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"Comment entendons-nous les histoires de nos patients: étude qualitative sur les médiateurs de l'interprétation dans les réunions de discussion de cas en Psychiatrie Transculturelle"

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Texte intégral

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I

« Comment entendons-nous les histoires de nos patients : étude qualitative sur les médiateurs de l’interprétation dans les réunions de discussion de cas en Psychiatrie

Transculturelle ».

by

Mohamed Shehab Mohamed Abdou

Department of Psychiatry

McGill University, Montreal, August 2016

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the degree of Master of Science in Psychiatry

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II

Résumé

Cette étude examine la compréhension des histoires des patients par les

intervenants en santé mentale, au travers de la narration de celles-ci dans les réunions multidisciplinaires de présentation de cas portant sur des situations transculturelles. L’analyse a porté sur l’interprétation et ses médiateurs. Les résultats suggèrent que l’interprétation des histoires de cas dans ces réunions implique trois couches de compréhensions distinctes, à savoir: la compréhension interpersonnelle, la

compréhension historique et la compréhension par inférences aux théories explicatives (scientifiques et culturelles). Ces trois voies de compréhension engagent trois processus d’articulations avec des Altérités de natures différentes. Dans la première articulation, le participant impliqué dans l’histoire interprète les personnages de l’histoire comme d’Autres esprits; à travers une simulation de leurs vécus dans son imaginaire, il essaie d’atteindre des postulats sur leurs affections, intentions, et réactions anticipées. Dans la deuxième articulation le participant poursuit les autres histoires entrecroisant l’histoire immédiate discutée (Altérité historique); il peut s’agir d’articulation avec des histoires appartenant au contexte de la famille discutée (Verstehen), le contexte du participant, ou bien encore de leurs co-contextes (leur intertextualité). Dans la troisième articulation le participant poursuit un ancrage théorique à la problématique de la famille discutée; l’inférence du dilemme particulier de la famille à une théorie générale, culturellement reconnue (Altérité idéologique) vise une compréhension sémantique rationnelle. Ces trois voies de compréhension sont fréquemment simultanées et interdépendantes. La pertinence des réunions de discussion de cas en psychiatrie transculturelle pourrait être associée au fait que les configurations narrative et conversationnelle font émerger un processus dialogique favorisant l’élaboration de ces voies de compréhension et leurs interactions.

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III

Abstract

This study examines the process of understanding of patients’ stories, by mental health workers, through its narrative expression in multidisciplinary case presentations discussing transcultural situations. The analysis targeted interpretation, and its

mediators. Results suggest that the interpretation of the discussed case implicates three distinct layers of understanding, namely: interpersonal understanding, historical

understanding, and understanding by inference to explanatory theories (scientific and cultural). These three paths of understanding engage three articulation processes with three Alterities of different natures. In the first articulation, the participant implicated in the story of the discussed case, interprets its characters as Other minds, and makes hypotheses about their sufferings, living experiences, intentions, and anticipated reactions. In the second articulation, the participant pursues the other stories

intersecting with the immediate story of the discussed case (historical Otherness); these intersecting stories can belong to the discussed family context (Verstehen), or to the context of the participant, or to the “co-contexts” of the family and the participant (intertextuality). In the third articulation, the participant pursues a theoretical grounding to the discussed family dilemma; inferring the particular dilemma of the discussed family to a general culturally acknowledged theory (ideological Alterity), intends, thus, a rational-semantic understanding. Those three paths of understanding are frequently simultaneous and interdependent. The pertinence of case discussion meetings in transcultural psychiatry can be associated to the fact that narrative and conversational configurations bring about a dialogical milieu promoting the elaboration and the interaction of the three paths of understanding.

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IV

Remerciements

Je tiens à remercier, tout d’abord, les participants du séminaire

inter-institutionnel transculturel à Montréal, dont les contributions ont fourni à cette étude sa substance première.

Toute ma reconnaissance va à Dr. Cécile Rousseau, en tant qu’une des personnes ressources de ce séminaire et en tant que la directrice de ma thèse, pour son aide appréciable et pour tout l’intérêt qu’elle a porté à ce travail.

Mes remerciements, je les adresse aussi à tous les professeurs qui m’ont guidé tout au long de ce projet : (par ordre alphabétique) Dr. Gaëlle Fiasse, Dr. Ian Gold, Dr. Danielle Groleau, Dr. Laurence Kirmayer, Dr. Garine Papazian-Zohrabian, Dr. Arvind Sharma, Dr. Constantin Tranulis, et Dr. Allan Young.

(5)

V

Table des matières

Problématique (introduction)……….. 1

L’interprétation entre références, contexte et Histoire……..……….….…… 3

Méthodologie ……… ……….……… 9

Résultats ……… 12

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1

Comment entendons-nous les histoires de nos patients : étude qualitative sur les médiateurs de l’interprétation dans les réunions de discussion de cas en psychiatrie

transculturelle.

Entendre l’histoire d’un patient est un processus complexe. On peut même penser que l’entendre est encore plus complexe que la comprendre, le deuxième verbe pouvant donner l’illusion d’une tâche purement d’ordre intellectuel excluant ainsi des influences pouvant appartenir à d’autres registres. La complexité n’est pas seulement due aux divers acteurs agissant sur le processus de l’entente mais elle est également, et surtout, liée à l’opacité de ce processus, et la subséquente difficulté de l’investiguer. Si on a plus de facilité à accéder au «produit final et traité» d’une certaine compréhension, ou plutôt interprétation, de la problématique d’un patient, à travers les notes du

dossier, on en connaît beaucoup moins sur les ingrédients et les étapes préalables à l’élaboration de ce produit. L’entente ou, pour simplifier, la compréhension agissant comme la contrepartie «passive» de l‘interprétation constitue donc cette partie cachée de l’iceberg: bien qu’invisible, elle porte et présente l’émergeant. Avant d’advenir, l’interprétation-exprimée traverse, en silence, des voies de médiation et des influences diverses qui la déterminent, d’où l’enjeu lié au dévoilement de ces médiateurs. La question qui se pose alors, est celle de savoir comment analyser, avec recul,

l’acheminement de ce processus à partir du moment de l’écoute, avec la sensibilité affective particulière qu’elle suppose, à la réception d’une histoire avec ses

prédispositions, son articulation avec nos références diverses, la reconfiguration de l’histoire, pour aboucher avec l’expression d’une histoire reconstruite avec

l’interprétation qui lui a été conférée? En sciences on ne peut étudier que l’observable, on ne peut étudier la compréhension de la problématique d’un patient qu’à partir de sa contrepartie expressive, l’interprétation de cette problématique. Mais, plutôt que d’examiner le produit abouti, il serait plus informatif d’examiner un produit plus «décomposé», qui s’attarderait davantage à des moments divers du parcours interprétatif. Dans le cadre de cet article, j’ai postulé que l’étude de réunions de

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2 nous dévoiler cette phase cachée de l’entente de l’histoire du patient, dans la mesure où elle analyserait le processus de configuration interprétative, son évolution, et ses digressions, aux travers de l’échange, tantôt spontané, tantôt réfléchi, entre l’audience de ces réunions.

Les réunions de discussion de cas :

La présentation de cas est un outil utilisé pour développer les liens entre les connaissances théoriques et la pratique dans plusieurs disciplines telles que la médecine et le droit (Mayo, 2002). En psychiatrie transculturelle, cet outil est utilisé, de surcroît, pour favoriser la transmission de l’expérience de l’Autre (migrant, réfugié, ou membre d’une minorité) aux professionnels de santé mentale participant à ces présentations (Rousseau, 2005b). De ce fait, plusieurs organismes de psychiatrie transculturelle participent à des réunions de présentation approfondie de cas rassemblant des cliniciens de différentes institutions. Ces discussions de cas visent à mieux répondre à une impasse clinique particulière, et à travers ceci à développer les habiletés

professionnelles des participants (Rousseau, 2005a). Curieusement, affiner la

compréhension de la problématique d’un patient, se réalise par l’intermédiaire d’un processus de multiplication et de diversification narratives autour de son histoire. Cette variation pourrait être considérée comme illustrative du dilemme-même de la

configuration interprétative dans ses mouvements pour ponctuer les éléments de l’histoire du patient avec nos propres références, qu’elles soient d’ordres professionnel, culturel, ou personnel. Si l’interprétation des cas reposait sur cette entente entre les éléments de l’histoire du patient et nos propres repères référentiels, ceci placerait la question de l’altérité au centre de ce processus de l’interprétation, ou au moins, il proposerait comme indispensable ressort à l’interprétation ce double positionnement dans deux réalités différentes. Ainsi faudrait-il voir dans le parallélisme que fait la psychiatrie transculturelle, entre compréhension et dialogue transculturel, l’empreinte d’un processus plus originel instaurant un espace dialogique entre deux univers de natures différentes ? Je dirais bien deux altérités de natures différentes puisque, dans ce mouvement de rapprochement, il y a souvent un univers qui est immédiatement

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3 disponible, ou manifeste (pour reprendre le langage Freudien dans l’interprétation des rêves) et un autre univers qui est plus caché ou latent, tel que le dialogue entre le familier et l’étranger, le général et le particulier, ou bien encore entre l’univers des signes et l’univers du sens.

L’interprétation entre références, contexte, et Histoire :

La perspective positiviste adoptée par la psychiatrie moderne centra la

problématique de l’interprétation autour du débat sur les références empruntées, que ce soit les références athéoriques de classification comme le DSM-V, ou bien des

références théoriques telles que psychodynamiques, cognitives, ou biologiques. Au-delà de ce débat de vérité entre ces différentes écoles de références interprétatives, il est clair que seule la situation clinique est capable de mettre ces références en œuvre et de les articuler avec les réalités complexes de notre pratique. C’est, justement, lors de cette articulation dans les situations cliniques complexes que les limites de ces

références surgissent davantage. Car, si ces guides et théories peuvent nous fournir des repères référentiels, ils ne nous renseignent pas sur la configuration du «pont

interprétatif» reliant l’histoire du patient à ces références. La compréhension d’une situation clinique, plus complexe qu’une simple subordination à des modèles explicatifs particuliers, implique un processus qui doit, entre autres, négocier tolérance et

complémentarité entre plusieurs types de références, questionner leurs validités, et apprécier leur contextualisation avec le monde du patient. Paradoxalement, cette compréhension n’est même, parfois, réalisée qu’à travers une «dé-référentialisation» ou une prise de distance avec la référence structurante. Dans leur livre traitant du processus d’interprétation textuelle en anthropologie, G.Bibeau et E. Corin évoquèrent qu’«un sens de profondeur historique aide à créer un détachement face à quelques engouements et modes prédominants » (G. Bibeau & E. Corin 1995- ma traduction). Ceci pointe bien le paradoxe du processus interprétatif en tant que processus aussi bien de liaison que de déliaison, une déliaison qui n’est pas une simple transition vers une autre liaison plus adéquate (discrimination d’un sens de ses contigus), mais qui est en soi un acte signifiant. Ainsi, Rousseau évoqua que «l’incertitude nommée et contenue

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4 dans un espace clinique peut confirmer la position de sujet du patient» (Rousseau, 2002), assimilant la déliaison référentielle à un acte de nomination propre, marquant un contre-mouvement porté sur une compréhension personnalisée qui tâtonne son chemin dans le contexte de l’individu. Cette incertitude, quant à la réductibilité référentielle, serait, donc, porteuse d’un effet Pygmalion transformant le patient du statut d’objet de connaissance au statut du sujet, plus «personnel» et «humain», capable de mobiliser en nous les mouvements correspondant à ce statut. La

contribution du contexte à l’interprétation se précise ainsi, non pas comme une simple matrice supportant les références diverses, mais comme une modalité d’interprétation distincte et plus interne (relativement indépendante des références structurantes externes). Se réalisant à la fois à travers la connaissance et l’expérience, cette modalité interroge la place de la compréhension contextuelle au sein de l’interprétation

psychiatrique.

Ce sont les premiers auteurs de la psychiatrie transculturelle qui questionnèrent l’adaptabilité de nos références issues de la psychiatrie contemporaine –dite

occidentale- dans le suivi des patients appartenant à des cultures différentes. Ce mouvement était particulièrement soucieux de militer pour suppléer nos références utilisées en psychiatrie, par les repères culturels qui interagissent avec ces références soit sous la modalité d’une contextualisation (Kirmayer 2014) soit sous la modalité d’un complémentarisme (Devereux 1972; Baubet & Moro 2013). La différence prônée par lui concerne, donc, l’emploi de références anthropologiques et culturelles, avec une

subséquente valorisation de l’apport du contexte personnel, familial, ou sociétaire, dans la construction du sens. En ce faisant, elle mit en question la conception universaliste de la maladie mentale, exposant les différentes façons d’exprimer et d’expliquer, voire d’interpréter, les troubles de l’âme. Un bémol toutefois surgit : avant de discerner le sens que l’Autre construit, à partir de son contexte, il advient d’abord de «construire» l’Autre qui construit le sens! En fait, on peut penser que la contribution première de la psychiatrie transculturelle fut bien ce lien qu’elle dessina entre la compréhension de la situation clinique et la compréhension de l’Autre dans sa différence ou dans son altérité.

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5 La question se pose à son tour sur les voies d’accès à cette compréhension de l’Autre, et ses chemins conducteurs qui peuvent relever soit du domaine de la connaissance ou bien de celui de l’expérience. Elle se pose également concernant les nuances entre une compréhension de l’Autre basée sur le contexte personnalisé et celle basée sur

l’altérité. Les deux se rejoignent, certes, dans cet aspect de différence et différenciation; l’Autre est différent parce qu’il a un contexte particulier qui le dérobe d’une

compréhension catégorique basée sur l’assimilation aux références générales. Mais on peut penser que l’altérité réalise une compréhension de l’Autre, non-pas seulement dans son contexte mais dans son contexte ancré, non-pas seulement dans son histoire mais dans son Histoire; il ne s’agit plus, ainsi, de discerner le sujet qui subit, mais l’esprit qui créé le monde d’une certaine manière. L’altérité suppose une prolongation de la situation particulière dans un enracinement historico-culturel plus distant, une

différence ancrée dans une marque identitaire plus profonde. On peut penser que seule cette prolongation historique est capable de résoudre le paradoxe de l’altérité en tant qu’une désignation du différent par ses entrecroisements familiers; même une nomination propre serait impersonnelle si non-étoffée par les noms des ancêtres, ou par les préfixes et les suffixes qui la «fixent» ou l’ancrent dans sa singularité. Si les repères culturels offriraient tantôt des références explicatives à la situation clinique, dans un modèle subordonnant le particulier au général, ces mêmes repères

sembleraient tantôt viser une compréhension de l’Autre à travers un modèle de compréhension historique agglutinant la partie à l’ensemble -pour reprendre la

conception de Dilthey de la compréhension historique (Dilthey 1988-Éd. ultérieure-). La question se pose, alors, s’il faudrait concevoir l’interprétation en psychiatrie comme hétérogène en nature, pouvant accommoder des genres de compréhension distincts. Si plusieurs auteurs interrogèrent le cadre épistémologique en psychiatrie en tant que science, en y critiquant le monopolisme de la logique des sciences naturelles (Kirmayer), la même interrogation serait encore plus légitime en matière de la pratique

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6 sociale que scientifique, impliquant une agencéité, individuelle et collective (concernant l’intervenant et l’institution) sensible à l’environnement socio-culturel qui l’abrite.

Aborder une altérité, et interpréter un sens semblent s’étayer sur le même sentiment d’une absence référentielle immédiate, provoquant, ainsi, des approches différentes, mais complémentaires, pour «remplir les blancs». L’interprétation du sens sollicite une recherche de «l’Autre du sens apparent» tel que explicité par Ricœur dans son essai sur l’interprétation psychanalytique «Ce qui sollicite ce travail

[d’interprétation] c’est une structure intentionnelle qui ne consiste pas dans le rapport du sens à la chose, mais dans une architecture du sens, dans un rapport du sens au sens» (Ricœur 2014). En revanche, la compréhension d’une «condition existentielle Autre» exigerait de suppléer cette articulation sémantique par une articulation d’une autre nature, pouvant relever davantage de l’entendement historique agglutinant non seulement les éléments contextuels immédiats de l’histoire du patient mais également les éléments de son Histoire socio-culturelle. De même que l’interprétation s’ouvre sur la multiplicité du sens, l’abord à l’altérité semble se réaliser via un prêt d’écoute aux multiples voix articulées par/à travers la personne (voix des ancêtres, des traditions, ou de l’Histoire collective) portant aussi bien les énoncés que le souffle des aïeux . De là, la psychiatrie transculturelle était attentive à une approche constructiviste à l’égard de la multiplicité des compréhensions, que ce soit dans sa dimension verticale (explorer le sens culturel -pour l’Autre- dans sa relation à sa culture et son Histoire) ou horizontale (entre construction du sens chez le patient et le thérapeute). On peut, toutefois, se demander si, en dépit de ceci, il n’y aurait pas eu tendance à limiter l’abord à l’altérité au rôle de «rectificateur» de l’articulation sémantique plutôt que de voir en lui la voie d’accès à un mode de compréhension de nature différente. En effet l’approche constructiviste semblerait être, avant tout, préoccupée par ses visées pragmatiques; qu’il s’agisse de démarches de négociation, de médiation, ou encore de la plus subtile co-construction du sens (Moro 2004), on se trouve d’emblée projeté dans le champ de la praxie thérapeutique auquel la construction du sens se passe bien entre l’Autre et l’intervenant, dans le sens littéral du mot (celui-qui-intervient). Que penser, donc, de

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7 cette phase préalable de la réception des sens possibles par l’intervenant, voire de cette phase première de la lecture de l’histoire de l’Autre, impliquant un arrangement

particulier de ses évènements pour épouser un sens -chez le thérapeute-; c.-à-d. la phase de l’expérience? Pour s’attarder sur ce premier temps de l’expérience passive de l’intervenant dans la «construction de l’Autre», la psychiatrie transculturelle procéda à une reprise du concept psychanalytique du contretransfert. Le contretransfert est défini comme «l'ensemble des images, des sentiments et des pulsions de l'analyste envers l'analysant, en tant qu'ils sont déterminés par son passé» (Racker 2000); initialement il fit référence aux représentations et imagos inconscientes surgissant lors des

interactions -directes- entre analyste et analysant (ou donneur de soins et patient). Il illustra ainsi comment notre lecture du patient peut être influencée par l’expérience interpersonnelle, les éléments historiques de nos vies -revire un temps ou un dilemme de son passé-, et les «apparitions» de notre inconscient. Devereux reformula ce

concept, en «diffusant» plusieurs de ses éléments. Au-delà de l’intrusion «accidentelle» d’un temps passé, il s’intéressa davantage à «la part stable du contretransfert»

(Rouchon 2009) qu’il appela «pré-contretransfert» c.-à-d. «le contre-transfert du thérapeute présent avant que la rencontre thérapeutique n’ait lieu.» (Rouchon 2009) fait de prédispositions diverses qui conditionnent les réactions contre-transférentielles, et pouvant exister, donc, en dehors de l’interaction directe entre deux personnes. Il nuança, également les frontières entre représentations conscientes et inconscientes et le cadre précipitant leur éruption pour définir le contre-transfert comme «la somme des réactions conscientes et inconscientes que tout thérapeute et/ou chercheur en sciences humaines va avoir à l’égard de son patient et/ou de son objet de recherche» (Devereux 1967: 75-84). Nathan, à son tour, développa le contretransfert culturel en soulignant la part des réactions contre-transférentielles appartenant au collectif en nous

(nuancement des frontières entre histoires personnelle et collective chez le thérapeute) (Nathan 1986; Rouchon 2009). En dépit de ces modifications, le dénominateur commun resta pareil, c.-à-d. la capacité de la situation interpersonnelle, réelle ou imaginaire, à conditionner l’historisation de l’histoire du patient et l’interprétation de son dilemme,

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8 puisque ce qui est interprété n’est pas tellement l’histoire du patient, mais son

historisation. «Historisation» reconnait, donc, davantage cette interface

interpersonnelle, voire inter-historique, impliquée dans l’acte de rapporter l’histoire de l’Autre. Tout se passe comme si l’historisation tissait l’histoire à partir d’un «mi-lieu» historique où se nouent les h/Histoires (personnelle et collectives), réelles et

imaginaires, du patient, mais aussi de l’intervenant, et leur environnement sociopolitique ambiant. On peut penser que l’altérité psychologique doublée de l’altérité culturelle ne peut que complexifier davantage ce paysage de la «pré-histoire» (paysage historique de base conditionnant la configuration de l’histoire du patient).

La percée de facteurs interpersonnels, et sociaux, à travers les actes d’historisation et d’interprétation soulève la question du possible lien entre

l’interprétation en psychiatrie et l’interprétation en sciences humaines, notamment en ce qui concerne l’impact de la dimension intersubjective, inhérente à l’altérité, dans les configurations historique et interprétative. Différemment qu’en psychiatrie, cette question semble avoir été amplement étudiée dans plusieurs autres disciplines. Citons, en anthropologie, les travaux de Geertz sur le travail des anthropologues dans la transcription de la culture étrangère, et sa distinction entre l’approche de description proche de l’expérience (spontanée et immédiate) et l’approche de description distante de l’expérience (plus conceptualisée) (Geertz, C. 1974). En critique littéraire, citons les travaux de Jauss sur «la théorie de la réception» étudiant le processus de la réception (lecture) d’un texte littéraire et décrivant la recherche d’«altérité portée par le texte» (explicitant l’entrejeu entre le répertoire culturel de l’individu et sa réception de l’histoire du texte) (Jauss 1978). Dans la même lignée mentionnons le concept

d’intertextualité décrit par J. Kristeva (Kristeva 1968) désignant la superposition dans un texte d’un autre texte qui offre à ce premier un étayage référentiel désiré par l’auteur. En critique littéraire, ce terme est tantôt utilisé pour désigner une discernable

imprégnation d’un texte par un texte antérieur particulier, et tantôt il est utilisé pour désigner les influences plurielles d’une tradition littéraire donnée qui conditionnent le

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9 texte d’un auteur. En dernier, et non-pas le moindre, mentionnant le large répertoire de travaux sur l’herméneutique des textes religieux, et les facteurs conditionnant leur interprétation. En dépit de ces amples contributions, l’applicabilité de ces concepts à l’interprétation en psychiatrie reste incertaine, mentionnons, entre autres, l’obstacle lié au cadre méthodologique bien différent dans les sciences humaines qu’en psychiatrie. La rareté d’études similaires en psychiatrie, combinée à leur pertinence pour notre pratique, justifient la tentative de s’en inspirer dans une recherche qui investiguerait le processus de configuration interprétative, ses médiateurs, et les facteurs conditionnant son déroulement.

Méthodologie :

En tentant d’identifier les médiateurs conditionnant la configuration

interprétative, j’ai procédé à une étude de la reconstruction narrative lors des réunions de l’équipe Érit comme reflétant la compréhension de l’histoire du cas, dans ses

composantes réceptive (l’entente) et expressive (l’interprétation). Terrain de recherche: Les réunions de discussion de cas transculturels:

Les réunions de discussion de cas transculturels - également appelées «le séminaire interinstitutionnel» par ses organisateurs - sont organisées, depuis 2002, par des institutions de santé de soins primaires (d’abord dans le cadre des CLSC) et

subséquemment par les Centres jeunesse et les écoles à Montréal, avec le soutien de personnes ressources affiliées à l’Érit, une équipe de recherche affilié au CSSS de La Montagne à Montréal, et à l’Université McGill. Elles se tiennent environ 8 fois par années; le lieu de rencontre s’alterne entre les différents établissements participants.

Le séminaire dure 150 minutes avec une pause le divisant en deux parties; la première partie comprend la présentation du cas, et sa discussion, et la deuxième partie se concentre davantage sur les propositions des intervenants sur la conduite à tenir. La personne ressource conclut la rencontre avec un mot de la fin d’une tonalité plus directive pour expliciter les recommandations énoncés en cours de réunion. Le cas présenté reflète une impasse particulière que le ou les présentateurs de cas

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10 confrontent; cette impasse inclut souvent des éléments pertinents au contexte

transculturel. L’objectif principal du séminaire demeure la formation basée sur la discussion de cas qui gravite autour - ou qui a été précipité par- la question de l’altérité. Le séminaire pourrait aussi être considéré comme un lieu de supervision de groupe et un espace de réflexion sur la question transculturelle constituant un substrat de recherches dans ce domaine (Rousseau et al. 2005 a et b).

Participants : Une particularité clef de ce séminaire est sa nature interinstitutionnelle et multidisciplinaire. Les participants sont constitués par les professionnels œuvrant dans plusieurs institutions pour la santé mentale d’enfants et d’adultes sur l’île de Montréal. La variété de ces institutions reflète également les différents mandats des intervenants. Ces mandats selon Rousseau et al. (2005 b) «conditionnent les tâches aveugles, […] qui peuvent intervenir à l’insu des professionnels dans l’espace thérapeutique». Un des objectifs escomptés par ce séminaire serait d’aborder ce point. Les participants proviennent d’une panoplie de disciplines comprenant des psychoéducateurs,

travailleurs sociaux, psychologues, infirmiers, ainsi que des stagiaires; la représentation des psychiatres se limite souvent à la personne ressource qui coordonne la réunion. Le nombre moyen lors de chaque réunion gravite autour de 25; on note une variation importante entre les âges des participants qui reflète la disparité entre leurs années d’expériences. On note une nette prédominance d’intervenantes de sexe féminin (environ 10:1), et une relative prédominance d’intervenants d’origine culturelle québécoise francophone; la langue d’expression dans le séminaire est la langue française.

Collecte des données :

- Le corpus de l’étude était constitué de cinq transcriptions du séminaire interinstitutionnel organisé par l’ÉRIT ayant été discutées entre 2013 et 2016.

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11 L’utilisation des transcriptions du séminaire a été approuvée par les comités d’éthiques des différents établissements accueillant le séminaire. Afin de conserver l’anonymat des patients quelques détails les concernant ont été modifiés.

Les participants du séminaire ont été informés que les transcriptions du séminaire pourraient être utilisées pour des fins de recherches. Afin de maintenir l’ambiance de confiance favorisant l’expression libre des participants, les informations pouvant révéler l’identité des participants ont été modifiées.

Analyse :

L’étude a été guidée par l’approche de la “théorie ancrée”. Cette approche est une méthode de recherche qualitative qui a été développée par Glaser et Strauss (1967), tentant d’expliciter les procédures impliquées dans la synthèse d’une théorie à partir de données empiriques (Green, J. & Thorogood, N. 2004).

- Dans un premier temps, une déconstruction des transcriptions à travers un codage inductif a permis d’identifier les procédés de transformations narratives effectuées sur l’histoire de cas initiale - vue comme l’ensemble des évènements factuels de l’histoire immédiate - (par exemple: attachement à une référence psychodynamique; description détaillée d’un personnage de l’histoire, association avec une expérience personnelle, …).

- Dans un deuxième temps, une analyse thématique a identifié la visée et l’effet des procédés de transformation (ex. conférer un sens, transmission de connaissances au groupe/formation, …).

- Dans un troisième temps, une analyse thématique a identifié les facteurs possibles ayant influencés l’emploi d’un tel ou tel procédé de transformation (par exemple qualité du contretransfert, contexte social particulier, …).

- Finalement, les données issues de ces trois étapes ont été analysées pour essayer de répondre à notre question principale. J’ai comparé également deux phases de la transformation narrative, celle lors de la présentation initiale par l’intervenant (1ère

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12 transformation) et celle lors de la discussion du groupe qui suit la présentation (2ème

transformation).

- La validité des codes, thèmes, et éléments d’analyses ont été révisés par les procédures suivantes :

a) Les codes obtenus ont été réévalués par des lectures répétitives des transcriptions.

b) Les données obtenues ont été comparées avec les thèmes évoqués lors de trois séances de discussion de groupe sur le séminaire interinstitutionnel. Ces trois séances avaient comme objectif d’évaluer les expériences des participants de ce séminaire.

Résultats

À l’issue de l’analyse des cinq cas examinés, il devint de plus en plus apparent que l’interprétation des histoires des cas est médiée par trois processus principaux conditionnant trois catégories d’articulations dans les champs interpersonnel,

historique, et sémantique rationnel; ces articulations figurent des lieux dialogiques avec des altérités de natures différentes. On peut distinguer ainsi les trois processus clefs suivants:

1- L’implication (champ d’articulation interpersonnelle): correspond à

l’engagement d’une dialectique avec l’Autre esprit. L’implication agit comme une première boussole orientant la direction de la narration et de l’attribution

sémantique; elle exerce un rôle plus influant surtout lors de la première phase de la reconstruction historique.

2- La transformation intertextuelle (champs d’articulation historique): correspond à recherche d’une altérité historique en poursuivant les croisements historiques avec l’histoire immédiate du patient. Elle est dépendante de «l’angle de narration» ou l’intrigue à partir de laquelle l’histoire est reconstruite.

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13 3- L’attribution ou l’inférence théorique (champ d’articulation sémantique

rationnelle): correspond à l’articulation intentionnelle de l’histoire du patient avec des références interprétatives culturellement reconnues dans le groupe. Elle est le lieu de négociation entre le général et le particulier (altérité

idéologique).

Ces trois médiateurs sont volontiers simultanés, interactifs et interdépendants, la transformation de l’un, pouvant entraîner la transformation de l’autre; ils agissent également, donc, comme modulateurs de l’interprétation.

L’implication (articulation interpersonnelle):

S’il y a une question commune de départ, qui précède la présentation, qui l’organise, et qui reste omniprésente mais en suspens, planant de loin sur la

conversation et intervenant de temps en temps pour la ponctuer, cette question sera «quoi faire ?». Tantôt explicite, tantôt implicite, cette question projette d’emblée la visée praxique au cœur de la discussion. C’est le cadre de ces réunions qui invite cette question et précipite un certain départage des rôles entre plusieurs acteurs réels, symboliques, ou imaginaires. L’implication dans ces enjeux interpersonnels est une constante, toutefois la variation dans la nature et la forme de l’implication et le degré d’engagement détiennent un rôle déterminant pour orienter la narration et l’attribution interprétative subséquente.

Le processus et ses variations :

La contextualisation culturelle et historique est un des objectifs principaux des réunions de discussion de cas en psychiatrie transculturelle. Dans ce sens, il était

attendu de relever une certaine personnalisation de l’histoire à travers la narration et la discussion. Ce qui a été moins attendu était la «personnification» des acteurs de

l’histoire. Lors de la narration initiale (la première transformation), on observa un souci particulier à décrire les personnages avec leurs subtilités, même physiques, allant parfois jusqu’à les nommer par les noms de célébrités qui concrétiseraient au mieux leurs apparences ou leurs êtres. Dans le sens que ces descriptions n’étaient pas toujours

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14 informatives pour le dilemme du cas, leur but premier semblait être le «rendre

sensible» plutôt que le «rendre sensé» de l’histoire du cas. Il ne s’agissait pas simplement de décrire ces personnes mais surtout de décrire la résonance de ces

personnages en soi ou les impressions laissées par ces personnes sur les narrateurs. Plus que décrire ou dire ces impressions, le narrateur les «vivait» comme en témoignait l’accordage affectif avec le contenu de la narration. Cette projection dans l’expérience directe des personnages semble réaliser, ainsi, une première forme «d’interprétation incorporée» relevant du domaine de la Théorie d’Esprit. L’entrée dans la peau de

l’Autre, caractéristique des mouvements empathiques, était souvent accompagnée d’un effacement de la perspective de la troisième personne dans la perspective de la

première personne. Tantôt on assistait à une imitation du ton, style, état et expressions affectives du patient par l’intervenant, et tantôt la voix du patient disparaissait mais son expérience continua d’être transmise d’une façon implicite comme si le narrateur s’inscrivait in-lieu du patient et recevait son expérience à sa place :

Dans le cas 1 l’intervenante présente le cas de Marie, une fille de 8 ans d’origine Haïtienne; ses parents se sont séparés quand elle était un bébé, et sa mère immigra aussitôt à Montréal. Marie a vécu chez son père et sa nouvelle épouse jusqu’à l’âge de 4 ans quand elle a été amenée pour vivre chez sa mère. Depuis lors elle présente des troubles du comportement dans un contexte de difficultés

d’attachement mère-fille. La mère étant suspectée d’abus, l’intervenante principale signala la Direction de Protection de Jeunesse à trois reprises; la petite a été placée temporairement. Lors de la présentation, l’intervenante principale (PO) nous transmet comment elle est touchée par la situation de Marie par un style de narration proche de l’expérience: «PO: On l’aime beaucoup. On la trouve hyper attachante, puis on est témoins régulièrement de sa grande détresse». L’inscription dans le vécu de l’enfant était telle que l’intervenante décrivit -au temps présent- des scènes auxquelles elle n’avait pas assisté, en se projetant à la place de l’enfant qui a subi ces interactions: «PO: sa mère lui avait dit «Appelle-moi plus maman». Elle [mère] avait dit à son frère «Tu n’as plus de sœur »».

Qu’un intervenant qui a suivi le patient ou la famille puisse mentaliser sur l’expérience directe du patient, via une compréhension interpersonnelle, ceci aurait pu être attendu; mais ce qui fut plus intéressant, ce fut la transposition du même mode de compréhension pour les participants qui n’étaient pas intervenus auprès de la famille; c’est-à-dire en dehors du contexte du face à face qui est habituellement invoqué pour

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15 ce mode de compréhension. Pourtant dans les réunions on assista bel et bien à des mentalisations élaborées sur le vécu des personnages (inconnus) et sur leurs façons d’être. On peut invoquer deux hypothèses (ou une combinaison des deux) à cet égard; soit qu’il s’agissait d’une résonance de l’état affectif rejoué par l’intervenant principal; soit que l’histoire racontée ait été capable d’induire un état de simulation de

l’expérience du patient chez l’auditeur, qui s’y projeta, en se liant, non pas à une représentation intermédiaire générale du patient, mais plutôt à un visage, ou à l’impression directe et spécifique que le personnage produit dans son imaginaire. À noter que pour quelques participants (notamment les auditeurs qui n’ont pas connu la famille), ils étaient capables de se projeter dans les vécus de plusieurs personnages. En revanche, quelques intervenants surtout parmi les intervenants principaux,

démontrèrent une facilité quant à la projection dans le vécu/perspective d’un personnage (souvent l’enfant) mais une difficulté de faire de même pour les autres personnages.

Dans le cas 1 (Marie), la personne ressource (EU), qui n’a pas connu ni l’enfant, ni la famille manifesta une facilité pour se projeter dans le vécu de l’enfant: «EU: Elle est brillante, elle nous connaît. Elle vous connaît. Il ne faut pas oublier que cette enfant-là fait de l’énurésie. Je pense que toutes ces années, elle était un enfant sauvage, sauf qu’elle ne l’était pas forcément à l’arrivée. J’ai l’impression qu’elle a été sévèrement abusée, que ce n’est pas drôle.»; mais elle était également capable de projection dans le vécu de la mère: «EU: Donc une maman qui a travaillé très fort [après son immigration], qui a mis de l’argent de côté, qui a économisé, qui a certainement fait des shifts doubles pour faire venir cette petite. Elle avait dû idéaliser cette réunification. La petite arrive et c’est l’enfer. La petite la rejette, elle griffe, elle mord. Ça ne devait pas être drôle.»; et elle avait la même facilité quant au miroitement affectif des intervenants: «EU: Vous [soignants] êtes là et elle vous en fait baver. Elle vous amène à vos limites [ton de voix mimant

l’exaspération imaginée des intervenants]». Ceci contraste avec la position de beaucoup d’intervenants, notamment l’intervenante principale qui avait la difficulté à élaborer sur les perspectives de la mère, au moins dans un premier temps.

Comme je l’avais mentionné ci-dessus, j’ai tenté de concevoir l’interprétation comme cette recherche de «l’Autre du sens apparent», ou l’articulation de quelque chose de connu avec une autre chose qui l’est moins. Dans le processus de

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16 plutôt, ce qui est éprouvé en soi-même face à l’histoire racontée; et c’est ce connu qui est utilisé pour comprendre la souffrance, les motifs, et les réactions anticipées des personnages (en envisageant un plan d’intervention). C’est dire que même si cette compréhension n’est pas basée sur des inférences élaborées, elle est faite de

projections capables d’interpeller des représentations mentales de la personne. Ce sont ces impressions et ces représentations qui conditionnent l’articulation à la fois de l’intrigue de l’histoire et du rôle projeté du narrateur dans cette intrigue. Ceci a été plus marqué lors de la narration initiale, alors que l’histoire particulière racontée s’articulait bien avec le rôle implicitement projeté de l’intervenant dans l’histoire. Comme on avait vu au cas 1, l’interpellation maternelle (contretransfert) chez l’intervenante conditionna l’intrigue de l’histoire racontée centrée sur la souffrance de l’enfant et les illustrations de la négligence de la mère, à l’opposé d’une intrigue alternative qui aurait pu être centrée sur l’incapacité de la mère à gérer adéquatement les troubles du comportement de sa fille. Le même lien entre rôle projeté et intrigue racontée a été constaté dans les autres cas.

Dans le cas 2, l’intervenant présente le cas d’une famille dont le père est un belge de la deuxième

génération d’immigrants marocains, et la mère est une québécoise anglophone descendante d’immigrants chinois. Le jeune couple s’est marié quand la mère tomba enceinte de Sami, présentement âgé d’environ 2 ans, pour vivre une relation tumultueuse avec des conflits itératifs. Les services de santé mentale se sont impliqués suite à un épisode de violence physique du père à l’encontre de la mère. Lors de la présentation initiale, l’intervenant principal (NC), un TS du CJM, maintenait un style de narration distant de l’expérience privilégiant une présentation de faits d’allure objective. Le style de narration, comme l’intrigue racontée semblaient s’arrimer bien avec le rôle projeté d’examinateur, un rôle qui émergea dès les premiers phrases de la présentation: «NC: les attentes sont à savoir un petit peu… il y a une grande confusion qui règne de qu’est-ce qu’on attribue au culturel, qu’est-ce qu’on attribue peut-être à des difficultés au niveau plus de l’ordre de la santé mentale et dans les distorsions de tout ce qui est distorsions cognitives». Ce même rôle privilégié a été corroboré lors d’autres interventions: « NC: Une fois ils [parents] étaient présents et j’ai fait exprès un petit peu de provoquer la bisbille entre les parents pour voir comment allait réagir l’enfant face à ça».

À de nombreux moments l’analyse met en évidence l’échec de cette inscription subjective ou une incapacité à avoir accès au vécu des personnages. Parfois cet échec

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17 était lié au style continu de quelques intervenants qui rapportaient l’histoire du cas sur une modalité d’historisation distante de l’expérience. Dans d’autres cas on assistait à une forme intermédiaire d’historisation dans laquelle l’intervenant avait une facilité à relater son propre vécu subjectif mais éprouvait des difficultés de s’inscrire dans la subjectivité du patient.

Dans le cas 4, l’intervenante, présente le cas d’une famille d’origine Iranienne installée au Canada depuis 2 ans et demi. Plusieurs intervenants ont été impliqués pour des troubles du comportement chez la mère, une possible dépression chez le père et un conflit parental. Dans ce contexte la mère formula des propos de vouloir se tuer et tuer ses enfants. Après l’abattement de cette crise, l’intervenante principale intervint auprès de la famille; lors de sa présentation elle souligna une difficulté à saisir les parents; la facilité d’élaboration sur son propre vécu semblait contrastait avec cette difficulté notée et attribuée au parents: «EP: On éprouve vraiment le sentiment qu’elle [mère] ne se dévoilera pas, qu’elle est en surface […] on essaie de voir comment on peut percer cette maman-là […] c’est des gens qui sont assez secrets quand même et qui ne vont pas rentrer dans les liens intimes».

Souvent toutefois cet échec de l’inscription subjective dans le monde de l’Autre fut circonscrit, se manifestant vis-à-vis de quelques personnages mais non pour les autres; souvent aussi il se transformait au cours de la discussion.

Facteurs affectant le processus:

Degré d’empathie affective : Il parait paradoxal d’évoquer l’empathie comme un facteur affectant la compréhension interpersonnelle alors qu’elle est une partie intégrale de ce type de compréhension même. Toutefois il semble que, l’abord d’une autre personne en tant qu’un autre esprit comprend des degrés divers d’implication, entre la conscience de la subjectivité de l’Autre, à la sensibilité affective ou empathie affective à son égard, à la mentalisation sur les perspectives de cet esprit. L’analyse met en évidence que la difficulté empathique avec un personnage particulier était associée avec soit une difficulté de mentalisation ou bien une «mentalisation» stéréotypée sur ses motifs et intentions (comme on a vu dans le cas 2 avec l’hypothèse de l’intervenant que le père s’est marié de la mère pour obtenir l’immigration, une hypothèse qui présente

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18 Le contretransfert personnel et culturel : Comme illustré dans quelques exemples ci-dessus le contretransfert et sa nature affectent sensiblement l’articulation

interpersonnelle. On a abordé ci-dessus la définition du contretransfert (p.7) et les nuances qui existent dans sa conception en psychanalyse et en psychiatrie

transculturelle. La compréhension interpersonnelle se distingue du contretransfert dans sa correspondance à une prédisposition plus globale pour comprendre l’Autre comme un esprit «semblable mais différent», une conception qui pourra accommoder à

l’intérieur d’elle des éléments conscients et inconscients, y compris les mouvements de contretransfert. Il advient aussi d’ajouter comme on l’avait postulé que ce mode de compréhension (différemment que le contretransfert dans sa conception

psychanalytique initiale) n’est pas limité à la relation directe entre deux personnes. Au niveau de l’effet du contretransfert, il semble que ce n’est pas uniquement la qualité du contretransfert qui affecte la mentalisation sur l’autre, mais également, et à un degré plus important, l’expressivité de ce contretransfert. On nota à plusieurs reprises que l’expression du contretransfert négatif était associée avec plus de facilité de

mentalisation sur l’Autre.

Dans le cas 4, le contretransfert négatif à l’égard de la mère n’a pas empêché une certaine facilité de mentalisation sur elle de la part d’une participante qui ne l’a pas connue –sans égard pour la pertinence de cette mentalisation- «FE: -Elle [mère] a un potentiel destructeur. Elle n’a pas l’air d’être bien préoccupée de tout ce qu’elle a fait faire comme valses à tous ces enfants-là autour de ses menaces de suicide, de ses accusations envers monsieur. Tout ce que ça a créé de distorsions dans la famille, elle n’a pas l’air d’être très coupable, d’être très mal avec ça.».

Modulation par l’échange dans la réunion : Une question récurrente dans les réunions était celle, souvent posée par la personne ressource, sur le ressenti de l’intervenant sur tel ou tel personnage dans l’histoire du cas. «EU: Toi, comment tu te sentais avec elle?»; «EU: Subjectivement, comment tu te sens avec ce monsieur-là et comment tu te sens avec cette dame-là ?». Cette question avait comme effet de recentrer l’histoire autour d’un autre temps, c’est-à-dire le temps de la réception de l’histoire par l’intervenant principal. Souvent cette interrogation engageait une tentative de compréhension interpersonnelle au moins auprès de l’intervenant principal. Parfois cet engagement se

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19 produisait à l’occasion de questions plus précises ou d’autres hypothèses qui

re-questionnent cette compréhension.

Transformation intertextuelle (articulation historique):

L’articulation historique semble venir comme réponse aux limites de la perspective de la première personne, voire à son «échec». C’est sur cet «échec» que repose le plein sentiment d’altérité, de même que la démarche narrative visant la reconfiguration de l’Autre et de son dilemme actuel. En dépit de ses apports pour interroger l’Autre, la perspective de la première personne, se caractérise par une

certaine certitude illusoire. On imagine un visage particulier et distinct, qui subit un vécu ou une souffrance, mais ceci vient aussi avec la réalisation de la distance perceptuelle entre soi-même et cet Autre, l’échange dans les réunions vient pour corroborer ceci puisque la discussion met en relief l’écart entre les imaginaires des participants sur la même personne du patient comme en témoignent quelques quiproquos dans les réunions. Comme l’avait évoqué Husserl (1950) dans ses écrits sur l’empathie, c’est cette réalisation, qu’en dépit de la visée pour une «co-expérience» entre la personne qui éprouve l’empathie et celui qui vit le vécu, il existe quand même une asymétrie dans leurs expériences, c’est cette réalisation de l’échec d’un accès complet à l’expérience directe de l’Autre qui est constitutive du plein sentiment de l’altérité de l’Autre (Zahavi 2010). L’articulation historique semble donc signaler la recherche d’un terrain historique capable d’étayer et d’étaler la particularité de cet Autre sur des références diverses mais courtes d’inférences théoriques ou causales.

Le processus et ses variations :

L’articulation historique correspond à ce processus du «dire autrement» ou de multiplications historiques autour de l’histoire particulière du patient discuté,

poursuivant ses possibles croisements avec d’autres histoires. On peut emprunter la notion d’une «altérité portée par le texte» de Jauss (1978), dans la théorie de la réception, décrivant la recherche «d’altérités historiques» lors de la lecture d’un texte littéraire. Toutefois, j’ai privilégié le terme de transformation intertextuelle plutôt que

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20 ce premier, pour insister sur quelques éléments caractéristiques de ce processus. Tout d’abord, le matériel de tissage historique est double, et «inter-historique», provenant d’associations émanant de l’intérieur de l’histoire du patient, de l’histoire du narrateur, et de leur entrecroisement. Dans ce sens, il ne s’agit pas d’une simple élaboration du contexte de l’histoire du patient, mais il y a également une tentative d’attacher ces éléments à d’autres histoires «extérieures» pour orienter ce contexte -sans qu’elles constituent pour autant des inférences théoriques ou causales-. En effet, on peut

considérer cette transformation intertextuelle comme une tentative de rapprochement, voire une dialectique, entre le Verstehen (saisir le sens particulier du dilemme pour le patient et sa famille d’une façon enracinée dans leurs mondes, d’où les traces d’une certaine forme de compréhension interpersonnelle) et une recherche de sens enracinée dans des représentations plus générales.

L’analyse a permis d’identifier trois directions dans cette transformation. La première concerne une transformation à l’intérieur de l’histoire du cas discuté, la deuxième concerne les représentations du narrateur, et la troisième concerne l’articulation référentielle historique.

A- Dire autrement la même histoire : Reprise de l’histoire particulière en reconfigurant ses évènements (transformation de l’angle de la narration):

J’appelle l’angle de narration, la prépondérance donnée à une partie particulière de l’histoire, qui est regardée par le narrateur comme le locus central de l’histoire. Non seulement cette partie articule les liens entre les autres parties de l’histoire mais également elle affecte la reconfiguration des identités des personnages dans l’histoire du cas. Ce type de transformation intertextuelle peut être introduit explicitement par un participant dans le but de déstabiliser une certaine version (reconstruction) de l’histoire, ou encore il peut survenir d’une façon spontanée dans le cours du processus dialogique de la discussion. Cette transformation peut s’opérer à travers plusieurs modalités : 1-Soulever/réviser un aspect négligé de l’histoire:

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21 Dans le cas 3, l’intervenante présentait le cas d’une fille de 17 ans d’origine Pakistanaise qui a été victime d’actes de violence de la part de son père et de son frère quand ils ont su qu’elle avait un lien romantique (non-sexuel) avec un homme de confession Sikh. L’intervenante laissa entendre que la colère de la famille était liée au fait qu’ils voulaient la forcer à se marier à un homme au Pakistan: «LP : Puis pour eux c'est impensable que cette jeune-là puisse aller se marier avec un autre garçon, parce qu’eux-mêmes ont été mariés… mariage arrangé dans leur pays puis ils ont marié leur fils l’année passée, de 25 ans, au Pakistan. Donc pour eux c’est impensable puis ils nous le nomment, «C’est impensable, on n’a jamais vu ça dans notre religion, donc ce n’est pas aujourd’hui que ça va se faire». La narratrice transmit sa difficulté d'empathie avec le père, en particulier, à quelques reprises de la narration; toutefois lors de la discussion, le clivage agresseur/victime devint plus mitigé pour des raisons qu’on discutera plus tard; ceci permit un semblant d’empathie à l’égard du père. C’est alors que la narratrice reprit dans la deuxième moitié de la réunion «LP : Mais qu’est-ce qui est intéressant, c’est que les parents, ils étaient prêts à ce qu’elle se marie à quelqu’un qu’elle aime [n’importe qui], mais de la religion Musulmane». Ce détail qui a été ignoré jusqu’à lors change sensiblement les enjeux de l’histoire, et les possibilités de médiation auprès de la famille.

2- Soulever des aspects négligés d’un personnage: La complexification des traits des personnages introduit d’autres hypothèses sur leur comportement et transforme la conception du cas et les perspectives d’intervention.

Dans le cas 3 mentionné ci-dessus, la personne ressource contesta l’image «pure» donnée au père en soulevant quelques aspects pouvant même expliquer son mariage avec la mère: «EU: Ce n’est pas complètement un parfait salaud. Parce que si c’était, comme dit madame, un parfait salaud, il ne serait pas préoccupé du fait qu’elle soit vierge. […] C’est comme si on a l’impression que dans sa loyauté avec la mère il y avait quand même quelque chose où il disait, je lui dois quand même quelque chose».

3-Soulever les perspectives d’un autre personnage négligé:

Dans le cas 1 le focus de la discussion demeura sur les interactions entre la fille et sa mère, jusqu’à ce qu’on réalisa qu’on négligea les personnages du père et de la belle-mère qui se sont occupés de la petite jusqu’à l’âge de 4 ans. En fait les intervenants n’avaient pas eu d’échanges notables avec la famille en Haïti bien que leurs perspectives aient été cruciales pour comprendre la problématique de la fille et leur ré-implication aurait pu être pertinente.

B- Lire autrement la même histoire : reconfiguration des représentations des narrateurs (transformation de la voix de narration) :

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22 Savoir «de quoi on parle» ne dépend pas simplement du traitement et de l’organisation d’éléments factuels mais également de notre lecture de ces éléments. Comme on l’avait expliqué précédemment, l’articulation historique lors de la discussion «explicite

l’implicite» par rapport aux représentations des narrateurs, à partir desquelles l’histoire du cas est reconstruite. Cette explicitation fait la différence entre l’articulation

interpersonnelle et l’articulation historique dans la mesure où elle recrute les médiations narrative et conversationnelle dans la reconfiguration de ces

représentations. Les méthodes suivantes participent à la réalisation de ce processus: 1-Révision (et éventuellement déliaison) des a priori :

La compréhension d’une histoire, implique une démarche qui consiste à la rapprocher de notre monde, voire à l’intégrer dans ce monde. Comme on l’avait mentionné ci-dessus, parfois l’utilisation des «histoires a priori» ou des idées préconçues signalent plus une difficulté de compréhension interpersonnelle que d’habilités à diagnostiquer les problèmes. Ceci c’est manifesté en particulier dans 2 cas des cinq étudiés

(concernant les 2 narrateurs principaux). Dans ces deux cas, on nota que «le rapport de pouvoir» penchait en faveur des idées reçues qui étouffaient l’histoire particulière de la famille à plusieurs reprises. Ceci pouvait se manifester par des postulats interprétatifs savants très tôt dans la narration (apparaissant comme prématurées), ainsi que par l’usage itératif d’étiquetages. Mais le plus important, c’est que dans au moins 1 des 2 cas, il s’est produit une transformation dans ces caractéristiques de l’historisation, une transformation qui s’est bien reflétée tant dans les détails des histoires, les nuances des personnages, que dans l’élaboration du contretransfert de l’intervenante

Dans le cas 3, on nota un changement dans le style de narration vis-à-vis du père: à la place du recours aux représentations générales, voire parfois stéréotypées pour décrire le père, l’intervenante commença à le décrire à partir du ressenti personnalisé qu’il provoque chez elle. Ce changement du style coïncida non seulement avec une révision des représentations vis-à-vis du père mais également une révision d’éléments centraux dans l’intrigue de l’histoire du cas (le quiproquo du mariage arrangé): «LP : Mais devant l’imam, les parents me disent clairement «Nous notre religion c'est plus fort que la loi». Moi je ne savais pas quoi dire, mais dans le sens que ce que je comprenais c’était, on s’en fout un peu des restrictions que vous nous donnez ». Le «devant l’Imam», et «je ne savais pas quoi dire» disent bien des choses sur le vécu de

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23 l’intervenante qu’elle explicita davantage plus tard : «LP: Le père, il ne me fait pas peur. J’ai déjà eu peur dans le passé d’un monsieur… puis lui non, vraiment pas. […] Mais moi ce que je vis c’est vraiment de la frustration, parce que dans ma tête ils ne comprennent pas puis je me dis c’est peut-être moi aussi, qu’on ne se comprend pas… Puis je vois juste le conflit de religion puis ça me fâche. Je vis de la colère puis je ne devrais pas». On peut postuler que ce changement a pu être motivé par l’expression du contretransfert négatif de l’intervenante ainsi que les questionnements soulevés par le groupe.

2- Articulation de sa propre plurivocalité :

Si l’une des fonctions de l’articulation historique est d’épaissir les divers aspects des personnages de l’histoire, il l’est aussi, à un certain degré, en ce qui concerne son propre personnage; dans un certain sens il y a un effet de miroitement entre les deux. Parler de son implication avec les membres de la famille, peut dévoiler la complexité des niveaux d’interpellation suscités par cette implication, non seulement au niveau des a priori à-vis de l’Autre mais aussi au niveau des cadres qui conditionnent les rôles projetés vis-à-vis de l’Autre et leurs possibles conflits.

Dans le cas 5 l’intervenante discute la situation d’une patiente atteinte d’un cancer avancé, et présentant des troubles du comportement, elle s’identifie à une histoire «inventée», elle « nie » son origine

Québécoise et se présente comme une «Parisienne du 16ème»; elle exclut tout le monde dans son

entourage sauf l’intervenante, idéalisée, qui la suit depuis 5 ans-. L’intervenante exprime son malaise, de continuer «de jouer le jeu» sans oser à confronter la patiente qui pourrait être en fin de vie; évoquant ainsi un conflit entre son interpellation en tant qu’une complice d’une personne avec laquelle elle a une affinité, et une interpellation plus enracinée dans la réalité «CV : On est toute liée quand on est avec elle. Elle t’emprisonne dans une espèce de culture du silence avec un fantasme qui n’existe pas vraiment.» « CV: Je suis comme prise à mon jeu maintenant, et puis là on n’est plus en mode jeu. On est devant une réalité qui n’a rien de romantique. Et puis c’est comment sortir de cette espèce de[…] C’est un peu ça mon

problème.».

Dans une autre situation dans le même cas, une question a été soulevée quant à la réaction des

intervenants quand ils sont témoins de propos racistes. EU (la personne ressource) a réagi en évoquant son expérience lors d’une situation d’un préjudice raciste extrême qu’un de ses patients, un enfant, a subi de la part de la directrice de son école! Elle expliqua comment elle a privilégié la démarche de médiation plutôt qu’une démarche judiciaire pour le bien de son patient, en ajoutant qu’elle comprendrait que quelques-uns de ses collègues auraient pu être outrés par ce choix. «EU : La question se pose et se pose de façon

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24 importante. Jusqu’où est-ce qu’on suspend, au nom de l’intervention et d’une position thérapeutique, notre position de citoyen? ».

Ces deux exemples illustrent bien les situations cliniques qui peuvent mettre en conflit nos diverses positions morales, des positions et des valeurs qui font le lit de notre propre étayage identitaire. La complexité de la situation impose une démarche de négociation entre les diverses valeurs et positions. De surcroît ceci doit se produire à l’intérieur du sentiment d’altérité et les considérations qu’il impose:

Dans le cas 5, à titre l’intervenante rapportait comment la patiente était outrée que sa fille ait des relations sexuelles avec son copain; l’intervenante qui porte le voile musulman (avec les valeurs de pudeur implicites), essaya de normaliser ceci, tenant-compte de la culture supposée de la patiente québécoise : « CV :Là je dis, je pense que les filles aujourd’hui ça se fait. Les filles n’attendent même pas 18 ans maintenant!».

3-Articulation de la plurivocalité dans le groupe :

La divergence lors des discussions reflétait, non seulement une divergence de convictions, mais également, des divergences de langages et de perspectives socio-professionnelles. À titre d’exemple le vocabulaire des psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux n’était pas le même, mais il était bel et bien «interprétable» d’un langage à un autre. Ceci était vrai aussi pour les différences de missions et mandats de chaque parti. On assistait souvent dans les réunions à des «traductions» aux autres par exemple sous forme d’une vulgarisation de perspectives psychodynamiques, ou bien des explications sur ce qu’on voit et ce qu’on recherche:

Dans le cas 1, un TS (participant) demanda des précisions sur les interactions mère-fille pendant les visites supervisées, et leurs documentations expliquant la pertinence de ceci pour soutenir les demandes

pertinentes auprès du juge.

C-Dire autrement par d’AUTRES histoires: articulation avec des références historiques extérieures.

L’articulation avec des références historiques externes se distingue du dernier processus de l’interprétation (l’inférence théorique) comme étant des associations d’histoires

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25 plutôt que des inférences sémantiques rationnelles à des idéologies connues.

L’association garde le caractère plus spontané et ouvert (se glissant volontiers d’une histoire à une autre), qui vise à remplir les blancs dans l’histoire particulière (parties ambigües ou vagues dans l’histoire), dans ce sens elle vise à accomplir une certaine épaisseur historique; pour citer la personne ressource «EU: Quand on ne comprend pas quelque chose, on peut prêter nos fantaisies, notre imaginaire, pour essayer d’imaginer ce que ça aurait pu être, tout en sachant et en étant très conscient qu’on peut se tromper». L’histoire associée n’est pas dépourvue d’une visée sémantique (rapprocher le sens de deux histoires) mais d’un côté le caractère historique reflète un intermédiaire entre le sens (le morale de l’histoire) et une sensibilité au vécu personnel; de l’autre côté, l’histoire associée est dépourvue du caractère universel et général des inférences théoriques qui constituent souvent une règle organisatrice. Dans ce sens l’histoire associée demeure dotée d’un sens relatif ou personnel.

On peut relever plusieurs types de références utilisées dans les réunions: 1-Analogie avec les expériences vécues dans le passé:

Dans le cas 3 l’équipe discuta les conséquences de la judiciarisation de la violence que l’adolescente a subi de la part de son père et son frère, quand EU associa des cas similaires qu’elle a eu: «EU : On pourrait parler peut-être plus tard des expériences que moi j’ai eues justement de dossiers judiciarisés où les parents se retrouvaient au criminel à cause de mauvais traitement face aux enfants. Ce n’était pas du tout évident après coup d’essayer de faire machine arrière, parce que les jeunes étaient devenus extrêmement suicidaires, à répétition, et ils faisaient des tentatives de suicide sérieuses chaque fois qu’il y avait une comparution à la cour. En fait, ça les mettait terriblement à risque».

2- Références contextuelles: il s’agit de références à des histoires des faits divers, œuvres littéraires, ou cinématographiques voire des contes de fées, ou fait sociétaire Dans le cas 2 «EU: l’autre livre que je vous conseillerais, c’est un livre de Karine Tuil, ça s’appelle

«L’invention de nos vies». C'est un livre assez extraordinaire, où il y a un jeune homme qui d’une certaine façon ressemble au papa, qui a vécu et est né dans les cités…[elle continua à faire le parallèle entre les deux personnages]».

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26 3- Référence aux enjeux sociétaires actuels (Cf point 2 des facteurs influençant

l’articulation)

4-Références culturelles et Historiques « éclairantes » mais non explicatives:

Dans le cas 1 lors de la réflexion sur le placement de la fille chez quelqu’un de sa famille, une intervenante soulève qu’elle appelle sa tante «maman» (sous-entendant une proximité affective); EU expliqua «pas forcément. Dans beaucoup de cultures africaines et des Caraïbes, le fait d’appeler les figures féminines de la famille «maman» ou «ma tante», même quand il n’y a pas forcément un lien du sang, ça fait partie d’une normalité».

5-Références médicales « éclairantes » mais non explicatives:

Dans un cas non retenu dans l’analyse finale, l’intervenante soulève que la patiente, originaire de l’Ouest de l’Afrique prétendit qu’elle avait subi une excision, mais quand un médecin l’a examiné il l’a nié ceci. EU expliqua les différents types d’excisions pratiquées en Afrique y compris un type moins extensif qui n’est pas facilement décelable par les médecins au Québec.

Facteurs influençant l’articulation historique :

1- « Le contretransfert historique » : effet de la compréhension interpersonnelle: Le thème «intertextualité» traduit bien le paradoxe lié à la multiplication historique, dans la mesure où cette arborescence historique demeure attachée à un «inter»-tronc commun; sans l’émergence d’un lien ou d’une certaine constante par-delà la variation historique, cette variation n’aurait plus d’intérêt. La sagesse commune parlerait de «développer un thème central» à ces histoires ou bien étoffer son contexte; dans un cas comme dans l’autre, ceci suppose un intérieur complet et comblé de l’histoire, qui n’aura qu’à s’étendre pour devenir plus apparent. Cette vision de l’extension d’un noyau formé et fermé de l’histoire suppose, de ce fait, une histoire de cas indépendante de la variation des lectures. Cette vision est, bien entendu, contestée par cette recherche qui releva l’influence de l’intertextualité, impliquant l’incrustation d’histoires externes aux faits historiques de l’histoire du cas, et intervenant dans son façonnement. La question doit donc être reposée: doit-on chercher l’élément générateur de la multiplication

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