme l'individu qui semble agir dans unetotaleautonomie et une libertécomplète, sans pourtant nuire à lacollectivité,

etsans non plus que son interaction hannonieuseetfructueuse aveclesautres individus soit une condition requise pour rendre possible cette cohésion.

Cependant, le concept de sujet retenu pour ce travail entretient des liens complexes etdéterminants avec les autres "unités". En effet, ilne serait pas et ilne deviendraitpasce qu'ilestsans cet échange fructueux et constant avec les autres, qu'il

altère (le sujet définit l'Autre) et qui l'altèrent (l'Autre contribueà ce qu'ilest).

Silesujet n'est pas un individu - mais un individu dont le rapport complexe

avec le monde et sa position particulière dans celui-ci le défont de ses attributs d'individu -le sujetestbeaucoup d'autres choses. Iln'est pas seulement, comme une étape de la modernité, cc[... ] un simple moment dans le développement de

l'individualisme.•15

Lesujet, dans une définitionpositive,sedécrit par une action et une manière d'entreprendre cette action. Ilest d'abord et avant tout impliqué dans une activité de connaissance. Ilest cette activité. L'activité deconnaissance, depuis Augustin,seréalise

14A. Renaut,L'ère de l'individu, p.84. 15

(28)

19 à partir de ['''intérieur'' de l'être humain.15 La topographie du sujet, si on peut

s'exprimer ainsi, comprend maintenant un espace interne,l'intériorité. Laconnaissance

de Dieu, dans les écritsd'Augustin, passe d'abord par cette intériorité; pour le sujet

contemporain, toute action de connaissance commence à soi. Cette activité de

connaissance par laqueUe le sujet est se teinte de deux particularités: la réflexivité

radicale et le désengagement.

La réflexivité radicale est la conséquence attendue de cette activité de

connaissance.Cetteaction verslemonde qui commenceà lalimite du sujet commande

un retour verslesujet même; ils'agitlàd'un mouvement réflexif quipartdu sujet pour aller verslemonde, puis du monde au sujet.Maisce mouvementréflexifdevient radical lorsqu'entre en jeu lanature même du point de départ, que l'on a nommé plus haut

l'intériorité du sujet, qui est enfaitlemoi, lapremière personne, un sujet véritable: -Le tournant vers soi-même est désonnais aussi inévitablement un tournant vers soi-même

dans laperspective de lapremière personne - tournant vers le moi en tant que

moL--(SM, p. 232).

Le désengagement qui caractérise le sujet moderne, quant à lui, semble un

héritage de Descartes qui a évolué au siècle des Lumières, puis jusqu'à nous. Cette

manière d'être delaréflexivité structurelemode de connaissance qu'opère lesujet avec

le monde, puisqu'il s'agit de laprise en charge des représentations du monde etdes

15C. Taylor,Les Sources du moi, p.175.

Les prochaines références à ['ouvrage de Taylor suivront la citation dans le texte avec ]'abréviation SM et (' indication de la page.

(29)

objets par le sujet d'une manière objective (désengagée) (SM, p.230-231).16 Cette emprise sur le monde, dans la réflexivité radicale, entraîne le sujet dans son propre

mouvement Sans devenir lui-même un objet au même titre que toutle reste, ils'inclut

dans le mouvement de réflexivité et dans son activité de connaissance.

Cet objet de connaissance vers lequel le sujet se tourne, lui-même, occupe

une position privilégiée.

n

ne peut être confondu avec les objets du monde. Ilne peut non plus être considéré comme un objet, mais comme un des pôles du rapport complexe de connaissance du moi par le moi, du ·etoumant vers le moi en tant que

Cette dimension du sujet moderne, soit l'activité ininterrompue de

connaissance de soi et de construction de soi, dans un mouvement réflexif radical, constitue le coeur de la problématique dutravail. Le sujet n'est plus considéré comme un simple point de départ delaconnaissance, quivadeluiau monde; ou bien un point d'arrivée qui "reçoit"lemonde. Maisplutôt comme le pôle d'une interactivité multiple

et diversifiée, d'une complexitéeffarante. Le sujetest«[... ]un être capable dese définir lui-même [...]» (SM, p.470), et cette partie de son activité de connaissance en occupe

le centre, tout en étendant des ramifications dans les autrespartiesde son activité.

Ladéfinitionetlaconstitutiondesoi sont des contreparties de la connaissance desoi. Danslecasdusujetmoderne, elles semblent indissociables. Cette connaissance

16Lorsqu'il est question depriseen charge parlesujet des représentatiom du monde d'une manière objective, ilne s'agitpasd'une trop hyp:::»thétique objectivité parfaite, mais du modeleplus répandu etle plŒ habituel d'interaction avecle monde dam une activitédeconnaissance delapartdu sujet moderne.

(30)

21

exige formulation et expression. C'est donc dans le langage, d'abord, que nous

retrouvons la "partie visible" de cette activité (ce que nous verrons dans le deuxième

chapitre). Puis dans l'organisation narrative de ce discours, on peut comprendre

comment fonctionne cette activité de constitution (ce que nous verrons dans le

troisième chapitre).

Nousavons déjàutilisé, enparlantdu sujet, lesmotsmoietsoi. Ilscomportent l'unet l'autre la même idée (simplement, le moi semble avoir un sens plus riche), soit

une conception du sujet modeme qui possède un espace intérieur qui constitue le

centre du sujetet le point de départ de sa véritable identité.

Le

moiestle substantif qui exprime le mieux ce que nous ressentons aujourd'hui lorsqu'il est question de soi:

Nous en arrivonsàpenser que nous -avon:s-lmmoi comme nous avons Wletête.

Mais l'idéemême que oou; avons ousommes-un moi-, que

r

agent humain se définit essentiellement comme 'lie moi-, est un reflet linguistique de notre conception moderne etdelaréflexivité radicale qu'eUe implique. (SM, p.233).

Le moi a la même signification que laformule anglophone plus directe self.17 Nous

l'utiliserons dans le même sens quesujet, mais avec l'avantage qu'il comporte un sens

plus particulier dans le cadre de notre travail, qu'il est encore plus associé au sujet

moderne.

Le tennejesera aussi utilisé,etcedansle même sens que sujet ou moi, à ceci près qu'U s'apparente naturellementà laproblématique du langagepar lequellesujet

17 Cette question du tenne exact choisi pour exprimer ndée du sujet moderne comporte plusieurs solutions. DanslatraductionfrançaisedesSourcesdu moi, Charlotte Melançon choisit le terme moi, que

nous adoptons aussi. Comme exemple d'autres choix. nous citons Brague, qui choisitdegarderle tenne anglaisself(-Leproblème de l'homme modeme-.Charles Tayloret l'interprétationdel'identitBmoderne. p.220).

(31)

se constitue. Nous laissons de côté le tenne ego, parce qu'il ferait suremploi; il n'apparaîtra que lorsque les théoriciens dont nous parlerons l'utilisent précisément.

Comme il existe plusieurs façons de comprendre le concept de sujet, ily a aussi beaucoup de manières de l'aborder. C'est rapproche de Taylor que nous

adoptons dans cetravail. Elle consiste en une sorte de phénoménologie du sujet, sans pourtant n'êtrejamaisainsi précisément nommée. Dans un de ses articles,ilrange tout de même son projet philosophique sous cette bannière parce que, dit-il, il

[...] seposesur

r

observationdesstru:turesdelaviemorale que nous vivons tous [...] Ils'agit de se rappeler ce que nous savons déjà, de par notre situation d'agent. En

puisantdan;notre connaissance d'agent, nous sommesàmêmede constater qu'en deoors decertainesconditioŒ,certainsdenos comportements seraient impossibles.18

L'approche de Taylor est comparableàcelle de Husserl, en ce qui concerne

la conception du sujet. Tous les deux expriment leur insatisfaction face aux réponses

des sciences delanature, du naturalismeetdu rationalisme complètement désengagé.

Ils croient possibleetsouhaitable d'accorder au sujet lui-même d'être le point de départ

dela uvérité",àtoutle moins de lasignification.19Cesouhait de

la primauté luiestla

plupart du temps refusé: «Primat absolu du sujet, primat méconnu et trahi par le réalisme scientifiqueetle rationalisme idéologique et utilitaire.»20

18C. Taylor, ..LeFondamental dans !'Histoire-, Charles Tayloretl'interprétation de fidentité

moderne, p.35.

19R. Misrahi,La problématique du sujet aujourd'hui,p.83.

20

Idem, p.86.

(32)

23

Accorder cette position au sujet, ce n'est pas espérer de lui la Vérité, mais

exiger de lui l'exercice de ses capacités et des outils qui lui sont plus "naturels". disons

immédiats, pour qu'il puisse élaborer un rapport au monde qui lui ressemble. Chez

Husserl, le sujetygagne:

Le monde de la vie est alors retrolNé. mais il est désormais fondé sur l'activité constituante et gnoséologique du sujet quiest la source de son sens et de ses modalités existentielles: ce monde a cessé d'être naïvement saisi comme une chose objective et toute faite, etilapparaît commelecorrélatsignificatifetOlNert d'une activitéde l'esprit.21

Lesujet, selon Taylor, mérite de fournir lui-même sa conception du monde, les paramètres de son action etlajustification qu'iS appellent. Tout au long des Sources

du moi, ilutilise dans ce but ce qu'il appelleleprincipedela meilleure explication (Best

Account). Il consiste en «[l]a meilleure explication que nous puissions atteindre à un

moment donné et aucune considération épistémologique ou métaphysique plus

générale [sur lascience ou la nature] ne saurait justifier qu'on l'écarte." (SM, p.86).

Pourlephilosophe qu'est Taylor, cette méthode permet d'élaborer des hypothèses qui

concordent avec ses préoccupationsetd'arriverà des choix qui sont cohérents avec ce qu'il ressent vraiment comme sujet dans le monde. Pour tout sujet, c'est le moyen de

ressentir aisément une cohérence entre ce qu'ilestetles choix qu'il doit opérer.

(33)

Ronald Beiner, dans un de ses articles, reprend deux modèles de l'activité

théorique proposés par Taylor.zz Le modèle révisionniste consiste à reconsidérer la

réalité pour ensuite proposer un modèle qui pourrait la remplacer. Tandis que le

modèle compréhensif cherche plutôt à avoir l'idée la plus juste de la réalité pour

pouvoir ensuite l'expliquer. Dans le cas de Taylor,ils'agit de saisir les biens existants

et de comprendre pourquoi ces biens sont valorisés.23Cette seule allégeance de Taylor

suffit pour faire entrevoir le sens que prendront ses recherches.

Seiner compare Taylor aux philosophes postmodemes en observant que,

contrairementà eux, cc[ ... ]ilpense plutôt qu'en tant que sujets modernes, il nous est

possible de puiser, à même les structures internes de nos aspirations morales, les

ressources nécessaires pour en arriver à une expérience cohérente de nous-mêmes.),24

Pour Taylor,la "découverte" du sujet fragmenté ne constituepas une cclibération" face à lacompréhension unitaire du sujet. Si le sujet se saisit, par son expérience, dans une certaine cohérence de lui-même, il faut aller dans son sens.

Cetteconception du sujet appelle une critique de Beiner qui considère que la

résolution des conflits que propose Taylor se rapporte quelquefois plutôtàun souhait

(émanant d'une argumentation soutenue), qu'à laréalité décevante.

En

effet, les biens

22R. Beiner, ..Générosité et hennéneutique et critique sociale-tCharles Tayloretl'interprétationde

l'identité moderne, p.136.

Il reprendla notion que Taylor élabore dans son article .The Motivationbehinda Procedwal Ethics-, Beiner et Booth (dir.)tKant and the PoliticolPhilosophy:TheContempororyLegocy, NewHeaven, Yale University

Press. 1993, p.351.:354.

23Idem.

(34)

25

multiples créent des tensions, que Taylor aiderait à canaliser. Par exemple, Beiner

suggère que l'emphasemisesurla facette spirituelle du sujet, tout en faisant peu de cas dela réalité de la culture athée, serait en fait un reproche implicite à lamontée de cette

culture.2S

Il est certain que Taylor, même s'il semble bien clair qu'il n'est pas un théoricien révisionniste, propose tout de même des avenues de solutions possibles. Il considère. semble-t-il, la plupart, sinon toutes les facettes du sujet, qui sont multiples,

débordanteset difficilement conciliables. Ellesse partagent entre l'héritage de plusieurs

courants (les Lumières et le romantisme, pour les principales) et de nouvelles

propositions éclairantes(le posbnodemisme). Taylor insiste beaucoup surlamultiplicité de ces éléments qui font partie du sujet et de latension qu'ils génèrent. Maisilsoutient

aussi que le sujet moderne comporte une fonction inhérente qui le pousse à la

cohérence. "Donner un sensn (SM, p.86), faire des liens, procéder à des choix après

réflexion, sont autant de réflexes qualitatifs propres au sujet moderne.

Cequi importe ici, c'est de souligner laperspective théorique de Taylor. La reconnaissance du sujet comme amalgame complexe, à la fois complet et abritant

pourtant des abimes, dont l'unité est souvent mise en doute par le sujet même, cela

constitue un a prioriau travail de Taylor. C'est ce qui lui pennet, par exemple, de

parfaitement comprendre et intégrer l'enjeu postmodeme, en ce qui a trait au sujet.

Seulement, cette conception du sujet ne saurait remplacer tout d'un coup tout ce qui

2SR. Beiner• ..(Jénérosité et hennéneutique et critique sociale-.Charles Tayloretl'interprétationde

(35)

vient avant elle: cele décentrement ne propose pas une solution de rechange à

rintériorité, ilen est le complément.»(SM, p.580).Sadevise semble être: "le sujet est AUSSIcela".

Cependant, cela n'empêchepas deux choses: observer une tendance générale

dominanteet exprimer des souhaits. Cardans LesSources du moi,ilestaussi question

de tendances plus affinnées que d'autres, qui définissent mieux le sujet moderne, selon

l'étude qu'apuréaliser l'auteur.Uneplaceestaussiréservée,en manière de conclusion souvent,à ce que nous avons appelé "souhait" et qu'il appelle lui-même ccs'accord[er]

laliberté d'affirmer sans preuves.·. (SM, p.627). C'est-à-dire suggérer une manière de

saisirlesujet qui mèneàune compréhension humaniste de ce dernier, et parlà même à une amélioration des conditions sociales.

La dernière considération méthodologique concerne lanature de l'objet de recherche, soitlesujet. Misrahi~qu'ilestnécessaire d'effectuer quelquesmises au point avant d'entreprendre une réflexion méthodologique sur le sujet: ccL'analyse

réflexive d'un être dontlastructureestréflexive irnpllque qu'on réfléchisse auparavant ou enmêmetemps surlavalidité "épistémologique" de cetteréflexion.••27 Effectivement,

l'entreprise peut s'avérer délicate, du simplefait de lanature subjective du chercheur,

26R Misrahi.La problématiquedu sujetaujourd'hui,p.24. 'Z1ldem.

(36)

27

de la perspective phénoménologique souvent choisie (dans le cas de Misrahi, par

exemple) et de la nature même de l'objet de recherche.

Taylor, là-dessus, semble très strict. Lorsque l'objet d'étude estle sujet, et le moià plus forte raison, aucunedescaractéristiques habituellement exigées pour

r

objet d'étude scientifique n'est valable. L'objet d'étude scientifique doit être considéré «"dans

l'absolu", c'est-à-dire non pas dans la signification qu'il revêt pour nous ou pour tout

autre sujet, mais en tant que tel»; il "reste indépendant de toute description ou

interprétation que peut en donner un sujet»; ilpeut être saisi «Cians une description

explicite.• et décrit -sans référence à son environnement» (SM, p.54). Évidemment, aucune de ces caractéristiques ne correspond avec l'objet de ce travail. Sans tomber

dans le solipsisme, ilest possible d'étudierlesujet. Seulement,ilfaut toujours avoirà

l'esprit la nature particulière de l'objet d'étude, justement pour ne pas avancer

d'affirmation biaisée qui résulterait d'une confusion. «Nous sommes des llmoi"

seulement parce que certaines questions nous importent. Ce que je suis en tant que

moi, se définit entièrement par lamanière dont les choses ont une signification pour

moL·. (SM, p.54).

L'étude de l'histoire de l'identité, dontLes Sources du moiestconstitué en largepart,pennetà Taylor d'identifier deux courants de pensée, dont l'apparition assez

simultanée et la grande influence ont contribué à fonner un épistémè moderne

composé de deuxpôles exerçant entre eux une tension considérable. Cescourants,

(37)

morales, comme pouvoirs de l'individu, comme manières de concevoir le monde. Ces façons d'appréhender le monde s'inscrivent en chaque sujet en partsinégales,

{...Il'une se rattache au vif sentiment de nos pouvoirs de raison désengagéeàune interprétation instrumentale delanature; l'autre porte son attention sur nos pouvoirs d'imagination créabice etlesrattacheàun sentiment de lanature en tant que source morale intérieure. Ces formes s·opposent. et la tension qui s'exerce entre elles constitue un des traitsdominants delaculture moderne. (SM. p.407).

Pour bien saisircettetension qui fait partie du sujet moderne, Taylor propose une métaphore spatiale (métaphore sur laquelle nous reviendrons d'ailleurs plus loin). Chacun despôlesdoit être imaginé comme un territoire distinct. Lesujet est formé de ces deux territoires. C'està lui que revient d'explorer les possibilités que recèlent ces

espaces. Lepremier territoire se trouve dans (c[... ]les pouvoirs propres de l'agent, ceux de l'ordreetdelamaîtrisede laraison [...]~); tandis que le second se situe ce[•.. ]dans les profondeurs delanature, dans l'ordre des choses, mais aussi en tant qu'il se manifeste

àl'intérieur dans ce qui procède de ma nature, de mes désirs, de mes sentiments et de mes affinités propres.n (SM, p.401).

Cette métaphore permet plusieurs considérations. D'abord, elle facilite la compréhension que l'on peut avoir du sujet, sujet qui contient ces deux territoires, entre lesquels iln'a pasàchoisir. ladifficulté pour le sujet moderne ne se trouve doncpas dansladécision à prendre dans le cas du rejet d'un des deux héritages, puisqu'il n'est pas question de rejeter unepartimporiantede soi (comme le démontre Taylor). Ledéfi du sujet vient plutôt de ladifficulté de composer avec lespossibilités fort différentes des deux territoires, de vivre avec cette continuelle tension et d'en tirer profit.

(38)

29

Cettedivision de territoirepermetde bien saisir une deuxième problématique.

Cesdeux espaces sont contestables entre eux, mais aussi considérés individuellement.

Il sont nés dans la controverse, tous les deux remplissant la même fonction, soit

s'opposer ccà la perspective théiste dominante.') (SM, p.404). Ils entrent donc en

compétition entre eux, l'un contestant l'autre, se renforçant en abaissant l'autre, en un

cercle qui crée sa propre expansion. Mais Taylor va plus loin. Il pointe dans cette

dynamique une réalité toute nouvelle pour l'agent humain: l'impossibilité d'une prise

de position immuable, d'une «source morale pleinement adéquate..(SM, p.404).

Effectivement, cette nouvelle réalité offre une voie troublante. Si le théisme

est contestable de l'extérieur (par ses ennemis par exemple), l'adhérence à cette

croyance offre, pour celui qui est "à l'intérieur", un univers plein, une source morale

stable.

Ces

deux territoires que sont les orientations modernes "[... ] sont intrinsèquement contestables en un sens dans lequellaperspective théiste ne l'est pas...

(SM, p.4(4).Celamarque l'ouverture de l'ère du variable, du multiple et de latension.

Lesujet moderne n'a de cesse de choisir, les deux territoires à explorer faisant partie

de lui: cela remise en question de leur justesse [aux territoires] invite constammentà de

nouvelles tentatives pour définir ce en quoi consiste ladignité qui nous est inhérente

en tant qu'êtres rationnels ou expressifs [... ]-(SM, p.405).

Nous vivons donc aujourd' hui dans le prolongement de ces courants des

Lumières et du romantisme (SM, p.602). Nonpasdans lacause de cet effet premier;

(39)

morales se situent encore dans le prolongement de ces grands événements.•• (SM,

p.493). Taylor fait de cette tensionla matière du sujet moderne.

Cependant, l'hypothèse de latension que proposeetdéfend Taylor offre le flanc àdes critiques qui lui reprochent ce qui est interprété comme une ambivalence:

«Face à des choix pénibles,ila tendanceà se cramponner aux deux côtés du dilemme,

refusant, pour des motifs qui sont souvent excellents humainement parlant,

d'abandonner l'un ou l'autre.»28Lemême auteur déplore chez Taylor le «manque d'un

certain radicalisme théorique»» (p.l43). Il semble que ces remarques soient fondées,

parce qu'il est vrai que Taylor ne désire pas trancher sur ce qu'est le sujet entre l'une

et l'autre orientation. Mais on le comprend mal si l'on croit qu'il s'agit d'une ambivalence que réclame la prudence. Taylor ne dresse pas un portrait

unidimensionnel du sujet tout simplement parce qu'il croit à sa réalité

multidimensionnelle.

Taylor, comme nous l'avons mentionné, croit en un sujet qui comprend les

deux territoires, soit celui de la raison désengagée (source morale rationnelle et

extérieure) et celui de la nature intérieure, expressive, originale et créatrice. Le choix

de l'un aumépriset au rejet de l'autre devient selon lui une ccerreur intellectuelle»(SM,

p.628). Ces territoires comportent en eux-mêmes des pouvoirs, qui sont en fait les

pouvoirs du sujet.

28R.Seiner, -Générosité hennéneutique et critique sociale-,Charles Tayloretl'inœrprétationde

(40)

31

De plus, cette tension qui souvent est source de souffrance pour le sujet moderne, peut quelquefois se résoudre. Lafusion de ces deux pouvoirs donne à l'être

humain une dimension exceptionnelle: -Certaines des découvertes saisissantes des hommes de science s'associent au tempérament romantique pour produire une nouvelle sensibilité, qui a fini par prédominer dans notre monde.'»(SM, p.628). C'est le cas lorsque l'on songe à l'amalgame de ladécouverte scientifique époustouflante et du sentiment romantique (ou spirituel) que sont les oeuvres de l'astrophysicien Hubert Reeves, par exemple.

Lathèse principale desSources du moisoutient quelaconstitution du sujet commenceparl'élaboration de lamorale personnelle. Si l'on s'entend pour percevoir

le sujet comme une construction, réalisée par de multiples éléments qui entretiennent entre eux des rapports complexes, Taylor propose quelamiseen place de ces éléments s'amorce parle choix des biens privilégiés parlesujet. Cette étape fondamentale paraît essentielle danslaconstitution du moi: ccIIse trouve que le moi etle bien, autrement dit, le moi etla morale, s'entremêlent de façon inextricable. '»(SM, p.IS). C'est pourquoi

Taylor expliqueetutilise une série de concepts qui permettent de bien comprendre cet

univers moral par lequelilentend fonder le sujet.

Selon Taylor, l'idée de lamorale la plus répandue est celle qui comprend le

respect d'autrui (lajustice, lebien--être, le respect de la vie). Il souhaite rajouteràcet élément d'abord cela conception que nous nous faisons de ce qui fonde notre dignité» et ensuite ecce qui confère à notre vie son sens etsa plénitude» (SM, p.16).

Ces

trois

(41)

facettesdelavie morale constituent les paramètres selon lesquels nous choisissonsles

biens qui baliserons notre vie. Taylor appelle ces biens des biens constitutifs (SM,

p.432).

Un bien, c'est cc[... ] toute chose que l'on juge comme ayant de lavaleur,

comme étant digne, admirable, à quelque espèœou catégorie qu'elle appartienne.»

(SM, p.129). L'action de déterminer des biens moraux est directement reliée à la définition de son identité. Effectivement, expliquer à quelqu'un ce qui justifie les actions fondamentales de sa vie, évoquer une chose et en faire le point de départ du sens que l'on donneàsavierevientàétablirlabasede son identité. L'identité peut être beaucoup de choses, mais elle estd'abordconstituée des biens choisis par le sujet. De plus, cette étape estessentielle: «[... }l'orientation vers le bien ne constitue pas une

option, dans laquelle on pourrait s'engager ou dont on pourrait se détournerà volonté,

mais une condition nécessaire pour être des moi possédant une identité.n (SM, p.99).

Le

sujet choisit donc certains biens, les ordonne entre eux, les distingue les uns des autres, souvent en accordant une position supérieureà l'un d'eux. (SM, p.91).

Laposition quelesujet prend lui-mêmeparrapportàses biens devient très importante. Puisqu'ils constituent une partie de son identité, s'en écarter «peut s'avérer accablant etintolérable.(SM, p.92). C'est pourquoi Taylor se méfie de certains courants d'idées

qui considèrent quelechoix des biensestarbitraireetque tous s'équivalent. Peut-être que d'un point de we absolu et purement objectif, c'est effectivement le cas. Cependant, laperspective de travail de Taylor, comme nous l'avons expliqué, veut vérifier comment le sujet vit au jour le jour la constitution de son moi. Il apparaît

(42)

33

facilement que la relativité absolue des biens, si elle peut être théoriquement pensée,

n'estvécue aujourd'hui par personne (SM, p.137).29 Cette position est appuyée par

Raymond Boudon, qui formule la question en ces termes: «Pourquoi voir dans le fait

que l'axiologie a une histoire lapreuve que les valeurs sont des illusions collectives?»30

Un bien constitutif peutêtrechoisiparlesujet selon trois voies possibles: d'un

côté, cellequi fonde le bien c<lanslanature de l'univers lui-même, au-delà de la sphère

humainen (assujetti par l'idée d'un dieu créateur, par exemple), ou d'un autre, qui

fonde le bien sur un (·pur subjectivisme de significations attribuées arbitrairement»».

Selon Taylor, une voie médianeest souhaitable, celle «d'un bien qui est inséparable de

la meilleure interprétation de nous-mêmes). (SM, p.432). Il est à noter que cette troisième possibilité peut intégrer les deux premières. Ele accorde beaucoup de poids

aux capacités du sujetà déterminer lui-même les paramètres de son identité.

Certains biens seront jugés supérieurs aux autres. Les surpassant

considérablement, ils auront fait l'objet d'une évaluation forte (SM, p.16). [Is

constitueront une norme élevée, àlaqueUe se référeront les autres biens, lesgoûts, les

désirs. C'est ce que Taylor nomme les hyperbiens, des «[... ] biens qui ne sont pas

seulement incomparablement plus importants que d'autres, mais encore qui

déterminentle point de vue àpartir duquel ces biens doivent êtrepesés,jugésetfaire l'objet d'une décision.n (SM, p.92).

29Taylor faitaU~ion. entre autres.à Foucault, aux néonitzschéens et à certaines perspectives naturalistes.

30R. Boudon•..critiquedelabienveillance...•• Charles Tayloretl'interprétation de l'identité

(43)

34 Untrèspetitnombre d'hyperbiemestpossibleàl'échelle d'une société. Taylor donne l'exemple de sociétés plus anciennes, où un seul hyperbien était admis parla

majorité, comme l'éthique de l'honneur chantée par Homère dans la civilisation

grecque, par exemple. Une tension survenait lorsqu'un autre hyperbien entrait en

concurrence avec celui déjà en place (leplatonisme est entré en conflit avec l'éthique de l'honneur, SM, p.95). Un problème de la société occidentale actuelle, que nous verrons plus loin, estla simultanéité d'hyperbiens de forces semblables.

Nous avons mentionné précédemment l'apport important d'Augustin dans

notre conception du moi. Il donne du poids à une nouvelle idée, celle d'un intérieur,

en mettant l'accent sur l'activité de connaître, dont le point de départ est le sujet, l'intérieur du sujet. ((Augustin déplace l'attention du domaine des objets connus vers

l'activité même du connaÎtre. C'estlàqu'il faut chercher Dieu.).(SM, p.176). Celapose

la question de ce que Taylor appelle les

sources morales.

C'estlàque le sujet cherche des biens constitutifs qu'il s'approprie.

Ànotre époque, on peut avoir l'impression que les sources morales du sujet se situent d'abord en lui. Effectivement, même pour des sources morales comme le

matérialisme scientifique, Dieu ou la nature, qui sont clairement à l'extérieur, le

processus d'intériorisation du sujet joue toujours un rôle important. Lesujet n'effectue

pas seulement un mouvement vers l'extérieur, à larencontre de ces sources. Dans un

mouvement réflexif, ilreprend en lui-même ce qu'il a trouvé à ('extérieur: Maiscontrairementauxconceptions antérieures des sources morales danslanature ou en Dieu. ces conceptions modernes accordentWle place capitaleànos propres

(44)

35

pouvoirs intérieurs d'édifier, de transfigurer ou d'interpréter le monde. qui sont

essentiekà

r

efficacitédessources extérieures. Il faut déployer nos pouvoirs si celles-ci

doivent~usdonner du JX)uvoir.Eten ce sens,lessources morales ont été. au moins en partie, intériorisées. (SM. p.567).

La reconnaissance de ses sentiments et la raison désengagée du sujet, ces caractéristiques combinées propres à la modernité, s'amalgament pour accorder un pouvoir décisif à celui-ci. Les sources morales extérieures existent, elles se présentent au sujet,maisdanslaperspectiveromantique (lanature-source) te[ ••• ]lavoix intérieure de mes sentiments réels définit ce qu'est le bien puisque l'élan delanature en moiest le bien,ilest ce quejedois écouter pour découvrirle bien.,.(SM,p.454). S'ajouteà cela

laperspective de la raison désengagée: ccEn un sens, notre obéissanceà laloi morale est simplement le respect que cette dignité exige de nous. Les sources du bien se trouvent à l'intérieur.') (SM, p.458).

Tout converge donc, même les deux pôles générateurs de latension, pour

situerlessources moralesàl'intérieur du sujet. Ce qui pose problème, c'estle nombre

de sourcesmorales. Lessources se sont multipliées depuis les Lumières, et~cnombrede choses qui n'étaient pas problématiques auparavant semblaient

r

être devenues". (SM, p.399). Taylor croit que, malgré les nouveaux problèmes moraux que cette multiplicité engendre, ils'agit tout de même d'un gain épistémologique. Les nouvelles sources morales~creprésententdes potentialités humaines réellesetimportantes.-(SM, p.399). Taylor divise la ccearte des sources morales contemporaines» en trois zones: le matérialisme scientifique, la foi et l'aspiration à la plénitude expressiviste (cc[••. ]

(45)

aspiration à l'intégralité, à laplénitude de lajoie dans laquelleledésir se fond à notre

sentiment d'atteindre la signification la plus profonde.••)(SM, p.514).

Denos jours, plus rien ne peut remplir lafonction de croyance majoritaireet

dominante, de laqueUe dépendent toutes les autres, que ce soit dans les domaines de

la mythologie, de la métaphysique ou de la théologie; cc[••• ] ces domaines restent

ouverts, mais demeurent lafonnulation d'une vision personnelle••. (SM, p.613). Un grand nombre de biens ont maintenantlapossibilité de partagerlascène des sources

morales, ils peuvent entrer en conflit les uns avec les autres mais sans jamais s'annuler

(SM, p.626).

La responsabilité qui incombe au sujet aujourd'hui semble énorme.

Le

sentiment de son intériorité comme source morale en fait l'acteur premier de ses choix

moraux, à tout le moins celui qui sanctionne en dernière instance, selon ses propres sentiments. Pour bien comprendre la position du sujet par rapport aux sources morales,

aux biens qu'il choisit et les tenants et les aboutissants de la construction de son

identité, Taylor utilise une métaphorespatialefort intéressante, claireetpratique. L'espaceestle plan qui est ici sollicité et par lequel s'éclaire laproblématique de l'identité (nous verrons plus loin, dans le troisième chapitre, l'apport de l'axe

temporel dans cette problématique). cSavoir qui on est, c'est pouvoir s'orienter dans

l'espace moralà l'intérieur duquel se posentlesquestions sur ce qui

est

bien ou

mat••

(SM, p.46). Lesujet évolue dans un espace de questions, auxquellesildoit répondre

parlesbiens constitutifs qu'il choisit. Ces biens servent de cadres de référence,-ceen vertu de quoi on donne un sens à nos vies" (SM, p.33); ils'agit d'un ensemble de

(46)

37

distinctions quaütatives opérées par le sujet qui fonne un contexte par lequel

s'expliquentet se comprennent les divers jugements, réactions et instincts moraux (SM,

p.36 et 44).

Lesujet sepositionne donc danscethorizon qu'il s'est constitué. L'élaboration de cet horizon essentielàl'existence du moiest cependant devenue problématique. Elle

dépend des choix du sujet,etcomme nous l'avonsw, l'abondance des sources morales accorde ausujetetàseschoix une importanceconsidérable. Taylor reprendles paroles du Zarathoustra de Nietzsche pour évoquerlaperted'un horizon commun et, semblait-iL immuable: ccComment avons-nouspuviderla mer? Qui nous a donné

r

éponge pour effacer l'horizon?n (SM, p.32).31

Cettedifficulté que peut avoirle sujetàconstituer

son

horizon età s'y orienter avec aisance fait partie de laproblématique de l'identité moderne. Lorsqu'on évoque

celle-ci, on estfrappé par le nombre de facettes différentesgrâce auxquelles Taylorla

définit. L'identité moderne, selon lui,se résume en une

[... ] conscience de soidéfinieparles pouvoirs delaraison désengagée aussi bien que par ceux de l'imagination créabice, (...] les façons typiquement modernes de concevoir la liberté, la dignité et les droits, dans les idéaux d'accomplissement et d'expression de soi, ainsi que dans les exigences de bienveillance etde j15tice

universelle. (SM, p.627).

L'expressivisme, issu de la période post-romantique, implique aussi une dimension d'originalité du sujet(SM, p.240), .Chaquepersonne doit se mesurerà un

(47)

38 étalon différent, qui lui appartient en propre» (SM, p.470). Le sujet est le maître d'oeuvre de son horizon (moral). Mais cela n'empêche pas, au contraire, une dernière

dimension de l'identité humaine que nous voudrions évoquer ici, soit l'affirmation de

la vie ordinaire. C'est-à-dire que, même si on considère le sujet comportant une

dimension d'originalité, le destin "supérieur" ne figure plus comme nonne. La vie bonneestofferte à tous, elle se situe dans un cadre de travail et de famille (SM, p.275). Deux autres notions concernant l'identité moderne sont proposées par Taylor.

Elles ont une importance considérable dans le cadre de ce travail. Il s'agit de

l'expressivisme, que nous avons déjà rapidement évoqué, et de l'épiphanie.

Un des trois legs de Schopenhauer, selon Taylor, estccle sens plus vifde nos pouvoirs d'expression)' (avec (ela transfiguration par l'art, et "le sentiment des

profondeurs intérieuresn ) (SM, p.553). Laconnaissance du monde et du moi en mode

réflexif demande, dans la modernité, à être actualisée par l'expression. Cette

connaissance du moi existe grâce à cette preuve tangible de l'expression, mais elle

existe aussi par l'expression:

[rexpœssivisme]emprunteà Aristote, mais en introduisant cette idée nouvelleque le passagedelapuissanceà l'acte doit aussi s'entendre comme une sorte d'expression de soi et comJX>rte par conséquent un certain élément d'autodéfinition. Cette conception tendà conférer à l'artune nouvelle place centrale dans lavie humaine. L'artdevient un des media paradigmatiques, sinon le medium par excellence, dans

lequel nous nousexprimons, doncnous définissons, doncnousréalisonsnous-mêmes.

(SM, p.592. nous soulignons).

Ce que Taylor appelle ailleurslarévolution expressivistecomprend ces quatre

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