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L’élargissement de l’Union européenne dans un contexte de sécurisation croissante des migrations:enjeux et conséquences pour les nouveaux membres de l’Est

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L’élargissement de l’Union européenne dans un contexte de

sécurisation croissante des migrations

Enjeux et conséquences pour les nouveaux membres de l’Est

Marie FONDS

Lex Electronica, vol. 11. n°1 (Printemps/Spring 2006) http://www.lex-electronica.org/articles/v11-1/fonds.htm

http://www.lex-electronica.org/articles/v11-1/fonds.pdf

INTRODUCTION... 2

I - LE PARADOXE DE LA DÉRIVE SÉCURITAIRE EUROPÉENNE : ENTRE INTÉGRATION ET EXCLUSION DE CES NOUVEAUX MEMBRES DE L’EST... 5

A. UNE INTÉGRATION «ÉGALITAIRE» LAISSANT DEVINER LA VOLONTÉ IMPLICITE DE FAIRE PESER LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE SUR CES NOUVEAUX MEMBRES. ... 6

1- Une égalité de droit traduite par l’obligation de reprendre l’acquis communautaire dans son intégralité. ... 6

2- Une inégalité de fait : La non prise en compte des spécificités historiques et géographiques de ces pays... 8

a. Le poids du passé dans le processus d’intégration : l’exemple de la Pologne. ... 8

i. La Pologne et l’immigration dans le contexte post-communiste : vers une libéralisation... 8

ii. La Pologne et l’immigration dans le contexte européen : un retour en arrière... 10

b. Les pays de l’Est comme nouveaux «gardes frontières» de l’Europe. ... 11

B. UNE INTÉGRATION «ÉGALITAIRE» REMISE EN CAUSE PAR LA VOLONTÉ EXPLICITE D’EXCLURE CES PAYS EN MATIÈRE DE LIBRE CIRCULATION DE LA MAIN D’ŒUVRE. ... 12

1. Pays de l’est, membres de seconde classe ? ... 13

2. L’illégitimité et la perversité de ces mesures : Quand l’hypocrisie est au rendez-vous…... 14

II. LES CONSÉQUENCES NÉFASTES D’UNE TELLE DÉRIVE: UN RISQUE POUR LES DROITS HUMAINS ET LA STABILITÉ DE LA RÉGION... 16

A. DES RÉPERCUSSIONS «HUMAINES» INQUIÉTANTES : UN VÉRITABLE DÉFI POUR LES DROITS FONDAMENTAUX. ... 16

1. Une sécurisation qui rime avec une augmentation de l’immigration irrégulière. ... 17

2. La hausse de la criminalité et du trafic dans la région. ... 18

3. L’asile : Un droit de plus en plus compromis... 19

B. LA REMISE EN CAUSE DE L’ÉQUILIBRE SOUS-RÉGIONAL... 21

1. Le «coût» de cette nouvelle frontière Schengen : la non prise en compte des dynamiques existantes dans la région... 22

2. Les débuts d’une prise de conscience européenne. ... 23

CONCLUSION... 23

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Introduction

La migration est un phénomène inhérent à la nature humaine. Depuis la nuit des temps, l’homme se déplace de part et d’autre du globe dans un but spécifique : sa survie. Dès la préhistoire, où les hommes qui vivaient de chasse et de pêche se déplaçaient en vue de renouveler leurs ressources, jusqu'à aujourd’hui où les moyens de communications ont littéralement bouleversé la donne, le phénomène migratoire n’a cessé d’exister. Il a évolué, a changé de logique, s’est accéléré ou a été freiné mais a toujours persisté.

Si ce phénomène n’est pas nouveau, il faut cependant préciser que depuis un certain nombre d’années, il suscite de plus en plus d’inquiétudes et de craintes de la part des pays hôtes. L’augmentation des inégalités entre les pays du nord et du sud, l’éclatement de conflits de part et d’autre de la planète, ceci couplé avec l’évolution des moyens de transports toujours plus performants, ont contribué à amener un nombre de personnes de plus en plus important à se déplacer et à vouloir migrer1

, accentuant ainsi l’appréhension de la part de ces pays hôtes et principalement des pays occidentaux2

.

En effet, après avoir favorisé ces migrations pendant des années par besoin de main d’œuvre, ces pays sont désormais entrés, depuis le début des années 90, dans une toute autre logique. Une logique de fermeture, de peur et de sécurisation constante des migrations. Qu’il s’agisse des pays d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale, tous sont entrés dans cette dynamique extrêmement paradoxale à laquelle nous allons nous intéresser dans notre analyse : d’un coté les pays hôtes prônent l’ouverture économique et se sont donc ouverts à l’extérieur par le biais d’accords de libre-échange et de coopération économique3

,et de l’autre, ils revendiquent un contrôle de plus en plus serré des migrations, défiant donc l’équation voulant que la libéralisation des biens et des services ainsi que des flux de capitaux soient accompagnés, logiquement, d’une circulation des personnes (notamment à des fins de travail).

La tendance est donc à la restriction et au tri. Seuls les « meilleurs» immigrants sont autorisés à venir. Dans ce contexte, ce sont les personnes les plus vulnérables, ou celles menacées dans leurs pays d’origine et qui entrent dans les critères de la convention de Genève relative au statut des

# Cet article a été écrit dans le cadre d'un séminaire interdisciplinaire de maîtrise intitulé « L’immigration et la sécurité : nouveaux enjeux internationaux » (http://cdim.cerium.ca/article696.html), regroupant des étudiants en sciences politiques et des étudiants en droit de l’Université du Québec à Montréal.

1 Voir Wihtol de Wenden, Catherine. L’Europe à 25 et les migrations : mesures de protection adoptées à

l’encontre des ressortissants des nouveaux État-membres par les quinze. Notre Europe, études et recherches [En

ligne], 2004. www.notre-europe.asso.fr/IMG/pdf/dewenden-2.pdf . Voir généralement Marie Revel et Sarah Mangolini, Migrations mondiales et européennes : évolution et nouvelle donne,[En ligne], 2005. http://www.hcci.gouv.fr/lecture/synthese/sy003.html, Voir également, Saskia Sassen, LE TRAVAIL MONDIALISÉ.

Mais pourquoi émigrent-ils ? Le Monde Diplomatique, Novembre 2000.p 4 et 5.

2 Soulignons néanmoins que contrairement aux idées reçues, les mouvements de populations du Sud vers le Nord sont loin d’être majoritaires, ces dernières se déplaçant avant tout au sein même du Sud. A titre d’exemple, il faut savoir que l’Amérique du Nord comptait 1 241 930 réfugiés au 1er Janvier 2000 alors que l’Afrique en comptait 6 2 5 0   0 0 0 S o u r c e : U N H C R 2 0 0 2 , d i s p o n i b l e s u r l e s i t e d e l ’AQOCI : http://www.aqoci.qc.ca/ComprendreEtAgir/Documents/Fiches/Immigration.html

3 Existent par exemple pour l’Amérique du Nord, les Accords de libre-échange nord-américain (ALENA) et pour l’Europe, l’EUROMED qui est un partenariat entre l’Europe et la méditerranée visant entre autre à mettre en place un partenariat économique et financier et l’instauration progressive d’une zone de libre-échange d’ici 2010.

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réfugiés de 1951 4

, qui se voient de moins en moins protégées. Tout est mis en œuvre pour restreindre au maximum l’accès à une protection respectant les droits humains, et sur ce point, le 11 septembre 2001 a fortement contribué à accélérer la tendance. De fait, les mois qui ont suivi les attentats ont vu pléthore de législations diverses prendre formes. Des législations ultra sécuritaires et de plus en plus liberticides, où les droits humains, aussi bien des migrants que des demandeurs d’asile, ont été occultés. Pour ne citer que quelques exemples, ont été mis en place entre les États-unis et les pays frontaliers, ce que l’on appelle des «frontières intelligentes», ayant pour but une sécurisation maximale des frontières et de l’immigration. Cette sécurisation passe notamment par la mise sur pied d’un certain nombre de moyens extrêmement élaborés pour contrôler les frontières. Les mesures biométriques5

, par exemple, représentent pour les défenseurs des droits humains, une véritable menace à la liberté d’aller et de venir et au droit à la vie privée6

. Les accords de «tiers pays sûrs»7

entre les États-unis et le Canada entrent également dans cette logique restrictive, de même que la multiplication des refoulements et des détentions abusives de migrants illégaux.8

Bien évidemment, l’Union Européenne (UE) n’échappe pas à cette logique paradoxale. Si elle s’ouvre de l’intérieur, notamment grâce aux accords de Schengen et à la libre circulation des personnes, il ne faut pas perdre de vue que cette ouverture va de pair avec une fermeture toujours plus importante de l’Union vis-à-vis de l’extérieur. L’expression «forteresse Europe» est d’ailleurs devenue tristement célèbre car nombreux sont ceux qui se heurtent à ces frontières extrêmement rigides.

Dans ce contexte, l’élargissement de l’Union Européenne en mai 2004, à dix pays de l’Est9

, a soulevé et soulève encore bon nombre d’inquiétudes et de préoccupations en ce qui concerne le phénomène migratoire. Les pays d’Europe de l’Ouest craignent notamment la concurrence d’une main d’œuvre bon marché ou encore un afflux incontrôlé de migrants illégaux ayant réussi à passer les frontières (réputées poreuses) de ces nouveaux membres. Il faut reconnaître que cet élargissement sans précédent pour l’Union, constitue un véritable défi : celui d’intégrer dix nouveaux membres qui sont d’une part, issus de l’ancien régime communiste et qui ont par conséquent une expérience en matière de contrôle migratoire des plus réduites 10

, et qui, d’autre part, représentent un certain potentiel migratoire qui inquiète cette Europe préoccupée de plus en plus par ses frontières et par sa sécurité.

4 Convention relative au statut des réfugiés, Genève le 28 juillet 1958. Nations Unies, Recueils des Traités N°2545, Vol 189, p.137.

5 Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-unis ont à plusieurs reprises modifié leurs dispositions d'entrée.Les scanners faciaux et oculaires, les empreintes digitales et la reconnaissance vocale, sont devenus des éléments de sécurité majeurs et font parties de ces mesures biométriques.

6 Voir sur ce point : Citoyenneté et immigration Canada, «Deuxième réunion d’experts : Biométrie – C o m p r e n d r e e t é v a l u e r l e s i n c i d e n c e s d e l a b i o m é t r i e » . [ E n l i g n e ] , 2004.http://www.cic.gc.ca/francais/pub/biometrie/reunion-2.html

7 L’accord de « tiers pays sûr » vise à obliger les demandeurs d’asile à revendiquer le statut de réfugié dans leur premier pays d’arrivée si ce pays est considéré comme «sûr». Concernant l’accord entre les États-Unis et le Canada, les États-unis sont considérés comme un pays sûr.

8 Voir généralement la «déclaration sur la frontière intelligente» Ottawa (Canada), Le 12 décembre 2001. [En ligne], http://www.canadianembassy.org/border/declaration-fr.asp

9 Font désormais parties de l’Union la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie, la Slovaquie, l’Estonie, Chypre et Malte.

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En effet, l’Europe a commencé véritablement à s’organiser en matière migratoire à la fin des années 8011

, ceci en posant un certain nombre de bases politiques et juridiques. Ces bases se

situent dans un ensemble complexe de textes d’émanation communautaire ou intergouvernementale et proposent ainsi un socle de mesures relatives aux politiques d’admission et aux moyens de lutte contre l’immigration illégale. Les accords de Schengen12

, signés le 14 juin 1985 et dans lesquels la France, l’Allemagne et les trois pays du Benelux définissent la notion de frontière extérieure et s’entendent sur la suppression graduelle des contrôles aux frontières intérieures, posèrent les premiers jalons de cette politique européenne13

Fut ensuite élaborée la convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des états membres de l’Union européenne, appelée également Convention de

Dublin14

. Le Conseil des ministres adopta également, au cours de cette période, un certain nombre de résolutions visant par exemple à harmoniser les principes en matière de regroupement familial ou concernant la limitation de l’admission à des fins d’emplois des ressortissants de pays tiers15

.

Cette étape se trouve ainsi être marquée par une forte volonté d’harmonisation européenne dans un sens relativement restrictif. Comme le souligne Claude Valentin Marie dans un rapport de 2004, l’Europe semble, à travers tous ces textes, prioritairement vouloir se doter d’une « police de l’étranger » plutôt que d’élaborer une véritable politique d’immigration. L’accent est donc mis sur la répression et rien n’est envisagé concernant les causes profondes du phénomène16

. Une étape essentielle a d’ailleurs été franchie dans ce sens avec le Traité d’Amsterdam17

puisque les politiques d’asile et d’immigration qui étaient jusqu’alors de la compétence exclusive des États, ont désormais en partie été transférées à l’Union Européenne. Ce Traité, entré en vigueur en 1999, devient ainsi le principal fondement juridique de la politique Européenne d’immigration. Avec lui, les États confient désormais à l’Union la mission de définir une législation Européenne en la matière18

.Les décisions adoptées sont de véritables lois Européennes qui, dès qu’elles entrent en vigueur, priment sur le droit national. Le sommet de Nice qui s’est tenu en décembre 2000 n’a d’ailleurs fait que confirmer cette volonté de transfert accrue de compétence envers

11 Voir Wihtol de Wenden, Catherine. L’Europe à 25 et les migrations : mesures de protection adoptées à

l’encontre des ressortissants des nouveaux État-membres par les quinze. Notre Europe, études et recherches [En

ligne], 2004. www.notre-europe.asso.fr/IMG/pdf/dewenden-2.pdf

12 Acquis de Schengen - Accords entre les gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985. Journal officiel n° L 239 du 22/09/2000 p. 0013 – 0018 13 Dans cette perspective, sera signée le 19 juin 1990 une convention d’application de ces accords, définissant les modalités de mise en œuvre de l’objectif de libre circulation. Cependant, les dispositions Schengen n’ont commencé à être appliquées qu’à partir de 1995 et seulement entre 7 des 10 États alors parties.

14 Convention, relative à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres des Communautés européenne. Journal officiel n° C 254 du 19/08/1997 p. 0001 - 0012. Cette convention, adoptée en 1990, entend éviter deux types de situations : le cas des demandes d’asile multiples présentées par un même étranger dans plusieurs États, et le cas des réfugiés dits « sur orbite», renvoyés d’un pays à l’autre et pour lesquels aucun État ne se reconnaît compétent

15 Guiraudon, Virginie. La politique européenne d’immigration après le Traité d’Amsterdam. Migrations Société. Vol.15, N°87 (2003), p.129-141.

16 Marie, Claude-Valentin. Prévenir l'immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques

politiques et droits des personnes. Strasbourg, Éditions du Conseil de l'Europe, 2004.

17 Traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, Journal officiel n° C 340 du 10 Novembre 1997.

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l’UE. Grâce à ces traités, la marge de manœuvre laissée aux États en matière de politique migratoire est devenue extrêmement minime. D’autres événements sont venus également confirmer cette volonté d’harmonisation dans un sens répressif et sécuritaire. Ce fut le cas du conseil Européen de Tampere de 1999 ou du sommet de Séville de 2002 qui ont affiché comme objectif prioritaire la lutte contre l’immigration illégale et ont décidé d’accélérer ce processus d’harmonisation Européenne tout en mettant l’accent sur des aspects sécuritaires. L’année 2003 a également été marquée par le sommet de Thessalonique et les accords de Dublin II sur l’asile. Selon ces derniers, c’est dans le premier pays de l’Union où le demandeur a posé le pied qu’il doit faire sa demande d’asile, peu importe si il possède de la famille dans un pays spécifique de l’Union ou si il a des affinités culturelles et linguistiques avec l’un d’eux.

Sans entrer dans l’analyse minutieuse de ces différents instruments, on constate aisément que ces mesures et politiques ont pour objectif affiché de rendre l’Union Européenne plus sécuritaire et hermétique, d’où l’expression « forteresse Europe». Cet objectif, comme nous allons le voir, est difficilement conciliable avec un objectif d’ouverture et d’élargissement de l’Union à des pays qui non seulement n’ont ni l’expérience ni les moyens de gérer une pression migratoire importante mais qui, par cette adhésion et du fait de leur position géographique, joueront le véritable rôle de «garde frontière» de cette nouvelle Europe. L’année 2004 est d’autant plus intéressante sur ce point, qu’elle a vu d’un coté toutes ces nouvelles législations sécuritaires entrer en vigueur et de l’autre ces 10 nouveaux membres issus de l’Est devenir parties de l’UE. Ces changements fondamentaux semblent donc vouloir s’opérer dans un laps de temps très réduit ce qui accentue la difficulté du défi dans lequel est plongée l’Europe des 15 et ses dix nouveaux membres.

Dans les pages qui suivent, nous essaierons de comprendre dans quelle mesure cette politique migratoire européenne, dans sa dérive sécuritaire, est contradictoire avec l’élargissement récent de l’Union, et de quelle manière ce paradoxe contribue-t-il à faire reposer toutes les pressions sur ces nouveaux membres, pressions qui favorisent l’apparition d’un certain nombre d’effets pervers.

Dans une première partie, nous analyserons les tenants de cette ambiguïté. Nous verrons que les critères ultra-sécuritaires imposés à ces pays sont contradictoires avec leur réelle intégration, que si cette intégration se veut égalitaire car les mêmes critères sont imposés à tous, elle est totalement inégalitaire dans les faits. Le problème de la «libre circulation» de la main d’œuvre témoigne d’ailleurs parfaitement de cette ambivalence. Puis, dans un second temps, nous constaterons que cette ambivalence a pour effet de générer un certain nombre de conséquences qui pourraient, à terme, remettre en cause la stabilité et la sécurité de la région et ainsi produire les effets inverses à ceux qui sont escomptés par cette politique migratoire.

I - Le paradoxe de la dérive sécuritaire européenne : entre intégration et

exclusion de ces nouveaux membres de l’Est.

Si le nouvel élargissement de l’Union est marqué par la nécessité d’intégrer de nouveaux membres, dans les faits, cette intégration est loin d’être évident. Il s’agit là d’un processus complexe et périlleux visant à créer un espace européen homogène, paisible et égalitaire. Dans le développement suivant, nous verrons que dans le domaine de la politique migratoire européenne, la problématique est la même. Il s’agit pour ces nouveaux membres de s’intégrer en reprenant une politique communautaire déjà existante et exigeante en matière migratoire, ce qui est loin d’être évident. Nous constaterons ainsi, dans un premier temps, que si cette intégration se veut

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«égalitaire», elle se traduit dans les faits par un certain déséquilibre au détriment des nouveaux membres, ceci notamment du fait que ces derniers se retrouvent être implicitement responsables, pour une grande part, de la nouvelle sécurité européenne. Puis nous verrons par la suite que cette intégration est également remise en question par le fait que ces nouveaux membres se retrouvent

explicitement exclus, ceci de manière temporaire, des avantages que devrait leur procurer cette

nouvelle adhésion à l’Union.

A. Une intégration «égalitaire» laissant deviner la volonté implicite de faire

peser la sécurité européenne sur ces nouveaux membres.

Dans les faits, l’intégration de ces nouveaux membres se traduit par une égalité devant la loi et non par une égalité par la loi. En effet, ces derniers se trouvent, grâce à leur adhésion, soumis aux mêmes textes juridiques en matière migratoire que leurs condisciples, ceci sans qu’aucune considération ne soit accordée soit à leur situation géographique, soit à leur situation politique et économique, ce qui a pour conséquence de favoriser l’apparition d’une situation véritablement inégalitaire entre les États membres.

1- Une égalité de droit traduite par l’obligation de reprendre l’acquis

communautaire dans son intégralité.

Devenir membre de l’UE n’est pas évident, les critères définis par le conseil Européen de Copenhague de 1993 étant clairs et sans équivoque : les pays candidats doivent satisfaire à un certain nombre d’exigences. Sont visées principalement des institutions stables garantissant la démocratie et la primauté du droit, la capacité d’assumer les obligations résultant de la qualité d’État membre et l’existence d’une économie de marché. Ces exigences ont notamment pour but d’harmoniser les disparités entre les États pour que ceux-ci soient sur un même pied d’égalité et qu’il n’y ait pas ce que l’on nomme communément, des membres de «seconde classe».

Dans le domaine des migrations, il en va de même. Tout pays qui souhaite adhérer à l’UE doit reprendre de manière intégrale «l’acquis communautaire» et ceci sans pouvoir obtenir de dérogation. Cette obligation est également le fruit d’une volonté européenne d’égalité entre les États concernant le phénomène migratoire. Égalité à laquelle il est d’ailleurs souvent fait référence sous les termes de « partage du fardeau de l’immigration»19

et ayant pour but de favoriser une plus grande sécurité européenne. Cependant, comme le soulève Daphné Bouteillet-Paquet, il ne faudrait pas que ce partage des responsabilités tel que prévu dans l’«acquis» se transforme en véritable transfert du « fardeau»20.

Mais qu’est-ce que l’acquis communautaire ? Il s’agit en fait de l’ensemble du dispositif européen, établi notamment depuis les accords de Schengen et de Dublin, incluant la signature et l’application des accords de Schengen, de Maastricht et d’Amsterdam, relatifs au contrôle des frontières externes de l’UE, à la libre circulation interne, aux accords de réadmission, à la lutte contre l’immigration illégale et à la solidarité dans le traitement des demandeurs d’asile. Il s’agit donc là, comme nous l’avons vu en introduction, de reprendre un ensemble de textes mettant l’accent sur des aspects sécuritaires et répressifs en matière de migration. Pour atteindre ces objectifs, les États candidats ont donc dû se doter d’une nouvelle législation conforme aux

19 Bouteillet-Paquet, Daphné. La définition d’une politique migratoire communautaire dans un espace élargi : Quelles conséquences pour les pays d’Europe centrale ? Migrations Société. Vol.13, N°74 (2001), p.69 -75.

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normes Européennes. Ils se sont notamment alignés sur la législation européenne en matière de protection dans le domaine des migrations, et en matière de contrôle des frontières.

Pour ne citer que quelques exemples, dans le domaine de la protection contre l’immigration, la Pologne a adopté le 25 juin 1997 une loi sur les étrangers précisant les principes sur lesquels sont basés l’entrée et le séjour des étrangers sur le sol Polonais. La Hongrie a fait de même puisqu’en 1998 elle adoptait une nouvelle loi sur les réfugiés. La République Tchèque a quant à elle voté en 1999, deux nouvelles lois sur l’asile et sur l’entrée et le séjour des étrangers. L’adoption de ce nouveau cadre législatif a permis à ces pays d’intégrer l’acquis communautaire concernant la protection tout en leur donnant les moyens dont ils avaient besoin pour combattre les migrations irrégulières et pour sécuriser leurs frontières.

En effet, dans le domaine du contrôle, les pays candidats ont tous commencé à équiper leurs frontières et à durcir les conditions d’entrée sur leur territoire par plus de vérifications. Des mesures d’ordre répressif ont également été adoptées afin de lutter efficacement contre le trafic de migrants et le travail clandestin. Certains pays ont même amendé leur code pénal. Tous ces changements vont donc bien dans le sens d’une intégration de ces nouveaux membres, le but étant, depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, d’arriver à une situation où tous les membres de l’Union seraient soumis de manière égalitaire à une seule et même «loi européenne» en matière migratoire.

Malheureusement, si égalité de droit il y a et l’on ne peut pas en douter, reprendre tous ces textes n’impliquent pas la même chose pour un pays d’Europe occidentale et un pays d’Europe de l’Est. En effet, les pays déjà membres ont non seulement participé à l’élaboration de ces textes mais en plus, certains de ces pays se trouvent être relativement protégés et avantagés grâce à leur situation géographique et à leur passé migratoire. Par exemple, un pays comme la France, qui est un pays d’immigration de longue date, a déjà toute l’expérience et les moyens requis pour gérer ces flux migratoires. Dans le même temps, la France est un pays relativement protégé des pressions migratoires puisqu’il se situe au cœur de l’Europe, bénéficiant ainsi d’un certain «filtrage» de la part de ses voisins européens (Espagne, Italie ou Allemagne). Il n’en va pas du tout de même pour les nouveaux membres de l’Est pour qui ces conditions sont plus difficiles à respecter. Ces derniers se retrouvent, en adhérant à l’UE et grâce à leur position géographique, responsables des frontières extérieures de l’Europe et doivent jouer le rôle de «garde frontière» de l’Union21

. De plus, comme nous allons le voir avec l’exemple de la Pologne, ils ne disposent ni de l’expérience, ni des moyens des pays de l’Europe de l’ouest pour mettre en place ces politiques22

.

L’Europe des 15 est cependant consciente de cela et a donc mis en place différents instruments visant à aider et guider ces pays. Fut notamment élaboré le programme Phare visant à l’information, la formation, l’échange de données et favorisant la coopération interrégionale. Des aides financières leur ont également été accordées. Mais malgré toute cette bonne volonté, Bruxelles juge encore les progrès de ces pays insuffisants, la sécurisation des frontières apparaît bien difficile, et l’ampleur des interpellations effectuées à la sortie du territoire de ces pays vers l’UE semble en témoigner fortement23

.

21 Voir la partie I-A-2-b, ci-dessous, pour l’analyse de cette question. 22 Voir la partie I-A-2-a, ci-dessous, pour l’analyse de cette question.

23 Bouteillet-Paquet, Daphné. La définition d’une politique migratoire communautaire dans un espace élargi : Quelles conséquences pour les pays d’Europe centrale ? Migrations Société. Vol.13, N°74 (2001), p.69 -75.

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De nombreuses critiques peuvent donc être faites concernant le fait que les négociations d’adhésion soient basées sur le principe de reprise intégrale de l’acquis communautaire, ceci sans tenir compte des particularités des pays candidats. À titre d’exemple, sont souvent citées les difficultés en matière de visas24

.

Ainsi, malgré l’aide octroyée à ces pays, on constate que ne découle pas nécessairement d’une égalité de droit, une égalité de fait. Pour se faire il aurait été judicieux de prendre en compte les spécificités aussi bien historiques que géographiques de ces nouveaux membres.

2- Une inégalité de fait : La non prise en compte des spécificités

historiques et géographiques de ces pays.

Afin d’illustrer au mieux quel est l’impact profondément inégalitaire que peut engendrer la reprise d’instruments juridiques aussi contraignants, nous allons, dans un premier temps, prendre l’exemple de la Pologne. Nous évaluerons ainsi le poids du passé dans ce processus d’intégration. Dans un second temps, nous verrons que cette inégalité se traduit également au travers du rôle de «garde frontière» que sont obligés de jouer ces nouveaux membres.

a. Le poids du passé dans le processus d’intégration : l’exemple de la

Pologne.

La Pologne a toujours été, et ce depuis plus de cent ans, un pays d’où provient un grand nombre d’immigrés et un véritable réservoir de main d’œuvre pour les pays de l’Ouest. De par sa situation géographique et politique, elle s’est souvent retrouvée au cœur des conflits Est-Ouest. La seconde Guerre Mondiale mais aussi et surtout la guerre froide ont eu un impact énorme sur ce pays, ceci notamment dans le domaine des migrations25

. La Pologne a depuis longtemps la

vocation d’être un pays de départ et de transit, mais depuis quelques années son rôle dans les migrations internationales s’est complexifié, ceci notamment grâce à son adhésion à l’UE.

Elle illustre ainsi la problématique de ces nouveaux membres de l’Est. Comme eux, elle fait partie de l’ancien bloc communiste et ce passé n’est pas sans avoir laissé de trace. Depuis la fin des années 80, ces pays ont subi de grosses mutations politiques, économiques et sociales. Ces bouleversements ont influencé le phénomène migratoire de cette région d’une manière non équivoque et il nous est impossible d’analyser cet élargissement et ces impacts migratoires sans prendre en considération ce point d’histoire essentiel.

i. La Pologne et l’immigration dans le contexte post-communiste : vers une libéralisation.

Durant toute la période communiste, et ceci à l’instar des autres pays d’Europe centrale et orientale, le domaine des migrations en Pologne fut marqué par des contrôles militaires stricts effectués par l’Union Soviétique. En fait, les frontières Polonaises sont restées pratiquement sans surveillance du côté polonais, ceci jusqu’à la chute du régime. Durant cette période, la politique polonaise des migrations refléta essentiellement des principes isolationnistes dictés par Moscou.

24 En effet, les politiques communautaires demandent aux nouveaux membres d’imposer un visa à des pays tels que la Roumanie ou l’Ukraine, pays où résident notamment des minorités nationales hongroises et polonaises. Voir la discussion plus approfondie de ce point dans la partie II-B-2 ci-dessous.

25 Iglicka, Krystina. Priorities and developmental directions of polish migration policy. Analyses et opinions n°13. The institute of public affairs. [En ligne], 2004.

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Les citoyens polonais ne pouvaient quitter facilement le pays du fait de ces politiques restrictives qui limitaient les visas de sortie et la procuration de passeports, faisant ainsi de la Pologne un pays fermé. Quand l’État accordait une permission à un citoyen de quitter le pays, c’était toujours de manière très limitée dans le temps26

. Dans un tel contexte de répression et de fermeture, on comprend aisément que la fin du régime communiste en 1989 et de l’URSS ait eu des conséquences importantes sur la Pologne. Conséquences aussi bien politiques, qu’économiques et ethniques.

En effet, à la chute du régime, la Pologne libéralisa totalement sa politique. Elle donna aux citoyens polonais la possibilité d’avoir un passeport et conclut avec les États signataires de la

Convention de Schengen, des accords sur la suppression réciproque des visas touristiques. Suite à

ces changements, les tendances migratoires évoluèrent. Si aujourd’hui, plus de personnes quittent encore la Pologne en comparaison avec ceux qui entrent, les chiffres évoluèrent dans le sens d’une augmentation considérable de l’immigration à l’encontre de la Pologne27

.

Du point de vue de la législation, il n’est pas exagéré de dire que la Pologne n’était absolument pas équipée. Avant 1989, la seule loi existant en la matière était la loi sur les étrangers de 1963. Cette loi, élaborée à un moment où peu d’étrangers pénétraient le pays, définissait les conditions d’entrée, de séjour et de départ des étrangers. Par conséquent, des lois ont dû être adoptées dans une relative urgence, le but étant de se doter d’une législation cohérente. En 1997, une loi sera votée qui va tracer les grandes lignes de la politique d’immigration du pays. Elle va définir les conditions d’entrée, de séjour, de sortie et de transit des étrangers, délimiter les responsabilités en matière d’immigration, définir les pouvoirs des différentes administrations et détailler les droits et les devoirs des étrangers. Elle établira également un système garantissant le statut de réfugié et définira les notions de tiers pays sûr et de pays sûr d’origine.28Une loi sur l’emploi sera également

votée en 1994 afin de définir les conditions d’accès des étrangers au marché du travail. Par ailleurs, le pays ratifiera la Convention de Genève de 1951 ainsi que son protocole, puis en 1993, la convention Européenne pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Durant cette période, la politique polonaise en matière de migration a donc été marquée par la libéralisation massive, pas nécessairement voulue mais subie du fait du manque de moyen et de structure et de la rapidité d’évolution des évènements. Cependant, petit à petit, la perspective d’une adhésion à l’UE s’est faite de plus en plus sentir et il devenait alors urgent pour la Pologne de réagir et de prendre un peu plus en considération les critères européens en matière de migration. Cependant, opérer de tels changements en aussi peu de temps ne s’est pas avéré facile et ne pouvait se faire qu’au détriment de certains domaines.29

26 Ceux qui espéraient quitter pour de meilleures conditions de vie et pour une durée plus longue devaient donc prendre leur décision en sachant qu’ils ne pourraient revenir dans leurs pays. Ceci rendait le choix très difficile mais malgré cela, ils furent 6 millions à choisir de partir. Voir sur ce point Iglicka, Krystina. EU membership highlights Poland’smigration challenges. Migration information source [En ligne], 2005.

http://www.migrationinformation.org/Feature/display.cfm?ID=302

27 En 89, 2 200 personnes retournèrent en Pologne, en 2003, ils furent 7000 à retourner au pays. Voir Iglicka, Krystina. EU membership highlights Poland’smigration challenges. Migration information source [En ligne], 2005.

http://www.migrationinformation.org/Feature/display.cfm?ID=302 .

28 Ibid et voir également Okolski, Marek. La politique migratoire de la Pologne à la veille de son adhésion à l’Union européenne. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.51-59.

29 Référence est ici faite au manque de moyen dont dispose la Pologne pour mettre en place ces dispositions et aux concessions que celle-ci a dû faire, notamment vis-à-vis de ces voisins de l’est. Voir la discussion plus approfondie de cette cause page 15.

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ii. La Pologne et l’immigration dans le contexte européen : un retour en arrière.

Après une libéralisation à tout va, la Pologne a dû raffermir sa politique des visas et procéder à une sécurisation accrue de ses frontières, mettre en place une législation cohérente et assurer une plus grande coopération par le biais de la signature de différents accords.

Tout d’abord, pour faire suite à un document de l’UE de 1998, intitulé partenariat pour

l’adhésion30

, et qui recommandait aux nouveaux membres de fermer leur frontière, le

gouvernement polonais a dû rétablir l’exigence de visas pour les ressortissants de la Communauté des États Indépendants (CEI). Rappelons ici qu’une fois membre, la Pologne est désormais responsable d’une frontière extérieure communautaire de plus de 2000 km, constituée de lacs, de montagnes et de forêts, ce qui explique pourquoi toutes les inquiétudes se tournent vers elle : la frontière polonaise représente un enjeu considérable pour l’UE qui s’est d’ailleurs préparée à la soutenir dans la sécurisation de celle-ci.31

La Pologne a également dû durcir sa législation en matière migratoire. En effet, bien que la loi sur les étrangers de 1997 ait été présentée comme un tournant, elle a dû être amendée un certain nombre de fois en vue de répondre au mieux aux critères communautaires. Fut voté en avril 2001, par le Parlement polonais, un amendement clarifiant certaines questions relatives aux demandeurs d’asile. Cet amendement introduisit une institution gouvernementale responsable de la formulation de la politique migratoire et fut ainsi créé le bureau pour le rapatriement et les étrangers. Il faut néanmoins noter ici que la tâche de ce bureau ne s’est pas avérée facile pour diverses raisons, notamment à cause d’un manque de fonds et de personnel qualifié32

. En janvier 2001, entra également en vigueur une loi sur le rapatriement, ayant pour objectif de faciliter la réinstallation des gens d’origine polonaise et de clarifier les conditions d’obtention de la citoyenneté polonaise. Enfin, fut mise en place en 2003, une loi visant à approfondir les changements de 2001 en séparant clairement les demandeurs d’asile des migrants économiques. On constate donc, à travers ces changements législatifs, que ceux-ci ont été nombreux et n’ont pas toujours été suivis des effets escomptés.

Toujours dans une perspective d’adhésion, la Pologne a également signé plusieurs accords bilatéraux avec les pays Européens. En mai 2001, elle a signé un accord de réciprocité en matière d’emploi des travailleurs saisonniers avec l’Espagne. Elle a par ailleurs conclu des accords de réadmission avec ses voisins, l’Allemagne en 1993 puis, l’Autriche, la Lettonie, l’Estonie, la République Tchèque et la Slovaquie.

Cependant, le domaine qui pose actuellement le plus de problème à la Pologne en matière d’adaptation aux exigences de l’Europe et notamment de Schengen, est celui des visas. En effet, la Pologne est désormais obligée d’exiger des visas pour laisser entrer les nationaux de ses voisins de l’Est venant de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie. Ces mesures ne prennent

30 Moore, Marketa. Politiques migratoires émergentes en Europe centrale et orientale. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.61-82.

31 L’Europe a fourni une aide financière afin que la Pologne améliore la protection de sa frontière Est, ceci en lui octroyant une aide de 20 millions d’Euros dans le cadre du programme PHARE en 1998. La plupart de cette somme ayant été allouée aux services des gardes frontières. L’Allemagne, voisine de la Pologne a également soutenu financièrement la Pologne, notamment concernant les équipements des postes frontières en matière de communications et de transport (hélicoptères et bateaux rapides pour surveiller les eaux territoriales).

32 Iglicka, Krystina. EU membership highlights Poland’smigration challenges. Migration information source [En ligne], 2005. http://www.migrationinformation.org/Feature/display.cfm?ID=302

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absolument pas en compte la nature spécifique des relations qu’entretiennent ces pays entre eux et risquent d’affaiblir les échanges transfrontaliers, dont dépendent bon nombre de nationaux aussi bien Polonais que Biélorusse ou Ukrainiens33

.De plus, le déplacement de la frontière à l’Est et la sécurisation accrue de cette dernière a contribué à développer le trafic de main d’œuvre et la corruption34

. Cette situation a même amené les autorités polonaises à réagir en 1998, dans le sens d’un renforcement des contrôles aux frontières, mais la population frontalière n’a pas tardé à réagir et à protester, les autorités sont donc revenues en arrière en radoucissant leurs mesures. Ces problèmes de voisinages, spécifiques dans le cas de la Pologne, sont donc extrêmement importants et doivent être pris en considération.

À travers cet exemple, nous avons donc pu constater à quel point la reprise des instruments européens existants en matière de migration est exigeante et difficile à mettre en œuvre pour ces pays qui ont dû modifier, dans un laps de temps relativement restreint toute leur législation. Ces pays sont donc désavantagés de par leur passé politique mais également de par leur situation géostratégique.

b. Les pays de l’Est comme nouveaux «gardes frontières» de l’Europe.

Au-delà du retard institutionnel que connaissent ces nouveaux membres, existe pour ces pays un autre désavantage flagrant. Il s’agit de la pression migratoire sans précédent qui repose sur leurs «épaules». Les expressions ne manquent d’ailleurs pas pour décrire cette situation. Certains parlent de ces pays comme des «gardes frontières» de l’Europe quand d’autres évoquent le véritable « cordon sanitaire»35 de l’Europe de l’ouest. De manière générale, ces pays se retrouvent

en quelques sortes pris dans un étau. D’un côté, ils ont toujours été des pays de départ, d’émigration et se doivent par conséquent de contrôler leurs flux et de l’autre, ces pays se retrouvent confrontés à un phénomène nouveau pour eux en ce qu’ils sont peu à peu devenus de véritable pays d’immigration.

Concernant l’émigration, on constate qu’à la fin des années 90, l’Est représentait une part non négligeable de la présence étrangère dans certains pays de l’Union, soit 12,4% en Italie, 30,7% en Finlande et 17,1% en Allemagne36

. Sur ce point, l’élargissement a d’ailleurs suscité de nombreuses inquiétudes. La peur d’une « invasion venue de l’Est» a beaucoup été évoquée. On constate effectivement que le paysage migratoire de la région a beaucoup évolué depuis le début des années 90, cependant, l’exode attendu après la chute du mur de Berlin ne s’est pas produit. Il n’en reste pas moins qu’une très importante poussée migratoire est quand même apparue et que celle-ci, si elle s’est amenuisée au fil des ans, continue aujourd’hui d’exister37

. Ces nouveaux membres doivent donc plus que jamais continuer à surveiller leur flux de départ.

Concernant le fait que ces pays représentent une nouvelle zone d’immigration, on constate que ceci est essentiellement dû à leur position géographique stratégique. Ces pays, se situant aux

33 Voir la partie II-B-2 , ci-dessous, pour l’analyse de cette question.

34 Voir la partie II-A-1 et 2, ci-dessous, pour l’analyse de cette question. Il en va de même concernant les réseaux criminels impliqués dans le trafic de migrants. Ces réseaux se sont servis des failles du système Polonais de détermination du statut de réfugié pour légaliser le séjour temporaire de clandestins en Pologne.

35 Bouteillet-Paquet, Daphné. La définition d’une politique migratoire communautaire dans un espace élargi : Quelles conséquences pour les pays d’Europe centrale ? Migrations Société. Vol.13, N°74 (2001), p.69 -75.

36 Données disponibles sur le site du conseil de l’Europe: http://www.coe.int/DefaultFR.asp.

37 De Tinguy, Anne. Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.41 -60

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portes de l’Europe, sont devenus depuis la chute du communisme des pays de transition, de véritables passerelles vers l’Ouest. Ils sont également devenus des pays d’accueil. En effet, bon nombre de migrants qui passent par ces pays pour atteindre l’ouest, finissent souvent par rester et par s’installer. L’Europe centrale et orientale est ainsi devenue un espace migratoire essentiel. Différents phénomènes sont à l’origine de cette pression migratoire. Il y a tout d’abord le retour d’exilés de la période communiste, le rapatriement des personnes appartenant à des minorités ethniques résidant en dehors de leurs pays d’origine (minorité polonaise de Hongrie), retour sur leur terre d’une partie des personnes déportées par Staline et enfin, les migrations clandestines qui constituent une part importante de cette migration, ce malgré toutes les mesures ayant été prises pour lutter contre le phénomène38

.

À titre d’exemple et concernant cette migration illégale, nous constatons que des pays comme l’Estonie, la Slovénie ou la Lituanie constituent de réels pays de transit notamment pour les réseaux clandestins organisés en provenance d’Inde, du Pakistan, de Chine ou d’Afghanistan, ceux-ci effectuant un premier transit par la Russie. Ces migrants pénètrent alors légalement ou illégalement le territoire et y restent en attendant d’avoir l’opportunité d’aller plus à l’Ouest39

. Cependant, avec le durcissement et les restrictions d’accès aux pays occidentaux, ceux-ci sont souvent conduits à rester et à s’installer. L’adhésion à l’Union Européenne représente néanmoins un réel espoir pour ces migrants de pouvoir passer à l’ouest et pour ces raisons, ces nouveaux membres attirent encore plus de migrants.

À ces différents flux s’en ajoutent d’autres liés au fait que ces pays constituent dorénavant de nouveaux pôles d’attraction économique, ceci notamment dû à la délocalisation de bon nombre d’entreprises. Il s’agit d’une immigration souvent temporaire, pendulaire et frontalière. Des pays comme la Pologne ou la République Tchèque font parties de ces nouveaux pôles attractifs. À titre d’exemple, il y avait en 2000, entre 150 000 et 300 000 étrangers en situation irrégulière en Pologne constituant ainsi une main d’œuvre clandestine, peu exigeante et appréciée pour des raisons économiques.

Ainsi, on constate que l’intégration «égalitaire» escomptée par tous est loin de se traduire dans les faits. Ces nouveaux membres payent le prix de leur intégration par le fait de devoir supporter d’un côté, une pression migratoire sans précédent et de l’autre, une pression institutionnelle de la part de l’Union Européenne extrêmement intransigeante en ce qu’elle ne prend ni en compte la situation géographique qui les expose plus, ni la situation politique et historique qui les handicapent considérablement. Dans le paragraphe suivant, nous verrons que cette intégration se traduit également par une exclusion temporaire de ces nouveaux membres dans le domaine de la libre circulation de la main d’œuvre.

B. Une intégration «égalitaire» remise en cause par la volonté explicite

d’exclure ces pays en matière de libre circulation de la main d’œuvre.

Les négociations avec les pays d’Europe de l’Est portant sur leur adhésion ont débuté de façon formelle en 1998. Elles ont suivi ce que l’on appelle des «chapitres de négociation». Certains de ces chapitres furent plus délicats que d’autres, ce fut notamment le cas de ceux portant sur la politique régionale, l’agriculture et la libre circulation de la main d’œuvre.

38 De Tinguy, Anne. Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.41 -60

39 Marie, Claude-Valentin. Prévenir l'immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques

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Pour ce qui relève du dernier point plus précisément, nous verrons que si l’UE est intransigeante en ce qui concerne la reprise de l’acquis communautaire, elle n’hésite pas dans le même temps à refuser temporairement aux nouveaux membres l’accès au marché du travail. Les 15 semblent donc choisir les domaines qui les arrangent pour promouvoir l’égalité et l’intégration. Ces pays nouvellement membres se trouvent soudainement soumis à des contraintes extrêmes sans même pouvoir bénéficier, du moins pour le moment, du même statut que leurs condisciples européens. Le cas spécifique de la liberté de circulation de la main d’œuvre illustre ainsi parfaitement cette difficile intégration des nouveaux membres dans le contexte actuel, il met en lumière ce que Catherine Withol De Wenden dénonce comme la création d’une «Europe à la carte» avec des membres de seconde classe.

1. Pays de l’est, membres de seconde classe ?

L’impact de l’élargissement de l’UE sur le marché du travail suscite de nombreuses craintes parmi les pays déjà membres de l’Union. Certains d’entre eux, en particulier l’Allemagne et l’Autriche qui sont en première ligne, redoutent d’être «envahis» par une main d’œuvre bon marché qui pourrait entraîner, à terme, une baisse des salaires ainsi qu’une réduction de la protection sociale et une augmentation du taux de chômage40

. Il faut savoir que les trois quarts des ressortissants des pays d’Europe Centrale et Orientale exerçant une activité professionnelle dans l’Union travaillent dans l’un de ces deux pays. Par conséquent, ces derniers ont demandé avec insistance, que le principe de libre circulation des travailleurs ne soit mis en œuvre qu’après une période de transition de sept ans, voire dix, définie en fonction du niveau de développement économique des nouveaux membres.

En effet, un certain nombre de facteurs laissent à penser qu’une partie de la population active des pays d’Europe centrale et orientale sera tentée d’aller chercher du travail en Europe de l’Ouest, mais l’évaluation de ces risques, comme nous allons le voir, est largement exagérée par les quinzes41. Un des facteurs inquiétants est notamment le taux de chômage de ces pays qui reste

relativement important, il dépassait les 10% au début de l’année 2000, atteignant presque les 20% en Slovaquie et en Bulgarie. Un autre facteur d’inquiétude concerne les disparités en matière de niveau de vie, et de salaires.

Du fait de ces inquiétudes, des mesures de transition ont donc été décidées au niveau européen42

. Cependant, ces clauses diffèrent selon les quinze pays d’accueil, selon les dix nouveaux pays entrant dans l’union et selon les secteurs d’activité. En effet, chaque pays peut définir sa position à l’égard des nouveaux membres en reportant de deux ans son ouverture ou non. Des prolongations de trois ans sont possibles, puis de deux, mais ceci à condition de le justifier pour «perturbations graves» du marché du travail. Des accords bilatéraux peuvent également être conclus entre un ancien et un nouveau membre, enfin, une «clause de flexibilité» permet à un nouveau membre de demander à un ancien de réexaminer la période de transition le concernant.

40 De Tinguy, Anne. L’élargissement de L’Union, un nouveau défi pour l’Europe réunifiée. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.16.

41 De Tinguy, Anne. L’élargissement de L’Union, un nouveau défi pour l’Europe réunifiée. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.16.

42 Il nous faut cependant noter ici que ce genre de mesures n’est pas nouveau. Par exemple, l’accès des travailleurs salariés espagnols, portugais et grecs au marché du travail Européen a été permis en 1992, soit six ans après l’entrée officielle de l’Espagne et du Portugal dans la communauté européenne.

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À travers ces mesures, on constate donc que les disparités subsistent dans des domaines stratégiques alors que ces pays de l’Est se sont vus imposer d’un coup l’ensemble du dispositif Européen en matière de contrôle des frontières. Ces pays se trouvent ainsi à subir les inconvénients de cette adhésion (pression migratoire, durcissement des contrôles aux frontières, élaboration d’une politique migratoire cohérente en peu de temps, etc.) sans en avoir les avantages (ouverture du marché du travail par exemple). Nous sommes là, une fois de plus, face à un paradoxe entre un discours européen qui prône l’ouverture et une fermeture provisoire derrière laquelle se cachent les quinze pour protéger leur marché du travail. Cette situation favorise la croissance du déséquilibre et des inégalités entre les différents membres de l’Union ce qui laisserait à penser que les pays de l’Est sont des membres de «seconde classe» sur lesquels reposent toutes les obligations.

Ces derniers n’ont d’ailleurs pas tardé à réagir à l’annonce de ces restrictions qu’ils estiment économiquement et socialement injustifiées. Karoly Gyorgy, un des responsables de la confédération nationale des syndicats de Hongrie a même dénoncé une «violation flagrante des principes de l’UE»43

. La commission européenne a de son côté fait savoir qu’elle regrettait les mesures adoptées par les 15. Ces restrictions, selon Romano Prodi, «ne correspondent pas à l’esprit de l’élargissement, elles manquent de générosité».44

Cette situation favorise donc les mécontentements et la frustration de ces nouveaux membres qui font tout pour s’intégrer et qui se sentent exclus de ce domaine clé qu’est l’emploi. De telles mesures semblent à la fois illégitimes et perverses.

2. L’illégitimité et la perversité de ces mesures : Quand l’hypocrisie est au

rendez-vous…

La question qu’il convient de se poser en pareille circonstance est la suivante : de telles mesures de restriction sont-elles fondées ? Ces travailleurs de l’Est sont-ils réellement en concurrence avec ceux de l’ouest ?

Selon la majorité des auteurs45

, si certains effets négatifs peuvent survenir du fait du fort taux de chômage observé dans certains de ces pays, ces mesures apparaissent néanmoins illégitimes car elle semblent ne pas prendre en compte la réalité des migrations de cette région.

Tout d’abord, ces pays de l’Est présentent un potentiel migratoire faible. En effet, les migrations

en provenance de ces régions sont bien souvent pendulaires (migrations de voisinage) et ne peuvent représenter une réelle menace. En outre, et comme le souligne Elmar Hönekopp46

, ces flux ne concernent que certains secteurs spécifiques tels que l’agriculture, le bâtiment ou l’hôtellerie. Ils ne concernent également que certaines régions frontalières. À titre d’exemple, pour 200047

, était notée une augmentation de la proportion d’étrangers de 1% dans l’emploi en Allemagne, les actifs originaires des pays de l’Est représentaient en 2001, 0,2% des actifs en

43 De Tinguy, Anne. Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.41 -60

44 Ibid.

45 Ibid et Honekopp, Elmar. Élargissement et libre circulation : les effets sur le marché du travail dans

l’Union. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.34-42.

46 Honekopp, Elmar. Élargissement et libre circulation : les effets sur le marché du travail dans l’Union. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.34-42.

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Europe, 1,1% en Autriche et 0,6% en Allemagne. Ces chiffres sont donc loin de laisser entrevoir une réelle menace.

Ensuite, la situation économique des pays candidats s’améliorant peu à peu, cela devrait freiner

ces migrations. Cependant, cet argument mérite d’être relativisé. En effet, même si la croissance économique de ces pays augmente, il n’est pas certain qu’elle permette de créer suffisamment de nouveaux emplois et qu’elle soit ainsi un facteur aussi déterminant dans le ralentissement des migrations vers l’ouest. Ceci est notamment dû au processus de restructuration de l’économie de ces pays visant à sortir de l’agriculture, de l’industrie lourde ou de la production minière. Par ailleurs, comme l’ont démontré certains auteurs tels Tapinos et Cogneau48

, la situation économique d’un pays est loin d’être le seul déterminant à jouer sur le flux des migrations, le phénomène migratoire étant bien plus complexe que ça.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’Europe a besoin de l’immigration. En effet, le vieillissement de

la population porte à croire que l’Europe de l’Ouest va manquer de main d’œuvre, de plus, les pays de l’Europe centrale ou orientale pourraient très rapidement ne plus être en excédent de main d’œuvre, alors que l’Europe de l’Ouest va en avoir de plus en plus besoin. L’OCDE49

annonce même que du fait du vieillissement démographique, l’Europe sera confrontée en 2010, à des «pénuries de main d’œuvre», l’immigration sera alors son seul moyen de relever le défi.

Par ailleurs, l’expérience des précédents élargissements est elle aussi souvent mise en avant. Dans le cas de l’Espagne et du Portugal, l’émigration a diminué après leur adhésion à l’Union50

. Pour défendre sa position, la Pologne fait quant à elle valoir que l’émigration de la main d’œuvre serait de toute manière plus préjudiciable aux pays de l’Est qu’à leurs condisciples de l’Ouest, la main d’œuvre mobile étant souvent jeune et diplômée.51

Tous ces arguments démontrent ainsi l’illégitimité de ces mesures qui peuvent par ailleurs engendrer un certain nombre d’effets pervers. Comme le souligne Catherine Withol de Wenden52

, cette protection, non seulement bloque l’accès de la main d’œuvre de ces pays à l’Ouest, mais surtout empêche une certaine harmonisation Européenne favorisant la discrimination. En effet, des accords bilatéraux entre certains pays de l’Est et de l’Ouest existaient déjà, permettant ainsi de pourvoir au besoin de main d’œuvre en facilitant l’entrée et la circulation de certains travailleurs salariés seulement. Ainsi, des discriminations subsistent quant aux emplois fermés aux étrangers, ceci différemment d’un pays à l’autre.

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà dit, cela suscite la colère et l’incompréhension à l’Est et pourrait remettre en cause une certaine stabilité de la région. À titre d’exemple, le 3 mars 2004, le gouvernement Hongrois a annoncé qu’en vertu du principe «de réciprocité», il imposerait aux

48 Cogneau Denis et Tapinos georges. Migrations internationales, libres échanges et intégration régionale In DIAL, développement et insertion internationale. Novembre 2000.

49 De Tinguy, Anne. L’élargissement de L’Union, un nouveau défi pour l’Europe réunifiée. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.5-19 .

50 De Tinguy, Anne. Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.41 -60

51 Ibid.

52 Wihtol de Wenden, Catherine. L’Europe à 25 et les migrations : mesures de protection adoptées à

l’encontre des ressortissants des nouveaux État-membres par les quinze. Notre Europe, études et recherches [En

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ressortissants des 15 les mêmes restrictions que celles qui sont imposées aux Hongrois. Par ailleurs, de telles restrictions favorisent le travail clandestin53

.

On peut dire que cette inégalité flagrante en matière d’accès au marché du travail illustre parfaitement le caractère égocentrique et ambigu des politiques qui se dessinent au sein de l’Union. L’«Europe à la carte» que nous dépeint Catherine Withol de Wenden contribue à la construction d’une Europe où les «charges» ne reposeraient exclusivement que sur certains. Les nouveaux membres semblent devoir supporter toutes les pressions de cette sécurisation constante, que celles-ci soient institutionnelles, migratoires, diplomatiques ou économiques. D’une intégration qui se voulait égalitaire, nous sommes passés à une situation profondément inégalitaire, ceci au détriment de ces nouveaux venus. Que cette inégalité découle d’une volonté explicite ou implicite de la part des autorités européennes, il n’en reste pas moins qu’à terme, cette situation pourrait altérer une stabilité régionale encore fragile tout en compromettant sérieusement le respect des droits de la personne dans la région.

II. Les conséquences néfastes d’une telle dérive: un risque pour les droits

humains et la stabilité de la région.

L’ambiguïté européenne, ambiguïté principalement induite par cette dérive sécuritaire évidente de la politique communautaire en matière migratoire, contribue à favoriser l’apparition d’un certain nombre d’effets secondaires relativement préoccupants.

De manière générale, on remarque une réelle remise en question des droits fondamentaux des personnes parties en immigration, les illégaux étant faussement considérés comme des individus de non-droit54

. Cette situation a pour conséquences de favoriser l’augmentation du trafic et de la criminalité, mais également de provoquer la perte de protection des personnes venues chercher refuge en Europe ceci en vertu de la Convention de Genève.

Par ailleurs, cette dérive apparaît dangereuse en ce qu’elle ne prend pas en compte les dynamiques existantes entre les différents pays de la région, qu’ils soient ou non membres de l’Union. Cette lacune représente une menace importante pour la stabilité de la région.

A. Des répercussions «humaines» inquiétantes : Un véritable défi pour les

droits fondamentaux.

S’il est un domaine qui pâtit sérieusement de cette sécurisation constante, il s’agit bien de celui des droits de la personne. Comme nous l’avons vu en introduction, ce phénomène se retrouve à l’échelle mondiale (notamment depuis les attentats du 11 septembre) et se traduit par la multiplication de mesures arbitraires et liberticides.

À l’échelle européenne, on remarque que l’augmentation de l’immigration illégale, du trafic et de la criminalité dans les pays d’Europe de l’Est coïncide avec la période à laquelle ces pays ont commencé à répondre aux exigences de l’Union en mettant sur pied un certain nombre de ces mesures visant à sécuriser les migrations.55

53 Ibid et Honekopp, Elmar. Élargissement et libre circulation : les effets sur le marché du travail dans

l’Union. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.34-42.

54 En effet, le fait que ces personnes soient en situation irrégulière les prive d’un certain nombre de leurs droits et d’une certaine protection. Craignant l’expulsion, elles sont plus enclines à accepter et à subir des violations diverses de leurs droits fondamentaux.

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1. Une sécurisation qui rime avec une augmentation de l’immigration

irrégulière.

Le fait de fermer et de sécuriser au maximum les frontières a pour principal effet de favoriser l’immigration illégale.

En effet, la lutte contre l’immigration clandestine est devenue un défi majeur pour l’Europe ces dernières années56

. Selon certaines données57

, la migration illégale peut être estimée à environ 30% du total des flux bruts de nationaux de pays tiers vers l’ancien espace commun des quinze, ce pourcentage étant deux fois moins élevé il y a dix ans. Une augmentation similaire de la migration clandestine est par ailleurs observée dans les pays d’Europe centrale et orientale. Ces données sont sans équivoque. S’il est vrai que cette augmentation des migrations est en partie liée à l’ouverture de ces pays suite à la chute du régime communiste, ceci ne justifie en rien l’augmentation de cette immigration illégale. En effet, comme nous l’avons vu avec l’exemple de la Pologne, à la chute du régime, une grande libéralisation des migrations s’est amorcée facilitant ainsi le mouvement des personnes en toute légalité. Cette illégalité est donc liée aux mesures sécuritaires et répressives qui ont été prises par la suite en vue de l’adhésion à l’Union.

Ce lien est notamment soulevé par Claude-Valentin Marie dans un rapport de 2004 sur l’immigration irrégulière en Europe58

. Il semblerait d’ailleurs sur ce point qu’agir sur les critères ou règles juridiques fixant l’irrégularité du migrant ne change rien au fait que de plus en plus de gens, dans le contexte économique actuel, soient désespérés et prêts à tout pour accéder à un mieux vivre bien souvent illusoire59

 : Plus ces règles seront restrictives, plus le nombre d’illégaux sera important.

Ces mesures sécuritaires pourraient même, à l’inverse de l’effet escompté, provoquer une certaine radicalisation dans les migrations encourageant l’illégalité. En effet, de telles mesures vont mettre un terme aux migrations pendulaires de travail, importantes dans la région, car celles-ci vont devenir trop compliquées. Ce qui va pousser ces migrants à rester de l’autre côté de la frontière, dans l’illégalité, afin de subvenir à leurs besoins 60

.

Il semblerait, cependant, qu’une certaine prise de conscience européenne s’amorce sur ce sujet, le lien entre «le renforcement des frontières et le développement d’une économie du passage clandestin» devenant de plus en plus évident61

. Cependant, dans les faits cette augmentation de

56 Widgren, Jonas. Les politiques de prévention de la migration illégale et du trafic de migrants. Hommes et migrations. N°1230 (2001), p.20-27

57 Ibid.

58 Marie, Claude-Valentin. Prévenir l'immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques

politiques et droits des personnes. Strasbourg, Éditions du Conseil de l'Europe, 2004.

Ce dernier s’interroge notamment sur l’efficacité réelle de ces mesures de sécurisation, quelles soient législatives, réglementaires ou institutionnelles. Il nous rappelle que l’irrégularité du migrant découle des règles juridiques fixant le droit d’entrée et de séjour du pays dans lequel il se trouve.

59 Sur ce point, Magdalena Hadjiisky nous rappelle d’ailleurs que les médias s’en donnent bien souvent à cœur joie pour vendre une image de l’occident idyllique où la réalisation de soi et le bien-être de la modernité coulent de source. Voir Hadjiisky, Magdaléna. L’image de l’occident chez les Bulgares. Migrations Société. N°27 (1993), p.55-63.

60 De Tinguy, Anne. Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, N°92 (2004), p.41 -60

61 Voir Wihtol de Wenden, Catherine. L’Europe à 25 et les migrations : mesures de protection adoptées à l’encontre des ressortissants des nouveaux État-membres par les quinze. Notre Europe, études et recherches [En

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